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YEARBOOK OF THE ALAMIRE FOUNDATION

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MUSIQUE ET POLITIQUE À FLORENCE<br />

Le caractère exceptionnel de ces trois madrigaux ne vient pas tant du thème choisi<br />

que de la façon dont il est traité. Rencontré pour la première fois dans les deux manuscrits<br />

de Masacone, le genre du lamento est en effet, avec la célébration du mariage<br />

ou du couronnement, le type de pièce «politique» le plus courant, et aussi le plus<br />

convenu. Mais ici, il se distingue de la déploration traditionnelle pour trois raisons<br />

au moins: sa longueur et sa construction poétique inhabituelle d’abord, le dialogue<br />

fictif établi entre le poète et le mort, et enfin son contenu véritablement politique,<br />

qui rend compte d’un engagement bien éloigné des traditionnelles formules laudatives.<br />

Les rapports apparemment étroits qui lient l’auteur du poème et la personne à<br />

laquelle il rend hommage expliquent pour une large part l’intimité de l’échange, l’aspect<br />

privé du discours. 33<br />

Les éléments réunis lors de la lecture des poèmes font bien évidemment penser<br />

au duc Alexandre, dont la figure a été évoquée dans l’autre manuscrit. A première<br />

vue, il représente le candidat idéal: un membre important de la famille des Médicis,<br />

disparu brutalement dans la fleur de l’âge. La fin du deuxième poème, qui fait allusion<br />

à d’éventuelles vengeances consécutives aux faits de guerre civile, semble<br />

confirmer cette option, puisque l’on sait que Lorenzino, qui aimait se comparer à<br />

Brutus, expliqua son geste par une raison politique et se rallia au camp des exilés<br />

républicains conduits par Filippo Strozzi.<br />

Cependant, je ne crois pas qu’Alexandre soit le personnage évoqué ici: c’est<br />

plus probablement son cousin le cardinal Hippolyte que le poète chante ici, et je voudrais<br />

rapidement énumérer les nombreux arguments qui plaident en sa faveur.<br />

D’abord, tout ce que l’on sait d’Alexandre, de sa vie, de son comportement, de ses<br />

goûts, tout s’oppose à ce que sa mort, même violente et imprévue, ait pu générer une<br />

telle poésie. Alexandre n’était pas un mécène particulièrement recherché, et il n’avait<br />

pas la réputation d’être un huomo beato ou un chiaro spirto, pas plus que l’alma beltate<br />

ou la somma fede ne peuvent le caractériser. 34 Or la sincérité du discours, la proximité<br />

du poète avec celui qu’il pleure, non seulement affaiblissent la candidature<br />

d’Alexandre, mais renforcent aussi celle de son cousin. Celui-ci, nommé cardinal<br />

par Clément VII à dix-huit ans, fut l’un des plus grands mécènes de son temps. Ami<br />

des arts et des artistes, il fut poète lui-même (ce qui pourrait expliquer le stratagème<br />

du dialogue utilisé ici), et les portraits physique et intellectuel que nous ont laissés<br />

33 A ce propos, on pourra utilement comparer ces textes avec un autre lamento écrit pour un Florentin à<br />

la même époque, mis en musique par Arcadelt. Deh come trista dei, publié en 1544 dans son cinquième<br />

livre de madrigaux, propose un texte beaucoup plus conventionnel et bien moins informatif sur le<br />

contexte, à tel point que James Haar a pu hésiter sur l’identité de la personne regrettée, balançant entre<br />

le duc Alexandre et Filippo Strozzi. Voir J. HAAR, The Florentine Madrigal, 1540–60, dans J.A.<br />

OWENS et A. CUMMINGS éds., Music in Renaissance Cities and Courts: Studies in Honor of Lewis<br />

Lockwood, Warren, Michigan, 1997, p. 145.<br />

34 Sur Alexandre, voir la bibliographie citée par VON ALBERTINI, Firenze dalla repubblica al principato,<br />

p. 204.<br />

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