YEARBOOK OF THE ALAMIRE FOUNDATION

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218 PHILIPPE CANGUILHEM borée que le couple traditionnel proposta-risposta, n’a à ma connaissance aucun équivalent dans le catalogue des productions de musique vocale italienne de l’époque. 31 1. Le poète Oh del’ viver humano amaro molto Et poc’o nulla dolce oh congiurato Ciel ne miei danni oh rad’[C: nud’] huomo beato Se dal nodo mortal pria non è sciolto Oh lacrime, chio spargo et ne rivolto Giuste querele a l’empi et sordo fato Oh lauro si verde ohime schiantato Oh d’ombra si gentil refugio tolto Oh per maggior mia doglia ogn’hor presente Somma fede valor alma beltate D’amica pianta sul [T: in sul] fiorir sotterra Oh perch’inexorabil dispietate Oh mie speranze acerbemente spente Chi troverra mai pace a tanta guerra Oh, très amère vie humaine Si peu douce; oh ciel qui conspire Contre moi; oh homme rarement heureux Avant d’être délivré du nœud mortel Oh, larmes que je répands, et que je transforme En justes querelles faites au cruel et sourd destin Oh laurier si vert, hélas brisé Oh, refuge enlevé qu’une ombre si aimable me procurait Oh pour ma plus grande douleur toujours présente La plus haute foi, la valeur, et la beauté D’une plante amie qui fleurissait sont enfouies Oh, pourquoi une telle inexorable cruauté Oh, mes espoirs prématurément évanouis Qui trouvera jamais la paix à tant de guerre? C’est le premier de ces trois sonnets qui contient le plus d’éléments qui permettent de situer leur contexte. Ces éléments sont les suivants: Lauro/pianta: le texte s’adresse à un membre de la famille des Médicis, symbolisée par le laurier depuis Cosme l’Ancien. Schiantato/sotterra: le poète pleure sa mort. Si verde/sul fiorir: il est mort jeune. 31 Corsini n° 34–35–36. Une poésie politique en forme de dialogue fictif fait bien sûr penser à Michel- Ange et à son Per molti, donna, anzi per mille amanti. Voir M.-A. BUONARROTI, Rime, éd. E.N. GIRARDI, Bari, 1960, pp. 117–118.

MUSIQUE ET POLITIQUE À FLORENCE D’ombra si gentil: le personnage évoqué était le mécène du poète, il agissait comme un protecteur. 32 Amica pianta: plus que la perte d’un mécène, le poète regrette un ami, tout du moins quelqu’un dont il était le partisan. Tanta guerra: il s’agit encore une fois de la référence à la période troublée qui a agité Florence entre 1527 et 1537. Le dernier vers semble signifier que la mort prématurée et tragique de ce personnage fait suite à une longue série d’affrontements: la date de sa mort doit donc être placée plutôt vers la fin de la période. 2. Le mort La réponse du mort, si elle n’apporte aucun élément nouveau, confirme en tous cas les impressions laissées par le premier sonnet: le personnage qui répond ici, est bien l’ami du poète (fedel amico); il est mort jeune (in si fiorit’etate); et il est victime des conséquences d’une guerre civile, comme l’indiquent les deux derniers vers. Sa mort, enfin, doit avoir été violente puisqu’elle est susceptible de faire l’objet d’une vengeance. Fedel amico mio pietos’ascolto Tuoi non finti sospir et sconsolato Fera stella ria sort’iniquo fato Chiamare e pur ti scorg’a pianger volto Ma s’a l’instabil mondo m’ ha ritolto Morte crudele in si felice stato Mi trov’hor che ben dei [B: devi] l’aflitt’amato Cor aquietare et serenar’il volto Fidèle ami, qui m’écoutes charitablement Inconsolable, tes soupirs ne sont pas feints J’invoque la cruelle étoile, le dur sort, et le destin inique Et je te découvre malgré tout le visage en pleurs Mais puisque la mort cruelle m’a enlevé À ce monde instable, Je me trouve en un état si heureux Que tu dois à présent consoler ton cœur affligé (que j’aime) Et rasséréner ton visage 32 De nombreuses dédicaces de l’époque font référence à cette image pour évoquer le mécénat: voir entre autres R. COOPER, Litterae in tempore belli. Etudes sur les relations littéraires italo-françaises pendant les guerres d’Italie, Genève, 1997, pp. 179–180, qui cite une dédicace de 1545 du juriste toscan Emilio Ferretti évoquant Marguerite de Navarre, «sotto l’ombra della quale possa […] quietamente et tranquillamente viver». Voir aussi la dédicace du premier livre de madrigaux de Giovanni Pierluigi da Palestrina (1555): «questo mio Primo libro de Madrigali, nati sotto la felicissima ombra di Monsignor Illustriss[imo] è Reverendiss[imo] il Cardinale di Carpi mio Patrone». Reproduit dans l’édition moderne établie par Giuliana Gialdroni: G. GIALDRONI éd., Il primo libro dei madrigali a quattro voci, Roma, Dorico, 1555 (con i facsimili a fronte di tutte le edizioni superstiti), Palestrina, 1989, p. 10. Enfin, le Florentin Giovanni Animuccia utilise l’expression à propos de ses madrigaux («manifestandosi sotto l’ombra del vostro nome») dans la dédicace de son deuxième livre de madrigaux adressée à Alfonso Cambi en 1551. 219

MUSIQUE ET POLITIQUE À FLORENCE<br />

D’ombra si gentil: le personnage évoqué était le mécène du poète, il agissait<br />

comme un protecteur. 32<br />

Amica pianta: plus que la perte d’un mécène, le poète regrette un ami, tout<br />

du moins quelqu’un dont il était le partisan.<br />

Tanta guerra: il s’agit encore une fois de la référence à la période troublée<br />

qui a agité Florence entre 1527 et 1537. Le dernier vers semble<br />

signifier que la mort prématurée et tragique de ce personnage<br />

fait suite à une longue série d’affrontements: la date de sa mort<br />

doit donc être placée plutôt vers la fin de la période.<br />

2. Le mort<br />

La réponse du mort, si elle n’apporte aucun élément nouveau, confirme en tous cas<br />

les impressions laissées par le premier sonnet: le personnage qui répond ici, est bien<br />

l’ami du poète (fedel amico); il est mort jeune (in si fiorit’etate); et il est victime des<br />

conséquences d’une guerre civile, comme l’indiquent les deux derniers vers. Sa mort,<br />

enfin, doit avoir été violente puisqu’elle est susceptible de faire l’objet d’une vengeance.<br />

Fedel amico mio pietos’ascolto<br />

Tuoi non finti sospir et sconsolato<br />

Fera stella ria sort’iniquo fato<br />

Chiamare e pur ti scorg’a pianger volto<br />

Ma s’a l’instabil mondo m’ ha ritolto<br />

Morte crudele in si felice stato<br />

Mi trov’hor che ben dei [B: devi]<br />

l’aflitt’amato<br />

Cor aquietare et serenar’il volto<br />

Fidèle ami, qui m’écoutes charitablement<br />

Inconsolable, tes soupirs ne sont pas feints<br />

J’invoque la cruelle étoile, le dur sort, et le<br />

destin inique<br />

Et je te découvre malgré tout le visage en<br />

pleurs<br />

Mais puisque la mort cruelle m’a enlevé<br />

À ce monde instable,<br />

Je me trouve en un état si heureux<br />

Que tu dois à présent consoler ton cœur<br />

affligé (que j’aime)<br />

Et rasséréner ton visage<br />

32 De nombreuses dédicaces de l’époque font référence à cette image pour évoquer le mécénat: voir entre<br />

autres R. COOPER, Litterae in tempore belli. Etudes sur les relations littéraires italo-françaises pendant<br />

les guerres d’Italie, Genève, 1997, pp. 179–180, qui cite une dédicace de 1545 du juriste toscan<br />

Emilio Ferretti évoquant Marguerite de Navarre, «sotto l’ombra della quale possa […] quietamente et<br />

tranquillamente viver». Voir aussi la dédicace du premier livre de madrigaux de Giovanni Pierluigi da<br />

Palestrina (1555): «questo mio Primo libro de Madrigali, nati sotto la felicissima ombra di Monsignor<br />

Illustriss[imo] è Reverendiss[imo] il Cardinale di Carpi mio Patrone». Reproduit dans l’édition moderne<br />

établie par Giuliana Gialdroni: G. GIALDRONI éd., Il primo libro dei madrigali a quattro voci, Roma,<br />

Dorico, 1555 (con i facsimili a fronte di tutte le edizioni superstiti), Palestrina, 1989, p. 10. Enfin, le<br />

Florentin Giovanni Animuccia utilise l’expression à propos de ses madrigaux («manifestandosi sotto<br />

l’ombra del vostro nome») dans la dédicace de son deuxième livre de madrigaux adressée à Alfonso<br />

Cambi en 1551.<br />

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