YEARBOOK OF THE ALAMIRE FOUNDATION

MUSIQUE ET POLITIQUE À FLORENCE
ment documentée. 28 Les rivalités entre groupes antagonistes (Grandi/Popolari), le
jusqu’au-boutisme des Arrabiati (les «enragés»), les trahisons, les défections, tout
ceci semble décrit dans les quatre premiers vers du madrigal. Randolph Starn a pu
parler de la «increasingly suspicious and hostile atmosphere of republican Florence»
qui régnait entre 1527 et 1530. 29
Si les sentiments de l’auteur et la période à laquelle il écrit sont identifiables,
l’identité du «signor cortese» reste toutefois à déterminer. Cet appel est peut-être
adressé à un Médicis parti de Florence au moment des faits et qui est susceptible d’y
revenir, afin de rétablir la paix civile. Dans ce cas, le seul candidat possible est Clément
VII, qui avait dirigé la ville avant son élection au pontificat, entre 1519 et 1523. Mais
on a vu plus haut qu’il ne jouissait pas d’une très haute considération après le sac de
Rome, et qu’il était critiqué à l’intérieur même des deux manuscrits musicaux qui
nous ont transmis ce madrigal. On peut ajouter qu’à l’époque du siège de Florence,
Clément VII était allié à Charles-Quint et c’est lui qui encerclait la ville: bien qu’on
ne puisse complètement exclure cette possibilité, on ne voit pas qui aurait pu écrire
un tel texte en son honneur à un tel moment.
Cet appel doit plutôt être lu différemment, comme une invocation à un «signor»
disparu au moment des faits, mais qui aurait laissé le souvenir d’un homme capable
de ramener la concorde. Dans ce cas, Laurent le Magnifique serait le plus à même
d’incarner cette figure, et il n’est pas impossible que le poète soit nostalgique d’un
temps où Florence n’était pas déchirée par la guerre civile. Le double sens du premier
vers pourrait ainsi s’expliquer, faisant à la fois référence à une époque désormais
révolue, qui correspondrait en même temps à la jeunesse du poète. Cette idéalisation
de la période de Laurent le Magnifique s’appuyait à la fois sur le souvenir
d’une certaine stabilité politique et sur celui d’une floraison des arts et des lettres,
qui avait pu s’exprimer dans la diffusion du mythe de l’âge d’or, auquel fait sans
doute référence le capoverso du madrigal. 30
Les déchirements de la guerre civile sont également le sujet du dernier madrigal,
qui se présente à la manière d’un triptyque: il s’agit en effet de trois sonnets qui ont
en commun le même schéma de rimes, et se présentent comme un dialogue fictif
entre le poète et celui qu’il pleure. Cette ambitieuse construction poétique, plus éla-
28 L’étude classique est celle de Cecil Roth: C. ROTH, The Last Florentine Republic, Londres, 1925,
R/1968.
29 R. STARN, Donato Giannotti and His Epistolae, Genève, 1968, p. 51. Des exemples concrets de cette
atmosphère à l’époque du siège (1530) ont été rassemblés par C. ROTH, The Last Florentine Republic,
pp. 205–207, dont celui qui concerne un chanteur de la chapelle papale, torturé et emprisonné. Le siège
a généré par ailleurs une riche production poétique, rappelée pp. 208–209.
30 Sur le mythe florentin de l’età dell’oro, sa création par les Médicis et sa cristallisation autour de la
figure de Laurent le Magnifique, voir entre autres GAREFFI, La scrittura e la storia, pp. 41–45, et la
bibliographie citée à la note 45, pp. 75–76. Les premiers paragraphes de la Storia d’Italia de Guichardin
peuvent également donner une bonne idée du souvenir qu’avait laissé Laurent le Magnifique dans l’esprit
des partisans des Médicis à l’époque de sa rédaction, entre 1535 et 1540.
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