YEARBOOK OF THE ALAMIRE FOUNDATION

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212 PHILIPPE CANGUILHEM On pourrait voir dans ce texte un simple ajout à la très longue liste des réactions artistiques et littéraires suscitées par un événement d’une importance historique et symbolique capitale, mais il faut plutôt souligner l’intérêt de ce contrafactum en le rapprochant du madrigal mis en musique par Verdelot, Trist’Amarilli mia, qui présente un point de vue similaire. 13 Chez Verdelot, compositeur actif à Florence entre 1520 et 1530, c’est également l’Eglise qui est prise à partie à travers une allégorie pastorale dans laquelle le poète demande à Amarylis (l’Eglise) s’il est vrai que Tytire (Clément VII) a quitté le Tibre et le Vatican, abandonnant les troupeaux (les fidèles) errants et dolents. Dans les deux cas, il s’agit non pas de plaindre Rome, mais de rendre responsables, discrètement chez Verdelot, plus ouvertement chez Arcadelt, Clément VII et la curie romaine de la tragédie du sac. 14 Cela peut se comprendre assez facilement dans le cas de Verdelot qui semble avoir été lié au camp républicain, mais il paraît à première vue surprenant de trouver une telle critique d’un pape Médicis et de son entourage dans un manuscrit provenant de la cour de Cosme 1 er : une explication s’impose. Alors qu’il était encore en vie, Clément VII fut jugé principal responsable des événements de mai 1527, non seulement par ses adversaires, mais aussi par ses partisans. Ainsi le Florentin Francesco Vettori écrit en 1529 un Sacco di Roma. Dialogo dans lequel il explique avoir du mal à évoquer le sujet, «per non dannare uno al quale porto affezione e riverenza». 15 Surtout, Vettori accuse les moeurs romaines du temps, seules responsables du châtiment divin: «era impossibile, alle sceleratezze che si commettevono in Roma e massime per li preti, che quella città potessi indugiare a capitar male». 16 Mais la raison principale qui pourrait expliquer pourquoi les Florentins jugeaient Rome responsable de ses propres malheurs tient au fait que c’est Florence qui était initialement visée par l’armée du connétable de Bourbon au printemps de 1527. Au dernier moment, les impériaux dévièrent leur route et décidèrent de marcher sur Rome, épargnant miraculeusement Florence. On comprend pourquoi ses habitants, a posteriori, aient voulu trouver des raisons objectives au choix de 13 Le madrigal a été étudié en détail par HARRÁN, The ‘Sack of Rome’ Set to Music. Sur la fortune des contrafacta consacrés au sac de Rome, voir l’article de A. VIAN HERRERO, Le sac de Rome dans la poésie historique hispano-italienne: discours politiques et modalités littéraires, dans A. REDONDO éd., Les discours sur le sac de Rome de 1527. Pouvoir et littérature, Paris, 1999, pp. 83–102, en particulier les pp. 93–94. Du même auteur, El Diálogo de Lactancio y un arcidiano de Alfonso de Valdés: obra de circunstancias y diálogo literario. Roma en el banquillo de Dios, Toulouse, 1994, pp. 145–243, propose une anthologie de textes littéraires et poétiques espagnols, italiens, allemands et français consacrés au sac de Rome. Sur l’événement lui-même et ses répercussions symboliques et artistiques, voir A. CHASTEL, Le sac de Rome, 1527, Paris, 1984. 14 Symboliquement, le mot «roma» est biffé dans la partie de bassus de Corsini, sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agit d’une initiative du copiste ou de l’interprète. 15 Cité par M. MARIETTI, L’évocation du sac de Rome par le Florentin Francesco Vettori, dans REDONDO, Les discours sur le sac de Rome de 1527, pp. 71–72. 16 MARIETTI, L’évocation du sac de Rome, p. 80.

MUSIQUE ET POLITIQUE À FLORENCE Rome, qui selon eux méritait plus que Florence un tel châtiment. 17 Vettori n’est pas le seul à soutenir une telle opinion, reprise notamment par François Guichardin dans son Histoire d’Italie. Celui-ci, qui a été partie prenante au moment des faits, puisqu’il servait alors de «ministre des affaires étrangères» de Clément VII, 18 critique en plusieurs endroits de son livre la pusillanimité du pape lors des événements, mais c’est le jugement sans concessions qu’il fait de son pontificat qui pourra mieux que tout autre donner une idée juste du peu d’estime dans laquelle le pape était tenu quelques années après sa mort. Guichardin considère que son pontificat fut plus négatif que positif, car, rappelle-t-il, 19 «quale felicità si può comparare alla infelicità della sua incarcerazione? all’avere veduto con sì grave eccidio il sacco di Roma? allo essere stato cagione di tanto esterminio della sua patria? Morì odioso alla corte, sospetto a’ principi, e con fama più presto grave e odiosa che piacevole; essendo riputato avaro, di poca fede e alieno di natura da beneficare gli uomini». «quel bonheur peut-on comparer au malheur de son incarcération, à la vue du sac de Rome accompagné d’un tel carnage, à la responsabilité d’une telle dévastation de sa patrie? Il mourut haï par la curie, suspect aux princes, et avec une réputation plutôt fâcheuse et odieuse que plaisante, car on le tenait pour avare, peu loyal, et peu enclin, par nature, aux bienfaits». Il faut rappeler que Guichardin fut un fidèle partisan des Médicis, et qu’il est en faveur auprès de Cosme 1 er lorsqu’il rédige sa Storia d’Italia. On comprend pourquoi le madrigal d’Arcadelt a pu être modifié de cette façon, et circuler à Florence dans cette version. 20 17 MARIETTI, L’évocation du sac de Rome, pp. 75–77; et VON ALBERTINI, Firenze dalla repubblica al principato, pp. 104–105. 18 L’expression est de VON ALBERTINI, Firenze dalla repubblica al principato, p. 225. 19 C’est moi qui souligne (en gras). Cf. F. GUICCIARDINI, Storia d’Italia, livre 20, chap. vii, éd. F. CATALANO, Milan, 1975, 3, p. 976; F. GUICCIARDINI, Histoire d’Italie 1492–1534, traduction française sous la direction de J-L. FOURNEL et J-C. ZANCARINI, Paris, 1996, 2, p. 669. 20 Don Harrán pensait à l’époque de son étude (The ‘Sack of Rome’ Set to Music) que le madrigal de Verdelot était «the only piece in the sacro-secular repertory of the time to refer, more or less explicitly, to the invasion of Rome and its aftermath» (p. 419). Mais à côté du contrafactum présenté ici, il existe au moins une troisième pièce musicale consacrée au sac de Rome: le madrigal qui clôt le Primo libro a 5 de Cesare Tudino (Rome, 1564). Voir mon article «Caronte chi sei?» Un cas exemplaire de circulation littéraire et musicale dans l’Italie de la Renaissance, dans Italian History and Culture, 5 (1999), où le madrigal est brièvement présenté p. 98, et où son texte est retranscrit p. 109. 213

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On pourrait voir dans ce texte un simple ajout à la très longue liste des réactions artistiques<br />

et littéraires suscitées par un événement d’une importance historique et symbolique<br />

capitale, mais il faut plutôt souligner l’intérêt de ce contrafactum en le rapprochant<br />

du madrigal mis en musique par Verdelot, Trist’Amarilli mia, qui présente<br />

un point de vue similaire. 13 Chez Verdelot, compositeur actif à Florence entre 1520<br />

et 1530, c’est également l’Eglise qui est prise à partie à travers une allégorie pastorale<br />

dans laquelle le poète demande à Amarylis (l’Eglise) s’il est vrai que Tytire<br />

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errants et dolents. Dans les deux cas, il s’agit non pas de plaindre Rome, mais de<br />

rendre responsables, discrètement chez Verdelot, plus ouvertement chez Arcadelt,<br />

Clément VII et la curie romaine de la tragédie du sac. 14 Cela peut se comprendre assez<br />

facilement dans le cas de Verdelot qui semble avoir été lié au camp républicain, mais<br />

il paraît à première vue surprenant de trouver une telle critique d’un pape Médicis et<br />

de son entourage dans un manuscrit provenant de la cour de Cosme 1 er : une explication<br />

s’impose.<br />

Alors qu’il était encore en vie, Clément VII fut jugé principal responsable des<br />

événements de mai 1527, non seulement par ses adversaires, mais aussi par ses partisans.<br />

Ainsi le Florentin Francesco Vettori écrit en 1529 un Sacco di Roma. Dialogo<br />

dans lequel il explique avoir du mal à évoquer le sujet, «per non dannare uno al quale<br />

porto affezione e riverenza». 15 Surtout, Vettori accuse les moeurs romaines du temps,<br />

seules responsables du châtiment divin: «era impossibile, alle sceleratezze che si<br />

commettevono in Roma e massime per li preti, che quella città potessi indugiare a<br />

capitar male». 16 Mais la raison principale qui pourrait expliquer pourquoi les<br />

Florentins jugeaient Rome responsable de ses propres malheurs tient au fait que c’est<br />

Florence qui était initialement visée par l’armée du connétable de Bourbon au printemps<br />

de 1527. Au dernier moment, les impériaux dévièrent leur route et décidèrent<br />

de marcher sur Rome, épargnant miraculeusement Florence. On comprend pourquoi<br />

ses habitants, a posteriori, aient voulu trouver des raisons objectives au choix de<br />

13 Le madrigal a été étudié en détail par HARRÁN, The ‘Sack of Rome’ Set to Music. Sur la fortune des<br />

contrafacta consacrés au sac de Rome, voir l’article de A. VIAN HERRERO, Le sac de Rome dans la<br />

poésie historique hispano-italienne: discours politiques et modalités littéraires, dans A. REDONDO<br />

éd., Les discours sur le sac de Rome de 1527. Pouvoir et littérature, Paris, 1999, pp. 83–102, en particulier<br />

les pp. 93–94. Du même auteur, El Diálogo de Lactancio y un arcidiano de Alfonso de Valdés:<br />

obra de circunstancias y diálogo literario. Roma en el banquillo de Dios, Toulouse, 1994, pp. 145–243,<br />

propose une anthologie de textes littéraires et poétiques espagnols, italiens, allemands et français consacrés<br />

au sac de Rome. Sur l’événement lui-même et ses répercussions symboliques et artistiques, voir<br />

A. CHASTEL, Le sac de Rome, 1527, Paris, 1984.<br />

14 Symboliquement, le mot «roma» est biffé dans la partie de bassus de Corsini, sans qu’il soit possible<br />

de savoir s’il s’agit d’une initiative du copiste ou de l’interprète.<br />

15 Cité par M. MARIETTI, L’évocation du sac de Rome par le Florentin Francesco Vettori, dans<br />

REDONDO, Les discours sur le sac de Rome de 1527, pp. 71–72.<br />

16 MARIETTI, L’évocation du sac de Rome, p. 80.

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