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Spectrum_01_2022

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PAGE VERTE

Text Yvan Pierri

Illustration Marie Schaller

Conversation avec Dominique

Bourg

À l’heure où l’on constate tous les jours un peu plus les conséquences

de la crise climatique, Spectrum s’est entretenu avec

Dominique Bourg, l’une des voix les plus importantes du mouvement.

ominique Bourg est un philosophe spécialisé

dans les questions environne-

D

mentales, ancien professeur à l’université de

Lausanne, il a présidé le conseil scientifique

de la fondation Nicolas Hulot pour la nature

et l’homme et est responsable de la revue «

lapenséeécologique.com ». Éditeur aux Puf,

il collabore avec la fondation Zoein à Genève

qui soutient notamment les projets et

organisations engagées dans la transition

écologique.

Qu’est-ce que ça veut dire concrètement

« urgence climatique » ?

En fait, ce qui résulte de la Cop 26, c’est que,

par rapport à 2010, on pense que les émissions

d’ici à 2030 vont progresser de 14 %. On

a donc déjà la quasi-assurance de connaître

dès la décennie 2040 des années avec une

moyenne de température supérieure de 2o

à ce qu’était la température moyenne sur

Terre lors de la première moitié du 19ème

siècle. Cela veut dire que quand une moyenne

de 2° sur dix ans aura été atteinte, nous

aurons déjà vécu plusieurs années à 2o. Or,

ce qui est très destructeur pour la vie sur

Terre, ce sont en grande partie les évènements

extrêmes qui sont corrélés à la moyenne

de température sur une année. Quand

nous voyons les dégâts qui accompagnent

Découvrez l'interview

en intégralité

sur:

aujourd’hui des moyennes de 1.1o ou 1.2o de

plus qu’au 19ème siècle, on se doute bien que

les 2o seront très durs à vivre…

Il y a également le problème de la chaleur

humide. Quand la température est par

exemple de 36o avec un taux d’humidité de

80 %, la marge qui reste pour évacuer la chaleur

de notre corps est très faible et donc, en

quelques heures, s’il n’y a pas de refuge sec

ou frais, c’est la mort ! Si la température et le

degré d’humidité sont plus élevés, le temps

de résistance à l’extérieur diminue. Avec 2o,

une large partie de la Terre habitée par les

êtres-humains va être touchée par ce phénomène

qui a été observé pour la première

fois dans le Pakistan et dans le golfe Persique

cet été.7

Comment définiriez-vous le terme «

transition écologique » ?

C’est Bob Hopkins en 2008 qui propose

cette expression face à l’inaction et la mollesse

de ce qu’on appelle le « développement

durable ». Malheureusement, elle est

en train de subir le même sort. Souvent, les

gens limitent la transition écologique à une

permutation des moyens de production

énergétique du carboné au non-carboné.

Mais le problème est beaucoup plus large

et pose des questions de civilisation. On a

récemment pu définir de façon précise en

quoi, sur les neuf limites planétaires, la cinquième

a été franchie : l’introduction d’entités

étrangères dans la biosphère. Du côté de

l’expertise, le consensus est que ce qui réduit

l’habitabilité de la terre, c’est la hauteur des

flux d’énergie et des flux de matières . La

Découvrez le reste

du travail de

Dominique Bourg

transition écologique impliquerait donc de

baisser le volume de nos activités. Cela exige

un changement civilisationnel.

Les institutions politiques sont-elles

trop engoncées dans les dynamiques

économiques néo-libérales pour pouvoir

amorcer le changement nécessaire

?

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles sont

déjà prisonnières dans leur tête. En fait, tous

nos dirigeants continuent à avoir un raisonnement

économique. Ils continuent à avoir

une appréhension monétaire des choses et

à avoir une confiance quasi-aveugle dans les

techniques. Or, ce n’est pas avec la monnaie

que l’on va résoudre tous nos problèmes.

Cette approche monétaire manque complètement

la question des flux et joue sur une

espèce de magie technique nous permettant

de substituer à une ressource manquante

une autre ressource. Dans un système fini

comme le nôtre, cela n’a pas de sens ! En

plus, avec la mondialisation, les États se sont

retirés en partie des pouvoirs de régulation

qui étaient les leurs. Même s’ils le voulaient,

ça leur serait plus difficile de réguler les choses.

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