CRUMB BOOK 2016
TESSSSSSSSSTTTTTTTTT TESSSSSSSSSTTTTTTTTT
.fr DIGITAL BOOK 2010-2015 VAMPIRE WEEK-END / METRONOMY / MICHAEL FASSBENDER / IGGY AZALEA / MADLIB / AUSTRA / BERTRAND BURGALAT / SKY FERREIRA / DESTROYER / BUSY P / SÉBASTIEN TELLIER / JAGWAR MA / ALAN MCGEE / DISCLOSURE / HINDS / MØ / HANNI EL KHATIB / JAMES VINCENT MCMORROW / CHVRCHES / SALUT C’EST COOL / ALUNAGEORGE / GRÜNT / DOMINIQUE A / AYO / 1995 / THE DO / MINA TINDLE / HAIM / FRANZ FERDINAND / LONDON GRAMMAR / ROBI / THE SHOES / STROMAE / YUKSEK / ALT-J / BARBARA CARLOTTI / FOXYGEN / JAIN / ÉMILIE SIMON / RODRIGO AMARANTE / KLUB DES LOOSERS / &…
- Page 2: 2016, Crumb magazine © 2010-2015 -
- Page 7 and 8: ÉDITORIAL C’est l’histoire de
- Page 9 and 10: Les réponses. Les succès. Du plai
- Page 11 and 12: Fondateur et Rédacteur en Chef Tho
- Page 13 and 14: ZELLA DAY P. 156 / YUKSEK P. 158 /
- Page 16 and 17: Djembé depuis le lycée. Mais où
- Page 19 and 20: MADLIB AKA QUASIMOTO Interview publ
- Page 21 and 22: SKY FERREIRA Rencontre/texte publi
- Page 25 and 26: ©Jason-Lee Parry
- Page 27 and 28: G pour Grünt et pour engaGé. Acte
- Page 29 and 30: ne sommes que les facteurs. Ce sont
- Page 32: AUSTRA Katie Stelmanis Interview pu
- Page 36 and 37: ALUNA GEORGE Interview publiée le
- Page 38 and 39: Le succès demande souvent de s’a
- Page 43 and 44: Miranda Barnes est une jeune photog
- Page 48: Joe, tu faisais beaucoup de remixes
.fr <br />
DIGITAL <strong>BOOK</strong><br />
2010-2015<br />
VAMPIRE WEEK-END / METRONOMY / MICHAEL FASSBENDER / IGGY AZALEA /<br />
MADLIB / AUSTRA / BERTRAND BURGALAT / SKY FERREIRA / DESTROYER /<br />
BUSY P / SÉBASTIEN TELLIER / JAGWAR MA / ALAN MCGEE / DISCLOSURE /<br />
HINDS / MØ / HANNI EL KHATIB / JAMES VINCENT MCMORROW / CHVRCHES /<br />
SALUT C’EST COOL / ALUNAGEORGE / GRÜNT / DOMINIQUE A / AYO / 1995 / THE<br />
DO / MINA TINDLE / HAIM / FRANZ FERDINAND / LONDON GRAMMAR / ROBI /<br />
THE SHOES / STROMAE / YUKSEK / ALT-J / BARBARA CARLOTTI / FOXYGEN /<br />
JAIN / ÉMILIE SIMON / RODRIGO AMARANTE / KLUB DES LOOSERS / &…
<strong>2016</strong>, Crumb magazine © 2010-2015 - www.crumbmagazine.com
Photo de couverture : Anna Francesca (@Body and Soul) photographiée par Michael Dürr<br />
Make Up and Hair : Lydia Bredl (Talent Drag), using MAC Cosmectics. Retouche : Katharina Schmalzhofer. Crédits outfits complets en page 307.
ÉDITORIAL<br />
C’est l’histoire de rien, d’une aventure entre amis, d’un projet maladroit, aux milles vies,<br />
avec dix-mille envies. Curieux, défectueux, désireux. Un truc improbable, amateur, sans règles,<br />
tout-en bricole. Comme un fanzine. Bibelot, profane, inexpérimenté. Un fanzine, voilà, qui nous a<br />
porté par delà les rencontres, avec nos énergies, nos ignorances, nos débrouilles astucieuses et<br />
toujours dans un manque d’organisation total.<br />
C’est l’histoire de cinq années de partage, de rencontres et de textes, qui n’ont jamais eu aucune<br />
prétention si ce n’est celle de les faire vivre ailleurs que dans nos poches et nos têtes, en les<br />
offrant à d’autres yeux d’autres personnes. Et vous nous avez suivi. Sans règles. Parfois pour<br />
rien, souvent par soutien. Nous n’avons jamais vraiment su pourquoi vous étiez là, témoins,<br />
critiques, lecteurs. Et nous ne souhaitons pas savoir pourquoi. Vous avez fait avec nous cette<br />
histoire. Simplement. Vous avez été notre plus improbable rencontre. Vous avez assistez aux<br />
nôtres. Ce book les remémore.<br />
En cinq années, nous avons vu le marché de la musique, ses acteurs, son industrie et les<br />
méandres d’internet évoluer, beaucoup de choses changer. Dans ces pages, il y a un peu de tout<br />
ça, mélangé. Avec pour témoin ces rencontres, photos et interviews. Et tous les artistes à qui<br />
nous avons donné rendez-vous. Un grand brouhaha, en somme.<br />
Il a fallu faire des choix. Nous avons gardé le meilleur. L’essence même et l’identité de ce qui<br />
nous as porté. Nous avons aussi gardé les souvenirs, les maladresses, les erreurs. Comme<br />
autant de témoignages, de rebonds mal foutus, de traces inégales de ce que ces rencontres ont<br />
été. A découvrir derrière ces pages…<br />
Lors d’une émission radio étudiante où j’étais invité pour la première année de Crumb, on me<br />
demandait « Mais alors, c’est quoi ? Un magazine ? Un webzine ? Un blog ? ». Alors je<br />
répondais, tremblotant : une Aventure. Avec un grand A. Qui nous a fait prendre de nombreuses<br />
routes et conduit vers bien d’autres depuis. C’était nous. Des regards, des photos, des mots.<br />
C’était 2010-2015.<br />
C’était cela.<br />
Thomas Carrié
1 fanzine. 1 bande de potes. Anodine.<br />
Tellement d’anecdotes. 400 interviews. 400 rencontres. 1<br />
voyage dans le bayou. 3 bracelets-montres. 123456 mails<br />
échangés. Encore beaucoup en attente. Découragé.<br />
Contente. Une équipe et ses démons. Ses envies. Ses<br />
abandons. 1 Paris. 1 poisson rouge mort. Des écrits. Des<br />
médiators. 54, 000 fans Facebook, 6445 tweets. Des<br />
cafés. Des mac book pro. Imparfaits. Dans le métro. Des<br />
regards. Des sourires. Le hasard à prédire. Des erreurs.<br />
Des concerts. Ca écoeure. Ca espère. Des moments<br />
inoubliables. Des souvenirs. Indomptables. Et des rires. 1<br />
site internet. Des fautes d’orthographes. 1 trottinette. Des<br />
photographes. Des réunions. Par-ci. Par là. L’agitation<br />
qui déboula. Hossegor. Paris. Australie. Rue de Rivoli.<br />
Rue Notre-Dame de Nazareth. Des numéros. En .pdf.<br />
Comme des vignettes. Des soirées. 1500 personnes.<br />
Votre énergie. Qui nous façonne. Nos envies. Nos<br />
découvertes. Photographies et pertes. Les images. Les<br />
partenariats. Les chroniques. Les festivals. Comme un bal.<br />
Les abandons. Les lassitudes. Les questions. Un peu rude.
Les réponses. Les succès. Du plaisir. Toujours des<br />
soirées. 1 logo. 3 dictaphones. Vertigo. Presque aphones.<br />
Combien de cigarettes ? Combien de rendez-vous ?<br />
Aussi, combien de fêtes ? Combien de vous et<br />
nous ? 124536 kilomètres parcourus. A pied, a vélo. En<br />
vélib. Dans Paris. Avec Madlib. 1243567 mails échangés<br />
avec des attachés de presse. Qui nous relancent. Qui nous<br />
pressent. 1 stylo bic 4 couleurs (le noir n’a plus d’encre).<br />
175 shootings. 3897 questions posées. So shocking pour<br />
les 1/4 restées censurées. Tout ça à la fois. Comme cela.<br />
En plusieurs, en une fois. Des découragements. Des<br />
encouragements. Des envies. Des amitiés.<br />
Accidentel. Du bonheur. Du bordel.<br />
Dans nos coeurs. Tamponnées. Au<br />
millimètre. Cinq années.<br />
Cinq lettres. Crumb.
Pour ces 5 années, merci.<br />
Collaborateurs/collaboratrices sur la période 2010-2015 :<br />
Photos<br />
Mathieu César, Julot Bandit, Brice Portolano -et par ordre alphabétique : Tania Alineri, François Berthier, Katrin Braga, Margarita Carteron,<br />
Adèle Cany, Kin Chan, Hervé Coutin, Érica Fava, Camille Anne-Louise Gorin, Audrey Lezerman (Blondie), Ophélie Longuépée, Leah Miller,<br />
Anouk Nitsche, Katharina Nitzpon, Luca Nocera, Chloé de Nombel, Amel Kerkeni, Pierre & Florent, David Shama, Éléonore de Wismes<br />
Textes<br />
Irina Aupetit Ionesco, Adrien Petrache, Elen Huynh, Émilie Cochaud, Élisa Benchetrit, Cyrus Goberville, Grace Libissa, Arthur Pillu-Perrier -et par<br />
ordre alphabétique : Camille Balenieri, Sandra Barré, Charline Buda, Timothée Chevalier, Juliette Couderc, Mia Dabrowski, Karen Diop, Thibault<br />
Guichon, Camélia Mohamed, Sarah Piettre, Ugo Ribeiro, Laurène Rimondi, Blandine Rinkel.<br />
Merci particulier à :<br />
VICE France, Mathieu César, Kitsuné, Ayo, Émilie Butel (merci avec un grand M !), Matthias Labarbe, Because Music, Éric Marjault et Cinq7 pour<br />
les premières interviews et pour la confiance, Émilie Quentin, Cécile Legros, Axelle Giraud-Carrier et les équipes d’Atmosphériques (merci pour<br />
cette belle aventure), Coralie Kerbellec et les équipes de Polydor France, Anne-Sophie Lambell, Netta Margulies, Excuse My French, Éphélide,<br />
Mélissa Phulpin (Mélissa Promotion), les équipes du Pitchfork Music Festival Paris, SUPER !, Anthony Lapoire, Beggars France, Léa Rehnfeldt,<br />
Quentin Travade et les équipes de Mercury Records, Amélie Mousset, Tôt Ou Tard, Coline Eberhard, Brigitte Batcave, Maud Pouzin, Judith<br />
Giacometti, l’agence WAA, Laurence Alvart, Carine Chevanche, Michele Marcolungo, Believe Digital, Elisabeth Lavarenne, Emma Soriano, Selma<br />
Chachia, Record Makers, Quentin Vacheri, Cracki Records, Cooperative Music, Sony Music, Ed Banger Records, PIAS France, les équipes de<br />
Phenüm, Richard Dumas, Richard Aujard, Chloé Robineau, Frank Loriou, Florian Mona, Le Divan du Monde, les équipes du Festival de Dour,<br />
David Shama, Benjamin Lassalle, Guillaume Fasquelle, Mélissa Tran, Chloé Videau et toutes les équipes Advice/Vice Digital, Jean-Charles de<br />
Castelbajac, Marie Christine-Brossard et René Brossard, Gisèle & Krystian Carrié, Garance Rochoux-Moreau, Jean Morel, Adrien Gingold, Marc<br />
H’Limi et toutes les équipes de Radio Nova.<br />
A Nicolas Cassagnes, pour la création du logo.<br />
A Lola Picard-Weiss pour les nuits et les soirées.<br />
Et aussi à (par ordre alphabétique) :<br />
1disque1jour, 3è Gauche TV, Aaron, Action Management, ARTE France, Richard Aujard, Athénée Paris (hôtel), Nina Attal, Alexandre Barbier,<br />
Myrtille Beauvert, Yasmine Ben Hamouda, Aurélien Berne, Blundetto, Stéphanie Brossard, Jonathan Brouard, Léonie Brun, Basile de Bure,<br />
Christophe Calado, Barbara Carlotti, Willy Cartier, Adrien Casalis, Cascadeur, Mathilde Cerqueira, Victoire de Changy, Marie Chaslin-Folio,<br />
François Chevalier, Franck Chevalier, Laura Cieplik, Raphaël Ciofi, Gilles Collard, Maya Coline, Alan Corbel, Jeanne Damas, Darrius, Grégoire<br />
Degruel, Lola Delange, Charlotte Deniel, Valerio Dongie, Valériane Dousse, Raphaëlle Dupire, Drug Money, Louise Ebel, Damien Elroy, Faguo<br />
Shoes, Moji Farhat, Laura Flament, Victor Flomont, Pauline Franque, Flo&You, Émilien Fresson, Christian Georges, Gabrielle Geppert, Vincent<br />
Gigot, Marie Gombeaud, Laetitia Gorsy, Théo Gosselin, Corentin Grange, Nadine Gravelle, Karl Hab, Negar Hooshmand, Isabelle de Hovre, Irma,<br />
Malina Ioana, Ji Sun, Justice, Guillaume Kayacan, Alice Kong, Griselle Marie Rosario La Fontaine, Juliette Lamet, Quentin Lanoizelet, Hélène<br />
Lecomte, Romain Le Cam, Jérémy Leclerc,Susan Legind, Marion Le Goff, Gilles Lellouche, Leonard de Leonard, Clémentine Lévy, Antoine L.D,<br />
Lily Wood & The Prick, Lise, Lizbell Agency, Solweig Lizlow, Gildas Loaec, Chris de Luca, Christophe Lucquin, Aaron Matts, Adeline Mai,<br />
Charlotte Mailliez, Charlotte Marcodini, Margounnette, Giacopo Martini, Marion Mazauric, Charlotte Métairie, Alizée Meurisse, Charlotte Mia,<br />
MikiX The Cat, Coralie Millou, Meloni Mitchell, Daniele Mitra, Théo Moncassin, Debora Moro, Nadéah, Laurent Nalin, Nobasura, Ncza Lines,<br />
Chloé de Nombel, Oscar Montes de Oca, Inés Olympe Mercadal, Laura Pallancher, Federica Palotti, Charles Pasi, Alexis Pech, Louis-Marie du<br />
Perray, Ysa Pérez, Fabien Pochez, Ksenia Posadskova, Amaury Poudray, QManagement NY, Tahar Rahim, Tristan Ranx, Rodeo Massacre,<br />
Brisa Roché, Joachim Roncin, Markus Rose Baker, Corentin Schieb, Élise Schwartz, Robert Self, Shakespeare & Co (librairie), Marthe Sobczak,<br />
Soko, Charlotte Stokes, Street Tease, Sushella Raman, Marie Taillefer, Gabrielle Trapasso, Tristesse Contemporaine, Uffie, Sydney Valette,<br />
Anne Vaudoyer, Frédérique Veysset, Nicolas Vidal, Nick Von Hesse, Adèle de Wismes, Young Dreams, Yupeek, John Zoeller.<br />
Remerciements en contribution sur la partie architecture : Lola Petit, Le collectif Babel, Charles Bourthoumieux, Florence Bousquet, Aurélien<br />
Cavanna, Alexandre Chamelat, Giovanna Maria Fragapane, Fanny Kuhn.<br />
Merci enfin à l’ensemble des soutiens et donateurs dont les noms sont reportés par odre alphabétique en page 38 ainsi qu’à nos familles, amis et<br />
à toutes celles et ceux qui nous ont suivi ou accompagnés de près ou de loin dans cette aventure.<br />
Version diffusion libre à usage non commercial.<br />
Note : Certains textes et écrits publiés dans ce book ont pu être adaptés au format et/ou pour des raisons de mise en page. Les publications et textes complets sont à<br />
retrouver sur le site internet du magazine et disponibles sur simple demande.<br />
L’ensemble des crédits photographiques et iconographiques de ce book sont répertoriés en page 307.
Fondateur et Rédacteur en Chef<br />
Thomas Carrié<br />
Coordinatrice éditoriale<br />
Laurie Cassagnes<br />
Responsable rubrique musique<br />
Bastien Internicola<br />
Création du logo<br />
Nicolas Cassagnes<br />
Textes<br />
Arièle Bonte, Alice De Jode, Sirius Epron, Patricia Fontenas,<br />
Cécile Lienhard, Ariel Carol Novak, Mélodie Ravasi, Maxime Rosenfeld,<br />
Gaëlle Simonetti, Anne-Louise Sevaux, Brice Bossavie,<br />
Patricia Fontenas, Paul Bousquet, Denise Rose Hansen<br />
Photos<br />
Diane Sagnier, Pauline Darley, Maxime Stange,<br />
Yann Morisson, Simon Betite<br />
Contributeurs réguliers sur la période 2010-2015 :<br />
Lola Picard-Weiss, Antoine Semerdjian, Blaise Senti, Alfred Jules,<br />
Jacopo Pokack, Louise Autain, Lucie de Keyser, Mélissa Reverso,<br />
Pierre Cavanna, Quentin Monville, Sophie Legrand,<br />
Marie Chaslin-Folio, Nicolas Cassagnes, Ludovic Zuili,<br />
Alessandro Casagrande, Aurélien Lovalente<br />
Conception/développement du site<br />
Samuel Varoqeaux<br />
Contact<br />
hello@crumbmagazine.com
SOMMAIRE<br />
VAMPIRE WEEKEND P.14 / MADLIB (AKA QUASIMOTO) P.18<br />
/ SKY FERREIRA P.21 / GRÜNT P.26 / AUSTRA P.32 /<br />
ALUNAGEORGE P.36 / MIRANDA BARNES PORTFOLIO P.39 &<br />
P. 195 / METRONOMY P.44 & P.50 / BERTRAND BURGALAT P.52 /<br />
MICHAEL FASSBENDER P.55 / SÉBASTIEN TELLIER P.58 /<br />
JUNGLE P.62 / DJANGO DJANGO P.64 / LISA BOOSTANI<br />
PORTFOLIO P.66 / PHILIPPE KATERINE P.76 / BUSY P. P. 80 /<br />
IGGY AZALEA P.85 / SALUT C’EST COOL P.88 / JAGWAR MA<br />
P.92 / HANNI EL KHATIB P.95 / AYO P.97 & P. 108 / MAJUNGA<br />
MADAGASCAR PORTFOLIO P.100 / MØ P.110 / HINDS P.112 /<br />
FOXYGEN P.118 / ÖDLAND P.120 / DOMINIQUE A P.122 / BLEU<br />
PORTFOLIO P.126 / THE DO P.132 / SOKO P.134 / BARBARA<br />
CARLOTTI P.137 / BERTRAND BELIN P.140 / BØRNS P.143 /<br />
ALT-J P. 144 / SUNBATHING WITH MAGGI PORTFOLIO P. 148
ZELLA<br />
<br />
DAY P. 156 / YUKSEK P. 158 / STROMAE P.161 /<br />
ELECTRIC GUEST P.165 / THE DODOZ P.166 / THE SHOES P.168 /<br />
AMÉLI MONTI PORTFOLIO P.170 / DISCLOSURE P.174 /<br />
LONDON GRAMMAR P.179 / KLUB DES LOOSERS P.181 /<br />
RODRIGO AMARANTE P.186 / JACKSON SCOTT P.189 / HAÏM<br />
P. 193 / MIKAEL PASKALEV P.202 / NATALIE PRASS P.204 /<br />
ALAN MCGEE P.208 / ROBI P.211 & P. 214 / GUNTHER LOVE P.216 /<br />
DESTROYER P.220 / #GENERATIONBATACLAN P.224 / FRANZ<br />
FERDINAND P.232 / CHVRCHES P.235 / PHOTO P.238 /<br />
CHARLOTTE OC P.241 / TWIN TWIN P.244 / HOLLYSIZ P.248 /<br />
JAIN P.252 / ARAW PORTFOLIO P.255 / ÉMILIE SIMON P.262 /<br />
CHARLIE WINSTON P.266 / LA FIANCÉE P.267 / LULU<br />
GAINSBOURG P.270 / JAMES VINCENT MCMORROW P.271 /<br />
BEN HOWARD P.274 / LES CAHIERS DE LA BOARDCULTURE<br />
: NIC VON RUPP – CHRISTIAN MCLEOD - PABLO PRIETO<br />
– ADRIAN MORRIS P.277 / MINA TINDLE P.288 / 1995 ET LE<br />
GARAGE P.290 / TOPS P.294 / UFFIE P.296 / NICOLAS<br />
COMMENT P.300 / CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES ET<br />
ICONOGRAPHIQUES ET MENTIONS LÉGALES P.307 / END.
VAMPIRE<br />
WEEKEND<br />
Interview publiée le 13 mai 2013<br />
Avouons le, la première écoute de Modern Vampires Of The City, 3ème album de Vampire Weekend,<br />
nous avait quelque peu calmé. D’un groupe jeune et bondissant, nous passions à une pop plus complexe<br />
et chaude, qui n’attendait qu’à se révéler au fil des écoutes. Exit les références africaines, les hululements<br />
d’Ezra Koenig et la fureur des guitares : on a eu peur. C’est avec le temps qu’on a compris ce qu’il se<br />
passait dans la tête de ces 4 Américains qui ont vu le succès leur tomber dessus, sans (presque) rien<br />
demander. De la vie éreintante des tournées à l’envie de se renouveler en passant par les djembés de<br />
Jason Mraz, nous avons décidé d’un peu casser les règles de l’interview en prenant à chaque fois 4 ou 5<br />
mots, parmi lesquels Christopher Tompson (batteur) et Chris Baio (bassiste) piocheraient par préférence<br />
et inspiration, pour ensuite parler. Voici donc la trace presque intégrale de la discussion que nous avons<br />
eu avec eux. Drôle, et sincère à la fois.<br />
Pour commencer, pourriez vous présenter votre<br />
partenaire, l’un après l’autre ?<br />
Chris Baio : Christopher William Tomson est né le 8<br />
mars (il s’arrête net, ndlr) 6 mars 1984 ! Il vient de<br />
l’Upstate New York et a grandi dans une ferme du<br />
New Jersey, avec un terrain magnifique et une<br />
grange, où certaines des premières démos de<br />
Vampire Weekend ont été conçues. C’est un athlète<br />
inconditionnel, le meilleur du groupe : peu importe le<br />
sport qu’il choisit, il nous bat tous les trois haut la<br />
main. C’est quelqu’un que je suis fier d’appeler “ami”.<br />
Enfin, c’est un batteur génial et un percussionniste<br />
hors pair.<br />
Chris Tomson : Christopher Joseph Baio est né le 29<br />
octobre 1984 (ils se donnent un High-Five parce qu’il<br />
a trouvé la date du premier coup, ndlr) c’est le plus<br />
jeune membre du groupe. C’est aussi, depuis peu, un<br />
homme marié. Il est bassiste et DJ à ses heures<br />
perdues. Il a grandi à Westchester NY après avoir<br />
déménagé quand il avait 5 ans. Il kiffe la dance music<br />
et un peu tout et n’importe quoi, du moment qu’il y a<br />
des basses qui démontent tout.<br />
Si on vous dit guitare électrique/Djembé/violons ?<br />
Tomson : La première chose à laquelle je pense, là,<br />
comme ça, c’est Jason Mraz. Il a un joueur de Djembé<br />
dans son groupe ! Je ne pense pas avoir joué
Djembé depuis le lycée. Mais où est-ce que je veux<br />
en venir ? (Rires).<br />
Baio : Violons. C’est l’instrument qui a le son le plus<br />
royal, majestueux, avec le clavecin, parmis tous. Sur<br />
Modern Vampires Of The City, il y a moins de violon<br />
et plus de clavecin que sur les précédents. Je sais<br />
que le terme “royal” n’est pas à proprement dit<br />
musical, mais on a beaucoup discuté de ce terme, on<br />
l’a exploré au sein du groupe, il convient bien.<br />
En écoutant l’album, on se rend compte que le son<br />
des violons est très bas, presque masqué par le reste<br />
des instruments. Pourquoi ?<br />
Baio : Rostam et Ariel (qui co-produit l’album, ndlr)<br />
sont très méticuleux lorsqu’il s’agit de mixer les<br />
morceaux. Ils choisissent précisément l’importance<br />
des instruments les uns par rapport aux autres.<br />
Certains titres ont été mixés plus de quinze fois ! Ce<br />
que j’aime beaucoup avec les cordes de Modern<br />
Vampires Of The City c’est qu’il est, la plupart du<br />
temps, difficile de deviner s’il s’agit de vrais<br />
instruments ou s’ils ont été joués au synthétiseur.<br />
C’est ce qui rend cet album unique.<br />
On a vu votre prestation sur le plateau de Jimmy<br />
Kimmel et on s’est demandait où était le violoncelle…<br />
Baio : (Rires) Il y avait un violoncelle ! C’est juste que<br />
la caméra ne l’a pas vraiment mis en valeur…<br />
Tomson : Il y avait aussi trois cors à côté de moi. Et<br />
un violoncelliste, tout seul. En général, à la télévision<br />
américaine, si des musiciens accompagnent un<br />
groupe, ils sont rarement filmés.<br />
Baio : En ce qui concerne les guitares électriques, il y<br />
en a aussi très peu sur cet album. À part pour Diane<br />
Young. Les habitudes commençaient à s’installer au<br />
sein de la formation, et les riffs de guitare hauts<br />
perchés, aux motifs africains, qui caractérisent si bien<br />
les deux premiers albums avaient été assez<br />
exploitées. Nous ne voulions pas nous répéter.<br />
Tomson : Les influences africaines sont toujours là,<br />
au fond, mais vous en auriez sûrement eu marre si<br />
l’on vous sortait un A-Punk II.<br />
Baio : Carrément ! Imaginez qu’on écrive un B-Punk,<br />
un C-Punk ! (Tomson explose de rire ndlr)<br />
Si on vous dit Paris/New-York/Los<br />
Angeles/London/Berlin ?<br />
Tomson : New York. On y vit tous. C’est là qu’on écrit<br />
la majorité des morceaux et où Rostam et Ezra<br />
démarrent le processus de création. Par contre, la<br />
production s’est faite à Los Angeles avec Ariel, dans<br />
un studio. J’ai aussi envie de choisir une ville qui n’est<br />
pas dans les propositions. Alors qu’on était à la moitié<br />
de l’album, on est allé sur l’île Martha’s Vineyard, près<br />
des côtes du Massachusetts pour travailler ensemble.<br />
C’est là que la “finalisation” du disque s’est mise en<br />
marche. On a rien foutu à Londres par contre.<br />
Baio : Quand même ! Notre maison de disques est làbas.<br />
Cela nous mène à y passer un peu de temps,<br />
c’est comme une deuxième maison, surtout durant les<br />
tournées.<br />
Tomson : Pas faux. On a aussi joué à Tokyo pour cet<br />
album, et donné quelques interviews japonaises.<br />
Berlin. Chris à joué là-bas quelques fois en tant que<br />
DJ.<br />
Baio : Oui, dans une salle qui devait contenir à peu<br />
près quatre-vingt personnes. C’était génial. On a<br />
aussi fait des super concerts dans cette ville.<br />
Quand savez-vous qu’un morceau est terminé ?<br />
Tomson : C’est assez variable. Il est arrivé plusieurs<br />
fois, sur différents titres, qu’on ait un morceau qui<br />
aurait pu être laissé tel quel. Pourtant, il manquait<br />
quelque chose. La solution, en général, c’était d’en<br />
retirer certains éléments, certaines couches, pour les<br />
rendre plus intéressants.<br />
Discussions formelles/discussions en<br />
soirée/tristesse/mélancolie/solitude ?<br />
Tomson : Nous avons une discussion formelle, en ce<br />
moment, assis dans des beaux fauteuils, à côté de<br />
vieux tableaux, dans une chambre d’hôtel rouge.<br />
Baio : Pour les discussions en soirée, j’imagine un<br />
cercle, avec des amis et des verres en plastique<br />
rouge ou bleu, comme dans toutes les fêtes<br />
américaines. Je pense à la fac, à l’idée de se<br />
socialiser. Cela semble être un rituel.<br />
Je pense aussi à la mélancolie, à la solitude : entre le<br />
premier album et la fin de la tournée de Contra (leur<br />
deuxième album, ndlr), on n’a pas arrêté une<br />
seconde. À chaque moment du jour ou de la nuit, on<br />
savait où l’on serait le lendemain, avec un emploi du<br />
temps parfaitement orchestré et des gens qui<br />
s’assuraient qu’on le respecte. On a vieilli de quatre<br />
ans d’un coup et le break qu’on a pris il y a deux ans<br />
nous a fait du bien. Après ce mouvement incessant, le<br />
fait de se retrouver sans rien faire, sans but précis, de<br />
pouvoir rester dans son lit pendant deux semaines,<br />
n’en sortir que pour se nourrir, histoire de rester en<br />
vie, a quelque chose de profondément mélancolique.<br />
La solitude et la tristesse pouvaient se faire ressentir<br />
dans de tels moments. Je pense d’ailleurs que la<br />
plupart des musiciens doivent se sentir ainsi lorsqu’ils<br />
terminent leurs tournées, à moins qu’ils n’enchaînent<br />
directement sur un autre projet. Cela se produit très<br />
certainement pour tous les artistes en général, en<br />
achevant un roman ou un film. C’est important, pour<br />
que le processus de création fonctionne.<br />
Vous voyez vos amis/votre famille pendant les<br />
tournées ?<br />
Tomson : On garde contact avec notre famille et nos<br />
amis bien sûr, grâce à internet. Mais le fait de partir<br />
un mois, revenir, repartir, cela nous fait rater des<br />
trucs, c’est normal. On le savait de toute manière.<br />
moments du quotidien que l’on
À l’opposé de la solitude et de la mélancolie, c’est<br />
aussi agréable et indispensable de se reposer pour la<br />
création du nouvel album.<br />
Ce nouvel album est clairement plus sombre que les<br />
précédents…<br />
Tomson : Il y a plusieurs atmosphères qui se<br />
dégagent des morceaux. D’abord, du Romantisme,<br />
avec un R majuscule, au niveau des textes. Par<br />
contre, je suis le seul à avoir rompu avec quelqu’un, et<br />
je ne pense pas que cela ait influencé les textes. Mais<br />
au cas où vous vous feriez du souci : je vais bien ! J’ai<br />
d’ailleurs une autre copine depuis (Rires).<br />
Procrastination/Perfection/Recherche/Obsession ?<br />
Tomson : Toutes ces choses arrivent, sur tous les<br />
albums. L’essentiel c’est qu’il faut faire en sorte<br />
qu’elles soient faites de manière équilibrée. Cela<br />
rejoint votre question sur le fait de savoir quand un<br />
morceau est terminé. On a cherché la perfection du<br />
mieux qu’on pouvait. On a aussi procrastiné, c’est<br />
certain. Tous ces mots sont reliés, d’une certaine<br />
manière, même si chacun d’entre eux mène à des<br />
résultats différents. Pour nous, cela a mené à ce<br />
nouvel album et l’on espère que c’est réussi.<br />
Propos reccueillis par Bastien Internicola<br />
Traduction : Bastien Internicola & Brice Bossavie<br />
Photos : XL Recordings ©
MADLIB<br />
AKA QUASIMOTO<br />
Interview publiée le 18 mars 2014<br />
Figure de proue du prestigieux label américain Stones Throw et roi indétrônable de l’abstract hip-hop, on<br />
sait peu de choses sur Madlib. Très discret et peu présent sur scène, le “Loop Digga” est surtout connu<br />
pour s’enfermer des semaines entières dans son “bunker”, passant le plus clair de son temps à écouter<br />
des disques, chercher des boucles et faire des beats. Alors que sort aujourd’hui Piñata, en collaboration<br />
avec Freddie Gibbs, voici l’interview qu’il nous a accordée lors de sa dernière venue à Paris.<br />
Pourrais-tu te présenter rapidement ?<br />
Mon nom est Madlib, aussi connu sous le<br />
pseudonyme de Quasimoto. Je suis principalement<br />
producteur. J’ai travaillé avec J Dilla, MF Doom, Talib<br />
Kweli, Guilty Simpson, Freddie Gibbs…<br />
Comment est né ce personnage de Quasimoto, ton<br />
alter ego ?<br />
J’ai surtout créé Quasimoto car je n’aime pas ma voix<br />
quand je rappe. J’ai commencé à faire quelques<br />
expérimentations en fumant des joints et en mangeant<br />
des champignons, tu vois ce que je veux dire ?<br />
(Rires). J’ai essayé de trouver une alternative et c’est<br />
comme ça que Lord Quas est né. Je voulais aussi<br />
créer un personnage à qui je pouvais faire dire tout ce<br />
que je voulais et faire des boucles avec n’importe quel<br />
type de musique. C’est Jeff Jank (le directeur<br />
artistique de Stonesthrow, ndlr) qui l’a dessiné.<br />
Sa première apparition, c’était sur un skit de<br />
Lootpack, 20 Questions et c’était bien avant la sortie<br />
de The Unseen, en fait il existe depuis longtemps !<br />
Ouais effectivement, je commençais à peine à bosser<br />
sur le projet Quasimoto à l’époque. The Unseen n’est<br />
sorti que cinq ans plus tard.<br />
C’est prévu que l’animal reprenne du service bientôt<br />
avec de nouveaux titres ?<br />
Le dernier Quasimoto en date, Yessir Whatever, était<br />
juste une compilation d’inédits et de raretés qui ne<br />
figuraient que sur des vinyles qui ne sont plus édités.<br />
Pour répondre à ta question, j’ai pas mal travaillé sur<br />
un nouveau Quasimoto ces derniers temps, mais c’est<br />
loin d’être terminé.<br />
MF Doom arrive dans le hall de l’hôtel, visiblement il<br />
décuve encore :
Madlib : Supa !<br />
MF Doom : (Rires)<br />
Madlib : Encore bourré !<br />
MF Doom : Je crois que je vais retourner me coucher !<br />
Madlib : Dit-il en se dirigeant vers le bar ! (Rires) On<br />
était sur scène toute la nuit à Londres, nous n’avons<br />
presque pas dormi !<br />
Il parait que Mos Def était là aussi.<br />
Ouais c’était vraiment cool ! On travaille sur un album<br />
ensemble en ce moment, ça avance vraiment bien !<br />
Et dans l’immédiat, c’est quoi ton actualité ?<br />
Le dernier album que j’ai sorti c’était Rock Konducta<br />
qui fait partie de la série des Beat Konducta. Sinon le<br />
prochain à paraître, c’est celui avec Freddie Gibbs,<br />
Piñata. Après j’ai beaucoup d’autres albums qui sont<br />
terminés mais aucune date de sortie pour l’instant.<br />
Tu peux nous parler un peu de tes parents, de la<br />
façon dont ils t’ont initié à la musique ?<br />
Mon père était chanteur de soul dans les années 60, il<br />
faisait partie du groupe Otis Jackson & The<br />
Compromisers. Quand j’étais petit, il m’emmenait<br />
avec lui dans son studio et me laissait toucher à tout,<br />
je passais beaucoup de temps à le regarder travailler.<br />
C’est comme ça que je suis tombé amoureux de la<br />
musique et que j’ai appris la production. Il avait aussi<br />
une énorme collection de vinyles, mon frère et moi on<br />
passait des journées entières à les écouter. Toute ma<br />
famille est dans la musique. Ma mère écrivait les<br />
chansons de mon père, mon oncle Jon Faddis était<br />
trompettiste de jazz et mon frère Oh No fait la même<br />
chose que moi.<br />
En parlant de ton frère, vous allez faire un album<br />
ensemble un jour ?<br />
C’est déjà fait ! Je ne sais pas quand il sortira mais il<br />
est terminé depuis un bon moment !<br />
Tu écoutes énormément de musique et tu en produis<br />
tellement que c’est un peu difficile de te suivre,<br />
comment trouves-tu le temps de tout faire ? Ça<br />
t’arrive de dormir ?<br />
Ça m’arrive ! (Rires). J’aime la musique tout<br />
simplement, tu vois ce que je veux dire ? Je peux<br />
bosser des semaines entières sans presque jamais<br />
m’arrêter, puis je fais un break de quelques mois. Je<br />
produis tellement de musique en une journée que je<br />
peux ne pas enregistrer pendant une semaine entière,<br />
des mois… J’ai toujours fonctionné comme ça. Quand<br />
j’étais plus jeune, mes potes allaient jouer au basket<br />
et moi je m’enfermais dans ma chambre pour faire de<br />
la musique, c’est ce que j’ai toujours fait !<br />
Parle-nous un peu de ta façon de faire, de<br />
l’équipement avec lequel tu travailles.<br />
Je n’ai pas vraiment de processus. Parfois je peux<br />
utiliser deux CDJ et faire un beat. Je travaille très peu<br />
sur ordinateur mais il m’arrive de faire des beats sur<br />
mon iPad. J’utilise essentiellement un équipement très<br />
cheap, des claviers et des samplers, je ne suis pas<br />
trop attiré par tout ce qui est hi-tech. Tu peux utiliser<br />
plein de machines différentes et pourtant faire toujours<br />
la même chose…<br />
Ta discographie est particulièrement éclectique, tu<br />
produis du hip-hop, du jazz, de la soul, tu as même<br />
mixé du reggae sur Blunted in The Bomb Shelter,<br />
comment définirais-tu ton design sonore ? Quelle est<br />
sa principale caractéristique ?<br />
“My Soul, my blue Soul” ! J’aime rester dans le vague<br />
et travailler de manière instinctive, je ne suis vraiment<br />
pas du genre à polir un beat jusqu’à ce qu’il soit<br />
parfait. Une fois que c’est terminé je passe à autre<br />
chose, je ne reviens jamais dessus. A certains<br />
moments je peux travailler sur dix albums en même<br />
temps, alors je ne perds pas de temps avec tout ça.<br />
Vous en êtes où avec Doom sur le prochain<br />
Madvillain, ça avance bien ?<br />
Ouais l’album est presque fini, on a déjà 13 titres.<br />
Il se tourne vers MF Doom qui est accoudé au bar et<br />
qui entame une autre bière :<br />
Madlib : Ah merde, il reste plus qu’une bière (Rires).<br />
MF Doom : Aujourd’hui je commence tôt, tchin tchin !<br />
Comment décrirais-tu ta relation avec Peanut Butter<br />
Wolf, le fondateur de Stones Throw ?<br />
On est potes depuis très longtemps. Je suis le<br />
premier artiste qu’il a signé sur Stones Throw. Mon<br />
père avait sorti le premier EP de Lootpack, Pysche<br />
Move, sur son label Crate’s Digger Palace. Il l’a fait<br />
écouté à Wolf qui a tout de suite adoré et qui nous a<br />
immédiatement signés, juste en écoutant l’album.<br />
Après tout s’est enchaîné très vite : il a déménagé en<br />
Californie et Egon et moi avons emménagé dans sa<br />
maison où l’on a vécu cinq ou six ans avec Jeff Jank<br />
aussi. Je suis resté là-bas aussi longtemps car j’avais<br />
vraiment une grande liberté, je pouvais faire ce que je<br />
voulais quand je voulais, tout en gagnant de l’argent.<br />
Changeons de registre, pourrais-tu nous parler un peu<br />
de tes goûts cinématographiques ?<br />
J’aime beaucoup les vieux films de la Blaxploitation et<br />
les films de science-fiction. Mon réalisateur préféré<br />
est sans hésiter Melvin Van Peebles, sans doute<br />
parce que ses films sont aussi bizarres que ma<br />
musique (rires) ! C’est à travers ses films que j’ai<br />
découverts les bandes originales. Je les ai beaucoup<br />
samplées pour les Quasimoto.<br />
Pour finir une question pas simple : selon toi quelle<br />
est l’essence du hip-hop ?<br />
Difficile à dire mais en tout cas je pense que ce qui est<br />
fondamental, c’est d’être le plus honnête possible<br />
avec toi-même, de ne pas être faux et d’essayer<br />
d’absorber les quatre éléments, tu vois ce que je veux<br />
dire ?<br />
Propos recueillis par Maxime Rosenfeld<br />
Photographies : Simon Betite, pour Crumb<br />
magazine
SKY<br />
FERREIRA<br />
Rencontre/texte publiée le 17 mars 2014<br />
Je devais rencontrer Sky Ferreira la semaine du 7<br />
mars. Mais sa blessure à la jambe droite, qu’elle s’est<br />
infligée lors de sa première date en ouverture du<br />
Bangerz Tour de Miley Cyrus, s’est infectée.<br />
Impossibilité de prendre l’avion. L’interview a donc été<br />
repoussée à la semaine suivante, bousculant l’emploi<br />
du temps de la jeune artiste. Alors qu’il était convenu<br />
d’un entretien de trente minutes, j’hérite finalement de<br />
quinze petites minutes en compagnie d’une Sky<br />
discrète, la mine un peu fatiguée, mais disponible et<br />
surtout, honnête.<br />
Sky Ferreira est assise sur un fauteuil d’une chambre<br />
du W Hotel, à deux pas de l’Opéra Garnier, à Paris.<br />
La pièce a été vidée de ses meubles. Une grande<br />
baie vitrée donne sur les rues de la capitale, jetant<br />
dans la pièce une lumière chaude et claire. Elle est<br />
vêtue d’une parka verte et chaussée de grosses boots<br />
noires, comme si c’était encore l’hiver. Un jean<br />
boyfriend cache partiellement un bandage autour de<br />
sa jambe droite. Un brin déglinguée, légèrement<br />
maquillée, elle pianote sur son téléphone.<br />
J’ai découvert Sky Ferreira lorsqu’elle posait pour nos<br />
confrères du magazine Jalouse en juin 2010 à<br />
l’occasion du Jalouse Rocks Paris festival, une de ses<br />
premières scènes, aux côtés de We Have Band, The<br />
Drums ou encore I Blame Coco. Sky Ferreira y<br />
apparaissait comme une gamine aux airs de Lolita<br />
avec ses longues boucles blondes et sa pop<br />
bubblegum. Cette adolescente m’a tout de suite paru<br />
volontaire et différente des autres starlettes de<br />
l’époque. Son compte Facebook, alimenté de ses<br />
pensées de passage, était d’une honnêteté assez<br />
inédite. Quelques 20 000 personnes likaient la page,<br />
certains la suivaient depuis l’époque Myspace (le site<br />
qui lui a permis d’être produite par BloodShy & Avant,<br />
les producteurs du Toxic de Britney Spears, ndlr).<br />
Presque quatre ans plus tard, plus de 290 000<br />
personnes suivent Sky Ferreira sur le réseau social, et<br />
peuvent enfin écouter son premier album, Night Time,<br />
My Time qui sort ce jour en France. Il a été enregistré<br />
en trois semaines avec la complicité d’Ariel<br />
Rechtshaid et Justin Raisen. Le résultat pour Sky<br />
Ferreira d’une longue bataille avec son label. “J’ai<br />
commencé très jeune. Je n’avais pas les bonnes<br />
personnes autour de moi et elles ne cherchaient pas à<br />
m’aider ou à faire valoir mes intérêts. Je devais<br />
constamment me battre contre des gens avec un ego<br />
et du pouvoir. Dans le label, le principal problème était<br />
que chaque personne voulait que je sois quelqu’un de<br />
différent. Ils désiraient beaucoup de choses mais ils<br />
ne voulaient pas me laisser être moi-même.”<br />
Après deux EPs, As if en 2011, et Ghost, l’année<br />
suivante, Sky Ferreira explique que son label avait<br />
perdu de l’intérêt pour elle, mais qu’il fallait tout de<br />
même sortir un album. “Capitol a posé une deadline et<br />
m’a dit “nous avons besoin d’un album dans trois<br />
semaines” ou quatre semaines, quelque chose<br />
comme cela. Il y avait déjà un album de prêt mais je<br />
sentais que j’avais beaucoup plus en moi que ce qui<br />
était prévu. Donc nous sommes allés en studio avec<br />
Justin et Ariel, et nous avons écrit ce qui représente la<br />
moitié de Night Time, My Time pendant ces trois<br />
semaines.” Durant cette période intensive de studio,<br />
naissent les titres I Blame Myself, Heavy Metal Heart,
Nobody Asked Me, Omanko, Kristine et enfin Night<br />
Time, My Time. Des morceaux incisifs, sombres et<br />
intimes, qui reflètent cette tension entre le label et la<br />
jeune artiste. “Aujourd’hui, mes relations avec le label<br />
sont meilleures, surtout depuis que j’ai un nouveau<br />
management. Mais je ne suis pas une personne<br />
difficile, j’ai seulement un point de vue sur ce que je<br />
veux faire. Je ne voulais pas mentir aux gens. Si<br />
j’avais voulu sortir un album que je jugeais pas mal et<br />
seulement pas mal, j’aurais sorti la première version.”<br />
La suite, Sky Ferreira en est elle-même étonnée :<br />
“Depuis que Night Time, My Time est sorti, certaines<br />
personnes ont commencé à changer la perception<br />
qu’elles avaient de moi. Je ne m’attendais pas à<br />
certaines réactions ! Et j’ai enfin trouvé un manager<br />
qui est dans la mesure de dire que je n’ai pas à<br />
complètement changer pour avoir du succès.”<br />
Lorsque Sky Ferreira prend la parole, elle choisit ses<br />
mots. Parle lentement. Hache ses phrases tout en<br />
évitant de regarder son interlocuteur trop souvent<br />
dans les yeux. Elle scrute la fenêtre, laissant<br />
transparaître une personnalité réservée. Mais ce qui<br />
ressort de cet échange, c’est à quel point elle reste<br />
fidèle à elle-même. Elle n’hésite pas à prendre la<br />
parole pour se révolter contre des pratiques à son<br />
encontre qu’elle juge indécentes et qui ont<br />
principalement lieu sur Internet. “Ma carrière a<br />
commencé quand j’avais 15 ans grâce à Internet.<br />
J’étais très jeune, dans cette période où l’on a peu<br />
confiance en soi. Bien sûr, j’essaie de ne pas faire<br />
attention à ce que disent les gens, mais on veut<br />
toujours que les autres nous aiment bien, et non qu’ils<br />
nous détestent. Je n’ai jamais rien fait pour qu’on me<br />
traite comme cela ou que l’on parle de moi de cette<br />
façon. Aujourd’hui, ce genre de personnes ne<br />
représente pour moi que des gens derrière des<br />
écrans d’ordinateurs. Rien d’autre.”<br />
Victime de propos haineux, Sky Ferreira se défend<br />
directement sur Facebook où elle a écrit la semaine<br />
dernière un message pour dénoncer la violence des<br />
propos qu’elle reçoit. “Ce que j’ai écrit sur Facebook,<br />
ce n’est pas à propos des haters, des trolls, c’est<br />
seulement à propos d’humanité. Si tu as agresses<br />
sexuellement quelqu’un via un clavier, cela revient au<br />
même que d’avoir l’intention de le faire en vrai. Alors<br />
que la plupart des gens ne diraient jamais ce genre de<br />
choses dans la vie. Les filles peuvent particulièrement<br />
être très violentes et écœurantes. Tu peux regarder<br />
ce que certaines disent sur Lana Del Rey ou Miley<br />
Cyrus, cela peut faire peur parfois. Je reçois<br />
également ce type de commentaires et cela a toujours<br />
été le cas. J’essaie de les ignorer pour ne pas leur<br />
donner de crédit. Ce que j’ai écrit sur Facebook,<br />
c’était plus une pensée que j’ai eu au milieu de la nuit<br />
qu’un message à proprement parler. J’ai eu beaucoup<br />
de retours positifs. C’était la première fois qu’une telle<br />
chose m’arrivait ! Mais ce qui me contrarie aussi, c’est<br />
qu’un message de ce type, écrit par une femme, est<br />
considéré comme une rébellion. Alors que si cela<br />
avait été écrit par une rock star, il aurait été considéré<br />
comme quelque chose de cool.” Elle pointe alors le<br />
problème du sexisme dans l’industrie musicale. “De<br />
mon expérience personnelle, les gens ont été<br />
sexistes. Mais je suis sûre que les mecs sont aussi<br />
victimes de cela, comme Justin Bieber, par exemple<br />
qui a dû faire face à des insultes.”<br />
La tête sur les épaules, Sky Ferreira donne sa vision<br />
de la pop music et du climat de compétition qui règne<br />
entre les artistes féminines : “On est constamment<br />
comparées les unes aux autres, ou présentées<br />
comme étant la nouvelle version d’une fille qui a sorti<br />
un titre le mois d’avant. La compétition n’est pas<br />
forcément une mauvaise chose, mais je ne pense pas<br />
que l’on devrait se mettre des bâtons dans les roues.<br />
Tenir publiquement des propos contre une autre fille<br />
ne fait qu’empirer les choses. Les gens trouvent cela<br />
divertissant, mais nous n’avons pas besoin de<br />
négativité.” Elle évoque alors son amitié avec Miley<br />
Cyrus qui lui a offert la première partie de sa tournée :<br />
“Si on s’entend bien Miley et moi, je pense que c’est<br />
parce que nous ne sommes pas en compétition et<br />
nous faisons ce que nous avons envie de faire.”<br />
En attendant mon tour pour l’interview, je patientais<br />
dans le living-room de l’hôtel. Un magazine était posé<br />
sur la table basse en face de moi. En le feuilletant, je<br />
suis tombée sur une photographie de Sky Ferreira<br />
illustrant une interview de la jeune photographe<br />
canadienne, Petra Collins qui revendique ses idées et<br />
valeurs féministes. Des idées que partagent Sky<br />
Ferreira : “Je me considère comme une féministe.<br />
Même s’il y a toujours un stéréotype négatif quand on<br />
parle de féminisme. Il se passe beaucoup de choses.<br />
Il faut faire entendre notre voix.”<br />
Le 10 mars dernier, Sky Ferreira a écrit sur son<br />
compte Facebook : “ I almost wrote “fuck the media”<br />
until I realized that’s all I’ll be doing for the 12 hours<br />
today.” Elle s’explique librement sur le sujet : “Certains<br />
médias essaient de manipuler mon image ou de<br />
manipuler les mots que je dis pour les rendre plus<br />
divertissants pour les personnes qui vont ensuite les<br />
lire. Les gens ont la possibilité de changer tout ce<br />
qu’ils veulent. Je dois constamment me défendre<br />
alors que les interviews sont l’occasion, à mon sens,<br />
de connaître les artistes, de savoir ce qu’ils pensent et<br />
ce qu’ils font plutôt que d’essayer de les faire se<br />
disputer avec vous. J’ai l’impression que cela arrive<br />
beaucoup.”<br />
L’interview est sur le point de se terminer. Juste le<br />
temps d’évoquer le passage de Sky Ferreira au<br />
Nouveau Casino, à Paris, à la fin du mois de janvier :<br />
“On devait faire une reprise mais on n’a finalement<br />
pas eu le temps de la préparer.” Et pour le dernier<br />
morceau avorté de la setlist, Gurl You Gotta Party ?<br />
Elle réfléchit une seconde, puis éclate de rire : “C’était<br />
une blague ! Pour la personne qui aura la setlist,<br />
qu’elle se demande “mais quelle est cette chanson ?<br />
Je ne la connais pas !”.”<br />
Texte et propos reccueillis par Alice de Jode
©Jason-Lee Parry
GRÜNT<br />
JEAN MOREL<br />
Interview publiée le 18 février 2013
G pour Grünt et pour engaGé. Acteur principal de la scène rap underground parisienne mais aussi angegardien<br />
de l’état d’esprit hip-hop parfois malmené, Grünt est une “nébuleuse culturelle”, partenaire de<br />
Radio Nova, qui surprend par son ambition, étonne par son énergie et séduit par sa modestie. Dans une<br />
tension créative entre lyrisme éloquent et réalité urbaine, Jean Morel, tête pensante à lunettes du projet<br />
discute dans son rade préféré. Une langue débridée et une passion intelligente qui soulèvent une<br />
réflexion sur l’évolution du journalisme d’aujourd’hui, son rôle et le statut de ses acteurs. Optimiste, Grünt<br />
nous offre un départ direct vers une presse engagée dans son essence même : son audience. T’inquiètes<br />
pas, tu vas vite saisir…<br />
Si personne n’arrive à définir Grünt, toi tu y arrives ?<br />
Grünt c’est un tel bordel que je me force à théoriser<br />
au minimum. C’est un projet en cours, ce qui sous<br />
entend que la forme n’est même pas définie pour<br />
nous. Par exemple, pour confronter la culture rap à la<br />
culture dominante, notre dernière idée a été de<br />
demander à des Normaliens en Lettres de commenter<br />
des textes de rap, comme si c’était un examen de<br />
BAC. Le terme vague de « nébuleuse » permet d’avoir<br />
l’espace de prendre des nouvelles directions et de<br />
surprendre notre public. Je n’ai jamais voulu<br />
considérer Grünt comme un unique format vidéo.<br />
Sans prétention, j’essaye d’élever le niveau.<br />
Dès la naissance de Grünt l’auditeur pouvait<br />
t’entendre dire : “Nous avons pour ambition de mettre<br />
en avant la créativité d’aujourd’hui puisque celle-ci<br />
n’est plus assurée par les formats vieillissants”. Tu<br />
restes sur cette position aujourd’hui ?<br />
Je le crois toujours mais j’ai commencé à être moins<br />
vindicatif. Grâce à l’expérience Grünt, je mesure mon<br />
propos maintenant. Comme je me rends compte que<br />
Grünt me fait vraiment vibrer, j’aimerais bien qu’il y ait<br />
un de ces grands médias là qui ait l’intelligence de<br />
comprendre l’ambition qui est la notre à savoir une<br />
culture présentée comme telle, brute, sans altération<br />
de forme imputée par un format classique. Du coup,<br />
jamais Grünt ne modifiera son format journalistique<br />
parce que ça représente notre innovation et notre état<br />
d’esprit.<br />
Alors un média comme Radio Nova joue quel rôle<br />
dans l’aventure Grünt ?<br />
Nova nous sert et nous apporte énormément, grâce à<br />
son image et son rayonnement. Sans rien avoir<br />
inventé, j’ai plaisir à pouvoir me dire que nous avons<br />
réinstauré au sein de Nova un format mis en place par<br />
Dee Nasty. Je cherche à faire réapparaître l’esprit<br />
authentique du hiphop. C’est marrant de voir qu’on a<br />
pu avec Adrien Gingold (aka Gingoldescu, ami de<br />
Crumb et Responsable Éditorial de Novaplanet, ndlr)<br />
réutiliser le format free-style que Nova avait la<br />
première mis à l’antenne, le seul format qui vaille pour<br />
le hiphop. Et puis Nova est pour moi la seule radio qui<br />
a toute sa légitimité, la seule dans laquelle je me<br />
ressens en terme d’historicité du hiphop. De toute<br />
façon aujourd’hui j’ai le meilleur partenariat du monde,<br />
c’est le Saint Graal.<br />
Ton expérience chez Nova a probablement fait<br />
évoluer ta vision du journalisme…<br />
Tel que moi je veux le pratiquer c’est une passion,<br />
après tel que je le perçois autour de moi c’est quelque<br />
chose qui a été dévoyé au fil du temps. Je pense qu’il<br />
existe deux types de journalisme. Celui d’investigation<br />
et l’autre qui est en cours de mutation. Plus par<br />
l’accélération de la nouveauté que par la volonté<br />
même des journalistes, d’ailleurs. On n’a plus le<br />
temps de creuser suffisamment. La politique est celle<br />
de l’exclusivité, surtout dans le milieu culturel. Avec<br />
les blogs, là où j’ai commencé, tu fais une chasse à la<br />
nouveauté parfois au détriment de la qualité. C’est la<br />
logique de Google, premier à citer, premier à être<br />
référencé, et c’est à partir de là que commence<br />
l’influence de ta plateforme.<br />
C’est ce qui t’a amené à changer de format ?<br />
Exactement ! Ce nouveau format nous permet de<br />
proposer un contenu plus poussé et plus exclusif sur<br />
la toile. En fait ce n’est pas complètement nouveau<br />
puisque le free-style hiphop existe depuis toujours<br />
mais le fait qu’il soit filmé en appartement et dure<br />
assez longtemps (30-40min, ndlr) marque la<br />
différence. Ca permet à l’auditeur d’avoir le temps de<br />
plonger dans le délire. Dans le contenu journalistique<br />
pur, j’essaie de creuser pour éviter le « Est ce que<br />
t’aime bien les « bitches » et l’argent ? ». Je me<br />
tourne vers l’aspect technique du rap, le rapport à<br />
l’écriture, au son, à l’esprit de collectif. A côté de ça,<br />
quand un rappeur est invité par un grand média, on lui<br />
pose une question minable sur la société et jamais sur<br />
son Art en lui-même. J’avais envie d’aborder le sujet<br />
avec qualité, c’est la seule chose qui peut nous<br />
permettre de nous démarquer depuis que tout le<br />
monde peut écrire sur le net.<br />
Au début de Grünt on avait le droit à des articles<br />
engagés sur la place et l’histoire du hiphop.<br />
Maintenant Grünt se concentre sur le format vidéo.<br />
Pour quelles raison cette évolution ?<br />
Je n’arrive pas à trouver un format satisfaisant à<br />
l’écrit. J’ai trop envie que ça soit précis, irréprochable<br />
parce qu’il y en a beaucoup qui écrivent sur le hiphop<br />
et il faut que cela reste accessible, pédagogue,<br />
divertissant. J’ai le sentiment que dans mes interviews<br />
vidéo/radio, je suis autant pointu qu’à l’écrit. En même<br />
temps je viens de découvrir le format radio. Après
avoir bégayé au commencement, je me plais bien sur<br />
ce format. A l’oral il y a ce moyen de rentrer en<br />
contact avec le rappeur à travers le langage. Tu peux<br />
rebondir sur ce que te dis l’autre. Alors que l’écrit est<br />
plus rigide. Au final, c’est cela que permet Internet,<br />
être multi formats. La vidéo, elle, c’est un concert à<br />
emporter, une performance live devant ton ordi donc<br />
ça attire. Malgré tout, l’écrit reste ma source principale<br />
de donnée mais le plaisir que je trouve dans l’échange<br />
de l’interview est une belle découverte.<br />
Vers un retour à l’écriture ?<br />
Idéalement j’aimerais bien sortir un petit bouquin, un<br />
projet de plus grande envergure, du genre essai. Je<br />
n’ai pas envie de faire un truc à la va-vite et qui n’a<br />
que peu de sens, j’ai envie de me fixer un mois pour<br />
sortir un produit fini dont je suis fier. C’est peut être<br />
aussi que je ne pense pas avoir une plume de ouf,<br />
que j’ai peur de l’écriture…<br />
Dans tout ça, la thune elle sort d’où ?<br />
Ahah. Dis moi si t’as une solution ! Pour l’instant on<br />
cherche à réussir à avoir notre propre matos et à ne<br />
plus l’emprunter à droite à gauche. On pourrait<br />
envisager des partenariats, mais est ce que j’ai envie<br />
d’être aliéné à une marque ? Surtout pas. Là je suis<br />
libre, je garde la qualité. Au fond je sais pertinemment<br />
que je ne gagnerais jamais ma vie avec Grünt. Après<br />
le rêve d’avoir une structure avec des potes est<br />
toujours là…<br />
Dans ce cas là, pour quelles raisons Grünt prends un<br />
rôle sur la scène culturelle ?<br />
Pour le lüv (rires) ! Partager, rencontrer des<br />
passionnés dans la rue qui te félicitent ça vaut toutes<br />
les mailles de la terre. Savoir qu’il y a des accros à<br />
Grünt, aussi. On a commencé par passion et continué<br />
en étant surpris du soutien. En retour j’aimerais que<br />
notre public nous prévienne si jamais on commence à<br />
déconner. Nous n’avons pas envie de finir avec de la<br />
merde dans les mains à 55 balais. Pour l’instant,<br />
toujours pas de haters. Étonnant ! Ensuite, parce que<br />
je pense qu’on est en mission. Avec la petite ampleur<br />
qu’on a prise, on commence à avoir un rôle à jouer. A<br />
présent, Grünt a pour mission de nettoyer ce que<br />
nous n’aimons pas dans le journalisme. Si on continue<br />
à fédérer autour de notre mouvance alors on pourra<br />
trouver notre place. Là on va commencer à rigoler<br />
parce qu’il y aura des gens méritant. On fait un<br />
second ORTF en imposant uniquement du rap<br />
underground ! (Rires)<br />
Avec une telle fédération tu dépasses la simple<br />
dimension de journalisme. Moi c’est facile je fais que<br />
du culturel mais quand tu veux faire de l’info ça<br />
devient plus compliqué.<br />
Les lecteurs du Canard Enchainé pensent que leur<br />
journal est la seule source de scoop. Ceux qui ont<br />
réussi leur business model de ce point de vue là c’est<br />
Médiapart. Déjà ils sont indépendants, ce qui brise la<br />
méfiance du public et en plus ils se basent sur le<br />
soutien des abonnés. Quand tu réussi à faire<br />
comprendre à ta fanbase que sans eux tu ne peux<br />
survivre alors là tu gagnes. Mais ce sont des<br />
exemples minoritaires… Après ça, tu te demandes<br />
comment NRJ fait les plus gros scores ? Il y a un tel<br />
formatage, ça créé un tel instinct grégaire c’est<br />
incompréhensible.<br />
<strong>CRUMB</strong> est intéressant parce qu’on est à un moment<br />
où toutes les cartes sont entrain d’être redistribuées.<br />
On va voir comment une presse de qualité avec un<br />
état d’esprit est accueillie par le grand public. Autour<br />
de nous, à part <strong>CRUMB</strong> je ne vois aucun organe de<br />
presse récent qui obéit à ce schéma là. C’est pour ça,<br />
chapeau <strong>CRUMB</strong> ! Vous êtes une belle histoire avec<br />
une équipe passionnée qui taffe. Grünt ça n’a rien à<br />
voir, on est encore une micro-niche. Mais c’est ce qui<br />
fait notre identité aussi.<br />
Seule la passion a de l’importance…<br />
On a jamais fait 1euros avec Grünt sans le réinvestir.<br />
Tout le matos est emprunté. Si on monétisait notre<br />
chaine YouTube on se ferait 30euros par mois, ce<br />
serait de la folie ! Faut réinventer l’espace où tu te fais<br />
de l’argent. C’est pour ça que Grünt je ne l’incarne<br />
pas complètement, j’essaie aussi d’en faire une image<br />
de marque, un label de qualité qui évoque un état<br />
d’esprit. Il n’y a qu’avec ça qu’aujourd’hui que je peux<br />
espérer faire ma vie.<br />
Est ce que la presse numérique est condamnée à<br />
cette limite d’audience et d’argent ?<br />
Il ne faut plus miser, contrairement à Rue89, qui a<br />
d’ailleurs été racheté, uniquement sur le contenu<br />
presse. Si tu arrives à avoir une image, un état<br />
d’esprit, une idée de valeur assez forte, c’est à partir<br />
de cela que tu peux espérer des revenus. Grünt y<br />
arrivera seulement par la diversification, organiser des<br />
soirées open-mic et se faire un peu de mailles sur les<br />
bières. Voilà où se fait de l’argent la presse :<br />
l’événementiel. Arrêtons de croire que vous allez<br />
vendre du contenu ! En même temps <strong>CRUMB</strong> à une<br />
vrai fanbase. C’est pour ça que votre projet<br />
m’intéresse, c’est un vrai pari.<br />
Justement quel est l’état d’esprit Grünt ?<br />
C’est le “Do It Yourself”, un peu comme vous. C’est<br />
vendre des sweats par chers, c’est discuter de<br />
manières de penser autour d’une bière. Je vis Grünt<br />
comme une famille qui bosse tous ensemble parce<br />
qu’on a besoin du public pour réussir. Je suis dans<br />
l’échange plus que dans une position dominante.<br />
Cette idée participative, ça fait plaisir : le public<br />
partage les free-styles, propose son matériel. Il fait<br />
notre force. C’était marrant aussi j’ai eu des mecs qui<br />
me demandaient de faire un stage chez Grünt. Si tu<br />
veux on peut aller faire un plat de pâtes ensemble<br />
c’est tout ce que je peux te proposer (rires) !<br />
Comment tu définis les valeurs identitaires de Grünt ?<br />
Jamais avec Grünt on ne « vendra notre boule » pour<br />
reprendre une ligne assez récurrente du Hip Hop. Ne<br />
pas mettre de publicités au début de nos vidéos, c’est<br />
pour nous capital. Je ne fais pas cela pour percer,<br />
pour l’argent ou la célébrité. D’ailleurs je n’aime pas<br />
trop montrer ma gueule. Nous les journalistes, nous
ne sommes que les facteurs. Ce sont les artistes qui<br />
écrivent le courrier. Grünt est un médium entre le<br />
public et les artistes. Ce sont eux qui ont le talent<br />
alors je ne vais pas revendiquer quoi que ce soit.<br />
Quand j’aurais analysé suffisamment pour faire en<br />
sorte qu’on puisse comprendre la mesure de leur<br />
talent, alors j’aurais réussi ma mission de journaliste.<br />
Je ne vais pas ramener une star juste pour faire du<br />
clic. En revanche, là avec le Süre Mesure 2 on arrive<br />
à mettre en face l’Entourage, le collectif qui fait le plus<br />
de buzz actuellement, et Rocé et Khondo qui<br />
représentent l’Age d’Or du rap français. Sans ce<br />
mélange de générations et de popularités, certains<br />
jeunes d’aujourd’hui n’auraient pas découvert ces<br />
figures essentielles. Je ne revendique pas une<br />
érudition mais il faut assumer qu’il y a une histoire du<br />
rap qui permet de comprendre ce qui se fait<br />
aujourd’hui. Les rappeurs d’aujourd’hui respectent<br />
l’héritage des anciens et nous on veut faire passer ça<br />
du côté du public.<br />
Donc si j’ai bien compris t’es le genre de personnalité<br />
qui écoute Skyrock et NRJ ?<br />
Ces radios sont le cancer de la musique ! Quand tu<br />
penses que la loi sur la radio de 1981 stipule qu’on a<br />
le droit de passer la musique qu’on veut ! Dans ces<br />
radios il y a des professionnels payés pour créer une<br />
playlist type qui concentre des tubes façonnés comme<br />
tels, tout un système où les morceaux qui marchent le<br />
mieux s’échangent entre les radios. Par conséquent,<br />
95% des radios s’échangent 20 morceaux à partir de<br />
cette sélection. Pourquoi chercher la nouveauté si les<br />
gens s’enthousiasment toujours avec la même chose<br />
? Ca c’est la pensée des grandes radios. Elles ont<br />
abandonné leur mission première : la découverte<br />
C’est de la musique imposée et non pas sélectionnée.<br />
Ils devraient payer un programmateur, ça couterait<br />
moins cher ! On a l’impression de marcher à l’envers !<br />
Au cœur même de la signature grüntienne se trouve<br />
une hybridité du langage entre langage écrit et oralité.<br />
C’est ce qui permet à l’ovni Grünt d’être repéré ?<br />
T’es chiant en fait comme mec (rires) ! T’es trop est<br />
tatillon, je suis oblige de réfléchir.<br />
C’est vrai on a mis en place une création identitaire.<br />
Je me suis amusé à accaparer le langage des gens<br />
que je rencontre, un argot que je peux maitriser par la<br />
suite.<br />
Jongler entre l’aspect populaire du rap et<br />
l’intellectualisation de la production sans en faire trop,<br />
c’est ce que j’espère avoir réussi de faire avec le ton<br />
de Grünt. « Rapper » est devenu « kicker » dans ma<br />
tête. Mon identité hybride entre études littéraires et<br />
amour du hiphop dessine l’identité de Grünt !<br />
Les rencontres ont donc principalement fait évoluer<br />
ton expérience journalistique ?<br />
A force de côtoyer des gens et de faire des<br />
rencontres, celles-ci m’ouvrent les yeux sur la façon<br />
authentique dont il faut traiter le sujet, oui. Aujourd’hui,<br />
grâce à ces rencontres j’arrive à parler rap sans mon<br />
jargon d’étudiant de prépa littéraire. L’oralité a cette<br />
qualité d’être humain, vivant. Je parle avec leurs<br />
propres termes, je suis dans leur perception de leur<br />
Art. C’est cela aussi le but du journaliste. Il ne s’agit<br />
pas de calquer un schéma de connaissance pré établi<br />
mais de partager un rapport, une vision de la culture.<br />
Ca permet à ceux que j’interviewe d’avoir le sentiment<br />
de pouvoir se livrer dans le but de creuser ensemble.<br />
Faut trouver le juste équilibre pour arriver à les sortir<br />
de leur monde et à chercher un pourquoi. Je les mets<br />
en confiance tout en les tirant vers de la qualité. Enfin,<br />
je l’espère. Ce que j’aime, c’est quand je pose une<br />
question auquel l’auteur n’avait jamais pensé. Ca c’est<br />
pour moi du journalisme.<br />
Le fait que je parle de l’aspect technique de leur<br />
production revalorise leur Art, leur rend hommage. Si<br />
j’arrive à insérer cette petite connerie alors je serai<br />
content de mon travail. Le but du journalisme, pour<br />
moi, c’est d’obliger à réfléchir, de mettre en défaut, de<br />
faire progresser ensemble.<br />
En quoi cette idée du partage se reflète t-elle chez<br />
Grünt ?<br />
Je me suis dis qu’on allait se poser sur le même ton<br />
que ceux dont on parle.<br />
Par rapport au ton j’aime bien relever le niveau sans<br />
devenir soporifique. Je n’apprécie pas la manière<br />
débilisante dont est traité le rap aujourd’hui. Les<br />
rappeurs ont la science naturelle et authentique, moi<br />
j’essaie d’apporter une théorie qui sera, par définition,<br />
toujours en retard puisque leur art et leurs techniques<br />
d’écritures sont en constante mutation.<br />
Est ce que ce ton identitaire est une manière de cibler<br />
un public particulier ?<br />
Je ne sais pas. Mais en tout cas ce que ça m’a prouvé<br />
c’est que ceux qui adhérent se retrouvent dans le ton,<br />
qui est lui-même à notre image comme tu le dis.<br />
J’adore discuter avec le public de Grünt et il me fait<br />
comprendre qu’on est très similaires. Ensuite il y a<br />
des profils différents : des filles qui sortent de grands<br />
lycées parisiens mais se la jouent “street” et d’autres<br />
vraiment “street” qui mériteraient d’être dans ses<br />
grands lycées (rires) ! Ça me donne envie de tous les<br />
réunir dans une belle salle pour qu’ils se marrent bien<br />
entre eux. Ils se retrouvent autour d’un état d’esprit<br />
qui est aussi le nôtre. Et ça c’est Grünt !<br />
On assiste à une vraie évolution dans la<br />
communication…<br />
Exactement ! A partir du moment où tu échanges, cela<br />
fonctionne. En même temps il y a un réel danger.<br />
C’est que les professionnels de la communication<br />
peuvent commencer à faire du faux état d’esprit, à<br />
exploiter ce filon pour le vendre et le falsifier. La<br />
perversion serait d’adopter artificiellement ce ton<br />
intime. D’une certaine manière KissKissBankBank<br />
c’est la première étape de ça. Est ce que dans le long<br />
terme le crowdfunding ne va pas être réhabilité par<br />
des grosses entreprises ? Elles n’ont pas vraiment<br />
besoin de thunes mais vont utiliser cet outil qui est, à<br />
la base, pour des projets ambitieux mais sans<br />
moyens. Ce serait tout gâcher.
Est ce que dans cette proximité presque<br />
indispensable on pourrait voir la fin de la suprématie<br />
du statut de journaliste ?<br />
Il ne se distinguera que par la qualité. J’estime que le<br />
journaliste a un talent et que ce qu’il écrit a une valeur<br />
qui mérite d’être lue/vue/reconnue par plus que luimême,<br />
contrairement à un Tweet. Tant que le format<br />
et le contenu journaliste est présent alors ça marche.<br />
Il n’est pas descendu d’un piédestal s’il arrive à<br />
bosser avec une réflexion peu importe le ton. Ca reste<br />
principalement de la stratégie. C’est toute la mode du<br />
Gonzo ; si le mec arrive à te toucher en te racontant<br />
qu’il s’est pris une cuite alors tant mieux. Le ton pour<br />
le ton c’est dangereux. Ou sinon t’as Jooks « le site<br />
des mecs qui parlent aux mecs » avec des débats<br />
comme « Est ce que se taper sa cousine est bien ? ».<br />
Là c’est que du ton mais c’est drôle parce que ce n’est<br />
pas pris au sérieux.<br />
Tweeter, c’est faire du gonzo ?<br />
Je ne crois pas aux 140 caractères. Encore une fois,<br />
au niveau de la qualité. Je l’utilise pourtant mais cela<br />
reste pour moi la défaite de la pensée, le summum du<br />
rien. Ils ont réussi à pousser plus loin que PowerPoint<br />
dans leur quête de la nullité. En plus tu donnes la<br />
parole à des gens qui n’ont pas d’expertise. C’est<br />
pour cela qu’on a encore besoin d’une presse et<br />
qu’elle ne cessera d’exister. Nous aurons toujours<br />
besoin d’un médium entre le mélange passionconnaissance<br />
et le public. Pareil pour<br />
MyMajorCompany : le contraste est énorme entre le<br />
plébiscite d’un morceau et à sa réelle qualité. Même si<br />
la musique c’est quelque chose de subjectif, il y a des<br />
gens qui on une vraie oreille musicale. Ca s’apprend.<br />
Twitter c’est l’antithèse de l’expertise, en partie à<br />
cause du fait qu’il met en avant la logique de<br />
l’exclusivité.<br />
Je n’aurais pas du dire ça parce que si vous allez voir<br />
ce que j’écris sur Twitter vous allez penser que je me<br />
fous de votre gueule (rires).<br />
Quel est ton point de vue sur la libéralisation de<br />
l’expression par Internet et ce que cela change ?<br />
Ce qui me dérange dans l’idée de libéralisation c’est<br />
toute une théorie du complot qui en découle comme<br />
quoi tous ceux qui avaient la parole avant nous étaient<br />
des menteurs. L’émergence de la prise de parole<br />
dénature parfois les anciennes autorités culturelles qui<br />
ne sont alors plus respectées sous prétexte qu’elles<br />
ne distillaient que des mensonges. Il y a une limite à<br />
cela, mais c’est vrai qu’on est en droit de chercher<br />
une autre information que les Unes régulière sur les<br />
Francs Maçons par Le Point ou l’Express, ou ces<br />
unes sur le Halal et « Cet Islam sans gêne ». Il n’y a<br />
rien de plus racoleur et dangereux. Ca pour moi c’est<br />
la démission de la presse…<br />
En soi, Internet est à la fois le média le plus génial et<br />
le plus dangereux du monde : il permet à la fois à des<br />
gens qui le méritaient de prendre la parole mais aussi<br />
à des gens potentiellement dangereux, ou juste cons,<br />
de le faire aussi.<br />
J’ai un peu le sentiment qu’Internet vit la même chose<br />
que la radio après la libéralisation des ondes en 1981.<br />
C’est à dire, qu’on a créé un format à la liberté<br />
absolue et qu’aujourd’hui on termine avec 4 radios<br />
dominantes avec 95% des gens qui les écoutent.<br />
C’est la même chose avec Facebook, Google et<br />
Twitter. A cause du fric, de la pub, de la logique de<br />
suggestion autour du dernier clic qui limite ton champ<br />
des possibilités, la plus grande liberté est brimée.<br />
Internet a été reconditionné commercialement.<br />
Que c soit de la part du lecteur ou du journaliste on<br />
assiste également, par Internet ou à travers d’autres<br />
supports, à une course vers l’originalité, une frénésie<br />
de la nouveauté. Serait-ce une marque de<br />
désengagement ?<br />
Probablement. C’est surtout une évolution du temps.<br />
T’es jamais concentré sur rien, t’as toujours dix<br />
onglets ouverts quand tu “surfe sur le web” (rires). Et<br />
alors, l’artiste qui te marque vraiment dans tout ce flux<br />
il a encore plus de mérite que les autres. Cela<br />
soulève, en effet, l’enjeu de la qualité. Je continue à<br />
être persuadé que ceux qui ont vraiment du talent,<br />
finissent toujours par être trouvés. Il faut arrêter avec<br />
le mythe du poète maudit. A partir du moment où tu<br />
composes et tu envisages un public, tu auras alors<br />
toujours un public pour t’écouter. A condition, bien sûr,<br />
que tu aies du talent ! D’un autre côté, avec cette<br />
infinité de nouveautés l’auditeur semble ne pas<br />
pouvoir éviter la lassitude. Le journaliste peut tuer un<br />
talent plutôt que de le mettre en avant à force d’en<br />
parler, la sur-médiatisation est dangereuse. On peut<br />
arriver à une saturation.<br />
Et si Grünt ne se fait pas trop rare il sera où dans un<br />
an ?<br />
Si je rêve et espère, je dirais que proportionnellement<br />
on sera 15 000 fans sur Facebook l’année prochaine<br />
et on pourrait remplir virtuellement un Bataclan. Créer<br />
une vraie communauté, ça serait la consécration d’un<br />
idéal sans être la fin de l’aventure, loin de là. C’est<br />
aussi simple que ça quand tu fais du journalisme par<br />
passion. D’ailleurs, je vous invite !<br />
Propos recueillis et écrits par Sirius Epron<br />
Photos : Simon Betite, pour Crumb magazine<br />
Dédicaces à Quentin, Simon et Costo, les pilliers de<br />
Grünt.
AUSTRA<br />
Katie Stelmanis<br />
Interview publiée le 12 mai 2013<br />
Après avoir sorti « Feel It Break » lʼun des meilleurs albums de 2011, Austra revient sur le devant de la<br />
scène avec un nouvel LP, « Olympia » sorti le 18 Juin prochain. Alors que leur premier album était<br />
principalement complété par la chanteuse Katie Stelmanis, ce nouvel opus est le produit dʼune approche<br />
plus collaborative entre les six membres du groupe, Katie, Maya Postepski, Dorian Wolf, Ryan Wonsiak,<br />
Sari et Romy Lightman.<br />
Olympia est un album romantique, pragmatique, électronique, groovy, mélancolique, dont les thèmes<br />
abordés varient entre lʼamour, lʼamitié et la vie de tous les jours ; dépassant les limites des genres<br />
musicaux. Il est également très personnel pour Katie. A la limite de la confession, elle nous livre ses<br />
pensées, ses déceptions, ses relations, ou encore ses erreurs « What do I have to do to make you forgive<br />
me ? I wouldnʼt even tell the world if you could hear Iʼm sorry ». Récit…<br />
Tu as très longtemps étudié la musique classique et le<br />
chant lyrique. Depuis toute petite tu as été formatée<br />
dans ce domaine, aujourdʼhui comment composes-tu<br />
? Parles-nous de la manière dont tu as évolué…<br />
Je pense que beaucoup de choses sont différentes.<br />
Quand jʼai arrêté la musique classique et voulu<br />
commencer à écrire et composer, je ne pouvais pas le<br />
faire au piano parce que jʼétais effectivement<br />
formatée. J’ai été éduquée à jouer du piano de la<br />
façon la plus classique qui soit, à savoir regarder les<br />
notes et les jouer exactement telles quʼelles étaient<br />
écrites. Je ne pouvais pas voir autrement. En jouant<br />
de la guitare, j’ai véritablement commencé à<br />
composer et à voir les notes et les claviers dʼune autre<br />
façon.<br />
Ensuite tu as créé Galaxy…<br />
Oui avec Maya ! Cʼétait un peu du post punk/garage.<br />
Et là cʼest devenu important pour moi de<br />
composer. Ca a vraiment changé ma façon<br />
dʼappréhender la musique.<br />
Vous avez découvert la musique électronique<br />
ensemble et tu as d’ailleurs commencé à t’inspirer de<br />
Radiohead ou encore de Björk ? Que penses-tu de la<br />
scène électronique aujourdʼhui ?<br />
La musique électronique est tellement populaire<br />
maintenant, qu’elle est devenue mainstream. On est<br />
cependant dans une période très intéressante. Je<br />
pense que la combine est de ne pas tout composer<br />
sur ordinateur mais de garder des éléments «<br />
organiques » pour faire quelque chose de spécial…
Quel est ton principal objectif en musique ?<br />
Je crois que jʼai un objectif différent avec chaque<br />
album. Sur celui-ci nous voulions créer un album<br />
électronic-dance mais à la manière acoustique, sans<br />
utiliser de clavier midi ni de logiciels. Quasiment<br />
toutes les chansons ont été enregistrées en live. Alors<br />
évidemment, on entend parfois des imperfections, tout<br />
n’est pas en place mais on voulait vraiment garder ça.<br />
Tu as co-écrit et interprété deux chansons du groupe<br />
Death In Vegas, « Witchdance» et « Your Loft My<br />
Acid ». Comment ça s’est passé ?<br />
En fait c’était vraiment du hasard, Richard (Richard<br />
Fearless, fondateur de Death In Vegas, ndlr) mʼa<br />
contacté à l’improviste, par le biais de mon label.<br />
J’étais à Londres à ce moment-là. Je ne connaissais<br />
pas trop sa musique. Quand j’ai enregistré ses<br />
chansons, il m’a hébergé chez lui pendant trois<br />
semaines. Je me disais « C’est génial, sweet deal ! »<br />
(Rires). C’était vraiment cool et intéressant parce qu’à<br />
chaque fois que je chantais il me disait de le faire plus<br />
calmement et au final je me suis limite retrouvée à<br />
parler… C’était une chouette rencontre.<br />
Feel It Break était pour nous lʼun des meilleurs albums<br />
de 2011, vous êtes parti en tournée pendant deux<br />
ans. Quʼen avez-vous tiré ?<br />
Oui, nous n’avons pas arrêté pendant deux ans.<br />
Après avoir joué dans autant de salles et de villes,<br />
chaque fois que l’on arrivait quelque part, on se disait<br />
« Il faut que l’on fasse quelque chose de nouveau, on<br />
a déjà joué ici ». On a pas mal fait évoluer les<br />
morceaux. Au début je n’avais vraiment pas confiance<br />
en moi en tant que “performeuse”, mais avec le temps<br />
on en apprend plus sur la technologie et le rapport à<br />
la scène. Et puis… On a joué avec The XX et The<br />
Gossip.<br />
Raconte-nous votre rencontre avec The Gossip !<br />
C’était vraiment très cool ! Surtout que j’étais une<br />
énorme fan dʼeux quand j’avais 18 ans, et je les<br />
voyais toujours quand ils passaient à Toronto. Ce que<br />
j’adorais c’est que c’était à peu près toujours le même<br />
show : Beth retirait ses vêtements et courait dans le<br />
public ! Elle est très théâtrale et n’as jamais peur de<br />
s’exprimer. Huit ans après, nous avons joué ensemble<br />
à Berlin, et elle a refait la même chose ! Elle retire ses<br />
vêtements, court partout, chante Queen, mais cette<br />
fois devant 10 000 personnes. Elle n’a pas changé.<br />
Elle ne changera jamais.<br />
Sur Feel It Break, tu as travaillé principalement toute<br />
seule. Olympia est lui, le fruit dʼune collaboration entre<br />
toi, Dorian, Maya et Sari…<br />
Oui. Je voulais vraiment faire un album collaboratif,<br />
quelque chose qui reflétait nos concerts. J’avais<br />
l’impression qu’à la fin de notre tournée, nous avions<br />
une énergie tellement forte en live que cela ne<br />
ressemblait plus à l’album. Je ne voulais pas refaire<br />
un album solo, c’était important que tout le monde<br />
apporte ses idées pour donner vie à plus de créativité.<br />
C’est aussi un album différent, très personnel, à la<br />
limite de la confession, tu t’adresses à tes proches,<br />
principalement à propos de ta vie, de tes relations ou<br />
déceptions…<br />
Oui. Il était important pour moi d’écrire des chansons<br />
à propos de certaines choses de ma vie. Je ne l’avais<br />
jamais fait avant. Jʼai pas mal réécouté de vieux<br />
albums que j’avais chez moi comme ceux de Cat<br />
Power. Je n’avais jamais vraiment écouté les paroles<br />
et je me suis rendu compte que c’était totalement<br />
différent quand tu les écoutes et les comprends. J’ai<br />
vécu une période difficile, la tournée était finie, il y<br />
avait tellement de poids et de pression sur mes<br />
épaules qu’il devenait vital que tout sorte de moi.<br />
Toutes les chansons avaient un but précis, et Sari mʼa<br />
aidé à combler les trous et améliorer le tout !<br />
Sans être féministe, que penses-tu si je te dis<br />
qu’aujourd’hui je trouve que les femmes osent<br />
réellement franchir les barrières et être celles qui<br />
créent et «vont plus loin»…<br />
J’ai toujours eu cette vision que pour qu’une femme<br />
ait la même reconnaissance quʼun homme, il fallait<br />
qu’elle se mette beaucoup plus en avant et se crée<br />
une histoire. Je préfère ton point de vue (rires). J’ai<br />
l’impression que dans l’industrie de la musique si tu<br />
es une femme, l’image est très importante, plus que<br />
celle dʼun homme. Je ne me serais jamais doutée que<br />
j’allais être dans des magazines de mode, par<br />
exemple, mais pour la promo d’un disque, c’est ce<br />
que l’on attend de toi…<br />
Tu es une icône gay, tu le sais ?<br />
(Rires) Ah, je ne sais pas. Je ne dirais pas que je suis<br />
une icône, mais je sais que j’adorais les concerts de<br />
The Gossip ou Peaches par exemple parce que du<br />
coup ça devenait des soirées gays. Dans nos<br />
concerts, il y a une bonne partie du public qui est gay<br />
mais aussi beaucoup hétéros. C’est chouette de voir<br />
que notre public, gay ou non, est là et apprécie le fait<br />
qu’on s’assume, tous et tous ensemble. La société<br />
devrait copier notre public. Ca ne ferait qu’améliorer<br />
les choses.<br />
Tu écoutes quoi en ce moment ?<br />
J’aime beaucoup les derniers mais aussi les vieux<br />
albums de Cat Power et le dernier The Knife…<br />
Tu en pense quoi dʼailleurs du dernier album de The<br />
Knife ?<br />
Il est très expérimental. Ce que jʼadore à propos<br />
d’eux, ce que je sais aussi, cʼest quʼil faut vraiment<br />
écouter le tout plusieurs fois pour assimiler leur<br />
musique. Et celui-ci il faut vraiment lʼécouter (rires) !<br />
Quʼest-ce qui est le plus important pour toi ?<br />
Je crois que je dirais la santé et le bonheur. Il y a cinq<br />
ans j’aurais probablement dit la musique et ma<br />
carrière, mais aujourd’hui je veux juste vivre et surtout<br />
ne pas être la personne la plus connue au monde…<br />
Par pitié.<br />
Propos recueillis par Lucie de Keyser<br />
Photos : Pauline Darley, pour Crumb magazine<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
ALUNA<br />
GEORGE<br />
Interview publiée le 29 juillet 2013<br />
©Fiona Garden
C’est l’un des plus attendus de l’année : Body Music, le (très bon) premier album du duo<br />
AlunaGeorge sort aujourd’hui dans les bacs. A l’occasion, nous avons donné rendez-vous au groupe,<br />
à Paris, pour leur poser quelques questions durant les quelques minutes qu’ils avaient à nous<br />
consacrer – les rares libres qu’ils restaient dans leur emploi du temps désormais quotidiennement<br />
surchargé. Révélation de l’été ? Sans aucun doute, préparez-vous, la bombe AlunaGeorge ne fait que<br />
s’allumer et est déjà prête – sur son passage – à tout ravager…<br />
Si vous n’aviez pas fait de musique, vous en seriez où<br />
aujourd’hui ?<br />
Aluna : C’est difficile à dire. La musique a toujours fait<br />
partie intégrante de moi. Je ne sais vraiment pas ce<br />
que j’aurais fait d’autre. J’imagine que j’aurais travaillé<br />
dans un domaine artistique, quel qu’il soit.<br />
George : Idem. Depuis mes 13 ans, la musique est<br />
une certitude pour moi. Si je me souviens bien, c’est<br />
en commençant la guitare que je me suis dit que ce<br />
serait cool d’en faire mon métier. Si je n’avais pas fait<br />
ça, j’aurais probablement travaillé dans un secteur<br />
ennuyeux avec des chiffres… (Rires)<br />
Comment décririez-vous votre musique aux<br />
personnes qui ne vous connaissent pas ?<br />
Aluna regarde George : Tu es plus doué pour ce<br />
genre de questions !<br />
George : Eh bien, disons que notre musique est<br />
éclectique. Ce sont des rythmes et des sons, et le tout<br />
mis ensemble donne des bruits agréables à l’oreille…<br />
Ce sont des chansons qui te ramènent à toi-même.<br />
Du moins, c’est ce qu’on essaie de faire.<br />
Parlez-nous de votre rencontre artistique…<br />
Aluna : On a commencé par remixer la musique<br />
d’autres groupes, pour voir ce que cela donnait. Puis<br />
on a commencé à écrire ensemble, juste pour le<br />
plaisir.<br />
George : Exactement ! On a commencé à faire des<br />
remix, et à enregistrer parce que ça nous amusait. On<br />
s’est mis à écrire et au bout de huit mois, on s’est<br />
retrouvé avec un nombre assez conséquent de<br />
chansons. Du coup, on s’est dit qu’on devrait essayer<br />
de réellement en faire quelque chose, quitte à faire<br />
n’importe quoi. Il fallait au moins qu’on prenne le<br />
risque. Ce fut notre point de départ et cela nous a<br />
amené jusqu’ici. Ca s’est avéré être un travail<br />
minutieux et de longue haleine !<br />
Votre premier album, Body Music, sort aujourd’hui. Un<br />
mot à dire dessus ?<br />
George : Quand on a commencé le groupe, on ne<br />
pensait pas à faire un album. Tout ce qu’on avait en<br />
tête, c’était d’écrire des chansons. Et puis, un label<br />
nous a contacté et c’est devenu un objectif. Alors on a<br />
continué d’écrire, mais avec une exigence nouvelle,<br />
sans possibilité de reculer. On a crée, on a repris les<br />
projets qu’on avait laissé de côté, en essayant<br />
toujours de livrer quelque chose de neuf et d’original.<br />
Ce fut un challenge permanent !<br />
Où puisez-vous votre inspiration lorsque vous écrivez<br />
ou que vous composez ?<br />
George : Je ne dirais pas que j’ai des héros musicaux<br />
mais disons qu’il y a des musiques qui me suivent et<br />
qui m’inspirent. Si je devais en citer, je dirais<br />
Radiohead. Écouter de belles mélodies et prendre<br />
conscience du travail incroyable fait par d’autres<br />
personnes rend à la fois envieux et reconnaissant.<br />
Aluna : Exactement. Je suis très inspirée par l’histoire<br />
des autres. J’y suis plus sensible, et ça m’aide à<br />
écrire.<br />
Avec quels artistes, morts ou vivants, rêveriez-vous<br />
de collaborer ?<br />
George : J’adorerais faire quelque chose avec<br />
Pharrell Williams ! La voix d’Aluna se marierait<br />
incroyablement bien à la sienne !<br />
Aluna : Moi, j’aurais adoré pouvoir collaborer avec<br />
Jimmy Hendrix.<br />
Quel est votre meilleur souvenir de concert ?<br />
Aluna : Hultsfred ! Celui de l’année dernière (Le<br />
Hultsfred Festival, en Suède, où ils ont joué le15 juin<br />
2012, ndlr). C’était un de nos premiers concerts. Tout<br />
était là pour que cela se passe incroyablement bien.<br />
George : J’ai aussi adoré notre concert à Brixton.<br />
(Electric Brixton à Londres, le 20 juin 2013, ndlr).<br />
C’était un concert énorme, avec des tonnes de<br />
lumière et on avait vraiment la pression. On ne<br />
s’habitue pas encore vraiment au fait que monter sur<br />
scène est notre « métier ». On a vraiment de la<br />
chance.<br />
Y a-t-il une scène sur laquelle vous rêveriez de vous<br />
produire ?<br />
George : Je rêverais de jouer au Shepherds Bush<br />
Empire (A Londres, ndlr). Je crois que c’est là-bas<br />
que j’ai vu le premier concert qui m’a réellement<br />
marqué, j’avais quatorze ans, c’est vraiment un lieu<br />
incroyable. (La tournée anglaise du groupe a été<br />
annoncée depuis, AlunaGeorge jouera au Shepherds<br />
Bush Empire le 24 octobre 2013, ndlr)<br />
Aluna : Moi, je n’en ai aucune idée. Je crois que je n’ai<br />
pas encore fait assez de concerts pour pouvoir « rêver<br />
» d’une salle où jouer en particulier. Mais, quoi qu’il en<br />
soit, où que l’on se produise, le seul fait d’être sur<br />
scène a quelque chose d’incroyable en soi.
Le succès demande souvent de s’adapter. Quels<br />
changements votre notoriété grandissante vous as<br />
t’elle imposé au quotidien ?<br />
Aluna : Cela me fait penser à la période où mes amis<br />
avaient un vrai travail, ce qui n’était pas mon cas. Ils<br />
n’avaient pas de temps pour moi…<br />
George : On doit être partout en même temps…<br />
Aluna : Il faut être assez doué pour jongler avec les<br />
horaires et prévoir du temps libre, pour la famille et les<br />
proches.<br />
Aujourd’hui que vous réussissez dans la musique,<br />
avez-vous songé à vous intéresser à un autre<br />
domaine ?<br />
Aluna regarde George : Je suis convaincue que je<br />
suis une mauvaise actrice, mais tu essaies de me<br />
persuader du contraire. Donc, si je me retrouve un<br />
jour dans une fiction, ce sera la faute de quelqu’un<br />
d’autre…<br />
George à Aluna : Je pense que j’ai raison. Tu le<br />
montres dans nos vidéos. Tu dois adopter des<br />
attitudes et tu le fais avec aisance.<br />
Ils débattent un instant…<br />
Aluna : Je pense que je ferais quelque chose dans la<br />
mode. J’adore manipuler les tissus et faire des choses<br />
improbables avec ! J’adore créer des choses à partir<br />
de rien.<br />
George : Je peux témoigner. Sans donner trop de<br />
détails je peux vous dire qu’en ce moment elle élabore<br />
un truc vraiment ridicule… Son truc nous suit dans le<br />
van dans lequel on voyage, et elle coupe et elle colle<br />
et elle recolle…<br />
Aluna : Et ça me prend des heures… J’adore la colle !<br />
(Rires)<br />
Et si on reste côté musique, quel autre genre de<br />
musique auriez-vous aimer/pu faire ?<br />
Aluna : Du heavy metal. Quelque chose de bien<br />
sombre.<br />
George : Pourquoi pas ? Il y a bien quelqu’un qui aime<br />
ça quelque part ! Enfin, laissons ça à l’avenir, pour<br />
l’instant.<br />
Propos recueillis par Grace Libissa<br />
Un portfolio inédit du concert d’AlunaGeorge au Nouveau<br />
Casino, à Paris, en mai 2013, réalisé par Simon Betite a été<br />
publié par Crumb le 10 mai 2013. La photographie cidessous<br />
en en extraite.<br />
L’intégralité des photos du concert, réalisées pour Crumb,<br />
est à retrouver sur www.crumbmagazine.com
PORTFO<br />
<br />
LIO MIR<br />
ANDA L B<br />
ARNES<br />
Série photo publiée le 28 octobre 2013
Miranda Barnes est une jeune photographe américaine d’à peine 18 ans. Elle jette un regard pointilleux sur les choses qui<br />
l’entourent – toujours en argentique. Elle ne se considère pas comme photographe, d’ailleurs, elle est étudiante avant tout mais a<br />
déjà tout d’une grande, sans même le savoir. Elle parle de “créativité”, de “substance”, aimerait prendre en photo autre chose que<br />
des “poussins contre un mur blanc”, travailler pour le New-York Time et porter haut la place des femmes dans la jeune<br />
photographie contemporaine. Un conseil donc pour l’avenir : gardez un oeil sur elle…
Interview publiée le 25 septembre 2011<br />
Photographies : Mathieu César<br />
pour <strong>CRUMB</strong> magazine<br />
Les Metronomy en interview sont espiègles et nonchalants. Leur nouvel album « The English Riviera » les<br />
a enfin révélé au grand public et cette fois-ci, pour de bon. Pour beaucoup, c’est l’album de l’année, tout<br />
simplement. Écoutez la première chanson « We Broke Free » et laissez l’écume du Devon envahir votre<br />
âme. Tic-tac, tic-tac, tic-tac, c’est le bruit du métronome qui prolonge vos vacances d’été toute l’année…<br />
Avec The English Riviera, vous vous êtes lancés dans<br />
une électro beaucoup plus pop que sur vos deux<br />
premiers albums…<br />
Joe : Oui ! Cet album marque le début d’une étape. Je<br />
le vois comme une sorte de transition. C’est le premier<br />
que nous avons enregistré ensemble en studio, et<br />
c’est aussi le premier qui reçoit un accueil aussi<br />
incroyable de la part du public. Avec ce disque, on est<br />
encore à mi-chemin entre moi qui bidouille dans ma<br />
chambre et l’enregistrement studio, du coup, j’ai<br />
vraiment hâte de voir ce que le prochain va donner !<br />
Vous chantez souvent avec une voix très aigüe, votre<br />
marque de fabrique ?<br />
Oscar : A l’origine c’était sûrement Joe qui était tout<br />
seul en train d’enregistrer dans sa chambre et qui<br />
imaginait qu’il avait réussi à ramener une fille (rires),<br />
et comme ce n’était pas le cas, il s’est mis à crier<br />
aigu. Enfin je crois que c’est comme cela que ça a<br />
commencé !<br />
Joe : Tout a fait (rires). Non, pour être sérieux, je crois<br />
qu’il s’agit avant tout de confiance en soi. Plus tu<br />
chantes dans les aigus, moins c’est facile pour les<br />
autres d’entendre exactement ce que tu dis. Un peu<br />
comme quand tu imites un accent : cela change<br />
tellement ta voix, que tu te sens plus confiant pour<br />
chanter. Mais sur ce nouvel album, je me suis un peu<br />
calmé.
Joe, tu faisais beaucoup de remixes au début. C’est<br />
quelque chose qui intéresse encore le groupe ou vous<br />
êtes passés à autre chose ?<br />
Joe : En fait, je n’ai pas commencé par des remixes,<br />
même si c’est comme cela que la plupart des gens<br />
ont entendu parler de Metronomy au départ. Je crois<br />
que j’en ai tellement fait que je me sens à court<br />
d’idées. A vrai dire, je préfère travailler avec des gens<br />
plutôt que de changer ce qu’ils ont déjà créé.<br />
D’ailleurs, Gbenga fait des remixes en ce moment, et<br />
je crois qu’Oscar a essayé d’en faire quelques-uns,<br />
dont il a honte (rires) !<br />
Anna : Personnellement je trouve qu’on devrait<br />
interdire les remixes ! Les remixes, c’est la mort de la<br />
face B. Cela donne juste une excuse aux musiciens<br />
pour ne pas se casser la tête et se contenter de<br />
changer un tant soit peur un morceau.<br />
Gbenga : Non, je ne suis pas sûr que tout le monde<br />
ait cette approche-là. Pour les gens qui font de la pop<br />
peut-être… En tout cas, il y a des tas de groupe qui<br />
en font parce qu’on les pousse à produire plus qu’un<br />
simple album, on leur demande de fournir des<br />
morceaux en exclu, à droite et à gauche. L’industrie<br />
du disque l’impose d’une certaine manière…<br />
En tant que groupe qui s’est fait connaître en partie<br />
grâce à Internet, que diriez-vous à quelqu’un qui<br />
télécharge votre musique illégalement mais qui paye<br />
pour venir vous voir en concert ?<br />
Joe : C’est une question difficile pour nous, parce<br />
qu’Internet nous a permis de diffuser notre musique et<br />
de faire parler du groupe. Pour autant, je ne crois pas<br />
que la musique doit être distribuée gratuitement. Cela<br />
me fait bizarre d’entendre les gens me dire « Tu sais,<br />
j’ai piraté ton album, mais du coup je vais à ton<br />
concert ». C’est comme si je te disais « Je te vole 15<br />
euros, mais t’inquiète pas, je vais t’acheter quelque<br />
chose avec » !<br />
Oscar : Et puis on prend tellement de temps pour<br />
donner à l’album le son adéquat, que pirater une<br />
version mp3 avec un son moins authentique, je trouve<br />
cela un peu triste pour les gens qui téléchargent en<br />
fait.<br />
Gbenga : Pour moi, une partie du problème réside<br />
dans le fait que certaines personnes n’ont même pas<br />
conscience que l’on parle de vol. Il y a des pays<br />
comme la Chine ou la Russie où il est pratiquement<br />
impossible de gagner de l’argent avec un disque à<br />
cause du piratage. Un jour, on a fait un concert à<br />
Moscou devant 1500 personnes alors qu’on savait<br />
pertinemment qu’aucun d’entre eux n’avait acheté nos<br />
disques…<br />
En dehors du Royaume-Uni, comment expliquez-vous<br />
le lien particulier que vous entretenez tous les quatre<br />
avec la France ?<br />
Joe : Je pense que cela s’explique d’abord par le fait<br />
que notre label soit français (Because Music, ndlr). En<br />
dehors de cela, il me semble aussi que,<br />
traditionnellement, le public français se montre<br />
davantage réceptif aux choses et musiques un peu<br />
inhabituelles.<br />
Gbenga : C’est vrai qu’en Angleterre, 5 ans après<br />
notre premier album, on est encore parfois considérés<br />
comme une nouveauté…<br />
Joe : Mais pour être vraiment honnête, avec ce nouvel<br />
album, on est devenus populaires un peu partout et<br />
pas seulement en France.<br />
Oscar : Enfin en tout cas, ce qu’on peut dire, si c’est<br />
là où vous voulez en venir, c’est que la France était là<br />
avant tout le monde !<br />
Quelle a été votre plus belle expérience en France<br />
jusqu’à présent ?<br />
Gbenga : On a joué dans les Arènes de Nîmes avec<br />
les Chemical Brothers (dans le cadre du festival de<br />
Nîmes, ndlr) ! C’était génial.<br />
Anna : Et La Cigale, à Paris, aussi !<br />
Gbenga : Ah oui c’est vrai, La Cigale c’était vraiment<br />
spécial, mais Nîmes… Je n’aurais jamais crû que l’on<br />
pouvait faire ce genre de trucs ! Le décor était<br />
incroyable. Les Chemical Brothers jouaient le même<br />
soir, les arènes étaient bondées, les gens super<br />
réceptifs à notre jeu, et ce soir-là, je crois sans<br />
prétention que l’on a vraiment très bien joué !<br />
Joe : Notre dernière tournée en France a commencé à<br />
La Cigale. C’était tellement dément que chaque<br />
concert qui a suivi nous a paru moins intense que ce<br />
soir là parce que le public ne devenait pas aussi<br />
dingue.<br />
Vous avez intitulé votre album « The English Riviera »<br />
en référence à la région du Devon en Angleterre.<br />
C’est un endroit que vous recommanderiez pour aller<br />
passer ses vacances à la plage ?<br />
Joe : Si tu veux passer tes vacances à la plage, je te<br />
conseillerais plutôt d’aller à Nice (rires). Il y a de très<br />
beaux endroits dans le Devon, mais ce que nous<br />
souhaitions avec The English Riviera, c’était rendre<br />
cette région un peu plus glamour qu’elle ne l’est en<br />
réalité. Pour des vacances, je n’en sais rien. Pour<br />
allez y bronzer, mieux vaut prendre une petite veste<br />
(rires).<br />
Propos recueillis par Émilie Cochaud.<br />
Photos : Mathieu César, pour Crumb magazine<br />
Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />
fait l’objet de la couverture du numéro de 10 de Crumb<br />
magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />
digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 25 septembre 2011.
. <br />
METRONOMY #2<br />
Deuxième rencontre<br />
Interview publiée le 6 mars 2014<br />
L’effervescence autour de la sortie de The English Riviera, avant-dernier album du groupe, a amené le<br />
quatuor jusqu’aux planchers des Zeniths et des festivals. Une reconnaissance méritée et intrigante qui<br />
nous amène à discuter avec un Joseph Mount un peu différent de celui que l’on avait croisé la dernière<br />
fois. Plus conscient des enjeux que représentent la sortie de son nouveau disque, Love Letters, mais<br />
toujours aussi porté par un flegme inégalable. Celui du type passionné qui voit le succès lui tomber<br />
dessus sans rien demander <br />
Après le succès de The English Riviera (…), ton<br />
nouvel album sonne plutôt home-made...<br />
Il sonne effectivement plus intime. On l’a enregistré<br />
dans un bon studio, mais le matériel utilisé et la façon<br />
de produire m’ont permis d’obtenir cette ambiance.<br />
J’ai évidemment fait attention à ce qu’il sonne mieux<br />
que si on l’avait enregistré dans ma chambre, mais<br />
dans l’intention, c’était ça. Avec The English Riviera,<br />
je voulais un disque très fouillé, sérieux tandis que<br />
pour Love Letters, j’ai souhaité qu’il soit moins<br />
parfait, moins propre…<br />
On entend différentes époques dans ce disque,<br />
des années 60 aux années 80. C’était voulu ?<br />
Non pas vraiment, tout dépend vraiment de la<br />
manière dont les gens perçoivent la musique. Je ne<br />
ferai jamais de musique en me disant “Ca, ça va<br />
sonner 70’s”. Je m’inspire e souvenirs, de sonorités<br />
que mon oreille a toujours entendues. J’ai pris une<br />
rythmique binaire, très sixties sur Love Letters, mais<br />
c’est quelque chose que l’on a toujours retrouvé dans<br />
ma musique depuis.<br />
Parles-nous de ces petites imperfections<br />
d’enregistrement…<br />
J’ai enregistré cet album en essayant d’être le plus<br />
fidèle à mes premières intentions, ces moments de<br />
recherche en studio où parfois des erreurs se<br />
glissent. La façon dont les disques sont aujourd’hui<br />
enregistrés est très clinique : tout doit être parfait,<br />
propre, calé à la seconde près, et j’avais envie de<br />
transgresser cette règle. On trouve donc sur Love<br />
Letters certaines petites choses inattendues que l’on<br />
a gardées. Il faut bien tendre l’oreille…<br />
Après des morceaux comme The Bay ou The<br />
Look, tu n’avais pas peur de devoir courir après<br />
les hits ?<br />
Heureusement non ! Mon label ne vient pas me voir<br />
en me faisant “hey Jo’, il faut nous sortir du lourd !”.<br />
Ils me laissent faire ma petite cuisine et ensuite ils<br />
écoutent. Même si j’avais un peu plus la pression que<br />
pour mes disques précédents, je n’y ai pas pensé. Si<br />
les gens veulent un album avec des tubes, ils peuvent<br />
appeler Pharrell Williams et le problème sera réglé !<br />
Et le fait d’enregistrer un nouvel album en<br />
sachant que l’attente des gens est forte ?<br />
Cela me semble être hyper stimulant ! Il faut en<br />
profiter. Les artistes et les groupes que j’aime ont su<br />
apprécier ce genre d’attente, en surprenant leurs<br />
fans. Ou parfois même en les décevant… Les gens<br />
n’ont pas encore écouté l’album, ils connaissent deux<br />
singles qui ne représentent pas entièrement le<br />
disque. Mais d’un autre côté, c’est une opportunité<br />
tellement rare pour moi de pouvoir décevoir, je ne<br />
sais pas, 200 000 personnes sur Terre (sourire).<br />
Tu aimes les jeux de l’interview ?<br />
Cela dépend (…) ça peut parfois vraiment être<br />
horrible. L’avantage lorsqu’on est plus populaire,<br />
c’est que les gens s’intéressent plus à toi et à ce que<br />
tu fais. Aux débuts du groupes, les questions étaient<br />
parfois terriblement chiantes…<br />
Pourquoi est-ce que Metronomy dit moins de<br />
bêtises sur Twitter ? Beaucoup se rappellent de<br />
ce fameux tweet lors des élections présidentielles<br />
françaises.<br />
(Rires) Je m’en souviens ! Je me suis dit qu’il fallait<br />
peut être s’arrêter, ou au moins se calmer. La<br />
politique et la musique, c’est pas toujours ça…<br />
J’adore Internet, mais je n’ai plus le temps de tenir un<br />
compte Twitter, cela m’ennuie. Puis j’ai un enfant<br />
maintenant. Mais rien ne dit que je ne risque pas de<br />
m’y remettre quand on repartira en tournée…<br />
Propos recueillis par Brice Bossavie<br />
Photos : Pierre & Florent<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
BERTRAND<br />
BURGALAT<br />
Interview publiée le 16 mai 2012<br />
T<br />
B comme Burgalat, génie sans langue de bois. Tour à tour pyromane, magicien, chanteur mais surtout<br />
producteur/arrangeur (pour Alain Chamfort, Katerine, April March, Supergrass, Christophe Willem, Alizée,<br />
Depeche Mode, ou encore Mick Harvey…), Bertrand Burgalat sort aujourd’hui a sorti son quatrième<br />
album personnel, « Toutes Directions ». Monstre de la scène musicale mais pas que, le fondateur du<br />
label Tricatel a donné une interview fleuve à Crumb, dont on a gardé l’essentiel ici. On a parlé d’à peu<br />
près tout et quand on est parti on s’est dit que ce mec-là avait tout d’un génie. <br />
Toutes Directions n’est que votre quatrième<br />
album et pourtant quand on regarde votre<br />
parcours, vous êtes un monstre de la musique<br />
depuis de nombreuses années. Vous avez<br />
collaboré avec énormément d’artistes,<br />
notamment Charles Berling que j’ai interviewé<br />
pour notre précédent numéro. Il me parlait d’un<br />
texte de Genet qui évoquait Rembrandt. Genet<br />
écrit que Rembrandt a passé sa vie à peindre des<br />
portraits pour à la fin de ses jours ne finir par<br />
peindre que des autoportraits… Est-ce que pour<br />
créer et dépeindre votre univers à vous, vous avez<br />
besoin un peu à la manière de Rembrandt de<br />
peindre celui des autres, de vous immiscer dans le<br />
leur ?<br />
Ahah. C’est une question intéressante. Je ne sais pas<br />
vraiment. La musique n’est bien que si on la partage,<br />
si on crée des rencontres. Travailler avec d’autres<br />
personnes permet souvent de se libérer, de livrer des<br />
choses plus personnelles. Il m’arrive de donner<br />
quelques trucs intimes, de les placer sur les disques<br />
des autres parce que ça libère et que du coup je<br />
peux me livrer sans avoir peur d’être impudique, vu<br />
qu’il ne s’agit pas de mes disques.<br />
A contrario, ce n’est pas qui vous écrivez sur ce<br />
disque…<br />
Raconter sa vie et ses états d’âmes n’a de sens que<br />
si on les transcende. Faire appel à des auteurs<br />
permet de se libérer. J’ai essayé par moi-même, je<br />
n’y suis pas arrivé. Pour Sentinelle Mathématique, par<br />
exemple, j’avais le titre et l’idée depuis un an et demi.<br />
Je visualisais quelque chose sur la société. J’avais<br />
l’impression d’avoir déjà tout dit dans le titre, d’avoir<br />
tout exprimé. Plusieurs auteurs ont essayé d’y<br />
apposer des paroles, ça n’a jamais marché. Et puis<br />
j’ai confié le truc à Barbara (Barbara Carlotti, ndlr), je<br />
lui ai envoyé le mp3, trois jours après, elle avait écrit<br />
le texte définitif que je trouve super.
Revenons en arrière, vous êtes parti en Slovénie<br />
après vos études, la musique s’est révélée à vous.<br />
Quand on regarde votre parcours on se dit que<br />
vous ne pouviez faire que ça, je veux dire de la<br />
musique. Sans elle, vous auriez fait quoi ?<br />
Probablement pas grand-chose. Pendant longtemps<br />
j’ai vécu de petits boulots. J’ai passé mon bac à<br />
16ans, je suis arrivé à Paris sans rien, je ne<br />
connaissais personne, je n’avais pas les codes. Je<br />
trouve que c’est une connerie d’être en avance sur<br />
son âge parce que finalement on a une maturité sur<br />
certaines choses mais pas sur d’autres. Après le bac,<br />
j’ai perdu confiance en moi, mon père est mort, je<br />
n’avais personne pour me guider, je me suis retrouvé<br />
seul, livré à moi-même, et dans cet interstice-là est<br />
venue se glisser la musique. Mais ça m’intimidait, me<br />
paraissait inabordable. Autrefois les gens qui<br />
sortaient des disques avaient une vraie légitimité et ils<br />
se la pétaient. Aujourd’hui tout le monde sort des<br />
disques, ça n’a plus la même résonnance, quelque<br />
chose a changé.<br />
En parlant de sorties de disque, est-ce que vous<br />
pouvez nous dire un mot sur Tricatel, le label<br />
musical que vous avez fondé ?<br />
Ce n’était pas vraiment mon idée, je n’ai jamais rêvé<br />
de label, je n’ai aucune notion de gestion. Au milieu<br />
des années 90, je bossais pas mal en Angleterre et<br />
avoir une boite de production là-bas, ça aide. J’ai<br />
monté le truc sans réfléchir, je n’ai même pas fait<br />
gaffe au nom, c’était une blague. D’un côté ça m’a<br />
servi, de l’autre non. Les gens un peu hâtifs ou sans<br />
humour ont vu sans ça comme l’apologie des années<br />
70. En même temps, quand on regarde le nombre de<br />
labels qui ont des noms idiots… (Rires).<br />
Signer et aider des artistes, c’est un peu une<br />
manière de renvoyer l’ascenseur, d’aider des<br />
personnes là où vous auriez aimé l’être…<br />
Absolument. Je trouve que c’est assez plaisant<br />
d’essayer d’éviter de faire subir aux autres ce que<br />
l’on a subit, mais c’est assez difficile pour moi. Il y a<br />
plein de gens intéressants qui ne savent pas se<br />
vendre. Quand j’écoute une démo, j’essaie de faire<br />
abstraction de la qualité, de l’enregistrement pour ne<br />
me concentrer que sur la musique et sur la création.<br />
A l’inverse, il y a vraiment des gens qui n’ont pas<br />
grand-chose d’intéressant à dire mais qui savent très<br />
bien le vendre. Je crois qu’on en connaît tous (rires).<br />
En tant que responsable de label, quel regard<br />
portez-vous sur la crise du disque ?<br />
Je suis plutôt content que cela ait baissé l’arrogance<br />
de certaines personnes. Tout le monde est désormais<br />
face à ses responsabilités et aux envies et désirs<br />
passionnés. Puisqu’on ne vend plus de disques,<br />
autant faire ceux qu’on aime. Ce que je vois arriver<br />
cependant et qui m’embête, c’est un secteur musical<br />
subventionné avec tout ce que cela peut représenter<br />
de magouilles et d’arbitraire. Les labels ne signent<br />
plus de projets, ils les créent, pour répondre<br />
spécifiquement aux quotas, aux crédits d’impôts, aux<br />
aides de l’état. Ça devient triste.<br />
Toutes Directions est quelque peu en rupture<br />
avec vos albums précédents. Comment aimeriezvous<br />
qu’il soit perçu ?<br />
(D’un air sérieux) « L’album de la maturité » (rires).<br />
Non je déconne. Je ne pense pas qu’il soit si en<br />
rupture que ça, disons qu’il est en progression. A<br />
l’évidence je suis condamné à progresser, je n’ai pas<br />
eu assez de succès pour pouvoir oser me répéter ou<br />
suivre une direction précise. J’essaie de toujours me<br />
renouveler. Je trouve que quand on fait des choses<br />
en marge, il est facile de s’endormir. Ca procure<br />
d’ailleurs un certain confort intellectuel. En France, il y<br />
a vraiment des gens qui aiment la musique mais il y<br />
aussi des beaufs qui ne comprennent pas toujours<br />
tout. Je trouve que la réponse à ce problème de<br />
compréhension c’est d’essayer de faire les choses le<br />
plus sérieusement et sincèrement possible. C’est une<br />
arme beaucoup plus efficace que l’indignation.<br />
Histoire de rétablir un équilibre. Comme pour<br />
beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Ou bien des fois<br />
ça se fait tout seul. Par exemple les gens riches sont<br />
souvent très bêtes, c’est une sorte de justice (rires).<br />
Vous parliez d’un manque de succès. Est-ce que<br />
justement le fait de consacrer autant de temps à<br />
des collaborations ou des travaux extérieurs à<br />
votre univers n’a pas nui à votre carrière<br />
personnelle ?<br />
Non. Ce disque (Toutes Directions, ndlr), j’aurais pu le<br />
faire il y a deux ans, entre temps j’ai eu un enfant,<br />
dont j’ai préféré m’occuper. Je ne suis pas toujours<br />
dans la production permanente mais pour vivre, je<br />
prends tout, des commandes, des pubs, des trucs<br />
chouettes, d’autres moins. Il y a des moments où je<br />
suis à deux doigts de perdre l’appétit pour la<br />
musique, où je frôle la lassitude à force de multiplier<br />
les travaux forcés pas toujours inspirés. Mais le fait<br />
d’avoir à me bouger le cul pour vivre est assez<br />
plaisant, cela permet de rester en équilibre.<br />
Propos recueillis et interview par Thomas Carrié<br />
Photographies : Pauline Darley, assistée de<br />
Maxime Stange, pour Crumb magazine
MICHAEL<br />
FASSBENDER<br />
Interview publiée le 13 mai 2013<br />
Hiver 2012. Une chambre d’hôtel à Paris. Michael Fassbender nous attend. Il est à l’affiche du dernier<br />
film événement de Steve McQueen, « Shame », dans lequel il joue le rôle de Brandon, un trentenaire<br />
new-yorkais souffrant d’addiction sexuelle. La couverture médiatique est grande et Michael a déjà l’aura<br />
d’une star. Nous faisons partis des rares médias web (sous-entendu peu importants) à être accréditer<br />
pour l’occasion. Nous entrons. Et, là, au fil des mots et des pensées, nous l’avons vu se confier à<br />
Crumb, sur son travail d’acteur. Rencontre en toute intimité…<br />
Pour votre rôle dans Hunger, en 2008, je sais que<br />
vous aviez rassemblé de nombreuses<br />
informations et témoignages concernant votre<br />
personnage pour cerner son caractère et<br />
l’incarner au plus juste. Pour Shame, comment<br />
cela s’est-il passé ?<br />
En règle générale, je me concentre beaucoup sur le<br />
texte, pour commencer, je le décortique comme une<br />
partition de musique, comme pour déchiffrer les<br />
rythmes présents dans la mélodie. Je poursuis<br />
ensuite mon travail en rencontrant les gens. J’ai eu la<br />
chance de m’entretenir avec des personnes souffrant<br />
de ce trouble, de cette maladie et je leur en suis très<br />
reconnaissant. En discutant, j’essaie d’ouvrir le<br />
dialogue et de pousser ces gens à me raconter des<br />
histoires. Poser des questions directes n’est pas très<br />
habile et peut parfois placer l’interlocuteur sur sa<br />
défensive. À travers les histoires, on trouve des<br />
origines, des sources de motivation, voire l’essence<br />
même de ce que représente ce trouble d’addiction au<br />
sexe.<br />
Parmi les témoignages de ces gens y a t’il une<br />
histoire qui vous ait marqué en particulier ?<br />
Oui, bien sûr. Elles étaient parfois très intimes et<br />
racontées sur le ton de la confidence. Je ne raconterai<br />
évidemment pas ce que l’on m’a confié, mais ces<br />
récits m’ont permis de comprendre ce que ce<br />
sentiment d’intimité était, ce que les problèmes<br />
découlant de cette intimité représentaient. C’est ce qui<br />
habite mon personnage, Brandon : cette peur de<br />
responsabilité émotionnelle envers quiconque au sein
©Alice Hawkins / Esquire UK
d’une relation, cette zone floue qui le rend sans<br />
défense lorsqu’il doit s’ouvrir aux autres. Ce n’est pas<br />
une position qui le met à l’aise. C’est pour cela qu’il<br />
s’efforce de garder le contrôle de tout ce qu’il fait. Il<br />
contrôle le scénario avant de connaître sa possible<br />
implication dans la relation, en préservant une<br />
distance de sécurité entre la situation et ses<br />
sentiments.<br />
Quelle part de vous-même avez-vous mis dans<br />
Brandon ?<br />
J’ai voulu qu’il reste près de moi autant que possible.<br />
Je n’ai pas voulu prendre de la distance par rapport à<br />
lui, cela aurait été trop facile. Il fallait qu’il ressemble à<br />
tout le monde, qu’il vive une vie normale, en<br />
apparence. Ce n’est qu’en creusant que l’on découvre<br />
qu’il est atteint d’une addiction sérieuse. J’ai essayé<br />
de me rapprocher de lui au plus près, afin de le<br />
comprendre, en apportant la connaissance que j’ai de<br />
moi-même et de ce que je vois autour de moi. C’est le<br />
meilleur –et probablement le seul- outil de travail que<br />
je possède.<br />
(Silence. Un temps)<br />
J’aime travailler sans filet de sécurité.<br />
Plutôt que de juger mes personnages, j’essaie de les<br />
comprendre. Je fais des fiches en écrivant les<br />
différents traits de caractère. Je les compare aux<br />
miens et développe ceux qui en ont besoin. Je pense<br />
que l’on se ressemble tous, il existe uniquement des<br />
nuances en chacun d’entre nous. Nous sommes tous<br />
plus ou moins capables de faire des actions positives<br />
ou négatives. Nous sommes tous responsables les<br />
uns les autres, nous avons tous besoin d’être<br />
acceptés, aimés, alors il faut avoir l’approche la plus<br />
honnête possible envers de tels sujets.<br />
Quelle est la plus grosse différence entre votre<br />
personnage, Brandon (Shame) et Connor, celui<br />
que vous jouiez dans Fish Tank ?<br />
Le plus gros problème de Connor, c’est qu’il est<br />
irresponsable. Il est le genre de personne qui s’enfuit<br />
face à une situation au lieu de lui faire face. Je ne<br />
pense pas qu’il soit autant conscient de ses<br />
problèmes que Brandon, qui est lui, à l’inverse,<br />
hyperconscient de son problème, il ne s’aime pas, se<br />
dénigre. Il sait qu’il est malade. C’est pour cela que<br />
j’apprécie Brandon, il essaie de s’en sortir.<br />
Brandon couche avec deux filles à la fois, il y a de la<br />
haine, de la luxure, du désir absolu dans son regard.<br />
Après qu’il ait éjaculé, il y a cette sensation d’être<br />
perdu qui émerge, il se sent dégoutant et ressent<br />
même de la honte (Shame, en anglais, ndlr). Ce sont<br />
les sensations que j’ai essayé de transmettre à<br />
l’écran. J’ai donc dû faire abstraction du fait que j’étais<br />
nu.<br />
Il faut aussi garder à l’esprit que le réalisateur, Steve<br />
McQueen, ne filme pas ces scènes de sexe par pur<br />
plaisir, mais qu’elles sont là, pensées, pour servir à un<br />
but précis, construisant l’histoire.<br />
Lors de cette scène avec les deux filles, vous<br />
regardez directement la caméra pendant l’acte<br />
sexuel. Vous pensiez à quoi à cet instant-là ?<br />
(Sourire) Il y a une grande communication entre la<br />
caméra et moi-même, une énergie puissante sur ce<br />
moment précis. Je gardais à l’esprit la douleur qu’est<br />
censé ressentir le personnage. C’est difficile à<br />
expliquer, d’autant plus que j’entretiens une relation<br />
d’amitié et de confiance tant avec Steve qu’avec Sean<br />
(Sean Bobbitt, directeur de la photographie, ndlr) et<br />
qu’ils sont évidemment présents derrière la caméra. Il<br />
fallait donc se concentrer au maximum sur ces<br />
pensées !<br />
Quelle a été la part d’improvisation de votre travail<br />
avec Steve ?<br />
Elle n’a pas vraiment existé. Une fois sur le lieu du<br />
tournage, il nous est arrivé d’improviser les dialogues<br />
mais sur le plateau, tout était déjà prêt. J’ai donc<br />
préféré être efficace plutôt que d’imposer mes idées :<br />
Il vaut mieux être préparé, éveillé et conscient pour<br />
répondre aux situations scénographiques et interagir<br />
avec elles.<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Vous n’avez pas aimé Connor ?<br />
Si, bien sûr, mais différemment. Il y a du bon et du<br />
mauvais dans les deux personnages. Comme un peu<br />
en chacun de nous dans nos propres vies…<br />
Comment avez-vous appréhendé les scènes de nu<br />
sur le tournage de Shame ?<br />
Je me suis senti bizarrement observé, mais je savais<br />
que c’était le moteur de l’histoire. La proximité<br />
physique avec le personnage permet au spectateur de<br />
se rapprocher de lui, jusque dans sa tête. Lorsque
SÉBASTIEN<br />
TELLIER<br />
Interview publiée le 17 mars 2012<br />
Après le succès de Sexuality qui l’a révélé aux oreilles du plus grand nombre, Sébastien Tellier revient<br />
avec un nouvel album-concept. Nous avons eu la chance d’écouter il y a quelques mois ce nouvel opus<br />
My God is Blue –a paraître le 20 mars- et de rencontrer Sébastien Tellier. Autour de quelques bières,<br />
nous avons parlé avec lui de sa musique, de son travail et de choses plus ou moins bizarres…<br />
Depuis l’annonce de la sortie de l’album nous avons<br />
lu des tas de choses sur le web. Les gens ont<br />
interprété un peu librement le teaser de Pépito Bleu,<br />
on a entendu parler de Viagra, de Raël… Nous<br />
voudrions que tu nous expliques toi-même le concept.<br />
C’est simple. Ou pas tellement en fait. L’album<br />
s’appelle My God is Blue. J’ai eu envie avec de<br />
dépasser les limites de la musique, de n’être plus<br />
qu’un artiste entier, complet, sous toutes les facettes.<br />
J’ai créé un mouvement qui va d’ailleurs me permettre<br />
de vivre totalement la vie que j’ai envie de mener. Je<br />
l’ai appelé « l’Alliance Bleue ». Le but était surtout –<br />
même si je trouve le mot abominable – de créer mon<br />
univers. Un vrai univers, tout un monde, avec mes<br />
meubles, mon sac de voiture, des maisons à mon<br />
image, voilà l’esprit général.<br />
Le clip de Pépito Bleu n’est qu’un teaser. Des tas de<br />
choses vont venir après. Le site de l’Alliance Bleue<br />
notamment, je m’exprimerai au travers, vendrai mes<br />
tableaux, appellerai au mécénat…etc. Si cela ne sera<br />
que virtuel dans un premier temps, j’espère que<br />
l’Alliance se concrétisera dans le réel. Nous allons<br />
faire de grandes choses, mais pour connaître quelle<br />
couleur va prendre l’Alliance Bleue au-delà du bleu, il<br />
va falloir attendre encore, j’ai envie de créer du<br />
mystère, de garder le secret, un peu comme une<br />
sirène. Pour l’instant, j’ai envie d’attirer les gens à moi<br />
mais sans tout leur dévoiler.<br />
Vous suivez ? (Rires)<br />
D’ailleurs il y a quelque chose qui m’a surpris et je<br />
profite d’être invité dans <strong>CRUMB</strong> pour en faire part : la<br />
première chanson extraite de l’album s’appelle Pépito<br />
Bleu, on est d’accord je construis mon empire sur du
iscuit mais enfin je suis choqué de voir qu’il y a des<br />
gens qui prennent vraiment tout cela au sérieux. J’ai<br />
ma propre approche de l’esthétique, de la beauté<br />
mais soyons d’accord, rien de cela n’est ni crédible ni<br />
sérieux. Je ne suis pas philosophe, religieux, politique<br />
ou sociologue. Je ne connais rien à l’organisation des<br />
choses. Pépito Bleu c’est juste quelque chose de<br />
léger, un rêve que j’ai fait. Le fait de me mettre en<br />
scène dans ce personnage et créer un mouvement<br />
relève du fantasme. Je n’essaie pas d’être vrai.<br />
Quand je parle de Pépito Bleu, j’entends déjà certains<br />
dire « Ce mec est fou, il se prend pour Dieu », mais<br />
non, soyons sérieux deux secondes, Dieu ne parle<br />
pas de pépitos… voyons !<br />
(Rire général. Il allume une cigarette, repositionne ses<br />
lunettes sur le nez)<br />
Enfin bref, tout ça pour dire que je suis surpris que<br />
certaines personnes prennent toute cette mascarade<br />
au sérieux et se sentent agressés. Pépito Bleu, c’est<br />
tout sauf agressif, comment trouver un titre plus doux,<br />
plus gentillet, mis à part Pépito Rose (rires). En tout<br />
cas, pour moi, tout ça n’est qu’un amusement.<br />
Après, amusement ou non, oui, je souhaite créer une<br />
attente, un mystère, je ne veux pas que l’on s’ennuie.<br />
Quand on regarde une série télé, que l’épisode se<br />
termine au moment fatidique, on a de suite l’envie, le<br />
désir de se plonger dans la suite. C’est une sensation<br />
que j’adore vivre et que j’ai envie de faire vivre aux<br />
autres.<br />
Sur le travail de cet album, tu as fait appel à Mr Flash,<br />
qui est à l’origine un producteur connu pour avoir une<br />
pâte assez hip-hop, éloignée du style que l’on te<br />
connaît. Pourquoi lui ?<br />
C’est une longue histoire. J’ai un studio à côté de<br />
chez moi, qui n’est pas fait pour enregistrer,<br />
seulement pour composer. J’en suis sorti avec toutes<br />
les chansons de l’album déjà prêtes. J’avais écrit les<br />
textes, j’avais commencé à composer. Les démos<br />
étaient jolies, mais j’avais besoin d’autre chose,<br />
quelque chose en plus, du relief, un petit truc qui<br />
mettrait tout en valeur. J’imaginais depuis le début, cet<br />
album comme quelque chose de grand, qui passait<br />
par la notion d’espace, avec des raz de marée, des<br />
tremblements de terre. Et de la manière dont j’avais<br />
produit mes démos jusque-là, il n’y avait pas encore<br />
cela.<br />
Je suis tombé sur le dernier maxi de Mr Flash et là,<br />
rien qu’à l’écoute, soudain tout est devenu grand. Il y<br />
avait le Mont Blanc, l’Everest, tout, des lacs, des<br />
palmiers, l’univers… C’était grand, c’était mental et<br />
fort, c’était tout ce que j’attendais. Ce fut comme une<br />
révélation, je me suis dit que je voulais à tout prix<br />
transposer ces compositions dans mes chansons.<br />
Ça m’a énormément excité. Et puis on s’est vus<br />
rapidement, le lendemain. Je n’avais jamais entendu<br />
parler de lui avant. Je ne savais pas s’il avait seize ou<br />
soixante ans, je n’avais aucune idée d’où il pouvait<br />
venir. On m’a dit qu’il habitait Paris, nous nous<br />
sommes fixés un rendez-vous, nous nous sommes<br />
vus et, presque instinctivement, juste après la<br />
rencontre nous sommes partis en studio.<br />
J’avais mes démos avec moi, nous avons essayé de<br />
refaire le travail à deux, à partir de rien et ça a pris de<br />
suite. Tout ce que j’avais imaginé prenait enfin une<br />
dimension réelle. Le déclic. Et pourtant avant lui,<br />
disons que j’avais écouté des dizaines de milliers de<br />
disques de mon producteur, j’avais déjà des noms, j’ai<br />
pensé à beaucoup de monde sauf qu’à l’écoute, Mr<br />
Flash a été une certitude. Je savais que c’était lui dont<br />
j’avais besoin.<br />
En quoi le travail avec Mr Flash a t-il été différent de<br />
celui que tu as pu réaliser avec Guy Man sur l’album<br />
Sexuality ?<br />
Avec Guy Man, on ne se connaissait pas mais on se<br />
croisait souvent en soirée, en backstage de concerts<br />
ou autres. Si je dois absolument trouver une<br />
différence c’est que Guy Man et moi étions en fusion.<br />
Nous avons le même but, essayions de faire le même<br />
disque, allions dans le même sens. Avec Mr Flash, il<br />
n’a jamais été question d’aller dans la même direction.<br />
Nous avons très vite été passionné par le projet mais<br />
nous nous y sommes projeté de façon totalement<br />
irrationnelle, avec chacun notre vision propre. Nous<br />
n’avons jamais vraiment réussi à travailler ensemble.<br />
Nous avancions dans deux mondes différents et<br />
pourtant pour une même œuvre. C’est ce qui donne je<br />
crois cette élasticité à l’album. Comme si nous avions<br />
à deux, essayé de couvrir tous les champs, d’explorer<br />
tous les espaces et c’est finalement d’une très grande<br />
richesse.<br />
L’enregistrement a été un combat, une partie d’échecs<br />
acharnée. Personne ne voulait perdre, alors on a<br />
essayé de donner le meilleur de nous-même. Et c’est<br />
une bonne chose, parce que souvent, quand on est<br />
en studios, on est déjà satisfait d’être là, de faire de la<br />
musique et on se contente de peu. D’autant que le<br />
cadre est beau, boiseries, canapés en cuir… Tout<br />
pour faire de la musique. Sauf que trop souvent on<br />
croit que l’on fait de la bonne musique, simplement<br />
parce qu’elle sonne bien, parce que la réverbération<br />
des murs flatte le son. Moi je ne voulais surtout pas de<br />
cela. Et dans cette sorte de guerre avec Mr Flash, rien<br />
ne pouvait m’aider à aimer ce que je faisais. J’étais<br />
sans cesse porté par l’envie d’aller plus loin, de<br />
trouver d’autres chemins, d’autres solutions, d’autres<br />
techniques. Grâce à ça, nous avons vraiment créé<br />
quelque chose de différent.<br />
Si je comprends bien, ce nouvel album a donc été le<br />
fruit d’une lutte constructive ?<br />
Oui. La difficulté principale tenait dans le choix de ce<br />
que l’on entend, à savoir du Simbalom ou du Glass<br />
Water, des voix de chorale, des chœurs plus<br />
intimes… Ces choix ont toujours posés problème.<br />
Après, sur l’enregistrement proprement dit, nous<br />
savions ce qu’il fallait faire. Mr Flash a une vision 3D<br />
de la musique, j’adore ça. Il arrive à mettre sur pied<br />
des choses extrêmement spacieuses, à la fois<br />
complexes et légères. Moi j’avais mes certitudes, lui<br />
en avait d’autres. Tout s’est articulé autour de cela. Et<br />
finalement, avec le recul nous nous sommes rendu<br />
compte que l’on arrivait toujours à la même<br />
conclusion. On n’a pas sorti un disque que lui déteste<br />
et moi j’adore, non, nous sommes très fiers de ce que<br />
nous avons fait et réalisé ensemble. Nous sommes<br />
passés par tous les chemins du désaccord. Quand il
voulait une voix grave, moi je voulais une voix aigüe…<br />
La moindre note a été un combat<br />
Mais ce combat « musical » a donné vie à ce que tu<br />
attendais…<br />
Oui. Disons que j’avais un tableau plat et que, d’un<br />
coup de grâce, Mt Flash l’a modelé et a pu en faire le<br />
tour. Et même de dos, le tableau rendait bien. Il a<br />
mais du volume, fait son boulot de producteur de<br />
façon fantastique.<br />
Toute à l’heure tu disais qu’il avait une pâte<br />
davantage hip-hop, c’est vrai. Il a produit énormément<br />
de rappeurs français ou américains mais il n’a pas de<br />
culture rap. Il est très bon dans ce domaine mais ce<br />
n’est pas lui. Inconsciemment je pense, il y avait une<br />
part de My God Is Blue dans sa tête et ce projet était<br />
l’occasion pour lui, enfin, de concrétiser ses envies,<br />
d’affirmer qui il était, de montrer l’étendue de son<br />
talent. Je pense qu’il a vécu notre collaboration de<br />
façon très profonde. Il a sans doute pensé qu’il faisait<br />
son propre disque, il a pu s’exprimer, n’avait pas de<br />
limites. De manière générale nous ne nous sommes<br />
fixés aucune limite dans la création.<br />
Et même dans ce côté création nous étions en<br />
opposition. Moi, par exemple, j’ai l’habitude de<br />
travailler allongé. Le premier truc que je fais quand je<br />
rentre en studio c’est d’installer un lit de camp.<br />
J’apporte un duvet et un oreiller, je m’allonge et bosse<br />
comme ça. Alors, lui forcément, il a eu un peu de mal<br />
à collaborer avec un mec qui somnole (rires). Mais<br />
d’un avis personnel, je suis toujours meilleur et inspiré<br />
lorsque je travaille entre le rêve et la réalité.<br />
Il a joué le rôle de ton psychanalyste musical, assis<br />
derrière toi, qui était allongé…<br />
C’est exactement ça ! Lui était assis sur une chaise,<br />
moi allongé sur mon lit de camp. Quand je<br />
commençais à ronfler il ne supportait pas. Moi j’étais<br />
bien. Le ronflement à ce stade de la création, je trouve<br />
que c’est du professionnalisme. On ne fait jamais la<br />
même musique lorsque l’on vient de se réveiller que<br />
quand on est en pleine forme. On n’est pas dans la<br />
même relation. Au réveil, nous sommes généralement<br />
davantage à l’écoute, avec un côté spontané que l’on<br />
perd au fil de la journée… Au réveil, il y a aussi des<br />
réalités et des vérités différentes avant qu’elles ne<br />
perdent et se diffusent dans le brouillard du<br />
quotidien…<br />
J’ai lu que tu portais un regard extrêmement critique<br />
sur tes précédentes œuvres et qu’une fois terminés,<br />
tu avais beaucoup de mal à réécouter tes anciens<br />
albums…<br />
Oui. Il m’est très difficile d’apprécier un morceau une<br />
fois qu’il est fini. En musique, pour moi, il n’y a pas de<br />
règles harmoniques, rien n’est jamais fini, on peut<br />
toujours trouver quelque chose à améliorer, à rajouter.<br />
Le problème vient surtout du fait qu’il faut s’arrêter à<br />
un moment. Il y a des moments où l’inspiration est<br />
sans fin. Et My God Is Blue je me dis que, j’aurais pu<br />
continuer à l’enregistrer toute ma vie…<br />
Mais tu ressens quoi, par exemple, lorsque tu jettes<br />
un œil sur tes vieux albums, comme Politiks ?<br />
Politiks, très franchement, je ne peux pas le réécouter.<br />
C’est trop difficile. Et l’album est odieux. Je n’entends<br />
pas la musique, je n’entends que les défauts, les<br />
ratés. Parfois j’aurai aimé que certains sons<br />
ressemblent à du ABBA et finalement je me rends<br />
compte qu’on dirait du William Scheller (rires). Je sais<br />
qu’il faut s’y faire, mais moi je ne m’y fais pas. Alors je<br />
fais comme l’album n’existait pas.<br />
Comment naît un album de reprises, du coup, tel que<br />
Sexuality Remix ?<br />
C’est ma maison de disque qui se charge de tout.<br />
Notamment de trouver les artistes de faire les<br />
propositions. C’est eux qui le font simplement parce<br />
que je ne sais pas le faire, je ne connais rien de tout<br />
ça qui se fait, je ne suis jamais dans l’actualité. Je<br />
trouve qu’il y a des milliers d’albums qui sortent tous<br />
les jours, avec tout le temps des noms bizarres, je n’y<br />
comprends rien, je suis perdu (rires).Il y a, bien<br />
évidemment des choses que j’entends et que j’adore,<br />
mais je ne retiens jamais les noms, j’oublie de suite.<br />
Le travail de remix est un travail considérable que je<br />
suis incapable de gérer seul. Je compte donc<br />
énormément sur ma maison de disque. Eux, au<br />
moins, ils savent quelles sont les tendances, quelles<br />
sont les choses bonnes à écouter et les autres. Je<br />
sais que cela paraît bizarre parce que les gens me<br />
perçoivent comme un mec parisien hyper branché, à<br />
la pointe des tendances sauf que je suis loin de tout<br />
ça et ne sais rien de ce qui se passe. Quand on me<br />
parle d’un groupe, je ne le connais jamais. Je<br />
découvre des artistes cinq ans après tout le monde<br />
(rires). Alors, à mon tour, de manière presque<br />
instinctive je me sens obligé d’écouter des choses<br />
rares ou exceptionnelles…<br />
Comme par exemple ?<br />
Bobi Solo, un chanteur italien (rires) ou encore<br />
Bernard Ilous, un type qui a chanté « La route à<br />
l’envers ». J’aime bien aller chercher des trucs assez<br />
loin.<br />
Et maintenant My God Is Blue, la suite, elle va se<br />
passer en public avec des concerts ?<br />
Oui. Tout plein ! Je vais essayer de ne pas être que<br />
chanteur ni musicien. Je veux être un leader spirituel,<br />
j’ai envie de vivre l’expérience pleinement. Je veux<br />
que le public soit en communion. Je veux<br />
expérimenter des choses nouvelles, proposer d’autres<br />
sensations. Je veux faire des concerts pour l’éveil. Un<br />
éveil des sens et des discours. Et puis d’ailleurs, ce<br />
qui compte dans l’Alliance Bleue c’est qu’il n’y aura<br />
pas de spectateurs mais des « fidèles », des gens qui<br />
sont et vont avec moi, pour toujours.<br />
Propos recueillis/interview par Nicolas Cassagnes<br />
Avec la présence de Thomas Carrié<br />
Photos : Julot Bandit<br />
Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />
fait l’objet de la couverture du numéro de 13 de Crumb<br />
magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />
digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 17 mars 2012.
JUNGLE<br />
Rencontre/texte publiée le 15 juillet 2014<br />
De passage à Paris pour le festival We Love Green, les deux têtes pensantes de Jungle nous ont reçus<br />
dans leur tipi du parc de Bagatelle pour parler, en vitesse, de leur premier album. Au programme :<br />
football, Japon, feu de camp et hélicoptère. Rencontre express.<br />
Nous avons découvert Jungle, il y a un peu plus d’un<br />
an, avec la vidéo de Platoon. Plus récemment, nous<br />
les avons vu pour la première fois en live, en mars<br />
dernier, à l’occasion du concert des soeurs Haïm à<br />
Paris. Une mystérieuse équipe est arrivée sur scène,<br />
enclenchant une euphorie rarissime pour une<br />
première partie. Marquante, l’équipe enchaîne des<br />
titres à l’empreinte soul unique, car innée. « On aime<br />
juste les bonnes chansons, de n’importe quel style. Je<br />
pourrais très bien mettre un super son de reggae là.<br />
On se mettrait à danser tous les trois dans ce tipi,<br />
mais si la chanson ne vous plaît pas, le moment sera<br />
gâché. Les seules choses qui comptent sont la<br />
mélodie, le rythme et l’émotion. On ne souhaite pas<br />
rentrer dans un genre particulier pour se rassurer, ce<br />
serait malhonnête. » Les mystérieux fondateurs de<br />
Jungle : T. et J. se connaissent depuis qu’ils ont dix<br />
ans et souhaitaient créer librement, avec leurs potes<br />
londoniens qu’ils ont embarqués par hasard dans leur<br />
épopée. « Nous sommes des producteurs, on aime<br />
rester en arrière plan. En équipe, il y a une excitation<br />
et une spontanéité qui nous plaît vraiment. On sait<br />
mieux prendre conscience et profiter des instants que<br />
nous sommes en train de vivre. Ce n’était pas prévu à<br />
la base mais des concerts ont vite été programmés et<br />
on voulait surtout s’entourer de bons musiciens ».<br />
Attendu par les médias anglais, le groupe décide de<br />
miser sur la discrétion et pour préserver leur musique.<br />
« La sortie de l’album est un moment excitant car il<br />
représente le moment où nous nous sommes tous<br />
rapprochés. Une bulle de bonheur s’est créée<br />
pendant la préparation du disque. » J. attrape le<br />
cendrier sur la table pour évoquer leur cercle de<br />
coolitude, une bouteille de bière pour désigner le<br />
NME, une canette de Coca pour Crumb « si vous<br />
voulez nous rejoindre dans la sphère c’est cool, sinon<br />
on s’amusera très bien tous seuls. » La découverte de<br />
l’album et les shows maîtrisés des sept joyeux lurons<br />
nous donne, sans le dire, envie de joindre la ronde.<br />
L’usine à talents qu’est l’Angleterre nous livre cet été<br />
un album contenant douze pépites. L’alliance de la<br />
mélancolie des paroles et une avalanche de cool dans<br />
les mélodies marchent ici à tous les coups. Le duo
évoque avec insouciance leur façon de composer : «<br />
L’un de nous s’assoit au piano, improvise des bribes,<br />
jusqu’à ce que l’on se dise : attends, ça sonne comme<br />
une chanson de Jay-Z, et à partir de là, on ajoute des<br />
choses assez simples pour que les gens puissent<br />
nous écouter sans s’ennuyer. Les paroles tendent<br />
vers quelque chose de différent, une atmosphère plus<br />
sombre hantée par la peur, la solitude et la paranoïa.<br />
Dans un sens, une tour se dessine à travers l’album,<br />
avec un étage pour les mélodies-clés pour attirer les<br />
gens et un autre pour les mots, plus compliqué à<br />
percevoir car il vient de notre âme ».<br />
« I’ve Been Loving You Too Long » répètent-ils dans<br />
Drops, morceau caméléon, transpirant Otis Redding.<br />
Jungle mélange époques et sentiments avec une<br />
classe folle, pourtant rien n’apparaît comme vraiment<br />
calculé. Les titres s’enchaînent et sillonnent un terrain<br />
de jeu surréaliste. « Tout est toujours une coïncidence<br />
avec Jungle. On s’entraide, on est entre amis, c’est<br />
pourquoi on aime faire ce qu’on fait, parce qu’on ne<br />
force jamais pour ne pas perdre le naturel, la fraîcheur<br />
de notre musique, c’est comme en football ! La<br />
musique y est liée quand on y réfléchit, car c’est<br />
l’effort de partager une émotion. Quand une équipe<br />
joue vraiment ensemble, les choses se font<br />
naturellement, mais dès qu’elle force et essaye d’aller<br />
marquer trop rapidement, l’unité se perd et le match<br />
se gâte. » Leur processus d’écriture est d’ailleurs<br />
semblable, une image les fascine et les guide<br />
inconsciemment jusqu’au titre final. « Chaque<br />
morceau pourrait former une bande originale à lui seul<br />
car chacun évoque un lieu spécifique, directement lié<br />
à une émotion. Accelerate serait une course de moto<br />
au Japon dans un jeu vidéo où tu es invincible. Tu<br />
peux tomber mais ne jamais perdre. Platoon mettrait<br />
en scène une réunion dans un marécage, avec des<br />
gens portant des armes faites de fleurs et Lucky I got<br />
what I want illustre des gens qui danse le hip hop<br />
autour d’un feu de camp dans les bois, avec Kanye<br />
West et Jay-Z qui claquent des doigts en rythme. Et<br />
puis il y aurait aussi une Xbox et un hélicoptère. » Si<br />
cette description improvisée les rend hilares, l’écoute<br />
de l’album la confirme : l’aura du rap n’est jamais loin<br />
et l’ambiance planante hippie forment un résultat<br />
unique.<br />
Repéré par leurs vidéos pour Platoon et The Heat<br />
réalisées avec l’aide de leurs amis et les moyens du<br />
bord, Jungle tend à flouter les barrières entre les<br />
styles, comme l’a entrepris Mø avec No Mythologies<br />
to Follow. « Un groupe est bon quand il sait y aller<br />
étape par étape », cela implique ne pas être pressé<br />
de se limiter à un seul style. Dans ce tipi, ils racontent<br />
leurs aventures sans arriver à tenir en place, prêts à<br />
monter sur scène. Mais alors que nous évoquons la<br />
réalisation de leur clip, des échos de Why Won’t They<br />
Talk To Me de Tame Impala arrivent jusqu’à nos<br />
oreilles et font stopper net le débit de paroles de J.,<br />
qui semble plus qu’apprécier le morceau, avant de<br />
reprendre le fil un peu troublé. Les titres de Jungle<br />
font le même effet, ils donnent envie d’arrêter toute<br />
activité pour se concenter uniquement sur le son, et<br />
ce n’est pas Lorde qui dira le contraire. Nous l’avons<br />
aperçu faisant danser sa crinière sur ces mad sounds<br />
dans un coin de la scène de We love Green pendant<br />
leur show.<br />
Propos recueillis par Alice de Jode
DJANGO<br />
DJANGO<br />
Interview publiée le 21 janvier 2012<br />
Les Django Django viennent de passer quatre ans (ou presque) enfermés dans une chambre (véridique) à<br />
travailler notes et musiques pour en faire des tubes. Un quatuor – familier des looks aux pulls improbables<br />
– à l’univers coloré. Un brin de folie en interview, aussi.<br />
Vous vous êtes rencontrés sur les bancs de<br />
l’école d’Art d’Edimbourg, vous ne vous êtes plus<br />
lâché et avez depuis inventé un nouveau genre<br />
musical que l’on peut qualifier de « groupe de<br />
chambre ». Avez-vous réellement conçu et produit<br />
entièrement cet album dans une chambre ?<br />
Oui, absolument ! Dans la chambre de David, dans<br />
l’Est londonien. Une chambre horriblement petite,<br />
avec un ordinateur au bout et un micro au pied du lit. Il<br />
a souvent fallu se serrer pour pouvoir enregistrer dans<br />
les bonnes conditions. Ce n’était pas l’idéal, mais<br />
nous n’avions pas de studio, alors on a fait avec les<br />
moyens du bord. Il a fallu juste faire un peu de place<br />
pour faire en sorte que cela marche !<br />
Au préalable, nous avions sorti en 2009 le titre<br />
Storm/Love’s Dart mais nous n’étions pas encore un<br />
groupe de musique à part entière – au sens officiel du<br />
terme. La chanson a créé le buzz sur Myspace. Après<br />
son succès, plutôt inattendu, nous avons décidé de<br />
nous éloigner, de prendre du recul et de réfléchir à la<br />
manière dont nous pouvions mettre en place une<br />
formation musicale, une vraie. Nous l’avons crée dans<br />
une chambre !<br />
Jimi Hendrix disait que les rythmes qu’il créait lui<br />
étaient inspirés par son papier-peint pendant son<br />
sommeil. David, y a-t-il du papier peint dans votre<br />
chambre ? Si oui, est-ce à lui que nous devons la<br />
dimension psychédélique que l’on retrouve dans<br />
vos chansons ?<br />
Probablement. Je ne rêve que dans ma chambre à
l’évidence et nulle part ailleurs. C’est là que la<br />
musique me vient. Quand nous répétions, j’étais en<br />
robe de chambre, tu sais (rires). A peine sortis du lit,<br />
nous branchions les ordinateurs et commencions à<br />
composer. Je crois que ma chambre m’inspire<br />
vraiment. Si bien que vous n’aurez pas à attendre le<br />
second album longtemps. C’est une sorte de scoop<br />
que nous vous livrons. Nous avons déjà bien travaillé<br />
la suite et avons préparé des ébauches du prochain<br />
opus, qui sera beaucoup plus professionnel et<br />
structuré que celui-ci. Rien n’est plus efficace qu’un<br />
studio chambre, donc !<br />
Sur l’album – éponyme – que vous sortez cette<br />
année, on retrouve étonnamment énormément de<br />
couleurs dans les sonorités, à l’image de vos<br />
pulls… J’imagine qu’elles ont été égrenées par les<br />
évolutions et vécus de ces quatre années…<br />
Oui. Je pense que cela revient à ce que vous disiez<br />
sur le papier-peint. Au delà du rêve, notre musique est<br />
le reflet de notre vie, des choses que l’on a<br />
conservées pendant ces quatre ans mais aussi et<br />
surtout pendant l’enfance, des souvenirs, des images,<br />
des bruits. Dans cet album, nous voulions observer<br />
toutes ces choses d’en haut, les mélanger – avec des<br />
parties plutôt mélancoliques et d’autres plus<br />
optimistes. Nous n’avons pas composé que des<br />
chansons, nous avons composé le voyage de nos<br />
vies, avec toutes leurs couleurs.<br />
Propos recueillis par Irina Aupetit-Ionesco.<br />
©Pavla Kopecna
Lisa<br />
Boostani<br />
Série photo publiée le 15 octobre 2014<br />
Photographe et réalisatrice d’origine iranienne et espagnole, Lisa Boostani nait en 1989 à Toulouse. Dès seize ans elle<br />
réalise ses premiers clips et clichés qui documentent la scène artistique toulousaine et ses voyages, notamment en<br />
catalogne. Désireuse d’asseoir une démarche artistique qui prend peu à peu forme, elle suit les cours d’Histoire de l’art de<br />
l’Université du Mirail. En 2012, lors de son voyage à New-York, elle assiste des photographes de mode et développe un<br />
regard singulier sur cet univers ultra-codé. A son retour la même année, elle intègre l’École des Gobelins, à Paris, option<br />
photographie- prise de vue. Elle poursuit en parallèle sa pratique autodidacte de la vidéo en réalisant des clips pour<br />
plusieurs artistes musicaux tel que Zombie Zombie, Benjamin Diamond ou encore DyE…<br />
Faisant dialoguer photographie et cinéma, documentaire et fiction, elle met au centre de son œuvre la narrativité et les<br />
pluralités de l’interprétation. Qu’il s’agisse de ses portraits anonymes ou de paysages désertiques, ses photographies<br />
transfigurent le quotidien, la réalité ordinaire, en scènes cinématographiques. Dans ses images, esthétiques et léchées,<br />
elle se joue des détails, invente des bascules interprétatives. Ce renversement est aussi présent dans ses photographies<br />
de modes : en poussant les modèles dans leurs retranchements, en les incitants à abandonner leurs habitudes faites de<br />
poses figées et de moues avantageuses, elle tente de capter des états tel que l’angoisse, l’hystérie et l’étrangeté.<br />
Sophie Puig.
PHILIPPE<br />
KATERINE<br />
Interview publiée le 10 mai 2014<br />
Nous vous avions parlé de Magnum – le film – dans un précédent article, nous avons cette fois<br />
rencontré l’artiste. Entre une balance et le direct d’une émission télé, Katerine nous parle en toute<br />
simplicité de son projet, de sa collaboration avec SebastiAN, des dictateurs, d’Arielle Dombasle, d’un<br />
saxophone, de la critique et de lui, entre autres… <br />
Magnum c’est tout un projet, un album et un film.<br />
Pourquoi « Magnum » ?<br />
C’est un nom que j’apprécie, je l’ai choisi avant de<br />
faire le disque. Et j’étais obligé de faire quelque chose<br />
de bien avec un nom pareil.<br />
Un rapport avec Tom Selleck ?<br />
Non, pas vraiment. Il y a toutes sortes de choses, des<br />
glaces, des flingues… Après oui, il est peut-être<br />
question du fait d’être un héros de sa propre vie.<br />
Magnum, c’est un héros aussi bien sûr.<br />
Vous êtes un éternel insatisfait de votre travail, et là,<br />
vous sortez 12 clip de 12 titres, vous faites un film<br />
avec l’album, est-ce que vous êtes satisfait de ce que<br />
donne le projet fini ?<br />
Oui, sinon, je ne le sortirais pas. Je fais plein de<br />
choses, des chansons, des disques entiers que je ne<br />
sors pas, parce que je ne les trouve pas bien ! Donc il<br />
faut que j’estime, quand c’est fini, que ce soit<br />
vraiment le maximum que je puisse faire, et que ce<br />
disque-là soit essentiel à la communauté. Peut-être<br />
que je me trompe, enfin il faut que j’en sois persuadé<br />
au moment où ça sort, sinon je ne fais rien.<br />
Comment est venue l’idée du film ?<br />
Elle est venue assez tôt. A un moment donné, cela<br />
devait être un film sur une croisière, et puis aucune<br />
compagnie de croisière n’a été intéressée, sûrement<br />
pour leur image, ou je ne sais pas trop d’ailleurs, je<br />
n’ai même pas cherché à savoir. Ce qui fait qu’après,<br />
le film s’est construit sur le fait que le bateau était<br />
échoué, et c’est là que commence l’histoire. Donc j’ai<br />
recommencé le scénario une fois que j’ai eu tous les<br />
refus.<br />
Le scénario était complètement écrit, ou vous avez<br />
laissé une grande part d’improvisation ?<br />
Non, il n’était pas complètement écrit, mais il n’y<br />
avait pas énormément d’improvisation non plus. On<br />
travaillait sans, comment on appelle ça au cinéma…<br />
sans bible ! Personne ne savait trop ce qu’on allait
faire le lendemain, ça se décidait un peu au dernier<br />
moment.<br />
Vous avez fait de nombreuses collaborations dans le<br />
cinéma, des bandes-son, des seconds rôles, mais là<br />
c’est un film sur vous, est-ce que ça marque une<br />
nouvelle étape dans votre carrière ?<br />
J’aime le cinéma, mais je n’ai jamais eu de rêve de<br />
cinéma. Tu vois, j’m’en fous de faire un film ou pas,<br />
ce qui compte c’est que je m’exprime. Après, cela<br />
peut-être en dessin, en chanson, en cinéma. Le<br />
cinéma n’a jamais été un rêve. Par contre j’ai adoré le<br />
faire, ça m’a vraiment plu, j’ai trouvé que c’était une<br />
expérience vraiment incroyable, qui me correspondait<br />
à ce moment-là. En plus on était vraiment en petit<br />
comité donc on était très peu à décider, il n’y avait<br />
pas de réunion avec des producteurs quelconques.<br />
C’est juste qu’ils nous faisaient confiance, on était<br />
super libres de faire ce qu’on voulait. Je pense que<br />
cela ne se reproduira pas tous les ans.<br />
Pas d’autres projets de cinéma ?<br />
Non. Bon, j’écris toujours des petits trucs comme ça.<br />
Après ce sont les circonstances de la vie qui font que<br />
ça se passe ou pas, mais ce n’est pas du tout un rêve<br />
pour moi, j’vous jure.<br />
Concernant l’album, il est plus intime que les<br />
précédents. On retrouve le thème de la maternité, la<br />
paternité, etc. Est-ce que vous êtes un papa trop<br />
papa ? Est-ce que vos enfants seront des dictateurs ?<br />
Non, je suis peut-être un papa trop maman ! C’est<br />
fort possible. J’espère que non bien sûr, mais c’est<br />
vrai que tout se passe dans l’éducation, même avant<br />
les trois ans il paraît !<br />
Avant trois ans ?<br />
Oui, avant trois ans tout est joué. C’est ce que j’ai lu<br />
dans un livre.<br />
Il faut s’y prendre tôt !<br />
Très tôt même ! Personnellement, peut-être que tout<br />
a été joué avant trois ans, mais moi j’ai l’impression<br />
de faire des choses avec ce qui s’est passé avant<br />
mes quatorze ans. C’est-à-dire, je ne jouais pas<br />
forcément au dictateur mais j’avais pas mal de<br />
problèmes de communication, et tout ce qu’il s’est<br />
passé avant mes quatorze ans, c’est encore ça dont<br />
il s’agit aujourd’hui.<br />
Vous avez commencé à écrire les « Mariages<br />
chinois », votre premier album, seul, est-ce que vos<br />
processus d’écriture ont évolué depuis ?<br />
A chaque fois que j’ai fait un disque cela n’a jamais<br />
été la même chose en fait. Parfois j’ai enregistré un<br />
disque avec des groupes, parfois tout seul, j’ai fait un<br />
disque tout seul à la guitare aussi. Là c’était avec un<br />
DJ, SebastiAN. Je n’avais jamais fait ça. J’ai procédé<br />
comme les gens du hip-hop le font, c’est-à-dire qu’ils<br />
reçoivent des instrumentaux et ils s’expriment<br />
dessus.<br />
Comment s’est passée cette collaboration avec<br />
SebastiAN ?<br />
Je recevais des instrumentaux de lui, que j’adorais.<br />
Après, dans ma chambre, j’inventais les mélodies et<br />
les textes en même temps. Je n’avais jamais fait ça<br />
avant. Là c’est vraiment une collaboration. Des fois tu<br />
fais des disques plus personnels, de façon plus<br />
intime, mais qui au fond sont plus éloignés de toi.<br />
Alors que là, quand tu collabores à deux, tu peux<br />
faire des choses plus intimes que tu ne l’aurais fait<br />
tout seul.<br />
L’album parle de travestissement, « efféminé », « sexy<br />
cool », vous pouvez être Dean Martin, beaucoup de<br />
choses, et donc finalement, Katerine, qui êtes-vous ?<br />
J’en sais rien, et d’ailleurs je ne veux surtout pas le<br />
savoir !<br />
Par exemple, l’album est introduit par la chanson<br />
Delta qui ne comporte que quelques mots : « surtout,<br />
surtout, surtout, ne soyez pas vous-même ».<br />
Oui, j’ai l’impression que je suis multiple, donc<br />
j’essaie d’en profiter. Je pense que pour la plupart<br />
des gens, il y a une foule de gens dans les gens !<br />
Personne n’est tout seul à l’intérieur de soi. C’est vrai<br />
que je suis parti un peu de cette phrase.<br />
Cette phrase qui est dite par Arielle Dombasle dans le<br />
film…<br />
Oui. C’est elle qui me l’a dite aussi dans la vie.<br />
Comment ça ?<br />
On a fait un disque ensemble et je lui ai demandé : «<br />
Ce serait bien si vous étiez vraiment vous-même pour<br />
chanter cette chanson » - une chanson que je lui<br />
avais composé. Et elle est partie sur ses grands<br />
chevaux, en me disant : « mais pourquoi être moimême,<br />
quelle horreur, vous n’y pensez pas ! » Et ça<br />
m’a fait drôlement réfléchir. Je me suis dit « mais elle<br />
a bien raison, c’est ridicule au fond », de vouloir être<br />
soi-même.<br />
Pouvez-vous définir le concept Sexy cool, titre d’une<br />
chanson de l’album ?<br />
Il n’y a pas vraiment de concept en fait. C’est un truc<br />
fuyant, comme je les aime, il ne reste pas en place.<br />
C’est très large, toujours en mouvement. On ne peut<br />
pas situer « Sexy Cool », on ne peut pas savoir ce<br />
que c’est vraiment.<br />
Pas de définition précise…<br />
Non, surtout pas.<br />
Dans la chanson ADN, vous vous essayez au<br />
saxophone ?<br />
J’ai découvert le saxophone il y a un an à peu près, et<br />
je m’en suis acheté un. J’ai découvert que je pouvais<br />
y jouer facilement, parce que ce n’est pas comme la<br />
trompette, je veux dire, il y a un son. J’en joue de<br />
temps en temps.<br />
Vous avez pris des cours ?<br />
Non, pas du tout, je n’ai pas appris. Je réagis à<br />
l’instinct (rires).<br />
Ça se sent dans la chanson. C’est un peu comme du<br />
free-jazz ?<br />
Oui, voilà, free ! Avant d’être jazz, c’est d’abord free !
(Rires) Après il faut savoir trouver l’orthographe du<br />
mot « free » ! Ça peut se finir avec un « t » aussi,<br />
non ? « Frit », quoi. Je n’ai pas joué beaucoup de<br />
minutes dans ma vie, mais j’adore ça ! Je faisais des<br />
reprises avec Francis et ses peintres, des reprises de<br />
chansons françaises. Il me laissait un solo sur « La<br />
Boîte de Jazz » de Michel Jonasz. Tous les soirs<br />
j’avais droit à un solo, une improvisation, j’adorais<br />
cela ! Des fois c’était affreux, d’autres fois c’était<br />
super. Donc, j’ai rencontré un ami ! Qui s’appelle<br />
Jean-Philippe. C’est le nom de mon saxophone.<br />
Le nom du saxophone ?<br />
Du saxophone, oui. Jean-Philippe. Le prolongement<br />
de mon corps.<br />
Vous avez des conversations avec ?<br />
Oui, et on a dormi ensemble ! C’est pas évident de<br />
dormir avec un saxophone, je ne vous le conseille<br />
pas. C’est affreux.<br />
C’est plus facile de dormir avec un poisson ?<br />
C’est beaucoup plus difficile. Parce que le saxophone<br />
est vivant ! Le poisson, quand je dormais avec dans<br />
le film, il était mort. Le saxophone, lui, est toujours<br />
vivant.<br />
D’autres projets ? Vous faites beaucoup de choses,<br />
de la chanson mais aussi du dessin, du cinéma…<br />
Oui, je fais des dessins pour un livre, avec Julien Baer<br />
qui fait des chansons, et après je verrai. Je ne sais<br />
pas du tout ce que je vais faire.<br />
Et pas de cinéma, donc ?<br />
J’ai joué dans un film de Benoît Forgeart, qui<br />
s’appelle Gaz de France, je joue le président de la<br />
République, quand même.<br />
Qu’est-ce que ça fait d’être président, après avoir été<br />
dictateur ?<br />
Je n’ai pas trop aimé ! Dictateur, je préfère, au moins<br />
c’est franc jeu. Par contre je pense que le film va être<br />
génial. Parce que Benoît Forgeart est lui-même<br />
génial.<br />
Comment les idées vous viennent-elles ? Un matin,<br />
vous vous levez, et vous pensez à Magnum ? Ou c’est<br />
le fruit d’une mûre réflexion ?<br />
Non, ce n’est jamais très mûr, comme ça, cela évite<br />
que ce soit pourri. C’est plutôt instinctif. Je préfère<br />
faire les choses un peu dans l’urgence, parce que<br />
sinon je commence à intellectualiser et ce n’est pas<br />
bon pour moi ! Je ne crois pas que ce soit bon de<br />
réfléchir. Pour moi, en tout cas. Je préfère être dans<br />
un mouvement, en action. Donc, rien n’est prévu ! Au<br />
fond, c’est écrit mais rien n’est prévu. Après je<br />
m’adapte à l’environnement, à la température, à ce<br />
que j’ai mangé, à l’ambiance dans une pièce. Je<br />
préfère avoir un bout de papier et pouvoir le déchirer<br />
si besoin est.<br />
Quel est votre rapport à la critique ?<br />
Moi je fais des disques, c’est un travail. Il faut que<br />
l’auditeur fasse un travail aussi. S’il n’a pas envie de<br />
le faire, le disque n’existe plus. Je préfère laisser mes<br />
textes ouverts, que ça ne soit totalement fini. Pour<br />
cela j’ai besoin d’un auditeur qui soit disponible. Or,<br />
certaines personnes ne le sont pas, pour des raisons<br />
qui leur sont personnelles, peut-être sûrement leurs<br />
problèmes, leur vie privée, qui les rendent<br />
complètement indisponibles. On ne peut pas lutter<br />
contre ça. J’ai lu cette critique de Télérama, en effet.<br />
Elle est affreuse ! Parce que c’est quelqu’un qui ne<br />
voit que ses problèmes à elle, qui parlait<br />
éternellement de testicules, de couilles, je ne sais pas<br />
quoi. Alors que dans mon disque il s’agit de trente<br />
secondes, mais elle n’a vu que ça. Il s’agit plus de<br />
ses problèmes personnels que des miens ! Mes<br />
disques ne peuvent pas marcher si une personne est<br />
bloquée sur ses a priori personnels. Ca ne peut pas<br />
fonctionner.<br />
C’est pour vous à l’auditeur de faire la deuxième<br />
moitié du chemin ?<br />
C’est ce que j’espère tout le temps. C’est pour cela<br />
que des fois je fais des textes qui paraissent courts,<br />
ou suggérés ! Parce que je pense qu’un texte s’écrit à<br />
deux. Pour moi, l’horreur, et ça m’est déjà arrivé,<br />
c’est de me regarder écrire. Il y a beaucoup de gens<br />
qui se regardent écrire quand il font leurs textes de<br />
chansons, c’est un truc que je renifle tout de suite. «<br />
Regardez comme j’écris bien, regardez comme ma<br />
phrase est bien tournée ». Je fuis ce genre de<br />
sentiment, parce que souvent quand on se regarde<br />
écrire, on ferme des portes. Et peut-être que certains<br />
auditeurs non disponibles se sentent rassurés ! Mais<br />
en tout cas ce n’est pas du tout ma démarche. Il faut<br />
quelqu’un qui ait envie.<br />
Qu’est-ce que vous évoque « Crumb » ?<br />
Ca me fait penser au dessinateur. J’ai vu l’expo au<br />
Musée d’Art Moderne, à Paris. Elle était<br />
extraordinaire ! Je partage beaucoup de goût en<br />
commun avec Crumb… Une inspiration pour le<br />
dessin, j’adore aussi le bouquin qu’il a fait avec sa<br />
femme. Je trouve que l’idée est extraordinaire.<br />
Chacun travaille sur le même bouquin dans un<br />
couple, en réponse à l’autre dans une conversation<br />
qui n’en finit pas, c’est extraordinaire. C’est un grand<br />
artiste. Vous avez un grand nom.<br />
Propos recueillis par Cécile Lienhard.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.<br />
Une question sur la critique : dans la critique de<br />
l’album par Télérama, ils écrivent de vous que vous<br />
êtes « un entubeur à vide »…<br />
Oui, j’ai lu ça aussi !
BUSY P<br />
PEDRO WINTER<br />
Interview publiée le 13 juin 2013<br />
Il fallait être sur Mars pour ne pas avoir entendu un seul mot à propos de la petite bande d’Ed Banger<br />
Records ces derniers mois : passées dix années d’exigence électronique, de fêtes folles et furieuses et<br />
de dénichage de perles dansantes, l’équipe de Pedro Winter a décidé de stopper son rythme habituel<br />
pour porter durant un an un costume d’anniversaire. Dix années, c’est long, et pourtant ils tiennent le<br />
cap. Après nous avoir offert une fête folle à la Grande Halle de la Villette en Mars dernier, un livre/roman<br />
photo, et une tournée mondiale actuelle, voici venu le temps pour Ed Banger Records de s’adonner à ce<br />
qu’il sait faire de mieux : de la musique. Ed Rec. Vol X fait office de délicieuse cerise sur le cadeau pour<br />
fêter l’âge à deux chiffres du petit mais gigantesque label parisien. Rencontre avec son boss. <br />
Comment s’est passée cette première moitié<br />
“d’année-anniversaire” ?<br />
Bien ! On a ouvert les hostilités au mois de mars avec<br />
notre soirée d’anniversaire le 1 er , une date précise<br />
inventée, parce qu’on ne savait plus le jour exact. Il y<br />
a eu la grosse fête à la grande Halle de la Villette, que<br />
l’on a appelé Ed Banger Land, avec un espèce de<br />
parc d’attraction sur le lieu. Tout s’est d’ailleurs super<br />
bien passé, à la hauteur de nos espérances et de<br />
notre ambition.<br />
Nous voulions que les gens gardent un souvenir un<br />
peu plus saisissant qu’une énième soirée ou festival<br />
electro. Nous avons tenu notre pari, je crois. Le plus<br />
beau compliment qu’on nous ai fait c’était de nous dire<br />
“La fête d’anniversaire d’Ed Banger, dans dix ans je<br />
pourrai dire : j’y étais”. On ne voulait pas s’arrêter à la<br />
capitale, cependant. On donc prévu exactement dix<br />
dates dans le monde. Il y a déjà eu Paris, Londres,<br />
Bruxelles, et ce week-end on part à Barcelone, au<br />
Sonar pour la quatrième date. On a décidé de<br />
célébrer ça sur un an, on ne va pas se gêner !<br />
En plus de ces dates nous avons aussi fait avec So<br />
Me un livre de photos dans lequel on partage nos dix<br />
ans d’aventure : Travail Famille Party. Les gens<br />
auraient pu s’attendre à du graphisme, mais on a<br />
choisi de faire un livre de photos dans lequel on a<br />
intégré une petite discussion entre Bertrand (So Me),<br />
moi, et Jean Baptiste Modino qui est un photographe<br />
qu’on aime bien.
Etant donné que c’est un livre de photos on voulait<br />
avoir le regard de quelqu’un dont c’est le métier. Il y a<br />
donc les soirées, le livre, et maintenant la fameuse<br />
compilation Ed Banger Records volume X. On célèbre<br />
les dix ans dans tous les sens et sous toutes les<br />
formes !<br />
Au niveau du world-tour, y a-t-il des dates qui te<br />
font frétiller d’avance ?<br />
Ça serait injuste de n’en choisir qu’une. Les dix me<br />
font vibrer ! On a choisi de faire précisément dix dates<br />
par rapport aux dix ans mais dans des villes dans<br />
lesquelles on se sent bien, avec lesquelles on a des<br />
affinités, des rendez vous, des habitudes. Si je devais<br />
n’en choisir qu’une je citerai peut être la dernière à<br />
Mexico, où ça risque d’être assez intense ! On n’a pas<br />
encore vraiment confirmé la date mais on risque de<br />
faire ça au moment de la fête des morts là bas, vers le<br />
2 ou 3 novembre. Ca va rajouter un peu d’intensité à<br />
l’événement car le pays sera en fête à ce moment là.<br />
Et puis Mexico est une ville assez exotique où j’ai du<br />
aller deux ou trois fois, contrairement aux autres villes<br />
où j’ai mes habitudes.<br />
D’autres qui te font, ou t’ont fait peur ?<br />
Paris. J’avais peur évidemment. On est chez nous, les<br />
gens sont beaucoup plus critiques et le projet était<br />
quand même beaucoup plus ambitieux. Ed Banger<br />
Land dans la Grande Halle, 7000 tickets à vendre –<br />
ce n’est pas rien – avec l’envie que les artistes du<br />
label soient surpris… Tout ça a fait que, en effet,<br />
j’avais un peu peur.<br />
Entre Ed Banger Land et plus récemment les<br />
platines du Social Club, comment sens tu le<br />
public parisien en ce moment ?<br />
Je le sens plutôt bien. Tu sais, j’ai beaucoup entendu<br />
parler du petit drama “Paris est mort, plus personne<br />
ne sort, on ferme toutes les boites et les bars” mais je<br />
trouve que le public parisien est toujours présent, et<br />
tellement large. Au contraire, je trouve même qu’il se<br />
passe plein de chose ! Quand tu vois le Wanderlust,<br />
le Nüba, le Social Club qui se porte bien, et que tu<br />
entends parler de la Concrete qui fait un carton, le<br />
paysage nocturne est plutôt en forme. Après, moi,<br />
personnellement, je sors de moins en moins, je<br />
deviens une vieille dame, tu sais (rires).<br />
Quels étaient les enjeux en faisant une<br />
compilation qui célèbre les dix ans d’un label<br />
aussi libre, éparse et pointu qu’ Ed Banger ?<br />
Je vais te dire la vérité : en faisant la Ed Rec X on<br />
avait le choix de faire soit ce que l’on a fait, soit une<br />
rétrospective, un espèce de best of. Mais je trouvais<br />
ça un peu opportuniste et pas excitant, tout<br />
simplement. J’ai donc proposé aux artistes de<br />
continuer ce qu’on avait commencé, dans l’esprit des<br />
trois premiers volumes. Au final, on a sorti trois<br />
compilations en 10 ans et là était le clin d’oeil, sauter<br />
du 4 au 10 pour marquer le coup. C’est une
compilation qui tombe l’année des dix ans mais qui<br />
n’est pas du tout tournée vers le passé, ou vers une<br />
certaine forme de célébration et de nostalgie. C’est<br />
plutôt histoire de se dire : « Après 10 ans de boulot<br />
qu’est ce qu’on est capable de faire et de proposer de<br />
différent ? » J’espère qu’on propose au final quelque<br />
chose d’autre que ce que les gens connaissent de<br />
nous ou du paysage actuel de la musique<br />
électronique française et même mondiale.<br />
Rassembler les troupes n’a pas du être une mince<br />
affaire… Tu peux nous balancer les bons et les<br />
mauvais élèves ?<br />
C’est marrant que tu parles de ça, parce que j’ai fait<br />
une petite campagne pendant la production de ce<br />
disque, où je marquais ceux qui m’avaient rendus les<br />
morceaux et ceux qui ne me l’avait pas encore fait.<br />
C’est vrai que je courrais un peu après tout le monde,<br />
mais c’était plus une histoire de planning que d’envie.<br />
La chance qu’on a avec le label, c’est qu’on arrive<br />
facilement à réunir et à fédérer tous les artistes, tout le<br />
monde est content d’y participer.<br />
D’ailleurs, le plus mauvais élève de la compil’ c’était<br />
moi ! J’ai rendu mon morceau le dernier alors que<br />
normalement je suis censé montrer l’exemple. Il y a<br />
aussi eu Cassius par exemple qui a eu un peu de mal<br />
à faire son titre, mais c’est justement dans la douleur<br />
qu’ils ont donné naissance à Sunchild, un morceau<br />
assez incroyable qui rend un bel hommage à Mehdi.<br />
C’est d’ailleurs pour moi le morceau qui sort<br />
complétement du lot.<br />
Qu’est-ce que tu peux nous dire sur ton EP, ce<br />
« Still Busy ». Ce n’est pas une façon de nous dire<br />
que tu es toujours dans les parages ?<br />
C’est un double message. Ta vision n’est pas<br />
mauvaise. Mais je veux un peu plus dire que<br />
l’excitation et l’envie sont toujours là. J’hallucine<br />
toujours quand on me fait des demandes à droite à<br />
gauche, de l’intérêt des gens qui nous appellent pour<br />
faire des articles, même après douze ans de Daft<br />
Punk et dix ans d’Ed Banger. Ca me fait toujours<br />
plaisir. C’est cela qui me donne envie de continuer.<br />
Cet EP va plus dans ce sens là. Il y a également un<br />
autre morceau un peu plus sombre sur la face B, qui<br />
est aussi, peut-être une façon de montrer où j’ai envie<br />
d’aller, m’éloigner d’une certaine caricature de la<br />
musique électronique française qui ne m’intéresse pas<br />
des masses.<br />
Tu peux nous en dire plus sur ton album en<br />
préparation avec Boston Bun ?<br />
Je n’en suis pas encore là ! Je suis une limace (rires).<br />
Je n’en suis qu’à trois sorties en dix ans ! La grosse<br />
bonne nouvelle, si cela t’intéresse, c’est que j’ai trouvé<br />
les gens avec qui le faire, le studio où le travailler,<br />
ainsi que la méthode à adopter. C’est ce qui m’a pris<br />
le plus de temps. Je ne sais pas, je pense que ça ne<br />
va pas être un disque déprimant mais disons que la<br />
tendance de cet album va plus fonctionner à<br />
l’émotion. C’est ça la musique que j’ai envie de faire<br />
aujourd’hui.<br />
Cette collaboration avec Boston Bun et son<br />
electro-house un peu rétro, ce aussi une envie de<br />
retour aux sources, au commencement ?<br />
Complètement. Musicalement je ne me suis jamais<br />
éloigné de la House Music avec laquelle j’ai<br />
commencé. Tous les disques qui sont ici (dans les<br />
locaux de Ed Banger ndlr.) le prouvent. Même si les<br />
couleurs du label partent ailleurs, les fondations n’ont<br />
jamais été loin. Le projet Carte Blanche de Mehdi et<br />
Riton était une ode à Chicago par exemple. Je ne<br />
m’en suis jamais senti éloigné même si la musique<br />
que je jouais et que je faisais était différente<br />
Évidemment, quand j’ai écouté ce que faisait Boston<br />
Bun, je me suis dit : “Le mec comprend vraiment le<br />
genre, sauf qu’il le reproduit avec les outils et la<br />
production d’aujourd’hui”. Et j’ai cette envie de retour<br />
aux sources, de sortir des vinyles, de faire quelque<br />
chose d’un peu plus personnel, intime. Au niveau de<br />
sa musique, je sais qu’on ne va pas avoir la même<br />
campagne que sur Justice ou Breakbot par exemple,<br />
mais c’est un projet qui m’excite tout autant.<br />
Dis moi, comment se fait-il qu’il y ait si peu de<br />
filles chez Ed Banger ?<br />
Je ne me l’explique pas justement ! Je pense que je<br />
t’aurais déçue si j’avais eu une explication ! C’est une<br />
histoire de rencontres, d’opportunités… J’aurais adoré<br />
signer AlunaGeorge (interview à lire page 36, ndlr), et<br />
plein d’autres artistes féminines, mais ça ne s’est pas<br />
présenté. Uffie (interview à lire page 290, ndlr) c’était<br />
un heureux accident mais qui malheureusement ne<br />
s’est pas prolongé puisqu’on a arrêté de travailler<br />
ensemble il y a un peu plus d’un an maintenant. En<br />
tous cas ça ne vient pas du tout d’une envie de ne pas<br />
travailler avec des filles, au contraire. Mais sinon je<br />
suis là moi pour apporter la touche féminine au label.<br />
J’essaie du mieux que je peux (rires) !<br />
C’est une jolie fin ça ?<br />
Propos recueillis par Margaux Bouteldja<br />
Photos : Julot Bandit, pour Crumb magazine
IGGY<br />
Interview publiée le 18 juin 2013<br />
AZALEA
Il faut le dire, la perspective de passer une demie heure à la rencontre de la jeune Australienne Iggy<br />
Azalea, était aussi excitante qu’inquiétante. Qui est-elle réellement ? Allions-nous nous retrouver face à la<br />
même fille brut et sexy que dans ses clips, sulfureux et menaçants ? Passée la sortie de plusieurs<br />
mixtapes et d’un EP, sous l’aile de Diplo et TL, il était temps pour la demoiselle de s’attaquer à un premier<br />
album attendu pour la fin de l’année. A cette occasion, rendez-vous était donné avec la musicienne dans<br />
un hôtel parisien, près des Champs Elysées, un jour ensoleillé de Juin. Nous voici donc dans une<br />
chambre parfumée, seuls. Iggy est en train de faire une autre interview, pendant que nous tentons de<br />
scruter le son de sa voix. Je stresse un peu, il faut le reconaître. Dans quelques minutes c’est moi, face à<br />
la jeune fille. Du retard, comme souvent lors des journées promo, qui me fait attendre “LE” moment. Et<br />
c’est pile à cet instant que la porte s’ouvre : elle est là, face à moi (ou plutôt au dessus tant sa taille est<br />
vertigineuse), elle me tend la main avec un grand sourire : « Hey, my name is Iggy ! ».<br />
Salut Iggy, ce n’est pas un peu frustrant de passer<br />
deux jours à Paris, enfermée dans une chambre<br />
d’hôtel, à répondre à des journalistes aux accents<br />
horribles ?<br />
(Rires) Ca ne me dérange pas du tout de discuter<br />
avec vous, malgré vos accents bizarres, mais j’aurais<br />
bien aimé avoir un peu de temps pour faire les<br />
magasins. Paris est sûrement une de mes villes<br />
préférées, pour dépenser mon argent et me balader,<br />
donc je suis un peu triste de ne pas pouvoir le faire.<br />
Je m’organiserai ça un peu plus tard !<br />
Tu as récemment fêté tes 23 ans. Qu’est-ce-qui a<br />
changé pour toi depuis ton dernier anniversaire ?<br />
Je pense que j’étais un peu perdue. J’avais décidé de<br />
ne pas sortir un premier album à tout prix et au plus<br />
vite, donc les gens me prenaient un peu pour une<br />
dingue. Je ne savais pas ce que je devais faire ou ce<br />
qui allait arriver à ma carrière, si ce n’est que<br />
j’envisageais de sortir un album, mais sans savoir<br />
comment, ni avec quel label, et quelles personnes<br />
pour m’aider… Cette année, on peut dire que tout va<br />
mieux : j’ai signé chez Mercury et Def Jam avec deux<br />
singles sur les rails, je suis beaucoup plus sereine.<br />
Tout semble être arrivé vite et facilement…<br />
Ca a été facile quand les choses se sont<br />
enclenchées. Je cherchais un label depuis longtemps,<br />
et j’ai décidé d’arrêter de démarcher l’année dernière<br />
pour expérimenter, trouver mon véritable “son”, en<br />
sortant des EP et des mixtapes. Une fois passée cette<br />
étape, je suis repartie à la recherche d’un label pour<br />
mon album, et le choix de Dej Jam Records s’est très<br />
vite imposé. Travailler avec eux et Mercury est<br />
vraiment un plaisir, ils ont compris où je voulais aller,<br />
avec une réelle passion pour la musique, ce qui n’est<br />
pas actuellement pas le cas partout. De plus en plus<br />
de businessmen s’intègrent malheureusement dans le<br />
milieu.<br />
Comment décrirais-tu la Iggy Azalea de 2013, par<br />
rapport à celle de 2012 ?<br />
Probablement un peu moins irrationnelle et dépassée<br />
! (Rires) Mais toujours un peu irrationnelle quand<br />
même ! Je pense que l’année dernière, beaucoup de<br />
choses incroyables me sont arrivées pour la première<br />
fois, donc ma réaction était extrême, du genre : “Wow<br />
! Qu’est ce qui m’arrive? C’est dingue !”, alors que ces<br />
mêmes choses se répètent maintenant, mais j’ai plus<br />
d’expérience pour les comprendre. Je me sens plus<br />
calme, et un peu moins sensible aux rouages de<br />
l’industrie musicale. Je ne suis pas une Iggy Azalea<br />
adulte, mais plutôt “grandie”.<br />
A l’écoute de tes deux nouveaux singles, Bounce et<br />
Work, on ressent vraiment une influence plus dance.<br />
Tu es d’accord avec ça ?<br />
Bien sûr. Pour Work, j’ai été énormément influencée<br />
par Bombs Of Bagdad de Outkast, que j’écoutais<br />
énormément : c’est une chanson très dansante,<br />
parfaite pour une soirée, mais avec en même temps<br />
un message vraiment intéressant et sérieux, sans<br />
empêcher les gens de danser dessus. J’ai eu envie<br />
de faire exactement pareil. On me demande très<br />
souvent de raconter mon histoire mais ma vie est<br />
tellement sérieuse ! Je ne veux pas que les gens se<br />
sentent triste là-dessus, je veux qu’ils s’amusent. J’ai<br />
donc voulu raconter mon histoire, sans être<br />
déprimante, et en laissant les gens s’amuser dessus.<br />
Je préfère laisser un message positif, en expliquant<br />
que je n’ai pas eu une jeunesse facile mais que je<br />
m’en suis parfaitement sortie ! J’ai ensuite sorti<br />
Bounce pour ne pas arrêter mon message positif, ça<br />
aurait été dommage de mettre aussi vite fin à la fête !<br />
Celle-ci est parfaite pour l’été.<br />
Dans tous les cas, il y aura une alternance entre<br />
chansons “concrètes” et dansantes sur mon album.<br />
Pour l’instant, il y a plus de titres sérieux que l’inverse,<br />
mais je me disais justement ce matin que je devrais<br />
penser à ré-équilibrer la balance. C’est important<br />
d’avoir un mélange des deux. Je ne veux pas qu’on se<br />
sente triste en m’écoutant mais je n’ai pas non plus<br />
envie qu’on pense que suis une fille complètement<br />
superficielle qui pense juste à s’amuser.<br />
Work est un peu une réponse à tes détracteurs…
Est-ce que je l’ai écrite en ayant ça derrière la tête ?<br />
J’y pense tous les jours ! (Rires). Des tonnes de gens<br />
essayent de me discréditer, disent que je joue un rôle,<br />
que ce n’est pas logique qu’une fille comme moi fasse<br />
du rap, alors qu’énormément de personnes dans le<br />
monde s’ouvrent à des choses qui ne les concernent<br />
pas directement à la base. Ils ne comprennent pas<br />
que je fais tout cela sincèrement. J’ai voulu montrer<br />
avec ce titre que je faisais les choses avec le cœur.<br />
Je me suis démenée pour en arriver là où j’en suis<br />
aujourd’hui et ça n’a pas été facile. C’est difficile de<br />
trouver sa place dans un milieu très apprécié et<br />
critique. Je suis fière d’avoir trouvé la mienne. Donc<br />
oui, je pense souvent à ces gens et je leur dis “Fuck<br />
You guys !” (Elle nous fait deux doigts d’honneur, un<br />
grand sourire aux lèvres, ndlr.)<br />
Est-ce que tu ne trouves pas un peu ennuyant le fait<br />
que les hommes te considèrent plus comme un sexsymbol<br />
en puissance plutôt qu’en tant que vraie<br />
rappeuse ou musicienne ?<br />
J’y ai déjà réfléchi. Je n’ai jamais fait de musique pour<br />
ce type de personnes. Si tu entends mon message,<br />
mais que tu ne le comprends pas, c’est que ce que je<br />
fais n’est pas pour toi ! Ils peuvent continuer à me<br />
regarder mais au final, ils ne cerneront jamais qui je<br />
suis. J’essaie donc de ne pas trop y penser. Je<br />
préfère me dire : “Peut être que j’ai quelques vues<br />
Youtube en plus juste pour mes fesses, c’est pas trop<br />
grave” (rires). Ca m’embêterait vraiment si j’avais des<br />
millions de vues Youtube pour mes clips, en vendant<br />
à côté seulement dix singles. Peut être qu’il y a des<br />
mecs qui me regardent uniquement moi, dans mes<br />
vidéos, mais à côté de cela, d’autres achètent ma<br />
musique et s’y intéressent, donc ça me va.<br />
Tu es consciente que tu es devenue une sorte<br />
d’image que les gens et les marques veulent…?<br />
Je le sais, oui, mais j’essaie de ne pas trop m’investir<br />
là dedans pour le moment. Je n’ai pas sorti d’albums,<br />
donc je fais attention. J’adore faire des campagnes<br />
pour Levi’s, ou présenter une émission pour MTV<br />
comme je l’ai récemment fait -j’ai carrément<br />
interviewé Brad Pitt !- mais je ne veux pas que les<br />
gens me découvrent et me considèrent autrement<br />
qu’en tant qu’artiste, plutôt que comme un modèle<br />
pour une marque de jeans… Dès le moment où j’aurai<br />
vraiment fait mes preuves avec mes morceaux, je me<br />
permettrai d’aller un peu plus dans cette voix (…)<br />
Cela crée de la confusion chez les gens qui se<br />
demandent à quel point je suis investie dans la<br />
musique et pensent que c’est juste un prétexte, alors<br />
que je suis complètement dedans ! Sauf que c’est en<br />
même temps difficile de refuser des opportunités<br />
aussi intéressantes, donc je fais attention. Je pèse la<br />
balance, et j’essaie de faire en sorte que les “à-côtés”<br />
ne dépassent pas ma musique. Pas mal de gens<br />
seraient surpris en découvrant à quel point je suis<br />
investie dans le travail d’écriture des mes titres, des<br />
paroles jusqu’à la musique. Je reste toujours avec<br />
mes amis producteurs (Diplo ou Steve Aoki, entre<br />
autres, ndlr) quand on travaille ensemble, du premier<br />
beat jusqu’au morceau complet, et ce genre de<br />
choses appuient ma crédibilité en tant qu’artiste.<br />
Tu produis tes morceaux toi-même ?<br />
J’aimerais tellement ! J’ai souvent collaboré avec<br />
B.O.B, sur Best Friends ou Million Dollar Misfits, et il<br />
produisait à chaque fois ses titres, en jouant du piano<br />
et d’autres instruments. Je l’observais et je me disais<br />
« J’aimerais tellement savoir faire ça…! ». Pour<br />
l’instant, j’en suis au stade où je dirige les opérations<br />
pendant la composition. Je donne la marche à suivre,<br />
en essayant de coller à mon univers. Mais la<br />
production est quelque chose que j’aimerais<br />
développer personnellement, pour le futur.<br />
Je préfère travailler avec un tout petit cercle de<br />
producteurs, Diplo, Steve ou The Invisible Men, avec<br />
qui j’ai de réels liens d’amitiés, qui comprennent<br />
maintenant exactement ce vers quoi je veux aller. Je<br />
reçois énormément de productions via Internet, mais<br />
je pense que c’est important de rester avec des gens<br />
qui te connaissent pour rester fidèle à ton propre son.<br />
Surtout qu’en général, ils m’écoutent vraiment afin de<br />
savoir ce que je veux moi, exactement, et ça me<br />
semble primordial.<br />
Et ce serait quoi, par exemple, une production parfaite<br />
pour Iggy Azalea ?<br />
Question compliquée ! J’adore ce que font Diplo ou<br />
Steve Aoki ; ils n’ont pas peur de s’essayer à<br />
différents styles. Surtout Diplo. Ce qu’il a fait avec<br />
Major Lazer est incroyable. Il adore le reggae, mais il<br />
y a aussi insufflé sa passion pour l’électro et le hiphop.<br />
Le résultat est explosif, et c’est vraiment dur de<br />
mélanger autant de genres. C’est pour ça que je<br />
l’admire. Tout comme Steve Aoki, qui m’a réellement<br />
initié à la musique électronique, alors que je n’étais<br />
pas du tout réceptive au genre auparavant.<br />
Est-ce que “Crumb” t’évoque quelque chose ?<br />
Robert Crumb ! C’est un dessinateur de BD<br />
complètement dingue ! C’est pour cela votre nom ?<br />
Entre autres, oui !<br />
Vraiment ? Je ne pensais pas, c’est génial ! C’est<br />
marrant parce que je le cite souvent en interview, en<br />
répétant tout l’amour que j’ai pour lui. Je le trouve<br />
brillant. J’ai adoré sa relecture complète de la Bible.<br />
Pareil pour son travail sur les femmes : il les<br />
sexualisait énormément, mais je trouvais ça vraiment<br />
intéressant. Je ne suis pas particulièrement religieuse,<br />
donc ça ne m’a jamais offensée. J’ai plus globalement<br />
toujours adoré sa façon de voir le monde et de le<br />
traduire dans ses dessins. Il a pour moi le meilleur<br />
coup de crayon de toute l’histoire du cartoon.<br />
Mon père était lui aussi dessinateur de bandes<br />
dessinées, et il m’a énormément initiée à cet art,<br />
notamment à travers les travaux de Robert Crumb. Il<br />
avait des idées vraiment tarées, mais c’était le<br />
premier à sexualiser le comic américain, en<br />
changeant le style du dessin. Quand j’y pense, c’était<br />
beaucoup plus compliqué pour lui de faire ses dessins<br />
provocateurs que pour moi en faisant ma chanson<br />
“Pussy” à notre époque (rires) !<br />
Propos recueillis par Brice Bossavie.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
Salut c’est<br />
cool & Flavien Berger<br />
cobversations<br />
Interview publiée le 27 novembre 2014<br />
Samedi soir dernier, au Trabendo, à Paris, la bande de Salut C’est Cool a donné un concert incroyable<br />
agrémenté entre autres de leurs tubes des plus ‘chelous’, d’une dégustation de fromage sur scène et<br />
d’une bataille de polochons. Ils avaient invité pour l’occasion Flavien Berger qui a bercé leur été autant<br />
que le notre avec son EP Mars Balnéaire. On leur a donc proposé un entretien tous ensemble avant la<br />
fête, qui promettait déjà d’être très folle.<br />
Pourquoi y a-t-il plein de paillassons Salut C’est Cool<br />
à l’entrée ?<br />
Salut C’est Cool : C’est juste pour se faire des thunes<br />
et pour que les gens repartent avec un petit souvenir !<br />
Flavien Berger : Vous les vendez combine ?<br />
SCC : Dix boules.<br />
Flavien : C’est un grand paillasson coupé en petit<br />
bouts ?<br />
SCC : Non. A couper c’est impossible. Certes on<br />
aurait pu faire des belles formes mais cela nécessite<br />
une scie particulière et ça ferait des pertes autour.<br />
Ceci étant, on aurait pu s’en servir pendant le concert,<br />
genre se les mettre sur la tête.<br />
Et ces sprays d’eau parfumée ?<br />
SCC : Ce soir on a prévu une bataille de polochons et<br />
du coup il va y avoir pleins d’acariens. On va utiliser<br />
ces sprays pour faire retomber les poussières s’il y a<br />
trop de gens qui éternuent. Intelligent, non ?<br />
Flavien : C’est incroyable comme idée les gars, que<br />
vous ayez réfléchi au fait qu’il fallait faire tomber la<br />
poussière…<br />
SCC : En fait on connait des allergiques qui utilisent<br />
cette méthode… Merci Alex, si tu nous lis !<br />
Vous êtes plutôt performance que concert ?<br />
SCC : Non, c’est juste un concert mais il y a des trucs<br />
qui se passent en plus de la musique. C’est faire de la<br />
musique et des jeux en même temps pour une<br />
expérience un peu totale.<br />
Et pour toi Flavien ?<br />
Flavien : Moi, je chante mes chansons différemment<br />
que sur le disque, je les improvise, en les prenant<br />
comme une matière. C’est comme si je m’auto<br />
samplais. Du coup souvent je ne chante même pas
les paroles des morceaux, parfois même pas dans la<br />
langue de base, même si on reconnait le titre.<br />
Comment avez-vous découvert la musique des uns et<br />
des autres ?<br />
Flavien : Avec des potes on a un collectif, le Collectif<br />
Sin et lorsqu’on était étudiants on entendait parler de<br />
Salut C’est Cool qui étaient déjà reputes pour leurs<br />
fêtes et leurs concerts. Il y a eu une rencontre il y a<br />
super longtemps entre le groupe et le Collectif mais je<br />
n’étais pas là puis il y eu un concert à Bourges, une<br />
sorte de battle entre nous, un truc dans le genre…<br />
SCC : un Dj set ping pong !<br />
Flavien : Voilà. C’est vraiment comme ça que j’ai<br />
découvert leur musique et leur entité.<br />
SCC : Nous étions voisons avec les membres du<br />
Collectif Sin, on était à l’école ensemble, quand<br />
Flavien a commencé à faire de la musique, on a vite<br />
entendu son travail. Du coup cet été on s’est tué à<br />
Océan Rouge dans la bagnole, à la maison et un peu<br />
partout d’ailleurs.<br />
Vous avez tous fait des écoles d’Art, et toi Flavien tu y<br />
enseignes même…<br />
SCC : Sérieux t’es prof ? (Rires)<br />
Flavien : Oui aux Ateliers de Sèvres, à Paris.<br />
SCC : C’est une interview revelation <strong>CRUMB</strong> ! C’est<br />
trop cool ! Mais tu as quel âge ?<br />
Flavien : 28 ans.<br />
SCC : Nous, on pourra être prof dans 3 ans (rires).<br />
Vos experiences respectives dans l’Art ont t-elle une<br />
influence sur votre façon de penser et concevoir la<br />
musique ?<br />
Flavien : Oui je pense. C’est totalement lié meme. Ca<br />
t’apprend à penser et à travailler.<br />
SCC : Même si tu essayes de les séparer dans des<br />
compartiments, c’est ce que certains d’entre nous<br />
faisaient quand on était à l’école en parlant rarement<br />
du groupe, tu te rends vite compte que des ponts se<br />
font puisque c’est la même personne qui fait tout et du<br />
coup tu peux faire des parallèles de réflexion. La<br />
musique après tout c’est une forme d’expression<br />
comme une autre et dans les écoles d’Art le principe<br />
c’est de faire des projets. la musique en est un qui<br />
prend juste une forme différente.<br />
Et pour l’enseignement, Flavien ?<br />
Flavien : Cela permet d’être au courant de plein de<br />
choses niveau musique, des mecs de dix huit ans qui<br />
arrivent en écoutant de l’acid et qui s’y connaissent<br />
trop bien alors que c’est quelque chose d’inconnu<br />
pour ma part. Cela t’apprend l’humilité, ouvre l’esprit.<br />
Je ne donne pas de cours magistraux, j’apprends des<br />
techniques. Comme une experience que je mets sur<br />
la table et que je partage.<br />
Votre site internet dispose d’un journal intime, avec<br />
pleins de photos, est-ce que les réseaux sociaux<br />
basés sur l’image comme Instagram vous attirent ?<br />
SCC : Instagram on trouve ça chiant parce que le<br />
format de tes photos doit obligatoirement être carré,<br />
en plus c’est à faire avec un smartphone et on en a<br />
pas donc techniquement ce n’est pas pour nous. Et<br />
puis les photos partent directement de ton téléphone<br />
vers internet sans passer par ton ordinateur c’est à<br />
dire sans que tu puisses les archiver ni les classer.<br />
Nul.<br />
Flavien : ça a l’air d’un truc pro en apparence mais<br />
c’est typiquement amateur.<br />
SCC : Et les filtres sont pas géniaux. La photo<br />
originale sera toujours mieux que si tu la retouches dix<br />
fois.<br />
Dans ce journal, il y a l’album des Eurockéennes,<br />
c’était comment de jouer là-bas ?<br />
SCC : C’était trop bien, il a beaucoup plu.<br />
Flavien : Les photos où vous allez dans une forêt puis<br />
dans une cabane, c’était là-bas ?<br />
SCC : Sûrement…oui<br />
Flavien : Ah ouais, ça dérive à mort (rires) !<br />
SCC : C’est qu’on a joué hyper tôt du coup on a eu le<br />
temps de bien s’amuser…<br />
Tu n’as pas d’albums photos dans ce type, Flavien ?<br />
Flavien : Non en fait j’archive tout. Des images se<br />
retrouvent dans certains de mes clips. J’accumules<br />
encore et encore sans vraiment savoir pourquoi et<br />
puis lorsqu’un projet nécessite une certaine matière,<br />
c’est là-dedans que je la trouves. C’est ce qu’il va se<br />
passer pour mon prochain clip où il y a encore une<br />
histoire de photos que je vais puiser là-dedans. Après<br />
je ne fais pas partie d’un groupe, mais il y a le<br />
Collectif Sin. La pratique de ma musique m’est bien<br />
particulière mais je fais suis aussi une part de ce<br />
Collectif.<br />
SCC : D’ailleurs nous on trouve ça super courageux<br />
de faire de la musique tout seul parce que c’est quand<br />
même rassurant d’être en bande, d’aller à des<br />
endroits, d’être ensemble pour s’ennuyer moins.<br />
Flavien : Je ne m’ennuie pas vraiment car au final je<br />
suis rarement seul, surtout en concert.<br />
SCC : Tu ne te démotives jamais ?<br />
Flavien : Parfois je me retrouve dans des situations un<br />
peu abyssales à cause de la fatigue, mais je ne dirais<br />
pas que c’est ennuyant sinon je ne ferais pas de<br />
musique. Je rencontres et travailles avec énormément<br />
de gens, tant dans la phase de création que dans la<br />
production, je ne me sens vraiment pas seul. C’est<br />
aussi ce que m’a appris mes études, gérer des étapes
de projet, allier le bon travail aux bonnes étapes, avec<br />
les bonnes methods...<br />
SCC : Nous on est très mauvais pour gérer nos<br />
projets, même si on est plus organisé qu’avant…<br />
Flavien : Faut voir aussi ce que ça donne si vous vous<br />
mettez à tout faire de manière très organisée, vous<br />
allez peut être ressembler à un boys band (rires).<br />
SCC : Faire de la musique c’est aussi prendre du<br />
temps sur notre quotidien. C’est un peu paradoxal<br />
parce que tu t’empêches de faire autre chose…<br />
Flavien : Je ressentais cela avant aussi, mais<br />
maintenant je considère ce temps comme moteur et<br />
nécessaire pour le reste. (…) Mais, je comprends pas.<br />
Ca t’empêche de faire quoi ? De l’argent ? (Rires).<br />
SCC : Non, on a nos paillassons pour ça (rires). En<br />
fait il y a la musique mais aussi tout ce qui l’environne,<br />
que l’on considère comme une extension de nousmême.<br />
Communiquer sur ce qu’on est en train de<br />
faire et de créer s’inscrit dans une pratique globale. Et<br />
puis mettre en ligne un album des Eurockéennes de<br />
Belfort nous paraît naturel, comme n’importe qui y<br />
étant allé aurait envie de partager ses photos.<br />
Flavien : Mais c’est rendu possible par l’humour, que<br />
le roman photo soit l’extension du concert ! C’est<br />
aussi pour ça que je suis content d’être là ce soir<br />
parce qu’à l’inverse de mes disques, les concerts sont<br />
un peu plus drôles, il y a plus de dérision alors que le<br />
disque est plus premier degré et romantico-imagé. Je<br />
pense que l’humour est un moyen de tout transformer<br />
en Salut c’est cool. Toutes vos images sont des<br />
chansons, c’est comme cela que je vous perçois en<br />
tout cas.<br />
SCC : C’est une façon de voir les choses un peu<br />
différente, faire de la musique c’est pas le but unique.<br />
Flavien tu as des projets particuliers pour 2015 ?<br />
Flavien : Je vais sortir un album. En entire, complet.<br />
C’est intéressant de se plier à l’exercice consistant à<br />
composer des morceaux plus courts pour en avoir<br />
plus. Il y a toujours un thème précis. En l’occurrence,<br />
cette fois, ce sera une attraction de fête foraine qui fait<br />
évoluer un personnage jusque dans les abysses de<br />
l’océan. Les morceaux sont faits, l’album est en<br />
mixage. Après viendront les concerts…<br />
des chansons sur ce theme. J’en visite pleins depuis<br />
pour l’imagerie de l’album, là j’étais à celle de Rouen<br />
puis il y aura celle de Rennes et après j’irais voir celle<br />
de Brighton.<br />
SCC : T’as open bar sur les attractions du coup?<br />
Flavien : Pas trop. C’est le label qui paie les<br />
attractions du coup on demande des reçus, ça donne<br />
des trucs assez géniaux. On en a un avec marquee<br />
dessus : “Vingt cinq euros” en manuscrit et juste<br />
“King” tamponné dessus. C’était pour une montagne<br />
russe, ca ne passera jamais à la comptabilité.<br />
D’ailleurs à Rouen, l’autre jour l’attraction c’était un<br />
énorme disque, entouré d’autres disques qui tournent<br />
dans des sens différents avec au milieu de ça une<br />
statue d’un DJ du futur, qui tournait lui-même. Il avait<br />
des lunettes de soleil immenses, les verres faisaient<br />
le tour de sa tête, une casquette à l’envers en<br />
plastique, et il tournait au milieu de l’attraction, c’était<br />
incroyable, magnifique, magique.<br />
SCC : Ca a l’air trop bien ! Il y a souvent des<br />
attractions qui paraissent moins impressionnantes<br />
mais c’est avec elles que tu auras les sensations les<br />
plus fortes genre “La poêle A Frire”, où tu sautes<br />
comme un fou. La dernière fois qu’on est monté<br />
dessus il pleuvait à moitié c’était tellement extrême.<br />
On avait vraiment l’impression de perdre pied, à la fin<br />
on était mal ! “La Poêle A Frire” de Stasbourg, ça<br />
déchire. C’est à tester !<br />
Vous avez déjà pensé à tourner un clip dans une<br />
attraction ?<br />
SCC : Je ne sais pas si c’est trop notre délire parce<br />
que c’est souvent un seul thème du coup ça pourrait<br />
être un peu relou de devoir promouvoir un unique<br />
personage, genre une poêle A frire, quoi.<br />
Flavien : Mais un parc à votre nom est prévu, non ?<br />
Un parc d’attraction géant Salut C’est Cool ?<br />
Ouverture en <strong>2016</strong> ? (Rires).<br />
SCC : Oui ! Il sera totalement en paillasson !<br />
Propos recueillis par Alice De Jode.<br />
D’où te viens ta fascination pour la fête foraine ?<br />
Flavien : De l’imagerie collective. La fête foraine, on la<br />
connait tous, on en a tous fait, il y en a toujours eu<br />
partout. Il y un an à Berlin je suis allé au marché de<br />
Noël avec des copains et on avait fait la fête la veille.<br />
Du coup il y a eu un déclic opéré par le reste de<br />
drogues qu’on avait dans le sang et les lunettes<br />
psychédéliques qu’on nous avait mis sur les yeux<br />
pour faire la fameuse attraction du Palais du Rire.<br />
C’est devenu super inspirant et j’ai commencé à faire
JAGWAR JAGWAR<br />
MA MA
Interview publiée le 29 juillet 2013<br />
On ne vous présente plus le groupe australien Jagwar Ma que nous avions déjà croisé en juin dernier.<br />
Entre temps est sorti leur premier LP, Howlin’, un album pop résolument moderne qui insuffle sur des<br />
sonorités 90’s une énergie nouvelle, dans un savant mélange de dream pop psychédélique, d’acid house<br />
et d’electronica. Après leur concert parisien à la Flèche d’Or et un mois avant leur venue au Pitchfork<br />
Music Festival le 1er novembre prochain, nous avons rencontré la tête pensante du groupe Jono Ma et le<br />
chanteur Gabriel Winterfield.<br />
L’été touche à sa fin, quels sont les meilleurs<br />
souvenirs que vous garderez des scènes sur<br />
lesquelles vous avez joué ?<br />
Gab : Tout a été parfait. Il n’y a eu que des bons<br />
souvenirs. Il y a eu des moments très importants pour<br />
nous. Jouer à Glastonburry était vraiment spécial car<br />
quelques heures avant, Jono était très malade et il y<br />
avait de fortes chances pour qu’il ne puisse pas jouer.<br />
On s’était fait une raison, et puis finalement il est<br />
monté sur scène avec nous, c’était magique ! Ensuite<br />
on a fait le Leeds Festival, très intéressant, puis le<br />
Bestival sur l’île de Whight, très différent mais tout<br />
aussi cool.<br />
On a aussi tourné en France avec Foals à Lyon, Lille,<br />
et Paris où l’on a fait un concert à la Flèche d’Or la<br />
semaine dernière. C’était très chouette.<br />
Comment ça s’est passé avec Foals ? Vous avez<br />
aussi tourné avec The XX…<br />
Gab : Foals est vraiment un groupe à part, très<br />
différent des autres groupes avec lesquels on a joué.<br />
La dernière fois, je suis resté éveillé, avec eux,<br />
jusqu’à 7 heures du matin à parler politique étrangère<br />
avec Yannis. Il a des origines grecques. Son point de<br />
vue sur ce qu’il se passe là-bas est très intéressant. Il<br />
est passionné par le sujet, très patriotique donc c’est<br />
marrant de parler de cela avec lui. Moi-même j’ai des<br />
origines iraniennes et l’on en parle beaucoup aussi.<br />
Jamie (de The XX, ndlr), lui, est une des rares<br />
personnes que je connais à Londres qui skate donc<br />
on n’arrête pas de parler de cela, de s’envoyer des<br />
vidéos de skate, etc. The XX est vraiment un chouette<br />
groupe, ils sont tous adorables et leur public est à leur<br />
image donc c’est vraiment très agréable de jouer<br />
devant eux, on ne se sent pas comme des étrangers.<br />
La première fois que l’on a fait leur première partie,<br />
nous pensions que personne ne nous connaissait et<br />
que la salle serait déserte. En fait ils sont tous venus<br />
tôt pour nous écouter aussi, c’était vraiment cool !<br />
Howlin’ est un album très éclectique. Si vous deviez<br />
définir votre style, vous diriez quoi ?<br />
Gab : Notre style c’est avant tout “des mecs qui jouent<br />
à la guitare” ! Ce n’est pas vraiment un style mais on<br />
fait tous de la guitare depuis notre adolescence et<br />
c’est ce qui nous a inspiré le plus, ce qui nous a tous<br />
donné envie à un moment de monter un groupe. C’est<br />
très difficile d’en choisir une en particulier, c’est<br />
comme choisir un de ses enfants, quoi (rires).<br />
Quand l’idée vous est venue, vous étiez plutôt jeunes.<br />
Vous jouiez dans des fêtes d’ados ?<br />
Gab : Ouais, très souvent ! C’était le meilleur moyen<br />
que j’avais trouvé pour qu’une fille vienne m’aborder :<br />
jouer Come As You Are de toutes mes tripes !<br />
Et ça marchait ?<br />
Gab : Absolument pas !<br />
Quel regard portez-vous sur la scène électro de ces<br />
dernières années ?<br />
Jono : elle est saine, plus saine que jamais. L’électro<br />
est une musique en perpétuelle mutation qui évolue<br />
très vite tout en se recyclant énormément. J’aime<br />
beaucoup la Classic House, la Deep House, des mecs<br />
comme les Pachanga Boys par exemple. Il y a<br />
quelques années, tout devait être très rapide,<br />
immédiat, dansant. Je trouve l’électro plus saine<br />
aujourd’hui car certains styles sont plus profonds, plus<br />
calmes mais elle n’est plus aussi intense. Bon il y a<br />
des exceptions, regarde le Dubstep américain ! Pour<br />
le coup je ne sais pas si c’est une musique saine mais<br />
en tout cas définitivement très intense !
A quels artistes émergents souhaiteriez-vous confier<br />
un remix ?<br />
Jono : En parlant d’eux, justement, les Pachanga<br />
Boys ont fait un remix de Come save Me absolument<br />
fantastique qui vient de sortir en vinyle. Il est sur la<br />
face A et dure 12 min. Ils l’ont passé au Burning Man<br />
cette année, le dernier jour du festival à 7 heures du<br />
matin, c’était fou ! Tu peux trouver la vidéo sur<br />
YouTube, c’est très intéressant à regarder, je te le<br />
conseille !<br />
En termes d’artistes émergents, plus sérieusement,<br />
on aime beaucoup Dan Avery qui vient d’Angleterre et<br />
qui produit des choses vraiment très excitantes. Il y a<br />
quelques mecs en Australie aussi, Guerre par<br />
exemple, pour ne citer qu’eux. Je pense que l’on peut<br />
considérer ça comme de l’électro, mais son style est<br />
vraiment très difficile à définir. Ca se rapproche de<br />
James Blake vocalement parlant, je ne sais pas si tu<br />
vois. A écouter et découvrir aussi, quoi. Sinon, nous<br />
sommes vraiment fans de Jonti qui vient aussi de<br />
Sydney et avec qui on est amis depuis longtemps car<br />
on a grandi dans le même quartier. Il est en train de<br />
nous faire un remix. Il travaille avec The Avalanches<br />
pour leur prochain album et sur son propre album<br />
aussi, en même temps, qui est incroyable. Pour te<br />
donner une idée, ça sonne comme du J Dilla qui<br />
remixerait les Beach Boys, tu vois ? (Rires).<br />
Vous pouvez nous parler de l’écriture et de<br />
l’enregistrement de Howlin’ ?<br />
Gab : Il y a des idées qui reviennent souvent et qui<br />
remontent à très longtemps. Quand on travaille sur<br />
des mélodies, on va chercher très loin dans nos<br />
souvenirs d’enfance. Après l’enregistrement de<br />
l’album en lui-même a duré environ un an.<br />
Jono : On a commencé quand on s’est mis à mixer<br />
Come Save Me.<br />
années et j’adore les mixer.<br />
En octobre vous revenez à Paris pour jouer au<br />
Pitchfork Music Festival. Vous allez partager la scène<br />
avec les Disclosure, que nous avons interviewé (lire<br />
page 174, ndlr) qui sont très connus en France, vous<br />
pensez quoi de leur musique ?<br />
Jono : Ils sont incroyables ! Ils sont tellement jeunes,<br />
c’est leur tout premier album mais c’est déjà d’une<br />
efficacité redoutable ! Quand tu l’entends à la radio,<br />
ça te tranche comme une lame de rasoir ! On les a<br />
vus pour la première fois au Midi Festival, en France,<br />
l’année dernière. On ne savait pas encore qu’ils<br />
allaient sortir un album, c’était avant qu’ils explosent,<br />
et je me revois me dire « Wow ces mecs vont être<br />
gros, très gros ! » Donc ouais, nous sommes de<br />
grands fans ! Vous pouvez leur dire.<br />
Un mot sur le choix de cette pochette d’album ? C’est<br />
quoi en arrière-plan ? On dirait Sangoku pendant la<br />
pleine lune…<br />
Gab : C’est vrai ouais !<br />
Jono : Tu as raison. Gab est un grand fan de Dragon<br />
Ball Z (rires) ! Plus sérieusement, c’est un dragon.<br />
C’est mon frère Dave et un pote à nous qui ont<br />
travaillé sur le visuel. Mon frère est photographe et il<br />
nous a envoyé plein de vieilles photos de paysages<br />
jusqu’à ce que l’on tombe sur cet étrange visuel qui<br />
ressemble un peu à une photo de famille. Je crois<br />
qu’elle date des années 80. La photo lle a été prise<br />
dans un parc à thèmes qui n’existe plus aujourd’hui.<br />
On s’est dit qu’elle avait un genre de pouvoir<br />
surnaturel, c’est pour ça qu’elle est devenue le visuel<br />
de l’album !<br />
Propos recueillis par Maxime Rosenfeld<br />
Merci à Maxime Pascal et à La Mission<br />
Quelle chanson vous parait être la plus représentative<br />
de Jagwar Ma ?<br />
Jono : Encore une fois c’est comme choisir un de ses<br />
enfants, c’est difficile de répondre. Enfin, je crois.<br />
Gab : C’est comme si tu fouillais dans l’œuvre de<br />
Freud en cherchant lequel de ses écrits résume le<br />
mieux sa pensée. Nous concernant je pense quand<br />
même que c’est Come Save Me. Pour Freud, je ne<br />
sais pas.<br />
Jono : Ouais celle-là et The Throw car elle contient<br />
tous les ingrédients qui nous caractérisent : de la pop,<br />
des éléments plus sinistres, des éléments deep dance<br />
très calmes, des samples, des beats, des guitares…<br />
Tout cela à la fois. Un équilibre entre une pop très<br />
directe et une musique électronique plus profonde.<br />
Vous avez déjà fait des DJ set dans le passé ?<br />
Jono : Oui. J’en ai fait personnellement pendant des<br />
années en Australie. Récemment j’ai mixé en Croatie,<br />
d’ailleurs, dans un festival, sur une péniche, c’était<br />
génial ! Je collectionne des disques depuis des
HANNI EL<br />
KHATIB<br />
Interview publiée le 21 janvier 2012<br />
Avec un premier album intitulé Will the Guns Come Out, Hanni El Khatib, nous plonge dans un univers<br />
fifties rempli de Rockabilly, de Blues et de Doo-Woop. Fils de parents philippino-palestiniens et natif de<br />
San Francisco, ce monsieur cheveux gominés est surtout imprégné d’une grande culture américaine et<br />
nous en parle sans retenue. Il nous fait même partager la musique de ses potes. Un type cool, quoi.<br />
On peut voir des photos d’accidents de voiture sur les<br />
pochettes de tes albums, d’où t’es venue cette idée ?<br />
Cela a commencé après mes premiers<br />
enregistrements. J’ai photocopié des photos<br />
d’accidents en noir et blanc : des maisons brulées,<br />
des accidents de voiture.<br />
(Il nous sort un petit livre, et nous explique qu’il y avait<br />
des photos d’accidents, puis des trucs écrits, puis<br />
d’autres accidents).<br />
Voilà à quoi ressemblait mon album au début, avant<br />
que je signe sur mon label. Je le vendais tel quel<br />
après mes concerts ou le donnais simplement à mes<br />
amis. C’est marrant, parce qu’un an avant, Sarah de<br />
chez Colette (le célèbre concept-store parisien, ndlr) a<br />
acheté plusieurs copies de ce disque fait maison pour<br />
les vendre. Je voulais donner vie à une sorte de<br />
fanzine, un peu comme <strong>CRUMB</strong>, qui ressemble à<br />
l’esprit de ma musique. J’ai commencé par le vinyle,<br />
qui est bleu avec une scène d’accident. Il y en a une<br />
autre, rouge, sur laquelle on aperçoit une voiture sur<br />
le flanc, criblée de balles. C’est comme ça qu’ils<br />
étaient aux États-Unis. Le concept, c’est de montrer<br />
que des objets qui ont l’air indestructibles peuvent se<br />
retrouver écrabouillés en un instant comme une boîte<br />
de conserve.<br />
Le titre de l’album vient de la chanson du même nom.<br />
J’ai toujours rêvé d’écrire des chansons de Gospel.<br />
Ça n’y ressemble pas vraiment mais c’est l’idée que je<br />
désirais faire passer. C’est assez personnel, en<br />
réalité.<br />
Ton album parle essentiellement d’amour. J’ai pris<br />
quelques morceaux de tes paroles : « You’re guilty /<br />
you’re a liar / you’re dead wrong / fuck you / You<br />
make me so lonely baby ». Tu nous expliques ?<br />
Hors contexte, cela peu sonner un peu débile, je te<br />
l’accorde (rires). En amour, tout le monde fait face à<br />
des problèmes relationnels, un jour où l’autre. Je
préfère écrire des chansons honnêtes, qui comptent<br />
pour moi. Alors, la plupart de mes paroles racontent<br />
des expériences personnelles ou vécues par des<br />
proches. D’ailleurs, c’est plutôt marrant d’écrire un<br />
morceau qui détaille les histoires de son meilleur ami.<br />
Lorsqu’il s’en rend compte, ça fait une drôle de<br />
surprise !<br />
Tu écris donc plus facilement sur les peines de cœur<br />
et les problèmes sentimentaux ?<br />
Oui. Il est très rare que j’enregistre un morceau sur le<br />
simple fait d’être content, sur les histoires d’amour qui<br />
se passent bien, sans que cela soit complètement nul<br />
(rires). Prenons Loving You par exemple : magnifique,<br />
mais si n’importe qui d’autre que Minnie Riperton la<br />
chantait, cela serait ridicule. Morrissey ou les Smiths,<br />
par exemple, écrivent des morceaux avec des<br />
accords majeurs, des mélodies joyeuses et des<br />
paroles sombres et tristes. Je préfère les accords<br />
mineurs, cela doit venir du Blues.<br />
On ressent comme une sorte de construction /<br />
déconstruction sur ton album…<br />
J’ai grandi à San Francisco, je me sens américain<br />
avant tout. À l’école, toutes les origines et cultures<br />
étaient mélangées. Cela semblait normal. Nous<br />
mangions de la nourriture étrange tous les jours. À la<br />
maison, tout le monde parlait anglais, même si avec<br />
les membres de chaque famille respective, ce pouvait<br />
être de l’arabe ou du tagalog. Je suis fils unique, mais<br />
il y avait tout le temps des amis d’origines différentes<br />
à la maison. Je ne me suis jamais senti bizarre, même<br />
si bien sûr, il arrivait parfois qu’un camarade blanc<br />
trouve mon déjeuner spécial. C’était avant les<br />
événements du 11 septembre et la vague de racisme<br />
et de peur envers les personnes originaires du<br />
Moyen-Orient. Je parle seulement anglais. C’est<br />
dommage, je sais.<br />
Mais cette culture fifties/sixties, elle te vient d’où ?<br />
Les années 50’s/60’s sont une période de l’histoire<br />
particulièrement iconique avec laquelle tout le monde<br />
grandit aux États-Unis. Elles font vivre une légende,<br />
même si elles ne sont pas de ton temps. C’est comme<br />
ancré dans l’esprit collectif. L’univers fifties en général<br />
me met de bonne humeur. Sur mon album, les<br />
références sont authentiques, mais ma musique n’est<br />
pas fifties.<br />
Mon ami Nick a 25 ans et ça, c’est sa musique :<br />
(Il prend son téléphone et nous fait écouter une<br />
chanson qui aurait pu être enregistrée dans les<br />
années 50, aux États-Unis)<br />
C’est un morceau qu’il a enregistré cette année. Alors,<br />
quand je pense à ma musique, je me dis que lui<br />
sonne fifties mais pas moi. Ma musique est plutôt un<br />
mélange de Garage, de Blues, d’inspirations d’un gros<br />
bordel d’influences musicales, que je condense dans<br />
chaque morceau. J’aime aussi certains aspects de<br />
Heavy Rock Psyché et de Punk. Build Destroy est très<br />
Punk. The Seeds, The Sonics faisaient du Garage<br />
super. Ma guitare, ma voiture, appartiennent à cette<br />
époque, aussi, c’est une vraie passion.<br />
L’interview se termine en écoutant Oo ma liddi, de JJ<br />
Jackson… “Désolé, j’ai tendance à parler un peu trop<br />
de musique” (rires). Merci Hanni, tu sais, on est venu<br />
pour ça !<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola.
AYO<br />
Interview publiée le 19 mars 2011<br />
Prendre un café avec Ayo dans un appartement parisien et lui poser des questions sur sa musique, sa<br />
carrière ou encore Michael Jackson est une chose qui ne s’oublie pas. Intime, légére, à cœur ouvert et en<br />
toute simplicité, nous avons rencontré l’artiste pour la sortie de son nouvel album « Billie-Eve », électrisant<br />
et coloré.<br />
On a l’impression qu’au fil de l’évolution de tes<br />
albums, ceux-ci deviennent de plus en plus<br />
personnels. Ce troisième opus, notamment, porte le<br />
nom de ta fille, et il y a des morceaux comme «<br />
Before » particulièrement intimes…<br />
Oui ! La musique agit sur moi comme un antibiotique,<br />
peut-être le seul que j’arrive à digérer. Quand on a<br />
mal à la tête, on prend de l’aspirine, quand on a mal à<br />
la gorge, on prend du sirop, mais vous êtes-vous déjà<br />
poser de la question du remède quand on a mal à<br />
l’âme et au cœur ? C’est à ce moment-là que la<br />
musique intervient.<br />
La musique t’a sauvé ?<br />
Pas à chaque fois. J’écris cependant souvent dans<br />
l’instant présent pour soulager mes douleurs. Cela<br />
dépend. L’autre jour, je me demandais si ce n’était<br />
pas trop égocentrique de n’écrire que sur soi mais<br />
finalement écrire sur moi, sur ce que je ressens est la<br />
seule façon que j’ai trouvé de me libérer d’un poids.<br />
J’en ai besoin pour être bien et équilibrée.<br />
Tu écris beaucoup de chansons, en rapport avec des<br />
femmes. Tu es également ambassadrice de<br />
l’UNICEF. En quoi cet engagement, est-il important<br />
pour toi ?<br />
Mon engagement est important vis-à-vis des femmes<br />
et des petites filles. Car, avant d’être artiste, je suis<br />
avant tout femme, maman et fille. Et cumuler les trois<br />
n’est pas facile tous les jours. Tant qu’il y aura des<br />
choses à changer dans ce monde, les engagements<br />
personnels, politiques, sociaux, humanitaires, quels<br />
qu’ils soient seront toujours importants.<br />
Tu as été élue par le journal Jeune Afrique comme<br />
faisant partie des 100 personnalités les plus influentes<br />
de la diaspora africaine du XXIe siècle. Quel lien<br />
entretiens-tu avec tes origines ?<br />
(Visiblement émue) Je ne savais pas que j’avais été<br />
choisie par ce journal. C’est incroyable ! (Un instant).<br />
Pour être honnête, j’ai toujours un problème quand les<br />
gens me demandent d’où je viens. Je suis né en<br />
Allemagne, ma mère est gitane, mon père nigérien.<br />
Cela fait un grand mélange. Mais je crois en l’être<br />
humain, peu importe d’où il vient. Je suis une enfant<br />
du monde, cosmopolite, je ne crois ni aux passeports,<br />
ni aux frontières, je crois au bon et au mauvais.<br />
L’Afrique, en elle-même est aussi importante dans ma
vie, au sens des origines que dans celle de n’importe<br />
qui, car elle a joué un rôle primordial dans la<br />
naissance et dans l’histoire de l’Humanité.<br />
Ta musique est d’ailleurs particulièrement<br />
cosmopolite. Mélange de reggae, de soul, de pop…?<br />
Inconsciemment oui. Je crois que ma musique est<br />
simplement influencée par la vie. La vie est pleine de<br />
couleurs qui changent tous les jours et qui changent<br />
avec nous. Tout ce que je vis m’inspire. Un peu à la<br />
manière d’une éponge, je m’imprègne de chaque<br />
moment vécu, je prends tout ce qu’il y a autour. C’est<br />
cela qui m’influence. Peu importe d’où la musique<br />
vient, peu importe ses origines, son style, ce n’est<br />
qu’une question de couleurs.<br />
Sur ce nouvel album, tu as énormément travaillé le<br />
côté électrique cette fois-ci ! Beaucoup plus que sur<br />
les précédents…<br />
C’était un choix naturel. Après le second album,<br />
quand j’ai commencé la tournée, j’ai joué quelques<br />
chansons à la guitare électrique. Et, de fait, j’ai<br />
découvert l’instrument. Et puis, j’ai été bercée toute<br />
mon enfance par les sons de Jimi Hendrix, The Who,<br />
Led Zeppelin… Avec les sons électriques, l’album<br />
paraît vraiment plus rock. Cela change, impressionne.<br />
Surtout ceux qui se disaient « merde, un nouvel album<br />
de Ayo, encore un truc acoustique » (rires). C’est un<br />
peu comme si j’avais découvert un nouveau sens.<br />
Pour l’enregistrement, tu t’es entourée de nombreux<br />
artistes, et notamment de Mathieu Chédid, qui<br />
apparait à la guitare sur une chanson.<br />
Oui ! On s’est rencontrés il y a un peu plus de trois<br />
ans à Londres, lors d’une JAM Session, qui s’intitulait<br />
Africa Express. Il m’a invité à jouer avec lui dans ses<br />
concerts, je l’ai invité dans les miens. On s’est dit « un<br />
jour il faut que l’on fasse un truc ensemble », mais<br />
nous étions toujours tous les deux en voyage ou en<br />
train de faire quelque chose en particulier. Je suis allé<br />
à New York enregistrer mon album, avant d’être<br />
hospitalisée suite à une grossesse extra-utérine.<br />
Pendant ma convalescence, j’ai écris des chansons,<br />
sans aucun instrument à disposition. J’avais tout de<br />
prêt dans ma tête, j’ai demandé au boss de Polydor<br />
s’il m’autorisait à retourner au studio, et il a accepté.<br />
Je suis allé au studio Ferber à Paris, et j’y ai<br />
enregistré 5 chansons, en deux jours, dont celle avec<br />
Mathieu, que j’ai appelé et qui a tout de suite accepté<br />
! C’était une approche vraiment différente, car j’ai joué<br />
la batterie et lui la guitare. Ce fut un moment<br />
particulièrement inspiré. Mathieu est un très grand<br />
musicien.<br />
chanson, il y a une énergie qui se dégage, quelque<br />
chose de spontané que tu ne peux pas reproduire. Je<br />
fais généralement peu d’enregistrements. Quand tu es<br />
satisfait de quelque chose, il est souvent très difficile<br />
de le reproduire, même pour l’améliorer.<br />
Un mot sur Michael Jackson. Reprendre « I Want You<br />
Back », c’est un message directement adressé à lui ?<br />
Pour moi, Michael Jackson est le plus grand ! Quand<br />
on me parle de musique, je pense tout de suite à lui. Il<br />
représente une grande partie de mon enfance et il est<br />
la preuve que la musique peut sauver une personne.<br />
Quand tu regardes sa vie, les moments difficiles qu’il<br />
a vécu, je crois, que c’est seulement quand il chantait,<br />
qu’il était en paix. Rien de ce qu’il a fait n’a été un jour<br />
dépassé. Et ne le sera jamais. Plus personne n’arrive<br />
à sa cheville aujourd’hui. Pas même Prince – Si vous<br />
avez le temps, allez sur Youtube et tapez « Prince<br />
Michael Jackson et James Brown », il y a le lien d’une<br />
vidéo de l’anniversaire de James Brown. Michael<br />
Jackson, sur scène, improvise une petite vocalise<br />
simple, timide et modeste. Prince, avec sa guitare,<br />
enlève son haut et fait le show -alors que c’est le<br />
concert de James Brown- jusqu’à s’accrocher à une<br />
barre pour faire une lapdance, une barre qui lui<br />
paraissait solide mais qui lui tombe dessus et tout le<br />
décor avec. C’est le summum du ridicule. Si j’étais<br />
journaliste chez <strong>CRUMB</strong> et que j’avais l’occasion de<br />
l’interviewer, je lui demanderais : « Mais sérieusement<br />
Prince, sérieux, mais qu’est-ce qui t’est passé par la<br />
tête ce jour là ? » (Rires).<br />
Promis, on lui demandera !<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié.<br />
Photographie : Diane Sagnier, pour Crumb<br />
magazine<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.<br />
Tu as d’ailleurs enregistré ces chansons tellement<br />
rapidement que tu as mis sur l’album la démo du<br />
morceau « My Man ». Pourquoi avoir laissé la<br />
première prise telle quelle ?<br />
Je crois que les premières prises sont toujours les<br />
meilleures ! C’est comme une première impression<br />
quand tu rencontres quelqu’un. Cela peut évidemment<br />
évoluer, mais si tu ressens quelque chose, c’est un<br />
signe ! Quand tu joues pour la première fois une
MAJUNGA
MADAGASCAR
Série photo publiée le 5 novembre 2013<br />
Les photographies de ce portfolio sont tirées du travail de Maxime Leyravaud. Pour <strong>CRUMB</strong>, le photographe présente une<br />
première série d’images, documentant le travail de recyclage dans une casse de bateaux à Majunga, sur la côte Ouest de<br />
Madagascar.<br />
Des hommes organisés en plusieurs équipes (gardiens, casseurs, forgerons, etc) démantèlent des bateaux de pêche et de<br />
transport en fin de vie, à la force des bras et avec des outils rudimentaires, pour pouvoir récupérer les matériaux, les<br />
recycler et ainsi fabriquer de nouveaux navires. Ils utilisent les tôles pour faire des braseros employés pour le chauffage ou<br />
la cuisine, les roues des pousse-pousse ou encore des charrettes. Ces hommes, âgés pour la plupart entre 20 et 35 ans,<br />
vivent avec leur famille sur les navires ou aux abords du chantier. Il n’y a pas toujours du travail sur le site, alors ils vont<br />
travailler aux champs ou s’occuper des zébus et des cochons.<br />
Le travail final, plus large de cette série, comportera plusieurs épisodes, des reportages (sur la vie familiale, les coutumes<br />
et la religion, les ethnies, des lieux insolites ainsi que différentes méthodes de travail) réalisés dans tout Madagascar qui<br />
seront des sujets à part entière, desquels seront extraites des séries d’images. Ce projet, présenté sur <strong>CRUMB</strong> a pour but<br />
de tisser un portrait, un état des lieux de Madagascar tout en mettant en avant la capacité d’adaptation des malgaches. Ce<br />
travail s’étale sur plusieurs années à Madagascar et est réalisé en numérique. Il aura comme finalité une exposition et<br />
l’édition d’un livre qui sera vendu au profit de l’association ADDAM qui est présente sur l’île depuis dix ans.<br />
Photographe professionnel depuis 2008, Maxime Leyravaud est un adepte de belles images et de la photographie sous<br />
toutes ses formes et navigue entre les voyages et les studio pour enrichir l’exercice de son métier.<br />
.
AYO #2<br />
Deuxième rencontre<br />
Interview publiée le 6 octobre 2013<br />
Je retrouve Ayo là où je l’ai laissé, quasiment trois ans après la sortie de son dernier album, « Billie-Eve », le prénom<br />
de sa fille. Je m’impatiente déjà. Ayo est une amie. Elle revient avec « A Ticket To The World ». Pas la même. Elle a<br />
changé, d’univers, de maison de disques, d’équipe, de style. Elle a grandi. Ou plutôt, elle a repris la route des sillons<br />
tracés par son premier album, ce qu’elle appelle « ses racines ». Au sommet de son art, tout en prenant des risques.<br />
Aujourd’hui, Ayo rappe, plus affirmée, plus brutale, seule ou en duo avec Youssoupha, dit les maux du monde et les<br />
met en lumière. Elle est la lumière.<br />
Nos retrouvailles se déroulent au sous-sol du Loulou, boulevard Saint-Germain. Billie-Eve, sa fille, est là. Elle a trois<br />
ans, elle aussi a grandi. Elle parle, fait des grimaces, me regarde, est surprise. Elle ne sait pas encore –ou peut-être<br />
que si- que sa maman a enregistré l’un des meilleurs albums de l’année.<br />
Il y a trois ans, je t’interviewais pour la sortie de “Billie-<br />
Eve”. Tu as fais quoi tout ce temps ? Tu en as profité<br />
pour voyager ?<br />
C’est intéressant que tu me poses cette question, car<br />
finalement je n’ai quasiment pas voyagé. Je suis<br />
restée chez moi, avec mes enfants, j’étais pas mal<br />
occupée j’ai profité de ce temps pour faire une<br />
introspection personnelle, penser à moi, aux choses<br />
enfouies. J’ai voyagé intérieurement, pris un peu de<br />
recul mais je n’ai pas beaucoup bougée<br />
géographiquement ! (Rires).<br />
Un des mes meilleurs amis, d’Hambourg, est venu<br />
chez moi – celui avec qui j’ai écrit mon premier album,<br />
et Down on My Knees (son premier succès public,<br />
ndlr). Je lui ai dis que j’avais envie de changer, que je<br />
voulais faire du rap. On a travaillé sur des « beats »,<br />
et j’ai écris Fire et Complain, un retour à mes racines,<br />
ce que j’ai toujours aimé.<br />
Il est vrai que chacun de tes albums apporte une<br />
touche personnelle différente. Sur le précédent tu<br />
mettais en avant l’électrique des guitares. Pourquoi<br />
cette envie et ce besoin à ce moment-là de ta vie, de<br />
revenir à ce que tu appelles tes « racines », le rap ?<br />
Je ne sais pas s’il y a une explication. A chaque<br />
nouveau disque, je suis dans un état d’esprit nouveau,<br />
c’est vrai. Quand je me suis penchée sur cet album,<br />
j’ai voulu créer un personnage, sorte de « Black<br />
Mamba », pour me cacher. J’avais peur que les gens<br />
ne reconnaissent pas mon univers si je me mettais à<br />
rapper. Alors j’ai inventé un alter ego mais je ne l’ai<br />
finalement pas gardé, cet album est signé “Ayo”…<br />
Un personnage comme celui de Mathieu Chédid, avec<br />
qui tu as collaboré ! Ne pas garder « Black Mamba »,<br />
c’est finalement une manière d’assumer<br />
complètement, d’affirmer qui tu es et ce que tu veux…<br />
Oui. J’ai fais écouter quelques extraits d’album à des<br />
amis (les membres du Saian Supa Crew, ndlr) et ils<br />
m’ont tous dit la même chose : « Cet album ce n’est<br />
pas Black Mamba, c’est toi, c’est Ayo ! Tu l’as fais<br />
avec ton cœur, avec ce que tu es, assumes ! ». Cela<br />
m’a fait du bien, parce que j’ai beaucoup douté. Tu<br />
sais, il y a même un ami proche qui m’as dit « Il ne<br />
faut absolument pas que tu rappes, c’est trop “Old<br />
School”, reste avec tes chansons à la guitare et ce<br />
sera mieux ». Il m’a même conseillé de réécrire Fire<br />
(premier extrait de l’album, partagé en duo avec<br />
Youssoupha, ndlr). Au fond de moi, je sais que je suis<br />
dans le vrai. A la première écoute, j’ai appelé mon<br />
père en lui disant « Papa, je crois que c’est mon<br />
meilleur album »…<br />
Tu me disais l’autre fois que pour écrire, tu<br />
t’imprégnais de choses de ta vie, ce fut le cas aussi<br />
cette fois ?<br />
Oui. En encore plus fort même. J’ai été inspirée par<br />
les mouvements de contestation, les « Riots », et<br />
toutes ces choses que l’on a vu partout en Europe et<br />
dans le Monde, même au Nigeria, c’était la première<br />
fois que des gens descendaient dans la rue, sortaient,<br />
protestaient. Le monde change, est en train de<br />
changer, tout est étrange, le système dans lequel<br />
nous vivons est un cancer. Mon fils va bientôt avoir 8<br />
ans, alors je pense à l’avenir. J’écris mes doutes et<br />
mes interrogations.<br />
En parlant d’interrogations, tu en as connu avec ton<br />
changement de maison de disques, une étape<br />
importante et pleine de solitude…<br />
Oui. Après la sortie de mon précédent album, j’ai<br />
complètement changé d’équipe, je ne me suis pas<br />
entendu avec la direction de Polydor. Je me suis<br />
retrouvée complètement seule. Je suis allé voir Pascal<br />
Nègre en personne en lui disant que je voulais être<br />
chez Motown. Il a ri. J’ai signé chez Motown ! Je ne<br />
l’ai pas encore dit à mon père, j’attends qu’il voie le<br />
logo sur le disque, que je lui porte en personne et qu’il
soit fier de moi. Tu sais, cet album est une<br />
renaissance. J’y interprète Sunny, le premier vinyle<br />
que je me suis acheté quand j’étais toute petite alors<br />
que j’étais en orphelinat…<br />
Faire de la musique c’est ta manière de panser les<br />
plaies, les tiennes et celles du monde ?<br />
Je crois que c’est une manière d’exprimer ce que j’ai<br />
sur le cœur. Cet album là, plus que les autres, parle<br />
du monde et de notre société. Les artistes ont une<br />
responsabilité. Je n’ai pas de télé mais quand je<br />
l’allume, dans les hôtels, que je regarde les JT et que<br />
je vois le monde et sa réalité, je me mets souvent à<br />
pleurer. On voudrait tous être des héros, mais on ne<br />
peut rien faire, on est dépassés. Alors je chante et<br />
j’écris. C’est ma façon de réagir, de panser les maux,<br />
de panser les plaies. Toi, moi, <strong>CRUMB</strong>, avons plus de<br />
pouvoir que n’importe quel président si l’on décide de<br />
changer, d’opérer des changements, de travailler à un<br />
monde meilleur. Pour demain, pour nos enfants…<br />
Finalement, ton « Ticket To The World », c’est cet<br />
album ?<br />
Absolument. C’est marrant que tu dises cela, parce<br />
que j’en parlais il y a peu avec mon meilleur ami. Ma<br />
musique m’affranchit des frontières, c’est avec elle<br />
que je voyage, avec elle que je vis. C’est elle qui me<br />
porte… C’est mon passeport.<br />
Texte et propos recueillis par Thomas Carrié.<br />
Traduction : Guillaume Grégoris.<br />
Une version anglaise de cette interview est disponible sur le site du<br />
magazine : www.crumbmagazine.com
MØ
Interview published on October 6, 2013<br />
Half of the music world is currently mispronouncing the edgy Copenhagen-based Karen Marie Ørsted’s artist name,<br />
but who cares? MØ is not one to play by the books, and singing along to her provocative tracks is much more fun<br />
than worrying about phonetics anyway. We love her for telling us to stop trying to be pretty – just relax, express<br />
yourself and be as happy as you can.<br />
In Danish, ‘mø’ means both maid, virgin, damsel and<br />
maiden. But nothing in MØ’s seductive lyrics give off<br />
signs of either virginity or being a helpless damsel in<br />
distress. MØ has grabbed the world by the balls, and<br />
in a heartbeat, her fuck-it-all yet congenial attitute<br />
made enthusiasts around the globe raise their arms to<br />
embrace this shooting star from Scandinavia.<br />
This week MØ returned from a U.S. tour (where she<br />
amongst other things supplied warm-up for the<br />
chillwave duo Purity Ring) and I was lucky enough to<br />
exchange a few words with Karen before she went<br />
back to her studies at the Art Academy in<br />
Copenhagen and, oh, working on her debut album<br />
with producer Ronni Vindahl.<br />
MØ has been compared to both M.I.A. and Lana Del<br />
Ray, but I was thrilled to discover that the cult status<br />
noise quartet Sonic Youth is on the top of her list of<br />
inspration:<br />
“Sonic Youth has always been one of my biggest<br />
inspirations – also when it comes to lyrics. I love the<br />
whole universe they have created around themselves<br />
as musicians and artists. When I was a teenager I<br />
printed out the lyrics to all the songs ever made by<br />
Sonic Youth, and I would read in the pile of paper<br />
before I went to bed.”<br />
The inspiration of boredom and dreams is revealed in<br />
the aesthetic video for the blasting single “Glass”. Fish<br />
cutters rest in the harbor, pickled gherkins stand in<br />
straight rows at the supermarket, the Christmas<br />
decoration glistens in the window; life appears boring<br />
and tedious. But somehow director Casper Balslev<br />
made it all appear visually beautiful, accentuating the<br />
theme of growing up in a small provincial town while<br />
dreaming about making it big.<br />
“I was quite bored as a teenager – and so were all my<br />
buddies in the province. My biggest dream was to<br />
become a punk/rock star and touch people with my<br />
music. My biggest fear was to miss a party; to miss<br />
the fun.”<br />
Now it seems that the boring days are over and Karen<br />
is enjoying life in Copenhagen, though she finds it<br />
critical that Denmark has no mountains. She stresses<br />
that having a good time is not absolutely everything in<br />
life, but…<br />
“I consider it very important to be able to just let go<br />
and stop worrying about everything. You don’t have to<br />
look pretty and strive for perfection – fuck that – no<br />
one can live up to it anyway. Just try to let go, relax,<br />
express yourself when you need to, and be as happy<br />
as possible – then things look brighter.”<br />
Fuck perfection, fuck appearances, just chill? This is<br />
an electro-pop heroine we can relate to.<br />
10 Quickies for MØ<br />
What is important to you as a lyricist?<br />
To be personal without reaching the borders of<br />
privacy, and to express feelings in a simple way<br />
without being too obvious.<br />
What are you listening to at the moment?<br />
MS MR, Sonic Youth (as always, but I just had stormy<br />
revival of my SY obsession), Bonobo, Major Lazer…<br />
But I don’t listen much to music when I’m at home.<br />
What was on your stereo as a teenager?<br />
Sonic Youth, Nirvana, Yeah Yeah Yeahs, Jimmy<br />
Hendrix, Smashing Pumpkins, Cat Power.<br />
What does youth mean to you?<br />
To wander around in the woods.<br />
Did you always want to make music?<br />
Yes – since I was seven it has been my big dream<br />
and obsession.<br />
What has been the greatest experience since your<br />
music career truly kicked off last year?<br />
All the traveling and the excitement of being in this<br />
position – chasing your dreams everyday.<br />
What is sexy?<br />
Confidence and muscles.<br />
Do you see yourself as a lady or a tomboy?<br />
Tomboy.<br />
What can we expect from your first album?<br />
Honesty, restlessness and hopefully songs people<br />
can relate to and be touched by.<br />
Are you coming to Paris anytime soon?<br />
I sure hope so! I really like Paris.<br />
Interview by Denise Rose Hansen<br />
E N G L I S H T E X T
HINDS<br />
Interview publiée le 9 novembre 2015<br />
HINDS ouvrait le dernier bal du Pitchfork Music Festival, à Paris, samedi dernier. Trente minutes pour<br />
convaincre. Les espagnoles ont relevé le défi haut la main avec leurs titres ravageurs qui sévissent sur le<br />
web depuis plus d’un an. Pas de synthé pop ou de voix innocentes, mais un rock honnête et sans<br />
complexe. Elles ont évoqué avec nous, la veille de leur prise de la Grande Halle de La Villette, ce qu’elles<br />
ont appris sur la route et de la magie d’Internet.<br />
Je vous ai découvert en premier partie des Libertines<br />
il y a un an…<br />
Hinds (toutes en même temps, en pointant du doigt la<br />
direction du Zénith) : Oh oui, c’est par ici non ?<br />
Exactement ! Vous avez ouvert les shows de<br />
nombreux groupes cette année, qu’en retenez-vous ?<br />
Sentez-vous avoir appris quelque chose ?<br />
Ana : The Libertines est le plus grand groupe avec<br />
lequel nous avons joué, mais nous avons seulement<br />
fait deux shows avec eux. Ces dix derniers jours, nous<br />
avons tourné aux États-Unis avec Glass Animals et<br />
nous avons beaucoup appris d’eux. Nous sommes<br />
devenus amis et toutes les questions que nous avions<br />
comme “Combien coûte un tour-bus ? Combien de<br />
personnes avez vous besoin dans votre équipe de<br />
tournée ?” ont pu enfin avoir des réponses !<br />
Carlotta : Et tu réalises que c’est assez différent de<br />
notre façon de faire les choses. Eux voyagent la nuit<br />
pour arriver le matin et avoir le temps de découvrir la<br />
ville où ils jouent, des vrais pros !<br />
Vous avez tourné dans le monde entier avant même<br />
de sortir un premier album. Est-ce que cela été<br />
bénéfique pour vous avec du recul ?<br />
Carlotta : Je pense que c’est assez rare et on<br />
apprécie vraiment d’avoir cette chance. Tout cela c’est<br />
fait grâce à Internet. On n’a plus forcément besoin du<br />
schéma classique : rencontre avec label / signature /<br />
sortir d’album / tournée, etc. Quelque fois, les labels<br />
exigeaient même d’avoir un album écrit et prêt pour<br />
vous signer auparavant. Maintenant, Internet est le<br />
label. Il suffit d’y mettre quelques chansons pour<br />
lancer la machine.<br />
Justement, Pitchfork a atteint une renommée<br />
internationale en tant que magazine défricheurs de<br />
nouveaux talents sur le net. Est ce que c’est un site<br />
que vous consultez pour découvrir de nouveaux<br />
artistes ?<br />
Carlotta : Non, à vrai dire, pas vraiment, enfin, on finit<br />
toujours par y atterrir dessus ou le lire parce qu’ils ont<br />
un catalogue considérable…<br />
Ana : Ils ont aussi beaucoup d’exclusivité sur les<br />
artistes mais généralement je ne suis aucun de ce<br />
genre de sites « dénicheurs », comme si c’était une<br />
religion du genre : “Tout ce dont ils parlent, je vais<br />
l’écouter”, parce que je n’ai pas vraiment le temps<br />
d’abord, et parce que je préfère découvrir des artistes<br />
en live lors des concerts !
Carlotta : Oui, nous sommes de vrais<br />
« marathoneuses » de concerts elle et moi ! Nous<br />
pensons qu’un live en dit plus qu’une critique d’album.<br />
Ana : Oh et Youtube également.<br />
Carlotta : On y passe des heures !<br />
Pouvez vous me parler de la scène musicale en<br />
Espagne ?<br />
Carlotta : Avant de former HINDS, on pensait qu’il y<br />
avait une scène énorme avec pleins concerts et de<br />
groupes, des liens forts entres tout le monde. Mais<br />
malgré ces connexions, nous avons réalisé que la<br />
scène était en fait très petite, chez nous.<br />
Ana : C’est bizarre car nous revenons de New York et<br />
là-bas tout le monde se connait. Comme si tout ce<br />
monde fonctionnait comme un voisinage. Ce n’est pas<br />
seulement une impression de notre point de vue<br />
extérieur, même eux le ressentent ainsi. C’est comme<br />
à Madrid mais en plus beaucoup plus étendu, avec<br />
forcément plus de salles, plus de groupes et surtout<br />
plus de concerts : je dirais 10 auxquels tu veux aller<br />
par soir ! En Espagne c’est un concert par mois ?!<br />
Et vous pensez que la situation de la scène musicale<br />
garage à Madrid va s’améliorer ?<br />
Carlotta : Je crois que ça commence déjà à<br />
s’améliorer. Le fait que nous tournions en dehors de<br />
l’Espagne a fait que, soudainement, beaucoup de<br />
gens comme toi, comme <strong>CRUMB</strong>, nous demande ce<br />
qu’il passe chez nous. Donc je pense que c’est en<br />
train de devenir populaire, car nous essayons<br />
vraiment de défendre cette scène, de travailler pour<br />
elle. L’Espagne est notre maison et je pense que c’est<br />
en train de s’améliorer par cet engouement.<br />
Ana : Ce qui est triste, c’est que ce qui s’améliore,<br />
c’est seulement les groupes, la place qu’on leur<br />
donne, la considération que l’on a pour eux, etc. Mais<br />
je n’ai pas l’impression que l’industrie en elle-même<br />
change. La culture de la musique en Espagne n’est<br />
pas en train de se transformer radicalement, mais au<br />
moins il y a une porte qui s’ouvre. Aujourd’hui, les<br />
groupes de Madrid peuvent aller se produire ailleurs.<br />
Avant, on trouvait qu’il y avait vraiment ce problème<br />
de frontière infranchissable. Là on commence à voir la<br />
lumière au bout du tunnel ! Mais du point de vue de<br />
l’industrie : les producteurs, magazines, festivals, je<br />
ne vois pas vraiment de différence. Et si j’en note une,<br />
c’est seulement parce que les groupes de Madrid sont<br />
en train de vivre un truc incroyable et que les médias<br />
ne veulent pas rater le coche.<br />
Votre album sort dans quelques mois, quel a été votre<br />
processus d’écriture ?<br />
Carlotta : L’album pourrait être découpé en deux<br />
parties en terme d’écriture : la première a été écrite<br />
quand nous passions plus de temps à Madrid, avant<br />
que nous partions en tournée. Ces chansons ont été<br />
écrites et composées dans une salle de répétition et<br />
chez nous, d’une manière très relax où nous prenions<br />
notre temps. Puis nous avons commencé à tourner<br />
non stop et nous ne pouvons vraiment plus écrire.<br />
Notre vie en tournée se résume à jouer, dormir, faire<br />
des interviews (10 aujourd’hui, ndlr), des shootings et<br />
répondre à des emails ! Nous n’avons pas le temps<br />
de prendre une guitare. L’autre partie de l’album a été<br />
faite dans la fatigue, pendant de longues nuits sans<br />
dormir pour terminer les chansons en travaillant sur<br />
tous les instruments en même temps. Comme une<br />
explosion de musique lorsque nous sommes rentrées<br />
à Madrid alors que nous n’avions pas vu nos familles<br />
depuis des mois.<br />
Comment percevez-vous l’image des groupes de filles<br />
dans les médias ?<br />
Ana : Comme une image désastreuse qui s’améliore<br />
lentement.<br />
Carlotta : On m’a demandé l’autre jour si je ressentais<br />
être traitée de manière différente par mon label car je<br />
faisais partie d’un groupe de filles. Je n’ai jamais<br />
ressentie cela. Nous sommes différentes en tant que<br />
Hinds mais pas en tant que « groupe de filles » d’un<br />
label. Cette question est très compliquée pour nous<br />
car cela dépend du contexte et c’est quelque chose à<br />
laquelle nous ne voulons pas attachée une trop<br />
grande importance. C’est évident qu’il y un problème<br />
d’image quelque part mais nous n’y avons jamais<br />
vraiment été confronté. On se dit juste qu’il ne faut<br />
pas y attacher trop d’importance. Pourquoi nous<br />
inquiéter de que les gens pensent de nous ? On s’en<br />
fout.<br />
Ade : Cela dépend vraiment aussi des différences<br />
culturelles. Nous rentrons d’Amérique et face à cette<br />
question, les Américains sont incroyables. Il y a tant<br />
d’énergie, de soutiens aux filles qui font de la<br />
musique. Je n’ai jamais vu autant de femmes<br />
ingénieurs du son ou travaillant dans le secteur.<br />
Carlotta : Oui c’est dingue, il y a dix personnes dans<br />
les bureaux du label, dont deux garçons seulement !<br />
En Espagne, il y que des garçons, en Angleterre c’est<br />
plus ou moins différent…<br />
Nous approchons de la fin de l’année, il y a-t-il un<br />
album sorti en 2015 que vous avez écouté en boucle<br />
pendant votre tournée ?<br />
Carlotta : Nous avons beaucoup écouté Glass<br />
Animals, leur album est dingue. Beaucoup de The<br />
Districts également, Mø (lire interview en pages<br />
précédentes, ndlr). Mais c’est très drôle car nous<br />
n’avons jamais la Wifi pendant les tournées, n’importe<br />
où que l’on soit, cela ne capte jamais. On a cinq<br />
albums sur nos téléphones qui passent donc en<br />
boucle !<br />
Propos recueillis par Alice de Jode
FOXYGEN<br />
Rencontre/texte publiée le 23 octobre 2014<br />
Le duo Foxygen sera sur la scène de la Grande Halle de la Villette pour un concert d’Halloween à<br />
l’occasion du Pitchfork Music Festival, à Paris. Il présentera alors …And Star Power, le dernier résultat de<br />
tribulations punk. Jonathan Rado, le compositeur du groupe, nous a conté sous un soleil de plomb ses<br />
aventures californiennes.<br />
Depuis plusieurs années, Foxygen dispose d’une aura<br />
mystique dans notre imaginaire. Notre rencontre avec<br />
Rado, le compositeur du duo l’a confirmé, en y<br />
ajoutant une belle touche d’innocence. Si We Are The<br />
21st Century Ambassadors of Peace and Magic avait<br />
fait grand bruit à sa sortie début 2013, grâce à une<br />
production léchée et des mélodies gorgées d’air<br />
californien, Star Power apparaît au premier abord<br />
comme un obscur come back : 24 titres dont les<br />
durées varient entre une et sept minutes et une<br />
phrase qui peut laisser perplexe. “Star Power is the<br />
radio Station you can hear only if you<br />
believe.” Heureusement, le parfait triptyque<br />
d’ouverture nous enlace et nous mène au voyage<br />
punk de Sam et Rado. “C’est un album sur la folie, qui<br />
passe par tous les aspects de son spectre, de<br />
l’optimisme à l’incontrôlable névrose, explique<br />
Rado” De ce guet-apens bordélique émane une<br />
mélancolie plus assumée, sans fard. L’époque du<br />
lycée où les deux s’enfermaient dans leur garage pour<br />
composer des albums entiers tend à s’éloigner peu à<br />
peu. Le groupe avait partagé l’an dernier via les<br />
réseaux sociaux un album ultra barge (36 titres)<br />
nommé The Jurassic Explosion Philippic, composé<br />
lorsqu’ils avaient quinze ans. Le format du double<br />
album n’est donc pas une nouveauté pour eux. “Au fur<br />
et mesure de la composition, nous avons compris que<br />
nous étions dans le même processus que lors de<br />
l’écriture de Jurassic, à raconter des histoires d’aliens.<br />
Star Power s’apparente à une suite implicite de cet<br />
album.” Par ailleurs, Richard Swift (du groupe The<br />
Shins et bassiste des Black Keys) qui avait produit<br />
leur premier album après avoir découvert le génial EP,<br />
Take The Kids Off Broadways, n’était pas présent<br />
pour calibrer leurs dernières expérimentations en un<br />
format plus pop. “J’aurais aimé qu’il produise celui-ci,<br />
mais il n’était pas disponible, puis nous voulions<br />
prendre notre temps pour Star Power. Le précédent<br />
album avait été produit très rapidement. Nous nous<br />
sommes donnés cinq mois pour faire cet énorme<br />
puzzle.” A l’écoute de leur trip, c’est bien un<br />
sentiment de temps stoppé qui nous attrape,<br />
transcription d’une thérapie violente émanant des<br />
souvenirs chaotiques de la tournée, et nous fait<br />
regretter que peu d’artistes prennent ce genre de<br />
risque à l’ère de la “spotifisation” de la musique.<br />
“C’est un album auquel il faut laisser une chance. Il<br />
pourrait bien vous sauver la vie, mais seulement si<br />
vous y croyez.” Cette invitation au voyage est le<br />
résultat d’une session d’enregistrement qui a permis<br />
au groupe de renaître. “Ma relation avec Sam n’a<br />
jamais été en danger, confie Rado. Seulement, un<br />
enchaînement d’accidents et des annulations de<br />
tournées ont fait dire à la presse tout et n’importe<br />
quoi. Nous n’avons pas voulu nous en mêler. On a<br />
laissé faire et ce fut pour le mieux. Star Power était la<br />
catharsis dont nous avions besoin, un retour à ce<br />
pourquoi nous avions initié ce groupe.”<br />
Si Rado n’était pas musicien, il lâche avec<br />
nonchalance qu’il aurait aimé bosser dans un parking.<br />
“Tu restes toute la nuit dans ta cabine à regarder la<br />
télé, ça n’a pas l’air d’être un boulot stressant.”
Tellement sincère qu’on est désormais d’accord avec<br />
lui, parce qu’un parking en Californie c’est sûrement<br />
un super décor pour un film de la dynastie Coppola.<br />
Les deux lads s’enferment même au Château<br />
Marmont pour terminer d’enregistrer leur album,<br />
célébrant le mythique L.A Sound. “Nous avions<br />
terminé toute la partie instrumentale de l’album et<br />
nous étions arrivés à un point où mon petit garage,<br />
sans fenêtre, ne nous inspirait plus. On voulait<br />
s’échapper et profiter du fait qu’il nous restait du<br />
budget pour la préparation de l’album. Louer des<br />
chambres d’hôtel hyper chères nous est apparu<br />
comme l’alternative la plus cool.” La saveur si<br />
spéciale qu’ont les disques des années 70 de la Cité<br />
des Anges exerce une fascination sur Rado. “Notre<br />
album prend ses racines à L.A, dans les histoires qu’il<br />
raconte. Mais il reflète plus l’atmosphère avant et<br />
après la décennie 80, celle-ci est vraiment immonde !<br />
Si je devais remonter dans le temps, j’irais en 1976 où<br />
tous les groupes composaient des trucs super. J’ai<br />
l’impression qu’ils étaient tous sous la même<br />
substance bizarre cette année là. Ce devait être une<br />
bonne période pour écrire un album”. Rappelons alors<br />
que le célébrissime Rumours de Fleetwood Mac,<br />
sortait une année plus tard, après des sessions<br />
chaotiques de préparation. Le groupe fétiche de notre<br />
interlocuteur crevette (on lui donnerait bien dix-sept<br />
ans) nous fait dériver quelque temps, avant de faire à<br />
nouveau dévier la conversation sur l’album de Todd<br />
Rundgrenn, A Wizard, A True Star, sorti en 1973.<br />
“Beaucoup de gens le considère comme un album<br />
peu sérieux, anecdotique, mais il a vraiment<br />
bouleversé mon monde, je l’écoutais sur la route.”<br />
Cette épopée de rock progressif nous éclaire sur l’état<br />
d’esprit du compositeur. La clarté du propos n’est<br />
peut-être pas le premier objectif, mais les émotions<br />
s’entremêlent pour ne jamais nous ennuyer.<br />
“Certains groupes captent à la seconde où ils<br />
commencent à composer la direction qu’ils souhaitent<br />
prendre, analyse Rado. C’est un aspect merveilleux<br />
qui a le pouvoir de happer tout de suite l’auditeur<br />
lorsque c’est bien fait. Les Smiths par exemple y<br />
parvenaient, mais nous ne sommes pas du genre à se<br />
dire aujourd’hui « Je me sens triste, alors je vais<br />
écrire une chanson triste ». Sam et moi mélangeons<br />
différentes émotions, il n’y a pas de titres en lignes<br />
droites.” Voilà pourquoi nos petits préférés ne nous<br />
sortirons probablement jamais un certain album de la<br />
maturité, préférant osciller entre désillusions, avec<br />
Cosmic Vibrations au refrain nonchalant If You Want<br />
Me/You Can Have Me/But I’m All Used Up et grande<br />
tornade 666 .“On a voulu terminer l’album sur une<br />
note positive avec Everyone needs love, pour<br />
conclure notre voyage”.<br />
Star Power est donc une épreuve initiatique, qui prend<br />
ses racines avec un projet de Sam. “Il faisait des<br />
concerts très punks qu’il nommait Star Power,<br />
explique Rado. Il y faisait pas mal de bruit et cela<br />
nous a amené à nous dire ‘Et si Foxygen était un<br />
groupe punk ?’ Nous avons pensé à nous créer des<br />
sortes de personnages pour nous renouveler.”<br />
Entouré par des choeurs sur scène, le duo promet au<br />
public de ne pas être déçu, en live. “Sam est hyper<br />
actif, il peut passer la moitié du concert dans la foule,<br />
les filles qui chantent avec lui donnent un côté très<br />
soul et vivant au live. C’est une tradition qui se perd<br />
alors que c’est un plaisir de tourner à neuf ! Certes ça<br />
nous coute très cher mais faire que le public puisse<br />
profiter d’un véritable show, avec des petits pas de<br />
danse, c’est quand même cool !”.<br />
On ne peut que vous souhaiter d’adhérer au concept,<br />
ne serait-ce simplement que pour Coulda Been My<br />
Love, le meilleur slow à ce jour, ôde d’un amour<br />
impossible, rappelant en toute modestie No<br />
Expectations des Rolling Stones. Si vous vous laissez<br />
tenter par l’album entier, vous entendrez des cris, des<br />
voix d’enfants et de femmes, du grisonnement de<br />
radio et de belles prières : du rock’n’roll, en somme.<br />
Du vrai.<br />
Alice De Jode
ÖDLAND<br />
Interview publiée le 6 mai 2010<br />
Poétique, magique, déconcertant, surprenant, envoûtant… les mots ne manquent pas pour évoquer le<br />
premier album d’Ödland. Ce Projet fou et unique, « Ottocento » -c’est son nom- est une perle dans<br />
l’univers de la création musicale autoproduite et indépendante. Rencontre, en images et en paroles…<br />
Pouvez vous nous présenter Ödland en quelques<br />
mots ?<br />
C’est un projet musical intégralement acoustique qui<br />
puise ses inspirations dans le XIXe siècle et le<br />
Romantisme. Le groupe est formé de Lorenzo<br />
Papace, pianiste et compositeur, à l’origine du projet,<br />
d’Alizée Bingöllü au chant, d’Isabelle Royet-Journoud<br />
aux ukulélé et jouets et de Léa Bingöllü au violon. Sur<br />
l’album, la formation est complétée par Alice Tahon,<br />
au violoncelle.<br />
Votre unité est musicale mais, au delà, votre album<br />
est comme visuel, presque théâtral. Ce n’est pas<br />
seulement de la musique que l’on écoute, c’est aussi<br />
des images ! Par qui/quoi ont-elles été inspirées ?<br />
L’image est en effet une composante essentielle du<br />
groupe, comme de tout projet par essence en réalité.<br />
Le monde est pensé et dicté par l’image. Cela ne<br />
signifie pas que la nôtre est superficielle mais elle est<br />
un chemin obligatoire pour faire passer nos idées.<br />
Lorsqu’une image est ratée ou mal adaptée, un projet<br />
est mal perçu voire incompris. Nous utilisons<br />
beaucoup internet pour diffuser notre musique. Or<br />
internet est un média lui-même voué à l’image. Il n’y a<br />
que ça, pas de sons et encore moins de goûts ou<br />
d’odeurs. Si l’odorat était le sens le plus important<br />
dans notre société, alors peut-être aurions nous<br />
développé un parfum qui reflèterait notre univers<br />
musical.<br />
Quelle odeur ce parfum aurait-il pu avoir ?<br />
L’odeur d’un fruit désuet, sûrement. Notre culture est<br />
bien trop limitée en ce sens pour imaginer quelque<br />
chose d’intéressant. En revanche pour l’image, nous<br />
sommes plus à l’aise. Dans le groupe, Alizée est<br />
comédienne, Isabelle est photographe et Lorenzo est<br />
photographe et réalisateur. Ottocento en tant que<br />
disque, ce n’est donc pas seulement de la musique,<br />
c’est aussi un objet graphique précieux, inspiré par<br />
l’imagerie artisanale des vieilles boîtes de collection<br />
richement décorées. Nous avons réalisé les<br />
photographies en argentique, pour garder la magie de<br />
la chimie, en surface. Lorenzo a coréalisé deux clips<br />
pour la sortie du disque. “The Queen of Hearts” avec<br />
Vincent Pianina et “The Well” avec Maximilien<br />
Dumesnil sur le thème d’Alice au Pays des merveilles.<br />
L’idée était de se rapprocher des ambiances<br />
originales créées par Lewis Carroll.<br />
En parlant de Lewis Caroll, le nom du groupe fait<br />
d’ailleurs référence à un conte scandinave. Et<br />
l’univers de l’album pourrait parfaitement se<br />
retranscrire en livre…<br />
Absolument ! Nous aimerions beaucoup faire un livre<br />
qui reprenne l’ensemble des photographies que l’on a<br />
faites. Nous tenons énormément à ces images et au<br />
bout d’un moment, les voir sur un écran c’est lassant.<br />
Le format papier est incomparable, bien que le web<br />
fasse des merveilles, avec <strong>CRUMB</strong>, vous le savez,<br />
mais nous sommes déjà très contents du livret<br />
intérieur d’ « Ottocento » pour lequel on a vraiment<br />
soigné la présentation. Nous aimerions aussi publier<br />
un livre de partitions, mais c’est sûrement encore trop<br />
tôt. Il ne faut pas oublier qu’Ödland n’a pas plus d’un
an. Et même si en une année il s’est passé beaucoup<br />
de choses, on voudrait que cela aille toujours plus<br />
vite. Alors on tente d’être patients et de laisser le<br />
temps aux gens de découvrir notre musique avant de<br />
décliner notre univers sur d’autres supports.<br />
Vous êtes aux antipodes de la création musicale<br />
actuelle. La scène française d’aujourd’hui est-elle trop<br />
conventionnelle selon vous ?<br />
Beaucoup d’expériences sont menées mais trop<br />
souvent dans le silence. Ce n’est pas un problème de<br />
musiciens. En France comme ailleurs, il y a beaucoup<br />
de personnes créatives. Ce n’est pas non plus un<br />
problème de public. Quoi qu’on en dise, le public<br />
français n’est pas une “masse” qui ne supporte que la<br />
musique facile et bête. Il y a au contraire beaucoup de<br />
curieux. Nous sommes à chaque fois étonnés de voir<br />
que notre musique touche des personnes de tous les<br />
horizons, sans limite de culture ou de distinction. Cela<br />
fait d’ailleurs plaisir à voir car nous apportons quelque<br />
chose d’assez proche de la musique classique.<br />
Beaucoup de personnes y sont réceptives et laissent<br />
tomber les préjugés. S’il y a un problème, il vient de<br />
l’industrie et des personnes qui prennent des<br />
décisions automatiques au nom de la culture de<br />
masse. Ce phénomène n’est pas limité au seul<br />
domaine de la musique mais c’est là que nous le<br />
ressentons le plus. Ödland n’intéresse pas les majors<br />
de l’industrie musicale. On nous a reproché de ne pas<br />
être assez “mainstream” ! Alors, nous avons décidé<br />
de promouvoir notre musique telle qu’elle est et nous<br />
verrons si cela fonctionne ou non. Nous<br />
autoproduisons nos albums, nous les dessinons nousmêmes,<br />
les enregistrons, les fabriquons, les vendons,<br />
les distribuons. Alors bien sûr c’est beaucoup moins<br />
rapide, mais les personnes que nous touchons de<br />
cette façon ne tombent pas amoureuses de notre<br />
musique sous l’effet d’une campagne de publicité,<br />
seulement parce que notre univers les a séduit d’une<br />
façon ou d’une autre. Nous ne savons pas jusqu’où<br />
nous irons, si un jour l’industrie nous aidera ou non,<br />
mais nous savons que les débuts se font seuls, que<br />
chaque nouveau fan ou chaque CD vendu représente<br />
déjà pour nous une grande chance.<br />
La plupart de vos chansons sont écrites et<br />
interprétées en anglais. Pourquoi ?<br />
C’est avant tout parce que nous avons d’abord eu<br />
plus d’écoute en Angleterre et en Allemagne avec<br />
notre premier EP que nous utilisons cette langue.<br />
Dans notre premier EP, il n’y a qu’une seule chanson<br />
qui contient un peu d’anglais. Si vous écoutez<br />
Ottocento, les parties anglaises qui s’y trouvent sont<br />
presque absolument toutes extraites de l’œuvre<br />
originale d’Alice au Pays des Merveilles. Pour tout le<br />
reste, nous restons des amoureux de la langue<br />
française, il serait trop dommage de la laisser de côté<br />
! La signification des chansons, les histoires et<br />
l’humour nous importent beaucoup. Nous avons<br />
énormément d’écoute à l’international. Nous envoyons<br />
des albums aux États-Unis et même au Japon. C’est<br />
pourquoi nous sommes partagés entre l’anglais et le<br />
français. Notre premier morceau, The Caterpillar<br />
mélangeait anglais et français, politesse et<br />
irrévérence, à l’image de ce chapitre d’Alice où la<br />
discussion avec la chenille se perd dans des jeux sur<br />
les bonnes manières. Ces paroles ouvrent notre<br />
album “That Is Not Said Right, Not Quite Right I’m<br />
Afraid” et parlent de la peur.<br />
Quelle est la chose qui vous fait le plus peur ?<br />
Ne pas avoir le temps de conquérir le monde.<br />
Une dernière chose à dire aux lecteurs de <strong>CRUMB</strong> ?<br />
Nous aimons vents et violons, piano et nuages. Il faut<br />
que nous rêvions pour ne pas oublier ce paysage.<br />
Nous sommes nés dans un train fou et voyageons<br />
avec des fantômes. Notre ombre va renaître car le<br />
passé nous éclaire. Bienvenue sur nos terres !<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié.
DOMINIQUE<br />
A<br />
Interview publiée le 17 mars 2012
« Dieu que cette histoire finit mal / On n’imagine jamais très bien / Qu’une histoire puisse finir si mal /<br />
Quand elle a commencé si bien ». Voilà vingt ans que ces quatre vers, relayés au grand public par<br />
Bernard Lenoir, vinrent discrètement nous chatouiller les oreilles. Dominique A et son Courage Des<br />
Oiseaux débarquèrent alors sur la scène française désinhibant bon nombre d’artistes voulant prendre la<br />
relève. De disque en disque, de scène en scène, Dominique A s’est renouvelé, devenant une référence<br />
en nous surprenant à chacune de ses étapes. A l’heure de la rétrospective, l’intégralité des ses albums<br />
est rééditée et bonifiée, alors qu’une tournée anniversaire passant par le Théâtre de la ville à Paris a pris<br />
fin à l’aube de la sortie de Vers Les Lueurs, son neuvième album attendu le 26 mars prochain. Derrière<br />
son micro, ses pas dansants syncopés voire spasmés, secs et gracieux, fouleront encore de nombreuses<br />
planches dès le mois prochain, pour notre plus grand plaisir, afin d’écrire une nouvelle page de sa déjà<br />
brillante carrière.<br />
Dominique, pour fêter vos vingt ans de carrière, vous<br />
ressortez tous vos CDs, dont les quatre premiers remasterisés.<br />
Cela vous tenez à cœur de retravailler le<br />
son de ces albums?<br />
Cela me tenait à cœur dans le sens où comme on<br />
ressortait tous les disques, je voulais que ce soit<br />
optimisé. J’avais vraiment envie d’en ressortir<br />
quelques-uns, surtout La Fossette, mais je n’espérais<br />
pas que tout le soit (rires). Cela a été difficile, suite à<br />
mon changement de maison de disque de EMI à<br />
Cinq7, puis finalement ils se sont entendus. Il y a<br />
également eu le hasard du calendrier avec la<br />
programmation au Théâtre de la Ville, à Paris,<br />
coïncidant avec les vingt ans du premier album. Cela<br />
me permettait d’envisager de rejouer le premier album<br />
sur scène, et donc de le reproposer remasterisé dans<br />
les bacs. Finalement par ricochets, tout est ressorti.<br />
En regardant ces rééditions et tous les bonus<br />
présents, on remarque que vous avez fait beaucoup<br />
de tris, vous auriez pu sortir quinze albums !<br />
C’est vrai, cela fait seize disques en tout. J’aime bien<br />
les ébauches et les versions de travail qui<br />
n’aboutissent jamais et restent en l’état. Il y a les<br />
disques officiels et des espèces de morceaux qui<br />
courent, qui s’agrippent, comme ces bonus. Au final,<br />
ces morceaux-là sont tout de même rattachés à des<br />
périodes, symbolisées par les disques. J’avais envie<br />
de les faire écouter. Le fait de tout ressortir<br />
aujourd’hui en magasin, implique de toute façon une<br />
politique de bonus. On peut être contre ou pas, moi je<br />
n’ai rien contre, du moment que ce n’est pas vendu<br />
trente euros. Il fallait que ce soit cohérent, que le<br />
disque bonus soit au moins aussi long que l’album<br />
original, et c’est le cas. Cette réédition m’a permis de<br />
vider le sac, Maintenant il n’y a plus rien à sortir, j’en<br />
suis débarrassé et vous aussi (rires).<br />
Le mois dernier j’ai réécouté La Fossette, chose que<br />
je n’avais plus faite depuis des années. Et j’ai éprouvé<br />
deux sensations inédites. La première j’ai souri, puis<br />
la seconde a été une réflexion sur le fait d’avoir sorti<br />
un album comme celui-ci fait maison, à cette époque.<br />
Vous avez ouvert des portes incroyables à de<br />
nombreux artistes. Comment avez-vous vécu cela il y<br />
a vingt ans ?<br />
Dans une inconscience totale. La démarche a été<br />
personnelle, mais tout de même dirigée. J’avais<br />
conscience que ce n’était pas dans la norme, mais en<br />
même temps j’étais persuadé du bien fondé de ma<br />
démarche. Par contre, de là à déclencher des déclics<br />
chez des gens, ce n’était pas mesurable. Je savais<br />
que cela pouvait plaire à des personnes qui étaient<br />
dans le même esprit que moi, mais je n’aurais pas<br />
pensé que cela puisse susciter des réactions tant<br />
extrêmes, aussi fortes. Aujourd’hui, à l’heure de la<br />
rétrospective, maintenant que les choses se sont<br />
décantées on se dit “Oui cela a ouvert des portes”,<br />
mais sur le moment ce n’était pas aussi clair.<br />
L’histoire se réécrit un peu a posteriori. Cet album ne<br />
s’est pas vendu par centaine de milliers, cela a été<br />
assez souterrain, très progressif, le bouche à oreille a<br />
très bien fonctionné. Au final, tout cela amène la<br />
dimension du disque culte, mais ce n’est que très tard<br />
que je m’en suis rendu compte.<br />
C’est comme Un Disque Sourd en bonus de La<br />
Fossette dans cette rétrospective. Cet album a un son<br />
incroyable avec le vinyle que l’on entend craquer,<br />
pourquoi ne pas l’avoir sorti à l’époque ?<br />
En fait, La Fossette est Un Disque Sourd abouti. Au<br />
départ Un Disque Sourd a été autoproduit et tiré à très<br />
peu d’exemplaires. Par la suite, Vincent Chauvier de<br />
Lithium (son premier label, ndlr), m’a contacté pour<br />
faire un disque. Je lui ai dit que je voulais sortir celuilà<br />
tel quel. Seulement, d’autres morceaux sont arrivés<br />
entre temps. A l’époque, il n’y avait pas lieu de<br />
ressortir un disque où la moitié des morceaux auraient<br />
été communs.<br />
Vous regrettez ce label indépendant qu’était Lithium ?<br />
Non pas du tout. Cela a été une belle histoire, assez<br />
passionnante d’ailleurs, parce que c’était un état<br />
d’esprit. Ce label avait une identité très forte. L’histoire<br />
lui a échappé, il n’a pas eu l’identité qu’il avait envie<br />
de se construire autour de la chanson française.
Vincent Chauvier voulait faire de la Noisy Pop. La<br />
Fossette a ensuite eu du succès et de fil en aiguille il<br />
a sorti pas mal d’artistes solos similaires à ce genre. A<br />
la longue, il en avait marre de cette image de label<br />
proposant de nouveaux chanteurs français. Au fond,<br />
cela ne l’intéressait pas. Le label a été imprégné de la<br />
personnalité de Vincent. Même sur mes disques et<br />
notamment les quatre premiers, des choix ont<br />
vraiment été faits, de par sa personnalité. Je ne peux<br />
pas dire que je regrette car à la fin on arrivait dans le<br />
mur où on se frittait sur les choix artistiques, mais cela<br />
a été très fructueux.<br />
Beaucoup d’artistes vous citent comme influence.<br />
Vous êtes une référence pour les acteurs de la<br />
chanson française, de la scène rock ou indé. Vous<br />
faites également parti d’une même scène globale, on<br />
pourrait dire. Je pense à Miossec, Cali, Yann Tiersen,<br />
entre autres. Christophe Miossec vous a même piqué<br />
votre groupe pour son très bon dernier album.<br />
(Rires) Oui c’est vrai, qu’un cercle s’est créé. Bon<br />
cette fois-ci cela en devenait quand même un peu<br />
grotesque. Le groupe est parti enregistrer avec<br />
Miossec sans trop m’en avoir parlé ; je l’ai un peu mal<br />
pris. En même temps je ne les salarie pas, il n’y a pas<br />
de contrat d’exclusivité. Ce groupe composé de David<br />
Euverte, Thomas Poli et Sébastien Buffet a été<br />
constitué sur ma tournée précédente et un son de<br />
groupe s’est créé sur celle-ci. J’avais envie de<br />
continuer avec eux. Ensuite ils ont eu envie de faire<br />
des choses avec Miossec, j’ai rien à dire, simplement,<br />
ce que je disais à Christophe,- et on s’est expliqué à<br />
ce niveau-là, c’est que l’on s’est déjà tellement<br />
rapproché l’un de l’autre que si en plus on tourne avec<br />
les mêmes musiciens, hormis les problèmes<br />
d’organisations, cela ne peut être sain. Après ce qu’ils<br />
ont fait sur l’album de Miossec a une identité, qui n’est<br />
pas forcément celle qu’il y aura sur mon prochain<br />
disque. Donc pour moi il n’y a pas de souci, du<br />
moment qu’on ne tourne pas en même temps. C’est<br />
tout le problème, justement, pour rejoindre ta<br />
question, d’appartenir à une même scène.<br />
Pour continuer à parler de cette scène justement,<br />
vous aviez d’ailleurs failli monter un groupe avec<br />
Philippe Katerine plus jeune ?<br />
Oui, on avait créé un petit truc tous les deux, on faisait<br />
cela chez lui, il habitait encore chez ses parents. On<br />
avait fait des enregistrements quatre pistes, qui ont<br />
donné trois-quatre morceaux débiles, assez marrant<br />
d’ailleurs. C’était surtout un truc d’amitié.<br />
Un mot sur la tournée événement-anniversaire. Cela<br />
se passe bien ?<br />
Oui très bien. On propose une relecture à trois (piano,<br />
guitare, synthé, voix, ndlr) de La Fossette, avec très<br />
peu de boîtes à rythmes contrairement au disque<br />
original. C’est assez épuré, mais cela fonctionne<br />
plutôt bien. La deuxième partie est réservée<br />
exclusivement aux nouvelles chansons, on est dix sur<br />
scène dont un quintet à vents. C’est à la fois très<br />
électrique et arrangé, assez ample en fin de compte.<br />
Les gens viennent voir un double truc, c’est assez<br />
marrant.<br />
Ce n’est pas vraiment une tournée, car c’est une<br />
formule qui est très lourde. Onze musiciens plus cinq<br />
techniciens, cela fait seize personnes sur la route,<br />
pour des soucis de logistiques on est davantage sur<br />
des dates événementielles. On fait cinq dates en<br />
janvier juste après avoir enregistré l’album. Début<br />
février nous mixons et l’on ne rejouera pas avant fin<br />
mars, début avril.<br />
D’ailleurs, quelle sera l’ambiance de ce nouveau<br />
disque ?<br />
Il y aura le groupe rock de base, plus un bassiste, un<br />
américain excellent, Jeff Hallam. Nous avons mis<br />
l’accent sur le quintet à vent (hautbois, cor anglais,<br />
clarinette, clarinette basse, et flûte, ndlr). Les<br />
arrangements ont été faits par David Euverte aux<br />
claviers. Je lui ai remis les guitares-voix, je voulais<br />
vraiment travailler sur le mélange électrique et<br />
acoustique, du coup on s’est basé sur un quintet à<br />
vents pour l’accompagnement. Une fois les<br />
arrangements fait à partir de mes guitare-voix, on a<br />
travaillé tous ensemble, électrique plus acoustique. Il<br />
y a vraiment eu un travail autour du quintet, et<br />
harmoniquement c’est assez riche, très coloré.<br />
Beaucoup de chansons sont accès sur le thème de la<br />
lumière, avec une approche un peu moins urbaine.<br />
En contraste avec Remué ?<br />
Oui, c’est un peu plus rural (rires). Il y a beaucoup de<br />
chansons sur la campagne, comme un cadre<br />
rupestre. C’est quelque chose qui est à la fois<br />
énergique, tenu, mais avec beaucoup d’éléments<br />
mélodiques et harmoniques. Nous avons enregistrés<br />
dans des conditions qui s’apparentent à du live. Avec<br />
le groupe de base on a fait les prises de cette façon,<br />
cela nous a permis de transmettre une nouvelle<br />
énergie et le quintet est venu se greffer par-dessus.<br />
C’est quelque chose de nouveau pour vous en studio,<br />
d’enregistrer en live.<br />
Oui. Je crois que le disque va sonner de manière<br />
différente. Tout sera comme avant, assez boursouflé.<br />
Je voulais retenter quelque chose dans ce genre là,<br />
mais sans les boursouflures, avec un côté immédiat,<br />
sans aucunes bricoles ou bidouillages sur Pro Tools.<br />
A la base, sur celui-ci on devait enregistrer en live<br />
total, pour être au plus proche de ce que l’on fait<br />
actuellement sur scène. Au Théâtre de la Ville, ce que<br />
l’on va jouer, ce sera le son de l’album. Il y a un truc<br />
très direct. L’écriture est assez ambitieuse en terme<br />
d’arrangements, il fallait alors que ce soit très<br />
immédiat, et c’est cela qui marche.<br />
Ce sera toujours Dominique Brusson au son?<br />
(Collaborateur, co-producteur ou mixeur des albums<br />
de Dominique A depuis 1999 et l’album Remué, et<br />
ingénieur du son des lives, ndlr)<br />
Oui, comme c’est lui qui fait le live, c’était évident que<br />
pour ce disque ce soit encore lui. On travaille bien, il y<br />
a vraiment un ping-pong entre lui et moi. Il y a un<br />
rapport de complicité dans la production que j’aime. Si<br />
aujourd’hui on me dit de travailler avec un autre<br />
producteur, cela ne m’intéresse pas. C’est un truc que<br />
l’on a développé ensemble sur des années, que moi
j’adore. Comme les projets changent et évoluent, c’est<br />
passionnant. Tant que cela ne ronronne pas, tant que<br />
l’on sent que l’on va sur des terrains différents, il n’y a<br />
pas de raison d’arrêter la collaboration, au contraire.<br />
Pour ce neuvième opus, qu’est-ce qui a déclenché<br />
l’écriture et la composition? Un moment particulier?<br />
Comme votre voyage au Groenland qui a provoqué<br />
l’album L’horizon par exemple.<br />
Il y a quelque chose de terre à terre qui s’est imposé.<br />
Il était hors de question pour moi de rejouer La<br />
Fossette en live pour ces concerts événements, sans<br />
seconde partie originale. J’y suis allé un peu à tâtons,<br />
je n’avais pas vraiment d’envie particulière, si ce n’est<br />
dans les textes d’avoir une approche un peu plus<br />
différente, moins urbaine. Le thème de la lumière est<br />
venu assez rapidement, et cela a été très évolutif. J’ai<br />
du me tenir à une certaine simplicité. Je ne voulais<br />
pas que l’ambition des arrangements ne parasite la<br />
simplicité de l’écriture.<br />
Avez-vous déjà eu envie d’associer votre musique à<br />
d’autres arts ? Cinéma ? Théâtre ? Littérature ?<br />
Non, pas encore. Par contre, j’ai écrit un petit bouquin<br />
en prose qui paraîtra chez Stock en mai, qui est<br />
autobiographique et lié au rapport qu’on entretient<br />
avec l’idée de l’enfance. Il s’appelle Y revenir. C’est<br />
mon unique incursion hors chansons. Dernièrement<br />
on m’a demandé d’intervenir pour le théâtre sur un<br />
projet intéressant. Un jeune metteur en scène rennais<br />
a envie de travailler sur un texte de Marina Tsvetaeva,<br />
qui est une poétesse russe du début du XXème<br />
siècle. Elle a eu une destiné incroyable. J’ai fait une<br />
chanson sur ce personnage il y a quelques années.<br />
Par ce biais là il m’a contacté, et il aurait aimé mettre<br />
en scène un texte qui est réputé pour être quasiment<br />
impossible à monter. J’ai bien aimé son discours, la<br />
pièce à l’air passionnante. En ce moment, je n’ai pas<br />
le temps de me plonger dans des aventures comme<br />
cela, mais dans le futur pourquoi pas.<br />
J’ai essayé de faire des musiques de films par le<br />
passé. Je n’ai pas aimé la démarche, le rapport à l’art,<br />
le langage différent. J’ai besoin de me sentir en<br />
interaction avec un texte. Faire de la musique<br />
indépendamment d’un travail sur l’écriture m’intéresse<br />
moins, je me sens moins légitime, pas suffisamment<br />
armé.<br />
Pouvez-vous nous dire ce qu’il tourne en ce moment<br />
sur votre platine ?<br />
Les derniers trucs que j’ai écouté et aimé, ce sont<br />
deux disques sortis par un label Suisse que j’aime<br />
vraiment bien. Le label s’appelle Two Gentlemen. Le<br />
premier CD a pour nom General Thoughts And Tastes<br />
et le groupe Honey For Petzi. Petzi comme l’ours des<br />
BD, c’est du math-rock assez mélodique avec un<br />
super son. Sur le même label, j’ai beaucoup apprécié<br />
un artiste qui s’appelle Fauve, c’est son deuxième<br />
album Clocks ’N’ Clouds, et il est vraiment brillant,<br />
mélange de Sufjan Stevens, et David Sylvian dont il<br />
s’est beaucoup inspiré, les chansons sont excellentes.<br />
Ce sont les derniers sons récents que j’ai vraiment<br />
aimé et que j’ai surtout pris le temps d’écouter.<br />
Et sur votre table de chevet qu’est-ce qu’il traîne ?<br />
Je lis plusieurs livres à la fois. Je suis en train de lire<br />
Les Solidarités Mystérieuses de Pascal Quignard, je<br />
n’avais jamais rien lu de cet auteur, j’aime bien le<br />
style. J’ai aussi commencé un bouquin qui s’appelle<br />
Le Pilon de Paul Desalmand, c’est un bouquin assez<br />
marrant. C’est un livre qui parle de sa vie de livre.<br />
C’est un exercice de style mais qui est plutôt pas mal,<br />
on sait déjà qu’il va finir au pilon (rires), mais cela<br />
parle du rapport à la culture, à la littérature. Je l’ai<br />
dans la poche, je l’ai acheté par hasard, j’aime bien<br />
piocher comme cela dans les librairies. (Il va le<br />
chercher dans sa veste pour me le faire feuilleter). J’ai<br />
également acheté un bouquin dont j’avais entendu<br />
parler, mais je ne sais pas si je vais avoir le courage<br />
de le lire. Il s’appelle La Traversée de la France à la<br />
nage de Pierre Patrolin, chez P.O.L, cela fait 700<br />
pages, et c’est un mec qui se baigne dans tous les<br />
fleuves de France (rires). C’est assez contemplatif et<br />
naturaliste, mais cela a vraiment l’air super bien.<br />
Vous avez parlé de l’enfance tout à l’heure, et avec<br />
toute votre actualité (Rétrospective dans les bacs,<br />
rejouer La fossette sur scène, votre bouquin Y<br />
revenir), j’ai envie de vous demander si vous êtes<br />
nostalgique ?<br />
Non, je ne crois pas. Je pense être honnête en disant<br />
cela, mais il n’y a pas d’autres périodes où j’aimerais<br />
être en dehors de celle-ci. Aujourd’hui ne me semble<br />
pas moins enviable qu’hier, aucunement. Par contre,<br />
j’aime le rapport assez franc avec le passé, qui n’est<br />
pas un rapport de fuite mais une sorte de régurgitation<br />
de ce que l’on a vécu, de ce que l’on vit, qui nous<br />
permet d’appréhender l’avenir avec plus d’armes. Je<br />
suis donc dans une régurgitation volontaire et<br />
permanente, mais je ne suis pas dans le regret. Je ne<br />
lamente pas mon enfance, je ne la magnifie pas non<br />
plus, je ne l’idéalise pas. Les beaux moments je les<br />
garde, comme chacun, comme des trésors. Mais<br />
quand c’est fini, c’est fini.<br />
Pour beaucoup, nostalgie rime avec blessures et<br />
souffrances, comme quelque chose qui ronge.<br />
J’adore le rapport avec le passé, celui au temps. Les<br />
gens croient que je suis passéiste, puis là je fais un<br />
bouquin qui s’appelle Y revenir. Mais c’est simplement<br />
une digestion des choses, d’acceptations, et de toutes<br />
ces choses qui permettent d’asseoir le présent et le<br />
jour d’après. Si tu ne construis pas ton passé, il va te<br />
rattraper et te pourrir la vie. Pour moi le passé est une<br />
construction tout comme le souvenir. Ce sont des<br />
thèmes qui me passionnent, même si je ne les pas. Je<br />
n’ai pas l’impression que ce soit par volonté de revivre<br />
ce que j’ai vécu. Mêmes les meilleurs moments de ma<br />
vie, je parle notamment des rencontres amoureuses,<br />
et bien je peux te dire que je préfère faire une<br />
interview avec toi là maintenant, pour <strong>CRUMB</strong>, plutôt<br />
que de revivre cela.<br />
Propos recueillis par Aurélien Lovalente<br />
Photo : Pauline Darley, assistée de Maxime<br />
Stange, pour Crumb<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
BLEU<br />
by Johann Bouché-Pillon
Série photo publiée le 27 janvier 2014<br />
Johann Bouché-Pillon est un photographe plasticien parisien à l’univers visuel riche. Après des débuts en graffiti au cours<br />
desquels il développe son goût pour l’expressionnisme et la transgression, il s’achemine vers une œuvre plus minimaliste.<br />
Patient, méticuleux, accompagné de ses fidèles appareils analogiques, l’artiste -inconditionnel de cinéma de la Nouvelle<br />
Vague- crée puis photographie, tour à tour, donnant ainsi à ses travaux l’allure de véritables performances. Pour Crumb, il<br />
dévoile aujourd’hui “Bleu”, une série inédite.<br />
.
THE DØ<br />
Interview publiée le 19 mars 2011<br />
Dan & Olivia ont envahi les ondes en 2008 avec On My Shoulders. Le couple franco-finlandais fusionnel<br />
et multi-créatif a depuis sorti un second album, Both Ways Open Jaws. Comme un nouveau chapitre écrit<br />
sur des orchestrations méticuleusement soignées. Nous rencontré Olivia.<br />
Votre nouvel opus est encore plus créatif et riche que<br />
le précédent… Comment l’avez-vous appréhendé et<br />
travaillé ?<br />
Dan a une manière amnésique de travailler. Il est<br />
dans l’oubli permanent de ce qui vient de se passer,<br />
de ce qui vient d’être réalisé et du coup, il était dans<br />
un système de création permanente. Je pense que<br />
c’est en rapport avec toutes les musiques qu’il écoute,<br />
qu’elles soient improvisées ou contemporaines. A<br />
quinze ans il écoutait Boulez (Pierre Boulez, ndlr) et<br />
toujours aujourd’hui d’ailleurs. Ce n’était pas du tout<br />
structuré dans sa tête, alors que, de mon côté, j’ai<br />
essayé de faire en sorte que ça le soit. J’ai bien dit «<br />
essayé ». Au final, cela a donné Both Open Jaws…<br />
L’album recèle une part de cinématographie que<br />
n’avait pas forcément le premier…<br />
Dans la texture, les arrangements et les couleurs, oui.<br />
Cela fait partie du travail de Dan, de son obsession à<br />
vouloir donner à chaque morceau une vraie identité.<br />
Je pense que l’on peut considérer cet album comme<br />
un « long métrage » dans le sens où il apparaît<br />
comme beaucoup plus cohérent que le premier, qui<br />
était lui, dans une veine déstructurée. A Mouthful<br />
aurait pu être un recueil de courts-métrages.<br />
Un long-métrage ici, qui reprend me semble t-il,<br />
l’imagerie de contes pour enfants…<br />
C’est possible, oui. Nous avons beaucoup regardé de<br />
films pendant l’enregistrement. Je pense que cela<br />
nous a vraiment inspiré, notamment un film japonais<br />
de 1964 : Onibaba, de Kaneto Shindô. J’ai lu un<br />
article dessus, d’ailleurs, qui disait « Onibaba se<br />
ressent plus qu’il ne se critique ». Ca le décrit très<br />
bien. Il y a de la poésie, de la violence, de la magie.<br />
C’est l’histoire de deux femmes qui vivent seules au<br />
milieu des roseaux en temps de guerre. Des soldats<br />
se perdent dans ce champ et elles les tuent parce<br />
qu’elles n’ont pas d’argent. Elles vont revendre leurs<br />
vêtements, leurs armes, leurs armures et le tout<br />
devient une super histoire. Et puis, surtout, il y a toute<br />
cette imagerie autour du masque…<br />
Ce masque qui engendre un rapport totalement<br />
personnel, presque intime avec vos chansons…<br />
Je ne peux pas l’imaginer autrement ! C’est la raison<br />
pour laquelle j’ai encore un peu de mal à en parler.<br />
J’ai affronté beaucoup de démons et mis en forme<br />
certains mots que je n’utilisais jamais, j’ai essayé de<br />
combattre beaucoup de peurs dans cet album. Dan<br />
aussi. Je crois bien que nous sommes un duo de<br />
peureux.<br />
De quoi avez-vous peur ?<br />
J’ai eu peur du noir pendant longtemps. Je crois que<br />
j’ai gardé quelques traces de mes traumatismes. A<br />
vrai dire, j’ai peur un peu de tout. Il y a un côté très<br />
sombre sur cet album sauf sur Bohemian Dances<br />
précisément où l’on ressent beaucoup plus<br />
d’insouciance et de légèreté. Quoi qu’il en soit, j’aime<br />
l’idée que cet album soit hanté.<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
SOKO<br />
Interview publiée le 16 mai 2012<br />
S.O.K.O. Quatre lettres qui vous rappelle à hier lorsque vous fredonniez peut-être sans le savoir son<br />
fameux « I’ll Kill Her ». Mais Soko c’est surtout une adulescente avec des brouillons dans la tête et au<br />
coeur, des vidéo-clips images inspiration enfance tournées façon 8mm. Musicalement, un genre ovni<br />
dirait-on ou bien alien, au choix. Pas forcément avenante, pas forcément sympa. Mais des trucs à livrer et<br />
révéler. Premier album. Premiers mots pour <strong>CRUMB</strong>.<br />
Comment qualifierais-tu ce premier album ?<br />
Je voulais que cet album soit très intime, honnête et<br />
touchant. Un ensemble vrai, intense et un peu<br />
dreamy. Les chansons sont pour moi comme des<br />
secrets racontés.<br />
Un peu journal intime ?<br />
Oui, parce que tout ce que j’écris, je l’ai vraiment<br />
vécu. Je ne me verrais pas du tout monter sur scène<br />
et raconter des histoires fausses ou des trucs<br />
inventés.<br />
On sent dans tes chansons le besoin de parler d’un<br />
certain mal-être…<br />
J’ai vraiment ce truc débile d’artiste torturé qui ne peut<br />
écrire que quand il ne va pas bien. J’imagine que c’est<br />
cliché mais ça transparaît forcément. Je suis tout le<br />
temps un peu up and down et les chansons que<br />
j’écoute ne sont pas très joyeuses donc. J’ai écris<br />
beaucoup de paroles sur la dépression et le suicide.<br />
Et tu penses qu’un jour tu pourrais parler de tes joies<br />
aussi ? Que ça t’inspirerait ?<br />
Je ne sais pas. Je crois que je suis un peu trop<br />
torturée pour ça.<br />
Dans tes vidéos et tes textes, tu as un fort rapport à<br />
l’enfance, c’est une source d’inspiration très<br />
importante ?<br />
J’ai un vrai côté nostalgique. J’ai grandi trop vite et<br />
voulu être une adulte trop tôt. Je suis partie de chez<br />
mes parents à 16 ans et à 20 ans j’avais l’impression<br />
d’être une mamie, d’avoir déjà tout fait. Si je restais là,<br />
immobile, j’allais stagner et ma vie allait être<br />
misérable. J’ai fait une espèce de crise<br />
d’adolescence, du genre bombe à retardement.<br />
J’avais envie d’être complètement sans attaches,<br />
insouciante et vivre un peu comme un enfant.<br />
Hook, est mon film préféré. Je pense que quand on<br />
sait cela de moi, on sait beaucoup de choses. C’est<br />
vraiment important pour moi de ne pas perdre l’enfant<br />
que l’on était, de pouvoir encore s’amuser, voler et<br />
aller au pays imaginaire si on en a envie.<br />
Et ce premier album, c’est ton bébé ?<br />
Oui ! À chaque montée de chaque petite marche,<br />
j’avais envie d’y arriver toute seule. Je voulais pouvoir<br />
jouer de tous les instruments, faire tous les<br />
arrangements, être à fond dans la production, réaliser<br />
mon artwork, faire mon site web, tourner mes vidéos.<br />
Pour moi, c’est un ensemble ! Le truc le plus flippant,<br />
ce serait d’être un produit contrôlé par d’autres. J’ai la<br />
chance que l’on me laisse faire un peu ce que je veux.<br />
Donc j’en profite et je contrôle tout !
Et sans perdre ce pouvoir-là, tu as tout de même<br />
collaboré avec des artistes à L.A. ? Comment ça s’est<br />
passé, et avec qui ?<br />
À L.A., il y a une vraie scène musicale indé et quand<br />
on joue un peu là-bas, on rencontre vite tout le<br />
monde. Stella de Warpaint, une de mes super potes,<br />
a fait des guitares sur mon album. Harper Simon, le<br />
fils de Paul Simon, a aussi joué de la guitare vingt<br />
secondes sur un morceau. C’était très spontané,<br />
j’habitais à Echo Park, j’avais une grande maison<br />
avec un studio, les gens passaient prendre le thé tout<br />
le temps et on faisait de la musique.<br />
Tu as aussi collaboré avec Alexander Ebert… (album<br />
solo Alexander sorti en 2011 et chanteur du groupe<br />
Edward Sharpe and the Magnetic Zero, ndlr)<br />
On peut dire que c’était une collaboration en quelque<br />
sorte. Pas musicalement, mais c’était mon amoureux.<br />
Il m’a aidée de manière différente, à choisir les<br />
chansons de l’album, à faire le séquençage. Nous<br />
étions séparés quand je finissais l’album mais il a<br />
vraiment été d’un soutien incroyable. Et quand j’avais<br />
arrêté de faire de la musique pendant un an, parce<br />
que je ne supportais plus et que je ne m’en sortais<br />
pas avec mon album, c’est lui qui m’a motivée à m’y<br />
remettre.<br />
Tu a écris cet album depuis un bout de temps et il est<br />
prêt depuis juin 2011. Comment te sens-tu depuis la<br />
sortie ?<br />
J’ai été complètement en énorme dépression et je<br />
suis sous antidépresseurs depuis un mois. Voilà<br />
comment je me sens.<br />
…<br />
Je ne m’étais jamais dit, en écrivant, que les gens<br />
allaient écouter. Dans la vie, tu n’as qu’une chance<br />
pour faire un truc une première fois ; ça y est, cette<br />
première fois est passée, qu’est-ce que je fais après ?<br />
Tu commences à réfléchir à tes projets futurs ?<br />
Je fais peut-être un film cet été et je vais à LA dans<br />
quatre jours pour faire une autre vidéo et mixer.<br />
Que tu vas aussi réaliser ?<br />
Oui.<br />
Toujours avec un iPhone ?<br />
Oui, avec l’application 8mm.<br />
Est-ce que tu penses ou travailles déjà à d’autres<br />
projets musicaux ?<br />
J’ai déjà deux autres albums prêts, oui, que j’ai juste à<br />
mixer. J’écris et je fais de la musique tous les jours. Je<br />
suis une grosse « music nerd ». Le premier truc que je<br />
fais quand je me réveille le matin c’est mettre la<br />
musique et le dernier truc c’est éteindre la musique.<br />
C’est ma vie.<br />
Quels sont les albums qui tournent en ce moment<br />
dans ton iPod/iPhone ?<br />
Le nouveau Perfume Genius, quelques chansons du<br />
nouveau Baxter Jury, le dernier The Tallest Man On<br />
Earth, le dernier Kurt Vile, que j’écoute depuis un an…<br />
Le dernier Deerhunter dont je ne me lasse pas…<br />
Pas d’influences plus anciennes, depuis l’enfance par<br />
exemple ?<br />
J’ai Odyssey and Oracle des Zombies, qui est un de<br />
mes albums préférés. Leonard Cohen, Paul Simon,<br />
qui sont des génies…<br />
Tu as aimé le dernier album de Leonard Cohen ?<br />
Je n’ai pas vraiment écouté. A vrai dire, j’ai un peu<br />
peur…<br />
Ton meilleur souvenir musical à L.A. ?<br />
Monsters of Folk au Greek Theater. Tous mes<br />
musiciens préférés dans le même groupe : M.Ward,<br />
Conor Oberst et le mec de My Morning Jacket.<br />
Y-a-il une question que tu aurais aimé qu’on te pose<br />
en particulier ?<br />
Moins on m’en pose, mieux je me porte.<br />
J’en ai encore quelques unes pour toi. Dans la<br />
chanson I Just Want to Make it New with You, on<br />
dirait presque que tu conclues un genre de pacte avec<br />
tes fans. Est-ce que tu avais peur de les décevoir<br />
après ta longue absence ?<br />
Je n’ai pas du tout écrit cette chanson pour cela. J’ai<br />
écris cette chanson pour un mec dont j’étais<br />
complètement amoureuse et qui fait de la musique<br />
très différente de la mienne. On s’était dit tous les<br />
deux que dès qu’on découvrirait la musique de l’autre,<br />
on serait tellement déçus, on allait se détester et<br />
jamais s’aimer. Donc toutes les paroles « You’ll<br />
Discover Me From My Songs, My Heartbreaks And<br />
Fears And Depression », c’était un peu « tu vas<br />
découvrir toutes les pires facettes de moi dans mes<br />
chansons et après tu vas me détester » !<br />
Quelles paroles de tes chansons te résumeraient le<br />
mieux tu penses ?<br />
« We Might Be Dead By Tomorrow ».<br />
Textes et propos recueillis par Elsa Launay,<br />
assistée de Charline Buda<br />
Photographie : Diane Sagnier
BARBARA<br />
CARLOTTI<br />
Interview publiée le 17 mai 2012<br />
L’heure de l’ascension a sonné pour Barbara Carlotti. Avec son nouvel album « L’Amour, l’Argent et le<br />
Vent », la chanteuse de 37a ns, au long parcours, sème des mots d’amour sur la scène musicale et vu<br />
l’engouement du public qui l’accueille bras ouverts l’argent ne devrait pas être loin, manque encore le<br />
vent. Ou pas. Il y en avait ce jour-là à l’hôtel Amour, à Paris où nous lui avions donné rendez-vous, en<br />
évitant de parler d’Argent.<br />
Tu as produit tes deux précédents albums sur un label<br />
anglais. Aujourd’hui, tu sors un nouvel album chez<br />
Atmosphériques, un label partenaire que l’on aime<br />
beaucoup. Pourquoi ce choix ?<br />
L’équipe du précédent label chez qui j’étais a changé.<br />
Les gens avec qui j’avais signé n’étaient plus là, ce<br />
n’était plus ceux qui avaient aimé et défendu mon<br />
projet. Il y avait comme une distance, de fait. J’ai donc<br />
décidé de partir. Ma manageuse et moi avons cherché<br />
un label en France et la suite de l’histoire s’écrit donc<br />
chez Atmosphériques.<br />
D’ailleurs, dans ce dernier album tu chantes<br />
exclusivement en français…<br />
Oui. C’est finalement dans cette langue que je<br />
travaille mieux. Quand j’écrivais des chansons en<br />
anglais, c’était généralement pour le fun. Je suis, bien<br />
évidemment plus à l’aise avec le français. Je peux<br />
développer davantage les choses il me semble.<br />
Tu as récemment voyagé en Inde au brésil au japon…<br />
une quête d’inspiration ?<br />
A peu près, oui. Le Brésil est le point de départ de ma<br />
chanson L’amour, l’Argent et le Vent. C’est sûrement<br />
celle qui a la plus forte empreinte. Le but de ces<br />
voyages était surtout d’essayer de s’imprégner<br />
d’endroits différents, de m’accrocher à d’autres<br />
repères. Ça m’a permis de porter une attention<br />
particulière à la musique, de développer des couleurs<br />
de sons que je ne connaissais pas. Mais c’est surtout<br />
un contexte d’écriture en fait, comment ailleurs on<br />
réagit dans un environnement et comment ça joue sur<br />
la manière d’aborder les choses.<br />
Justement on perçoit quelque chose de fort dans ton<br />
écriture. Tu cites très souvent Baudelaire ou Verlaine<br />
qui sont de grands mélancoliques. Te considères-tu<br />
comme telle ?<br />
Ce que j’aime chez Baudelaire c’est les thèmes qu’il
aborde, après oui il y a une forme de mélancolie en<br />
filigrane, cela va de soi. Je pense que la chanson a<br />
intrinsèquement quelque chose d’introspectif. A<br />
l’intérieur se développe la mélancolie. Mais pas que,<br />
je ne crois pas. Il y a aussi de l’humour, de la distance<br />
et de la légèreté, c’est un mélange de pleins de trucs.<br />
Les références à Baudelaire viennent du fait qu’ils<br />
abordent des thèmes qui me sont chers, comme<br />
l’invitation au voyage tout simplement.<br />
Tu signes un duo avec Philippe Katerine (lire interview<br />
page 137), qui me semble avoir une personnalité<br />
relativement opposée à la tienne. Pourquoi cette<br />
collaboration ?<br />
Avec Philippe on s’est rencontré sur mes premiers<br />
concerts, je l’ai croisé dans un festival à Rennes, il y a<br />
huit ans, je ne sais plus. On est resté amis. J’adore<br />
son côté exubérant, drôle plein d’humour un peu<br />
décalé et en même temps je trouve que c’est un super<br />
musicien qui écrit des mélodies magnifiques et ça fait<br />
longtemps qu’on se dit qu’il fallait que l’on fasse une<br />
chanson ensemble. On s’est retrouvé en soirée, on a<br />
écrit des cadavres exquis et on les a conclus en<br />
chanson. Voilà comment cela s’est fait.<br />
Cet album, qu’a-t-il de plus que tes précédents ?<br />
Je pense qu’il est plus affirmé, plus direct en fait. Les<br />
rythmiques sont plus denses. Il y a, en tout cas<br />
quelque chose de plus libre, un je-ne-sais quoi de plus<br />
libre, voilà.<br />
Qu’attends-tu du public vis-à-vis de la réception de cet<br />
opus ?<br />
(Elle ouvre grand les yeux) Qu’il m’adore enfin !<br />
(Rires). Enfin, surtout de faire des concerts et de<br />
pouvoir partager des moments avec tous ceux qui<br />
m’écoutent. Et puis la scène, monter un beau<br />
spectacle, avec des lumières un déroulement entres<br />
les chansons, une vraie histoire, que ce soit encore<br />
plus vivant que sur l’album.<br />
Si tu devais choisir un morceau, ce serait lequel ?<br />
Je suis incapable de choisir. J’aime un milliard de<br />
trucs dans le monde. Pour moi le titre le plus affectif<br />
c’est « Quatorze Ans ». En même temps quand on<br />
écrit c’est difficile de choisir. Il y a une raison pour<br />
tout.<br />
Tu aurais aimé vivre à une autre époque ?<br />
Non, je ne suis pas une nostalgique dans l’âme mais<br />
on vit une époque où les choses sont difficiles. Avec<br />
la crise économique, en tout cas celle que l’on nous<br />
vante, partout, dans les médias, on sait que les<br />
choses sont difficiles, notamment par rapport aux<br />
disques. J’ai tout de même mis deux ans à trouver un<br />
label qui veuille bien de moi. Il y a quelques années<br />
Aujourd’hui, internet a pris le relais. On est dans une<br />
période de transition, qui demande de s’adapter. Ça<br />
demande à réfléchir aussi, de se poser des questions,<br />
notamment sur ce que l’on vit, ce que l’on s’apprête à<br />
vivre et ce que l’on a envie de vivre !<br />
« Les Choses Importantes De La Vie » renvoie<br />
d’emblée au titre de ton album « L’Amour, l’Argent et<br />
le Vent ». Quand tu dis « Vent » est ce que cela veut<br />
dire que finalement l’amour et l’argent ne sont<br />
qu’éphémères ?<br />
Cela peut être une des lectures, en effet. Dans ces<br />
trois choses, il y a une valeur, un élément et un<br />
sentiment. C’est impalpable, cela nous traverse, c’est<br />
toujours avec nous. Un vent s’il est trop fort peut faire<br />
des ravages. C’est à peu près pareil si on se<br />
préoccupe trop de l’argent ou de l’amour. Ca<br />
bouleverse tout. Ce titre, c’est une manière poétique<br />
de mettre en perspective tout cela.<br />
Certaines critiques trouvent et jugent tes textes<br />
particulièrement tristes et mélancoliques… Quel est<br />
ton regard là-dessus ?<br />
Il n’y a pas que des choses tristes. Je pense qu’écrire<br />
des chansons permet de mettre les choses à<br />
distance, des choses que l’on n’exprime pas<br />
forcément publiquement. Mais il y aussi des clins<br />
d’œil, de l’ironie. Mes chansons sont un rapport à la<br />
vie. Elle n’est pas tout le temps gaie, ni tout le temps<br />
joyeuse. On n’est pas toujours heureux d’exister.<br />
L’exprimer en mots, dans des textes permet<br />
d’immortaliser ces instants de vie et finalement de<br />
mieux s’en débarrasser.<br />
Dans une de tes chansons « Ouai Ouai Ouai », tu<br />
parles d’une icône des années 60, ça m’a fait penser<br />
au titre Ava…<br />
Cette chanson, elle aurait pu parler de Lana del Rey<br />
(rires). Non mais elle m’a inspirée un personnage<br />
totalement fictif. Ca m’amusait d’imaginer quelqu’un.<br />
En l’occurrence une jeune fille superficielle qui<br />
pourrait être mal menée, un peu perdue, qui passe<br />
ses nuits en boite de nuit mais qui est un peu fragile<br />
aussi.<br />
C’est en effet un hommage pur à Lana Del Rey (rires).<br />
Il paraît qu’elle a des rituels assez superficiels<br />
d’ailleurs avant de monter sur scène. Tu en as toi ?<br />
Oui. J’ai toujours un trac de malade avant d’y aller, de<br />
monter sur scène, d’affonter le public, de chanter.<br />
Avec mes musiciens on fait le check des « Chivers »<br />
qui est tiré du film « Steak » de Quentin Dupieux.<br />
C’est super débile mais ça marche ! (Rires).<br />
Propos recueillis par Camélia Mohamed
BERTRAND<br />
BELIN<br />
Interview publiée le 20 novembre 2010
Bertrand Belin est un artiste. Avec un grand A. Il nous livre avec son troisième album un écrin musical<br />
sublimé par des textes dont lui seul a le secret. Rapport au voyage, tempo épuré, mélodie minimaliste<br />
mais soignée : son univers intrigue. Comment pouvait-il nous en parler ? Simplement en évoquant la<br />
notion de « territoire ». Un album à traverser et découvrir, comme une nouvelle contrée, chargée<br />
d’histoires et de sentiments. Et puis, Bertrand Belin nous parle de son rapport à la voix, à la littérature et à<br />
la scène française… Et l’on resterait des heures à l’écouter parler.<br />
A la première écoute de l’album j’ai cru entendre<br />
Bashung. C’est peut-être une chose que l’on vous<br />
répète souvent et je ne vais pas déroger à la règle : A-<br />
t-il eu une influence sur votre travail ?<br />
Et bien je dirais que la ressemblance je ne peux pas<br />
la nier mais je ne la vois pas vraiment. Je ne suis pas<br />
particulièrement influencé par Bashung plus que par<br />
d’autres mais il y a peut-être dans notre rapport au<br />
texte quelque chose qui nous rapproche. J’ai, comme<br />
lui, des chansons qui n’offrent pas une réelle clarté<br />
narrative. Après, s’il s’agit d’une ressemblance dans<br />
le timbre de la voix, je n’en sais trop rien.<br />
Dans votre rapport au timbre vocal justement, y a-t-il<br />
eu des voix emblématiques, particulières du paysage<br />
musical ou cinématographiques, qui vous marquent,<br />
vous ont marqués, inspirés ?<br />
Oui. Beaucoup m’ont inspirés. Pas forcément<br />
d’ailleurs dans une approche de mimétisme ou<br />
d’imitation. Par exemple, j’aime beaucoup Caetano<br />
Veloso. Je trouve qu’il y a chez lui, dans sa voix,<br />
quelque chose qui me touche. J’aime énormément les<br />
voix masculines. Je pourrais citer aussi Rodolphe<br />
Burger. Leurs univers sont très opposés mais c’est<br />
quelque chose qui a à voir avec un ancrage dans le<br />
sol, un chant qui transmet une certaine humanité…<br />
Dans vos textes on retrouve souvent une part de<br />
cinématographie…<br />
Vous savez, la musique ne se matérialise pas. Elle se<br />
déploie sous forme d’ondes dans l’air. Je crois qu’on<br />
ne peut pas échapper à la vocation naturelle de la<br />
musique de créer des images. Elle emprunte son<br />
langage à l’art visuel, à savoir l’horizontalité, la<br />
verticalité, les tonalités, qui sont d’ailleurs des termes<br />
analogiques que l’on emploi à la fois en peinture et en<br />
musique. Les images ne sont jamais voulues, la<br />
musique déploie d’elle-même ses paysages…<br />
Par rapport à ce qui se fait actuellement, vous êtes<br />
presque un ovni dans le paysage de la chanson. Quel<br />
regard portez-vous sur la création actuelle française ?<br />
Ce dont je me rends compte jour après jour c’est que<br />
l’on est dans une période de paradoxe complet, avec,<br />
d’un côté, des disques qui se vendent de moins en<br />
moins et de l’autre, une profusion incroyable<br />
d’artistes, une multiplication de festivals et de lieux<br />
culturels. Je pense que les récents bouleversements,<br />
notamment liés à la diffusion de la musique, en<br />
particulier sur internet, ont obligés les maisons de<br />
disques, les labels à se positionner différemment, à se<br />
questionner sur ce qui fonde leur travail, le devoir de<br />
recherche, le devoir de renouvellement, sur ce que<br />
l’on pourrait appeler « la volonté de trouver la perle<br />
rare » et non plus à s’habituer à prescrire à la manière<br />
d’un médicament une musique qui plait au plus grand<br />
nombre sans qu’elle ne se renouvelle et dont on sait<br />
que l’exploitation remplie assez facilement les caisses<br />
des actionnaires. Je ne sais pas si c’était si différent<br />
que ça il y a 30 ans. Pour ma part en tout cas, dans le<br />
périmètre dans lequel j’évolue, je n’ai pas à me<br />
plaindre de la diversité et de l’excellence de la<br />
production française.<br />
Si vous deviez qualifier votre album « Hypernuit » en<br />
un mot, vous diriez quoi ?<br />
(Sourire) Si je devais le qualifier je parlerais de<br />
territoire, quelque chose que l’on peut fouler. Pas un<br />
territoire au sens de la propriété mais un territoire<br />
habité par des gens, des personnages, des figures<br />
dont on sait peu finalement.<br />
J’ai lu que vous aviez déclaré à propos de ce disque<br />
« ce sont des chansons et non de la littérature »…<br />
Oui, parce que l’on vit dans une époque où la<br />
littérature est partout. Elle recouvre un nombre<br />
incroyable de domaines alors qu’elle ne se trouve pas<br />
plus partout que depuis toujours. Elle est quelque<br />
chose de rare et quand elle existe en vrai et qu’elle de<br />
qualité cela finit toujours par se savoir. Or je trouve<br />
qu’il n’y a pas de littérature dans la chanson. Il y a de<br />
la littéralité, un caractère littéraire oui, mais parler de<br />
littérature non, ce n’est pas le lieu.<br />
Il y a dans vos chansons, certains éléments qui ne<br />
viennent pas à la première écoute, comme si elles<br />
étaient voilées…<br />
Oui car je crois qu’il faudrait avoir une acuité très<br />
particulière à comprendre le monde dans lequel on vit<br />
pour retranscrire une histoire de A à Z avec un<br />
scénario précis. Je préfère cela à une narration<br />
strictement linéaire car c’est comme ça que je reçois<br />
le monde, c’est comme cela qu’il m’arrive. Voilà<br />
pourquoi je le restitue de manière un peu voilée.<br />
Propos recueillis et interview par Thomas Carrié.<br />
Photographie : Diane Sagnier<br />
Cette interview et la photographie qui l’accompagne ont fait<br />
l’objet de la couverture du numéro de 5 de Crumb<br />
magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />
digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 20 novembre 2010.
Interview/Rencontre publiée le 5 novembre 2015<br />
BØRNS était de passage à Paris en ouverture du Pitchfork Music Festival, le 27 octobre dernier. Dans la<br />
petite salle du Café de la Danse, l’auteur-compositeur-interprète de 23 ans a présenté quelques morceaux<br />
de Dopamine, son premier album. Un concert court mais fédérateur où le jeune artiste a confirmé ce<br />
qu’on savait déjà : il ira loin. La veille de sa performance, Garrett Borns, de son vrai nom, nous a reçus à<br />
la table d’un restaurant parisien. Une atmosphère calme et inspirante, à l’image de cette interview où le<br />
jeune homme est revenu avec nous sur son (jeune) passé de magicien professionnel, ses premiers pas à<br />
Paris à l’âge de 19 ans et ce qui l’a inspiré dans l’écriture de son premier album.<br />
Il a une silhouette mince et élancée. Un visage en<br />
partie caché par ses cheveux qui tombent<br />
négligemment juste au-dessus de ses épaules. On se<br />
dit qu’il doit être fatigué : il a atterri le matin même à<br />
Paris, sur les coups de 6 heures. Il met même<br />
quelques secondes à se souvenir de ce qu’il a fait la<br />
veille et où il était, tant les soirs de concerts<br />
s’enchaînent, passant d’un continent à l’autre en<br />
quelques heures de vol. Aujourd’hui Paris, demain<br />
Londres. Hier, un festival de musique à North<br />
Charleston, en Caroline du Sud, sponsorisé par une<br />
célèbre marque de thé. Une étrangeté qui fait sourire<br />
Garrett Borns, surtout parce que le thé n’est pas très<br />
bon, selon lui.<br />
Au fur et à mesure que progresse l’interview, après<br />
avoir bu un ou deux verres d’eau fraîche et plaisanté<br />
sur ces petits chiens habillés avec des robes qu’il a<br />
vus le matin même à l’aéroport, Garrett Borns partage<br />
ses expériences et sa vision de la musique avec un<br />
naturel déconcertant. Peut-être qu’il se sent à l’aise à<br />
Paris, une ville qu’il aime bien et dans laquelle il s’est<br />
déjà rendu à l’âge de 18 ans. Un ami réalisateur du<br />
Michigan l’avait invité à le suivre dans la capitale<br />
française pour deux ou trois jours. Le résultat ? On<br />
peut encore le voir aujourd’hui sur YouTube, grâce à<br />
une performance TedX, enregistrée à Grand Rapids,<br />
dans le Michigan, son État de naissance. Quand on<br />
lui évoque la vidéo, il rougit presque. Et pourtant<br />
Garrett Borns, connu aujourd’hui sous le nom de<br />
BØRNS, n’a pas vraiment de quoi être embarrassé.<br />
Dans cette vidéo, le jeune homme a la voix déjà<br />
affirmée et un aplomb attendrissant. Une vision<br />
d’artiste aussi, qu’il partage aux spectateurs sans<br />
pudeur et tout en poésie.<br />
BØRNS a aujourd’hui troqué sa guitare acoustique<br />
contre une électrique, raccourci son blaze et rallongé<br />
ses cheveux. Il vient de sortir Dopamine, son premier<br />
album. Le résultat d’une quête de soi artistique,<br />
commencée sur la côte Est américaine où le jeune<br />
Garrett a grandi. Son enfance, il raconte l’avoir<br />
passée à construire des forts en bois ou à skier avec<br />
son husky tout en évoluant dans son propre univers<br />
artistique. Le piano, l’écriture de “chansons stupides”<br />
à l’école élémentaire, la magie à 10 ans qu’il pratique<br />
comme un vrai pro : “J’ai appris quelques tours car il y<br />
avait beaucoup de magiciens professionnels dans ma<br />
ville et je me suis dit que je pouvais moi aussi en faire<br />
sérieusement. J’étais un gamin mais même à cet âge,<br />
ce qui m’intéressait, c’était de repousser mes limites.<br />
Essayer de voir jusqu’où je pouvais aller.”<br />
Après le lycée, l’envie de passer derrière la caméra et<br />
une escale de 6 mois à New York, Garrett s’envole de<br />
l’autre côté des Etats-Unis, à Los Angeles. C’est là<br />
bas qu’il finira par composer et enregistrer les 11<br />
morceaux de Dopamine. “Je suis arrivé à Los Angeles<br />
pour une session d’écriture. Je ne devais y rester que<br />
quelques jours”. Mais l’air des plaines californiennes<br />
sied bien à BØRNS. Il affine son style musical, conduit<br />
une Mustang dans les rues de LA et vit dans une<br />
cabane dans les arbres. Une vie de bohème, de soleil<br />
et d’espaces qui se traduit dans chacun des<br />
morceaux de Dopamine, où l’amour se vit comme une<br />
drogue. “La plupart des chansons de l’album ont été<br />
inspirées par cette réaction chimique qui se déclenche<br />
lorsque qu’on cède à la tentation amoureuse et au<br />
désir”, explique t-il.<br />
“Mon inspiration vient aussi des fantasmes ou des<br />
fantaisies que j’imagine dans mon esprit. Je me<br />
demande toujours « Qu’est-ce qui aurait pu se passer<br />
si j’avais fait ça » ou « J’aurais dû lui dire ça » à cette<br />
fille qui est maintenant très loin”.<br />
Dommage pour elle. Tant mieux pour nous.<br />
Propos recueillis par Arièle Bonte
BØRNS
ALT-J<br />
Interview publiée le 22 septembre 2014<br />
Nous avons rendez-vous avec ALT-J pour interview. On l’a commence par à-coups. Une musique<br />
supposée nous détendre installe une ambiance assez louche. Un piano macabre, le style de son<br />
qui te fout la chair de poule. Et puis on finit par faire couper le son. Le silence nous soulage, et les<br />
trois membres d’Alt-J s’enfoncent plus confortablement dans leur canapé en cuir et on s’engouffre<br />
directement dans le coeur de l’album, que l’on va appréhender comme une sorte de langage. In<br />
medias res. Comme ça, de but en blanc, sans préliminaires.
Les vocalises, les bruits primitifs que l’on entend,<br />
notamment au début de votre disque, semblent<br />
donner forme à une sorte langage qui va résonner<br />
jusqu’à la dernière piste. La voix émerge comme un<br />
outil bien particulier…<br />
On essaye d’utiliser la voix comme un instrument à<br />
part entière, il ne s’agit pas seulement d’un chant. On<br />
utilise des mélodies, sans mots. Même si le résultat<br />
donne un titre qui ne contient qu’à moitié des paroles,<br />
ce n’est pas important. Les paroles sont riches, sur ce<br />
disque. Nous avons traversé une période de<br />
transformations. L’enregistrement de l’album a débuté<br />
après le départ de Quill, en février. Il est parti deux<br />
jours avant l’entrée en studio. Cela nous a poussés à<br />
nous remettre en question.<br />
Est-ce une pratique courante en Angleterre ? Vous<br />
êtes quatre membres, vous sortez un premier album<br />
qui marche super bien, et puis vous vous retrouvez à<br />
trois ? C’est ce qui est arrivé à The XX aussi.<br />
On adore leur deuxième album d’ailleurs. Peu importe<br />
que l’on soit trois ou quatre, le spectacle doit<br />
continuer. La séparation a été difficile mais<br />
encourageante. On s’est rendu compte que l’on était<br />
très proches, tous les trois, en tant qu’équipe. C’était<br />
nécessaire, en fait, pour l’équilibre du groupe, même<br />
si on ne l’entendait pas de cette oreille à l’époque.<br />
En lisant les titres des morceaux de votre nouveau<br />
disque, on sent qu’il y a une sorte de voyage tout au<br />
long du disque, avec l’arrivée, le départ, etc.<br />
Nara est une ville du Japon où les cerfs sont sacrés.<br />
Ils peuvent évoluer dans les rues. Le titre Nara parle<br />
des droits des homosexuels. Il parle de la liberté de<br />
vivre avec la sexualité que l’on veut. C’est d’ailleurs<br />
un sujet sensible en ce moment, notamment lorsque<br />
l’on voit ce qui se passe en Russie ces jours-ci. Les<br />
paroles sont bien écrites d’ailleurs (ils se félicitent et<br />
se donnent un high-five).<br />
C’est une analogie avec le cerf à l’intérieur de Nara,<br />
avoir la liberté de faire ce que l’on veut sans entrave…<br />
Vous sentez-vous politiquement impliqués ?<br />
Nous sommes ouverts à l’idée de vivre une vie<br />
tranquille, sans être jugés alors que l’on ne fait de mal<br />
à personne. Nous ne sommes pas un groupe<br />
politique, c’est certain. En Russie, ils utilisent le terme<br />
propagande pour dénoncer la Gay Pride, par<br />
exemple. C’est dingue d’utiliser le terme propagande<br />
pour ça. Surtout venant de leur part.<br />
Qu’essayez-vous de construire avec cet album ?<br />
Je pense qu’il s’agit d’un voyage qui a pour<br />
destination le dernier titre. Nous ne pensions<br />
cependant pas construire quoi que ce soit pendant<br />
son élaboration. On n’a pas particulièrement voulu<br />
écrire un album concept si c’est cela ta question.<br />
Vous prenez votre temps pour faire entrer l’auditeur<br />
dans les morceaux. Les intros sont longues, les<br />
outros aussi. Pourquoi ?<br />
Nous avons volontairement écrit des chansons plus<br />
longues sur cet album que sur les précédents. Les<br />
espaces entre les chansons sont tout aussi importants<br />
que les chansons elles-mêmes, de la même manière<br />
que les moments plus calmes étaient nécessaires, et<br />
aussi importants que les moments énergiques.<br />
Left Hand Free est un des morceaux les plus courts<br />
de l’album. Pourquoi ce choix ?<br />
Ce titre ne durait qu’une minute et vingt secondes, on<br />
a dû le rallonger ! C’était supposé être très bref, dans<br />
l’album. Honnêtement en l’écoutant, je le trouve<br />
toujours trop long (rires).<br />
Une particularité dans le langage : pourquoi le<br />
passage en Français dans Hunger of The Pine [Une<br />
immense espérance a traversé la terre/Une immense<br />
espérance a traversé ma peur] ?<br />
Car c’est cool. Enfin, c’est une citation du livre Lady<br />
Chatterley’s Lover. En fait, je croyais que l’écrivain,<br />
D.H. Lawrence, essayait d’être poétique, en écrivant<br />
en Français. Je ne savais pas que c’était une poésie<br />
française pré-existante. Je pense qu’une bonne<br />
phrase en Français a un très grand potentiel de<br />
rendre bien en chant. Les français sont renommés<br />
pour savoir bien s’exprimer et ça me fait plaisir de<br />
pouvoir profiter de cette langue. Gus parle Français et<br />
peut m’aider pour la prononciation.<br />
Il y a une voix feminine sur Warm Foothills. Est-ce<br />
Feist ?<br />
Non, c’est Liane La Havas et Marika Hacknan. Tu ne<br />
nous crois pas, hein ?! (Ils rient).<br />
Y-a-t-il d’autres invités sur l’album ?<br />
Oui, Conor Oberst des Bright Eyes ainsi que Sivu sont<br />
aussi sur Warm Foothills.<br />
Pourquoi rester si proche de l’album lorsque vous<br />
êtes sur scène ?<br />
C’est vrai que nous reproduisons l’album sans<br />
vraiment faire de variations considérables. C’était un<br />
peu notre but initialement. Nous voulons être aussi<br />
bien que sur l’album. Le groupe Foals, par exemple,<br />
peut se permettre d’étirer ses morceaux jusqu’à sept<br />
minutes et de faire des variations. Ce genre de<br />
confiance se gagne avec le temps. Nous aimons<br />
l’album, donc c’est ce que nous jouons.<br />
Seriez vous surpris d’être parmi les meilleurs albums<br />
ou les pires couvertures de l’année 2014 dans des<br />
classements ?<br />
En tant que trio il est difficile que nous ne soyons pas<br />
satisfaits de ce que nous avons sorti. Oui, je pense<br />
que Pitchfork nous mettra sur la liste des pires<br />
pochettes d’album. “Haters Gonna Hate”, n’est ce pas<br />
? Et, vous <strong>CRUMB</strong>, vous diriez quoi ?<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Photographie : Yann Morrison, pour Crumb<br />
Traduction : Bastien Internicola & Jacopo Martini.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
Sunbathing<br />
WITH MAGGI<br />
by Alessandro Casagrande
Série photo publiée le 29 avril 2013
ZELLA DAY
Interview/Rencontre publiée le 3 novembre 2015<br />
Le premier album de Zella Day raconte l’amour, le désir et la souffrance dans une pop-folk<br />
ensoleillée qui puise ses racines dans le songwriting des 70’s. Rencontre avec une enfant de l’Ouest<br />
américain. <br />
Zella Day est une jeune américaine de 20 ans qui a<br />
grandi à Pinetop, une ville paumée d’Arizona. Là bas,<br />
pas de scène musicale mais un seul coffee shop tenu<br />
par ses parents. Biberonnée à Bob Dylan et “à la<br />
bonne musique” dit-elle, elle gratte sa première<br />
guitare à 10 ans et se produit déjà devant les clients<br />
et amis artistes de sa famille. Le début d’une vocation<br />
pour cette gamine à la blondeur californienne.<br />
“En tant que jeune femme artiste, c’est dur de trouver<br />
des personnes qui croient en toi”<br />
Une décennie plus tard, la demoiselle entame déjà sa<br />
deuxième vie musicale après une première<br />
expérience à 15 ans à Nashville. Le résultat ? Des<br />
morceaux trop country. Et des producteurs bornés.<br />
Mais Zella Day ne voit pas ce premier ratage comme<br />
un échec, tant elle se nourrit de sa détermination.<br />
Tout en restant fidèle à elle-même. “J’étais trop jeune<br />
pour savoir qui j’étais et ce que je voulais vraiment.<br />
Mais je savais ce que je ne voulais pas et la direction<br />
musicale qu’on m’imposait ne me convenait pas”,<br />
explique-t-elle à <strong>CRUMB</strong> au téléphone, à l’autre bout<br />
du monde. Plutôt que de faire quelque chose qui ne lui<br />
ressemble pas, elle préfère quitter la capitale de la<br />
musique country et à pose finalement ses valises à<br />
LA. C’est dans la Cité des Anges qu’elle va affirmer<br />
son identité, avoir le cœur brisé et construire sa team<br />
musicale.<br />
“A Los Angeles j’ai trouvé des producteurs qui<br />
croyaient en ma vision des choses. C’est une chance<br />
car en tant que jeune femme artiste, c’est dur de<br />
trouver des personnes qui croient en toi, alors que les<br />
hommes dominent l’industrie musicale”, confie-t-elle.<br />
Avec Xandy Barry ou Wally Gagel (le duo de<br />
producteurs derrière des morceaux de Best Coast ou<br />
de Bon Iver), Zella Day va alors composer les 12<br />
morceaux de Kicker et construire un univers à la fois<br />
musical et esthétique, fidèle à ce qu’elle est.<br />
Social Queen<br />
Zella Day n’est pas qu’une chanteuse. En plus d’écrire<br />
ses chansons, elle a une maîtrise parfaite de son<br />
image ou de ses vidéos clips et a le luxe de pouvoir<br />
choisir ses réalisateurs parmi ses amis. Elle manie<br />
également les réseaux sociaux avec une certaine<br />
virtuosité. Un job à part entière, selon elle. “J’y<br />
partage mes voyages et ma vie d’artiste. Mais je<br />
communique peu sur ma vie privée. J’en montre en<br />
fait suffisamment pour livrer une image de moi sincère<br />
et authentique”. Derrière son look de queen des 70’s,<br />
inspirée par Stevie Nicks ou Mick Jagger, Zella Day<br />
est bien un pur produit des nouvelles technologies et<br />
a tout compris au pouvoir du numérique. Pour toucher<br />
un maximum de gens.<br />
“Tu ne sais jamais ce qui va t’arriver sur la route”<br />
Après avoir passé l’été à sillonner les routes des<br />
Etats-Unis, Zella Day va désormais parcourir le<br />
continent européen. Un voyage de plus d’un mois qui<br />
sera immortalisé par l’un de ses amis californien.<br />
“Pour la première fois de ma vie j’ai un public qui me<br />
suit. Aller en Europe est très important pour moi, alors<br />
j’ai envie de pouvoir le partager et de capturer les<br />
moments sur la route, en backstage ou dans les<br />
chambres d’hôtel”, explique-t-elle.<br />
“Tu ne sais jamais ce qui va t’arriver sur la route, tu es<br />
toujours en train d’essayer de tenir le coup. Il y a des<br />
moments durs, où l’on ne sait pas quoi faire de soimême…”<br />
(…) “Mais j’ai rencontré beaucoup de gens<br />
et je comprends le monde d’une nouvelle manière<br />
maintenant. Mon écriture a radicalement changé”, me<br />
confie-t-elle avant de rappeler que le plus cadeau de<br />
sa vie d’artiste est de monter sur scène et d’entendre<br />
les spectateurs chanter ses propres chansons. Ce<br />
dont elle a toujours rêvé. Désormais, sa réalité.<br />
Propos recueillis par Arièle Bonte, par téléphone.
YUKSEK<br />
Rencontre/texte publiée le 7 mai 2013<br />
Deux ans après la sortie de son deuxième album Living on the Edge of Time qui l’avait propulsé sur<br />
le devant de la scène, Yuksek revient avec un projet ambitieux et surprenant, le lancement de son<br />
propre label “Partyfine”. Il nous raconte l’histoire du projet.<br />
On t’a vu travailler sur beaucoup de choses<br />
différentes ces derniers temps, ton projet personnel<br />
sous le nom de Yuksek, plusieurs remixes<br />
intéressants et la production d’autres groupes comme<br />
Juveniles par exemple. Comment est née cette envie<br />
de monter ton propre label en plus de tout ça ?<br />
J’ai toujours travaillé tout seul en studio, enfin,<br />
artistiquement en tout cas. Encore plus sur le<br />
deuxième album où il n’y avait pas de featuring, je<br />
chantais, faisais le mixage, l’écriture, tout ! Et je crois<br />
que je suis arrivé au bout de cette logique. Même pour<br />
le live, j’avais décidé de ne pas le faire en solo et de<br />
recommencer une “vie de groupe” et des<br />
collaborations.<br />
En septembre, à la fin de ma tournée, je me suis<br />
remis à la production pour d’autres gens. J’ai travaillé<br />
sur l’album de Juveniles, je produis toujours The<br />
Magician avec qui j’ai d’ailleurs un autre projet (Peter<br />
& The Magician), j’ai fait des sessions studio avec Oh<br />
Land, bossé avec JD Samson… Du coup, j’ai<br />
vraiment eu envie de développer tout ça. C’est un truc<br />
que l’on me demandait depuis longtemps mais que je<br />
n’avais pas encore eu le temps de faire. J’avais<br />
produit l’album de Birdy Nam Nam ainsi que celui de<br />
Bewitched Hands, mais c’était toujours entre deux<br />
trucs personnels. En septembre, je me suis dit qu’il<br />
fallait que je laisse le champ libre à tout ça et que je<br />
fasse le contraire. Si entre temps j’ai des trucs pour<br />
moi je les sortirais mais l’idée c’est vraiment de<br />
travailler pour et avec les autres désormais.<br />
Comment s’est réellement concrétisée cette envie ?<br />
Quand j’ai produit l’album de Juveniles, on s’est super<br />
bien entendus, on a fait un morceau en plus ensemble<br />
mais on ne savait pas trop quoi en faire. Et puis il y a<br />
eu beaucoup de rencontres, celle avec Oh Land avec<br />
qui j’avais commencé à faire quelque chose, et un<br />
nouveau Peter & The Magician. On avait sorti deux<br />
maxi chez Kitsuné qui ont eu un bon impact. On s’est<br />
dit qu’avec l’image et la notoriété que l’on a, ce ne<br />
serait pas si différent de le sortir nous-même. La<br />
valeur ajoutée d’un label indépendant, que ce soit le<br />
tien ou un autre, est quasiment la même. Alors, oui,<br />
des labels comme Kitsuné renvoient une image forte,<br />
mais je pense que Stéphane (de The Magician, ndlr)<br />
et moi, en avons une aussi. Qui nous est propre. C’est<br />
ça leur logique chez Kitsuné : sortir des nouveaux<br />
projets de mecs pas trop connus et garder un ou deux<br />
groupes pour faire des albums plutôt Pop.
Un label, un concept : où as-tu envie de nous<br />
emmener avec cette nouvelle histoire ?<br />
C’est une démarche vraiment indépendante qui vise à<br />
concrétiser toutes ces collaborations et leurs<br />
extensions en faisant ça moi-même. C’est aussi avoir<br />
l’idée d’un son plus que d’un style. J’aime<br />
énormément de trucs et j’ai toujours mixé des styles<br />
différents. L’idée est de faire quelque chose dans le<br />
genre de ce qu’a pu faire Murphy [aka James Murphy]<br />
avec DFA (LCD Soundsystem, The Rapture), toute<br />
proportion gardée évidemment, un vrai label de<br />
producteur de studio, en somme !<br />
Il y a déjà des noms signés sur ce label que tu<br />
pourrais nous annoncer ?<br />
On va sortir le nouveau Peter & The Magician avec JD<br />
Samson en featuring vocal fin juin. Et je peux aussi<br />
vous dire qu’on va sortir le premier maxi de Get A<br />
Room en septembre. Le reste des collaborations est<br />
un peu secrète !<br />
Le label sera basé à Reims, chez toi ?<br />
Un peu à Reims, un peu à Paris. Le bureau officiel est<br />
à Paris mais le studio à Reims, chez moi, oui.<br />
Tu parles beaucoup de rencontres et de<br />
collaborations, l’EP que tu sors le 13 mai sous le nom<br />
de Partyfine est clairement dans la lignée de ce<br />
concept. Il est composé de deux titres : Last of Our<br />
Kinds avec Oh Land et Truth avec Juveniles. J’ai<br />
personnellement beaucoup aimé ce titre, comment<br />
est-il né et comment s’est fait le choix d’Oh Land ?<br />
J’avais fait un remix pour elle il y a 2 ou 3 ans, je ne<br />
l’avais pas rencontrée mais on s’est toujours dit que<br />
ce serait cool d’arriver à se croiser à Paris ou New-<br />
York et d’enregistrer un morceau ensemble. On a<br />
réussi à se voir à New-York, on a fait une journée et<br />
demie de studio et on a sorti ce titre. C’est toujours<br />
une question de rencontre.<br />
n’ai pas de logique de carrière ou de développement.<br />
Pour l’instant, je suis dans un état d’esprit de<br />
collaboration, ce qui correspond à mon label, mais je<br />
suis toujours en contrat avec Universal, je leur dois<br />
encore un album et il me donne gentiment le droit de<br />
faire tout cela en ce moment et de prendre mon<br />
temps.<br />
Oui, il y aura un troisième album un jour, et à priori je<br />
pense qu’il y aura une majorité de chansons que je<br />
chanterai moi-même parce que j’y ai pris beaucoup de<br />
plaisir sur l’album précédent mais je ne pense pas<br />
que je le ferai complètement tout seul. Peut-être que<br />
j’écrirai les morceaux avec quelqu’un, il y aura une<br />
forme d’échange…<br />
Mon second album, je l’ai voulu comme ça donc<br />
j’assume, mais ça a été hyper dur de faire cet album<br />
tout seul et un peu long aussi. Même s’il s’est fait en 6<br />
mois, ça m’a paru interminable. J’ai vraiment envie<br />
d’être, pour le prochain, dans un truc plus “instantané”<br />
et direct. Dans l’échange, c’est plus simple et je<br />
prends davantage de plaisir à faire de la musique. Je<br />
ne veux vraiment pas planifier tous ces projets ni me<br />
donner une deadline pour le faire, j’ai envie que ce<br />
soit un truc un peu à l’ancienne. J’ai envie de ne pas<br />
le penser.<br />
Propos recueillis par Patricia Fontenas<br />
Photographie : Diane Sagnier.<br />
Merci à Brice Bossavie<br />
Magician, je l’ai rencontré à Calvi il y a 3 ou 4 ans<br />
quand il avait quitté Aeroplane. Je crois qu’il ne<br />
s’appelait pas encore Magician, il n’avait pas encore<br />
de morceaux. C’est son manager qui nous a présenté,<br />
il est venu à Reims, j’ai fait le mixage de son remix de<br />
I Follow Rivers de Lykke Li, on a fait Twist ensemble<br />
et on s’est juste dit « c’est cool continuons ».<br />
Les choses se sont faites comme cela, à vrai dire, rien<br />
n’a été planifié. Je crois que je suis assez fataliste. Si<br />
on doit se croiser on se croise, si les choses doivent<br />
se faire elles se font et voilà. Il y a aussi pleins de<br />
gens avec lesquels j’ai travaillé et avec qui j’aimerais<br />
bien refaire des trucs : Ebony Bones par exemple,<br />
Brodinski ou encore Amanda Blank avec qui j’ai fait le<br />
titre Extraball sur mon premier album.<br />
Des collabs, des remixes, un label, un EP avec des<br />
featuring, ta carrière est-elle mise entre parenthèses<br />
ou aura-t-on bientôt un nouvel album ?<br />
Je ne sais pas du tout et en même temps j’ai toujours<br />
bossé comme ça. Je n’ai jamais su ce que j’allais faire<br />
ni après le premier album ni après le deuxième. Je
STROMAE<br />
Interview publiée le 26 août 2013<br />
Pour la sortie de Racine Carrée, Paul Van Haver, alias Stromae est venu à Paris histoire de mettre<br />
des mots sur le buzz qui l’entoure depuis quelques semaines, tant avec Papaoutai qu’avec<br />
Formidable, en tête sur Itunes. On a peu de temps. La conversation part un peu dans tous les sens.<br />
On commence par parler de cinéma, de manière informelle, de ses siestes interminables en cours<br />
d’histoire du cinéma -le film impossible à regarder par excellence, selon lui : Le Cuirassé Potemkine,<br />
Eisenstein, 1925. Le bruxellois n’hésite pas à s’interrompre de temps en temps pour me rappeler<br />
“Arrête-moi, hein, si je dis n’importe quoi. Je parle trop“. Mais non, mais non. On t’écoute…<br />
On commence par lui faire visionner une vidéo vieille<br />
de cinquante ans : Aznavour, 1962, « Tu t’laisses<br />
aller ». Réactions :<br />
C’est Eric Zemmour ? (Rires). Ah, c’est Aznavour. On<br />
n’invente rien… Je n’ai jamais entendu cette chanson.<br />
C’est le mec qui rentre du boulot qui est bourré, c’est<br />
ça ? C’est quoi le titre du morceau ?<br />
Tu t’laisses aller, Charles Aznavour en live à la<br />
télévision au Québec en 1962. Il sourit. En regardant<br />
la vidéo, il parle très peu. Attentif, il laisse<br />
transparaître certaines réactions. Il rit, fronce les<br />
sourcils, hoche la tête. Le personnage, la diction, le<br />
caractère du chanteur l’intriguent.<br />
On te compare souvent à Brel, il suffit de lire les<br />
commentaires sur tes vidéos.<br />
C’est bien de regarder cette vidéo d’Aznavour. Il n’y a<br />
pas que Brel qui jouait des personnages sur scène.<br />
Toute l’ancienne école le faisait. Piaf le faisait,<br />
Nougaro aussi. Ces artistes avaient une distance par<br />
rapport à leur image personnelle. C’est important.<br />
C’est sain, pour l’esprit, de jouer des personnages. Ce<br />
sont des petits films que l’on joue. Ce n’est pas<br />
étonnant de voir des médias qui sont outrés de voir<br />
Orelsan qui chante Sale Pute, parce que c’est<br />
vraiment scandaleux. Mais il a le droit. Évidemment<br />
que cela se dit. Une meuf a aussi le droit de dire que<br />
c’est un vrai connard, un enculé, tout ce qu’elle veut.<br />
Mais les beaux couples, ce sont des connards et des<br />
connasses et c’est ça qui est beau. C’est la<br />
consommation de l’amour qui s’exprime. J’ai déjà<br />
raconté ça et on m’a rétorqué qu’avant, dans certains<br />
couples, des femmes étaient forcées de rester avec<br />
des hommes, à cause du mariage. Mais l’amour, c’est<br />
un peu ça. Et inversement. Aznavour chante “Tout a<br />
changé”. C’est normal, il ne faut pas s’attendre à ce<br />
que tout reste comme avant. Peut être que je ne le<br />
comprendrai jamais. Au final, à part des relations qui<br />
n’ont duré guère plus que trois ans, je n’ai rien connu.<br />
Cela reflète bien ma façon de “consommer” l’amour.<br />
Il y a des tutoriels pour utiliser Reason sur la toile, un<br />
logiciel qui sert à composer des morceaux. En trois<br />
minutes, tu cliquais sur deux boutons pour en faire un<br />
titre. C’est si facile que ça, pour toi ?<br />
Sur la vidéo, on ne montre pas les nombreuses nuits<br />
blanches de galère. Notamment au moment de<br />
l’écriture du deuxième album. Je calculais tellement,<br />
qu’il fallait que je sois dans un état de fatigue et de<br />
faim telle, qu’au bout de la nuit enfin, je lâche prise et<br />
arrive à être sincère et spontané. À ce moment là,
j’arrivais à trouver des solutions intéressantes.<br />
Tu ne dors plus chez maman ?<br />
J’ai quitté ma mère. Je vis tout seul. Du moins,<br />
j’essaie. C’était il y a un an seulement, j’avais vingtsept<br />
ans. Au bout d’un moment, faut bouger. Ma<br />
génération est quand même composée de vieux<br />
Tanguy. À mort.<br />
Que partages-tu avec la génération d’artistes dont tu<br />
fais partie ?<br />
Ce que tous les auteur-interprètes ont en commun :<br />
nous sommes une bande de démagos.<br />
Tu sors davantage pour t’inspirer ou oublier ?<br />
Les deux ! La sortie, la fête, pour composer le<br />
deuxième album. La musique, le hip-hop sont utiles,<br />
mais la mélancolie compte pour beaucoup aussi, au<br />
delà du côté dance, groove. Il y a autant de<br />
mélancolie dans les discothèques que dans le métro,<br />
au final, car elles représentent tellement l’exagération<br />
de la fête qu’elles masquent une tristesse inouïe.<br />
√ : Racine Carrée, c’est le titre de ton nouvel album.<br />
Cela a un rapport avec les mathématiques ou c’est<br />
simplement pour te la jouer hipster ? <br />
Ce symbole reflète mon côté maniaque, pragmatique.<br />
Malgré le fait que je sois complètement bâtard, j’ai<br />
envie que cela soit noir ou blanc. Je me suis fait avoir<br />
au niveau du contrat de la vie. Au début, on te dit,<br />
d’une manière manichéenne, qu’il y a les gentils et les<br />
méchants. En grandissant, tu te rends vite compte<br />
que c’est hyper compliqué. Et heureusement. Je ne<br />
suis pas une tête en maths mais j’aime bien tout ce<br />
qui est scientifique, pragmatique. J’ai du mal à lire des<br />
fictions, je n’aime pas les romans. J’ai l’impression de<br />
perdre mon temps en les lisant. Les films me saoulent<br />
aussi parfois. Je me dis “putain je vais passer une<br />
heure et demie à regarder un truc qui n’a pas existé“.<br />
C’est totalement prétentieux d’ailleurs, parce que je<br />
passe mon temps à faire cela dans ma musique.<br />
On aborde la notion de Gloire. Stromae évite ce<br />
terme. Il préfère célébrité. Il y a une raison à la<br />
célébrité : le métier de quelqu’un par exemple. La<br />
gloire, qu’il décrit comme “beaucoup plus vide”<br />
n’existe pas, dit-il, car elle n’implique que du positif,<br />
contrairement à la célébrité. On rejoint la visibilité<br />
éphémère que peut offrir twitter à certains… Tu parles<br />
de ce réseau social au petit oiseau bleu sur ton titre<br />
Carmen d’ailleurs.<br />
J’utiliserais plus le mot buzz. C’est du marketing, et<br />
cela a toujours existé. Le buzz devient la promotion de<br />
sa propre personne, à frimer même devant ses potes,<br />
à montrer là où on est parti en vacances. Facebook,<br />
Twitter c’est super, mais je les utilise pour la<br />
promotion de mon métier, c’est tout. Ma vie privée<br />
s’arrête à un moment bien précis : heureusement que<br />
je ne suis pas le même sur scène, dans mes<br />
chansons -qui sont légèrement inspirées de mon<br />
histoire- et à la maison. J’ai un côté politiquement<br />
correct mais une fois devant ma télé, cela fait plaisir<br />
d’insulter les gens qui sont dedans.<br />
Un film t’a marqué récemment?<br />
La merditude des choses (deFelix Van Groeningen,<br />
Belgique, 2009, ndlr). On peut avoir l’impression que<br />
c’est encore une caricature du misérabilisme belge<br />
comme on en voit toujours mais au final, les gens sont<br />
beaux parce que ce sont des cassos. C’est ça la<br />
merditude des choses. C’est aussi ce que je défends<br />
dans mon album. On est beaux parce qu’on est des<br />
frimeurs, parce qu’on est un peu tout ça à la fois. Pour<br />
en revenir à la célébrité éphémère. Je lisais un article<br />
dans un journal, récemment, qui présentait une<br />
analyse sur Le Loft. C’était peut-être dans Libération.<br />
Un des premiers participants déclarait : « Ce qui est<br />
horrible, c’est que c’est la vérité : c’est ce que l’on<br />
est ». Mais pour qui se prend-on pour juger ? C’est<br />
tellement facile de casser du sucre sur leur dos. Au<br />
final, on est tous des connards, autant que les gens à<br />
l’intérieur. La production, les spectateurs n’échappent<br />
pas à la règle. Les personnes enfermées ne font que<br />
refléter ce que nous sommes tous. Si cela fonctionne,<br />
c’est que le concept représente bien notre société<br />
actuelle. Il faut que cela nous serve de leçon.<br />
Personne n’est à l’abri.<br />
Tu as vu Nabila sur le plateau de Canal+ face à ton<br />
compatriote Stéphane de Groodt ?<br />
Ce qui fait chier les gens, c’est de se voir eux mêmes<br />
dans des personnages comme Nabila. C’est une mise<br />
en abîme. Nabila, c’est un résumé du fait de se mettre<br />
en photo sur Facebook. J’ai vu cette vidéo, et j’ai ri,<br />
évidemment, parce qu’elle jouait le jeu. Cela l’arrange<br />
de jouer la simplette. Je ne pense pas être optimiste<br />
en disant qu’elle le fait exprès. Et cela arrange tout le<br />
monde qu’elle soit comme ça. Ce que j’ai aimé, c’est<br />
que Stéphane de Groodt n’était pas méchant. Ce<br />
n’était pas violent. C’est ça qui est marrant, chez nous<br />
: il y a des Nabila, il y a des Stéphane de Groodt.<br />
La langue française : une cause à défendre ?<br />
C’est une aussi belle langue que le flamand, l’anglais,<br />
que toutes les langues du monde. Ca m’énerve<br />
d’entendre dire que le français sonne moins bien que<br />
l’anglais. On n’a pas attendu l’anglais pour savoir<br />
qu’on avait, tous, une richesse culturelle à défendre,<br />
même si l’on est tous mélangés et que tout<br />
s’influence. Mon travail, ce n’est pas d’imiter les<br />
américains. C’est d’être qui je suis, en français.<br />
As-tu l’impression d’être schizo parfois ?<br />
La schizophrénie, c’est ma façon de me<br />
soigner. Quand je joue Formidable ou Papaoutai, ce<br />
n’est pas ma vie. C’est en endossant le rôle de<br />
différents personnages que j’arrive à prendre de la<br />
distance entre ce que je fais et ce que je suis. Dans la<br />
maison de disques, nous sommes plusieurs à<br />
rassembler des idées. Il est malsain de faire porter<br />
une attention telle sur une seule personne, alors<br />
j’espère gagner une certaine distance en me mettant<br />
dans la peau de personnages. Et le tout, mélangé, ça<br />
donne vie à Stromae…<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
Interview publiée le 16 mai 2012<br />
Sweet électro venu de L.A et descendants directs des MGMT, Electric Guest a de grandes chances de<br />
gravir les sommets et s’impose déjà comme une des révélations de l’année !<br />
Rencontre avec Asa et Matthew…<br />
Les médias français parlent de vous comme d’un<br />
groupe « électro funk psychédélique ». Vos<br />
instruments et voix sont souvent comparés à Vampire<br />
Weekend ou Two Door Cinema Club et votre musique<br />
est assez trippante pour qu’on vous vous appelle les «<br />
nouveaux MGMT », cela vous plaît ?<br />
Asa : MGMT ! Wow, j’aime beaucoup ce dernier<br />
commentaire ! Enfin, Vampire Weekend ont fait deux<br />
albums vraiment cool mais ils ne sont pas si bien<br />
passé que ça aux US… Quant à Two Door Cinema<br />
Club, c’est un peu trop pop pour moi…<br />
Matthiew : Par contre, j’adore vraiment MGMT !<br />
Asa : C’est tellement génial que les gens croient<br />
autant en nous !<br />
Quel serait le pire groupe auquel on puisse vous<br />
comparer ?<br />
Asa : Ouh ! Je crois qu’on sait tous les deux la<br />
réponse à cette question !<br />
Matthiew : Ah oui ! Quel est ta chanson préféré mec ?<br />
« Pumped Up Kicks » ! (Rires)<br />
Foster The People ? Vous avez tout de même fait leur<br />
première partie…<br />
Matthiew : Oui mais je ne peux juste pas ! C’est une<br />
différence de culture je crois…<br />
Asa : Je sais que cela va sonner bizarre et je crois<br />
que c’est quasiment impossible d’expliquer ça à un<br />
français. Mais la base du problème c’est que Foster<br />
The People est comment dire, « fourbe ». Quand on<br />
connaît toutes les tendances musicales qu’il peut y<br />
avoir aux US, ce qui est sorti ces dernières années,<br />
les différents genres, etc, on a l’impression qu’ils ont<br />
étudié ce qui était populaire et ont fait un parfait<br />
package de ce qui était en vogue pour s’assurer le<br />
succès.<br />
Quel est le morceau que vous auriez rêvé de créer ?<br />
Asa : « Follow », de Danny Richie Havens. C’est lui<br />
qui a ouvert à Woodstock. Son arrivée sur scène en<br />
hélicoptère a marqué tous les esprits. Il y avait<br />
tellement de monde qu’il ne pouvait pas y accéder<br />
autrement ! Une fois sur scène, on lui a dit qu’il devait<br />
y rester 2 heures alors qu’il n’avait que 8 morceaux à<br />
jouer. Il s’est mis à improviser. C’est de là qu’est né «<br />
Follow ». Cela reste, pour moi, le meilleur morceau de<br />
tous les temps!<br />
Derrière la mélodie de vos chansons, les paroles sont<br />
assez dures. Chaque morceau semble être une<br />
critique de la société<br />
Asa : Avec les temps qui courent, les gens ne veulent<br />
pas forcément faire passer un message dans leur<br />
musique, ils préfèrent que le public se change les<br />
idées avec. Mais pour moi c’est essentiel. La musique<br />
est un moyen de se faire entendre sur tous les plans<br />
et ce que je vais dire dans mes chansons compte<br />
beaucoup. Les paroles que j’écris sont travaillées et<br />
pensées pour chaque morceau. Alors oui, j’y parle de<br />
société.<br />
Vous avez une anecdote folle à nous raconter ?<br />
Asa : (Rires) Où trouvez-vous ces questions ? Quand<br />
on était en train d’enregistrer l’album, on est resté<br />
quasiment 2 semaines cloitrés dans le studio avec<br />
Danger Mouse. Il y avait toujours Brian et ses deux<br />
ingénieurs du son. A force d’être ensemble vingtquatre<br />
heures sur vingt-quatre, Brian et moi avons eu<br />
quelques tensions. Un jour, je suis rentré dans le<br />
studio et les deux ingénieurs qui ne sortaient jamais<br />
ont, décidé d’aller chez Starbucks. Je me suis<br />
retrouvé en tête à tête avec Brian, dans une<br />
atmosphère très tendue. Au bout d’un moment, il me<br />
dit : « Asa, viens t’asseoir ! Faut qu’on parle. Il va<br />
falloir qu’on arrive à s’entendre tous les deux si on<br />
veut réussir à travailler ensemble… ». Et là, il me fait<br />
écouter un album entier de David Bowie et il me dit : «<br />
Il faut que t’écoutes ça. Que tu l’écoutes vraiment.<br />
Fais en l’expérience totale ». Et il est parti. C’est peutêtre<br />
la manière de régler des problèmes la plus<br />
incroyable que j’ai connu. Et ça a marché.<br />
Propos recueillis par Marie Polo.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.<br />
Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />
fait l’objet de la couverture du numéro 14 de Crumb<br />
magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />
digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 16 mai 2012.
ELECTRIC<br />
GUEST
THE DODOZ<br />
Interview publiée le 25 novembre 2011<br />
14h10.Vincent s’approche de nous, l’air penaud. « C’est vous Crumb ? – C’est nous. ». Voix grave,<br />
cernes prolongées, la nuit a été visiblement longue. Quelques bières plus tard, le reste du groupe<br />
nous rejoint. Géraldine, Jules, Adrien et Vincent sont les Dodoz. Depuis leur passage très remarqué<br />
sur la compil CQFD des Inrocks en 2008 et un premier album éponyme applaudi par la critique, les<br />
toulousains ont le vent en poupe. Interview planches à roulette.<br />
Vous vous appelez les Dodoz, un poulet sans aile qui<br />
s’est fait bouffé par tous les autres prédateurs, ce<br />
n’est pas un peu contradictoire avec l’envol de votre<br />
carrière ?<br />
Vincent : (Rires) On essaie justement de le faire<br />
revivre, de le réhabiliter. Sorte de clin d’œil !<br />
Vous avez commencé avec le festival des Inrocks,<br />
puis des premières parties prestigieuses. Difficile de<br />
ne pas perdre les pédales ?<br />
Géraldine : Tout n’a pas été si rapide. La plupart des<br />
gens ne nous ont découvert que récemment mais cela<br />
faisait déjà 4 ans que l’on travaillait sur le projet. Nous<br />
avons fait nos premiers concerts comme on a pu,<br />
seuls sur les routes, en dormant chez des fans de la<br />
première heure qui nous hébergeaient. Quand la<br />
médiatisation est arrivée, nous n’avons fait que<br />
profiter, sans jamais nous demander si ça allait<br />
continuer…<br />
Vincent : A Toulouse, dans notre cocon familial, c’est<br />
beaucoup plus simple de garder les pieds sur terre.<br />
Votre nouvel album Forever I Can Purr a été mixé par<br />
Mike Crossey – qui a travaillée, entre autres, avec<br />
Arctic Monkeys, Foals, Razorlight, ndlr)…<br />
Géraldine : Oui. Mais nous n’avons pas directement<br />
enregistré avec lui. Le tout s’est fait au Vega Studio,<br />
avec notre producteur, Peter Murray et notre ingénieur<br />
du son Bertrand Montandon. Une fois le travail prêt,<br />
nous lui avons tout envoyé. Le mixage s’est fait à<br />
Liverpool et nous avons déjà eu de très bons retours.<br />
Vincent : Ce nouvel album sera plus « réverbéré »,<br />
c’est à dire qu’on a voulu que le disque soit plus large,<br />
que les sons soient enregistrés comme dans une<br />
pièce plus vaste avec des échos. Plus nuancé aussi<br />
mais toujours tourné vers le live.<br />
L’an dernier, les anglais disaient de vous que vous<br />
étiez un groupe plein de « jeunesse dans sa forme la<br />
plus pure ». Vous l’avez pris comment ?<br />
Géraldine : Tant que c’est le bon côté de la jeunesse<br />
qui est exposé : la fraicheur, la naïveté, l’énergie, c’est<br />
génial, on est très fiers. C’est ce que l’on essaie de<br />
transmettre modestement à travers notre musique et<br />
en live.<br />
Propos recueillis par Paul Bousquet et Théo<br />
Moncassin, à Toulouse.<br />
Photographies : Alexis Pech<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
THE SHOES<br />
Interview publiée le 16 juillet 2011<br />
De quoi peuvent converser des journalistes de Crumb et le duo montant The Shoes, par un beau<br />
matin de juillet 2011, place de la République, à Paris ? Questions/récit.<br />
Au delà du travail studio, vous êtes surtout un<br />
groupe de scène…<br />
Benjamin : Oui ! En live, nous sommes quatre, avec la<br />
plupart du temps deux batteurs qui jouent debout<br />
pendant que nous nous occupons de la basse et du<br />
clavier. C’est assez tribal et rythmique.<br />
Guillaume : Nous ne sommes pas de grands<br />
chanteurs mais avons de la force physique à<br />
revendre. Nous avons un rapport assez intime au son<br />
et la scène se joue à l’énergie. Et puis, évidemment<br />
on s’amuse beaucoup à réinterpréter ou réinventer<br />
nos compositions.<br />
Benjamin : Nos chansons sur scène prennent une<br />
tournure rock’n’roll.<br />
Et pourtant, il n’y a pas une seule note de guitare ! Ni<br />
sur l’album, ni en live…<br />
Guillaume : C’est vrai. On a pourtant essayé mais ce<br />
n’est pas un instrument qui colle à notre univers et à<br />
notre esthétique. Je ne sais pas pourquoi.<br />
Comme votre nom de scène d’ailleurs, personne ne<br />
sait…<br />
Benjamin : Nous avons fait une liste de tous les jeux<br />
de mots que les journalistes ont réalisés sur notre<br />
nom. Essayez-donc, <strong>CRUMB</strong> ! En réalité on s’appelle<br />
The Shoes par un concours de circonstances. Cela<br />
n’a pas plus de sens que ça pour nous.<br />
J’ai vu que vous aviez quand même réalisé une<br />
interview, exclusivement sur le thème des<br />
chaussures…<br />
Benjamin : Imagine que l’on se soit appelé«The Slips»<br />
Guillaume : À la base, « The Shoes » était un nom<br />
provisoire. A l’époque, nous avions un MySpace. On a<br />
mis une photo d’une paire de chaussures dessus et le<br />
buzz est parti. On ne pouvait plus la retirer ni<br />
abandonner le concept. On a été dépassé par la<br />
chose en elle- même !<br />
Aujourd’hui que vous accès à tout, au succès et aux<br />
lives, que vous avez collaboré, travaillé avec et<br />
produit une pléiade d’artistes, y a t’il une personne en<br />
particulier avec qui vous aimeriez collaborer ?<br />
Guillaume : Osmar Souleymane, sans hésitation !<br />
C’est un chanteur syrien complètement incroyable. On<br />
essaie de faire en sorte que cela soit possible. Nous<br />
aimerions continuer à travailler avec Esser aussi, sur<br />
un prochain disque, parce que c’est un super pote et<br />
que ça marche plutôt pas mal entre nous. Maintenant,<br />
les gens qui nous accompagnent sont des proches,<br />
des personnes que l’on connaît. Il n’y a pas de<br />
superstar, ce n’est pas l’intérêt. Nous aimons les gens<br />
de notre génération, être sur un même pied d’égalité.<br />
Une paire mais deux mêmes pieds ! (Rires).<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Photographie : Diane Sagnier<br />
Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />
fait l’objet de la couverture du numéro 9 de Crumb<br />
magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />
digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 16 juillet 2011.
Amélie Monti, portfolio
Amélie Monti est une jeune photographe française, originaire de Paris. Autodidacte, c’est après des études de cinéma qu’elle<br />
va se consacre à la photographie avant de rejoindre le collectif Le Garage (direction artistique du groupe 1995 entre autres).<br />
Ses photos, principalement en noir et blanc, s’intéressent aux détails et aux instants de vie, d’un oeil éloigné et curieux. Elle<br />
touche ainsi plus particulièrement à l’inattendu et à la perception du réel.
DISCLOSURE<br />
Interview publiée le 22 mai 2013<br />
Disclosure réinvente la Dance et le UK Garage. Entre la sortie de leur premier EP et aujourd’hui, la<br />
donne a changé. Respectivement agés de 19 et 21 ans, les frères Guy & Howard Lawrence ont connu<br />
ensemble un succès fulgurant ces deux dernières années grâce à des titres tels que Latch ou encore<br />
White Noise en featuring avec AlunaGeorge (lire interview, page 36). C’est leur second EP « The<br />
Face », sorti sur le label précurseur GrecoRoman en juin 2012, accompagné de leur irrésistible remix<br />
de Running de Jessie Ware, qui les propulse sur le devant de la scène et leur permet de tourner aux<br />
cotés de SBTRKT, Annie Mac ou encore Hot Chip. Le duo s’apprête à sortir leur prochain album,<br />
Settle, le 3 Juin prochain et partira ensuite faire la tournée des festivals et des continents.<br />
Pour sûr, de la musique d’été.<br />
Avant Disclosure, quelle a été votre formation<br />
musicale ?<br />
Guy : J’ai commencé à jouer de la batterie quand<br />
j’avais trois ou quatre ans, ensuite vers sept ans j’ai<br />
appris à jouer de la guitare. Je n’écoutais pas de<br />
genre en particulier mais vers seize ans je me suis<br />
intéressé au hip-hop américain. Il y a cinq ans j’ai<br />
commencé à sortir en club et j’ai découvert le<br />
Dubstep. J’en ai tout de suite parlé à Howard, c’est<br />
comme ça qu’on a commencé à “créer” de la<br />
musique.<br />
Howard : Oui, c’est un peu la première fois qu’on<br />
aimait la même musique au même moment. Nous<br />
n’avions pas du tout les mêmes goûts musicaux.<br />
Comme Burial ou Joy Orbison ?<br />
Guy : Oui totalement ! Du dubstep, mais pas du genre<br />
woa-woa-woa (rires), du bon dubstep ! Pas mal de<br />
House music aussi.<br />
Quand avez-vous décidé de former Disclosure ?<br />
Howard : Nous n’avons pas vraiment décidé. C’était<br />
un accident. Nous faisions des beats sur mon<br />
ordinateur pour s’amuser et un jour, à l’école, un mec<br />
a vu ce que je faisais. C’était un prof de technologies.<br />
Il m’a demandé s’il pouvait produire et mixer certains<br />
morceaux qu’on avait fait. Nous en avons fait deux<br />
que l’on a publié sur Myspace. A partir de là, des<br />
labels se sont intéressés à nous…<br />
Votre morceau Latch est resté longtemps dans le UK<br />
Top Ten, de même pour White Noise, décrit comme «<br />
le single le plus hot au Monde ». Vous attendiez-vous<br />
à un tel succès ?<br />
Guy : Non. En fait on voulait faire de la House Music,<br />
un truc assez underground. Nos titres sont vraiment<br />
arrivés dans les charts par accident (rires).<br />
Howard : C’est une histoire assez incroyable. Et on<br />
est toujours dans le Top 40.<br />
Qu’avez-vous appris de votre tournée avec SBTRKT,<br />
Hot Chip ou encore Annie Mac ?<br />
Howard : Nous avons fait trois ou quatre shows avec<br />
Annie Mac, et à chaque fois c’était vraiment très cool<br />
parce qu’elle ramenait principalement des filles ! Les<br />
filles semblent plus apprécier notre musique que les
mecs et aussi mieux la comprendre.<br />
Quand on était avec Hot Chip, leur public ne savait<br />
pas du tout qui on était, cela nous a offert un peu plus<br />
de notoriété…<br />
Guy : Oui et la tournée avec SRTKT (prononcez<br />
« Subtrakt », ndlr) était vraiment cool !<br />
Comment travaillez-vous ?<br />
Howard : On commence généralement pas les<br />
mélodies voire la batterie… Mais cela change selon<br />
les chansons ou les personnes avec lesquelles on<br />
travaille. Impossible de répondre à cette question !<br />
Vous venez tout juste de revenir des États-Unis,<br />
comment s’est passée votre tournée et en quoi le<br />
public américain est-il différent du public européen ?<br />
Guy : C’est surtout la musique qui est différente làbas.<br />
Eux en sont toujours à écouter du Dubstep.<br />
Nous, on écoutait ça il y a quatre ans, tandis qu’ils<br />
sont encore à fond dedans et dans tout ce qui est<br />
mainstream aussi d’ailleurs. On a donc eu un peu de<br />
mal à se faire comprendre, même si nos show ont<br />
tous été complets.<br />
Ce fut le cas à Coachella ?<br />
Howard : Oui ! Nous étions le dernier concert du<br />
festival, c’était énorme.<br />
Parlez-nous de votre collaboration avec<br />
AlunaGeorge…<br />
Howard : Les choses se sont faites très naturellement.<br />
On adore ce qu’ils font. Et la voix d’Aluna est unique.<br />
Ils ont fait notre première partie lors de la tournée du<br />
Royaume-Uni. C’est comme cela que le lien s’est<br />
tissé…<br />
Pourquoi avez-vous nommé votre prochain album<br />
Settle ?<br />
Howard : C’est en fait une blague de notre manager !<br />
Nous étions tous tellement super excités par le succès<br />
de nos morceaux que du coup on s’est souvent répété<br />
qu’il fallait qu’on se calme, d’où le “Settle Down” / To<br />
Settle Down (rires).<br />
Pouvez-vous nous parler de cet album…<br />
Guy : C’est le première fois que l’on travaille avec<br />
autant de voix et de chœurs en même temps en en<br />
arrangements. C’est vraiment un mélange entre la<br />
Dance et le Garage. Il y a un bon équilibre entre les<br />
deux. C’est la seule chose qu’on voulait faire. Le reste<br />
est secret…<br />
Votre meilleur souvenir de scène ?<br />
Guy : L’année dernière, à Ibiza, en haut du vieux<br />
château de l’île ! Il y avait à peu près 5000 personnes,<br />
le soleil se couchait, c’était le soir de mes 21 ans. Une<br />
super soirée d’anniversaire.<br />
L’occasion de rappeler que vous êtes tous les deux<br />
très jeunes… Si un jour tout s’arrête vous avez prévu<br />
de faire quoi ?<br />
Guy : J’aimerais produire du hip-hop, ce serait cool.<br />
En fait, en dehors de la musique je ne sais pas du tout<br />
ce que je ferais…<br />
Howard : Moi, écrire pour d’autres artistes, je crois.<br />
En attendant, la suite à venir ces prochains mois,<br />
c’est… ?<br />
Guy : 39 festivals cet été ! Ensuite on à notre tournée<br />
au Royaume-Uni, en Europe, en Amérique, Australie<br />
et des Dj Sets, un peu partout, aussi.<br />
Pas de date à Paris ?<br />
Guy : Pas pour le moment. Mais nous allons revenir.<br />
C’est sûr. On adore Paris.<br />
Propos recueillis par Lucie de Keyser
LONDON<br />
GRAMMAR<br />
Interview publiée le 16 octobre 2013<br />
Toutes celles et ceux qui ont écouté l’album de Disclosure cet été (lire interview en pages précédentes)<br />
sont tombés amoureux de la voix de la fille qui chante Help Me lose my mind. C’est un fait. Cette fille,<br />
c’est Hannah Reid. Acompagnée de Dot Major à la batterie, au djembé et aux claviers et de Dan Rothman<br />
à la guitare, les anglais forment le groupe London Grammar et ont sorti leur premier album If You wait le 9<br />
septembre, quelques mois seulement après leur EP Metal & Dust. À Paris, avant un showcase à la Fnac<br />
des Halles, le groupe s’est installé bien au chaud dans un café pour nous décrire leur musique. Hannah a<br />
mal à la gorge. Elle parle tout bas afin de s’économiser pour le live qui allait suivre. Les garçons étaient là<br />
pour raconter la suite.<br />
Comment concevez-vous votre musique ?<br />
Dan : de plein de manières différentes, et ça change<br />
tout le temps ! On a passé beaucoup de temps dans<br />
mon garage à jammer ensemble, beaucoup de<br />
chansons sont nées comme cela. Il y a aussi des<br />
chansons qu’Hannah a écrit juste en improvisant au<br />
piano, d’autres qui étaient à la base des<br />
expérimentations électro. A la fin, on a voulu mélanger<br />
tout ça pour en faire un album.<br />
Parlez-nous un peu de l’album et des thèmes que<br />
vous y abordez.<br />
Hannah : Il y a beaucoup de thèmes différents sur<br />
l’album, les paroles sont principalement basées sur<br />
mes expériences personnelles, mes histoires d’amour<br />
mais aussi sur des images qui me viennent à l’esprit<br />
quand j’écoute les compositions que Dan et Dot ont<br />
écrit. D’autres abordent la condition humaine, l’esprit<br />
humain, la psychanalyse…<br />
Comment décririez-vous cet album à quelqu’un qui ne<br />
l’a jamais écouté ?<br />
Dan : Il y a d’abord un côté minimaliste, électro<br />
expérimentale, influencé par des groupes comme<br />
Radiohead, Massive Attack. Il y a ensuite un côté plus<br />
Classic Pop, influencé par ce que Hannah écoute,<br />
Michael Jackson ou Tina Turner par exemple. Toutes<br />
ces influences réunies donnent une certaine<br />
consistance à l’album, une atmosphère que je<br />
qualifierais de mélancolique.
Parlez-nous de la chanson Flickers.<br />
Dot : C’est la chanson la plus ancienne de l’album<br />
avec If You Wait. C’est la première chanson<br />
qu’Hannah et Dan ont écrit avant mon arrivée dans le<br />
groupe et c’est la première qu’on a composée<br />
ensemble. C’est pour ça que tu peux y entendre du<br />
djembé. Elle est assez représentative des débuts de<br />
notre groupe car à cette époque, Dan composait<br />
beaucoup avec une pédale de loop.<br />
Hannah : Je me souviens très bien du moment où on<br />
a écrit cette chanson. C’était dans la chambre de Dan<br />
à l’université, il venait d’écrire (elle commence à<br />
chanter, ndlr) : « The path is long, it’s cold and wet,<br />
desire path will lead you quicker here than the rest »<br />
Dan : Ce ne sont pas vraiment des paroles ! (Rires).<br />
Hannah : Oui mais c’est brillant. C’est de ce petit bout<br />
de phrase que la chanson est née, c’était le thème de<br />
base. On a ensuite écrit le reste de la chanson<br />
ensemble.<br />
Dot : A l’origine, il n’y avait pas la partie plus rythmée<br />
que tu peux entendre au milieu de la chanson, je l’ai<br />
ajoutée en arrivant dans le groupe.<br />
Dan : Quand nous sommes allé en studio, le<br />
producteur de l’album Tim Bran a rajouté d’autres<br />
éléments live comme les Delays Dub par exemple. Il a<br />
joué pas mal de temps avec Dreadzone, un groupe de<br />
dub-reggae, l’influence s’entend sur l’album.<br />
Vous aimez danser ?<br />
Dot : Moi pas du tout. Ce qui est assez paradoxal car<br />
je suis le batteur du groupe, mais ce n’est pas mon<br />
truc !<br />
Hannah : moi j’adore ça et Dan est un excellent<br />
danseur !<br />
Parlez-nous de votre collaboration avec Disclosure.<br />
Hannah : C’était vraiment chouette. C’est notre<br />
manager qui les connait depuis un moment et qui<br />
nous les a présentés. Tout s’est fait très rapidement !<br />
Ils sont très talentueux mais aussi très efficaces. On a<br />
passé que deux jours en studio avec eux, ils<br />
travaillent tellement vite !<br />
Dot : Ca doit pas être facile pour des producteurs<br />
d’électro de trouver ses repères dans un album<br />
comme le nôtre où le chant occupe la plus grande<br />
place, mais ils l’ont fait brillamment et ils sont tombés<br />
littéralement amoureux de la voix d’Hannah en<br />
écoutant If you wait.<br />
En même temps, tout le monde tombe amoureux de<br />
sa voix, non ?<br />
Entretien et textes par Bastien Internicola<br />
Traduction : Maxime Rosenfeld
KLUB DES<br />
LOOSERS<br />
Interview publiée le 12 mai 2013<br />
Regard fuyant mais la confiance de la passion musicale bien ancrée en lui, Fuzati m’observe du coin de<br />
l’œil quand j’arrive. Mis à nu, il n’en reste pas moins déstabilisant. Après quelques minutes de silence,<br />
je m’installe à côté de lui. L’échange commence, il semble sentir ma sensibilité pour sa musique et se<br />
détend, dans une distance chaleureuse. Son amour pour la production prend le dessus et l’englobe<br />
dans une sincérité à l’image de sa musique…<br />
Une musique hors du temps, qui touche à la modernité pour mieux se tourner vers l’intemporel. Fuzati,<br />
embrumé par son travail, construit de toutes pièces son propre genre musical. Parsemé de chaleur et<br />
d’étrangetés attirantes, Last Days remet au goût du jour la musique de chambre. Les samples vocaux te<br />
susurrent à l’oreille et résonnent dans les coins, les bruitages cosmiques imprègnent la tapisserie pour<br />
transformer l’acoustique, le beat masse ton esprit vide affalé dans un fauteuil : Last Days s’introduit<br />
chez toi par la porte secrète…<br />
Last Days avant quoi ?<br />
Avant la mort… (Rires). Last Days raconte l’histoire<br />
des derniers jours du personnage de l’album, un<br />
personnage obnubilé par le fait de faire de la musique<br />
et qui se drogue jusqu’au dernier morceau. Il meurt<br />
d’un arrêt cardiaque dans Goodbye qui finit juste avec<br />
le beat pour illustrer le rythme cardiaque décroissant.<br />
En même temps, ça va avec mon histoire. J’ai<br />
vraiment failli y passer à cette époque. Le truc c’est<br />
que je ne dormais pas, je bossais tout le temps, je<br />
prenais pas mal de “substances” donc à la fin ça a<br />
joué sur ma santé. Dans Last Days, je raconte mon<br />
histoire avec des samples et non en rappant. C’est ça<br />
la différence avec les projets précédents.<br />
Au sujet des derniers albums tu dis que Fuzati c’est<br />
toi, poussé à l’extrême. Alors, sans les paroles<br />
saignantes, qui se cache derrière le son ? Est-ce que<br />
le masque et sa symbolique sont encore de vigueur<br />
sur cet album instrumental ?<br />
C’est moi. Quand j’écris, j’assume tout ce que dit<br />
Fuzati mais c’est simplement des émotions poussées<br />
à l’extrême parce que c’est là où se trouve le plus<br />
intéressant. Mais ici c’est vraiment moi, mes goûts<br />
musicaux. Je l’ai fait il y a super longtemps et je suis<br />
content quand je le réécoute aujourd’hui. Ce qui est
pas mal avec les instrus c’est que je m’en lasse pas et<br />
j’arrive même à en profiter sans me dire que c’est moi<br />
qui l’ai composé. Je l’ai fait que pour moi au départ et<br />
j’apprécie la distance sentimentale que je peux avoir<br />
avec cet album. J’essaie de ne jamais sacraliser la<br />
musique par rapport à une période.<br />
Enregistré en 2006, quel effet cela te fait de le sortir<br />
maintenant, 7 ans après et à la suite d’un album<br />
composé plus tard ?<br />
Je trouve ça super bien. Le rapport que j’ai avec la<br />
musique est très distancié de l’actualité. Moi je suis<br />
surtout dans le jazz, j’écoute des trucs des années 60,<br />
sans tout ce que l’on trouve aujourd’hui autour de la<br />
musique du type promotion-buzz-image. Ce sont des<br />
mots horribles qui t’éloignent de la musique ellemême.<br />
Là avec la distance je ne suis plus dans<br />
l’album, j’en parle mieux, avec du recul. Ca ne m’était<br />
jamais vraiment arrivé et c’est pas mal même si je ne<br />
le ferai pas sur chaque album.<br />
Tu as une relation particulière à la production et ici tu<br />
apparais exclusivement comme un producteur, un<br />
beatmaker. Quel effet cela te fait par rapport à l’image<br />
que le public a de toi, c’est à dire purement un<br />
chanteur/rappeur ?<br />
Je suis beatmaker depuis le départ, depuis 15 ans<br />
mais les gens pensent que c’est Detect qui fait les<br />
sons alors qu’il est mon Dj et mon ingé-son. Au<br />
départ, même avec le Klub des 7 c’était mon album<br />
de beatmaker mais je me suis juste caché derrière le<br />
groupe. Donc moi cela me fait pas bizarre d’apparaître<br />
exclusivement en tant que beatmaker. Ce qui est<br />
marrant c’est que mon travail de rappeur est très<br />
cloisonné de celui de beatmaker, je ne les associe<br />
que pour la finition mais dans ma tête ce sont deux<br />
mondes. Pour Last Days, je me dis « Enfin ! Les gens<br />
ne pourront pas fermer les yeux sur mon travail<br />
sonore ».<br />
Je n’ai pas fait cet album pour montrer ma production<br />
en tant que beatmaker parce que chez moi ce travail<br />
est continu. Il y avait déjà Spring Tales même si c’est<br />
purement un album hiphop pour rapper dessus alors<br />
qu’avec Last Days c’est un projet en tant que tel. Je<br />
ne dirais même pas que Last Days est un album<br />
hiphop mais plutôt un disque de beats. Il n’y a pas du<br />
tout que du sampling. Sur pleins de morceaux j’ai tout<br />
joué, modifié, programmé. Mais bien sûr il y a toujours<br />
mon approche hiphop avec la boucle.<br />
Sur Last Days alors, avec quelles machines as tu<br />
composé ?<br />
Ahah. C’est cool d’enfin parler de musique. Merci<br />
<strong>CRUMB</strong>. Normalement on me demande juste : «<br />
Pourquoi le masque ? ». Dans Last Days j’ai bossé<br />
essentiellement sur la MPC 2000 XL, un Minimoog et<br />
des machines plus vintages comme le Korg Sigma et<br />
le Fender Rhodes. Ce n’est que de l’analogique parce<br />
que je suis très attaché à ce grain chaud. Tu le sens,<br />
l’album est sale mais dans le bon sens du terme, il<br />
grésille. J’adore quand le son est chaleureux, c’est ma<br />
marque du Klub. Cet album vient un peu de mon<br />
obsession pour le Minimoog et toutes ces ambiances<br />
spatiales…<br />
Tu sembles chercher l’harmonie sonore, un grain<br />
musical particulier sur chacun de tes albums.<br />
Complètement. Ici je suis encore dans la lignée des<br />
précédents projets : un son hyper chaud, hyper Low-<br />
Fi, analogique. C’est pour ça que j’ai toujours Detect<br />
comme ingé-son qui vient nettoyer mes mixs. Parfois<br />
je lui donne des morceaux vraiment trop crades pour<br />
qu’ils soient passables (rires).<br />
A quel point Detect t’a apporté sa patte sur Last Days<br />
?<br />
Par énormément sur ce projet là. Juste que comme on<br />
bosse ensemble depuis longtemps il sait parfaitement<br />
ce que je veux et le grain que je cherche. Donc il fait<br />
le travail de finition au niveau du son en neutralisant<br />
certaines fréquences qui crachaient trop. Il me connaît<br />
bien.<br />
De la manière dont je t’écoute on dirait que tu te<br />
préfères comme beatmaker ?<br />
En fait, oui, je pense. En tout cas plus que comme<br />
rappeur. J’ai toujours rêvé d’être beatmaker depuis<br />
mes 13 ou 14 ans mais j’ai dû attendre de signer chez<br />
Record Makers pour avoir des avances et m’acheter<br />
une MPC. J’ai trouvé un Minimoog pas trop cher en<br />
2005 après Vive la Vie. A partir de ce moment là j’ai<br />
rattrapé le temps perdu. J’avais plein de vinyls prêts à<br />
être samplés et j’étais comme un gosse. C’est là que<br />
tout a vraiment commencé pour moi.<br />
Quand tu composes, comment avances-tu ? Est-ce<br />
l’improvisation qui te fait progresser ou tout est déjà<br />
organisé dans ta tête ?<br />
Comme c’est un travail constant, parfois ça va partir<br />
d’une boucle à partir de laquelle je retravaille ou<br />
parfois c’est un air qui me vient du synthé et qui<br />
m’accroche. Je n’ai pas de méthode type puisque je<br />
compose tous les jours. Ce qui est super c’est que les<br />
instruments t’aident à composer ta musique. Le<br />
Minimoog ca ne fonctionne pas avec des accords<br />
donc il va m’inciter à jouer d’une certaine manière<br />
alors que le Fender Rhodes me permet de me lâcher<br />
sur les accords. L’instrument m’amène à composer<br />
d’une certaine manière, ça fait évoluer ma musique.<br />
C’est pour cela que je pense aussi que les mecs<br />
d’aujourd’hui font souvent tous la même musique. Sur<br />
numérique c’est une machine avec les mêmes<br />
réglages c’est plus difficile d’être original. Alors<br />
qu’avec l’analogique ce qui est intéressant c’est<br />
l’erreur. Par exemple le Minimoog il est hyper<br />
capricieux : ça met 10 minutes à chauffer, parfois tu<br />
joues et il se coupe.<br />
Comme tu nous l’as raconté, il y une histoire solide<br />
dans Last Days, c’est un album qui parle facilement<br />
grâce aux samples mais aussi à un effet roadtrip<br />
passionnant. Est ce que tu associes ta musique à des<br />
images ?<br />
Pas à des images mais plus à des couleurs. C’est un<br />
peu con mais cet album est bleu parce que pour moi<br />
l’espace c’est forcément bleu et cosmique donc je l’ai<br />
illustré par des pianos et du Moog. Tout ce qui est
Fender Rhodes et trompette c’est plus jaune tandis<br />
que le xylophone et les aigues c’est bleu. Non, ma<br />
composition n’était pas associée à des images parce<br />
que sur cet album je raconte une histoire grâce aux<br />
dialogues.<br />
Ces dialogues te sont venus comment ?<br />
C’est une recherche constante. Chez moi c’est un<br />
magasin donc je pioche. Le plus difficile c’est de<br />
chercher plein de bouts différents et de créer au final<br />
une cohérence, de donner l’impression que c’est le<br />
même groupe qui a tout joué, d’en faire ton son. C’est<br />
ça qui est marrant aussi, c’est de faire des collages à<br />
partir de voix de vieux disques et de les détourner<br />
pour recréer une pièce décalée. Sur Wet Dreams c’est<br />
une fille qui rêve de faire du fistfucking alors<br />
qu’évidemment ce n’était pas du tout le dialogue<br />
d’origine (rires).<br />
Comment les utilises-tu dans ta composition, pour<br />
rythmer la musique ?<br />
Je tombe sur une boucle et cela m’inspire tel ou tel<br />
sentiment. Le plus difficile c’est de trouver la bonne<br />
caisse claire qui permet de l’intégrer à la boucle en<br />
donnant l’impression qu’elle a toujours fait partie du<br />
morceau d’origine. Le travail de texture me prend le<br />
plus de temps.<br />
J’ai l’impression que le travail sur Last Days a été<br />
sensiblement différent.<br />
C’est vrai. Habituellement je fais de la musique tout le<br />
temps, par-ci par-là, alors que pour Last Days je me<br />
suis concentré pour faire un album construit. Je l’ai fait<br />
pour moi, sans vouloir le sortir, donc dès le départ ça<br />
allait devenir un album harmonieux. Pour Spring Tales<br />
j’avais simplement réuni pleins d’instrus. Pour La Fin<br />
de l’Espèce il y avait une grosse attente. J’ai un<br />
ressenti beaucoup plus intime avec Last Days.<br />
Avec La Fin de l’Espèce, le Klub a atteint un succès<br />
plus large que précédemment. Comment cela a joué<br />
par rapport à la sortie de Last Days ?<br />
Je sais pas pourquoi mais d’un coup j’avais envie de<br />
sortir Last Days. En le réécoutant il y a pas longtemps<br />
je me suis dit que c’était con de le garder que pour<br />
moi et que cela pouvait intéresser des gens. Mais<br />
avant je ne voulais pas le sortir parce que je savais<br />
que les gens attendaient une suite à Vive la Vie. Les<br />
gens ont tendance à moins faire attention à mes<br />
projets d’instrus alors qu’ils ont autant de valeur pour<br />
moi. Ils pensent que c’est juste un « sideproject ». J’ai<br />
donc attendu pour offrir à Last Days la place qu’il<br />
mérite à mes yeux. Les gens seraient passés à côté si<br />
je l’avais sorti avant La Fin de l’Espèce. Ils n’y<br />
auraient pas fait attention.<br />
Tu nous parles de substances et du son du Klub qui a<br />
toujours été teinté de pop. Comment ont-elles<br />
influencé ta production ?<br />
Aucun effet, c’est des conneries, dans le sens que<br />
c’est un mythe de dire que les substances te font<br />
créer une bonne musique. Simplement que je suis<br />
assez nerveux donc après une grosse journée de taff ‘<br />
de bureau j’avais besoin de ça pour me calmer. A la<br />
limite, parfois les substances te font entendre<br />
différemment la musique, tu te concentres sur un effet<br />
que tu n’avais pas assez remarqué, tu entres par une<br />
nouvelle porte dans ta musique. Mais sinon, quand tu<br />
t’es défoncé, il ne faut pas faire de musique. Tu fais<br />
une boucle, tu crois que c’est mortel et le lendemain<br />
matin t’écoutes et c’est nul. Quand t’es défoncé, t’es<br />
défoncé, c’est tout. Ca ne sert à rien. Ca ne mène<br />
nulle part.<br />
Tu aimes poser le doigt là où ça fait mal. Sur Vive la<br />
Vie c’était l’adolescence et le suicide, avec La Fin de<br />
l’Espèce c’était sur la reproduction et les relations aux<br />
femmes. Avec Last Days, tu cherches à soulever des<br />
questions ?<br />
Sur celui-ci c’est différent. C’était à un moment où je<br />
n’avais plus envie de rapper. Après la sortie de Vive la<br />
Vie, j’avais fait une grosse tournée mais j’étais dans<br />
une période de doutes à cause de l’industrie du<br />
disque qui se cassait la gueule. Donc j’ai compris que<br />
si je voulais bien vivre de ma musique il fallait que je<br />
travaille à côté sinon c’était difficile de ne pas «<br />
corrompre » ma musique. Donc j’ai trouvé un vrai taff’,<br />
à côté et j’avais plus forcement l’envie de rapper. Par<br />
contre, je voulais toujours raconter une histoire, d’où<br />
l’utilisation des dialogues. C’est un album qui est<br />
vraiment conçu pour chez toi. T’ouvres une bière et<br />
t’écoutes de la Musique, au-delà du style hiphop.<br />
Dans le catalogue on trouve une traduction en<br />
japonais. Quel est ton rapport à ce pays ?<br />
L’album sort au Japon mais je ne le savais pas quand<br />
je composais. Les japonais sont vachement dans ce<br />
style de musique cosmique. J’en reviens d’ailleurs et<br />
c’est fou là-bas. Tu trouves tout. Ils ne téléchargent<br />
pas du tout illégalement par respect de la musique<br />
d’abord et ensuite de la loi. Donc c’est un marché où<br />
le disque fonctionne encore, où les japonais font plus<br />
attention à la musique que nous. 70% de la musique<br />
que j’ai achetée sont des vinyls français qu’on ne<br />
trouve plus ici et qu’eux respectent. Il y a du jazz<br />
partout là-bas, tu vas pisser et c’est du Blue Note qui<br />
tourne - c’est leur musique de base. Même quand tu<br />
te balades au supermarché tu as l’impression d’être<br />
dans Cobra. Je pense qu’inconsciemment c’est pour<br />
cela que j’adore le jazz-funk parce que gamin quand<br />
je regardais les dessins animés j’étais face à de la<br />
qualité.<br />
Tes textes portent en eux l’esprit d’écriture française.<br />
Pourquoi ici présenter l’album en anglais ?<br />
Simplement parce que c’est un album qui pourrait être<br />
produit par un allemand ou un anglais donc j’ai voulu<br />
rentrer dans l’universel, à la fois par la langue utilisée<br />
mais aussi par la musique que je partage. C’est un<br />
projet international même si inversement ce serait<br />
ridicule de mettre mais titre en anglais sur le Klub des<br />
Loosers. Au fond, Last Days n’est même pas un<br />
album de beatmaker mais de musique, tout<br />
simplement. C’est fini la séparation de genres que l’on<br />
trouve dans les bacs chez le disquaire. Quand tu fais<br />
de la musique tu fais ce qu’il te plaît, sans<br />
cloisonnement mais avec emprunts. C’est pour cela<br />
que j’adore la musique brésilienne, elle est faite de
fusions. Mais il y aura toujours des extrémistes du<br />
genre, des mecs qui veulent garder des chapelles<br />
comme quand Miles Davis quand il a introduit le<br />
Fender Rhodes dans le jazz.<br />
Tu sembles davantage posé avec ce type de projet<br />
comme Last Days. Tu vas en sortir d’autres du même<br />
genre?<br />
Il y en aura d’autres parce que vers 2006 j’ai<br />
énormément travaillé et donc j’ai au moins deux ou<br />
trois autres albums d’instrus. J’ai fait d’autres beats<br />
très différents de Last Days. J’ai des sons plus funk et<br />
d’autres plus différents. Vous verrez !<br />
T’en penses quoi de conclure la trilogie après Vive la<br />
Vie et La Fin de l’Espèce ?<br />
Oui, j’ai envie de finir cette trilogie même si pour<br />
l’instant je bosse sur le prochain Klub des Loosers qui<br />
ne fera pas partie de la trilogie. Je reste dans le<br />
même univers, avec le même personnage mais je le<br />
présente à travers un autre prisme. Après il y aura le<br />
dernier épisode de la trilogie.<br />
Tu peux nous en dire quelques mots ?<br />
Non, je suis en plein dedans. Je préfère prendre mon<br />
temps, tu comprends…<br />
Après l’adolescence et la trentaine, tu vas parler des<br />
vieux ?<br />
Non non non (rires effleurés). Ce n’est pas si logique<br />
que ça. Non. Je ne suis pas logique.<br />
Interview et propos recueillis par Sirius Epron.<br />
Photograhies : Laurent Nalin, du Collectif 5.6,<br />
pour Crumb magazine
RODRIGO<br />
AMARANTE<br />
Interview publiée le 11 février 2014<br />
Il s’en est passé, du temps, depuis 2008. Little Joy, groupe éphémère, sort un album, fait le tour des<br />
festivals et rencontre un franc succès. Rodrigo Amarante y chantait en anglais des refrains dont<br />
certains d’entre vous se souviennent sûrement. Membre de Los Hermanos et Orquestra Imperial, le<br />
Brésilien s’aventure aujourd’hui en solo dans un album solitaire, dans le bon sens du terme, et<br />
éminemment touchant. Il nous a parlé de ses amis, de ses voyages sur la Terre et en lui même, en<br />
décortiquant certaines de ses chansons.
L’album sort bientôt en Europe. Comment a-t-il été<br />
reçu au Brésil, chez toi ?<br />
Je ne peux pas vraiment savoir. Toutes les<br />
informations que j’ai proviennent de mes amis et des<br />
concerts. Cela dit, je peux dire que j’en suis très<br />
satisfait. Les réactions ont été très intéressantes. Pas<br />
seulement positives. Les gens parlaient des paroles,<br />
des idées et du son de l’album. Ils ont été surpris que<br />
je fasse un disque comme cela ! J’ai eu le retour que<br />
je voulais. En plus, jouer l’album en concert a été très<br />
libérateur car je savais que ça allait être quelque<br />
chose de très délicat : ce sont des chansons qui<br />
prennent beaucoup d’espace, qui ont un certain<br />
dynamisme. Les Brésiliens ont l’habitude de me voir<br />
très bruyant avec Los Hermanos ou même avec<br />
Orquestra Imperial. C’est un autre groupe que j’ai.<br />
C’est dans le style de la musique des casinos des<br />
années 1940. Nous avons commencé il y a<br />
maintenant douze ans. Nous avons fait l’Europe et les<br />
Etats-Unis ensemble. Avec ce groupe, nous avons<br />
apporté un type de musique qui avait d’une certaine<br />
façon disparue au Brésil et aussi un type de samba<br />
qui est la gafieira. C’est un type de samba qui a été<br />
particulièrement influencé par le jazz américain dans<br />
les années 1940 et 1950. J’ai formé ce groupe avec<br />
plusieurs amis dont Seu Jorge, un chanteur<br />
compositeur brésilien qui a notamment travaillé sur un<br />
film de Wes Anderson.<br />
C’est lui qui chante Bowie en portugais ?<br />
Tout a fait. Le groupe était composé de Seu, Caetano,<br />
qui est un très bon ami moi et quelques autres gars de<br />
Rio. Je raconte cela pour te dire que c’était quelque<br />
chose de très différent et que mon nouvel album est<br />
aussi différent par rapport à tout ce que j’ai fait<br />
auparavant. Même par rapport à Little Joy. Ce fut un<br />
véritable défi. Avec Cavalo, au lieu de pousser, je me<br />
retire légèrement. Je crée du silence pour que les<br />
gens puissent se rapprocher. Tout l’album contient<br />
cette idée de silence. En tout cas, j’ai eu de bons<br />
résultats, de bonnes critiques, et mes amis ont<br />
apprécié. Je sens que pour sortir un album comme ça<br />
il faudrait du temps, mais je l’ai laissé sortir. Je ne<br />
parle pas de temps pour atteindre un certain succès,<br />
mais du temps pour que les gens l’écoutent.<br />
C’est bien plus calme que Little Joy, qui était déjà<br />
assez détendu avec une ambiance plus<br />
silencieuse. J’ai lu ta lettre qui expliquait que tu étais<br />
sans meubles… Parle-moi un peu de cette histoire.<br />
C’était une lettre pour Caetano Veloso, peut-être le<br />
plus grand compositeur brésilien. C’est le fondateur<br />
du mouvement Tropicália. Il a une certaine importance<br />
et il se trouve que je suis son ami. Je lui ai écrit une<br />
lettre avant la sortie de l’album. Pendant que<br />
j’écrivais, je parlais avec Devendra Banhart. Nous<br />
sommes partis en tournée ensemble. Il m’a alors<br />
conseillé d’écrire mon propre communiqué pour la<br />
sortie de mon album au lieu de la faire faire à<br />
quelqu’un. D’habitude on donne ce travail à une<br />
personne qui a un certain nom ou une opinion qui<br />
compte. Cela dit, je n’ai jamais trop aimé ce<br />
processus. Alors, quand j’ai réfléchi à ce que j’aurais<br />
dit, je me suis rendu compte que la lettre que j’avais<br />
écrite à Caetano était parfaite. J’ai effacé le “Cher<br />
Caetano” et j’ai changé quelques passages pour que<br />
cela devienne la chronique de l’album. J’écris à<br />
quelqu’un qui est intéressé, qui apprécie les idées et<br />
les concepts. Je me suis dit, “C’est parfait ! Je ne<br />
devrais pas me retenir ou m’excuser car je veux dire<br />
quelque chose en particulier !”. C’est plus ou moins la<br />
manière dont cela s’est déroulé. Vous avez besoin<br />
d’une chronique ? La voilà ! J’étais un peu inquiet que<br />
cela ne marche pas en dehors du Brésil, car il y avait<br />
quand même une sorte d’attente et j’ai voulu<br />
présenter le projet correctement pour ceux qui<br />
auraient eu une certaine envie de savoir ce que je<br />
pense. L’album t’intéresse ? Tu veux savoir ce qu’il y<br />
a derrière l’album ? D’où ça vient ? Eh bien voilà !<br />
Cela a très bien marché dans mon pays. Les gens qui<br />
posaient les questions savaient de quoi ils parlaient et<br />
cela se sentait. Cela a dirigé leur écoute. C’est plutôt<br />
nouveau comme concept, je n’y avais jamais pensé<br />
avant et je suis très heureux de l’avoir fait.<br />
Où as-tu déménagé ?<br />
Aux États-Unis. J’ai vécu au Brésil toute ma vie et j’ai<br />
commencé à y aller pour enregistrer. Je n’ai jamais<br />
imaginé aller un jour vivre aux States, mais j’ai<br />
rencontré Devendra Banhart à Londres quand je<br />
jouais à un festival et nous sommes devenus amis.<br />
Nous avons échangé nos adresses électroniques et<br />
quelques chansons. Il m’a ensuite invité à aller aux<br />
États-Unis pour enregistrer avec lui. À l’époque, Los<br />
Hermanos étaient encore actifs, c’était en 2007 je<br />
crois. J’y suis allé pour enregistrer quelques chansons<br />
mais j’ai fini par enregistrer tout l’album avec lui. Nous<br />
sommes devenus de très bons amis, y compris avec<br />
Nowa, le productueur et ingé-son. C’est aussi l’ingéson<br />
de Cavalo et de Little Joy. C’est d’ailleurs à cette<br />
époque que j’ai reçu un appel de Fabrizio, le mec<br />
avec qui j’ai fait l’album de Litlle Joy. C’est le batteur<br />
des Strokes. Je l’avais rencontré au Portugal à un<br />
autre festival quelques années auparavant. Il m’avait<br />
dit “J’ai cru comprendre que t’es à L.A., on se voit ?”.<br />
On s’est vu et il m’a proposé de l’aider à finir sa<br />
chanson. Cela devait être une seule chanson, mais<br />
c’était tellement facile de composer avec lui qu’au final<br />
c’est devenu un album entier : Little Joy. Ensuite je<br />
suis parti en tournée aux U.S. avec Devendra, puis<br />
avec Little Joy. Au bout d’un moment je me suis<br />
retrouvé avec deux adresses, et je me suis dit “Tu<br />
sais quoi ? C’est génial !”. Après l’album de Devendra,<br />
nous avons décidé de se séparer avec Los<br />
Hermanos. Nous avons fait une pause. C’était parfait<br />
pour moi d’aller sur une nouvelle terre où il faut que je<br />
parle une autre langue. Un autre défi pour moi et ma<br />
musique, aller quelque part où il n’y a pas d’attente de<br />
la part du public et où tout le monde se fout de toi. Je<br />
me disais “Présente ta musique et l’on verra ce qui se<br />
passe”. En tant que compositeur, c’était important<br />
pour moi de le faire.<br />
Parle-moi de ta chanson en français, Mon Nom.<br />
C’est un grand défi d’écrire en anglais. Je parle assez<br />
bien anglais maintenant, mais écrire est quelque
chose qui nécessite une exploration des sens de<br />
chaque mot. Il m’a fallu beaucoup d’entraînement et<br />
d’engagement. Quand j’ai finalement été à l’aise, j’ai<br />
écrit quelques chansons en anglais et j’ai remarqué<br />
que les textes parlaient du processus même de<br />
l’écriture, du fait que j’étais en dehors de ma “terre”.<br />
Ils commençaient à devenir très personnels. Je<br />
voulais écrire une chanson à propos du fait d’être<br />
étranger et j’ai pensé à la langue française. La culture<br />
française entretient une relation d’amour avec ce qui<br />
l’entoure, dans le monde. Le mot exotique vient de la<br />
langue française. Malgré cela, une tension existe en<br />
France, dûe aux conséquences du colonialisme. C’est<br />
ce paradoxe qui m’a poussé à écrire en Français. J’ai<br />
étudié la langue et je l’adore. Ce fut un processus très<br />
intéressant. J’ai commencé la chanson en disant “Je<br />
suis l’étranger” et puis “Je ne parle pas tout à fait<br />
comme toi”. Au début de la chanson, je m’excuse<br />
quant à la manière dont je parle. En écoutant, on<br />
pourrait penser que je parle d’une manière différente<br />
ou que je ne dis pas exactement ce que je voudrais<br />
dire, ce qui peut limiter le degré de compréhension à<br />
la surface du texte. Pourtant, ce sont bien<br />
évidemment des métaphores. La langue française a<br />
particulièrement bien marché. J’ai trouvé le thème, le<br />
nom, Bruno et le mot “brun”, qui peut être lu comme<br />
ayant un lien avec la race et la culture arabe. J’ai<br />
choisi des mots et des choses que peut-être même<br />
les Français n’auraient pas su comprendre. Par<br />
exemple, quand je dis “aubergine”, je parle des<br />
femmes près des parcmètres qui portent des<br />
vêtements violets. Quand je dis “plate-bande”, je parle<br />
du trottoir. Tu sais à Paris, il y a ces petits endroits<br />
avec les fleurs sur les cotés. Je dis que je viens de<br />
cela… Je parle aussi un peu du film Being There de<br />
Hal Ashby avec Peter Sellers, son personnage est un<br />
jardinier. Le propriétaire du territoire sur lequel il<br />
travaille meurt et les gens le prennent pour le<br />
propriétaire. Ainsi, ils pensent que c’est un ‘economic<br />
adviser’ et ils l’écoutent en tant que tel alors que ses<br />
discours sur le jardinage ne sont pas des métaphores.<br />
Il parle des saisons, où investir, où planter mais les<br />
personnes ne savent pas qu’il parle littéralement de<br />
jardinage. C’est une autre idée présente dans la<br />
chanson. Le personnage n’est pas au courant du<br />
message qu’il donne, voire dans l’autre sens : je<br />
m’excuse et je ne suis pas conscient du sens de mon<br />
message. Cela a été dangereux pour moi, un autre<br />
niveau de danger. J’aime beaucoup la France. J’aime<br />
le cinéma français, la littérature et je voulais en faire<br />
partie. C’était également la langue parfaite pour cette<br />
chanson, pour ce thème.<br />
Mais tu n’as pas commencé à partir de rien n’est-ce<br />
pas ? Tu avais étudié le français auparavant ?<br />
Oui et j’étais amoureux d’une Française, ça aide. Une<br />
autre chose qui m’a encouragé c’est le projet<br />
Brassens. On m’a proposé de traduire Brassens et j’ai<br />
accepté ! Mais je n’aurais pas pu le faire tout seul,<br />
alors j’ai invité un ami français. C’est un batteur qui<br />
joue avec moi dans Orquestra Imperial. Je<br />
connaissais la musique de Brassens auparavant et<br />
j’avais étudié le français à travers les paroles de ses<br />
chansons. Mais je ne suis pas français et il y a<br />
tellement de niveaux d’humour et en général des<br />
choses que le chanteur portait dans ses textes. Mon<br />
ami m’a parlé de la vie de Brassens, sa relation avec<br />
sa femme, d’où il vient, ce qu’il se passait en France à<br />
l’époque. Je me suis demandé comment est-ce que je<br />
pouvais préserver les rimes et le prodige du discours.<br />
Comment souligner le sens de l’humour et comment<br />
le faire de manière élégante tel que le faisait<br />
Brassens. Il le fait de manière très élégante et du<br />
coup cette traduction a été un défi. J’ai adoré le faire !<br />
Au début, c’était un peu “Merde ! C’est trop<br />
compliqué. Je ne vais pas pouvoir finir tout ça”, mais<br />
aujourd’hui, je suis très satisfait du résultat ! J’ai mis la<br />
chanson en français sur l’album.<br />
J’ai commencé à écrire une autre chanson en<br />
français. Je l’aime bien. Je veux que mon français<br />
s’améliore rapidement. J’ai découvert une dimension<br />
positive et intéressante dans le fait de ne pas écrire<br />
en portugais. Je ne peux pas utiliser le vocabulaire<br />
comme outil pour créer des couches au-dessus d’un<br />
concept et ainsi faire passer un message qui n’est pas<br />
très clair ou vrai. Si j’écris en anglais, je dois être<br />
propre dans mon écriture, je dois savoir ce que je dis.<br />
Bien sûr, c’est pareil pour toutes les langues. Mais en<br />
portugais, par exemple, il y a une chanson que j’ai<br />
écrite pour Los Hermanos qui traite du discours de<br />
l’homme envers la femme. C’est toute une chanson<br />
avec un langage très compliqué, mais qui au final ne<br />
dit rien. Toute la chanson est une excuse pour n’avoir<br />
rien à dire mais le tout est masqué par un langage<br />
très flamboyant. C’est une métaphore de la rationalité<br />
masculine qui est mise en opposition à la femme. La<br />
femme exprimerait davantage de sentiments sous<br />
forme pure alors que le discours flamboyant et le<br />
vocabulaire appartiendraient au profil du mâle. Donc<br />
je peux faire cela en portugais, mais pas en anglais.<br />
Pas encore.<br />
Mais en étant dans le pays, tu peux apprendre les<br />
petites subtilités de la langue.<br />
Oui c’est vrai. J’adore les langues. Je travaille très dur<br />
pour comprendre. S’il y a un mot que je ne connais<br />
pas, je demande ce qu’il signifie. Je collectionne des<br />
dictionnaires et j’adore rechercher les origines des<br />
mots. C’est amusant.<br />
Tu penses qu’il y aura un retour avec Little Joy ?<br />
Bien sûr ! Il y a une grande possibilité. Fab et moi<br />
sommes allés en tournée avec Devendra cette année,<br />
aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe. Nous avions un<br />
certain nombre de chansons que nous avons<br />
commencé à écrire mais qui ont été mises de côté.<br />
Nous avons commencé à les reprendre en main. Fab<br />
a écrit plusieurs chansons, c’est un compositeur<br />
incroyable. Il est très bon. Il me montrait ses<br />
chansons et nous étions en train de recommencer à<br />
collaborer mais les Strokes l’ont rappelé. On s’adore,<br />
et nous avons toujours pensé que ce serait dommage<br />
de n’avoir qu’un seul album de Little Joy.<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola.<br />
Traduction : Jacopo Martini<br />
Photographie : Yann Morrison, pour Crumb
JACKSON<br />
SCOTT<br />
Interview publiée le 17 décembre 2013<br />
A cinq millions de visiteurs uniques par mois, c’est aujourd’hui Pitchfork qui fait et défait les<br />
réputations musicales sur le web. L’histoire de cet américain d’à peine vingt ans, Jackson Scott en est<br />
la dernière illustration en date. Un morceau posté sur Soundcloud et c’est le graal : That Awful<br />
Sound est nommé ‘Best New Track’ par le site américain. En quelques mois, il signe chez Fat<br />
Possum, sort son premier album Melbourne et entame une tournée. Nous sommes donc partis à la<br />
rencontre de ce petit génie à l’air désinvolte. C’était au Trabendo, juste avant l’ouverture du Pitchfork<br />
Festival de Paris, où il était justement programmé.<br />
D’où viens-tu, Jackson ?<br />
J’ai grandi à Pittsburg en Pennsylvanie et je vis à<br />
Asheville en Caroline du Nord depuis quelques<br />
années. J’y ai rapidement arrêté la fac. A Pittsburg<br />
c’était un peu vide. Il n’y avait pas grand chose à faire<br />
à part traîner avec des potes et donc faire de la<br />
musique. Je pense que certains me trouvaient<br />
ennuyeux mais je m’en fichais un peu. J’avais juste<br />
envie de faire de la musique, le reste je m’en foutais.<br />
J’ai apprécié les grands espaces, les forêts. C’est un<br />
peu pareil à Asheville d’ailleurs. Je ne suis pas<br />
vraiment un mec de la ville.<br />
En arrivant à Asheville, tu t’es connecté avec la scène<br />
locale?<br />
Oui, j’ai monté un groupe. On jouait des trucs. Mais je<br />
ne sais pas si on peut dire qu’il y a une « scène » là<br />
bas, c’est juste des kids qui traînent et c’est cool. Tout<br />
le monde à la fac était dans cet esprit-là. On jouait, on<br />
chantait, personne ne jugeait. C’est vraiment un<br />
endroit où tu peux faire ce que tu as envie de faire.<br />
J’aime vraiment bien Asheville.<br />
Quand as-tu commencé la musique ?<br />
J’ai commencé à faire de la musique quand j’avais
huit ans. J’ai commencé par apprendre le piano, puis<br />
la guitare et la batterie quand j’étais ado. Je ne sais<br />
pas, j’ai toujours aimé faire de la musique.<br />
Qu’est-ce qu’écoutaient tes parents ? Tu as été nourri<br />
aux Nugget’s je crois (des compilations, ndlr) ?<br />
Ils ont tous les deux grandi dans les sixties donc il y<br />
avait beaucoup de musique de ce genre à la maison :<br />
Jimmy Hendrix, les Beatles. Ma mère, c’était surtout<br />
Hendrix et les Stones. J’ai aussi un grand frère donc<br />
j’écoutais pas mal sa musique aussi, et les trucs qui<br />
passaient à la radio dans les nineties. Je me souviens<br />
qu’on avait Nevermind de Nirvana en cassette, on<br />
l’écoutait tout le temps dans la voiture. Ça m’a<br />
probablement influencé.<br />
Comment as-tu réagis quand Pitchfork t’as nommé<br />
« Best New Track » et quand tu as signé chez Fat<br />
Possum dans la foulée ?<br />
Je ne m’y attendais pas. Je voulais juste sortir mon<br />
truc sur vinyle, peu importe la taille du label. J’ai mis<br />
mon morceau en ligne et je l’ai envoyé un peu partout.<br />
Je n’avais pas tellement de réponse de la part des<br />
labels mais les gens ont commencé à écrire dessus.<br />
Notamment Pitchfork, ouais, qui l’a nommé « Best<br />
New Track ». D’un coup j’ai juste été submergé par<br />
les emails. J’ai choisi Fat Possum pace que je suis<br />
fan depuis très longtemps et puis ça avait l’air d’être<br />
des mecs cools !<br />
La « hype » autour de toi, est donc arrivée très vite.<br />
Comment tu te sens par rapport à ça ?<br />
J’en suis très content ! Je suis conscient qu’en<br />
général ça n’arrive pas aussi vite, c’est plus long pour<br />
la plupart des gens. Je suis juste vraiment heureux de<br />
pouvoir partir en tournée et tout ce qui va avec. Mais<br />
ça ne veut pas dire que ça vient de nulle part. J’ai<br />
travaillé dessus pendant deux ans ! J’ai essayé de<br />
faire les choses sérieusement et c’est vrai, tout s’est<br />
enchaîné rapidement…<br />
Parlons un peu de tes influences. Comme le chante<br />
Television Personalities dans I Know Where Syd<br />
Barret Lives, tu sais où vit Syd Barret ?<br />
(Rires) Il y a une tonne de musiciens que j’aime et<br />
Syd Barret est l’un deux. Je suis très admiratif, il force<br />
le respect. Et pas juste pour ses frasques et les<br />
moments où il devenait fou ! Vraiment, son attitude et<br />
le fait qu’il n’ait pas besoin de faire des longues<br />
interviews pour expliquer ce qu’il fait me touche<br />
beaucoup. Tu le comprends juste en l’écoutant ! Il a<br />
toujours parlé pour lui-même. Ceci dit, je peux aussi<br />
être inspiré par à peu près n’importe quoi. Je peux<br />
écouter une Pop Song à la radio et me dire : « Tiens,<br />
il faudrait que j’essaye de faire ça ».<br />
Tu écoutes beaucoup de musique mainstream ?<br />
Ça dépend de ta définition du mainstream ! La plupart<br />
du temps non, mais ça m’arrive de temps en temps,<br />
comme tout le monde. J’ai rien contre, si je trouve<br />
qu’un morceau est bon…<br />
Un exemple ?<br />
Ok, c’est un peu absurde mais le plus récent… Le truc<br />
c’est que cela ne doit pas être pris hors contexte ! Ce<br />
n’est pas comme si je restais là, assis à l’écouter mais<br />
je dirais le morceau de Robin Thicke. C’est la<br />
première Pop Song que j’ai bien aimée depuis un<br />
moment. La mélodie est vraiment bien. J’aime<br />
vraiment bien l’aspect mélodique dans la musique.<br />
C’est vrai, tu as beau sonner très Lo-Fi, tes morceaux<br />
sont très mélodiques. C’est un choix de ne pas avoir<br />
du tout poli ton son ?<br />
Oui, c’est en partie dû au fait que j’aime enregistrer en<br />
analogique. J’aime bien l’analogique en général, en<br />
photo, en cinéma… J’ai commencé à enregistrer en<br />
numérique et puis un de mes amis a acheté un quatre<br />
pistes. J’ai aimé comment cela sonnait et la manière<br />
de faire. Je l’ai gardé.<br />
Pourquoi avoir intitulé ton album Melbourne alors ?<br />
C’était le nom de la maison où on vivait. Enfin, c’est le<br />
nom de la rue et on appelait la maison comme ça,<br />
genre « On rentre à Melbourne ! ». Comme j’ai tout<br />
enregistré là bas, j’ai trouvé que ça collait bien.<br />
T’as pris des acides quand tu enregistrais ton album ?<br />
Oui, effectivement. J’en ai pris quelques fois. Il y a un<br />
ou deux trips qui m’ont influencé. Il y a une fois<br />
notamment, il y a quelques étés, où j’ai pris de la<br />
mescaline. Je ne l’ai plus refait depuis mais c’était<br />
vraiment cool. Un peu comme, je n’sais pas, ça m’a<br />
inspiré. Pas tant pour les choses auxquelles tu<br />
penses que celles que tu vois. Ça peut t’amener à des<br />
idées très intéressantes. Mais je dois dire que<br />
Melbourne ce n’est pas vraiment ça. Je n’étais pas<br />
tout le temps à coté de la plaque ! Ça m’est arrivé de<br />
fumer de la Weed ou de boire, mais la plus part du<br />
temps j’étais sobre et concentré. Je voulais créer un<br />
album que peut-être tu pourrais écouter sous drogues<br />
mais on a jamais besoin d’être défoncé pour créer,<br />
c’est pas vrai.<br />
Tu as l’air de rejeter cette étiquette d’Indie Boy.<br />
Pourquoi ?<br />
Parce que je ne vois pourquoi on dit cela de moi.<br />
Effectivement, je suis sur un label indé mais certains<br />
ont l’impression que j’ai été nourri à l’Indie Music, que<br />
je n’écoutais que ça. Cela m’arrive bien sûr, mais<br />
j’écoute autant de rock que de rap. C’est juste cette<br />
connotation que je n’aime pas. Je n’ai vraiment rien<br />
contre en fait. Ca peut être rapidement tentant du<br />
coup de me catégoriser comme cela.<br />
Tu es très jeune et tu divises la critique. Un partie voit<br />
en toi quelqu’un de talentueux mais encore un peu<br />
jeune, l’autre pense que tu es juste très malin. Alors,<br />
branleur ou génie ?<br />
Je pense que mon jeune âge alimente tout ça. Je<br />
comprends pourquoi les gens le prennent en compte<br />
mais ça n’a jamais été important pour moi. Regarde<br />
Syd Barret, il n’avait que 21 ou 22 ans quand il a<br />
commencé ! Ca m’est complétement égal en fait.<br />
Propos recueillis par Quentin Monville.
HAIM<br />
Rencontre/Texte publiée le 22 décembre 2013<br />
Notre coup de cœur aux cheveux longs que nous suivons de près, déjà, depuis trois ans (avant même le<br />
buzz provoqué sur les internets cette année) : le charmant trio des sœurs Haim, auteur d’un premier<br />
album respirant le soleil et la bonne humeur, était de passage à Paris au début du mois pour un concert à<br />
guichet fermé à la Gaîté Lyrique. On n’a pas pu s’empêcher de sauter sur l’occasion pour enfin leur poser<br />
quelques questions.<br />
D’emblée, dès notre rencontre, les HAIM<br />
admettent sans concession leur admiration pour<br />
la culture française.<br />
“Il y a quelque chose de très charmant, que ce<br />
soit avec la chanson ou la mode, en France. Je<br />
crois que ça séduit encore plus quand on vient<br />
de Californie. Gainsbourg, Piaf, Françoise Hardy<br />
ou Brigitte Bardot ont vraiment écrit des titres<br />
magnifiques”.<br />
Il se pourrait aussi que Phoenix ait participé à<br />
renforcer leur culte, puisque les demoiselles ont<br />
ouvert leurs concerts dans toute l’Europe. Este,<br />
chanteuse et guitariste, rappelle qu’elle avait<br />
rencontré le groupe lorsqu’elle accompagnait<br />
Julian Casablancas sur scène puis, “Il y a trois<br />
ans, on s’est faufilées dans les backstages après<br />
leur concert à Santa Barbara. Je ne pensais pas<br />
qu’ils me reconnaîtraient, je ne leur avais<br />
d’ailleurs jamais dit avoir un groupe et dès qu’ils<br />
nous ont aperçues, ils m’ont accueillie à bras<br />
ouverts. Je suis triste qu’ils soient encore en<br />
tournée, j’aurais voulu faire la fête avec eux, on<br />
n’a jamais fait de vraie soirée à Paris”.<br />
Leur attachement pour le groupe date… Tout<br />
comme leur amour pour les Vampire Weekend<br />
(lire interview page 14) ou encore The Strokes,<br />
ce qui explique en l’occurence pourquoi elles ne<br />
réalisent toujours pas avoir partagé de si beaux<br />
moments avec chacun d’entre eux. Un de leurs<br />
plus beaux souvenirs était un concert de<br />
Florence and The Machine, “devant des milliers<br />
de personnes, Florence a la capacité de rendre<br />
ces shows toujours plus intimes, on avait<br />
l’impression d’être vingt, on a beaucoup appris<br />
en l’observant”.<br />
Avec Days are Gone, leur année 2013 fut un<br />
véritable tourbillon d’expériences nouvelles. Este<br />
se rappelle qu’elles ont toutes les trois pleuré sur<br />
scène la première fois qu’elles ont entendu la<br />
foule chanter les paroles de leurs chansons.<br />
“Glastonbury était un moment vraiment intense.
En plus de notre concert, on a vu des groupes<br />
merveilleux, on a même chanté avec Primal<br />
Scream sur la grande scène, juste avant que les<br />
Rolling Stones arrivent. Mais la sortie de notre<br />
album restera gravée dans nos mémoires. Un<br />
premier album représente une chance unique et<br />
on en est très fières. On a vraiment l’impression<br />
d’être dans un rêve depuis plusieurs mois, donc<br />
on essaie d’en profiter au maximum”.<br />
Même en tournée, elles continuent à écrire des<br />
paroles, qu’elles enregistrent dans leur<br />
téléphone…<br />
“Il faut rester créatif pour garder de la fraîcheur<br />
dans nos titres”. Fraîcheur ou le mot parfait pour<br />
définir ce premier bijou qui en aura fait danser<br />
plus d’un cette année, puisque chaque morceau<br />
contient un potentiel “tubesque” remarquable qui<br />
n’a pas échappé à Georgio Moroder, publiant un<br />
remix il y a une dizaine de jours de leur premier<br />
single Forever.<br />
Insouciant, le trio, invité un peu partout pour leur<br />
promo, a repris lors de l’enregistrement de<br />
l’émission de radio BBC Live “Lounge Wrecking<br />
Ball” de Miley Cyrus, peu de temps après la<br />
prestation controversée de l’ado Disney aux MTV<br />
Music Awards. Alana, la cadette, trouve cette<br />
controverse exagérée, “En France ca ne vous a<br />
pas choqué tant que cela, non ? Je la trouve<br />
vraiment cool Miley, elle semble vraiment<br />
s’amuser quand elle est sur scène, c’est tout ce<br />
qui compte. A 20 ans, personne n’a envie de se<br />
faire dicter sa conduite, elle a raison de faire ce<br />
qu’elle veut”.<br />
Este chantonne Hold On We’re Going Home et<br />
nous avoue que c’était ce titre qu’elles<br />
souhaitaient reprendre lors de leur passage à<br />
l’émission de la BBC, mais les Arctic Monkeys<br />
s’étaient ré-appropriés le morceau quelques<br />
jours plus tôt. D’ailleurs unanime, la belle famille<br />
revendique comme meilleurs albums de l’année<br />
Yeezus de Kanye West et Nothing Was The<br />
Same, de Drake. Surprenant ou pas. Pas le<br />
même genre mais la même origine<br />
géographique. West Coast quand tu nous tiens.<br />
Alice de Jode
PORTFO<br />
<br />
LIO MIR<br />
ANDA L B<br />
ARNES 2<br />
Série photo publiée le 11 mars 2014
MIKHAEL<br />
PASKALEV<br />
Interview publiée le 21 novembre 2014<br />
Dans la lignée de Mac Demarco et Devendra Banhart, voici Mikhael Paskalev , qui débarque avec un<br />
premier album en Europe et un premier EP aux Etats-Unis. Un gars tranquille, gentil et amical, qui sait<br />
que les amateurs de musique n’en peuvent plus de ces machine-stars que l’on voit partout mais<br />
attendent des concerts intimes d’un mec qui pourrait être et qui est, en fait, notre ami. Au début, il<br />
nous regarde avec nostalgie : “Cela fait un mois que nous sommes en tournée.” Juste avant de<br />
monter sur scène, il ajoute: “Je commence à avoir envie de rentrer à la maison.” Il nous a parlé de sa<br />
musique et son concert nous a montré son pouvoir d’être seul sur scène, courageux et mélancolique.<br />
Quel est le morceau de ton album, What’s Life<br />
Without Losers que tu préfères?<br />
J’aime beaucoup Jive Babe, je trouve qu’elle a une<br />
énergie particulière. I Remember You, aussi, je l’ai<br />
enregistrée et écrite avec mon producteur. C’est la<br />
première fois que je collaborais avec quelqu’un<br />
d’autre sur l’un de mes titres.<br />
Où l’as-tu enregistré ?<br />
Surtout à Liverpool. Au début, j’ai été deux semaines<br />
dans un studio en Norvège, mais cela me dérangeait<br />
de regarder l’horloge au dessus de moi qui me<br />
narguait en me rappelant tout l’argent que j’étais en<br />
train de dépenser. Du coup j’ai enregistré dans<br />
l’appartement de mon meilleur ami – qui est ingé-son<br />
– et dans une salle de gym à Liverpool. Pas<br />
seulement pour avoir un son Lo-Fi mais aussi parce<br />
que c’était plutôt agréable, plus humain.<br />
L’album ressemble à un livre… Il y a plusieurs<br />
personnages : Jenny, Jonny, Susie, Brother, etc. En<br />
apprenant l’hsitoire de ces personnages, on apprend<br />
aussi des choses sur toi. C’était voulu ?<br />
Non (Il rit). Je pense que quand je serai plus âgé, que<br />
j’aurai plus d’expérience, je pourrais peut-être viser<br />
quelque chose de précis à travers mes créations.<br />
Pour l’instant, ce n’est pas assez spontané. Cela ne<br />
m’intéresse pas d’écrire une chanson en pensant déjà<br />
à la prochaine. Pour revenir sur l’idée du livre, j’ai<br />
justement toujours pensé que cet aspect était un
défaut de l’album. Le premier album est toujours un<br />
regroupement un peu flou de ce qui a été écrit<br />
pendant plusieurs années. Par exemple, le dernier<br />
album de Metronomy– Love Letters– est très défini : il<br />
est parfaitement cohérent musicalement et<br />
conceptuellement (lire interview pages 44 et 50).<br />
De quoi parle exactement le titre Jailhouse Talk ?<br />
C’est un échange entre trois personnages. Jenny et<br />
Johnny voudraient être ensemble. Ils ne peuvent pas<br />
car Johnny est en prison pour meurtre. Il y a aussi le<br />
gardien de la prison qui est le troisième personnage. Il<br />
représente toutes les raisons pour lesquelles Johnny<br />
est en prison. J’aime penser que cela est presque<br />
comme un scénario avec des répliques pour chaque<br />
personnage. La chanson est inspirée d’une scène de<br />
Paris, Texas de Wim Wenders.<br />
Tu as étudié au Liverpool Institute for Performing Arts.<br />
Est-ce que tu as réalisé ce dont tu rêvais ?<br />
J’osais même pas rêver d’un truc comme ça ! A<br />
l’époque j’étais guitariste et il n’y avait que cela qui<br />
m’intéressait. J’ai eu une tendinite aux deux bras qui a<br />
durée trois ans, j’ai donc été obligé de repenser ma<br />
manière de voir la musique. J’ai commencé par dédier<br />
beaucoup plus de temps à l’écoute des paroles, des<br />
mélodies et des histoires. <br />
En tant qu’ancien étudiant en musique, te sens-tu<br />
différent par rapport aux autres musiciens qui<br />
t’entourent ?<br />
A vrai dire, en ce moment, je suis en tournée avec des<br />
musiciens de Juliard et Berklee (deux collèges de<br />
musique, ndlr). Ils sont tellement habiles et<br />
intelligents, musicalement parlant. De mon côté, ça<br />
n’a jamais été quelque chose que j’ai vraiment<br />
recherché. Je n’ai pas l’impression que les autres me<br />
regardent différemment dans la mesure où ma<br />
musique et ma personnalité n’ont rien à voir avec un<br />
style académique et scolaire. <br />
As-tu envie que l’on se souvienne de toi,<br />
musicalement, dans 100 ans ?<br />
Je m’en fous. Certains artistes racontent comment ils<br />
ont aidé des gens grâce à leur musique. Je n’ai jamais<br />
fait des chansons pour les autres, je les fais pour moi.<br />
Quand les gens aiment ce que je fais, c’est la plus<br />
belle chose au monde mais ce n’est pas mon but. Je<br />
pense que ca n’a jamais été le but de qui que ce soit<br />
de faire partie de l’histoire de la musique. Au<br />
contraire, je crois que c’est toxique de penser de cette<br />
façon. Cela dit, ça ne me dérangerait pas que l’on se<br />
souvienne de moi (rires).<br />
Tu connaît des artistes qui vont entrer dans l’histoire ?<br />
Oui. J’ai de très bons amis extrêmement talentueux<br />
comme Jonas Alaska et Billie Van. Je pense qu’Avi<br />
Buffalo est un des meilleurs compositeurs de notre<br />
époque, il est aussi très bon en concert.<br />
Phosphorecent est aussi très cool, même s’il ne fait<br />
pas forcément quelque chose de spécial, les histoires<br />
et les mélodies sont ce qui il y a de plus important.<br />
Pouvu que ce soient elles qui restent.<br />
Propos recueillis par Martin O’Pojac.
NATALIE<br />
PRASS<br />
Interview publiée le 27 avril 2015<br />
Après avoir conquis les États-Unis par un son venu d’un autre temps, Natalie Prass sort enfin son<br />
premier album éponyme en France. Intrigués par la capacité de ce disque à remettre au goût du jour<br />
une production orchestrale et subtile, nous sommes allés à sa rencontre. Elle évoque Austin,<br />
Nashville, Boston et sa figurine porte-bonheur, Godzilla devenue l’emblème de ses tournées.<br />
Un retard sur un planning d’interview peut parfois avoir du bon : c’est-à-dire arriver pile pour<br />
l’enregistrement d’une session live. Avant même de s’assoir pour discuter avec l’artiste, on comprend<br />
rapidement qu’elle a plus d’un tour dans son sac. Si l’album pourrait être une synthèse d’un certain<br />
folklore musical américain -soul, folk et une touche de bonne vieille comédie musicale de Broadwaylorsqu’il<br />
est interprété avec deux guitares, c’est un accent de blues brulant qui en ressort, contrasté<br />
par la voix mutine de Natalie Prass. Les deux titres nous font voyager dans le mythe d’un American<br />
Dream intemporel où les notes de guitare semblent résonner perpétuellement dans les grandes<br />
étendues désertiques de la Sun Belt. La plupart des chansons de Natalie Prass ont été écrites après<br />
une rupture. La prouesse du travail de son auteur réside dans sa capacité à éviter le risque de la<br />
plainte lourde et chargée de pathos. Natalie Prass offre plutôt un instant de volupté, qui n’a pas<br />
échappé aux médias américains criant au talent.
L’artiste vient ensuite s’assoir à nos côtés. Elle se<br />
relève pour aller chercher un objet qui s’apparente de<br />
loin à un jouet en forme de dinosaure, laissé près de<br />
sa guitare.<br />
Serait-ce Godzilla ?<br />
C’est plutôt un faux Godzilla, vu qu’il a été fait en<br />
Chine, le vrai est japonais (rires). Je l’ai trouvé dans<br />
un marché en Angleterre, je le ballade beaucoup<br />
depuis : sur scène, partout et tout le temps.<br />
Tu as donné plusieurs concerts au festival South by<br />
Southwest le mois dernier, que retiens-tu de cette<br />
experience ?<br />
C’était déjà il y a si longtemps ? (Rires). Je n’en<br />
reviens pas. C’était vraiment incroyable car nous<br />
avions tourné en Europe juste avant, le choc<br />
thermique fut violent ! La chaleur était insoutenable et<br />
mon corps n’y était pas préparé. Ca grouillait de<br />
monde et une sorte de bruit permanent arrivait de<br />
toute part. Pour nos derniers shows, j’étais d’humeur<br />
à jouer très bas, pour donner du répit à mes oreilles<br />
tant il y avait de la musique venant de partout dans la<br />
ville. Je me demande vraiment comment les gens ont<br />
supporté ça.<br />
Là-bas, on ne peut pas vraiment savoir l’impact que<br />
l’on a sur les gens, il n’y a pas de balances et les<br />
shows sont très courts. Certains furent vraiment<br />
épiques, mon clavier m’a lâché pour plusieurs<br />
concerts donc j’ai dû jouer de la guitare. Au final, le<br />
concert que je pensais le plus catastrophique a été le<br />
plus commenté par la presse et de manière positive,<br />
ça m’a surprise. Le contraste avec notre tournée<br />
précédente avec Ryan Adams où nous avions des<br />
balances d’une heure et jouions dans des salles<br />
magnifique ont rendu l’expérience encore plus<br />
absurde.<br />
Comment t’es tu retrouvée à Nashville pour écrire cet<br />
album ?<br />
Habiter à Nashville ne m’avait jamais attiré<br />
auparavant. Je n’avais jamais écouté de la musique<br />
country, cela ne m’intéressait pas. Lorsque je me suis<br />
installée à Boston je me suis sentie misérable<br />
pendant un an. L’ambiance de la ville était trop<br />
sombre à mon goût et j’y avais très froid. Mon père a<br />
eu un nouveau job à Nashville. En allant lui rendre<br />
visite j’y ai retrouvé deux amis de Virginia Beach (sa<br />
ville natale, ndlr) qui m’ont baladé dans la ville. J’ai<br />
tout de suite aimé l’atmosphère très cool. C’est une<br />
ville de musiciens et à l’époque, je souhaitais vraiment<br />
apprendre le plus possible sur ce qu’implique être un<br />
songwriter et un musicien.<br />
Quelles influences la ville a-t-elle eu sur ton disque ?<br />
Je n’écoute toujours pas de country, ça n’a jamais été<br />
un type de musique avec lequel je sens une<br />
connexion. Mais tout de même, il y a des chansons<br />
vraiment superbes que j’écoutais beaucoup et qui<br />
m’ont influencée. Patty Cline et Dolly Parton par<br />
exemple, avec des tonalités plus soul que la country<br />
en général. Et puis, c’est un peu difficile de ne pas<br />
être influencée par l’atmosphère générale de la ville.<br />
Comment as-tu abouti à ce son très orchestral ?<br />
Je dois donner tout le mérite à Trey Pollard pour cette<br />
prouesse ! C’est lui qui s’est chargé des<br />
arrangements des cordes. J’adore ce son et bien que<br />
j’avais déjà fait des chansons avec de genre de<br />
production, je n’ai pas les capacités d’écrire tout cela.<br />
Trey et Matthew E. White se sont chargés d’emmener<br />
mes chansons aussi loin qu’ils pouvaient.<br />
J’avais une vague idée de ce que je voulais entendre,<br />
mais je n’avais jamais imaginé que It Is You se<br />
transformerait en musique de conte de fée. Bien sûr<br />
j’avais ce désir d’expérimenter le plus possible mais je<br />
ne pensais pas en avoir l’opportunité un jour. Lorsque<br />
Trey m’a dit « Allons-y à fond pour celle-ci » je<br />
pensais qu’il plaisantait.<br />
A cause de cette chanson ta voix a été comparée à<br />
celle d’une princesse Disney, comment l’as-tu perçu ?<br />
Je suppose que je suis habituée maintenant. La<br />
première fois il me semblait que les gens me<br />
comparaient à cela car c’était facile. Mais au final, je<br />
sais que ma voix a toujours été comme ça et puis<br />
j’adore les chansons de Disney. Je pense que tout le<br />
monde les aime, non ? Ce n’est pas grand chose, je<br />
ne veux simplement pas que cela devienne quelque<br />
chose de réducteur ou négatif.<br />
Qu’as-tu appris en écrivant pour d’autres artistes ?<br />
J’ai appris que ce n’était pas toujours très fun (rires) !<br />
Ce n’était pas ce que j’avais envie de faire, mais c’est<br />
un bon exercice. Cela aide à sortir de son<br />
interprétation personnelle du monde. Lorsque j’ai pu<br />
parler en tête à tête avec un artiste que j’aidais, je me<br />
suis senti comme dans la peau d’un médium ou d’un<br />
capteur d’énergie à essayer de comprendre ce qu’il<br />
souhaitait exprimer. Mais c’est une situation<br />
compliquée. Il y a beaucoup de pression, le travail est<br />
moins stimulant que lorsqu’on écrit pour soi. J’ai des<br />
amis à Nashville qui écrivent deux à trois chansons<br />
par jour pour d’autres artistes, dans l’espoir qu’un de<br />
leur morceau se retrouve sur un album de country. Ils<br />
font ça depuis des années. Ils obtiennent peu mais<br />
travaillent comme des dingues. Je ne pourrais jamais<br />
me torturer ainsi aussi longtemps.<br />
Ta musique n’a rien à voir avec tout ce qui sort en ce<br />
moment. Quelles ont étaient les réactions des gens<br />
avant que tu ne trouves ta place chez Spacebomb<br />
Records ?<br />
J’avais vbesoin de faire un vrai album. J’ai rencontré<br />
tant de producteurs à Nashville dans des diners, des<br />
cafés, autour de verres pour présenter mes envies.<br />
Mais il y avait souvent un décalage. Les gens<br />
faisaient une tête bizarre lorsque j’évoquais Dionne<br />
Warwick comme référence, maintenant elle parait plus<br />
normale. Même quand j’étais en tournée avec Jenny<br />
Lewis pour ouvrir les shows de Beck l’été dernier,<br />
lorsque je parlais avec l’un des musiciens de Beck, il<br />
me demandait à quoi ressemblerait mon album. Je lui
épondais : « J’aimerais qu’il évoque Dionne<br />
Warwick » et il était choqué. Je savais que toutes ces<br />
années d’expérimentations, pour savoir précisément<br />
quelle artiste j’avais envie d’être, ne pouvaient être<br />
effacées par des gens qui ne voyaient pas où je<br />
voulais en venir. Il y a eu beaucoup de discussions,<br />
mais pas de vrais liens naissant avec la plupart des<br />
gens que je rencontrais. J’étais très frustrée.<br />
Un ami m’a conseillé de parler avec Matthew<br />
(Matthew E. White, un ami d’enfance, ndlr) et le<br />
courant est tout de suite passé. Il me comprenait très<br />
bien, nous venons de la même ville. Il était étonné par<br />
mon travail. Il m’a vue sur scène et a compris ce que<br />
je voulais. Nous avons commencé à travailler<br />
ensemble de manière très instinctive. Même au delà<br />
de la musique, nous avons les mêmes expériences de<br />
jeunesse à Virginia Beach donc tout cela rendait les<br />
discussions naturelles. A Nashville, tout le monde fait<br />
de la musique, mais personne ne prend le temps de<br />
soigner les choses. On est allés à Richmond, les gens<br />
y étudient la musique, l’ambiance est différente. C’est<br />
ce dont j’avais besoin, un album qui respire, pour<br />
lequel nous avons pris notre temps. Je voulais<br />
prendre un an, et c’est ce que nous avons fait !<br />
Puisque tu évoques ton adolescence à Virginia<br />
Beach, comment t’es venue l’envie d’être musicienne<br />
dans cette petite station balnéaire ?<br />
Je dois cela à mon père. Ce n’est pas un musicien<br />
professionnel mais ça lui arrivait de jouer de la guitare<br />
à la maison pour le plaisir et cela me fascinait. Je me<br />
souviens parfaitement qu’enfant j’ai eu cette espèce<br />
de révélation lorsque je l’ai entendu jouer un air, e lui<br />
ai demandé ce que c’était, il m’a répondu qu’il venait<br />
de l’inventer. J’ai trouvé cela incroyable, je lui ai dit<br />
que j’allais faire pareil. Je trouvais cela vraiment cool<br />
que l’on puisse écrire de la musique uniquement pour<br />
le plaisir. A l’école primaire je faisais des concerts<br />
pour mes voisins, puis au collège j’allais voir les amis<br />
de mon frère pour leur demander comment monter un<br />
groupe. Ils me répondaient “Demande à quelqu’un de<br />
jouer avec toi, c’est tout”. Je ne savais pas par où<br />
commencer, mais je savais que je voulais le faire à<br />
fond.<br />
Avec Matthew on se demande souvent comment les<br />
choses seraient si nous avions grandi à Nashville,<br />
avec toute l’atmosphère de l’industrie du disque<br />
autour de nous. C’est aurait été peut être plus simple<br />
pour comprendre l’industrie. Mais Matt et moi n’avions<br />
aucune idée de ce qu’il fallait faire ! On était naïfs, on<br />
l’est encore. Nous ne faisions qu’écrire et jouer. C’est<br />
intéressant parce que Virginia Beach est une ville<br />
touristique à l’atmosphère un peu étrange, qui n’a rien<br />
avoir avec Nashville.<br />
Les paroles de tes chansons sont assez personnelles,<br />
ton écriture fait-elle office de thérapie ?<br />
La plupart du temps oui, car l’écriture a toujours été<br />
un moyen de clarifier mes idées, de comprendre ce<br />
que je ressens et m’éviter de devenir dingue. C’est ma<br />
façon de communiquer et de me calmer. J’écris par<br />
passion, c’est quelque chose de personnel, qui m’est<br />
absolument nécessaire. Mais parfois, je vais chercher<br />
des mots ailleurs. Par exemple pour le morceau<br />
Christy, c’était juste une histoire inventée. Pour It Is<br />
You, je voulais emmener les gens dans des endroits<br />
oniriques. Mes amis m’appellent Elfe, un nom qui<br />
résume bien les choses je suppose (rires).<br />
D’où l’atmosphère un peu rêveuse de ta musique…<br />
Tu étais dans la lune quand tu étais ado ?<br />
Oh mon dieu, oui. Et encore aujourd’hui ! Je<br />
m’intéresse un peu à l’astrologie, tu sais. Mon signe,<br />
poisson est caractéristique du rêveur. Je crois<br />
correspondre assez bien à la description du poisson,<br />
toujours ailleurs…!<br />
Propos recueillis par Alice De Jode
Interview publiée le 13 mai 2013<br />
ALAN<br />
MCGEE
Tout commence à Glasgow dans les années 70, Alan McGee rencontre Bobby Gillespie avec qui il<br />
rejoint le groupe punk The Drains. A peine trois ans après, Creation Records naît. Une histoire qui<br />
commence tellement bien que le parcours de McGee, producteur-musicien-manager-blogeur<br />
hyperactif, passionné et (l’un ne va pas sans l’autre) acharné n’est finalement que suite logique. Un<br />
héros à qui l’on doit beaucoup de ce DIY très présent dans le discours ambiant et sans qui The Jesus<br />
and Mary Chain, My Bloody Valentine, Slowdive, Primal Scream et même Oasis ou The Libertines ne<br />
seraient sans doute pas ce qu’ils sont. Parti de rien, opiniâtre, porteur d’une philosophie qui laisse<br />
admiratif, ce gamin amoureux de rock devenu géant de l’industrie persiste à surprendre par son<br />
autodidactisme exemplaire et à cœur ouvert. Entre la folie Creation et la sortie de son premier film<br />
cette année il y a un itinéraire hors du commun, une œuvre passionnelle qui a tatoué l’histoire de la<br />
musique, jusqu’au lancement tout récent de son nouveau label.<br />
Alternative master<br />
1978, Alan McGee a 18 ans et développe une<br />
sérieuse fascination pour le mouvement punk aux<br />
côtés de Bobby Gillespie, son ami de toujours. Après<br />
avoir posé un premier pied dans le monde de la<br />
musique avec The Drains, il forme en 1980 The<br />
Laughing Apple avec le guitariste Andrew Innes. A<br />
peine deux ans plus tard, il emprunte £1000 et fonde<br />
Creation Records avec Dick Green et Joe Foster<br />
(autre figure du milieu, producteur, musicien, acteur et<br />
historien, rien que ça). Cette année là, il commence<br />
aussi sa carrière de manager avec The Jesus And<br />
Mary Chain fraîchement formé, il crée son propre<br />
fanzine Communication Blur et Creation édite un tout<br />
premier disque, “’73 in ’83” de The Legend. Quelques<br />
mois plus tard, le label publie le single du nouveau<br />
groupe de McGee, Biff Bang Pow ! et celui des Jesus<br />
And Mary Chain : la machine est lancée, le label<br />
gagne l’attention immédiate de l’underground et<br />
s’installe parmi les record companies les plus<br />
prometteuses de la scène alternative en gestation.<br />
McGee et ses camarades pour le label donne le ton.<br />
L’ambition de McGee est claire : soutenir à sa façon<br />
des groupes qu’il aime et produire leur musique en<br />
vinyle. Fermement opposé à toute subordination aux<br />
majors, obstiné à soutenir une autre musique que la<br />
pop « manufacturée » très en vogue à l’époque, il se<br />
fait remarquer en imposant sa vision très personnelle<br />
de la production. Creation devient un incontournable<br />
de l‘Indie movement dès 1984. Le Label proposera<br />
jusqu’en 2000 un éventail impressionnant de singles,<br />
d’EP et d’albums incluant The Pastels, Primal<br />
Scream, The Weather Prophets, Felt, The House of<br />
Love, 18 Wheeler, My Bloody Valentine, Slowdive,<br />
Ride, The Telescopes, Super Furry Animals, Boo<br />
Radleys, Oasis ou encore The Cramps.<br />
De Creation à Poptones<br />
Tiré du groupe The Creation qui produisait un rock<br />
déjà bien crasseux dans les sixties, le nom choisi par
En 1992, des problèmes de financement viennent<br />
malgré tout compliquer les choses et McGee se voit<br />
dans l’obligation de vendre la moitié du label à Sony,<br />
rude période qu’il décrit comme « le début de la fin du<br />
véritable Creation ». Une mise sous administration<br />
judiciaire difficile à accepter au moment où Oasis fait<br />
son entrée dans le catalogue. Le groupe mancunien,<br />
devenu très vite LE symbole britpop de l’époque, vend<br />
ses albums comme jamais pour un groupe<br />
indépendant. Leur second LP (What’s the Story)<br />
Morning Glory? (1995), souvent présenté comme<br />
l’album anglais le plus vendu de la décennie, marque<br />
un profonde rupture dans l’histoire de Creation et<br />
dans la vie de McGee. Cette année là, il retourne tout<br />
de même à la musique et fonde The Chemical Pilot<br />
avec Ed Ball dont le premier album Journey to the<br />
Centre of the Mind sortira en 1996. Mais l’impact de<br />
Sony devenant trop lourd, il annonce trois ans après<br />
la fin de Creation, son petit label indé qui ne<br />
ressemble finalement plus à ce qu’il était. Il reste<br />
malgré tout le manager des Jesus And Mary Chain,<br />
Mogwai, The Kills, The Libertines, The Beta Band ou<br />
de Dirty Pretty Things et continue de publier My<br />
Bloody Valentine, Swervedriver ou Primal Scream<br />
sous le nom de « Creation Songs ». Le dernier album<br />
sorti sur Creation est XTRMNTR de Primal Scream<br />
(2000). Quelques mois après et emporté par la<br />
volonté de renouer avec l’indépendance absolue de<br />
ses débuts, McGee crée Poptones (nom en référence<br />
à Public Image Ltd) et produit plusieurs albums<br />
remarqués, notamment le premier de The Hives en<br />
2002 qui fixe le succès du label. Pour les mêmes<br />
raisons financières, accentuées cette fois par le<br />
numérique, et parce que McGee souhaite se<br />
consacrer au management de groupes, Poptones<br />
s’arrête en 2007.<br />
Un docu culte<br />
Un jour écrivain pour le Guardian Weekly Music Blog<br />
ou pour le Huffington Post UK, une autre fois<br />
conférencier à l’Université de Gloucestershire<br />
(Angleterre) puis manager du fameux club Death<br />
Disco ou DJ aux quatre coins du monde, McGee<br />
restera un hyperactif incorrigible jusqu’à la sortie en<br />
DVD du génialissime et déjà culte documentaire<br />
Upside Down (2011). Présenté cette année là au<br />
festival ‘Filmer la Musique’ (Gaité Lyrique) par McGee<br />
himself et le réalisateur Danny O’Connor, le film<br />
retrace avec honnêteté et virulence toute l’histoire de<br />
Creation Records à coup d’images d’archives<br />
hallucinantes imprégnées de dope, de passion,<br />
d’amitié, de prises de tête, de concerts, de dettes, de<br />
galères ou même de politique. Un docu très réussi,<br />
pour une histoire humaine avant tout, basée sur les<br />
témoignages de McGee, Bobby Gillespie, Noel<br />
Gallagher ou Kevin Shields et qui, non seulement<br />
rend compte de l’importance du label mais qui nous<br />
en apprend aussi beaucoup sur l’industrie de la<br />
musique. A la limite du surnaturel, le film nous fait<br />
entrer dans l’univers Creation, l’alternatif<br />
eighties/nineties et donne de quoi affirmer que le label<br />
britannique reste un des plus importants de l’histoire<br />
aux côtés de Factory, Rough Trade ou Mute.<br />
De la musique au cinéma<br />
Depuis 2012, McGee se concentre sur divers autres<br />
projets, en commençant par le cinéma. Il fonde la<br />
société de production Escalier 39 avec le scénariste,<br />
réalisateur et producteur britannique Dean Cavanagh<br />
(connu notamment pour ses collaborations avec Irvin<br />
Welsh, l’auteur de Trainspotting). Dévoilé avec une<br />
bande originale époustouflante en juillet 2012, leur<br />
premier film Kubricks dessine l’histoire de Donald The<br />
Director (joué par Roger Evans), un réalisateur qui<br />
souffre de dépression et qui, au beau milieu du<br />
tournage de son film, plonge toute l’équipe et les<br />
acteurs dans ses délires sinistres et obsessionnels.<br />
Le trailer du film annonce une bonne dose de<br />
spiritualité et de physique quantique, que McGee<br />
résume comme ceci : « Kubricks a été tourné pendant<br />
le solstice d’été sur une ligne cosmique et l’histoire<br />
parle d’un réalisateur qui devient fou en essayant de<br />
faire un film DIY ».<br />
« No music business, no bullshit »<br />
Aussi, annoncé depuis plusieurs mois, le retour de<br />
McGee à la production pure (et après 5 ans<br />
d’absence) vient tout juste de se confirmer avec le<br />
lancement de son nouveau label basé à Londres, 359<br />
Music. Une nouvelle histoire qui débute et issue d’une<br />
amitié vieille de plus de 30 ans avec Iain McNay de<br />
Cherry Red Records. McGee prévoit de produire une<br />
dizaine de groupes par an et présente le label comme<br />
un tremplin pour des artistes qu’il aime et des talents<br />
ignorés. Clairement opposé à l’idée de le faire devenir<br />
aussi gros que Creation, McGee explique son désir de<br />
retour au DIY à l’ère du numérique : « Il y a un vrai<br />
besoin de proposer une ouverture à de nouveaux<br />
artistes qui ont été exclus par le système et j’espère<br />
que 359 Music sera cette ouverture ». Il précise<br />
d’ailleurs que tout artiste souhaitant être considéré par<br />
le label peut envoyer ses demos musique et bandesson,<br />
par mail à infoat359music@aol.com et qu’il<br />
« écoutera personnellement » chaque envoi ! A bon<br />
entendeur…<br />
Gaelle Simonetti.<br />
Retrouvez une interview d’Alan McGee pour nos amis<br />
de The Autojubilator ici.
R0BI<br />
Interview publiée le 21 janvier 2012<br />
Quatre lettres, des fêlures et des blessures et une envie de musique qui résonne en elle comme une<br />
évidence… Trouver la voie n’a pas été simple et pourtant elle était là, devant elle, depuis son enfance et<br />
ces moments où elle s’imaginait que Gainsbourg écrirait un jour pour elle. Aujourd’hui, en cessant de tout<br />
vouloir maîtriser, Robi s’est enfin trouvé. Pour notre plus grand bonheur. « Cette interview, c’est un peu<br />
une psychanalyse », balance t-elle, le regard noir, profond. Elle avait arrêté de se poser des questions. Le<br />
temps d’un café, on lui en a reposé quelques-unes…<br />
L’interview est simple. Une conversation. Tu prends<br />
ce que tu veux. On commence par l’enfance. Tu as<br />
passé la tienne en Afrique…<br />
Oui. Jusqu’à l’âge de dix ans (puis à la Réunion, ndlr).<br />
Je pense que le fait d’y avoir grandi m’a éduqué à un<br />
rapport au rythme qui n’est pas le même que celui que<br />
nous connaissons ici, en Occident. Ces sonorités, je<br />
me suis rendu compte plus tard qu’elles agissaient sur<br />
moi presque comme une obsession à laquelle je n’ai<br />
pas donné libre cours de suite – la part très<br />
intellectuelle de moi-même ne me l’ayant pas autorisé<br />
(rires). Aujourd’hui, ma musique est essentiellement<br />
basée sur des basses et des drums. Ce sont là les<br />
traces qu’il me reste de mon enfance.<br />
Très tôt, tu t’es réfugiée dans la chanson française…<br />
Oui. J’avais des parents passionnés par Brel,<br />
Brassens, Barbara… Lorsque je suis arrivée à La<br />
Réunion, les choses auxquelles j’avais accès étaient<br />
particulièrement commerciales. Mes seules<br />
révélations rock furent Nirvana et Noir Désir – qui<br />
étaient déjà de grosses machines à l’époque – je<br />
n’avais pas accès à la culture « indé » métropolitaine<br />
et c’est vrai que, de manière un petit peu rebelle,<br />
comme en opposition, je me suis tournée vers la<br />
chanson française. C’était la seule chose à laquelle je<br />
pouvais vraiment me rattacher. Je n’avais pas la<br />
culture rock pointue des rennais de mon âge. A La<br />
Réunion, l’alternative était assez limitée.<br />
Ton arrivée à Paris a donc été une révélation<br />
musicale ?<br />
Complètement. Avec ce sentiment de frustration<br />
d’arriver dans la capitale et de me rendre compte à<br />
quel point j’étais loin d’avoir tout découvert. Plus<br />
qu’une révélation, Paris a été une révolution. Et le<br />
cheminement entre le moment où j’ai commencé à<br />
faire de la musique et celui où je me suis dit que je ne<br />
pouvais rien faire d’autre a été long et rapide à la fois<br />
mais surtout inconscient. Il s’est imposé à moi, il n’y a<br />
pas eu de déclic. Ceci étant, à 9 ans, j’étais déjà<br />
persuadée que Gainsbourg allait un jour m’écrire des<br />
chansons. Quand il est mort ce fut un choc. Je me<br />
suis demandé ce que j’allais faire de ma vie ! (Rires).
A ce moment-là de ton adolescence, la musique<br />
devient-elle un refuge, comme un moyen – le seul<br />
peut-être – de canaliser ton énergie ?<br />
Je vais répondre par la négative : je ne savais<br />
absolument rien faire d’autre. J’ai commencé par<br />
écrire. Pendant assez longtemps d’ailleurs, je n’ai fait<br />
que cela, je ne compose pas, peut-être parce que je<br />
ne m’en sens pas capable. Plus tard, en m’autorisant<br />
à composer, mon écriture a changé, la musique a pris<br />
le dessus. J’avais une démarche beaucoup trop<br />
intellectuelle, trop construite et il a finalement a fallu<br />
que je m’autorise à tout déconstruire pour être<br />
pleinement moi.<br />
Suivant cette démarche, tu as sorti un premier album,<br />
autoproduit dont tu n’es pas très fière et que tu<br />
écoutes pour ce qu’il est, comme on regarde des<br />
dessins d’enfants, avec de la tendresse… Jusqu’à ta<br />
rencontre décisive, avec un certain Jeff Hallam…<br />
Oui ! Il est arrivé au moment où j’en avais vraiment<br />
besoin. Je ne suis pas technicienne, je n’ai pas le<br />
langage pour. Jeff, oui. On travaille sur l’organique, on<br />
se comprend, avec ses mots à lui, avec mes<br />
périphrases à moi (il est américain, ndlr) et l’on arrive<br />
souvent au même point.<br />
Au-delà de la musique, as-tu déjà pensé la littérature<br />
comme un outil d’expression ?<br />
J’écris depuis -presque- toujours. Il aurait fallu que je<br />
garde tous mes vieux textes pour voir si cela me fait le<br />
même effet que d’écouter mon premier album (rires).<br />
J’ai toujours eu un rapport extrêmement fort à la<br />
littérature. J’avais espoir d’écrire de grandes choses,<br />
mais ce n’est qu’en me débarrassant de ces grands<br />
modèles et grands idéaux que je me suis rapprochée<br />
au mieux de ma propre écriture, celle qui me paraît<br />
aujourd’hui la plus naturelle.<br />
musique. Avec un grand M. C’est en tout cas assez<br />
joli de voir que se dessine comme cela une sorte de<br />
génération spontanée, en quête d’autre chose,<br />
d’univers personnels mais qui touchent un grand<br />
public.<br />
(Après un temps)<br />
En fait, je me rends compte que cette interview me<br />
sert de psychanalyse (rires) !<br />
Il y a encore beaucoup de choses qui te révoltent<br />
aujourd’hui ?<br />
Tout (Rires) ! Beaucoup de choses récurrentes et<br />
exceptionnelles mais surtout cette capacité assez<br />
surprenante à ne pas se rendre compte que l’on est<br />
vivant, dans l’instant présent et que cela ne va pas<br />
durer. On ne se rend pas toujours assez compte de la<br />
chance que l’on a. L’idée de la mort est<br />
particulièrement révoltante mais c’est en même temps<br />
une bénédiction dont on n’a pas conscience. La mort<br />
devrait nous rendre la vie plus belle…<br />
Pourtant tu n’écris pratiquement pas sur des sujets<br />
engagés…<br />
C’est une question que je me pose depuis longtemps.<br />
Pour écrire une chanson engagée, il faut être<br />
particulièrement doué. Je trouve que c’était déjà<br />
difficile de le faire dans les années 70. Aujourd’hui en<br />
2012, nous maîtrisons mal les tenants et les<br />
aboutissants des problèmes de notre société, le<br />
monde et sa lecture se sont terriblement complexifiés.<br />
Il me semble cependant que toute chanson en général<br />
fait réfléchir, dans l’idéal, tant qu’elle parle d’absolu…<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié.<br />
Car peut-être plus spontanée…<br />
Absolument. Je pense que j’écrivais pour me prouver<br />
à moi-même que je savais écrire, que je le pouvais.<br />
Quand j’ai pris conscience que je n’étais pas Rimbaud<br />
et qu’il fallait que je sorte de ces schémas de<br />
pensées, le problème a été réglé.<br />
Finalement, tu n’est parvenu à créer qu’en arrêtant de<br />
tout vouloir maîtriser…<br />
Exactement… Et en ne me posant plus de questions.<br />
Quel regard portes-tu sur cette nouvelle « scène »<br />
française, qui émerge ? Je sais que tu as participé au<br />
festival « La Nouvelle voie de la Chanson Française »<br />
à La Réunion, justement, avec des artistes comme JP<br />
Nataf, Arlt, ou encore Bertrand Belin (lire interview<br />
page 140)…<br />
Je suis une grande admiratrice des artistes dont tu<br />
parles. Mais à mon sens, ce ne sont pas des artistes<br />
de la « Chanson Française ». C’est une idée<br />
extrêmement bizarre de considérer que la chanson<br />
française puisse être un genre en soi. Ils font de la<br />
chanson française soit par amour de la langue soit par<br />
accident, tout simplement parce qu’ils sont nés en<br />
France mais ce sont avant tout des gens qui font de la
Deuxième rencontre publiée le 18 novembre 2013<br />
Presque deux ans après notre première rencontre, nous retrouvons Chloé Robineau, alias Røbi. Il est tôt<br />
le matin, Røbi est au chaud sous ses gros pulls. Elle s’excuse de ses périphrases et de ses digressions,<br />
elle prend son temps pour répondre aux questions parce chaque mot a sa place et sa force. Nous<br />
sommes quelques jours avant son concert au Nouveau Casino, à Paris. Un concert qu’elle considère<br />
comme le point d’ancrage de sa tournée. C’est avec justesse à soi qu’elle nous parle de sa musique.<br />
Parle moi de ton chemin dans la musique, de ton<br />
chemin intérieur et des rencontres qui ont donné<br />
naissance à cette Røbi qui nous parle des sentiments<br />
et de la vie.<br />
Par où commencer… Pendant longtemps, j’ai écrit,<br />
réécrit, rayé, barré, cherché consciemment et<br />
inconsciemment à tendre vers certains modèles<br />
d’écriture et de composition mais c’était terriblement<br />
frustrant car évidemment je ne serai jamais<br />
Baudelaire ou Gainsbourg, aucun de ces artistes que<br />
j’admire. Il a fallu que j’arrive à découvrir que je n’étais<br />
que moi-même pour commencer à travailler à<br />
l’intérieur de mes concours limités. J’ai pu m’exprimer<br />
d’une façon plus forte et plus vraie. Ce travail<br />
demande de s’extraire de toute référence et de<br />
l’exigence intellectuelle qui n’a pas lieu d’être. J’ai<br />
vraiment envie de travailler sur l’émotion, ce qui ne<br />
veut pas dire pas d’exigence mais une exigence qui<br />
passe par l’intime et par la vérité de parole, pas par le<br />
biais cérébral. Røbi est née à partir du moment où j’ai<br />
été capable d’arrêter de me penser, de me réfléchir,<br />
de me regarder en miroir. À partir du moment où je<br />
me suis trouvée, tout est allé très vite : une première<br />
rencontre avec Frank qui a monté le label avec moi et<br />
qui est à la fois mon manager et directeur artistique<br />
puis une deuxième rencontre avec Jeff Hallam,<br />
bassiste. Il est le premier à avoir accompagné mon<br />
projet en tant que compositeur sans égo aucun, me<br />
laissant l’espace pour pouvoir m’exprimer avec le peu<br />
de mots que j’ai puisque je suis une musicienne<br />
autodidacte, je ne savais pas dire les choses. Le<br />
dialogue entre nous a été facile. Quelques mois<br />
d’enfermement en toute intimité et nous avons<br />
construit une sorte de petite maison sous forme d’un<br />
premier EP qui s’est transformé en album, L’Hiver et<br />
la Joie.<br />
Pourquoi n’as-tu pas gardé ton prénom comme nom<br />
d’artiste ?<br />
J’ai très vite éliminé le prénom Chloé car il porte une<br />
trop forte connotation féminine alors même que j’avais<br />
envie d’inscrire ma musique et ma démarche dans<br />
quelque chose qui soit plus universel, dans une sorte<br />
de neutralité. Røbi est mon surnom depuis que je suis<br />
à Paris et qui ne m’est pas étranger puisque c’était<br />
aussi celui de mon père. C’est comme une sorte<br />
d’écho, quelque chose de l’ordre du passage qui me<br />
permet à la fois d’être moi-même et quelqu’un d’autre.<br />
Dans l’écriture de tes textes, comment arrives-tu à<br />
passer d’un aspect intime (voire intimiste) à une<br />
dimension plus universelle ?<br />
Je crois profondément que plus on va vers l’intime,<br />
plus on va vers une justesse à soi et vers une chance<br />
de toucher non pas le plus grand nombre mais le plus<br />
fortement. Les chansons qui ont touché le plus<br />
fortement les gens sont celles qui sont les plus<br />
universelles comme “Ne Me Quitte Pas” ou “Avec Le<br />
Temps” qui sont des chansons de l’intime. Nous<br />
sommes tous traversés par les mêmes choses et les<br />
mêmes questions : le sens de la vie, l’absurdité de la<br />
mort, l’absolu et la façon dans l’amour de répondre<br />
aux autres questions. C’est en ce sens qu’on a le plus<br />
de chance d’être entendu. C’est une façon de<br />
transformer son cœur en hall de gare.<br />
Tu réalises toi-même tes clips. Pourquoi ne pas avoir<br />
choisi de déléguer cette partie du travail d’un titre à un<br />
tiers ?<br />
Pour être honnête, c’est avant tout une nécessité<br />
financière lorsqu’on est dans une petite économie<br />
artisanale voire familiale comme la nôtre. À cette<br />
dimension financière s’ajoute la dimension de l’image.<br />
Il aurait été contradictoire et compliqué pour moi de<br />
confier mon image à quelqu’un. Je l’aurais ressenti<br />
comme quelque chose de très vaniteux. Il aurait fallu<br />
intellectualiser l’image que je voudrais qu’on ait de<br />
moi et imposer le fait que quelqu’un entre dans mon<br />
univers, d’être regardée et mise en scène. Ma seule<br />
envie était de poser la caméra et de voir ce que je<br />
pouvais en faire, comment je pouvais capter quelque<br />
chose dans une forme de solitude, comme un<br />
adolescent qui danse devant sa glace. J’ai adoré ça !<br />
Je me suis découvert un plaisir fou à travailler cette<br />
matière qu’est l’image en mouvements. C’est une<br />
écriture qui me passionne et je compte continuer à le<br />
faire.<br />
Ton choix esthétique pour le clip d’“On Ne Meurt Plus<br />
D’Amour” (premier extrait de son album, ndlr) est<br />
plutôt fort.
L’esthétique est un choix, je suis plutôt d’accord. Ce<br />
n’est pas quelque chose qui vient se poser sur le fond<br />
puisque qu’ils ne fonctionnent pas indépendamment<br />
l’un de l’autre. Je me suis amusée avec mes mains et<br />
mon visage devant la caméra et j’ai trouvé ça<br />
fascinant, ce que cela pouvait raconter et cacher.<br />
“On Ne Meurt Plus D’Amour” est-il adressé à une<br />
personne en particulier ?<br />
C’est une chanson d’amour adressée, évidemment.<br />
Elle vient de quelqu’un et de quelque part mais c’est<br />
aussi une interrogation. Je me souviens, après ce<br />
terrible chagrin d’amour, mes amis étaient nombreux<br />
autour de moi à me dire de ne pas m’inquiéter et que<br />
j’allais m’en remettre. Je crois qu’il était plus terrible<br />
encore de m’entendre dire ces choses que la<br />
perspective que je pouvais en mourir. C’était<br />
insupportable de me dire qu’on pouvait se remettre de<br />
ça puisque ça voulait dire que si je m’en remettais,<br />
plus rien définitivement n’avait de sens. C’est une<br />
chanson avant tout adressée à moi-même et<br />
évidemment à cet autre en miroir. C’est aussi une<br />
réflexion. Est-ce que finalement on n’en meurt pas ?<br />
Et si on n’en meurt pas, est-ce que ce n’est pas plus<br />
absurde encore ?<br />
Est-elle en adresse aux femmes qui, peut-être,<br />
auraient pu partager tes sentiments ?<br />
Je pense que ma musique est asexuée puisque je<br />
pense que les hommes aiment et souffrent aussi. Le<br />
sentiment n’est pas le seul fait de la femme. C’est<br />
d’ailleurs amusant de remarquer le virement de<br />
situation quand on voit que le fait sentimental était<br />
réservé à l’homme et que la femme n’était pas<br />
capable de grands sentiments mais confinée à des<br />
choses très concrètes. Aujourd’hui, la question<br />
sentimentale est à la femme et le concret est à<br />
l’homme. Il est bon de le rappeler de temps en temps.<br />
Avec des titres si personnels et si intimes, le fait d’un<br />
concert doit beaucoup apporter à ta musique.<br />
C’est évident puisque la musique est vécue à travers<br />
le corps. C’est beaucoup plus physique mais la<br />
musique reste du même ordre puisque qu’un concert<br />
est un équilibre entre une nécessité de rester juste à<br />
l’intérieur de soi et d’être dans le partage à la fois.<br />
C’est un moment très plaisant dans lequel j’ai<br />
beaucoup de bonheur mais c’est aussi un endroit<br />
dans lequel on peut facilement s’enfermer ou au<br />
contraire être trop à l’extérieur de l’intimité du propos.<br />
C’est en ce sens que c’est un travail de spectacle<br />
vivant et que c’est un travail qui m’intéresse<br />
énormément.<br />
Ton hiver à toi, tu veux qu’il soit comment ?<br />
Ah ! L’hiver ! J’ai beaucoup de mal avec l’hiver mais<br />
en même temps, ce qu’il bouscule en moi et ce qu’il<br />
m’oblige à mettre en œuvre pour lutter m’intéresse.<br />
En tant que grande fainéante, je travaille bien<br />
davantage et mieux en hiver. Cet hiver sera<br />
essentiellement consacré au prochain album, ce qui<br />
est encore une joie.<br />
Textes et propos recueillis par Ariel Carol Novak.<br />
Photographies : Justine Tellier, pour Crumb<br />
magazine
GUNTHER<br />
LOVE<br />
Interview publiée le 21 mai 2011<br />
Mimer un guitariste sans instrument en main, dans une tenue kitsch à souhait, c’est ce qu’on appelle<br />
l’Air Guitar. Combien de générations ont imité les plus grands groupes de rock, leurs riffs mythiques<br />
ou leurs solos, à l’abri de tous, cachées dans une chambre ou dans une salle de bain ? C’est<br />
précisément ce « sport musical » qui a permis en 2009, à un certain Gunther Love, d’acquérir sa<br />
notoriété en devenant champion du monde de la discipline à Oulu, dans le nord de la Finlande. Ce<br />
showman à moustache et pantalons dorés a d’ailleurs maintenu son titre en 2010. Il a, à sa manière,<br />
marqué l’histoire de France, en faisant sortir de l’ombre une discipline méconnue, qu’il continu de<br />
mettre en scène, plusieurs fois par an, avec son Air Band (oui, oui) « Airnadette ». Déjanté, plein<br />
d’humour et d’auto-dérision mais lucide sur ce qui l’entoure, nous avons échangé avec lui, dans le<br />
décor du Bus Palladium, spécialement privatisé pour l’occasion. Histoire enfin de se retrouver en tête<br />
à tête avec un champion du monde français, ouais ; et de tenter de percer les mystères de ses succès<br />
et de ses nombreux projets…<br />
Comment as-tu découvert l’Air Guitar ?<br />
C’est en 2008, lors des Eurockéennes de Belfort. Je<br />
devais réaliser une publicité pour la marque Puma.<br />
Deux jours avant de partir, la directrice marketing de<br />
la marque me téléphone pour m’annoncer qu’elle a<br />
embauché la patrouille de France d’Air Guitar pour<br />
m’aider. Autant dire que je ne savais pas de quoi elle<br />
me parlait. Arrivé à la gare de Belfort, je me retrouve<br />
avec deux des Airnadettes : « Moche Pitt » et «<br />
Château Brutal », en tenue d’exercice. Là, je me suis<br />
dit que le weekend allait être très long. En réalité, j’ai<br />
passé quatre jours de folie. Ce fut ma première<br />
expérience d’Air Guitar. Je ne connaissais rien de<br />
l’univers. Juste que nous avons fait la fête pendant de
longues nuits et que Moche Pitt m’a initié à la<br />
discipline. Il m’a annoncé qu’il comptait m’inscrire au<br />
prochain championnat et que je deviendrais le futur<br />
champion du monde. Je n’avais pas de nom, je n’étais<br />
personne. Le lendemain, ma carrière était pourtant<br />
lancée. Je m’appelais Gunther Love et j’allais tout<br />
défoncer !<br />
Tu as choisi un nom plutôt kitsch…<br />
Le côté kitsch me plait. L’Air Guitar, c’est une<br />
dédicace à la musique. Tout le monde le pratique plus<br />
ou moins dans sa chambre ou sa salle de bain.<br />
Et tu es champion du monde de la discipline…<br />
Oui ! Champion du monde 2009 et 2010 ! L’année<br />
dernière, je ne souhaitais pas tellement participer au<br />
championnat. Tu sais, il faut avoir envie d’y aller dans<br />
le nord de la Finlande (rires). Tu n’y mets pas les<br />
pieds si on ne te donne pas rendez- vous pour du Air<br />
Guitar !<br />
Pour toi, tout ça c’est de la rigolade ou bien c’est un<br />
vrai métier, sérieux ?<br />
Je suis devenu Gunther, tout le monde m’appelle<br />
Gunther ! Médiatiquement parlant, je fais preuve<br />
d’humour et prend tout ça à la légère mais, depuis<br />
quelques temps, c’est devenu très sérieux. Le<br />
problème, c’est que je suis arrivé dans ce milieu par<br />
erreur et que je pense encore et toujours que mon<br />
titre de champion du monde est une erreur.<br />
Ton look est-il vraiment réfléchi ?<br />
Oui, il l’est vraiment ! Vous allez voir le nouveau…<br />
Nous avons réussi, avec ma copine (Daphné Burki,<br />
ndlr), à obtenir le numéro de la couturière qui crée les<br />
véritables costumes des patineurs artistiques français.<br />
Elle m’a dessiné une tenue parfaite.<br />
Fini le doré alors ?<br />
Ah non ! Restons humble. Toujours en or, médaille<br />
d’or.<br />
Tu n’as jamais essayé de jouer de la guitare en vrai ?<br />
Non, je suis très mauvais. J’ai chanté dans un groupe<br />
de rock pendant neuf ans mais je suis vraiment nul.<br />
Je me suis arrêté à Zombie des Cranberries : c’est le<br />
seul morceau que je sais jouer, et encore avec les<br />
mauvais accords !<br />
Il y a vraiment un aspect théâtral lors de tes<br />
prestations. C’est surtout de la comédie !<br />
Cela fait dix ans que je suis comédien – intermittent<br />
du spectacle. L’Air Guitar c’est une erreur de<br />
parcours. Là, où je m’exprime réellement, c’est sur<br />
scène, avec les Airnadette. Nous sommes sept et<br />
faisons tout comme un vrai groupe de rock : nous<br />
avons tourné aux États-Unis, nous préparons une<br />
tournée en Asie, Canal+ nous a suivis pendant 3<br />
semaines pour tourner un documentaire qui sortira le<br />
8 juin, bref, nous sommes devenus un vrai band<br />
international ! On a assuré la première partie de -M- à<br />
Bercy pendant 3 dates, et ce, chaque soir devant 17<br />
000 personnes ! Lenny Kravitz est même venu me<br />
voir pour me dire que c’était cool ! En fait, on est un<br />
peu comme Britney Spears, sauf que nous, on avoue,<br />
dès le départ que l’on chante en playback (rires) !<br />
Comment est né Airnadette ?<br />
Ça a débuté au musée d’Art Moderne, à Paris. Nous<br />
pratiquions tous le playback brosse à dents ou brosse<br />
à cheveux dans la salle de bain, donc on s’est dit «<br />
On va monter un groupe ! ». On a débuté à<br />
l’Alimentation Générale, à Paris, puis nous avons fait<br />
les premières parties de Camille à la Cigale il y a deux<br />
ans et, de fil en aiguille, on s’est lancés, sur plus de<br />
150 dates. A la rentrée débutera une « Air Comédie<br />
Musicale » d’une heure et quart, mise en scène par<br />
Pef, des Robins des Bois.<br />
Et la kermesse de Gunther, explique nous…<br />
J’adorais les kermesses à l’école quand j’étais petit. A<br />
Paris, les gens sont trop sophistiqués. Je me suis dit<br />
qu’il serait intéressant d’y organiser des soirées<br />
régressives. J’ai proposé l’idée à mon ami Nicolas<br />
Ullman (Le Bus Palladium, ndlr) et à Daphné. On s’est<br />
dit qu’on ferait une kermesse typique : marelles,<br />
chaises musicales, chamboule-tout, 1, 2, 3, soleil, etc<br />
mais aussi l’élection du meilleur danseur, du meilleur<br />
costume. L’idée, c’est que tout le monde joue le jeu, il<br />
y a des personnes qui m’écrivent après les kermesses<br />
pour me dire que ça leur a coûté cher en Amourpropre<br />
mais que ça leur a fait du bien.<br />
Finalement, tu as le meilleur job du monde, non ?<br />
Je me lève tous les matins en riant déjà de la journée<br />
que je vais passer, alors oui, j’ai le meilleur job du<br />
monde ! Même quand je travaille sur Canal+, ce n’est<br />
que blague et drôlerie.<br />
Tu ne penses pas avoir besoin ou envie de sérieux<br />
par moment ?<br />
Non. On se fait suffisamment chier dans la vie, non ?<br />
Être cadré ? Non plus ! Ou seulement sur une photo.<br />
Pas plus.<br />
Tout le monde peut devenir champion du monde d’Air<br />
Guitar selon toi ?<br />
Oui. Je pars du principe que pour devenir champion<br />
d’Air Guitar, il faut jouer avec l’envie de pisser et<br />
comme tout le monde a envie de pisser, finalement<br />
tout le monde a sa chance…<br />
Si tu devais donner des conseils aux débutants pour<br />
réussir ?<br />
Arrêtez tout de suite ! Il n y a pas de débutants. Tu es<br />
Rock n’roll, ou tu ne l’es pas ! Il faut avoir un style qui<br />
tue, tout miser sur le costume. Ce n’est pas pour les<br />
amateurs, tu sais, c’est un sport extrême.<br />
Tu penses être en partie responsable de sa<br />
démocratisation ?<br />
Les médias se sont emparés du phénomène parce<br />
que je suis arrivé pendant la période creuse des Jeux<br />
Olympiques. J’étais le seul français médaillé de l’été,<br />
mais personne ne savait de quoi il s’agissait. Je suis<br />
rentré de vacances au mois d’août, et j’ai vu un titre<br />
sur une page web : « La France devient championne<br />
du monde », je clique, et je vois une grande photo de
ma tête s’afficher ! Le soir où je suis rentré de<br />
Finlande, j’ai clôturé le journal de Claire Chazal, j’ai<br />
fait bon nombre d’interviews, j’ai aussi été invité sur le<br />
plateau de LCI qui m’a laissé commenter l’actualité<br />
comme je le souhaitais, durant quinze minutes… C’est<br />
ça la vie. Mais, pour répondre à ta question, est-ce<br />
que j’ai, pour ma part, aider à démocratiser l’Air<br />
Guitar, je ne pense pas.<br />
Tu as peut-être donné envie à des jeunes de se<br />
lancer, même si ce genre de passion est parfois<br />
catalogué de « ringardes », un peu comme le<br />
tunning…<br />
Oui ! Mais celui qui trouve cela ringard, c’est qu’il n’a<br />
jamais passé une soirée Airnadette ou assisté à une<br />
compétition. Ce que l’on dit souvent c’est que ce ne<br />
sont pas les gens qui n’aiment pas l’Air Guitar, c’est<br />
nous qui ne voulons pas d’eux ! Les événements qui<br />
sont organisés autour de nous font partie d’un même<br />
petit univers. D’ailleurs, avec Airnadette et tous les<br />
gens qui nous suivent, nous pensions que ça ne<br />
durerait qu’un mois et au final cela fait deux ans que<br />
nous « exerçons » et ce n’est pas prêt de s’arrêter.<br />
Tu dis ne pas vouloir de certaines personnes, dans le<br />
milieu de l’Air Guitar. De qui parles-tu ?<br />
De ceux qui nous critiquent lorsque l’on poste des<br />
vidéos en ligne. On peut avoir plus de 100 000 vues<br />
mais le peu de personnes qui laissent des<br />
commentaires insultants ou dégradants sot toujours<br />
les mêmes. J’ai juste envie de leur dire: «Hé les mecs,<br />
si vous n’aimez pas ce que l’on fait, pourquoi vous<br />
perdez votre temps à suivre notre travail et à nous<br />
regarder ? ». Après, l’important, c’est déjà qu’on<br />
puisse parler librement d’Air Guitar, que ce soit en<br />
bien ou en mal.<br />
En parallèle des critiques, tu as quand même un vrai<br />
public fidèle ?<br />
Oui. Il y a des gens qui nous suivent. Je m’en suis<br />
aperçu sur Facebook. Je me retrouve avec une<br />
quantité incroyable d’amis, je n’en connais pas plus<br />
d’une trentaine. Les gens me connaissent<br />
généralement car ils m’ont vu sur Canal+. Le pire, tu<br />
sais, c’est que je reçois de vraies lettres de fans, oui,<br />
comme dans les années 70 (rires). La dernière que<br />
j’ai reçu était celle d’une petite fille de huit ans qui<br />
avait écrit quelque chose du genre « vous êtes trop<br />
génial génialement génial ! ». C’est extraordinaire.<br />
dehors, il reste Sacha Baron Cohen. Dans le milieu de<br />
la musique, en France, il y a les Airnadette : une<br />
caricature de ce qu’est précisément le monde de la<br />
musique et celui des paillettes.<br />
Comment est le vrai Gunther dans la vraie vie ?<br />
En fait, un peu comme maintenant. L’Air Guitar prend<br />
tellement de temps que je n’ai plus le choix. Depuis<br />
deux ans, tout le monde m’appelle Gunther (Sylvain<br />
Quimène, dans la vraie vie, ndlr). Même mon père !<br />
Rassures moi, tu n’es pas schizophrène ?<br />
Non, ça va. J’ai travaillé pendant trois ans au sein<br />
d’un hôpital psychiatrique. Ca m’as plutôt aidé (rires).<br />
Parmi les gens qui t’ont aidé ou lancé d’ailleurs, qui<br />
ont compté pour toi, il y a Bruce Toussaint (Canal+,<br />
ndlr). Si tu devais lui faire une déclaration d’amour, tu<br />
lui dirais quoi ?<br />
Bruce ? C’est mon mentor ! Lorsque je suis arrivée<br />
chez Canal, il m’a immédiatement pris sous son aile<br />
et m’as mis en confiance. C’est quelqu’un de très<br />
rassurant. D’ailleurs s’il lit cette interview dans<br />
<strong>CRUMB</strong>, j’aimerais lui dire de raser sa barbe. Il<br />
m’avait promis en début d’année, qu’il ne raserait pas<br />
sa barbe tant que je ne serais pas reçu officiellement<br />
à l’Élysée, en tant que champion du monde officiel<br />
d’Air Guitar. Du coup, il ne s’est toujours pas rasé et il<br />
commence sérieusement à ressembler au Père Noël.<br />
Et une déclaration d’amour à Daphné?<br />
Et bien que des bouffées d’amour. C’est mon<br />
amoureuse.<br />
Qu’est-ce que qu’on peut te souhaiter pour la suite ?<br />
Toujours autant de bêtises. Et surtout de plaisir !<br />
Propos recueillis par Laurie Cassagnes<br />
Photographie : Diane Sagnier<br />
L’Air Guitar est un sport fédérateur ?<br />
Bien sûr ! Et si je parle constamment des Airnadette,<br />
c’est parce que le Gunther que je suis ne fait pas de<br />
shows tout seul. L’important, c’est qu’à chaque<br />
nouveau spectacle, on retrouve des gens, qui<br />
viennent là pour rire et ça fait du bien. Il n’y a pas de<br />
codes. Sans qu’on sache expliquer pourquoi, le public<br />
accepte toujours le concept et rentre dans son rôle.<br />
Tu t’inventes une nouvelle vie sur scène ?<br />
Je la démultiplie. Un personnage d’Air Guitar, c’est un<br />
prolongement de soi, un peu comme Sacha Baron<br />
Cohen qui interprète Borat. Il entre dans le rôle de son<br />
personnage lors d’interviews, comme ici, mais en
DESTROYER<br />
Interview publiée le 25 septembre 2015<br />
A l’occasion de la sortie du nouvel album de Destroyer — Poison Season — qui nous emmène<br />
sensuellement vers l’automne, nous avons rencontré Dan Bejar qui nous parle de ce nouveau “morceau<br />
de fiction insulaire”. L’artiste qui répète vouloir maintenant prendre son rôle de chanteur de jazz au<br />
sérieux, s’approche des bords de profonds états d’âme sans jamais plonger, explorant une sorte de<br />
vertige à travers des paysages mentaux qui longent l’idée romantique de la chose jamais atteinte. On ne<br />
peut pas parler de retenue quand on l’écoute. Il y a là plutôt une mélancolie maîtrisée qui identifie sa<br />
musique à une forme de détachement lyrique où le ravissement serait du côté d’une vague tristesse.<br />
L’obscurité n’est donc jamais très loin et quand Dan Bejar nous fait presque croire à une résignation, il se<br />
rattrape finalement en évoquant sa musique comme l’empreinte d’une quête passionnée.<br />
Quelle idée avez-vous du romantisme ?<br />
J’ai deux réponses. La première est musicale donc<br />
peut-être historique : des sons de large envergure<br />
mais toujours mélancoliques, des sons peut-être<br />
antérieurs au rock’n’roll, des sons qui font comme<br />
allusion aux européens, qui ne sont pas nordaméricains.<br />
C’est plutôt de l’ordre d’une définition<br />
historique : une influence de la musique classique,<br />
des accords de Jazz qui pour moi sont très<br />
romantiques. Et puis il y a une définition lyrique où le<br />
romantisme évoque ce qui est voué à l’échec.<br />
Pensez-vous qu’aujourd’hui le romantisme soit<br />
anachronique ?<br />
J’ai beaucoup de mal à imaginer des versions du<br />
XXIème siècle, parce qu’il a l’air ruiné. Je suis aussi<br />
plus âgé et donc plus attaché au XXème siècle. J’ai<br />
adoré le XXème siècle, c’était super, vous auriez dû<br />
être là !<br />
Le romantisme du XIXème siècle est-il toujours<br />
possible ?<br />
Non, ce n’est plus possible —je ne réponds pas de<br />
façon personnelle bien sûr, je garde en tête ce que je<br />
fais, des albums. Je pense qu’il y a certains artistes<br />
ou écrivains qui essaient de retrouver cette tradition<br />
simplement parce qu’ils sont attirés par ce qui semble<br />
universel, les formes dégageant une sorte de<br />
classicisme mais qui ne sont pas aussi bonnes. Cela<br />
peut être une béquille mais c’est toujours plus facile<br />
d’en faire quelque chose de beau ou d’étrange que ça<br />
ne l’est avec des sons obsédés par l’idée d’être<br />
actuels. Je pense qu’une jeune personne est plus<br />
impliquée dans ce qui se passe autour d’elle<br />
culturellement — par la culture jeune ou pop — et<br />
peut-être aurait-elle une meilleure réponse à ce que le<br />
romantisme veut dire dans un sens contemporain.<br />
Elle dirait sans doute qu’il s’agit de quelque chose de<br />
sexuel.
Vous parlez comme un dinosaure, vous n’êtes pas si<br />
vieux…<br />
Non c’est vrai, mais quand j’écoute de la nouvelle<br />
musique je me sens distant, je n’ai pas l’impression<br />
d’en faire partie et c’est comme ça depuis plusieurs<br />
années. Il doit y avoir une raison. Un vieux type, oui,<br />
je me suis toujours senti comme ça.<br />
D’une certaine manière, vous essayez dans votre<br />
musique de neutraliser le romantisme quand vous<br />
approchez trop près de ses bords, de même avec le<br />
drame. Vous ne l’atteignez jamais mais vous en êtes<br />
souvent très proche.<br />
Oui. Je ne suis pas acteur, je ne peux pas vraiment<br />
incarner ces états et je me méfie de ce qui serait<br />
seulement cent pour cent émotionnel. Ce n’est pas<br />
très intéressant selon moi de simplement essayer de<br />
peindre une belle image. Cela ne vaut pas la peine à<br />
moins qu’elle soit vraiment belle. Peut-être que je ne<br />
peux pas le faire car je ne sais pas comment m’y<br />
prendre. Mais j’écoute la musique de Destroyer et elle<br />
me semble plutôt en conflit, elle veut toujours faire<br />
deux ou trois choses différentes en même temps. J’ai<br />
l’impression de toujours vouloir une musique assez<br />
large, sensuelle, dramatique. Mais d’autres univers<br />
sont plutôt spécifiques, détaillés et bizarres.<br />
J’aime cette idée de conflit permanent. Connaissezvous<br />
l’écrivain Robert Walser ? J’ai l’impression qu’il y<br />
a un lien avec votre musique.<br />
Peut-être. J’ai seulement lu quelques uns de ses<br />
écrits. Il y côtoie un certain humour noir.<br />
C’est drôle parce que cela semble naïf. Il y a un<br />
tiraillement constant entre des descriptions très<br />
froides et d’autres qui sont presque trop romantiques.<br />
Il faut que je lise plus de ses écrits, je l’ai toujours<br />
voulu. Je pense que quand tu commences à prendre<br />
des influences, comme la littérature et que tu essaies<br />
de les insérer dans ta musique, cela génère une<br />
bataille, parce que j’ai toujours envie d’avoir d’abord<br />
une réaction sensible. C’est la seule réaction que je<br />
comprends en musique, je réagis émotionnellement à<br />
la musique. Je ne sais pas si l’écriture marche de<br />
cette façon ou même si ma manière de chanter<br />
marche ainsi, donc je ne sais pas non plus si le ton de<br />
ce qui est dit ou le ton de tout ce qu’il y a autour<br />
fonctionne. J’ai l’impression que plus je fais d’albums<br />
plus ils deviennent une seule et même chose, un<br />
ensemble. Je pense que c’est le but de l’artiste d’être<br />
une seule chose, unique. Et dans ce sens je devrais<br />
peut-être complètement abandonner la littérature.<br />
Malgré l’aspect d’inquiétante étrangeté de votre<br />
musique, la présence de personnages mélancoliques,<br />
elle, semble confortable, ce qui encore une fois est<br />
conflictuel.<br />
Oui, je ne sais pas parler d’une autre voix. J’ai<br />
l’impression que ce nouvel album est peut-être un peu<br />
différent. Il y a de vrais moments où la personne qui<br />
parle semble méprisable ou diabolique, plutôt que<br />
juste mélancolique. Ou peut-être qu’il y a simplement<br />
une véritable tristesse comme opposée à la simple<br />
mélancolie, qui sont pour moi deux choses différentes.<br />
Mais oui la mélancolie c’est la voix naturelle de<br />
Destroyer. C’est celle qui me paraît la plus consciente<br />
du monde. Et c’est comme une tristesse agréable,<br />
comme quand tu n’es pas dévasté mais que tu as la<br />
sensation que tout est foutu.<br />
Pensez-vous qu’une ville comme Vancouver laisse<br />
une place à la mélancolie ?<br />
Je pense que les gens ont différentes idées de ce<br />
qu’est cet endroit. Quand tu y vas pour la première<br />
fois, tu vois une ville le long de l’océan Pacifique avec<br />
ses montagnes couvertes de forêts en arrière-plan.<br />
Ça a l’air idyllique mais je crois que quiconque y<br />
passe du temps réalise que ce n’est pas vrai. D’abord<br />
parce qu’il y fait gris la plupart du temps et qu’il pleut<br />
en permanence. Mais surtout parce que c’est une ville<br />
écrasée par le capitalisme, ce qui est une véritable<br />
source de tristesse pour n’importe quelle personne qui<br />
n’est pas putain de riche. Elle a probablement une<br />
des populations vivant dans la rue des plus visibles<br />
d’Amérique du Nord — c’est un fait important. La ville<br />
est déchirée.<br />
Je ne pense pas tant que ça à Vancouver, j’y suis<br />
simplement né. J’ai essayé d’en partir mais je ne l’ai<br />
pas fait. Ou peut-être que je n’y suis pas arrivé. Il y a<br />
une chanson que j’ai écrite il y a quelques années,<br />
Chinatown, c’est un quartier que je connais assez<br />
bien. Je marchais sous la pluie et j’ai écris cette<br />
chanson. Cela résume d’une manière très simple ma<br />
relation à la ville. Aujourd’hui, je ne pense plus avoir<br />
aucune envie d’écrire à son propos. J’en ai fini avec<br />
cet endroit. J’y habite, simplement.<br />
Pensez-vous que le côté stérile de cette ville soit la<br />
raison d’une certaine effervescence artistique et<br />
musicale, comme si les artistes avaient besoin d’y<br />
insuffler quelque chose de vivant ?<br />
Elle a une réputation d’endroit inactif. Elle est active<br />
pour y faire du roller ou du vélo, mais si tu es jeune et<br />
que tu as un groupe de musique ou si tu es un artiste,<br />
tu veux généralement en partir. Mais cela reste un<br />
endroit très critique dans le bon sens du terme. La<br />
plupart des groupes que j’ai vu sortir de Vancouver<br />
ont quelque chose que les groupes de Montréal ou de<br />
Toronto n’ont pas et dans ce sens je suis fier de<br />
Vancouver. C’est aussi compliqué de mettre en<br />
lumière quoi que ce soit à Vancouver car tout ce qui<br />
est bon se passe dans l’ombre, et les médias ne<br />
trouvent rien. La scène underground est très<br />
désorganisée. Quand j’étais plus jeune et que je<br />
traînais dans ce milieu, ce n’était pas vraiment cool de<br />
poursuivre la musique de manière fonctionnelle ou<br />
professionnelle. C’était important d’être un raté. Je<br />
vois une différence avec les scènes de Montréal et<br />
Toronto où tout le monde était positif, très actif, où les<br />
gens écrivaient tout le temps sur les groupes, en<br />
parlaient, à travers la presse ou le bouche à oreilles.<br />
À Vancouver tout se passe dans l’ombre, il y a un<br />
rejet plus virulent de la culture mainstream que dans<br />
n’importe quel autre endroit.<br />
Considérez-vous les lieux comme des personnages ?<br />
Je les pense comme des toiles de fond pour drame,
Comme un décor de théâtre. J’associe des villes à<br />
certains albums sans doute parce que j’y ai habité et<br />
écrit un bon nombre des chansons. Cela m’est arrivé<br />
plusieurs fois quand j’habitais en Espagne, ou même<br />
à Montréal. J’ai l’impression de me concentrer de plus<br />
en plus sur ce qu’il se passe en moi quand j’écris,<br />
plutôt que d’être celui qui erre en regardant autour de<br />
lui. Je crois, dans tous les cas, que le dernier album<br />
de Destroyer ressemble plus à un morceau d’une<br />
fiction insulaire, d’un monde intérieur.<br />
Il n’y a donc pas de lien avec le lieu où vous êtes ?<br />
Ou avez-vous besoin de vous sentir chez vous ?<br />
Je pense que je me suis toujours senti revigoré par le<br />
voyage, par le déplacement. J’ai beaucoup écrit dans<br />
des lieux étrangers. Je ne sais pas si c’est encore<br />
vrai. Je crois avoir perdu tout intérêt pour certains<br />
aspects du monde.<br />
J’ai l’impression que la mélancolie peut provenir d’une<br />
nostalgie permanente du chez-soi.<br />
Je ne me suis jamais trouvé quelque part où je me<br />
sentais complètement chez moi. Peut-être que c’est<br />
ça, d’une certaine manière, l’idée de ne jamais se<br />
sentir à sa place. Tu sais j’habite à Vancouver, mon<br />
père était espagnol et ma mère vient de Californie, je<br />
ne me suis jamais vraiment senti canadien. Je ne dis<br />
pas que si j’avais grandi en Espagne ou à Los<br />
Angeles je me sentirais complètement chez moi. Je<br />
ne pense pas que ce serait le cas. Je me suis toujours<br />
senti un peu en dehors de tout.<br />
Quand je parlais d’anachronisme, je pensais au côté<br />
passéiste de votre musique, mais en même temps le<br />
recours permanent aux cuivres la rend très présente,<br />
vivante.<br />
Je n’ai jamais pensé aux cuivres comme un symbole<br />
du corps — c’est du véritable souffle. J’ai toujours<br />
adoré les trompettes et saxophones. Je crois que je<br />
suis juste cupide, et plus je pense à la musique que<br />
j’ai écouté ces dernières années, plus j’ai envie de<br />
m’en emparer et de l’utiliser pour moi-même. Il y a<br />
quelque chose que j’obtiens de ces instruments qu’il<br />
n’y a pas chez les autres. Cela appartient aussi à une<br />
tradition qui me permet de sortir un peu de moi-même,<br />
surtout si je suis sérieux dans le fait de devenir un<br />
chanteur de jazz, je dois m’envelopper de ces<br />
influences. Je ne le vois pas comme une décision<br />
consciente ou une construction, ce sont des sons que<br />
j’aime, c’est tout. Ce sont des choix simples.<br />
Allez-vous jouer d’un instrument pendant votre<br />
prochaine tournée ?<br />
Non, je considère vraiment sérieusement le fait de ne<br />
toucher aucun instrument. Je l’ai fait pendant<br />
longtemps, puis j’ai arrêté il y a quelques années. Je<br />
crois que ça m’a vraiment aidé, car je ne prenais pas<br />
le rôle de chanteur au sérieux jusqu’à ce que je pose<br />
la guitare. Je pense que ma manière de chanter s’est<br />
améliorée une fois que j’ai fait cela, j’ai même changé<br />
mes chansons et ce que je pensais qu’il serait bien de<br />
chanter. Ça semble traumatisant, mais je crois que ça<br />
a changé toute mon idée de ce que je fais, parce que<br />
j’aime avoir des boucliers. La guitare était ce derrière<br />
quoi je me protégeais. Quand je me tiens là juste<br />
debout sans rien, c’est beaucoup plus intense.<br />
Vous évoquez souvent la rédemption, il y a également<br />
quelques personnages bibliques dans vos morceaux.<br />
Souhaitez-vous parler de la part mystique de votre<br />
musique ?<br />
Je ne sais pas comment en parler sans avoir l’air fou<br />
ou prétentieux. Je me fiche que l’on pense ça mais ce<br />
n’est pas vraiment qui je suis. Je pense que dans<br />
d’autres arts, comme la poésie, c’est assez simple de<br />
faire partie de cette tradition ou d’utiliser ces images,<br />
alors qu’en musique c’est impossible de le faire ou<br />
d’en parler sans rappeler Jim Morrison. Je sais qu’il<br />
est très important ici à Paris et je l’aime beaucoup,<br />
mais il y a une version caricaturale de la mystique —<br />
la mystique rock’n’roll — que je ne trouve pas très<br />
intéressante. En revanche, il y a la mystique de<br />
Clarise Lispector, l’idée de la quête. Ce n’est pas la<br />
quête d’un sens mais plutôt la recherche d’un<br />
éclairage dans son travail. Je trouve ça plutôt normal<br />
en ce qui concerne l’écriture musicale, c’est une<br />
tradition bien ancrée ; on retrouve cela chez des gens<br />
comme Van Morisson ou Joni Mitchell, même dans<br />
des éléments du travail de Dylan tu peux ressentir une<br />
certaine ferveur religieuse. Tu veux utiliser l’imagerie<br />
religieuse et les personnages religieux pour que les<br />
gens comprennent à quel point ce que tu essaies de<br />
faire ou de révéler est important.<br />
Je ne le vois cependant pas comme un élément<br />
crucial dans la musique de Destroyer, jusqu’à ce<br />
dernier album. Pour une raison que j’ignore il a l’air<br />
perdu dans le monde, errant, et le spectre de la mort<br />
le surplombe. C’est un album (Poison Season) plus<br />
lourd que d’habitude. Mais je ne m’assieds pas en me<br />
disant “Tiens, c’est l’heure du mystique, l’heure<br />
d’écrire une chanson mystique“. Je n’écris pas en y<br />
réfléchissant à deux fois, c’est très instinctif. Si j’en<br />
parle, je ne fais que regarder en arrière et essayer de<br />
comprendre ce que j’ai fait. Mais, d’une part, je n’ai<br />
aucun désir de comprendre ce que j’ai fait, ça ne<br />
m’intéresse pas. Je veux simplement que ça existe,<br />
que ça exerce une sorte de force et, d’autre part, à la<br />
minute où j’en parle, je suis sûr que ça change. Je<br />
vois un morceau d’une certaine façon un jour, et le<br />
lendemain il peut prendre un tout autre sens.<br />
Donc on devient artiste ou musicien par manque de<br />
religion ?<br />
Selon moi les artistes sont supposés exprimer tout ce<br />
que je suis incapable de dire maintenant, aussi<br />
sensiblement que possible. L’art doit aussi être<br />
conscient qu’il ne pourra jamais complètement<br />
exprimer cette chose. Mais tu laisses une trace de ta<br />
quête, ou une trace de ta lutte, et c’est ce qui d’une<br />
certaine façon est touchant. Ou bien c’est nul et ça n’a<br />
rien d’émouvant ! Tout ce que j’essaie de faire avec<br />
Destroyer, c’est rattraper ce manque dans le monde<br />
qui m’entoure…<br />
Propos recueillis et interview par Gaëlle Cognée
Ces photos ont été prises le 13 novembre 2015<br />
pendant le Concert du groupe Eagles Of Death Metal au Bataclan, à Paris, par Manuwino.<br />
Elles sont publiées ici en format libre de droit et disponibles à la diffusion sans modification,<br />
recadrage ni retouche supplémentaire sur simple demande<br />
auprès de Manuwino.<br />
À Thomas. À Marie.<br />
À tous ceux qui étaient là. À leurs regards. À leurs sourires.<br />
À Paris. À la vie.<br />
À la Génération Bataclan.
FRANZ<br />
FERDINAND<br />
Interview publiée le 3 septembre 2013<br />
C’est à l’étage d’un troquet Parisien que notre rencontre avec les Franz Ferdinand prend place. Très vite, on a le<br />
sentiment de discuter avec des types qui sortent de leur tanière. Et pour cause, voilà plus de quatre longues<br />
années que la bande Ecossaise n’avait pas sorti un seul morceau sous ce nom. Après une période de doute<br />
avec l’album Tonight, electro et pessimiste, mais follement bon, il était temps pour les quatre garçons de<br />
retrouver le sourire en nous présentant “Right Thoughts, Right Words, Right Actions“, simple, direct et efficace.<br />
Quoi de mieux que de laisser la parole à Alex Kapranos, leader incontestablement doté d’un charisme explosif ?<br />
Là ou un Alex Turner se grime en un Elvis Presley de manière poussive, Kapranos reste lui même et attribue les<br />
bons et les mauvais points…<br />
Que s’est-il passé pour les Franz Ferdinand ces<br />
quatre dernières années ?<br />
Nous avons sorti notre album Tonight en 2009, puis<br />
nous avons tourné ensuite jusqu’en 2011. Nous avons<br />
décidé de faire une pause, pour que chacun puisse se<br />
consacrer à ses projets personnels dans son coin<br />
pendant un petit moment. J’ai produit plusieurs<br />
albums, Nick a fait de la musique pour du théâtre par<br />
exemple et nous nous sommes retrouvés pour<br />
recommencer à écrire des chansons ensemble. Nous<br />
voici aujourd’hui, devant vous.<br />
A quel moment avez-vous décidé de travailler sur ce<br />
nouveau disque ?<br />
Il y a un an et demi. Nous voulions garder une<br />
véritable spontanéité dans notre travail, que ce qui<br />
sorte du studio reste frais. On a alterné sessions en<br />
studio et tournées en festivals, pour un peu se<br />
changer d’air. Nous avions disparu ces dernières<br />
années, oui, mais c’était absolument voulu. On ne<br />
l’avait jamais fais auparavant. Nous avions envie de<br />
disparaître. On ne voulait pas se sentir scrutés par les<br />
gens ni que l’on parle trop de nous. Si tu parles de toimême,<br />
tu es conscient que tu es en train de créer<br />
quelque chose, et ça te fait justement perdre toute<br />
spontanéité.<br />
Moins on parle de vous, mieux vous travaillez ?<br />
Je pense, oui. Tu trouves toujours de meilleures idées<br />
quand on te laisse tranquille. Mais c’est surtout qu’il<br />
n’y a globalement rien à dire sur nous. Aujourd’hui, on<br />
a un nouveau disque, on a de la matière à défendre.
Ce n’est pas vraiment intéressant de dire à la presse<br />
que tu es en train d’essayer mille choses en studio.<br />
C’est la différence, pour moi, entre les artistes et les<br />
célébrités, même si, médiatiquement, les routes se<br />
croisent. Nous ne sommes pas des célébrités mais<br />
des musiciens. On aime que les gens s’intéressent<br />
aux bonnes choses. A nos chansons. Surtout.<br />
Enregistrer votre disque par sessions, c’était un<br />
moyen d’éviter l’isolation ?<br />
Oui. On l’a fait pendant quelques temps, mais cela ne<br />
dépassait jamais les deux semaines. S’isoler, c’est<br />
devenir claustrophobique, oublier l’objectif final des<br />
chansons et ça reniait aussi notre versant live. On<br />
aime la scène, il ne nous fallait pas perdre l’énergie et<br />
l’adrénaline de ces moments. C’était agréable de faire<br />
des pauses, de parcourir des festivals. Nous avions<br />
un véritable désir d’aller vers les autres avec ce<br />
disque, de trouver des idées pour les transformer en<br />
chansons. Et il est vrai qu’il est plus difficile de trouver<br />
des idées, enfermés entre quatre murs dans un studio<br />
sous terre.<br />
A l’écoute de votre album, on a un sentiment de retour<br />
aux sources du son Franz Ferdinand…<br />
Je pense que nous sommes revenus à l’essence<br />
même du groupe, en effet. Je me souviens d’une<br />
discussion avec Peter Bjorn en 2011 autour d’un café<br />
à Glasgow, où il nous demandait comment le disque<br />
allait sonner. On a juste répondu “Franz Ferdinand” !<br />
Nous avons essayé de faire évoluer les choses mais<br />
sans oublier les bases de notre son et de son identité.<br />
Peter avait quand même répondu “Ah oui, un mélange<br />
entre Daft Punk et Dr Feelgood”. C’est une remarque<br />
que l’on nous fait souvent. C’est amusant parce qu’on<br />
a ajouté des éléments jamais entendus dans notre<br />
musique avec ce nouvel album, comme du<br />
saxophone, des cuivres, un solo de hautbois même,<br />
mais on a tenu à garder une sorte d’efficacité<br />
particulièrement importante pour nous.<br />
Vous avez un peu mis les synthétiseurs de côté ?<br />
Il y en a ! « Love Illuminations », « Goodbye Lovers<br />
And Friends », « Stand On The Horizon »mais<br />
contrairement à Tonight, nous n’avons pas basé les<br />
chansons que sur cela..<br />
Quatre après, quel regard portez vous sur Tonight ?<br />
À cette période, nous étions plutôt pessimistes,<br />
fatigués du monde qui nous entourait, et nous<br />
voulions faire quelque chose de très différent de ce à<br />
quoi les gens pouvaient s’attendre. S’il fallait décrire<br />
notre groupe en un seul mot, j’utiliserai le terme<br />
“contraire”. Lorsque nous nous sommes formés, nous<br />
voulions sonner à l’opposé de tout ce qu’il se faisait,<br />
et c’est dans cette même philosophie que l’on a fait ce<br />
disque, qui reflétait aussi nos états d’esprits<br />
personnels à cette époque…<br />
Vous avez donc travaillé ce nouvel album par<br />
opposition totale à Tonight alors ?<br />
Oui ! C’était en pure réaction à cette période. Mais les<br />
choses se sont faites naturellement, comme une<br />
évolution !<br />
Et ce sera la même pour le prochain ?<br />
Je n’en sais rien, je n’ai pas envie de le savoir. Peutêtre<br />
qu’un jour nous nous poserons. Des contraires<br />
contre des contraires contre des contraires, c’est<br />
infini.<br />
Right Thoughts semble plus “léger” ?<br />
Je ne sais pas si “léger” est le bon terme mais je<br />
comprends ce que tu veux dire. Nous nous sommes<br />
focalisés sur les bonnes mélodies en tout cas. Nous<br />
avions un but précis : faire des chansons qui<br />
fonctionnent à l’instinct, sanguines, directes. Nous<br />
voulons que les gens ressentent quelque chose dès la<br />
première écoute, mais aient aussi envie d’y revenir<br />
plus tard, dans le détail. Notamment au niveau des<br />
paroles : la majorité des textes se présentent comme<br />
des grandes questions. Chacun peux y réfléchir à sa<br />
façon en fonction de son humeur. C’est aussi<br />
intéressant. Mais dans tous les cas, nous sommes<br />
d’humeur beaucoup plus « sympathique » avec ce<br />
disque que pour Tonight.<br />
Vous semblez moins prendre de risques…<br />
Je pense qu’il est beaucoup plus risqué de trouver de<br />
vraies mélodies, avec des bons refrains, plutôt que de<br />
faire quelque chose de complètement abstrait et<br />
tortueux. Ces chansons sont très faciles à écouter,<br />
mais bien plus compliquées à écrire. Il faut beaucoup<br />
d’effort pour justement avoir un résultat qui ne<br />
s’écoute sans aucuns efforts.<br />
Peter Bjorn, Todd Terje : Qu’est ce qui a autant<br />
amené les Franz Ferdinand en Scandinavie ?<br />
Le monde froid qui nous entoure et son cœur de glace<br />
impartial (rires) ! Plus sérieusement, nous adorons la<br />
scène scandinave : Lykke Li, Lindstrom, les dernières<br />
sorties de Terje. J’ai l’impression qu’il y a une<br />
véritable humanité dans la musique de ces gens là.<br />
Peter (Bjorn, ndlr), lui, est un ami de longue date.<br />
Quel regard portez vous sur l’industrie musicale<br />
depuis que vous nous avez quittés il y a quatre ans ?<br />
Il n’y avait pas de Skrillex à l’époque…<br />
L’Amérique a découvert l’EDM trente ans après sa<br />
naissance, les jeunes groupes peuvent<br />
malheureusement de moins en moins se permettre de<br />
vivre de leur musique, mais je retiendrais surtout le<br />
boom de la musique électro. Quelques uns font du<br />
bon boulot, mais la grande majorité de ce qui en sort<br />
est plutôt merdique et c’est comme cela dans tous les<br />
genres ! On a récemment joué avec Major Lazer en<br />
Argentine, c’était assez marrant à voir sur scène, c’est<br />
plus un show que de la musique. Mais les choses<br />
risquent bien de changer. Notamment à cause de<br />
l’album de Daft Punk : l’influence que ce groupe arrive<br />
à avoir est impressionnante et indéniable. Bravo la<br />
France !<br />
Propos recueillis par Brice Bossavie
CHVRCHES<br />
Interview publiée le 24 octobre 2013<br />
On s’est tapé des barres avec les Écossais CHVRCHES. Ils nous accueillent le sourire aux lèvres et font preuve<br />
d’une auto-dérision qui nous met d’emblée à l’aise, entre potes. Si l’on vous dit : Taxidermie, internet, accent à<br />
couper au couteau et démocratie, vous voyez le rapport entre tous ces termes ? Ou pas ? “On devrait peut être<br />
consulter un psy”, nous déclarent-ils avant de partir. Lisez-donc pour mieux comprendre…
Le choix du V de Chvrches, c’était pour faire hype ou<br />
surtout pour faciliter les recherches sur Google ?<br />
Lauren : C’est principalement dû au fait qu’on a<br />
commencé à vouloir déposer notre nom de domaine<br />
et “Churches Music” ou “Churches Band” ne<br />
donnaient pas grand chose. Parallèlement, notre amie<br />
Amy avait fait un logo pour nous -elle fait tout nos<br />
artworks désormais- et déjà, cet artwork avait ces<br />
figures en formes de V. Nous avons décidé de le faire<br />
correspondre au nom du groupe. C’est plus une<br />
question esthétique mais aussi la nécessité d’être<br />
facilement reconnaissable sur Internet. Cela peut<br />
paraître idiot mais c’est comme cela que les gens<br />
trouvent le plus facilement notre musique.<br />
Nous avons eu la même conversation il y a quelques<br />
temps avec “!!!”<br />
Martin : (Rires) Les gens ont enfin compris, après<br />
toutes ces années !<br />
Il faut écrire Chk Chk Chk, sinon ça ne donne rien…<br />
Martin : En tout cas nous ne sommes pas vraiment<br />
des hipsters donc ce n’a jamais été pour ça.<br />
Et qu’est ce qu’un hipster pour vous ? Ca n’a pas<br />
vraiment de sens.<br />
Iain : Conduire un monocycle en portant une<br />
moustache frisée ?<br />
Lauren : S’amuser de tout de manière ironique, ça me<br />
dépasse, pourquoi pas rire, simplement.<br />
Martin : La boisson immonde que tout le monde boit à<br />
Berlin, comment s’appelle-t-elle ?<br />
Lauren : Club-mate ?!<br />
Martin : Oui, ça c’est hipster !<br />
C’est quoi ?<br />
Lauren : Une boisson qui ressemble à une bière mais<br />
qui est, en réalité, plutôt de la limonade. Il y en a dans<br />
tous les cafés de Berlin.<br />
Martin : Et la taxidermie, ça a été cool à un moment…<br />
Iain : Si les hipsters achètent nos disques et aiment<br />
notre musique, tant mieux !<br />
Le nom de domaine de votre site web est enregistré<br />
en Espagne, pourquoi ?<br />
Martin : Un type a acheté tous les domaines<br />
“chvrches.com” dès que nous sommes devenus ce<br />
groupe pour ensuite nous les revendre contre un<br />
accès backstage à vie pour nos concerts et 3000<br />
euros. On lui a dit qu’il pouvait avoir le Pass et un<br />
point dans la figure mais pas l’argent.<br />
Lauren : Il faut croire que c’est plus répandu qu’on ne<br />
le pense, des gens gagnent bizarrement leur vie<br />
comme cela. C’est absurde. On n’allait pas payer<br />
quelqu’un qui nous avait doublé. Surtout qu’il n’avait<br />
pas été assez intelligent pour penser à acheter le<br />
domaine en Espagne, du coup on a pu échapper à ce<br />
chantage. Les gens pensent probablement que c’est<br />
un effet de style de voir écrit chvrch.es mais c’était<br />
surtout un moyen pour ne pas rester dans l’ombre du<br />
net.<br />
Vous avez joué au festival de Pitchfork à Paris en<br />
2012, qu’est ce que cela représente pour vous ?<br />
Iain : D’un côté, il y a Pitchfork, mais aussi tous les<br />
blogs, les sites internet et magazines autres, comme<br />
<strong>CRUMB</strong>, qui sont en grande partie responsables de la<br />
vitesse à laquelle nous avons attiré l’attention des<br />
gens. Vu d’un grand angle, Internet c’est chercher<br />
puis trouver une information. La façon dont les gens<br />
peuvent télécharger des morceaux sur leur téléphone<br />
n’importe où, en une minute a un impact sur la vitesse<br />
à laquelle les gens commencent à s’intéresser à des<br />
groupes comme nous. Je trouve cela extrêmement<br />
positif. Ce ne sont plus les labels qui décident de ce<br />
qui doit être entendu ou non, n’importe qui peut<br />
apparaître en ligne, sur Pitchfork ou une centaine<br />
d’autres médias en lignes et c’est vraiment, pour<br />
chaque partie, un moyen de communication excitant.<br />
Martin, ton accent me rappelle celui des acteurs de La<br />
Part des anges de Ken Loach…<br />
Martin : C’est parce que je viens du coin le plus<br />
pauvre, c’est ça ? Je n’ai pas encore vu ce film mais<br />
si tu trouves mon accent difficile, essaie encore de<br />
comprendre ce que je dis après quelques verres.<br />
Lauren : Même moi je n’y comprends plus rien. On vit<br />
tous à Glasgow mais on vient d’endroits<br />
complètement différents. Martin est né pas loin, Ian<br />
vient de l’autre côte de l’Ecosse et moi plus du nord.<br />
Parlez-nous des thématiques de vos morceaux.<br />
Lorsque l’on regarde simplement les titres, elles<br />
paraissent assez sombres et en rapport au corps<br />
humain.<br />
Lauren : Pour Under The Tide, je pensais à ces<br />
documentaires où l’on peut observer les vagues, leur<br />
mouvement et l’écume par en dessous, tout paraît<br />
plus calme, comparé à ce qu’on peut ressentir lorsque<br />
l’on est à la surface, remué par la houle. Par rapport<br />
au corps, j’ai réalisé après avoir fini l’album que l’on<br />
avait travaillé sur beaucoup de références aux<br />
membres, pour rendre l’impact ou l’émotion plus<br />
physique, je pense. Parler de choses que l’on ne peut<br />
pas vraiment voir comme les os et les rendre visible<br />
par la musique me fascine.<br />
Iain : On devrait peut être consulter un psy.<br />
Lauren : Oui, pourquoi suis-je inspirée par des<br />
jambes, des hanches ? Je ne sais pas. Mais c’est<br />
intéressant de voir comment les gens se<br />
réapproprient nos titres. The Mother We Share<br />
explore le thème de l’espoir ou son manque, mais<br />
cela ne parle pas de famille au sens propre. Les<br />
paroles sont plus dans l’impression que dans la<br />
narration d’une histoire particulière. Une fille nous a<br />
envoyé un mail pour en connaître son sens car elle<br />
comptait utiliser cette chanson pour danser avec son<br />
père à son mariage et nous étions vraiment surpris.
Nous étions partagés par un sentiment hyper touchant<br />
et en même temps la réalité qui est que ce n’est pas<br />
vraiment une chanson joyeuse pour danser avec son<br />
père. Il est question de désespoir, d’échec mais de la<br />
nécessite de continuer. Elle, semblait penser qu’il<br />
s’agissait de gens qui restaient unis malgré tout. Ce<br />
rapport à la différence entre plusieurs niveaux de<br />
lecture est génial. Il faut tout toujours laisser planer du<br />
mystère sur les chansons pour que chacun puisse en<br />
profiter comme il l’entend.<br />
Vous avez remixé Hurricane de MS MR, c’est un<br />
exercice qui vous plait particulièrement ?<br />
Lauren : C’est vraiment quelque chose de sympa à<br />
faire, s’amuser avec le travail de quelqu’un d’autre et<br />
faire quelque chose de différent. Comme une belle<br />
chaîne de créativité en se réappropriant une matière<br />
qui n’est pas la nôtre. Ca aussi, c’est une question de<br />
lecture ou de relecture !<br />
Martin : Si on est dans un studio en train de mixer et<br />
que quelqu’un nous suggère de remixer Speed<br />
Demon de Micheal Jackson, la première réaction est<br />
toujours « C’es complètement malade ». Puis, on le<br />
fait parce qu’on réalise qu’il est important de ne pas<br />
avoir peur d’explorer les morceaux, ne pas les<br />
considérer comme trop précieux ou intouchables.<br />
Nous faisons aussi des DJ set, sous deux formes, la<br />
première exclusivement électro, la seconde consiste<br />
seulement à faire danser le public jusqu’au petit matin.<br />
Chacun d’entre nous s’en charge. Lauren mixe surtout<br />
dans les soirées les plus importantes, moi, je<br />
commence à prendre ce jeu au sérieux maintenant, si<br />
je n’étais pas un musicien je serai DJ. C’est nul sur le<br />
papier mais je gagnerais plus d’argent, je crois.<br />
L’adjectif “démocratique” revient souvent dans vos<br />
interviews, par rapport à votre manière de travailler.<br />
Comment arrivez vous à surmonter les désaccords<br />
pouvant survenir quand il faut composer de la<br />
musique à trois ?<br />
Martin : La démocratie c’est se battre pour ses idées.<br />
Tout le monde a son mot à dire, chaque jour, mettre<br />
en avant des arguments, des raisons, la discussion en<br />
studio est fondamentale. Si il y a un problème mais<br />
qu’il est vite oublié, on n’y revient pas. On essaie. En<br />
revanche, si des doutes persistent, on prend le temps<br />
qu’il faut pour les mettre à plat et avancer, à trois.<br />
Lauren : C’est une question de respect et de<br />
confiance mutuelle, je crois. Un partenariat divisé<br />
entre le travail et l’amitié crée une vraie dynamique.<br />
Bien sûr on se dispute à 5h du matin à l’aéroport, en<br />
studio, en voiture, partout mais quand il s’agit de<br />
choses vraiment sérieuses, qui touchent au fond de la<br />
musique, à sa forme, on prend le temps de réfléchir.<br />
Encore plus lorsque nous prenons du recul sur ce que<br />
nous avons vécu depuis quelque temps, il faut être<br />
sûr que nous nous sentions à l’aise dans le groupe,<br />
chacun à sa place. Les écossais ont la réputation de<br />
communiquer, de beaucoup exprimer leurs<br />
sentiments. Cela se ressent à travers notre groupe.<br />
Pur sarcasme, vous l’avez compris.<br />
Martin : Les écossais expriment leur sentiment une<br />
fois tous les 9 mois théoriquement.<br />
Iain : Cela se passe souvent dans un bar d’ailleurs.<br />
Un type s’enflamme devant son meilleur pote « I really<br />
love you man, I would use a fucking for you » et le<br />
lendemain matin c’est oublié. Jusqu’à une nouvelle<br />
démonstration d’amitié…<br />
Martin : 9 mois plus tard.<br />
Lauren : Pourquoi ai je choisi d’être dans ce groupe,<br />
avec ces deux mecs ?<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Traduction : Alice De Jode<br />
Photos : Justine Tellier, pour Crumb magazine
PHOTO<br />
Interview publiée le<br />
Choisir comme nom “Photo” lorsqu’on est un groupe de musique est un pari risqué. Un choix audacieux,<br />
pour mieux traduire, peut-être, l’influence esthétique et graphique des textes du groupe et l’imagerie<br />
visuelle qui s’en dégage. Photo c’est Antoine et Augustin, deux frères passionnés de musique, qui, par<br />
leur rencontre avec Théo et Pascal ont su mettre à profit l’étendue de leur talent. Une complémentarité<br />
musicale totale qui donne à ce groupe l’un des cachets les plus prometteurs de la scène French Touch.
Vous avez commencé la musique par la formation<br />
d’un autre groupe, les Racing Seagulls…<br />
Antoine : Oui mais ça remonte à loin ! Au départ cela<br />
fait 4-5 ans que l’on joue ensemble, avec divers<br />
musiciens. On a essayé de trouver notre univers mais<br />
c’est seulement quand Pascal est arrivé (le bassiste,<br />
ndlr), que cela a fait une vraie différence. Quelque<br />
part on a l’impression d’avoir mûris pendant cette<br />
première période, de s’être trouvé musicalement. Mais<br />
il n’y a pas grand-chose de passionnant à dire sur nos<br />
anciens groupes<br />
Augustin : Il n’empêche que ces formations nous ont<br />
appris à jouer ensemble, à se connaître musicalement<br />
mais par rapport aux projets que l’on fait aujourd’hui,<br />
par rapport à PHOTO, il n’y a pas de lien direct, ni de<br />
vraie influence.<br />
Il y a dans votre rapport à la musique quelque chose<br />
de très personnel, que vous explorez depuis<br />
longtemps…<br />
Augustin : Antoine et moi, on ne vient pas vraiment<br />
d’une famille où la musique est importante, mais c’est<br />
vrai que très jeunes on s’est retrouvés là-dedans.<br />
C’est plutôt une démarche personnelle, autodidacte et<br />
je pense que ce qui fait notre originalité musicale c’est<br />
qu’aucun d’entre nous n’as appris à jouer d’un<br />
instrument dans un schéma classique. A l’âge de<br />
quinze ans, je savais que je voulais être musicien et<br />
j’ai entrainé Antoine avec moi là-dedans…<br />
Antoine : Je suis arrivé, pour ma part, à la musique,<br />
par des chemins de traverse (le théâtre, le cinéma,<br />
ndlr). J’ai mis plus de temps à me focaliser sur<br />
certains domaines. Et puis j’ai été reçu dans une<br />
école prestigieuse de cinéma (l’INSAS, ndlr), en<br />
Belgique, pour des études. Je ne pouvais pas passer<br />
à côté de cette opportunité. On commençait à mettre<br />
en place quelques créations, j’ai dit aux garçons « Ne<br />
vous arrêtez pas pour moi, j’en ai pour 5 ans, trouvez<br />
un autre chanteur », et la réponse a été unanime :<br />
Hors de question. Ils sont venus me rejoindre en<br />
Belgique et l’on a vécu tous ensemble. Ce qui est<br />
assez dingue d’ailleurs. C’est ce genre de choses qui<br />
a fait que ce groupe est aujourd’hui incassable. Et<br />
puis, je ne sais pas si tu connais la Belgique, mais ce<br />
n’est quand même pas Hawaï. Ils n’étaient pas<br />
obligés de me suivre. On a loué là-bas une maison<br />
immense pour le prix d’une chambre de bonne à<br />
Paris. On y jouait toute la nuit. Il y a une relation à<br />
l’espace et au voisinage totalement différente d’ici. Et<br />
les gens aiment vraiment la musique. Est-ce que dans<br />
l’interview, tu peux peut mettre « États- Unis » à la<br />
place de Belgique, peut-être, non ?… (Rires).<br />
En fait, vous ne seriez pas allé en Belgique, il n’y<br />
aurait pas eu de vraie émulation au sein de PHOTO ?<br />
Théo : On ne peut pas vraiment répondre. En tout<br />
cas, je ne pense pas. Mais c’est vrai que se retrouver<br />
tous ensemble nous a aidé à apprendre à mieux se<br />
connaitre et à faire naitre un langage commun.<br />
Aujourd’hui, on arrive vraiment à se comprendre. On a<br />
su créer notre bulle.<br />
Antoine : En Belgique, on répétait tous les jours et je<br />
crois que c’est une phrase de Kurt Cobain qui dit, «Un<br />
groupe sérieux doit répéter au moins 4 fois par<br />
semaine», le temps de trouver son propre style, de se<br />
chercher. Je crois que c’est vrai. Si l’on avait eu<br />
qu’une seule répétition par semaine, dans un grand<br />
studio parisien, avec 2 heures pour jouer, nous<br />
n’aurions pas eu le temps de chercher des choses ni<br />
même de nous planter. Je pense au travail de la voix<br />
notamment. A force de s’enregistrer, d’essayer, tu<br />
trouves une voix, un timbre qui te semble être le tien<br />
et tu essaies de le traiter de telle ou telle manière,<br />
mais cela prend du temps et tu ne peux pas le faire en<br />
ne répétant que 2 heures par semaine.<br />
Théo : Pour nous, le son a une vraie importance. On<br />
le place au-dessus de la technique. Donc il est vrai<br />
qu’avoir eu la possibilité de répéter 7 jours sur 7, nous<br />
a permis de vraiment maitriser notre travail.<br />
Après l’arrivée de Pascal, il y a eu un temps<br />
d’adaptation ?<br />
Antoine : Pascal (qui n’est pas encore arrivée à ce<br />
moment de l’interview, ndlr) a toujours eu une manière<br />
très particulière de jouer, c’est quelqu’un de très<br />
mélomane. Beaucoup plus que ce que l’on pourrait<br />
attendre d’un bassiste qui se contenterait de suivre la<br />
ligne de basse. Lui, apporte quelque chose de très<br />
travaillé. On pourrait avoir, c’est vrai, un bassiste plus<br />
simple qui ne nous poserait pas de problèmes et s’en<br />
contenter, mais les problèmes que nous pose Pascal<br />
enrichissent toujours d’une manière ou d’une autre<br />
nos compositions. D’ailleurs, si vous avez l’occasion<br />
de tendre l’oreille vers ce qu’il fait, il a des lignes de<br />
basse très particulières, avec un style bien à lui. Il a<br />
vraiment trouvé sa place et affirmé son style.<br />
Augustin : Le groupe est devenu vachement plus rock<br />
à une période et c’est beaucoup grâce à lui. C’est un<br />
excellent mélodiste. Il a libéré les autres instruments<br />
qui étaient un petit peu frustré par le manque de<br />
basse. Ca a, du coup, épanoui le groupe et a permis à<br />
chacun de se concentrer sur son propre instrument.<br />
(Un temps) finalement, je me dis que l’on a toujours<br />
eu de la chance dans notre cheminement artistique.<br />
Je ne parle pas en termes de contrat ni de réussite,<br />
mais par exemple l’arrivée de Pascal, ce genre de<br />
chose… Ou le fait que tout se passe bien en Belgique.<br />
Sans chercher de bassiste, on en a trouvé un, très<br />
bon, au bon moment !<br />
Antoine : Nous sommes nous quatre, en perpétuel<br />
mouvement d’adaptation. On aime la musique qui<br />
parle aux gens. Donc à chaque fois qu’un morceau<br />
nous parait trop compliqué, on essaie de le<br />
retravailler. Un message simple en somme, pas trop<br />
long, mais profond, qui va vite à l’essentiel, à<br />
l’évidence. On ne cherche pas à faire des choses<br />
extraordinaires. Tout le monde pourrait faire ce que<br />
l’on fait mais personne ne le fait !<br />
Théo : Au début surtout, juste après nos premiers<br />
concerts, on centrait nos compositions sur ce qui<br />
plaisait ou non au public. On est encore aujourd’hui en
train de se remettre en question. Même si l’on est<br />
parfaitement convaincu de notre démarche artistique,<br />
on vit notre aventure à cinq : nous quatre et le public !<br />
La femme de notre bassiste filme la plupart des<br />
concerts et cela nous permet vraiment de nous mettre<br />
face à face, de regarder les détails à améliorer, les<br />
choses qui ne fonctionnent pas…<br />
Donc chaque concert est différent ?<br />
Théo : Chaque concert diffère parce qu’après chaque<br />
remise en question, on essaie de mettre en forme un<br />
espèce de «savant mélange musical», de manière à<br />
ce qu’à chaque fois le public soit réceptif de façon<br />
différente.<br />
Antoine : Ce n’est ni prétentieux ni populiste. On n’a<br />
pas la vanité de se retrouver face à un public qui ne<br />
s’amuserait pas, on le prend donc en considération.<br />
Et puis sur scène, on essaie de ne pas s’enfermer<br />
dans une bulle, mais d’être véritablement présent et<br />
de s’amuser. Ne serait que pour moi, qui chante, être<br />
face au public, les yeux ouverts et regarder les gens,<br />
c’est quelque chose qui frappe, qui fait toute la<br />
différence, par rapport à un chanteur qui fait semblant<br />
d’être aveuglé ! Je crois savoir que tu fais du théâtre,<br />
alors tu dois connaître cela…<br />
Absolument ! Donc, en quelque sorte, pour résumer,<br />
vous faites de la musique participative ?<br />
Antoine : C’est un peu ça, oui ! Pour nous, avoir une<br />
démarche qui tient compte du public, c’est avoir une<br />
vraie démarche d’artiste. Un artiste qui se parle à luimême,<br />
que ce soit en sculpture, en peinture ou au<br />
cinéma, cela peut être très beau mais ça reste stérile.<br />
Est-ce que cette manière de vouloir à tout prix tenir<br />
compte du public n’enlève pas un peu de spontanéité<br />
à votre travail ?<br />
Augustin : Non, je ne pense pas. Si on sent que le<br />
public décroche, on se regarde, on est à l’écoute, on<br />
décide d’adapter l’interprétation à ce que le public<br />
aime. C’est une remise en question sur scène, il n’y a<br />
rien de figé. C’est d’autant plus spontané que l’on est<br />
réellement intéressé par le procédé chimique qui fera<br />
que tel ou tel morceau va plaire ou non à un moment<br />
donné.<br />
Augustin, tu parlais toute à l’heure d’une période<br />
plutôt rock. Puis vous avez dérivé vers la pop. Vous<br />
êtes à quelle frontière aujourd’hui entre les deux ?<br />
Augustin : Sur une frontière électro rock !<br />
Pascal (qui vient d’arriver) : Mais cela se voit<br />
davantage en live que sur ce que l’on propose à<br />
l’écoute sur notre MySpace actuellement.<br />
Augustin : Le truc c’est qu’on évolue très vite. Quand<br />
on enregistre, qu’on se réécoute quatre mois après,<br />
on a envie de passer à autre chose. Ce n’est pas de<br />
l’autocritique, mais une vraie recherche d’évolution. Et<br />
l’avantage aussi de n’avoir pas signé avec un label,<br />
c’est que cela nous laisse le temps de changer, de<br />
bouger, de prendre d’autres orientations. Et on<br />
expérimente cela en live.<br />
Vous pensez d’abord au live avant de composer ?<br />
Théo : Oui. Je pense que l’avenir de la musique, en<br />
tout cas à l’heure actuelle, se joue sur le live. Et puis,<br />
il y a un vrai plaisir personnel…<br />
Il y a un rapport esthétique assez important dans le<br />
groupe. Antoine, tu as fait des études<br />
cinématographiques, avec sans doute, une certaine<br />
influence. C’est toi qui écris les textes ?<br />
Antoine : Moi et ma femme. Oui, je suis marié, tu n’es<br />
pas obligé de le mettre dans l’interview !<br />
Comment travailles-tu pour reproduire tes influences<br />
graphiques dans les textes ?<br />
Antoine : Tu as senti une influence graphique dans les<br />
textes ?<br />
Oui !<br />
Antoine : C’est génial, parce que les gens n’écoutent<br />
généralement pas les paroles. Dans la construction,<br />
cela dépend. Par exemple, pour Big, on est parti de<br />
Max et les Maxi monstres, d’une esthétique enfantine,<br />
un espèce de rêve-cauchemar. Il n’y a pas de<br />
référence de film pour chaque morceau mais<br />
l’élaboration d’un univers cinématographique imagé.<br />
Si l’on sent des références, elles ne sont pas<br />
forcément conscientes donc ?<br />
Antoine : Exactement. Et comme j’écris en anglais et<br />
que je n’ai pas vraiment de référence littéraire –<br />
même si je comprends tout ce que j’écris hein (rires),<br />
j’ai des références visuelles. C’est aussi pour cela que<br />
l’on s’appelle PHOTO. Il y a l’image, la lumière, un<br />
langage simple, minimaliste, universel.<br />
Sur scène, est-ce que cela se traduit par un<br />
esthétisme particulier ?<br />
Antoine : Pas pour le moment. Nous n’avons ni les<br />
moyens ni le public pour. On a joué dans plein de<br />
petites salles parisiennes, mettre en place une vraie<br />
mise en scène déshumaniserait le concert. Et puis<br />
comme on a mis pas mal de temps à trouver notre<br />
son, nous n’avons pas vraiment défini l’esthétique<br />
graphique du groupe. On teste des trucs. Et comme le<br />
son bouge très vite, c’est assez difficile de suivre<br />
l’image. Mais dans un avenir riche et célèbre, on fera<br />
des shows à la Madonna !<br />
Pour finir, un titre que vous écoutez en ce moment,<br />
que vous aimez particulièrement ?<br />
Antoine : Lady Dada’s Nightmare, MGMT<br />
Pascal : Wax Simulacra, The Mars Volta<br />
Théo : The Rip, Portishead<br />
Augustin : Et moi ? Myxomatosis, de Radiohead<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié
CHARLOTTE OC<br />
Interview publiée le 6 mars 2015<br />
Il y a quelques mois, on vous parlait de Charlotte OC,<br />
jeune anglaise de 24 ans, qui débute sa deuxième vie<br />
dans l’industrie musicale. Burning, son nouvel EP,<br />
sort aujourd’hui. Passée par Paris en novembre<br />
dernier pour le Pitchfork Music Festival, Charlotte OC<br />
est revenue dans la capitale française soutenir The<br />
Avener, lors d’un enregistrement pour la télévision.<br />
L’occasion pour nous de rencontrer cette artiste et<br />
d’en savoir plus sur elle et sur son univers, à quelques<br />
heures de son retour en Angleterre.<br />
Le dédale d’Universal, dans le Vème arrondissement<br />
de Paris. Il est bientôt l’heure de déjeuner et je n’ai<br />
que vingt minutes pour faire connaissance avec<br />
Charlotte OC. Alors que je parcours les nombreux<br />
couloirs et escaliers du label, j’ai les yeux rivés sur<br />
mes notes. Il faut être efficace et aller vite me dit-on.<br />
Frustrant.<br />
Lorsque j’entre dans la salle de réunion, Charlotte OC<br />
vient de terminer une interview. Assise autour d’une<br />
grande table ronde, entourée de sièges mais<br />
complètement seule, elle illumine la pièce. Sourire aux<br />
lèvres, elle accepte le café qu’on lui tend et me lance<br />
un « Salut ». Longs cheveux couleur corbeau<br />
parfaitement lissés, visage angélique, regard rieur, la<br />
jeune artiste impose par sa présence. Elle me tend<br />
une poignée de main délicate.<br />
“Je suis à Paris pour quelques jours. Je travaille avec<br />
The Avener. On a enregistré l’émission C à vous,<br />
explique t-elle.” Le DJ français et l’artiste anglaise ont<br />
été mis en relation par leur label. The Avener avait<br />
besoin d’une chanteuse pour l’émission de France 5 –<br />
le morceau est, à l’origine, interprété par Phoebe<br />
Killdeer and The Short Straws – et le label a suggéré<br />
Charlotte. “On a fait quelques répétitions et puis on a<br />
filmé. C’était vraiment sympa comme moment, surtout<br />
que c’était ma première collaboration avec un autre<br />
artiste.” Le résultat : une interprétation habitée sur le<br />
plateau d’Anne-Sophie Lapix. The Avener et Charlotte<br />
OC se sont totalement approprié le morceau de<br />
Phoebe Killder, lui donnant une dimension plus<br />
électro, presque mystique.<br />
Flashback.<br />
Charlotte O’Connor est à peine majeure et vient de<br />
signer avec le label Columbia. Elle enregistre un<br />
premier album, For Kenny. Il ne sera jamais<br />
commercialisé. A l’évocation de ce premier essai, elle<br />
sourit. Elle garde une certaine bienveillance à l’égard<br />
de cette expérience musicale, sponsorisée par<br />
Quiksilver - On peut la voir sur des vidéos<br />
d’événements de la marque de surf interpréter.<br />
Elle a déjà cette voix, cette présence magnétique sur<br />
scène. Mais le style est différent. Alors que la<br />
Charlotte de ces vieilles vidéos adopte un style de<br />
plage, short en jean, tee-shirt loose et cheveux<br />
ondulés, la Charlotte 2.0 a grandi – au même titre que<br />
son style musical - le noir est devenu sa couleur<br />
préférée et un aura mystique émane d’elle. Une sorte<br />
de personnage entre l’univers de Tim Burton et la<br />
Famille Addams. Attention quand même, de ne pas<br />
me faire ensorceler.
Tu as écrit et composé For Kenny, ton premier album,<br />
très jeune. Il est aussi très différent de ce que tu fais<br />
maintenant. As-tu eu une liberté artistique pour<br />
l’écriture des morceaux ?<br />
Charlotte OC : J’ai été signée par Columbia après un<br />
événement Quiksilver. J’ai beaucoup travaillé avec la<br />
marque et je pensais que j’étais influencée par tout<br />
cet univers lié à l’eau et à la plage. Je le trouvais très<br />
romantique. Alors que je n’ai pas du tout grandi dans<br />
cet univers là. Avec le recul, je pense que c’était un<br />
peu comme une parenthèse dans ma vie : c’était plus<br />
une vie que je voulais, pas forcément celle que j’avais<br />
ni même ce que j’étais. Je déteste la mer ! J’ai la<br />
phobie des poissons mais j’étais sponsorisée par une<br />
maque de surf, c’est comme cela. Ça n’a pas vraiment<br />
de sens. J’ai grandi dans une ville industrielle –<br />
Blackburn, au Royaume-Uni – un peu sombre et<br />
sinistre. C’est à peu près ce que je suis maintenant<br />
d’ailleurs.<br />
Quel regard portes-tu sur For Kenny, aujourd’hui ?<br />
J’étais une gamine et je m’amusais beaucoup ! J’ai<br />
vraiment eu beaucoup de chance de pouvoir<br />
expérimenter tout ça. Je pense que tout le monde<br />
devrait faire un très mauvais album et ne pas le sortir,<br />
pour pouvoir apprendre et faire mieux après ! Tout le<br />
monde devrait passer par ce schéma : être signé, être<br />
viré.<br />
Qu’est-ce que tu as fais après avoir été lâchée par ton<br />
label ?<br />
J’ai pris deux années Off et j’ai embrassé beaucoup<br />
de garçons ! J’ai expérimenté pas mal de trucs, j’ai fait<br />
la fête, je me suis levée tard, j’ai voyagé à Berlin, et<br />
dans d’autres villes. Je voulais juste être une jeune<br />
fille. Quand j’avais 16 ans, je vivais dans des<br />
chambres d’hôtel. C’est bizarre de vivre ça à cet âge.<br />
Chanter, c’est un job, un business. C’est sympa d’être<br />
dans un studio et d’écrire de la musique. Mais tu le<br />
fais avec des hommes qui ont la cinquantaine, alors<br />
que tu es une adolescente. On n’avait pas vraiment<br />
les mêmes goûts musicaux. J’avais besoin de ces<br />
deux ans pour devenir une jeune fille. Au moins le<br />
redevenir. ! Pour m’amuser, avoir le coeur brisé.<br />
A quel moment t’es-tu remis à la musique ?<br />
En janvier 2012, je me suis envolée pour Los Angeles<br />
et j’ai commencé à travailler avec Tim Anderson. On a<br />
écrit “Color My Heart” et “Hangover” ensemble. Je<br />
revenais tout juste de Berlin. J’étais toujours dans<br />
l’esprit de la ville, de ce que j’avais expérimenté làbas<br />
et de la musique que j’avais entendue. Je crois<br />
que c’est la première fois de ma vie que quelque<br />
chose me touchait autant et j’avais besoin de le dire…<br />
J’étais au Berghain (club berlinois, ndlr) et il y avait un<br />
remix techno de Bon Iver. Le club a une ambiance<br />
d’étrange église. Il y a une atmosphère très religieuse.<br />
Il n’y a pas d’horloge, tu ne sais jamais quelle heure il<br />
est. Tu es juste là pour passer le meilleur moment de<br />
ta vie. Là-bas, j’ai entendu des musiques incroyables.<br />
J’ai été très touchée et émue de ces sensations et<br />
j’avais besoin d’en dire quelque chose. Donc quand je<br />
suis arrivée à L.A, j’ai raconté à Tim ce que j’avais<br />
vécu et il m’a dit qu’il fallait que l’on fasse de la<br />
musique ensemble. Il a très bien compris ce que<br />
j’avais à dire. Il est la première personne avec laquelle<br />
j’ai écrit aux États-Unis et ça a instantanément<br />
marché !<br />
Les morceaux de tes deux EPs – Strange et Color My<br />
Heart – semblent assez personnels… Qu’est-ce qui<br />
t’inspire ?<br />
Certains morceaux sont à propos de moi et d’autres<br />
ne le sont pas. “Hangover” est à propos de quelque<br />
chose dont je ne parlerai jamais et que je ne veux pas<br />
expliquer. Mais ce n’est pas à propos de boire de<br />
l’alcool, on pourrait penser que ça parle de ça. Enfin<br />
si, la chanson parle d’alcool mais pas de Love<br />
Hangover. C’est un peu plus sombre. “Color My<br />
Heart” parle de ma soeur. Elle était en train de<br />
divorcer. Quand j’ai écrit cette chanson, je savais<br />
qu’elle aimait encore ce type alors qu’il n’était pas très<br />
sympa avec elle. Cette chanson est une sorte de<br />
prière que je voulais lui adresser.<br />
Quelle genre de musique écoutes-tu ?<br />
Leonard Cohen, Talking Heads, Aretha Franklin,<br />
Roberta Flack, entre autres. Mon père écoutait<br />
beaucoup de Folk et ma mère beaucoup de Soul. Je<br />
pense que c’est ce qui m’a le plus influencé quand j’ai<br />
commencé à jouer de la guitare à 15 ans. J’ai pris des<br />
cours pendant deux ou trois mois. Je ne voulais pas<br />
en apprendre trop. Je voulais travailler avec le<br />
minimum syndical et voir ce que je pouvais créer à<br />
partir de ça. C’est un vrai challenge. Quand tu es ado,<br />
tu veux toujours te rendre la vie plus compliquée.<br />
J’ai lu quelque part que tu avais passé deux ans avec<br />
ta mère, dans son salon de coiffure. C’est vrai ?<br />
Oui mais j’ai tenu une semaine ! Je n’étais pas très<br />
sympa avec les clients. Je lavais les cheveux de ces<br />
gens alors que je voulais juste faire de la musique. Je<br />
n’aimais pas trop que l’on me dise ce que je devais<br />
faire aussi. Donc oui, je ne suis pas restée très<br />
longtemps, jusqu’à ce que ma propre mère me mette<br />
à la porte ! Quand j’étais plus jeune, j’étais fascinée<br />
par ma mère ! Elle est toujours l’être humain le plus<br />
incroyable que je connaisse mais je voulais être<br />
comme elle. Je la trouvais tellement belle, je voulais<br />
faire de la coiffure pour lui ressembler ! Je pense que<br />
ce qui m’intéressait dans la coiffure, c’était le fait de<br />
créer quelque chose.<br />
Ton premier album en tant que “Charlotte OC” n’est<br />
pas encore sorti. A quoi peut-on s’attendre ?<br />
C’est difficile à dire parce que je suis toujours en train<br />
d’écrire des chansons. J’ai encore beaucoup de<br />
choses à dire. J’espère que l’écriture sera terminée<br />
d’ici septembre. Mais on ne peut jamais prévoir à<br />
l’avance. Pour le son, je ne sais pas comment<br />
l’expliquer mais je ne veux pas trop de production<br />
lourde. Je veux que ma voix soit l’élément principal<br />
des morceaux et qu’il y ait autour d’elle de petits<br />
éléments, comme les cordes sur “Color My Heart”.<br />
J’ai hâte.<br />
Propos recueillis par Arièle Bonte<br />
.
TWIN TWIN<br />
Interview publiée le 24 novembre 2013<br />
Souvent la frontière peut s’avérer bien étroite entre l’hypnotique et le fun, l’envoûtant et le débordement.<br />
Avec les Twin Twin, nouveaux héros d’un slam-pop à la française, cela ne tient qu’au talent. Hip-hop,<br />
hyperactifs, bariolés mais surtout particulièrement généreux dans leur travail, l’exploration d’univers variés<br />
et la création d’une musique graphique aux couleurs uniques, le trio est le groupe français le plus<br />
incontrôlable et déroutant de l’année. Leur premier « vrai » album, comme ils disent,Vive La Vie, sorti ce<br />
mois, les raconte. Mais qui sont-ils donc ?<br />
Questions fleuves et réponses croisées.<br />
Commençons par le tout début. Votre rencontre et<br />
votre amitié. Cela me semble capital dans l’histoire du<br />
groupe. D’ailleurs, certaines légendes urbaines<br />
racontent qu’alors que vous aviez monté le groupe<br />
Chimère – Lorent et François – vous avez trouvé<br />
Patrick qui faisait du beatbox dans une cave…<br />
Patrick : Alors, je tiens à démentir cette information<br />
(rires). Pour être honnête, j’ai intégré Chimère en fin<br />
de vie. Le hasard a voulu qu’au moment où je<br />
cherchais un endroit où me loger, j’ai rencontré Lorent<br />
et François qui avaient une maison à Montreuil. J’y ai<br />
emménagé en même temps qu’ils me proposaient de<br />
bosser avec eux. Nous souhaitions quelque part tous<br />
évoluer et passer à une autre forme de musique…<br />
Et ça a collé tout de suite ?<br />
François : Oui ! Parce qu’il a fait des travaux dans la<br />
maison (rires).<br />
Patrick : En plus il y avait une cheminée ! François<br />
était le seul à répéter qu’il fallait aller chercher du bois.<br />
On ne l’a jamais trop écouté jusqu’à l’arrivée de<br />
l’hiver. Là, tout le monde était motivé pour aller en<br />
chercher !<br />
Lorent : C’est l’histoire vraie. Il y avait pas mal<br />
d’autres artistes, c’était une vraie communauté.<br />
Chacun faisait sa musique, ses photos, ses images.<br />
On travaillait sans cesse, ça nous a soudé. C’est ce<br />
qui a fait naître l’amitié avant même le projet.<br />
Qui s’est fait dans la bricole…<br />
Lorent : Complètement ! A l’époque, mon frère faisait<br />
de la basse et j’écrivais des textes dessus. Patrick<br />
faisait du beatbox. Petit à petit, on a trouvé ensemble<br />
un schéma qui fonctionnait, avec une boite à rythme,<br />
des gimmicks de synthé-samplé et des ajouts vocaux<br />
et notre style est né. Dans Vive La Vie, il y a ces<br />
détails, ces petits riens qui créent un univers. Nous<br />
n’avions rien mais nous faisions des concerts dans<br />
des squats. Il y en avait un mythique : le Cercle PAN,<br />
rue de Belleville où l’on a fait de très belles soirées…<br />
Vous êtes finalement un groupe qui est né du live…<br />
Ensemble : Totalement !<br />
Patrick : On a surtout beaucoup de choses à<br />
apprendre de l’autre monde, le studio.<br />
J’allais y venir. Quand on vit de la scène et que l’on<br />
en dégage autant d’énergie comment appréhendes t-<br />
on le travail en studio où tout est clos ?<br />
Lorent : C’est hyper-dur.<br />
Patrick : Désolé je te coupe mais il faut que je dise un<br />
truc. Je veux parler des textes, parce que Lorent vient
de parler du style musical du groupe mais si Twin<br />
Twin a une vraie valeur par rapport au texte, c’est<br />
grâce à lui. Il vient du slam, il a vraiment su simplifier<br />
l’écriture et mettre en valeur premier et second<br />
degrés.<br />
Lorent : (tout sourire) Merci ! Par rapport au studio,<br />
c’est vrai que retranscrire en audio l’énergie pure du<br />
live est impossible. On fait du bidouillage, des essais<br />
mais on n’est pas encore satisfaits.<br />
Patrick : C’est d’autant plus difficile qu’on fait un<br />
mélange de rock, d’électro et de Hip-Hop.<br />
François : Peut-être que la solution serait de ne sortir<br />
que des albums live (rires) !<br />
C’est un bon concept ! A l’origine de la formation du<br />
groupe donc et de la naissance du projet, vous ne<br />
pensiez pas du tout à l’album…<br />
Ensemble : Pas du tout !<br />
François : Les premiers morceaux que l’on a crée sont<br />
nés d’une situation maison. Patrick jouait un truc, je<br />
l’entendais, ça me donnait idée de mettre des lignes<br />
de basse dessus et Lorent d’écrire les textes. C’est<br />
comme ça qu’est née Vive La Vie, notre première<br />
chanson. On a d’ailleurs appelé l’album comme cela<br />
car c’est la première chanson que l’on a vraiment faite<br />
ensemble et celle avec laquelle on ouvre tous nos<br />
concerts…<br />
Lorent : Comme on avait pas mal de connaissances<br />
dans différents milieux : musique, squat, mode, on<br />
s’est très vite retrouvés à jouer dans pas mal<br />
d’endroits et à faire plein de dates mais l’album on n’y<br />
pensait pas du tout. D’ailleurs, maintenant quand j’y<br />
repense, je me demande pourquoi on l’a fait (rires).<br />
François : C’est vraiment une démarche spontanée.<br />
Ce qui est marrant d’ailleurs, c’est que l’on n’a jamais<br />
cherché à avoir une vraie structure de chanson. On<br />
faisait les trucs, à notre matière et c’était les gens qui<br />
nous disaient ce qu’il fallait changer…<br />
Le public a, en effet, vraiment eu une importance<br />
capitale pour vous. Au delà du live d’ailleurs, vous<br />
avez remporté plusieurs prix dont SFR Jeunes<br />
Talents et le FAIR…<br />
François : Oui. C’est arrivé assez vite et ça nous a<br />
pas mal aidé. C’était important et on en garde que des<br />
bons souvenirs. D’ailleurs, le FAIR nous a emmené en<br />
Colombie pendant une semaine, c’était génial !<br />
Patrick : J’ai fêté mon anniversaire dans l’avion !<br />
Quelle a été la réception du public colombien ?<br />
François : Énorme. Pour t’expliquer. Là-bas, il n’y a<br />
pas de train. L’équivalent du train ce sont de petits<br />
avions de ligne, même pour des trajets de 30 minutes<br />
car tout est montagneux et il y a peu de routes.<br />
Pendant qu’on jouait, des gens nous suivaient et<br />
prenaient l’avion, juste pour venir nous voir…<br />
Lorent : Les groupes internationaux ne vont pas y<br />
jouer car il n’y a pas d’économie suffisante. La grande<br />
star internationale, c’est Shakira. Du coup, quand on<br />
est arrivés, les gens étaient incroyables avec nous. Ils<br />
sont hyper friands de nouveautés et de découverte<br />
lorsque des groupes étrangers viennent jouer. C’était<br />
hyper « à l’ancienne ». Des gamins venaient nous voir<br />
à la fin des concerts pour nous dire « On voudrait les<br />
tablatures des morceaux, s’il vous plaît » (rires).<br />
François : Je pense que cela plairait vachement aux<br />
lecteurs de <strong>CRUMB</strong>. La ville de Bogota est un<br />
mélange de New-York et Berlin, avec du high-tech<br />
d’un côté, des tours recouvertes de graffitis de l’autre,<br />
à moitié détruites, à moitié modernes mais super<br />
vivantes…<br />
Ce sont ces prix qui vous ont aidé à signer chez<br />
Warner ?<br />
Lorent : Pas vraiment. Ca nous a évidemment aidé et<br />
apporté de la visibilité mais ce qui nous a amené chez<br />
Warner, c’est notre rencontre avec Nizard Bacar<br />
(Directeur Artistique, ndlr, membre de la chaîne<br />
Ofive). Il bossait dans le label à ce moment-là et il<br />
avait entendu parler de nous.<br />
François : Il y a quelque chose qui a attiré le regard<br />
des gens du métier, en revanche, c’est la tournée de 8<br />
dates Ricard Live Music que l’on a faite avec VV<br />
Brown et BB Brunes. C’était à chaque fois des dates<br />
de 20,000 personnes.<br />
Lorent : Et ensuite on a vachement tourné…<br />
François : On a fait un peu plus de 220 dates en une<br />
année et demie… Sans album !<br />
Lorent : L’album, ça a été la découverte d’un autre<br />
monde. Celui de la vente et des chiffres où les dates<br />
et les lives n’ont plus d’importance.<br />
Revenons sur le studio et l’album justement.<br />
Comment avez-vous travaillé ?<br />
François : On l’a pas mal taffé pendant notre tournée<br />
au départ. On n’avait pas le temps de se poser.<br />
Lorent : On a enregistré et maquetté avec un objectif<br />
de 12 titres mais on s’est vite rendu compte que l’on<br />
n’était pas satisfaits.<br />
Patrick : Cela rejoint ce que l’on disait au début. Nous<br />
ne sommes pas vraiment un groupe de studio.<br />
Lorent : On a longtemps discuté avec Warner. Eux<br />
aussi avaient des impératifs et des déceptions. Du<br />
coup, on a fait appel ensemble à deux producteurs,<br />
Ninja et Benjamin Constant. On a travaillé ensemble,<br />
dans leur studio de Montreuil. Ils nous ont apporté leur<br />
patte et leur expérience. Ils ont joué le rôle de<br />
magiciens. On a, je crois, crée un panel de tout ce<br />
qu’il est possible de faire. On a appris énormément.<br />
Cet album représente notre parcours, nos désirs, ce<br />
que l’on a n’a pas réussi à faire, nos succès, ce vers<br />
quoi on veut aller. Avec de l’inconnu, du travail, des<br />
erreurs. C’est un vrai premier album !<br />
Patrick : Même s’il a été dur à faire – on est passés<br />
par des phases où l’on était enfermés pendant 6<br />
semaines en studio, sans voir la lumière du jour – cet<br />
album c’est mon premier amour, je m’en souviendrais<br />
toute ma vie.<br />
Il y a souvent en France un frein social ou culturel<br />
face justement au côté « fun » que peuvent avoir<br />
certains artistes ou projets. Vous qui avez voyagé,<br />
vous avez senti une différence de perception par<br />
rapport aux publics étrangers ?<br />
Lorent : Totalement. Et c’est hyper intéressant. En<br />
Colombie par exemple, personne ne se pose de<br />
questions.<br />
Patrick : Je marchais dans les rues en leggings et les
meufs se retournaient en s’écriant « COOL » !<br />
Lorent : Au Canada aussi, tu peux te maquiller ou te<br />
promener nu, personne ne te calcule. Les gens<br />
comprennent le fun, ça fait partie de la culture.<br />
François : C’est parce qu’ils ont tellement froid qu’ils<br />
ont besoin d’avoir une autre vision de la vie (rires).<br />
Patrick : La France est un pays littéraire où il faut se<br />
justifier de tout et prendre le temps de tout expliquer.<br />
Or un artiste ne peut pas tout expliquer. Les<br />
démarches artistiques sont le plus souvent libres et<br />
spontanées.<br />
Je lisais récemment un article du Time, écrit par une<br />
dizaine de sociologues internationaux, qui disaient<br />
que les français ne sont jamais contents de rien,<br />
parce qu’ils ont tout et sont blazés.<br />
François : Exactement. Ici il y a moins de possible et<br />
tu es très vite jugé. Aux U.S, si tu montes un magasin<br />
de chaussettes et que tu fais faillite, tu peux monter<br />
dans la foulée une pizzeria, tout le monde<br />
t’encouragera. C’est ça l’Amérique (rires) !<br />
Patrick : Le poids de l’histoire joue beaucoup.<br />
Lorent : Ce que l’on voit de ce point de vue là dans la<br />
musique, si on analyse, ça se traduit par deux<br />
tendances. D’un côté le « Hardcore », avec des<br />
rappeurs comme Kaaris qui gueule « j’t’encule »<br />
toutes les 2 minutes – parce que les gens ont besoin<br />
d’un défouloir – et de l’autre des artistes hyper<br />
références type Stromaé qui ont tendance à rassurer,<br />
avec beaucoup de talent…<br />
Lorent, en parlant de ce besoin de « défouloir », avant<br />
les TWIN-TWIN, tu découvres le slam. Dans cet<br />
esprit-là ? Avec un besoin de dire des choses ? Par<br />
militantisme ?<br />
Lorent : Dans mon cas non.<br />
Patrick : En soi, faire de la musique c’est déjà militer.<br />
Lorent : Exactement. Le slam est venu à moi parce<br />
que je m’intéressais à l’écriture. J’avais déjà écrit un<br />
premier roman (Un nageur en plein ciel, ndlr) et j’avais<br />
besoin de partager quelque chose. A ce moment de<br />
ma vie, c’était une façon de se rencontrer. J’ai fait la<br />
connaissance de plein de gens importants du milieu<br />
underground, hyper actifs. Aller dire mon texte était<br />
presque anecdotique. L’idéal était d’être ensemble,<br />
dans un bar miteux, quel que soit les âges et de crée<br />
une utopie, quelque chose de vrai et puissant. En<br />
cela, oui, ça a un côté militant.<br />
Quelles ont été vos influences à chacun avant la<br />
formation des TWIN TWIN ?<br />
Patrick : Pour moi, c’était essentiellement du rap. Et<br />
quand j’ai eu 13 ans, je me suis mis au métal. Je<br />
kiffais énormément le côté « White Trash »,<br />
subversif…<br />
Lorent : C’est cool pour un renoi d’aimer le côté «<br />
White Trash » (rires) !<br />
Patrick : Non mais je te jure. Quand j’allais à des<br />
concerts de métal, les mecs me disaient « Qu’est-ce<br />
que tu fous là ? », « Bah je kiffe ! » (Rires).<br />
Lorent : Pour moi, c’était le rap aussi, forcément. Et<br />
puis, plus tard, de la chanson : Brassens, Boby<br />
Lapointe, je me rappelle encore des textes. Mais la<br />
vraie claque reste et restera l’album de Lunatic,<br />
Mauvais Œil.<br />
Patrick : Une époque que ceux qui écoutent 1995 (lire<br />
interview page 289) aujourd’hui ne comprendront<br />
jamais. C’était notre quotidien, le gris, la pluie. C’était<br />
nouveau, avec des flows complémentaires. Cet album<br />
reste le number one.vcfd force je crois. Et aussi, au<br />
delà de la musique, nous sommes intéressés par l’art,<br />
la création, la forme pure, graphique, cela rajoute<br />
quelque chose au groupe.<br />
François : Quand je te disais que lors du travail sur<br />
l’album, nous ne nous sommes pas posé de questions<br />
ni suivi une démarche construite, on faisait du dessin,<br />
en essayant de trouver quelle touche de ton il fallait<br />
que l’on mette pour donner telle couleur à la<br />
musique…<br />
Lorent : Et c’était la même chose en écriture. Les<br />
mots ont des valeurs rythmiques, bien plus que<br />
textuelles et le tout forme un schéma visuel qui<br />
accompagne les gimmicks. Finalement, on est un<br />
groupe graphique !<br />
Travaillez-vous déjà « graphiquement » sur le<br />
prochain album ?<br />
Patrick : Oui ! On est en train de tester pas mal de<br />
choses, à base de maquettes, de bouts de textes et<br />
d’idées. En essayant d’être encore plus rigoureux<br />
qu’avant.<br />
L’artiste que vous aimeriez interdire ?<br />
Patrick : Damien-Jean (rires).<br />
Lorent : Non, lui tu peux pas l’interdire, il s’interdit tout<br />
seul !<br />
François : Franchement ? Robin Thicke. Quand mes<br />
potes métalleux regardent le clip, ils tombent par terre<br />
de rire en pleurant tellement c’est pathétique.<br />
Lorent : Moi j’interdis Lady Gaga ! Tant qu’elle ne<br />
revient pas à quelque chose de sérieux. Il faut qu’elle<br />
arrête de prendre l’art contemporain pour un torchecul,<br />
qu’elle revienne à la musique, ce qu’elle sait faire.<br />
Même par rapport à Abramovic et ses performances,<br />
par rapport à l’engagement des artistes. Tout ce<br />
qu’elle a repris est vulgaire. Elle a institutionnalisé à<br />
elle seule ce système de reprises de références<br />
artistiques pour en faire un truc pourri ! En revanche,<br />
j’adorerais travailler avec KRAFTWERK. Je n’avais<br />
pas réalisé l’impact qu’ils ont eu sur l’époque<br />
aujourd’hui, avec leurs masques, leurs voix vocodées,<br />
etc. Ils étaient déjà en 2013, trente ans plus tôt.<br />
François : Totalement. Ils ont écrit la grammaire<br />
d’aujourd’hui.<br />
Patrick : Moi j’aimerais collaborer avec Booba, parce<br />
qu’il est moderne, dans l’apprentissage, les<br />
techniques, la carrière. Depuis dix ans, c’est l’un des<br />
seuls qui se maintient. Il plane au dessus des autres,<br />
chie un peu sur la tête de certains mais il a inventé<br />
son genre. Ou bien alors NTM mais il faudrait les<br />
ressortir de leur époque 90 !<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié.<br />
Photographie Enzo Addi.<br />
La photograhie illustrant cet interview est extraite d’un portfolio inédit du<br />
groupe, par Enzo Addi, publié lors d’une journée spéciale « Twin-Twin », le<br />
25 novembre 2013, (Assistant photo : Kamel Bentot, Stylisme, Edem Dossou,<br />
Assistante stylisme : Bénédicte).
HOLLYSIZ<br />
Interview publiée le 4 novembre 2013<br />
« My Name Is » est à la fois un premier album et un album de la maturité. Pensé et élaboré pendant plus<br />
de cinq années et porté par des collaborations multiples et prestigieuses, il matérialise l’entrée de Cécile<br />
Cassel dans le monde de la musique. Ce n’est pas un double qu’elle convoque alors mais bien une<br />
identité nouvelle. Cécile Cassel choisit de s’affirmer avec ses codes graphiques, musicaux et un nouveau<br />
nom, piquant et à son image. Rencontre à la croisée des arts.<br />
Pourquoi as-tu choisi le nom Hollysiz ? Qu’est ce qu’il<br />
veut dire pour toi ?<br />
Déjà c’est le diminutif de mon petit surnom qui est Siz<br />
depuis longtemps. Mes amis m’appellent comme ça.<br />
J’avais donc vraiment envie qu’il soit présent dans le<br />
nom et Holly c’est plusieurs choses. En anglais c’est<br />
le houx et c’est une plante qui est rouge et qui pique<br />
donc ça me plaisait bien par rapport au projet vu qu’il<br />
y avait déjà cette dominante rouge. C’est aussi un<br />
personnage de La Balade Sauvage de Terrence<br />
Malick, qui a inspiré une chanson de l’album. Je<br />
trouvais que cela sonnait bien. J’aime bien le côté<br />
doux et ciselé en même temps.<br />
C’est un changement d’identité ?<br />
Presque. C’est une manière de changer d’identité<br />
pour se rapprocher encore plus de soi. Quand on<br />
pense aux supers-héros des comics, ils mettent une<br />
cape pour se rapprocher de ce qu’ils sont<br />
profondément. C’est un peu ça, mettre une cape pour<br />
faire des choses que je n’osais pas faire avant.<br />
Comme quoi ?<br />
La musique, tout bêtement. Le fait d’avoir fait le choix<br />
de l’anglais fait d’ailleurs partie de la même démarche,<br />
une manière pudique de parler de choses dont je<br />
n’aurai pas osé parler en français. C’est comme<br />
mettre un espèce de filtre pour pouvoir dire des<br />
choses personnelles, tout en restant proche de mon<br />
identité.<br />
Du coup, la musique c’était une évidence ?<br />
Ca a toujours été présent. Je fais de la musique<br />
depuis toujours, j’écris des textes qui au départ étaient<br />
des poèmes, des nouvelles, pour moi. Et puis un jour<br />
il a fallu que j’officialise un peu tout. Ca a pris du<br />
temps. Cet album, c’est justement l’officialisation que<br />
je n’osais pas vraiment faire.<br />
Tu as fait beaucoup de scène avant d’enregistrer.<br />
L’album est nourri de ça ?<br />
C’est un mélange de mes textes très personnels avec<br />
l’envie de faire de la musique qui marcherait pour la<br />
scène. Lorsque j’ai fait des premières parties, j’ai<br />
réécrit totalement des morceaux en sortant de scène<br />
parce que d’un coup je me disais “ça marche pas<br />
comme j’en ai envie”. La scène a imprégné l’album de<br />
partout. Le studio aussi. J’ai eu cependant la chance<br />
de faire ce disque sans pression, parce que personne<br />
ne le savait, personne ne m’attendait. Ca m’a permis<br />
de réfléchir, retravailler, prendre le temps juste par<br />
plaisir de faire de la musique, mélanger et au final de<br />
faire quelque chose qui me paraissait cohérent parce<br />
que d’un coup j’y retrouvais tout ce qui me plaisait.
Tu dis que personne ne le savait mais tu as quand<br />
même eu de belles collaborations tout au long de<br />
l’album…<br />
Elles se sont faites assez naturellement en fait. J’ai<br />
pas mal travaillé en famille. Les filles de Brigitte pour<br />
ne citer qu’elles, par exemple, sont des amis de très<br />
longue date. Aurélie (la blonde, ndlr) est une de mes<br />
meilleures amies depuis quinze ans. Ours, (le fils<br />
d’Alain Souchon, ndlr) c’est pareil, ça fait des années<br />
que l’on se connait, un jour on a improvisé à la<br />
campagne sur ce qui est devenu Daisyduke. Pour<br />
Yodelice et Xavier Quo qui ont une identité propre,<br />
cela s’est fait un peu différemment. Jai rencontré<br />
Maxime (de Yodelice, ndlr) il y a quelques années. Il<br />
m’a entendu chanter à une soirée. Il m’a demandé ce<br />
que j’avais chanté. Je lui ai répondu “Une chanson à<br />
moi”. Il m’a proposé de passer à son studio. Je lui ai<br />
fait écouter des maquettes, qui étaient des trucs faits<br />
sur Garageband que je n’avais jamais fait écouter.<br />
D’un coup j’ai eu envie et confiance et voilà comment<br />
tout a commencé. Seuls ces gens étaient au courant<br />
finalement, mais sans eux, cet album n’aurait jamais<br />
existé.<br />
Tu parlais de ton envie de faire de la musique autour<br />
de toi ?<br />
J’ai fait venir le noyau dur des gens qui m’entourent<br />
dans les premières parties, quand je jouais dans les<br />
bars, etc mais je ne l’ai jamais trop ramené non plus.<br />
Cela s’est fait doucement. Et puis, ça me faisait plutôt<br />
marrer parce que quand quelqu’un l’évoquait, c’était<br />
“Ouais, il paraît que tu prépares un album…”. Il y a eu<br />
plusieurs réactions. J’ai vu les gens suspicieux. C’était<br />
beaucoup plus sain de travailler comme ça, sans rien.<br />
L’univers graphique de l’album est très marquant, très<br />
cohérent. Qu’est-ce qu’il a déterminé pour toi<br />
musicalement ?<br />
Je n’ai pas d’explication mais depuis le tout début de<br />
ce projet j’ai cette obsession des rayures rouges et<br />
blanches qui est là. Le rouge est une couleur que je<br />
porte beaucoup, que j’ai toujours aimée. Dans la vie je<br />
suis assez cartésienne donc j’aime beaucoup les<br />
lignes, les diagonales, les perspectives, ce qui est<br />
graphique. J’ai beaucoup parlé de la verticalité mais<br />
c’est très bizarre, tout ça était très spontané en fait. Il<br />
y a quelques chose d’instinctif visuellement là-dedans.<br />
Tu as déterminé le track-listing de l’album selon cette<br />
métaphore graphique ?<br />
Le track-listing est presque ce qui a été le plus difficile<br />
à faire car il y a beaucoup d’univers qui se confrontent<br />
dans l’album, certaines chansons que l’on ne pouvait<br />
pas mettre l’une à côté de l’autre. Pour cette raison, il<br />
y a des chansons que j’ai mises de côté. Je me disais<br />
qu’il fallait une porte d’entrée et la chanson numéro 1,<br />
Better than Yesterday était une bonne porte d’entrée<br />
pour pouvoir au fur et à mesure aller vers des<br />
morceaux parfois plus exigents, qui demandent une<br />
écoute différente. The Fall par exemple est en plein<br />
milieu de l’album et dure cinq minutes. C’est un<br />
morceau très produit, je ne pouvais pas la mettre en<br />
numéro 2. Il faut le temps de rentrer dans un album.<br />
Ca été très difficile.<br />
Quels groupes (ou artistes) actuels t’inspirent ?<br />
Il y en a plein. Les gens qui m’ont influencé ? Ting<br />
Tings, LCD Sound System, Portishead dans un autre<br />
style ou encore Radiohead. Ce sont des groupes que<br />
j’ai énormément écouté. En ce moment j’adore ce que<br />
fait Disclosure (lire interview page 174), je suis<br />
vraiment épatée par leurs propositions, le fait qu’ils<br />
aient douze ans et demi et qu’ils soient des<br />
producteurs aussi dingues. J’adore AlunaGeorge<br />
aussi (lire interview page 36). Je regarde beaucoup<br />
tout ce qui se passe en Angleterre parce que j’ai<br />
toujours été beaucoup influencée par ce pays et sa<br />
culture et que j’y ai habité. Les renouveaux musicaux<br />
partent souvent de chez eux. Bon. Et je dois avouer<br />
un petit faible un peu moins pointu pour Bruno Mars.<br />
Voilà je l’ai dit. Il faut que j’arrête de faire la faux cul<br />
(Rires). Je n’adhère pas sur tout, j’aime moins les<br />
balades, mais je suis assez bluffée par son travail. Et<br />
je dois dire que ce que j’aime beaucoup c’est<br />
l’empreinte aussi d’un autre artiste, Mark Ronson dont<br />
j’aime le travail en tant que producteur et compositeur.<br />
On ressent une certaine mélancolie à l’écoute de<br />
certains titres.<br />
C’est une mélancolie que j’ai naturellement. Plus je<br />
parle de l’album et plus je me rends compte qu’il est<br />
très personnel. Le fait d’avoir écrit des textes<br />
mélancoliques et d’avoir mis dessus une énergie<br />
parfois très contradictoire, ce qui est le cas pour<br />
Come Back To Me, c’est assez ce que je suis. C’est à<br />
dire qu’il y a la première couche de l’énergie qu’on<br />
reçoit et qui rend optimiste et en deçà, une partie très<br />
sensible voire “soupe au lait” parfois, qui se traduit par<br />
une mélancolie qui vient peut-être de l’adolescence et<br />
qui est restée, cette espèce de truc qu’on peut avoir,<br />
où tout est terrible. Cette mélancolie-là, au lieu de la<br />
réduire en quelque chose qui pourrit la vie, j’ai voulu la<br />
transformer en une proposition artistique.<br />
Cela vaut aussi certainement pour ton parcours.<br />
Aujourd’hui il est à la croisée des arts. Qu’est-ce qui<br />
t’inspire en dehors de la musique ?<br />
Tout ! Dans le cinéma, Terrence Malick ! Parce qu’il a<br />
inspiré une des chansons, Daisyduke. Après je suis<br />
très alerte des oeuvres d’un vidéaste qui s’appelle<br />
Ange Lecchia, qui travaille beaucoup sur la lumière.<br />
La lumière me fascine beaucoup, d’ailleurs c’est pour<br />
ça que le clip de Come Back To Me est rempli de<br />
lumières très différentes. J’adore aussi Egon Schiele,<br />
les expressionnistes allemands. J’aime profondément<br />
Ingres et sa manière de travailler les peaux.<br />
L’inspiration est partout, chez les gens, elle est<br />
émotionnelle. J’ai entendu l’autre jour une interview<br />
d’Oxmo Puccino qui disait « Quand les artistes disent<br />
qu’ils n’ont plus d’inspiration je leur propose de<br />
retourner dans le métro ». Je suis assez d’accord<br />
avec ça. J’ai toujours pris le métro et c’est vrai que ça<br />
résonne, c’est palpable, les gens que l’on croise, les<br />
visages, ce que l’on s’imagine de leur histoire…<br />
Propos recueillis et textes : Lucie Rico.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages
JAIN<br />
Interview publiée le 25 novembre 2015<br />
Il y a quelques jours, nous avons rencontré Jain, dans sa petite robe noire et ses sneakers<br />
personnalisées. Depuis quelques mois, elle nous fait danser sur des beats ethniques, hip-hop et parfois<br />
même folk. Son premier album, Zanaka, est sorti le 6 novembre dernier. On a cherché à comprendre qui<br />
était Jain. Pas facile, au vu de son parcours atypique. Rencontre avec la plus africaine des françaises.
Qui est Jain ?<br />
Je m’appelle Jain, enfin, mon vrai prénom est Jeanne.<br />
Je suis née à Toulouse dans le Sud-Ouest de la<br />
France. Lorsque j’avais 3 ans, on a déménagé avec<br />
ma famille à Pau. Là-bas, j’ai commencé la musique<br />
en faisant de la batterie pendant 12 ans. Et à mes 9<br />
ans, nous sommes partis vivre à Dubaï où j’ai fait des<br />
percussions arabes, notamment de la « Derbouka ».<br />
J’étais dans un lycée français, c’était la première fois<br />
que je partais hors de France et que je voyageais hors<br />
du pays. C’était un peu un choc. Après 3 ans là-bas,<br />
nous sommes allé au Congo, dans une ville du Sud, à<br />
côté de l’océan. C’est là-bas que j’ai fait mes<br />
premières compositions de musique avec Mr Flash,<br />
un rappeur et beatmaker très connu - il y a<br />
énormément de rappeurs congolais. Il faisait des<br />
rythmiques et m’a donné des logiciels pour pouvoir<br />
m’enregistrer chez moi. J’ai pu mettre mes chansons<br />
sur Myspace, où j’ai rencontré mon manager et<br />
producteur (Yodelice, ndlr). C’est à partir de ce<br />
moment-là que la musique a réellement commencé<br />
pour moi. Ensuite, j’ai déménagé à Abou Dabi pour<br />
passer mon bac et enfin, je suis retournée à Paris où<br />
je me suis inscrite en Prépa Art.<br />
Comment on fait pour se construire, lorsque l’on<br />
passe son adolescence aux quatre coins du monde ?<br />
C’est justement ce qui était assez compliqué et ce<br />
pour quoi j’ai commencé à écrire des chansons. À un<br />
moment, je me suis vraiment sentie déracinée. A 18<br />
ans, j’avais passé la moitié de ma vie hors de France,<br />
et je ne me sentais pas non plus tout à fait française.<br />
Pourtant, je n’étais ni congolaise ni d’Abou Dabi. J’en<br />
suis finalement venue à me dire que cette question<br />
d’appartenance n’est pas liée seulement à un pays,<br />
mais plutôt à une famille. Elle concerne les gens qui<br />
nous entourent. Donc voilà, je viens de ma famille !<br />
J’ai décidé que pour ma musique ce serait pareil et<br />
que je ne choisirais pas un camp particulier mais que<br />
j’essaierai plutôt d’apprendre de tout ce que j’ai vu et<br />
des pays où j’ai vécu.<br />
Tu as justement pleins de cordes à ton arc. Ta<br />
musique est à la fois ethnique, hip-hop, soul, folk, etc.<br />
Qu’est-ce qu’il y a dans tes écouteurs ?<br />
Un peu de tout. Il y a pas mal de hip-hop mais aussi<br />
des chansons africaines et musiques traditionnelles.<br />
J’aime beaucoup écouter les musiques traditionnelles,<br />
qu’elles viennent d’Amérique du Sud, ou d’Afrique. Il y<br />
a quelque chose de tribal, un son chaud que j’aime et<br />
que j’aimerais bien retranscrire dans mes chansons. Il<br />
y a également de l’électro, notamment Daft Punk. Ce<br />
qui est drôle c’est qu’avant mes concerts,<br />
généralement, on me demande de faire une playlist<br />
d’attente. La mienne est très éclectique, il y a vraiment<br />
de tout, ça en énerve certains (rires).<br />
Tu as dit que ton coeur venait d’Afrique et que tu<br />
aimais beaucoup la black music…<br />
Oui, c’est quelque chose qui me touche énormément<br />
car quand j’étais petite, on en écoutait beaucoup à la<br />
maison. Ma mère est d’origine Malgache, elle écoutait<br />
beaucoup d’artistes comme Miriam Makeba, Youssou<br />
N’Dour. Et surtout, j’ai commencé la musique par la<br />
batterie et les percussions, donc forcément, il y a<br />
quelque chose d’ethnique qui me touche dans ce<br />
rapport au rythme, qui est très riche.<br />
Je t’ai vue en concert au MaMa Festival. Sur scène, tu<br />
passes d’un instrument à un autre. Comment<br />
composes-tu ? Tu fais tout toute seule ou tu es aidée<br />
par quelques musiciens ?<br />
Chez moi j’ai mon petit atelier, mon laboratoire. Je<br />
commence par faire des maquettes très « roots », pas<br />
très professionnelles où je banlances toutes mes<br />
idées et ensuite je vais au studio de mon producteur.<br />
C’est à partir de ce moment qu’il m’aide à rendre le<br />
tout plus professionnel, à l’enrichir et surtout à bien le<br />
cadrer. Car chez moi, tout part souvent dans tous les<br />
sens.<br />
Tu l’as dit, Yodelice t’a reperée sur Myspace. Quel<br />
rapport entretien-tu avec internet ?<br />
Je cherchais surtout à avoir un avis professionnel, car<br />
j’avais des retours de ma famille et mes amis, mais<br />
qui n’étaient forcément pas objectifs. J’ai donc envoyé<br />
des mails à tout le monde, j’ai eu quelques réponses.<br />
La plupart me disaient que c’était trop fouillis. J’ai reçu<br />
une réponse de mon manager actuel qui m’a mis en<br />
contact avec Yodelice. Internet a vraiment joué un rôle<br />
très important pour moi car c’était vraiment ma seule<br />
solution de partage et de communication lorsque<br />
j’étais au Congo, de par les réseaux mais aussi étant<br />
donné que je ne viens pas d’une famille qui fait de la<br />
musique ou qui est implantée ou reconnue dans le<br />
milieu. C’était le seul moyen dont je disposais pour me<br />
faire connaître.<br />
Ton premier album s’appelle Zanaka. Parle-nous-en.<br />
Et d’ailleurs, que signifie Zanaka ?<br />
Ma mère est métisse malgache, Zanaka, cela veut<br />
dire enfant en malgache. C’est un album que j’ai écrit<br />
il y a sept ans au Congo et qui a grandi avec moi,<br />
pendant toute mon adolescence, et aussi un peu plus<br />
tard, lors de mon retour à Paris. C’est un album très<br />
joyeux, assez optimiste, avec pleins d’influences.<br />
J’aime beaucoup dire que c’est un melting-pot qui<br />
mêle un peu d’ethnique, du hip-hop, de la soul. C’est<br />
un petit bordel organisé, quoi !<br />
Moi j’ai un petit faible pour All My Days. J’ai beaucoup<br />
aimé la pochette de ton album qui fait référence à la<br />
déesse Shiva. C’est toi qui l’as imaginée ?<br />
J’avais fait la pochette de l’EP et on voulait garder<br />
cette même idée. Un peu comme avec mes chansons,<br />
nous sommes partis de ma maquette avec Paul &<br />
Martin qui sont les deux photographes. Je voulais<br />
commencer à mettre de la couleur car il y a beaucoup<br />
de noir et blanc. C’est aussi une manière de montrer<br />
ce qui se passe en live, l’idée de multi-tâche et faire<br />
aussi un petit clin d’oeil à la déesse Shiva. Cela<br />
montre la démultiplication. C’est comme créer le<br />
visuel d’une super-woman multi tâche (rires).<br />
Tu as fait une Prépa Art. Tes clips sont très visuels, y<br />
compris tes photographies et tes mises en
scène. C’est important pour toi de garder la main sur<br />
ton image ?<br />
Je voulais faire de l’Art avant-même de vouloir faire de<br />
la musique. Le choix a été assez difficile d’arrêter ma<br />
Prépa Art pour faire de la musique. Mais c’était<br />
nécessaire car je n’arrivais plus à faire les deux en<br />
même temps. J’ai décidé que si je faisais de la<br />
musique, je voulais vraiment avoir la main mise sur ce<br />
qui se passerait à l’image car c’est ce qui m’intéresse<br />
aussi et que c’est un ensemble. Je veux vraiment<br />
quelque chose de sincère et qu’à aucun moment on<br />
ne m’impose quelque chose. Généralement, c’est moi<br />
qui propose les maquettes et ce sont ensuite mes<br />
maquettes qui sont proposées à des professionnels<br />
de la photographie.<br />
Comme Coco Chanel et sa fameuse petite robe noire,<br />
tu as choisi la sobriété en portant toujours ta petite<br />
robe noire. Pourquoi ce choix ?<br />
A la base, c’était principalement pour ne pas<br />
influencer les gens. Je voulais vraiment qu’au niveau<br />
de l’image, on voit bien le contre pied avec ce que je<br />
proposes dans mon album. Je voulais quelque chose<br />
de sobre et de classique, jouer sur le blanc et le noir,<br />
que l’on retrouve aussi peut-être dans les sonorités de<br />
ma musique. Cette robe montre le contraste qu’il y a<br />
dans l’album. J’aime bien surprendre les gens par<br />
exemple lors des festivals, lorsqu’ils me voient arriver<br />
dans cet habit qui fait un peu « nonne ». Ils se<br />
demandent ce que je vais faire avant de m’écouter<br />
rapper. C’est drôle de voir leur réaction.<br />
Avant de te voir en concert, je me suis figurée que tu<br />
étais un petit peu comme un paquet cadeau dont on<br />
ne sait pas du tout ce qu’il contient avant de le<br />
déballer. Finalement, on ne sait pas du tout à quoi<br />
s’attendre en te voyant, on ne sait pas du tout quelle<br />
étiquette te donner.<br />
C’est quelque chose qui m’a toujours fait peur car la<br />
musique, c’est quelque chose qui doit évoluer. J’ai<br />
envie d’essayer plein de choses différentes et surtout<br />
qu’on me laisse tranquille et qu’on ne me range dans<br />
aucune case. Je ne veux correspondre à aucune<br />
étiquette. Je ne veux pas que l’on m’impose de faire<br />
un style de musique particulier, je veux proposer,<br />
réaliser et vivre celle dont j’ai envie, qui est mienne.s<br />
Tu passes bientôt aux Étoiles, à Paris (à guichet<br />
fermé, ndlr) et ensuite à la Maroquinerie. Comment<br />
appréhendes-tu ces premiers concerts ?<br />
C’est plus la sortie de l’album qui me fait un petit peu<br />
peur que ces concerts. Je ne sais pas du tout<br />
comment il va être reçu. Mais pour le moment je suis<br />
très contente des live que j’ai fait et surtout d’avoir<br />
enfin pu rencontrer mon public. Les dates parisiennes<br />
seront assez émouvantes car il y aura ma famille,<br />
mes amis, les gens qui ont soutenu le projet pendant<br />
beaucoup de temps.<br />
Est-ce que tu aimerais un jour collaborer avec<br />
certains artistes ?<br />
J’aimerais beaucoup collaborer avec un rappeur, pour<br />
croiser nos univers mais aussi avec des artistes<br />
africains. Je ne me suis pas encore trop posée la<br />
question mais oui, j’aimerais beaucoup faire des<br />
collaborations et d’ailleurs pas forcément qu’avec des<br />
chanteurs, mais pourquoi pas aussi avec des artistes<br />
en général, quels que soient leurs domaines. Je vais y<br />
réfléchir !<br />
Tu penses retourner au Congo un jour et leur<br />
présenter ta musique ?<br />
J’aimerais beaucoup. Donner un concert un jour, làbas,<br />
ainsi la boucle serait bouclée…<br />
Propos recueillis par Mélodie Ravasi.
PORTFO<br />
LIO LUD<br />
L<br />
OVIC ZU<br />
ILI ARAW<br />
Série photo publiée le 14 mai 2012
ÉMILIE<br />
SIMON<br />
Interview publiée le 23 mars 2014<br />
C’est l’une des personnalités les plus atypiques de la scène française. Chanson ? Pop ? Électro ?<br />
Les mondes d’Émilie Simon sont imperméables à toute tentative de classification. Artiste<br />
indépendante dans son mode de production autant que dans son inspiration artistique, distinguée<br />
par plusieurs Césars du Cinéma et Victoires de la Musique, elle revient aujourd’hui avec un sixième<br />
album au titre explicite : Mue. Après le sombre Franky Knight, ce nouvel opus est un lumineux retour<br />
vers la France où nous lui avons donné rendez-vous.<br />
La chanson d’ouverture de votre album Paris J’ai Pris<br />
Perpète est un hymne à la belle capitale française.<br />
Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir en<br />
France et plus particulièrement à Paris ?<br />
J’ai habité à New York pendant quatre ans. La<br />
découverte d’un autre pays, l’immersion dans une<br />
nouvelle culture, tout cela a été très important pour<br />
moi et a donné l’album Big machine.<br />
Mais cela m’a également permis de redécouvrir Paris<br />
sous un autre angle, au retour. En habitant à<br />
l’étranger, j’ai perçu des choses, une sorte de magie<br />
que je n’avais jamais eu, avant en étant étudiante à<br />
Paris. J’étais dans une autre réalité, une autre<br />
époque. Là, j’avais une sorte de distance sur la<br />
France et sur Paris en particulier. J’ai pu voir des<br />
choses magnifiques qui prennent sens, se révèlent<br />
lorsque l’on est loin. Je crois que c’est ce qui m’a<br />
inspiré, j’ai écrit tout l’album ici, dans le Paris<br />
poétique, romantique.<br />
Comparé à vos précédents albums, dans celui-ci vous<br />
n’avez que deux chansons en anglais, c’était aussi<br />
important de revenir à la langue française ?<br />
Je crois que cela suit tout simplement ma vie. J’ai écrit<br />
Big machine alors que j’étais nourrie par une curiosité<br />
du pays, une envie de m’immerger dans la culture<br />
américaine, d’apprendre, d’absorber, d’avoir une<br />
meilleure compréhension de la langue et de la culture.
C’est ce qui m’a donné envie d’écrire en anglais d’une<br />
manière extrêmement naturelle. Ce n’est pas vraiment<br />
une décision que j’ai prise consciemment, j’étais<br />
simplement en état de réceptivité par rapport à<br />
l’inspiration. C’est souvent ma vie et son contexte qui<br />
vont orienter mes inspirations. J’ai passé plus de<br />
temps ici et j’ai eu l’envie de creuser cette facette<br />
romantique parisienne : l’Amour, Paris, comment je<br />
l’exprimerais en musique…<br />
Cet album comporte une orchestration très riche,<br />
comme si tout votre univers synthétique avait fusionné<br />
avec quelque chose de plus organique. Parlez-nous<br />
de la composition même d’une chanson, de la finition<br />
d’un morceau à une orchestration complète, avezvous<br />
déjà une idée précise du rendu final ?<br />
Cela dépend des titres, certains viennent déjà avec<br />
leurs orchestrations. Paris J’ai Pris Perpète venait<br />
naturellement avec des cordes, des cloches, une<br />
espèce de peinture sonore. C’est très<br />
cinématographique aussi. Certains morceaux me font<br />
des surprises, je les écris, ils existent en piano-voix ou<br />
guitare-voix et puis d’un coup j’essaie une<br />
programmation qui m’emmène complètement ailleurs.<br />
Un peu comme un voyage. Parfois je vois très bien là<br />
où je vais et c’est très clair, d’autres fois, j’avance à<br />
petits pas, je découvres où je suis, à tâtons et je ne<br />
sais pas trop où les choses me mènent.<br />
L’album débute par un hymne à la capitale avant de<br />
nous mener vers d’autres altitudes, de nous diriger<br />
vers différents registres musicaux que vous n’aviez<br />
pas encore ou très peu abordé avant, notamment des<br />
influences latino-cubaines dans Encre, un registre<br />
asiatique avec Perdu Dans Tes Bras. Avez-vous<br />
entièrement réalisé cet album ?<br />
Oui. J’ai réalisé l’album mais aussi collaboré avec des<br />
artistes, producteurs et réalisateurs que j’ai invité pour<br />
l’occasion : Tahiti Boy, Ian Caple, et David Kahne à<br />
New York qui a aussi travaillé avec nous. C’est un<br />
album que j’ai réalisé comme les précédents, mais<br />
pour la première fois je n’étais pas entièrement seule<br />
à prendre toutes les décisions de production. J’ai<br />
invité des gens à avoir une vision extérieure sur<br />
certains titres. C’était très enrichissant, on apprend<br />
toujours des collaborations. Un réalisateur comme Ian<br />
Caple a tellement d’expérience, qu’il arrive avec ses<br />
« bagages » et sa bienveillance, ce qui m’inspire<br />
forcément ou me donne envie de développer plus ou<br />
moins certains aspects de la création. Certaines<br />
collaborations m’aident à aller plus loin, à me pousser,<br />
à être plus audacieuse. D’autres m’encouragent à être<br />
plus classique, cela dépend et c’est toujours très<br />
enrichissant.<br />
Cet album est en fait très international, parce que je<br />
lai enregistré à Paris, puis les cordes et les cuivres à<br />
Londres et à New York j’ai mixé et enregistré les voix.<br />
Parlez-nous de la pochette de l’album où vous vous<br />
mettez littéralement à nue. Il y a quelque chose de<br />
très épuré, parfaitement serein.<br />
J’ai travaillé dessus avec un artiste qui m’a proposé<br />
plusieurs idées. Sur celle que l’on a retenue, j’aimais<br />
le côté « peau », très nue, comme si le visuel portait<br />
des émotions écrites sur le corps. J’aimais aussi le<br />
contraste avec le livret sur l’édition limitée où l’on<br />
raconte l’histoire d’amour qui passe par différentes<br />
météos intérieures pour finalement tourner la page et<br />
passer à autre chose. L’image laisse sa « mue » et<br />
accepte de laisser des choses dont on a plus besoin,<br />
de se renouveler.<br />
Vous êtes une artiste touche-à-tout. Vous composez,<br />
jouez, arrangez, chantez. Aujourd’hui vvous endossez<br />
également la casquette de metteur en scène pour<br />
votre clip Menteur que vous avez écrit et réalisé,<br />
seule...<br />
J’ai adoré imaginer, écrire l’histoire, oui. Il y en avait<br />
plusieurs d’ailleurs avant celle-là, parce que j’ai<br />
beaucoup tourné autour du sujet de Menteur, la façon<br />
dont on pouvait travailler avec ce morceau. Il y<br />
tellement de possibilités, c’est incroyable. Écrire<br />
l’histoire, trouver l’équipe, m’amuser à me trouver des<br />
personnages, faire le casting, trouver des visages que<br />
je voulais projeter, des lieux, des décors, les essais<br />
d’images, les différentes textures possibles, c’était un<br />
tout absolument fabuleux.<br />
Le clip a été tourné aux États-Unis avec une équipe<br />
de Los Angeles qui a été superbe. Ça a été une<br />
incroyable expérience en tant que réalisatrice. Ils ont<br />
été super, eux-mêmes réalisateurs. Jai été très bien<br />
entourée et je n’aurais pas pu imaginer une meilleure<br />
première expérience. J’adore cela en fait, imaginer<br />
une histoire, d’un bout à l’autre.<br />
Peu de réalisateurs ont également la capacité de<br />
savoir réellement mettre en scène.<br />
Ce n’est pas simple, c’est vrai.. Mais tout s’est très<br />
bien passé et je suis ravie du résultat. Faire les deux<br />
c’est certain que ça n’a pas été facile mais je<br />
n’imaginais pas le tournage autrement.<br />
Votre univers musical est souvent rattaché au<br />
domaine cinématographique, décrit comme étant très<br />
visuel. Le bonus track Wicked Game de Chris Isaac<br />
est grandement rattaché à Sailor et Lula de Lynch.<br />
Est-ce un hommage ?<br />
Je crois qu’il y a beaucoup de choses. C’est vrai qu’il<br />
y a l’univers cinématographique, mais j’avais aussi fait<br />
un duo avec Chris Isaac il y a deux ans pour Taratata.<br />
On s’était rencontrés et on avait fait notre duo sur<br />
Blue Hotel. Il avait aussi été question de le faire sur<br />
Wicked Game à un moment, je l’avais écouté et<br />
j’avais adoré.<br />
Je pense que c’est plus un clin d’oeil, un petit<br />
hommage, mais c’est effectivement aussi des<br />
morceaux qui sont dans des films cultes pour moi,<br />
cela marche à plusieurs niveaux.<br />
Quel est l’intérêt pour un artiste d’avoir autant de<br />
liberté, de contrôle concernant toute la conception<br />
d’un album. Est-ce qu’il n’y pas une limite à ne<br />
recevoir de l’aide d’aucun regard extérieur ?<br />
Je ne sais pas. D’abord c’est ce que j’ai envie de faire<br />
et cela me remplit de bonheur de l’imaginer. J’ai des
idées, je sais ce que je veux donc je n’ai pas tellement<br />
le réflexe de demander aux autres. On se tourne vers<br />
des personnes dans les domaines où l’on n’a pas<br />
accès car on n’a pas les connaissances. Je m’entoure<br />
donc de gens qui savent faire, mais quand je m’en<br />
sens capable, ou que j’ai envie de développer quelque<br />
chose et d’apprendre, je fonce, je n’ai jamais su faire<br />
les choses autrement.<br />
Je racontais cette histoire au premier album. Cela fait<br />
longtemps que je ne l’ai pas racontée donc je vais<br />
vous la dire. Quand j’étais petite on m’a offert un<br />
album de Kate Bush et j’ai adoré. Je me souviens très<br />
bien qu’avec mon regard d’enfant, quand je tenais ce<br />
disque, que j’écoutais la musique tout en lisant les<br />
paroles dans le livret, je voyais son visage en photo<br />
sur la couverture, je la voyais, elle. Je voyais ses<br />
mots, je voyais que c’était elle qui avait écrit et pour<br />
moi c’était normal. Je ne pouvais m’imaginer que<br />
d’autres artistes chantaient les mots d’autres<br />
personnes.<br />
J’ai grandi en écoutant des artistes qui ont développé<br />
un univers fort et personnel. Il y avait Kate Bush, Joni<br />
Mitchell, aussi. Adolescente, j’ai découvert Björk.<br />
C’est assez étrange car on écrit des morceaux au<br />
départ pour nous et finalement, l’envie de les partager<br />
avec d’autres personnes surgit. Faire vivre les<br />
morceaux sur scène, c’est juste fantastique, c’est une<br />
forme de communication, de communion parfois. Il y a<br />
des choses magnifiques qui peuvent se passer sur<br />
scène, rien qu’avec des notes de musique et du<br />
chant. Lorsque tout cela se transforme dans la même<br />
pièce, c’est super. Cela me manque énormément,<br />
entre deux albums. J’ai hâte.<br />
Qu’avez-vous découvert récemment qui vous a<br />
permis d’enrichir votre domaine musical ?<br />
La Côte Ouest des États-Unis, la Californie, les<br />
couchers de soleil de l’Arizona, il y a beaucoup de<br />
cela dans l’album. Les grands espaces assez<br />
épiques, c’est un mélange entre de nombreux lieux et<br />
d’images qui ont défilé devant mes yeux et qui défilent<br />
aujourd’hui dans ma tête.<br />
Propos recueillis par Louise Autain<br />
Ce contrôle, c’est une façon de faire, une philosophie.<br />
J’ai envie de développer un maximum de choses dans<br />
la limite de mes capacités mais je pense que l’on a<br />
tous des compétences illimitées pour rejoindre ce que<br />
tu dis. Il faut juste se donner le temps pour bien diriger<br />
son objectif et au moins essayer.<br />
Cet album est très ouvert, très riche, comment allezvous<br />
le transposer sur scène ?<br />
On a commencé les répétitions la semaine dernière. Il<br />
y a beaucoup de changements par rapport aux<br />
albums précédents. Nous avons simplement fait un<br />
seul concert pour Franky Knight. Avec The Big<br />
Machine, nous étions trois sur scène et c’est vrai que<br />
le pari de cet album était de pouvoir tout gérer. J’étais<br />
au contrôle de tout ou presque, j’avais quatre claviers,<br />
quatre pédales, l’ordinateur, le micro, le bras, etc.<br />
J’avais envie de voir jusqu’où je pouvais aller en<br />
m’occupant de tous ces postes. Aujourd’hui, je n’ai<br />
plus du tout envie d’aller dans cette direction-là, en<br />
live, contrairement à la réalisation d’ailleurs. Pour le<br />
coup-là, j’ai envie de m’alléger de plein de choses. Je<br />
crois que j’ai envie d’être vraiment avec les gens et de<br />
chanter tout simplement, sans forcément faire<br />
plusieurs choses en même temps.<br />
Sur scène, cela va être intéressant de me retrouver<br />
finalement plus comme au premier album où je jouais<br />
de temps en temps des instruments, mais n’étais pas<br />
systématiquement derrière le clavier, j’étais un peu<br />
plus libre de mes mouvements.<br />
Comment se passe votre relation avec le public sur<br />
scène ?<br />
Je suis super contente de pouvoir bientôt retrouver<br />
mon public, ça me rend tellement heureuse.
CHARLIE WINSTON<br />
Interview publiée le 25 novembre 2011<br />
Charlie nous a mordu… Chez Shakespeare & Co, ou la librairie anglaise de Paris. Nous nous sommes faufilé, le<br />
temps d’un instant, parmi les étagères, remplies d’illustrations, d’histoires et d’odeurs de papiers noirs ou jaunis,<br />
à la recherche de Charlie. Et de son nouvel album « Running Still ».<br />
Au delà de tes succès artistiques et médiatiques,<br />
particulièrement en France d’ailleurs, nous savons<br />
finalement peu de choses sur toi. D’où viens-tu Charlie ?<br />
Par où commencer ? Pendant longtemps, j’ai joué dans des<br />
clubs et bars à Londres, dans différents groupes, avec mon<br />
beau-frère, à la fin des années 90. Assez rapidement, nous<br />
avons signé un contrat avec une maison de disques. Je me<br />
suis mis à écrire ma propre musique, de mon côté, à<br />
voyager à travers l’Europe… J’ai rencontré des amis, qui<br />
sont aujourd’hui toujours là. Et puis, un jour, un CD que<br />
j’avais enregistré avec l’aide de Peter Gabriel tomba dans<br />
les mains de Marc Thonon (Monsieur Atmosphériques, le<br />
très joli label français, fidèle partenaire de Crumb, ndlr). Ma<br />
musique lui a plu. Il a voulu produire un album sur-le-champ.<br />
Nous avons pris notre temps – huit mois – pour enregistrer<br />
mon premier “vrai” opus et « préparer le terrain » afin d’avoir<br />
la meilleure réception possible. Je parle de celle du public.<br />
Hobo est sorti en janvier 2009 et c’est devenu dingue : les<br />
français se sont rués dessus dès le début. Je ne<br />
m’attendais vraiment pas à une telle ampleur. En deux ans,<br />
j’ai vendu plus d’un demi-million d’exemplaires de l’album.<br />
Et maintenant, me voilà, devant vous. J’ai arrêté la promo<br />
de Hobo il y a bientôt un an. 2011 m’a permis de repenser<br />
ma manière de travailler. Je suis parti un moment à Los<br />
Angeles, c’était assez difficile d’enregistrer à nouveau en<br />
France. Tout était miroir, tout ce que je regardais semblait<br />
appartenir au personnage de Hobo, alors je me suis exilé<br />
quelques temps pour puiser quelque chose de nouveau en<br />
moi. Je viens de là. Cela répond à ta question ?<br />
Absolument. Aujourd’hui te voilà de retour avec Running<br />
Still, peux-tu nous en dire quelques mots…<br />
Tout un tout nouvel album, oui. J’y ai beaucoup pensé,<br />
réfléchi. Hobo, de son côté, s’était construit et développé<br />
des années durant. Après cela, je ne savais pas vraiment<br />
où j’allais, mais ce dont j’étais certain, c’était une sensation<br />
que j’avais envie de transmettre. Running Still laisse<br />
transparaître un sentiment de laisser aller, pour s’échapper<br />
et prendre le temps d’être spontané. L’album est né d’un<br />
mélange de solitude et de mélancolie. Il illustre de manière<br />
très juste le fait qu’en travaillant pendant deux ans, en<br />
gagnant expérience et succès, j’ai compris que plus on est<br />
au centre des attentions, plus la solitude nous gagne. C’est<br />
ce dont cet album parle, au fond.<br />
On le ressent dans le premier extrait, qui porte d’ailleurs<br />
bien son nom, « Hello Alone »…<br />
Oui. C’est une sorte de solitude accueillante, comme avec<br />
un vieil ami dont tu pensais t’être débarrassé, dans ta tête<br />
mais qui est toujours là, au fond de toi. Il me semble que<br />
c’est le seul morceau cependant qui ressemble à peu près à<br />
l’univers de mon premier album, celui pour lequel les gens<br />
me connaissent. Il rappelle aux gens qui je suis. J’avais<br />
besoin, je crois, de cette chanson, besoin de convier à<br />
nouveau les gens, de leur dire « C’est toujours moi, mais je<br />
vous emmène ailleurs, cette fois ».<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
LA FIANCÉE<br />
Interview publiée le 15 janvier 2011<br />
“Tout dire en très peu de mots…” Une rencontre, un destin ont fait de La fiancée ce qu’elle est : une<br />
chanteuse à la fois touchante et enivrante. Pas vraiment le hasard. Petite, déjà, elle s’amusait à faire des<br />
vocalises devant ses frères et soeurs excédés. De cette enfance, elle a gardé quelques traces de sublime<br />
enfouies quelque part dans sa rêverie amoureuse…<br />
Tu baignes dans la musique depuis toute petite. Or il<br />
a fallu attendre la rencontre avec Edgar Ficat et<br />
Florent Marchet pour qu’un univers et des chansons<br />
se mettent en place. Tu y pensais avant ou bien ces<br />
rencontres ont créent le déclic ?<br />
Je n’y ai jamais pensé une seule seconde ! Si on<br />
m’avait dit que j’aurais un jour mes chansons sur un<br />
CD, j’aurais certainement rigolé. Mais il est vrai que je<br />
baigne là-dedans depuis toute petite. Mes parents se<br />
sont rencontrés en faisant de la musique et cela a<br />
toujours complétement fait parti de ma vie même si j’ai<br />
arrêté après le lycée parce que j’avais juste autre<br />
chose à faire. Edgar m’a mis devant un micro un soir.<br />
Il cherchait justement une chanteuse. Sans cela je<br />
n’aurais jamais essayé. Il avait des mélodies libres,<br />
sans trop de paroles dessus. Moi je venais de me<br />
faire larguer donc j’avais beaucoup de choses à dire<br />
(rires). On a fait une première chanson, on l’a mise<br />
sur Myspace et très vite on a été contactés par un<br />
producteur.<br />
Quel souvenir gardes tu de ton rapport à la musique<br />
pendant l’enfance ?<br />
Quelque chose de très apaisant. Ma maman me<br />
chantait tout le temps quelques chansons pour<br />
m’endormir, des titres de Joan Baez et de choses<br />
comme cela, que j’adorais. Et puis je faisais de la<br />
danse classique, donc j’avais en même temps une<br />
ouverture sur le Folk par mes parents et sur la<br />
musique classique par la danse. J’en garde un grand<br />
plaisir, celui des souvenirs de vacances où l’on<br />
chantait en voiture, un peu comme tout le monde,<br />
mais mon grand bonheur c’était surtout de faire des<br />
harmonies vocales avec mes parents, de chanter à<br />
deux, trois voix. On rigolait bien et j’emmerdais<br />
énormément mes frères et sœurs qui détestaient cela.<br />
Et ton rapport aux sixties ? Car on t’en parle<br />
beaucoup…<br />
Oui ! On m’en parle énormément et finalement je n’en<br />
ai pas tant que cela. Je suis plutôt seventies dans
mes influences musicales. Ce qui touche aux années<br />
60, je l’ai atteint plus tard, par le biais de la chanson<br />
française, France Gall, Dutronc, des artistes comme<br />
ça. Rien qu’au niveau de l’image c’est magnifique,<br />
hyper pop, coloré. C’est une époque qui paraît<br />
formidable. Je ne sais pas si je m’y serais sentie bien<br />
mais quand tu regardes cela avec du recul tu<br />
t’aperçois qu’ils étaient tous beaux à cette époque-là,<br />
jeunes, fringants, le monde était en train de s’ouvrir, il<br />
n’y avait pas de crise. Ils avaient certainement bien<br />
d’autres problèmes mais en tout cas pas ceux que l’on<br />
connaît aujourd’hui.<br />
Tu as justement repris quelques chansons d’artistes<br />
de cette époque et d’autres, plus contemporains,<br />
comme Benjamin Biolay…<br />
Oui ! J’adore Benjamin Biolay. Je trouve incroyable<br />
qu’il soit juste reconnu par le public maintenant alors<br />
qu’il a donné vie à des perles musicales incroyables,<br />
depuis le tout début.<br />
En reprenant des chansons qui te plaisent, tu donnes<br />
à entendre finalement un jukebox personnel en<br />
plusieurs EP, un peu comme une collection de 33<br />
tours…<br />
Exactement ! C’est un objet que j’aime énormément.<br />
Et puis il y a un truc génial dans le fait de sortir des<br />
disques à 4 chansons : c’est beaucoup plus court<br />
donc, comme dirait mon ami Edgar, si tu te plantes<br />
sur un 4 titres c’est beaucoup moins grave que si tu te<br />
plantes sur un album. Tu peux prendre plus de liberté,<br />
plus de risque, tu t’ennuies moins. Faire des reprises,<br />
c’était aussi pour moi l’occasion de chanter en anglais<br />
– chose que je n’aurais pas tenté sur un album entier.<br />
Enfin, je me suis lancé un mini défi. Celui d’arranger le<br />
troisième EP. Pour les précédents j’avais fait appel à<br />
Florent Marchet et à Julien Ribot sur le deuxième. Là,<br />
on a vraiment fait cela avec les garçons, qui<br />
m’accompagnent sur scène. On a passé des journées<br />
de pré-prod, à écouter, essayé, choisir les<br />
arrangements qui nous plaisaient. Et puis après on ne<br />
les a plus écouté du tout, on les a un peu bousculé<br />
pour se les réapproprier et j’ai complètement oublié la<br />
question… (Rires).<br />
Je parlais de jukebox personnel…<br />
Oui ! C’est cela ! C’est un excellent moyen de faire<br />
connaître mes influences musicales et en même<br />
temps je me suis énormément demandé si ce n’était<br />
pas une erreur car reprendre les chansons d’un artiste<br />
que tu aimes est toujours un pari risqué. Si tu fais<br />
moins bien que ce que tu espères notamment. En<br />
même temps, si tu te poses trop de questions, tu ne<br />
fais plus rien ! Alors voilà, j’ai livré ma version des<br />
choses et j’en suis tout de même assez satisfaite.<br />
J’ai lu que tu comparais ces sortes de mini disques à<br />
des nouvelles de roman. Est-ce que justement plutôt<br />
que de passer par la musique, tu n’as pas envie de<br />
t’essayer à la littérature ?<br />
A vrai dire, tout est toujours venu par le texte – j’ai fait<br />
des études littéraires, c’est quelque chose qui me tient<br />
à cœur – dans le principe de nouvelles, c’est qui me<br />
plait, être capable en très peu de temps – et cela a<br />
aussi un rapport avec la chanson – dans un texte très<br />
court, de raconter une histoire poignante. Tout dire en<br />
très peu de mots. C’est quelque chose de super<br />
compliqué. C’est un défi à chaque fois et c’est en<br />
même temps super agréable à faire. J’aurais dû mal à<br />
faire des descriptions longues parce que ce n’est pas<br />
comme cela que je suis non plus. J’aime bien<br />
synthétiser et m’accrocher à certains détails qui vont<br />
tout de suite créer une ambiance, un personnage,<br />
sans tout dévoiler. Et c’est cela qui est aussi<br />
intéressant dans les chansons, en tout cas les<br />
miennes, il y a toujours une part d’autobiographie<br />
mais elle est toute petite et j’essaie de faire précis tout<br />
en restant universel pour que tu puisses toi garçon –<br />
alors que je suis une fille – trouver des choses qui te<br />
parle dans mes textes.<br />
Les arrangements musicaux sont relativement<br />
minimalistes, très intimes. Comment tu les as<br />
travaillés ?<br />
Comme j’enregistre mon travail en plusieurs parties,<br />
j’arrive chaque fois en studio avec une expérience un<br />
peu plus forte et un peu plus d’idées. Au début j’avais<br />
vraiment envie de toucher à la musique mais je ne<br />
connaissais rien du langage musical – un peu comme<br />
quand tu demandes à un petit enfant, qui n’a que 400<br />
mots de raconter une histoire précise. C’est beaucoup<br />
plus facile une fois que tu en as 40 000 pour pouvoir<br />
t’exprimer. Pendant le premier E.P, j’ai beaucoup<br />
observé Florent (Florent Marchet, ndlr). J’ai eu de la<br />
chance qu’il m’intègre dans le processus de création<br />
dès le départ. Pour le deuxième, on a travaillé<br />
davantage en amont, sur ce que j’aimais, les<br />
ambiances que je voulais donner à telle ou telle<br />
chanson et puis il s’est passé beaucoup de choses en<br />
studio. Notamment, au Studio Gang, qui était le studio<br />
de Michel Berger, où l’on travaillait à 2 heures du<br />
matin. Il y avait une ambiance très bizarre. On avait<br />
préparé beaucoup de choses, pour au final n’en<br />
garder que quelques-unes. Et là, sur le dernier EP, on<br />
est arrivés avec de simples bases et l’on a tout<br />
construit en studio (La Fabrique, à St-Rémy de<br />
Provence, ndlr). Pour le prochain, je m’investirais<br />
encore davantage. Je ne sais pas encore avec qui je<br />
vais travailler. C’est cela que j’aime beaucoup<br />
d’ailleurs et que je souhaitais : quelque chose de très<br />
spontané.<br />
Tu es aussi rédactrice de mode ! Est-ce que cela a<br />
une influence sur tes créations ?<br />
Oui. Je pense qu’il y a un rapport. La musique et la<br />
mode ont toujours été intimement liés et les musiciens<br />
sont la plupart du temps une grande source<br />
d’inspiration pour les créateurs. Ce qui est génial dans<br />
la mode, c’est que l’on est toujours en avance – on<br />
travaille six mois à l’avance sur les collections de l’été<br />
prochain. Et puis, la mode a un aspect sociologique.<br />
Tout ce qui s’y passe y est politique. Cela oblige à<br />
être curieux et à rester ouvert sur pleins de choses. Il<br />
y a aussi un truc dont je me suis rendu compte le jour<br />
où j’ai commencé à écrire: le processus de création<br />
d’une chanson est le même que celui d’un vêtement :<br />
on part d’une base, une matière, un tissu ou bien un<br />
instrument, un matériau, une guitare et l’on brode au
fur et à mesure, on construit, on réajuste. C’est une<br />
histoire de style, de précision, de coupe, de rigueur.<br />
Il y a un endroit où tu aimes écrire ?<br />
Dans les cafés, dans les trains ! Le paysage qui<br />
défile, ne plus penser à rien ou bien observer les<br />
gens. L’inspiration naît aussi quand tu as tout un tas<br />
d’autres choses à faire : en trajet, dans le métro ou<br />
quand je suis super occupée, super pressée et là, ça<br />
vient, c’est horrible et il faut pouvoir s’arrêter.<br />
Si tu devais travailler ton quatrième E.P à partir d’une<br />
B.O de film ou de l’univers d’un cinéaste. Ce serait qui<br />
? Quoi ?<br />
C’est assez marrant que tu me demandes cela car je<br />
me mets, depuis peu de temps, à regarder les films<br />
de façon monomaniaque ! Là je viens de finir le coffret<br />
Buñuel, que je ne connaissais pas bien. Deux, trois<br />
idées me sont venues, dans le rapport hommes et<br />
femmes, le rapport à la séduction, à la bourgeoisie.<br />
J’ai acheté tout un coffret Rohmer et Romy Schneider.<br />
Je suis assez dans des choses comme cela, très<br />
parlées, posées. Rohmer c’est génial, ce sont des<br />
structures scénaristiques qui se développent au fur et<br />
à mesure. Je ne peux donc pas encore répondre à la<br />
question, mais j’y suis en plein dedans !<br />
L’album complet, c’est pour bientôt ?<br />
Je considère que l’album est sorti en plusieurs<br />
morceaux au fur et à mesure. On risque de livrer au<br />
public un format coffret et un format plus classique,<br />
avec 11 ou 12 titres ou 13. J’aime bien le chiffre 13,<br />
pour en finir avec les superstitions ! Je ne sais pas si<br />
je garderais toutes les chansons, notamment les<br />
reprises. Elles ont un intérêt pour moi, en tant que<br />
disque à part entière, mais après sur l’album, est-ce<br />
que ce sera nécessaire ? Je ne suis pas sûre. J’aime<br />
bien aussi l’idée que les versions sur les anciens EP<br />
ne soient pas vraiment les mêmes que sur l’album,<br />
histoire de leur conserver une vraie identité.<br />
La question que l’on ne t’as jamais posée et ce que tu<br />
y répondrais ?<br />
Est-ce que tout cela me rend heureuse ? Oui !<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié
LULU GAINSBOURG<br />
Interview publiée le 25 novembre 2011<br />
Au coin de la rue Etienne Marcel, à Paris, Lulu Gainsbourg patiente, chapeau sur la tête, en utilisant la table<br />
comme un instrument à percussions, il tapote un rythme binaire. J’entre le saluer, il est timide mais souriant. Au<br />
premier abord, se retrouver face à Lulu Gainsbourg c’est comme toucher du doigt une infime partie mythique de<br />
l’histoire de la chanson française. Mais Lulu n’est pas que le « « fils de », c’est un véritable artiste. Franchement<br />
pas dégueu’ comme dirait l’autre…<br />
Depuis le Petit Lulu du Zénith 89, où à l’époque vous étiez<br />
l’enfant-star le plus médiatisé, jusqu’à aujourd’hui, la sortie<br />
de votre premier album, ou étiez-vous ?<br />
J’étais sur le point d’arrêter mes études pour devenir acteur<br />
et puis j’ai vécu pas mal d’aventures et voyagé ici et là. En<br />
2001 j’ai rendu, en compagnie de ma mère (Bambou, ndlr),<br />
cet hommage à mon père avec la chanson Ne dis rien, et<br />
dernièrement la chanson Quand Je Suis Seul pour Marc<br />
Lavoine en 2010. Cet album aujourd’hui, From Lulu To<br />
Gainsbourg, je l’ai fait sur un coup de tête. Avec un ami. Je<br />
me suis dit que c’était le moment. Peu importe les critiques,<br />
je le fais pour mon père. Comme un message personnel.<br />
On a l’impression qu’une place importante a été laissée à<br />
l’improvisation et à la spontanéité…<br />
Oui c’est vrai. Surtout dans l’enregistrement. Il y a beaucoup<br />
de titres aux couleurs jazz, qui permettent ce genre de<br />
liberté. Mon père adorait le jazz, il a commencé comme<br />
cela. C’est une musique qui me touche. Le classique aussi.<br />
Quel genre de classique ? Plutôt contemporain ?<br />
Surtout la période classique romantique. La musique<br />
classique a un pouvoir en plus par rapport aux autres<br />
musiques. Elle peut vous déstresser, vous mettre dans un<br />
état euphorique ou bien vous bercer.<br />
Que représente le voyage pour toi ?<br />
L’apprentissage. J’ai découvert de nouveaux peuples, de<br />
nouvelles atmosphères, c’est un continuel renouveau. J’ai<br />
eu la chance d’avoir un père qui a très bien réussi, ma mère<br />
qui m’a très bien élevé, je n’ai manqué de rien quand j’étais<br />
petit et je ne manque toujours de rien aujourd’hui. Mais j’ai<br />
également eu la chance d’aller en Inde et de découvrir<br />
justement tout le côté inverse. Et pourtant il y a une telle<br />
richesse à travers chaque personne que tu vas croiser. Ils<br />
sont heureux alors qu’ils n’ont rien. Quand je vois des gens<br />
ici en France qui se plaignent pour des choses<br />
superficielles, je trouve cela assez injuste.<br />
Es-tu déjà retourné au 5 bis rue de Verneuil ? (L’hôtel<br />
particulier de Serge Gainsbourg à St Germain- des-près, où<br />
Lulu a grandi jusqu’à la mort de son père en 1991, ndlr).<br />
Oui ! La dernière fois c’était en juin. L’avantage c’est que je<br />
peux entrer à l’intérieur, il y a toujours une grande énergie.<br />
L’âme de mon père y est toujours présente. Je la sens.<br />
Propos recueillis par Aurélien Lovalente.<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
JAMES VINCENT<br />
MCMORROW<br />
Interview publiée le 13 janvier 2014<br />
On retrouve dans le nouvel album de James Vincent McMorrow, Post Tropical, un aspect très<br />
envoûtant, un je-ne-sais-quoi d’orchestration qui rend le tout particulièrement puissant. L’idée de ce<br />
nouvel opus lui est venue alors qu’il était encore en tournée. Il y a là-dedans, une envie de faire<br />
quelque chose de nouveau chez lui…<br />
Vous semblez attacher une importance primordiale à<br />
l’orchestration, avez-vous réalisé vos propres<br />
arrangements ?<br />
Oui, j’avais une idée assez précise du rendu que je<br />
souhaitais avoir. J’ai essayé d’aller plus loin dans le<br />
travail autour de l’orchestration, en cherchant de<br />
nouveaux instruments qui pouvaient illustrer certains<br />
sons. Par exemple dans une des chansons, j’ai<br />
essayé de reproduire d’un point de vue musical le son<br />
d’une cascade, ce qui fonctionne plutôt bien.<br />
Avez vous ressenti le besoin de vous retirer pour<br />
composer comme pour votre précédent album ?<br />
Oui. Il est étrange de se retrouver seul face à soimême,<br />
surtout après avoir passé plusieurs mois<br />
entouré d’une équipe et après avoir voyagé un peu<br />
partout mais c’est le seul moyen que je connaisse<br />
pour composer.<br />
Parlez nous de ces voyages. Que vous ont-ils<br />
apporté ?<br />
Tous les endroits que j’ai visité ou découvert m’ont<br />
apporté quelque chose au niveau culturel et m’ont<br />
ouvert l’esprit. J’ai particulièrement aimé passer du<br />
temps au Texas où il y avait un vrai côté exotique.<br />
C’est aux États-Unis que tout arrive, c’est le pays de<br />
la musique moderne. Il y a eu quelques désillusions,<br />
bien sûr, mais c’est comme un rêve d’enfant de<br />
pouvoir aller jouer là bas. Pratiquement tous les<br />
artistes que j’admire viennent de là.<br />
Vous serez en concert à Paris le 20 février prochain, à<br />
La Maroquinerie. Comment abordez-vous votre<br />
relation avec le public ?<br />
Tout dépend du pays et c’est assez déroutant<br />
d’ailleurs. Par exemple, la première fois que j’ai donné<br />
un concert à Paris, les gens étaient beaucoup plus<br />
silencieux, à l’écoute. Je n’attache pas cependant pas<br />
trop d’importance à la réaction du public. C’est même<br />
assez marrant de se dire que certaines personnes<br />
vont détester ce que tu fais ou y être complètement<br />
impassibles dans un premier temps.
C’est à dire ?<br />
Eh bien, la plupart de mes albums préférés sont ceux<br />
que j’ai détestés ou qui me dérangeaient<br />
profondément. Par exemple la première fois que j’ai<br />
entendu The Boxer de The National, cela m’a<br />
totalement insupporté. Je n’aimais pas sa voix, son<br />
look, la structure des sons. Aujourd’hui, avec le<br />
temps, c’est sûrement un de mes albums préférés.<br />
Comment avez-vous changé d’avis ?<br />
Je ne sais pas. Je ne pouvais pas m’empêcher de<br />
revenir dessus, de le réécouter tellement je le<br />
détestais. Je ne dis pas que c’est la réaction que<br />
j’aimerais forcément provoquer chez les gens mais le<br />
nombre de personnes qui écoute un album et l’aime<br />
immédiatement rate quelque chose. Il faut passer<br />
outre le fait d’aimer un genre de musique et essayer<br />
de creuser un peu plus. Pour moi, l’intérêt de faire de<br />
la musique c’est de trouver le lien entre quelque<br />
chose de beau et d’intéressant sans avoir peur de<br />
provoquer une réaction chez l’auditeur, bien au<br />
contraire, qu’elle soit positive ou négative.<br />
Lorsque vous composez, pensez-vous aux émotions<br />
que vous souhaiteriez transmettre ?<br />
Lorsqu’on compose seul, on est obligé d’être son seul<br />
public. Tout ce que je fais est personnel. Je suis<br />
devenu un fan de musique dès l’instant où j’ai<br />
commencé à en faire. Quand on travaille dur, on a<br />
envie d’être autant impressionné par le travail des<br />
autres que par le tien, pas d’un point de vue<br />
narcissique bien sûr mais ceux qui font de la musique<br />
pour l’argent ou le succès se trompent.<br />
Vous devez avoir de nombreuses influences qui vous<br />
ont toujours marqué depuis votre enfance, mais<br />
récemment, qu’avez-vous découvert dans les autres<br />
domaines artistiques qui a enrichi votre univers<br />
musical ?<br />
Take Care de Drake a eu un énorme impact sur moi. Il<br />
m’a surtout impressionné au niveau de la production.<br />
C’est un génie dans le sens où il trouve les meilleures<br />
personnes et les meilleures idées à placer dans un<br />
contexte moderne. Il a osé mettre certains types<br />
d’orchestrations là où on ne s’y attend pas, et ça<br />
marche. Dans un autre registre, j’ai vu Gravity<br />
récemment, un des meilleurs films que j’ai jamais vus.<br />
J’adore le réalisateur (Alfonso Cuarón, ndlr). Il a su<br />
créer quelque chose de brillant et qui a eu un succès<br />
mondial alors que le sujet ne tourne qu’autour d’une<br />
seule et même personne. La plupart de mes films ou<br />
albums préférés sont de gros succès commerciaux.<br />
J’adore l’idée que quelqu’un puisse faire à la fois<br />
quelque chose d’ingénieux et commercial et qui va par<br />
conséquent s’adresser à un large public. C’est<br />
beaucoup plus difficile à faire que quelque chose de<br />
faussement artistique qui ne va s’adresser qu’à un<br />
groupuscule ou un public niche.<br />
En parlant de cinéma, vous avez travaillé en<br />
collaboration avec Aoife McArdle pour votre<br />
clip et allez en faire une trilogie…<br />
Oui, c’est vrai. Elle est en train de travailler dessus.<br />
J’avais énormément apprécié son travail sur Open<br />
Eye Signal de Jon Hopkins. J’ai décidé de lui laisser<br />
toute liberté pour réaliser le clip à sa façon. Je n’ai<br />
pas voulu m’imposer car je ne suis pas réalisateur, j’ai<br />
totalement confiance en sa vision artistique. Le clip<br />
qu’elle a fait venait de son propre ressenti. Le fait de<br />
faire réagir un artiste et d’apporter sa pierre à l’édifice<br />
d’un autre artiste est toujours extrêmement<br />
enrichissant.<br />
Pourquoi avoir choisi Cavalier comme premier titre<br />
extrait, pour promouvoir votre album ?<br />
Parce que je ne voulais pas introduire ce nouvel albul<br />
par une chanson dans la lignée du précédent. C’est<br />
audacieux mais je voulais que les gens sachent tout<br />
de suite que ça allait être différent, surtout au niveau<br />
de l’aspect esthétique !<br />
Propos recueillis par Louise Autain<br />
Photographies : Yann Morrison, pour Crumb<br />
magazine
BEN<br />
HOWARD<br />
Interview publiée le 25 novembre 2011<br />
« Le problème, lorsque je viens à Paris, c’est que je n’ai le temps que de fréquenter salles de concerts<br />
et cafés et très peu la ville au final ». C’est sur ces mots que Ben Howard commence notre entrevue à<br />
l’heure du déjeuner, à quelques minutes de son premier grand rendez-vous dans une radio française.<br />
Le temps manquait, alors nous ne nous sommes pas assis. Nous avons préféré nous balader et parler<br />
en marchant, dans le dédale des rues du 1er arrondissement de la capitale. Le temps, peut-être, qu’il<br />
voie enfin Paris. Des échanges entrecoupés de rires, d’attention aux rues que l’on traverse et aux<br />
voitures qui luisent sous la lumière de l’automne. Je pose une première question à Ben, qui rêvasse. Il<br />
me répond « Beautiful day isn’t It ? »…<br />
Tu fais partie des artistes qui utilisent leur guitare<br />
comme instrument de percussion… Peut-on<br />
commencer là-dessus ? Cela m’intrigue assez…<br />
(Rires) La guitare est pour moi l’instrument le plus<br />
frustrant au monde ! Je suis très souvent limité,<br />
j’arrive parfois à cette impression de ne pas en savoir<br />
assez. J’aimerais pouvoir composer un bon morceau<br />
de blues, jouer de manière plus libre et surtout<br />
comprendre comment cela fonctionne. Car je ne sais<br />
jamais vraiment ce que je joue. J’imagine, j’entends<br />
les notes dans ma tête, mais je ne connais pas leur<br />
nom. Alors, en attendant, en effet, je tapote dessus !<br />
Est-ce que tu sais au moins comment fonctionne<br />
l’amour ? J’ai remarqué que le mot « Love » revient<br />
dans chacune de tes chansons, titres ou paroles ?<br />
Ah ça, je ne sais pas. Mais en effet, « Love » est<br />
partout. Il me semble qu’il est toujours plus facile<br />
d’écrire sur ses sentiments, notamment les chagrins<br />
ou contrariétés liées aux relations amoureuses car il<br />
s’agit d’émotions brutes, au sens premier du terme.<br />
Mes chansons parlent des gens, en général, de la<br />
manière dont ils interagissent ensemble et dont<br />
j’interagis avec eux. Les relations les plus fortes que<br />
l’on entretient avec ceux qui nous entourent<br />
impliquent très souvent l’amour. Du moins pour moi.
Et quand cela va mal, j’écris ! Mais tous les artistes<br />
font la même chose, non ?<br />
Je crois. Il y aussi chez toi la peur et ton titre « The<br />
Fear »… Pourquoi ce nom ?<br />
Cette chanson concerne en fait la détermination, le<br />
but, dans la vie de chacun. A l’origine elle ne devait<br />
pas être pour moi. Arrivé à la moitié du texte, dans ma<br />
phase de travail, mon processus d’écriture, je me suis<br />
rendu compte que j’étais à nouveau en train d’écrire<br />
une chanson sur moi. J’y parle de mes réflexions en<br />
général, des questions – souvent beaucoup trop<br />
nombreuses – que l’on se pose quant aux bonnes<br />
décisions à prendre dans nos vies. En tant que<br />
musicien, je me demande souvent à quoi sert la<br />
musique. Pourquoi est-ce que, nous artistes,<br />
montons-nous sur scène ? Devant un public ?<br />
Pourquoi les gens sont là, réagissent, applaudissent,<br />
encouragent ? C’est un métier étrange. Ce n’est peutêtre<br />
même pas un métier, je ne sais pas. Cela des<br />
responsabilités. Du coup, je passe pas mal de temps<br />
à me demander si je prends les bonnes décisions, si<br />
j’emprunte les bons chemins artistiques ou<br />
personnels. Parfois, je suis effrayé par ces choix, par<br />
les étapes qui suivent. Cette chanson parle de cela.<br />
(Silence. Un temps)<br />
Pour l’anecdote, ce qui est drôle, c’est que j’ai fini par<br />
avoir réellement peur de jouer cette chanson. Chaque<br />
fois qu’on l’interprète avec le groupe, il y a quelque<br />
chose qui foire. Une fois, en la jouant, j’ai cassé trois<br />
cordes, trois fois de suite, sur scène. Une fois, Chris<br />
(son bassiste, sur scène, ndlr) en a cassé douze, un<br />
record. Dernièrement, les cymbales de la batterie sont<br />
tombées par terre en plein milieu du morceau. C’était<br />
dingue. A croire qu’il y a quelque chose autour de ce<br />
titre, que je ne contrôle pas…<br />
Ben continue la promenade. Debout, entre deux<br />
immeubles, essayant de respirer ce qu’il reste de<br />
soleil, il me demande :<br />
« Tu as écouté mon album en entier, d’un bout à<br />
l’autre, ou tu seulement des pistes de façon arbitraire<br />
? ».<br />
Je lui réponds que j’écoute toujours les albums d’un<br />
trait. Ma réponse semble le satisfaire. Il sourit et dit :<br />
Il y a beaucoup de chansons écrites à des moments<br />
très différents de ma vie dans cet album. Les<br />
morceaux représentent mes trois dernières années,<br />
jusqu’à aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à travailler<br />
dessus, j’avais à peu près vingt-cinq titres avant de<br />
passer à l’enregistrement. Il en reste dix aujourd’hui.<br />
Keep Your Head Up est la plus ancienne. Elle date d’il<br />
y a trois ans, The Wolves d’il y a deux ans, alors<br />
qu’Only Love, Black Flies et The Fear sont<br />
relativement récentes et toutes fraîches. Le résultat<br />
est relativement homogène et il me semble avoir<br />
réussi à faire en sorte que tous ces morceaux,<br />
composés à différentes périodes de ma vie, dans des<br />
états d’esprit différents forment un tout et ne font<br />
qu’un. Il y a en ce sens, peut-être un fil conducteur, du<br />
début à la fin…<br />
Le tour du quartier terminé, on piétine un peu, pour<br />
avoir le temps de continuer à parler quelques<br />
secondes, de Laura Marling, de combien elle écrit<br />
bien. Ben me confie qu’il la considère comme la<br />
meilleure songwriter de Grande-Bretagne du moment.<br />
Il dit également écouter Little Dragon, James Blake et<br />
adorer Bon Iver. Pour lui, ces derniers tirent<br />
véritablement la scène musicale actuelle vers l’avant.<br />
En suspens, je le confie à Diane, notre photographe,<br />
le temps de quelques clichés et termine sur ces mots<br />
avant de vous laisser vous précipiter sur son album,<br />
là, maintenant, tout de suite.<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Photographie : Diane Sagnier, pour Crumb<br />
magazine
LES CAHIERS<br />
BOARDCULTURE<br />
Contenus dirigés par Laurie Cassagnes,<br />
publiés entre le 19 janvier 2013 et le 8 septembre 2014<br />
En 2013, Crumb a intégré dans ses colonnes, une rubrique « boardculture ». Comme une suite<br />
logique d’univers, de rencontres et de chemins à prendre, depuis les landes françaises et la Côte<br />
Basque jusqu’en Australie où notre coordinatrice éditoriale d’alors, Laurie, a posé ses valises. Une<br />
suite logique de regards sur la musique aussi – car ces univers sont liés, en tempos, en battements de<br />
cœur, en dépassement de soi. En deux ans, nous avons monté des partenariats, défriché des<br />
festivals, du Fise au Watsa et donné la parole à des baroudeurs de la nature qui ont, avec nous,<br />
construit une communauté rassemblée sous l’étiquette de notre magazine et de ce que nous avons<br />
appelé « Cross-Culture ». De la musique et de la ride. Quelques écorchures amusées pour deux<br />
cultures croisées.
After having scored a 9.97 out of 10 at one of the most feared waves, Pipeline in Hawaii, Nic Von<br />
Rupp is one of the biggest hopes in European surfing. Traveller, passionate by surf videos and famous<br />
for his colourful wetsuits, he will be one of the ones to watch in 2013. By Laurie Cassagnes. <br />
Nic ! After cover thousands of kilometres and<br />
overcome jet lag, where are you today?<br />
Hey, I’ve been all over this week. I was in Western<br />
Australia at the start of the week, and now in Bali.<br />
Can you present yourself for the people who might not<br />
know you ?<br />
My name is Nic von Rupp. I’m a 22 year old, German<br />
Portuguese Pro surfer. I was born in Lisbon Portugal<br />
with a German father and Swiss Portuguese mother.<br />
My life consists of chasing the world Tour of surfing<br />
and filming the best biggest waves our world has to<br />
offer.<br />
When did you start to chase the waves for the first<br />
time and where did that need come from ?<br />
I grew up on the beach. As a highly active kid I was<br />
always having fun in the waves with skimboards,<br />
bodyboards, until time came where I stepped up to the<br />
real deal. I must have been around 9 when i started<br />
getting into surfing. That was it, my first love, never<br />
looked back ever since.<br />
You’re only 22…When did you start surfing<br />
professionally ?<br />
Surfing professionally starts around age 15; at that<br />
age you’re already competing internationally against<br />
the best in the world in your age group. There is some<br />
pay checks involved straight away, but I only really felt<br />
professional at 17 when I got 5th in the World Juniors<br />
in Australia.<br />
You are famous too for your beautiful/colourful<br />
wetsuits …<br />
Ah my wetsuits! Last year Nike gave us the chance to<br />
choose the colours of our wetsuits. I did get a little<br />
excited and accidentally put all fluoro colours on all<br />
the wetsuits. It was alright for carnival time, but I had<br />
to surf in it all year. I do have to admit it was an<br />
embarrassing year of surfing … Aha!<br />
You even had the chance to sign with big brands as<br />
Hurley, Nike, Monster energy…<br />
Hurley is owned by Nike, it’s great to have the<br />
greatest sports brand involved in our sport. It really<br />
has pushed surfing to the next level.<br />
Which one of all competitions you did marks your<br />
memory the most and why ?<br />
Probably 2009 market me the most so far, it was the<br />
year I was finishing school and I really stepped it up<br />
for the first time on an international stage. It was like<br />
from being an average school boy to becoming 2nd in<br />
the European Pro junior tour and then becoming 5th at<br />
the World Juniors against the best in the world. Good<br />
memories…<br />
Your best wave ?<br />
Probably this year at the most feared Pipeline in<br />
Hawaii, I got a 9.97 score out of 10 in one of the most<br />
dangerous waves in the world.<br />
On the internet we can more watch you than read you.<br />
Do you prefer to appear in video to talk about and<br />
show what you do ?<br />
Surfing as the interesting visual side that the surfing<br />
community really enjoys watching videos of their<br />
favourite surfers giving their best moves. That’s why I<br />
do a lot of videos.<br />
Do you spend all your time to search for the most<br />
beautiful waves or you sometimes try to challenge the<br />
snow, the wind or the tar ?<br />
I go wherever the waves are, if its 10ft snow or 50º<br />
tropics. I don’t care; I just want the best waves<br />
possible.<br />
I like to ask one thing. How many continents did you<br />
lay your feet on and which culture that you felt the<br />
closest to?<br />
I don’t know, it’s been 10 years non stop travelling.<br />
But what I can say is I lay feet on every continent at<br />
least 1 time a year. I feel blessed to have the life I<br />
have<br />
I’ve got friends like family in a lot of places that I go to,<br />
so I would say those places are where i feel the most<br />
comfortable<br />
Between two destinations, what do you do? What type<br />
of music or artist do you listen ?<br />
I read books, Facebook, I listen to music …I like<br />
everything, house music, rap, groovy stuff, rock…<br />
What are your upcoming projects in the next few<br />
months ?<br />
I am filming for 5episodes of ”My Road” around the<br />
World!<br />
What are your objectives for 2013 in terms of results ?<br />
Win some some big WQS Events !
Surfing photography is not always the sandy-beach, hot-climate sport it’s made out to be. Christian<br />
McLeods passion has led him to explore places around cold and rainy Ireland. He spends his days<br />
between finishing college and exploring his lands. <strong>CRUMB</strong> catches up with the youngster to ask about<br />
the technical aspects of shooting in the water, his gear and craziest stories. By Laurie Cassagnes.<br />
Christian, where are you right now and what was the<br />
last thing you did before we started this interview?<br />
I would love to say something crazy like climbing a<br />
volcano or something, but in all honesty, I just got<br />
home from college. I’ve been working on my thesis all<br />
day. Can’t wait to be finished fully in a months time !<br />
Tell us about your background, where are you from?<br />
I am originally from Montana, pretty much the spot to<br />
be if you don’t want to be near the ocean ! But I’m<br />
living in Ireland right now , I’m never in one spot for<br />
too long.<br />
When did you first discover an interest in photography<br />
and did surf photography kick in?<br />
It’s funny, I started studying Engineering in college<br />
and had my head focused on that. In the 2nd year, I<br />
stumbled upon my Mom’s old cameras. So naturally, I<br />
picked them up and started investigating, tearing them<br />
apart and taking photos etc… Then I grabbed my own<br />
semi-old digital camera and started bringing it to<br />
college. A lot of sneaking by Lecturers with my small<br />
camera bag had to be done, and it grew into an<br />
addiction.<br />
From there, I think it was about 5 weeks and I took it<br />
with me on a little surf to a local spot, and took a<br />
couple snaps, showed them to a friend who said I<br />
should send them to Tonnta, the Irish surf magazine.<br />
Three weeks later it was published as a double page<br />
spread (I still have the copy on my desk)! It was so<br />
surreal.<br />
Your photos are incredible, when did you realise that<br />
photography was the direction you’d like to be<br />
heading?<br />
Even after I had that image published it was still just a<br />
hobby, a fun outlet to pass the time after class. I’ve<br />
dreamt about making photography a living and<br />
thought that it’s just a dream, until this year, and I<br />
made a decision one day in January of this year while<br />
I was on a bus back from Germany that I want to do<br />
this for the rest of my life. I look at the work I’m doing<br />
in college. I like engineering and would have no<br />
problem working in that industry, but this is my love.<br />
Is there any particular camera that you like to use the<br />
most?<br />
Right now I’m in a mixing pot. For the past 2 years I’ve<br />
been on all Canon gear, mainly a 5Dmk3 and a 7D.<br />
But just this year with all the traveling and hiking I’ve<br />
been doing I started searching for lighter cameras.<br />
Generally with the Fstop Bags I use, I don’t really<br />
need to think about the weight on my back, but I find I<br />
have so much other necessary gear I’ve had to cut<br />
down on camera weight, so I’ve snagged a new Sony<br />
camera to replace my 7D, which is literally a weight off<br />
my shoulders.<br />
Where was your last shoot ? What did you do there<br />
and what did you bring back from it? I can’t say<br />
much about Where my last shoot was, but let’s just<br />
say the South of Ireland has so much potential for<br />
good waves. I was shooting for Riptide Magazine who<br />
have started a 200 hours project for their 200th issue,<br />
and I’m more than stoked to be a part of it.<br />
What is or has been your favourite location to shoot?<br />
Do you prefer to shoot from land or in the<br />
water?<br />
There have been so many beautiful places! Norway<br />
was one that really sticks out in my mind, but then<br />
again Ireland just has so many amazing landscapes,<br />
not many countries can compete. I have no<br />
preference, to land or water, when it comes to<br />
photography, it completely depends on the waves and<br />
the landscape. However on a personal note, I love<br />
being in the water more than sitting on dry land.<br />
Has the ocean always been a huge part of your life?<br />
Shockingly it hasn’t. Being born in the middle of the<br />
Rocky Mountains didn’t really offer me much ocean<br />
life. First time I remember seeing the sea was when I<br />
was 7, in California, and I was only driving by on the<br />
way to the airport. I started surfing when I was 15 and<br />
from there my love grew for the ocean.<br />
You spend a lot of time in the ocean with dangerous<br />
currents and house highwaves. What were the most<br />
dangerous situations you’ve faced so far when<br />
photographing surfers?<br />
That would definitely have to be my first swim at a<br />
spot down south called Aileen’s. It wasn’t the scariest<br />
day and no one was getting into trouble out in the<br />
lineup or anything but I just lost attention because of<br />
the amazing waves and amazing scenery. I remember<br />
i so vividly. I was swimming with my housing, and<br />
trying to get a different angle moving closer to the end<br />
bowl and sneaking just over the edge each time. Jack<br />
Johns dropped into this massive barrel and I started to<br />
smile, pulling the trigger I knew I had something<br />
special and I just made it over that wave and over the<br />
next wave aswel. It seemed like there was a brief lull,<br />
so I started taking a couple shots of the landscape<br />
and I hear this whistle, and a few hoots and hollars. I<br />
thought, “What’s that?“. I look and the jet skis are way<br />
out in the channel, and the surfers and way out to sea.<br />
I never felt my gut drop like that in my whole life. I got<br />
pulled deeper from the rip and closer to the cliffs, and
then the adrenaline kicked in, I swam for dear life. I<br />
saw the first wave coming and I couldn’t believe it. I<br />
thought I was gonna make it, dove under the wave,<br />
popped up, kept my head down and kept swimming,<br />
knowing there would be another one, and boy was I<br />
right. A massive 15ft set wave was already starting to<br />
break out the back and I had the slimest chance of<br />
making it. I swam as hard as I could with my 1Kg<br />
waterhousing and my little legs. I saw the lip coming<br />
on the end bowl and I dove under once more, and<br />
gave my arm a huge stretch to grab some seaweed<br />
and I couldn’t reach the bottom. It suddenly felt like I<br />
was about to make it, the feeling of raising t the<br />
surface out the back. Then, I felt this thump and heard<br />
the sound of crushing ice. I was immediately thrown<br />
and felt as if I just jumped off a giant ledge, then<br />
another pounding. I’ve been through wipeouts before<br />
but never with a waterhousing and fins. Holding my<br />
camera to my chest to protect it, as you are advised<br />
by the pro’s to do, was impossible as my whole body<br />
was being ragdolled. I eventually came up and took a<br />
breath of air to see the next wave break ahead, and<br />
white water heading towards me. I made it fine under<br />
that, apart from the feeling of my foot being caught on<br />
kelp. I started to panic and started shaking my leg,<br />
and finally made it free and up to the surface again.<br />
Got washed out to the channel and started to kick<br />
when I realised my fin was gone, which I later figured<br />
out was shaken off by myself in the panic of the attack<br />
of the seaweed. Everything worked out fine. I’m<br />
actually quite stoked to have experienced that, and<br />
also to get a cover from the shot of Jack Johns, really<br />
making the beatings worth while.<br />
You’ve shot big waves surfers like Nic Von Rupp that<br />
we interviewed a year ago. Which other surfers have<br />
you already photographed?<br />
I actually haven’t shot with many big name Pro<br />
surfers, apart from Nic. I’ve shot alot with the local<br />
rippers like Gearoid McDaid, and Barry Mottershead,<br />
and so many other great surfers here who love to<br />
adventure.<br />
Do you know them or they ask you to come with<br />
them?<br />
I know quite alot of the Irish and British surfers and<br />
have shot with them on a variety of swells. It’s always<br />
great to get a phone call from a surfer and they want<br />
you to shoot.I find it such an honor that they find my<br />
work good enough for them to ask. If my work can<br />
stoke someone out, it makes me happy.<br />
The business and the sport has changed over the last<br />
years. In your opinion what are the biggest changes<br />
that surf photography is confronted with currently?<br />
That’s a good question. There have been so many<br />
changes as you said, and every change has it’s<br />
upsides and it’s downsides. For instance digital/social<br />
media. I’ll go shoot waves at Mullaghmore one day,<br />
and by the time the surfer has finished the wave it’s<br />
already up on the National News. This is great for<br />
broadcasters, newspapers, journalists (with their<br />
iPhones) but pretty bad for photographers. I am not<br />
worried about losing business or anything like that, but<br />
people see the images instantly, and an instant later<br />
they’ve forgotten about it and moved onto the next<br />
topic, which is a little sad. Saying this, the growth of<br />
social media has helped so many photographers and<br />
artists like myself to show their work to the world and<br />
let people enjoy it, instead of it collecting digital dust<br />
on an overpriced hard drive. I love you and hate you<br />
social media.<br />
In terms of self-marketing and social media, several of<br />
your photographs have been regrammed by the Red<br />
Bull Instagram account. Do you think that the<br />
influence of these kinds of brands helped you? With<br />
which brands are you in collaboration now?<br />
Working with brands is all a part of the business I’ve<br />
jolted myself into. Working with Brands and<br />
Magazines, such as O’Neill, Sea Stoke, Fstop Gear,<br />
Zeal Optics, Red Bull, or Billabong, are both a brilliant<br />
way to bring my work to light but also a great way to<br />
help bring a little adventure to alot of people. It’s<br />
amazing seeing how happy people get on social<br />
media just from seeing a cool photo of a wave or a<br />
hiking trail. I love spreading the stoke.<br />
If you’re not out shooting, what are you doing?<br />
At the moment? Typing out my Thesis for college.<br />
Generally? Surfing, sending emails or spending time<br />
with my girlfriend (in no particular order).<br />
What type of music or artist do you listen?<br />
Music my good friend. The band MEW have always<br />
been a great travel companion to me, always in m ear<br />
reminding me of old adventures. Nothing beats a little<br />
old school jazz either…<br />
Finally, what does the future hold for you and your<br />
work and where do you see yourself in five years from<br />
now?<br />
I’ve never been good at telling the future, as you can<br />
see 4 years ago I would have pictured myself as an<br />
engineer in 5 years time. But saying that, I see myself<br />
traveling and spreading my adventures and working<br />
with the best brands and magazines across the world,<br />
no question about it!<br />
Have you got any projects up your sleeve? Any last<br />
word?<br />
I have been doing nothing apart from planning project<br />
for the past 4 months, so yes is the answer, and no I<br />
can’t tell you yet. You will see.<br />
Thanks to my Mom for bringing me to the ocean, and<br />
all the people and companies who have helped me<br />
stay at the ocean.
He makes average waves look good, he makes powerful waves look soft and impossible tube time<br />
look easy. Everything is second nature to him. Half German, half Canarian, globe-trotter …<br />
Considering the way we want to speak about the boardculture in Crumb, it appeared as an evidence to<br />
us to interview Pablo Prieto for first in Water section and that he makes us share his experiences.<br />
By Laurie Cassagnes.<br />
Hey Pablo! Where are you in the world today?<br />
Hi, I am in Fuerteventura at this moment. I live in a<br />
little apartment in the north of the island. Can you<br />
present yourself briefly for the people who might not<br />
know you? That is one of those questions no one<br />
knows what to say… Well my name is Pablo and I am<br />
half german and half spanish. I have grown up most of<br />
my life in the canary Islands, Tenerife. I Studied<br />
Marketing in England and after University I started up<br />
Star Surf Camps together with 2 friends. I love<br />
travelling and the ocean and really enjoying<br />
photography lately as well.<br />
When did you slip on the bodyboard for the first time<br />
and where did that need come from ? When I was<br />
living in Germany ( age 4 -9) I have always dreamt of<br />
Surfing. I think my older brother got me into that<br />
thought. When we moved to Tenerife the first thing me<br />
and my brother wanted to do is surfing, but there was<br />
only enough money for a Bodyboard and many of the<br />
local kids where into bodyboarding. It is a very big<br />
sport in the Canary islands and considered one of the<br />
best places in the world to practice this sport due to its<br />
incredible type of waves. The final Event of The IBA<br />
word tour is also hold here. The Fronton Pro. The<br />
sensations the sport gives you on so many ways was<br />
more than enough to fall in love with the ocean and<br />
the sport.<br />
When did you start bodyboarding professionally?<br />
My first contest was at the age of thirteen. After that<br />
point everything happened fairly quickly. Meeting<br />
others on a same level provides you with the<br />
motivation to improve quickly. With the age of six I<br />
entered the German National Team and started to<br />
challenge myself to compete on European level. I was<br />
still at school at this point and my studies have always<br />
been a priority. Once I finished I had more time to
focus on the World tour to compete on the highest<br />
level.<br />
You even had the chance to sign your own Pro Model:<br />
The Pablo Prieto Arin pro Model. Tell us about that.<br />
How did you work on it, design and technologies wise<br />
?<br />
Throughout your Bodyboarding career you enter many<br />
events, that can be forgotten quickly. Being able to<br />
design my own Signature Model is something very<br />
special to me as a reflection to my achievements. I<br />
have been riding with Arin for 6 years now. And the<br />
relationship I have with the Shaper and owner of the<br />
brand is incredible. We work on different materials<br />
depending on the type of wave and water temperature<br />
trying to increase the performance of the riders. I had<br />
a variety of boards prior of being of Arin. I had a good<br />
idea of what kind of boards I liked in terms of shape<br />
and dimensions. It was friend Amaury Laverne<br />
,French rider from Reunion Island and 2010 IBA Word<br />
Champin Amaury Laverne who helped me finding the<br />
final dimensions of an all round board that should suit<br />
the kind of waves I identify my surfing the most<br />
You did a lot of competitions, which one marks your<br />
memory the most and why ?<br />
I think those done on local territory are very special<br />
due to the support you see on the beach. The actual<br />
waves play a big role as well though. The “Margara<br />
Big Wave Challenge Invitational” in Puerto Rico was<br />
one of my favourite events. I just love that place, the<br />
people and the waves. Being an invitational event and<br />
not part of the World Tour changed the attitude and<br />
atmosphere entirely. Friendship in incredible waves<br />
with only a few people out, combined with a good<br />
result ( 2nd ) is definitely one of my best memories.<br />
Big Hallo to all my friends From Puerto Rico.<br />
Your best wave ?<br />
The best wave is always at home. No matter how<br />
good it gets it will be the one where you have<br />
experienced the most and shared good moments<br />
amongst your friends.<br />
You’ve also travelled a lot, how many continents did<br />
you lay your feet on, how many miles have you been<br />
through? (approximately !)<br />
Wow, made me count now….. North and South<br />
America, Australia, Asia, Afrika and Europe. Miles?<br />
that I could really not tell you ! I would definitely say<br />
that if I have had my frequent flyer cards on me at all<br />
times, I would be considered a very good customer.<br />
A destination, or a culture that you felt the closest to ?<br />
I am a mix of cultures myself and have always felt<br />
comfortable with cultures that have had many foreign<br />
influences in their past .On the other hand every place<br />
has so many incredible things to offer that are so<br />
unique and not found elsewhere. I still have a lot to<br />
discover but once again Puerto Rico is one of those<br />
places I felt like at home. It has the latin, the island<br />
live-style I am used to and a great passion for the<br />
ocean, light-life…..<br />
I heard that you created your own surf camps, what<br />
were your motivations ?<br />
I have worked as a Surf Instructer within Surfcamps<br />
since the age of 17. Every Summer between school or<br />
University I spent my time in the South of France,<br />
Moliets to teach Surfing and Bodyboarding. I love the<br />
sport, the people you meet and the lifestyle. Whilst in<br />
University I met my 2 best Friends and business<br />
partners Joe and Sami who also follow the passion for<br />
the sport. We had similar ideas on how we would like<br />
our future to be, and after 4 years we still live together<br />
working hard every day and enjoying what we do.<br />
Of course there is learning how to surf, skate,<br />
bodyboard… but there are also cultural excursions<br />
organised in big cites close to the camps, and party…<br />
Can you explain the goals you set to achieve thanks<br />
to those activities ?<br />
I guess we try to teach the lifestyle of surfing that<br />
surrounds the sport as much as the technical part of it.<br />
Travelling and meeting people from around the world<br />
who share the same passion is just part of it. Most<br />
people who come to visit us come back and develop<br />
their skills and passion for travelling visiting us in<br />
Indonesia, Morocco and on Fuerteventura.<br />
I’ve heard the lessons your surf camps give are one of<br />
the best ? How do you explain that ?<br />
That is very nice to hear, thank you. I believe in having<br />
teachers who love what they do. These have been in<br />
the sport for many years, travelled the world and<br />
many of them have also competed on international<br />
level. They love to be in the water helping until they<br />
see the satisfaction and excitement of their students<br />
first waves. The students motivation and excitement is<br />
a reflection of the Instructor. Thanks boys.<br />
What are your upcoming projects in the next few<br />
months ?<br />
We have been working really hard on our current<br />
projects. Bali, Morroco and Fuerteventura are our new<br />
destinations and we hope to be able to deliver the<br />
same quality we have been delivering in France so<br />
far.<br />
Is there something or someone you wish to talk about<br />
?<br />
I would like everyone who has not done the sport to<br />
try it. Find the time to escape from routine and find a<br />
passion. Going surfing will always make you smile<br />
and forget about problems.
Capturing adventure and immortalizing the beautiful is the fuel for Adrian’s artistic fire. With a<br />
knapsack on his back, a camera around his neck, and his feet on a skateboard, He illustrates and<br />
photographs people and places that inspire and stimulate astonishing moments, from every corner of<br />
the world. How to do what he does? Go travel, go experience, go live. By Laurie Cassagnes.<br />
Adrian! Can you talk a little about where you grew up<br />
and when you got into art and more especially<br />
photography?<br />
I grew up in Australia on the Gold Coast, well known<br />
for its amazing surf and perfect weather, so I spent a<br />
lot of time outdoors exploring which I guess lead to my<br />
passion for travelling and adventuring later on. My<br />
interest in Photography came from travelling; I<br />
became obsessed with trying to capture the beautiful<br />
and interesting places and situations that I discovered<br />
around me. With art and illustration it is something<br />
that I have always been doing since i was a child; I<br />
have loved drawing for as long as I can remember.<br />
What drew you to life as a photographer?<br />
Travelling! Skating, exploring, cultures, interesting<br />
people, beautiful places… All the things that need to<br />
be shared!<br />
Can you share what visually appeals to you as a<br />
photographer and why you shoot what you shoot?I am<br />
drawn to images that create a feeling or atmosphere<br />
of a place or a moment. Something that feels totally<br />
true and real to the moment, something very organic.<br />
These images are the most interesting for me.<br />
What advice would you offer to photographers that<br />
would like to get into lifestyle photography?<br />
Live! Travel the world, meet interesting people,<br />
explore… Be inspired by your surroundings. It is hard<br />
to understand what to capture if you have not<br />
experienced it yourself.<br />
I know you travel a lot. Where were you in the world?<br />
On how many continents have you laid your feet on? I<br />
have been to every continent except for South<br />
America! (and Antarctica). I first started travelling<br />
around Southeast Asia many times (Vietnam,<br />
Malaysia, Thailand, Philippines, Singapore, Hong<br />
Kong) spent some time in Japan also. I have travelled<br />
in India a few times and spent some time in Sri<br />
Lanka… also apart from that I have spent the last few<br />
years back and forth travelling around many places in<br />
Europe and also down to Morocco. I have lived in<br />
England, Italy, Portugal and Turkey and recently lived<br />
in New York for a few months and travelled around<br />
America in a van. Currently I am living in London!<br />
Hopefully I will continue to travel and learn and gain<br />
new experiences.<br />
How do you feel when you travel when you leave your<br />
hometown? Do you take the travel as a break or a<br />
new adventure?<br />
Everything is always a new adventure I guess, I<br />
haven’t lived in my hometown for 7 years now, so it is<br />
nice to go home, but also good to keep everything<br />
fresh and new at the same time.<br />
Can you explain why you choose Mowgli ?People<br />
started to call me Mowgli because I look a lot like<br />
Mowgli from the Jungle book and I have a crazy love<br />
for animals. I guess it suits my passion for exploring<br />
and adventure aswell so I thought it was the most<br />
fitting name to use for myself!<br />
Which aspects of surfing, skating, travelling and<br />
lifestyle do you try and capture through your<br />
photographs?<br />
I think all of these things have a sense of freedom and<br />
creativity that is an important part to try and capture<br />
as a part of the lifestyle.<br />
Do you skate or surf? Your favourite tricks/spot? I<br />
grew up skating and I can surf but I am really bad! My<br />
two favourite surf spots are in Morocco and Sri Lanka<br />
but they are secret spots don’t want to give it away!<br />
We talk about photography, lifestyle and boardculture.<br />
Beside all of this, there is another part of culture… I<br />
know you love drawing/ painting on the paper/walls…<br />
Can you explain your graphic illustrations/your way to<br />
draw?<br />
My drawings I guess are a way of expressing a more<br />
light hearted and fun side of my brain, everything I<br />
draw tends to be quite twisted and quirky.. i like to try<br />
and make people feel happy and less serious when<br />
seeing something i have drawn or painted on a wall.<br />
Is there a link between photography, boardculture and<br />
art? In your work too?Of course! Alot of my drawings<br />
and photos are influenced by boardculture, from<br />
graphics I see, videos, magazines.. certain things that<br />
are visually connected to Boardculture influence the<br />
images and art that I create.<br />
To close this conversation what is on your MP3 in this<br />
moment ? Your favourite band or music ?<br />
Right now I am listening to Teebs but also have been<br />
listening alot to The Holydrug Couple and Mulatu<br />
Astatke… Three very differents but chilled! Beats,<br />
Psychadelic and Ethiopian Jazz!<br />
Where do you hope to take your talents in the future?I<br />
would like to just keep travelling and learning, taking<br />
photos and creating art and improving what I do and<br />
how to do it. I would love to be involved in a project<br />
where I am able to use my skills to benefit others in<br />
another country that I have visited. I have a really<br />
exciting project like this that I have already pitched<br />
coming up in the next year which is exciting so you<br />
have to stay tuned for that !
MINA<br />
TINDLE
Interview publiée le 16 mai 2012<br />
Le Limier, 1972. Dernier film de Mankiewicz en tant que réalisateur -un de ses réalisateurs préférés.<br />
Elle parle d’un huis clos, d’une belle rencontre entre le théâtre et le cinéma. Milo Tindle, lui, coiffeur,<br />
correspond parfaitement à l’image du parvenu américain, du nouveau riche. Il rencontre le propriétaire<br />
d’une maison immense, une sorte de magnifique manoir, riche collectionneur d’objets de cirque, de<br />
maquettes, disséminées dans toutes les pièces de la demeure. Le film parle d’une lutte entre les deux<br />
hommes, qui se piègent chacun leur tour pour l’amour d’une femme. Si les deux personnages ne<br />
partagent guère plus qu’un nom très similaire, Mina Tindle trouvait que ce dernier sonnait bien. Elle l’a<br />
gardé à cause de sa page MySpace nommée ainsi, de ses premiers concerts joués sous ce<br />
pseudonyme, de même que les premiers articles écrits sur elle. Nous l’avons rencontrée un aprèsmidi<br />
ensoleillé pour l’entendre raconter l’histoire de Taranta, son premier album. Voilà.<br />
Taranta, cela signifie quoi ?<br />
C’est une des dernières chansons que j’ai écrite, qui<br />
n’est pas sur le disque. Je n’ai pas encore eu le temps<br />
de l’enregistrer. Récemment, dans un concert à la<br />
maroquinerie, j’ai invité des amies chanteuses, qui<br />
chantent divinement. J’avais même invité a mère,<br />
mais elle n’a pas osé venir ! Je suis tombée<br />
amoureuse de l’Italie du sud, une de mes meilleures<br />
amies en est originaire. Il y a cette tradition de la<br />
Tarentelle là-bas : cette danse, cette musique<br />
ancestrale propre à cette région. C’est une tradition<br />
transmise oralement, un véritable rite de passage,<br />
que chaque femme apprend différemment. Il s’en<br />
dégage une dimension très spirituelle. Ma mère m’a<br />
raconté des histoires et le fantasme qu’il y a autour de<br />
cette danse, ce qui m’a fasciné au point d’écrire cette<br />
chanson. Les femmes qui travaillaient dans les<br />
champs de tabac avaient des conditions de vie très<br />
difficiles, toute la journée en plein soleil, quand elles<br />
ne se faisaient pas taper dessus ou violer par leur<br />
patron. Mais une fois par an, elles avaient le droit de<br />
danser, dans une sorte de carnaval, ce qui constituait<br />
une véritable libération. Lorsqu’elles dansaient ainsi,<br />
on les qualifiait volontiers de folles, comme si elles<br />
avaient été piquées par une araignée -taranta en<br />
italien, d’où la Tarantelle. Les danses étaient justifiées<br />
pour faire “sortir” le venin qu’elles avaient en elles,<br />
dans une sorte de transe qui pouvait durer des<br />
heures, des nuits entières jusqu’au petit jour, en rond.<br />
C’est une belle image sur la création, l’hystérie et les<br />
femmes que j’ai voulu garder.<br />
Tu as pris ton temps pour créer des morceaux riches.<br />
Comment faire sur scène pour recréer l’atmosphère<br />
de l’album et la complexité de ses arrangements ?<br />
On a essayé d’adapter les morceaux pour la scène,<br />
bien sûr, car les morceaux sont très produits. J’ai une<br />
pédale de loop, pour faire des boucles. L’année<br />
dernière je faisais mes concerts toute seule, j’ai appris<br />
à m’en servir au fur et à mesure. Deux garçons<br />
m’accompagnent au chant. L’un d’eux a une voix<br />
extrêmement aigüe, qui lui permet de chanter presque<br />
toutes les lignes que je chante sur le disque. Olivier<br />
Margueri, des Syd Matters, s’occupe de la session<br />
rythmique. Grace au pads, il balance des séquences<br />
prises du disque, pour donner un peu d’épaisseur. En<br />
étant peu sur scène numériquement, il est difficile<br />
d’habiller les morceaux autrement.<br />
Quel est ton moment préféré pour écrire ?<br />
La nuit. Je ne crois pas encore avoir de déclic ou<br />
d’habitude. Mais la nuit, je peux me retrouver à bosser<br />
sur des enregistrements ou des maquettes et être<br />
hyper heureuse. J’enregistre beaucoup chez moi.<br />
Tu n’écris donc jamais en rentrant, en ayant un peu<br />
bu ?<br />
En général, j’évite de boire quand je bosse seule.<br />
Cela serait un peu triste, non? Quand je bois, c’est<br />
que je suis avec des gens et que je n’ai donc pas<br />
envie de bosser. Parfois, en tant que bonne « geek »<br />
des temps modernes, je me retrouve sur Facebook, à<br />
écouter les morceaux que certains amis musiciens<br />
postent ou à cliquer sur une vidéo de Nina Simone<br />
pour ensuite écouter tous les liens associés. En étant<br />
un peu ivre, avec les images, je trouves presque que<br />
la musique est mieux que d’ordinaire ! J’ai un rapport<br />
bizarre avec les vidéos, Internet. Les gens cliquent, tu<br />
« likent », approuvent sans vraiment regarder, mais<br />
ne prennent pas le temps de regarder. Internet est<br />
complètement chronophage. Passer autant d’heures<br />
devant un ordi, quand on y pense, avec du recul, c’est<br />
c’est un peu ridicule. Ce que je préfère ? Écouter de<br />
beaux vinyles quand je rentre, le soir.<br />
Propos recueillis par Bastien Internicola<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
1995<br />
& LE GARAGE<br />
L’AUTRE IMAGE DU RAP FRANÇAIS<br />
Rencontre/Texte publiée le 15 octobre 2013<br />
Avec un premier album au succès indéniable et une fan-base active sur les réseaux sociaux, le<br />
groupe 1995 a réussi à s’imposer sur la scène musicale française en donnant un nouveau visage<br />
visuel au genre, sur la simple base d’une collaboration artistique avec le collectif Le Garage. Enquête<br />
sur l’ascension de 6 types normaux qui brisent les codes du hip hop hexagonal.<br />
Janvier dernier, l’antre de la (pseudo?) « coolitude »<br />
télévisuelle du Grand Journal accueillait pour son<br />
début d’année non pas une star américaine venue<br />
présenter son dernier single radio ou un groupe<br />
alternatif en pleine ascension mais bien une bande de<br />
potes originaire de Paris-centre, à même pas 10<br />
kilomètres de l’emplacement du studio. Tous affublés<br />
d’un costard bien propre comme il faut, les membres<br />
du groupe de rap 1995 inauguraient leur premier<br />
grand passage télévisuel sous les yeux du “feuprésentateur”<br />
vedette Michel Denisot et de centaines<br />
de milliers de téléspectateurs qui avaient plus<br />
l’impression de voir s’exécuter des jeunes sortant de<br />
la Fac plutôt que des « canailles de banlieue » comme<br />
les à priori bien français l’imposent. Une consécration<br />
pour le groupe et le paysage hip-hop français, tant le<br />
genre a souffert de sa longue marginalisation dans<br />
l’Hexagone. Mais avant de fouler les planches des<br />
médias grand public et de pénétrer dans la sphère du<br />
« cool » (terme en pleine démocratisation ces tempsci<br />
pour le meilleur, surtout le pire), les 6 membres du<br />
collectif ont eu recours à une mini-révolution dans le<br />
genre, aidé d’un bon coup de pied visuel et codifié.<br />
Originaire du Paris plein-Sud, 1995 (un neuf-neuf-cinq<br />
/ un double-neuf-cinq, ndlr) témoigne de l’histoire de<br />
quelques copains qui ont décidé de prendre un micro<br />
pour lâcher des couplets sur leur vie, parfois<br />
insouciante et festive, d’autres fois plus complexe et<br />
lourde de cicatrices. Un rap sincère et direct qui a vite<br />
su toucher une large partie de la population
mélomane française, pas habituellement friande de<br />
hip- hop comme l’on a vite pu le constater. Avec des<br />
productions sortant des carcans rap actuels (gros<br />
synthés, turbines à fond et gangstah feeling) la<br />
démarcation a d’abord été musicale : 1995 revendique<br />
sa passion pour le siècle dernier et ne se gène pas<br />
pour en faire sa marque de fabrique. Usant de<br />
samples tirés des trésors d’il y a 15 ans, ou<br />
s’acoquinant avec des nappes synthétiques plus<br />
modernes où planent arrières-pensées nostalgiques<br />
et passionnées, les 6 MC’s arrivent à se déconnecter<br />
du cercle fermé des ténors du genre, sans pour autant<br />
les rejeter. C’est cette singularité qui a permis au<br />
collectif de rentrer dans les iPod de pas mal<br />
d’aficionados d’autres musiques, tel que la pop,<br />
l’électro, ou parfois même le rock. Il suffit alors de se<br />
rendre à un concert du groupe pour constater la<br />
diversité du public : blancs, noirs, jeunes, vieux,<br />
clubbers, banlieusards ou (parfois) même CSP+<br />
Ne manquait plus qu’un levier majeur à ce coup de<br />
love musical, pour mieux pénétrer dans d’autres<br />
sphères que celui du hip hop français : l’identification.<br />
Avec leur look de parisiens « normaux », leur attitude<br />
propre, et une ribambelle de clips, pochettes et photos<br />
soignées, les 1995 ont très vite, réussi à tirer leur<br />
épingle du jeu par un visuel travaillé et original qui a<br />
amené la bande vers un nouveau public. Car la<br />
philosophie 1995 ne s’arrête pas seulement à des<br />
paroles balancées en l’air, elle se construit sur la base<br />
d’un logo récurrent, de photos à l’esthétique léchée<br />
loin des anciens codes graffs / banlieue / bling et de<br />
clips réalisés avec une portée artistique et<br />
conceptuelle qui a amené le groupe à faire parler de<br />
lui. Qu’ils se fassent trainer par terre pour « La<br />
Flemme », filmer de dos pour « La Suite », ou mettre<br />
en scène dans un stade municipal pour « Flingue<br />
Dessus », les kids intriguent et font parler d’eux.<br />
Même cas de figure pour les pochettes de « La Suite<br />
» et « Paris Sud Minute » – premier album en date –<br />
qui mettent tour à tour le groupe en scène dans une<br />
chambre d’hôtel et devant une épicerie avec sac de<br />
courses à la clé. A tel point que la bande s’est vu<br />
attribuer une étiquette « hype » qui la suit encore<br />
aujourd’hui : taxés de rap de bourgeois, rap de blanc,<br />
ou rap de « midinettes », 1995 se targue de faire ce<br />
qui lui plait, dans un esprit décontracté et détaché des<br />
règles imaginaires des puristes. En clair, l’alchimie<br />
1995 relève plus d’une cassure totale dans les codes<br />
visuels et sociaux du rap français que d’un véritable<br />
blasphème éthique et musical. Mais comment une<br />
simple bande de copains a-t-elle réussi à bouleverser<br />
esthétiquement toute une scène musicale entière ?<br />
Pour y répondre, il a fallu aller un peu creuser au fond<br />
de l’entourage 1995. Jusqu’à ce que notre œil soit<br />
attiré par un petit détail : à la fin de chacun des clips<br />
du groupe, on retrouve un logo apposé le temps d’une<br />
fraction de seconde. Formé d’un triangle surplombé<br />
d’un cercle, le symbole simple et direct n’a pas l’air<br />
anodin. C’est après renseignement que l’on<br />
découvrira que la petite entreprise à l’oeuvre derrière<br />
le fameux “signe” correspond à Syrine Boulanouar et<br />
ses potes du Garage. Formé en 2008 par 5 copains<br />
parisiens, tous sorti des arts décoratifs, Le Garage est<br />
une sorte d’épicentre artistique en plein cœur de<br />
Paris, dans lequel chacun de ses membres se<br />
développe individuellement et spécifiquement<br />
(photographie, réalisation, design, scénographie) tout<br />
en se rejoignant collectivement autour de certains<br />
grands projets. Amateurs de hip-hops et féru d’art<br />
contemporain, il manquait à ces garçons là un déclic<br />
majeur pour lancer la machine : la rencontre avec les<br />
1995 en sera la clé.<br />
Après quelques mails échangés et deux trois coups<br />
de fils passés, nous avons donné rendez-vous à<br />
Syrine (clippeur de la bande et tête principale de la<br />
DA d’1995 avec Antoine Durand et Samuel Lamidey,<br />
mais aussi actuellement en train de réaliser son<br />
premier long métrage) dans ses propres locaux situés<br />
au détour d’une petite rue pavée du cinquième<br />
arrondissement parisien. Le tout accompagné à la<br />
dernière minute de Sneazzy West, membre de 1995.<br />
Installés dans une brasserie parisienne ré-aménagée<br />
en atelier arty un peu bordélique, nous avons pu<br />
aborder la genèse de cette relation fidèle entre Syrine,<br />
le collectif et le groupe. Une rencontre qui a vu le jour<br />
par pur hasard, comme l’explique Sneazzy West : «<br />
J’habite pas loin d’ici, et je suis passé devant les<br />
locaux du collectif en 2007. Du son passait, et en tant<br />
que rappeur sauvage je suis allé toquer. A ma grande<br />
déception je ne suis pas tombé sur des musiciens<br />
mais 4 potes qui buvaient des bières dans des locaux<br />
vides, et qui m’ont invité à les rejoindre». Une amitié<br />
commence à naître entre le musicien et la bande,<br />
jusqu’à ce que les affaires de Sneazzy commencent à<br />
prendre. « Quand 1995 est devenu vraiment sérieux,<br />
on cherchait à faire des clips et j’ai de suite pensé à<br />
eux ». De fil en aiguille, la totalité du Garage va<br />
rencontrer les membres du crew et la collaboration<br />
s’officialisera. « La rencontre avec 1995 correspondait<br />
vraiment au moment où on a décidé de bosser pour et<br />
avec des gens qu’on appréciait vraiment » rajoute<br />
Syrine.<br />
La bande se mettra alors au travail à partir du 2eme<br />
EP La Suite, pour donner au groupe une nouvelle<br />
identité visuelle.<br />
Un travail commun qui s’est révélé extrêmement<br />
productif pour plusieurs raisons. Syrine et 1995<br />
développent d’abord une manière de travailler à part,<br />
puisque elle est basée sur une amitié réelle qui<br />
commence à dater. «L’amitié est venue du travail,<br />
mais elle est sincère. Tout repose sur des discussions<br />
en amont autour des projets. » comme l’explique<br />
Syrine, avant d’ajouter : « On n’a aucune gêne dans<br />
notre manière de bosser qui est assez sauvage. Le<br />
rapport de confiance est génial entre nous. Même si il<br />
y avait des réticences, à partir du moment où l’on<br />
sentait que l’un de nous croyait au truc on l’a suivi. ».<br />
C’est une réelle prise de position par rapport à la<br />
promotion basique, souvent examinée par un label<br />
puis travaillée par les concernés. La base vient du<br />
groupe et du collectif, ce qui permet par la suite de<br />
donner une réelle sincérité au projet et à son univers.
Malgré certains obstacles rencontrés. « On est en<br />
licence chez Polydor, ce qui veut dire que l’on investit<br />
nous même dans tous nos clips, notre merchandising<br />
et nos soirées, c’est le contrat. On travaille bien mieux<br />
tout seul qu’avec des gens qui veulent se faire de<br />
l’argent sur notre dos, sans vouloir cracher sur les<br />
majors» rajoute Sneazzy West, qui tout comme le<br />
reste du groupe se sent très bien dans cette situation.<br />
En outre, passées les nombreuses heures de<br />
discussion collective, une idée en ressort, et la bande<br />
se met alors au travail. « 1995, Syrine ou Le Garage,<br />
on aime les mêmes choses dans tous les domaines,<br />
on a finalement la même passion qui nous poussait à<br />
bien faire notre travail »<br />
Et si le travail se caractérise par une organisation<br />
débrouillarde, le résultat, lui, vient d’une envie bien<br />
précise de la part du groupe et de Syrine. Passées<br />
des années de clips et de visuels aux carcans très<br />
établis dans le milieu hip hop, Sneazzy West et ses<br />
acolytes ont pris la décision de faire changer les<br />
choses : « Après deux années de streets-clips on<br />
avait envie de passer le cap des vidéos de rap<br />
français lambda où l’on voit un mec qui rappe sur un<br />
parking, ça ne nous intéresse plus. On préfère créer<br />
des objets visuels, que ce soit pour nos clips ou nos<br />
pochettes » explique-t-il. Une initiative qui quoiqu’on<br />
dise, a permis au groupe de se différencier : « C’est<br />
clair qu’on a réussi à se démarquer même si on a<br />
souvent pris des risques. On nous faisait souvent<br />
remarquer que nos clips étaient marrants, originaux,<br />
ce n’était pas un hasard. On fait d’abord ça pour nous<br />
».<br />
Résultat des courses, le groupe forme une réelle<br />
identité au projet 1995 grâce à la patte artistique de<br />
Syrine. « Dans une France où les artistes ne font plus<br />
forcement attention à leur image, puisque c’est les<br />
maisons de disques qui gèrent tout, c’est un plus de<br />
faire attention à la leur » montre Syrine, approuvé par<br />
son partenaire (une tendance qui se perd maintenant,<br />
aidé d’un sentiment d’indépendance artistique de plus<br />
en plus présent)<br />
La philosophie 1995 relève d’une proposition<br />
alternative, sans se compromettre dans ses choix et<br />
sa façon de faire : « On passe en radio sans être<br />
dictés par un supérieur, on choisit notre truc sans se<br />
soumettre. C’est super important pour nous. ». Une<br />
façon de faire, et un succès populaire qui n’aurait<br />
surement jamais été autant possible sans l’aide du<br />
Garage et de Syrine, qui défend réellement une «<br />
autre » vision de cette musique : «On fait des choses<br />
que le public rap n’irait pas voir en premier, et c’est<br />
pour ça qu’on a réussi à attirer une autre catégorie de<br />
personnes. Et même dans notre état d’esprit, on<br />
refuse la concurrence. On fait juste nos trucs sans<br />
faire gaffe aux autres, et sans les juger ».<br />
Le succès de 1995 pourrait donc ne pas se résumer à<br />
l’image de « boys band du rap français » que leur ont<br />
collé leurs plus fervents détracteurs, en allant voir les<br />
propositions qu’offre le groupe sur la scène musicale<br />
française. En collaborant avec un collectif artistique<br />
indépendant comme Le Garage et en s’écartant des<br />
codes récents du genre, les 1995 ont montré qu’une<br />
autre formule était possible. Plus urbaine et jeune<br />
peut être, mais tout autant artistique et soucieuse du<br />
détail.<br />
Des valeurs que Syrine défend : « On a des envies<br />
qu’on veut accomplir et on va au bout, peu importe le<br />
style musical. Mais dès qu’on aime bien ou dès que<br />
ça nous inspire, on fonce».<br />
À tel point que le groupe comme le collectif ont prouvé<br />
– en totale indépendance – que malgré les embûches<br />
et les fidèles puristes, une seule façon de penser<br />
pouvait vraiment payer : la sincérité, encore, toujours.<br />
Par Brice Bossavie<br />
Photographie : Améli Monti, pour Crumb<br />
Le travail d’image de 1995 a révélé tout son potentiel<br />
en accompagnant le groupe hors des sentiers du<br />
genre, en se répandant dans les bibliothèque<br />
musicales des non initiés. Attirés par un visuel<br />
intriguant, ainsi qu’une musique fraiche et différente,<br />
ce nouveau public a permis au groupe de prendre un<br />
véritable envol en moins de 2 ans, sillonnant les<br />
festivals français, et cassant les codes sociaux du hiphop.<br />
« Les gens ont pu s’identifier à nous parce qu’ils ont<br />
vu qu’on était des rappeurs qui ne se prennent pas la<br />
tête, dans un milieu où actuellement l’égocentrisme et<br />
le cliche prennent parfois le dessus » explique<br />
Sneazzy avant de rajouter « Ça me fait d’autant plus<br />
plaisir quand une fille de 15 ou 19 ans me dit qu’on lui<br />
a fait découvrir le rap et qu’elle s’ouvre à d’autres<br />
artistes ».
TOPS<br />
Interview publiée le 4 juin 2015<br />
TOPS donnera un concert pour notre plus grand plaisir au Point Ephémère, à Paris le 9 Juin prochain. Ils<br />
y joueront Tender Opposites et Picture You Staring, deux albums rêveurs où l’innocence pop est souvent<br />
rattrapée par la mélancoli, dans un mix ingénieux. Jane, la chanteuse du groupe de Montréal, a répondu à<br />
nos questions via mail transatlantique.<br />
Comment le groupe s’est-il formé ?<br />
Jane : David et moi écrivions et enregistrions des<br />
chansons depuis un bon moment, mais on voulait<br />
jouer avec un batteur. Riley en jouait tout seul dans<br />
notre studio pendant des heures et tous les jours,<br />
alors on lui a proposé de se joindre à nous pour un<br />
jam, ça a tout de suite fonctionné. Du coup on s’est<br />
lancé dans TOPS.<br />
Vous êtes considérés comme un groupe DIY, que<br />
penses-tu de cette référence ?<br />
Nous avons choisi de faire tout nous mêmes, puisque<br />
nous n’avions aucune ressources à nos débuts. Cela<br />
a très bien fonctionné pour nous. Cette classification<br />
fait sens, mais cela peut-être aussi un peu<br />
condescendant – des directions artistiques<br />
mainstream profitent des artistes comme nous ou nos<br />
amis. C’est considéré comme légitime à cause de<br />
l’argent et des paillettes qui vont avec.<br />
Comment as-tu découvert ta vocation de chanteuse ?<br />
J’ai commencé à chanter des titres pour David et<br />
notre ami Sean Nicholas Savage. J’étais très timide<br />
mais j’aimais l’idée de faire de l’art avec eux, c’était<br />
terrifiant au début mais leur attitude très relax et leurs<br />
efforts pour me soutenir m’ont donné envie de m’y<br />
mettre. C’est en montant sur scène que j’ai réalisé<br />
que j’aimais vraiment cela. Puisque je n’avais jamais<br />
chanté auparavant, ma voix était différente des autres<br />
chanteuses, j’aime encore cette idée de pouvoir<br />
développer mon propre style de chant.<br />
Tes études en histoire de l’art ont-elles une influence<br />
sur ta perception de la musique ?<br />
J’ai un intérêt naturel pour l’art et le cinéma qui me fait<br />
traiter tout ce que nous faisons en terme de vidéos et<br />
de visuels à travers ce spectre. Cela rend mon travail<br />
plus gratifiant de me voir comme une artiste<br />
performeuse, l’élément visuel compris dans la<br />
composition de la musique se rapproche plus de l’art<br />
que de la publicité. Il m’arrive aussi de voir des<br />
images cinématographiques dans mon imagination<br />
lorsque j’écris des paroles.<br />
En 2012, TOPS était dans le top album du site de nos<br />
amis Gorilla Vs. Bear, aux côtés de Chairlift et Beach
House, deux autres super groupes leadés par des<br />
voix féminines. Comment perçois-tu l’image<br />
des femmes dans la musique actuellement ?<br />
Les femmes interagissent avec la musique par des<br />
moyens vraiment uniques. Nous ne sommes pas<br />
accablées par les schémas classiques du rock car les<br />
perspectives féminines ne s’y sont jamais reflétées<br />
dans la plupart des cas. Donc en tant que femme, tu<br />
crées quelques chose qui reflète ton unique<br />
perception. Les gens sont attirés par la musique faite<br />
par les femmes.<br />
Par quels liens te sens-tu connectée à la scène<br />
musicale de Montréal ?<br />
Montréal est ma maison. Lorsque nous y sommes, je<br />
passe mon temps à aller à des concerts. Je me sens<br />
membre de cette scène en tant que spectatrice. La<br />
scène a évolué dans le bon sens depuis que j’ai<br />
commencé à jouer dans des groupes, c’est cool à<br />
observer. En ce moment, beaucoup de genres et<br />
d’approches différents semblent coexister<br />
paisiblement, ce qui est très plaisant car j’aime autant<br />
aller à des concerts de punk, qu’aller danser ou<br />
écouter un concert de rock chill. Je suis inspirée par la<br />
musique autour de moi mais en fin de compte, ce que<br />
nous faisons existe indépendamment des évolutions<br />
de la scène de la ville.<br />
Te réfères-tu à des endroits particuliers dans ta<br />
musique ou certains t’influencent-ils dans ton<br />
processus de création?<br />
Dès que je suis chez moi, je m’installe un petit studio<br />
avec mon synthé, une guitare et une boite à rythmes<br />
et j’y passe beaucoup de temps. C’est ici que je<br />
m’entraîne, que j’écris, que j’enregistre beaucoup de<br />
notre travail. Sur la route, je suis inspirée par tout ce<br />
qui m’entoure et je retranscris tout cela dans un carnet<br />
lorsqu’on roule d’une ville à l’autre.<br />
D’où t’es venue l’idée de cette esthétique épurée pour<br />
le clip d’Outside ? La danse est une discipline que tu<br />
pratiques régulièrement ?<br />
Je savais que je voulais faire une vidéo où je<br />
bougeais à travers un espace en exprimant<br />
l’isolement. La chanson est à propos d’une femme<br />
frappée d’ostracisme pour être prise d’une passion.<br />
En commençant à préparer la vidéo, j’ai compris que<br />
je devais préparer mes mouvements donc je me suis<br />
mise à travailler avec Bronwyn Ford et ça s’est fini en<br />
vraie chorégraphie. Je ne suis pas danseuse, il a fallu<br />
que je m’entraîne des heures. L’atmosphère évoque<br />
la tristesse mais les mouvements sont contrôlés et<br />
puissants. Ils reflètent cette prise de responsabilité<br />
que je recherchais via l’écriture de ce titre et son clip,<br />
en adoptant la vulnérabilité<br />
Les histoires que tu racontes dans tes titres gardent<br />
toujours une part de mystère, qu’est-ce qui t’attire<br />
dans l’exercice d’écriture ?<br />
C’est très difficile pour moi de séparer mes<br />
expériences personnelles de mes chansons. Je sens<br />
que j’ai besoin de faire connaître ma perception des<br />
choses, la faire proliférer par le biais de la créativité.<br />
C’est une pulsion que je ne peux pas expliquer. Mais<br />
je fais de la musique pour ça.<br />
Propos recueillis par Alice De Jode
Interview publiée le 15 janvier 2011<br />
Quand la planète hype s’émeut d’une personnalité, on prend toujours une pose suspecte. Soyons au moins honnête,<br />
on a tout entendu sur Uffie : arnaque musicale, absence de performance scénique mais aussi artiste incontournable,<br />
bad girl talentueuse, princesse de l’électro. Nous nous sommes demandé qui elle était vraiment et pour répondre à<br />
nos quelques interrogations, il nous fallait la rencontrer.<br />
Hong-Kong est une terre de contraste. Au modernisme des<br />
centres commerciaux et des gratte-ciel immenses, se<br />
mêlent les coutumes et traditions établies depuis des siècles<br />
par les populations. Un méli-mélo des genres. Beau,<br />
compliqué, tiraillé et éclatant à la fois. C’est ici qu’a grandi<br />
Anna Catherine Hartley, dite « Uffie ». Elle naît en Floride et<br />
passe son temps dès lors à faire (quasiment ou presque) le<br />
tour des États-Unis : Miami, Cincinnati et tant d’autres. Et<br />
puis enfin Hong Kong ! Pas le temps de se poser, de<br />
s’arrêter, de souffler. Pas le temps de se faire des ami(e)s,<br />
de nouer des liens, de s’attacher. Des souvenirs ? Oui.<br />
Ceux des rares instants où elle allait vendre ses poupées<br />
avec sa sœur au marché aux poissons. La ville est grande,<br />
mais sans danger. Les gens sont polis, attentionnés,<br />
prudents, protecteurs. Comment le vit-on quand on est une<br />
enfant que l’indépendance passionne ? On trouve un<br />
refuge. Pour Anna, ce sera la musique.<br />
La suite vous la connaissez, devenue égérie malgré elle,<br />
Uffie a tout connu en peu de temps : le succès, l’argent, la<br />
gloire, l’amour, les voyages et enfin la joie d’être maman.<br />
Cela fait beaucoup pour une seule personne. Alors, il y a<br />
bien évidemment les remises en question, les doutes et…<br />
Sex Dreams And Denim Jeans, un étrange ovni, dont elle a<br />
mis du temps à accoucher – la sortie ayant été repoussée à<br />
plusieurs reprises, après un mariage avec le graffeur André,<br />
un divorce et une grossesse. Étrange objet que cet album,<br />
oui. A première vue, pas grand-chose pour séduire – en<br />
témoigne la voix frêle et ultra trafiquée de la chanteuse –<br />
mais voilà Uffie peut faire des miracles. Qu’elle soit<br />
associée à Pharell Williams, plus sombre sur un Art Of Uff,<br />
signé M. Oizo ou bien mélancolique sur Our Song, la<br />
blondinette dévoile ses facettes. Un ovni en somme qui fait<br />
bon écouter mais que l’on aime détester.<br />
Jamais peut-être un/une artiste électro n’aura suscité autant<br />
de controverses et passionné autant d’ados curieux. Nous<br />
avons tout entendu oui, des critiques les plus sévères aux<br />
éloges les plus grands. Mais tous les témoignages auxquels<br />
nous avons eu à faire portaient en eux le regard de la<br />
passion. Question de contrastes. Et si c’était cela finalement<br />
Uffie ? Un méli-mélo des genres. Beau, compliqué, tiraillé et<br />
éclatant à la fois.<br />
Le 22 octobre, le lendemain de son concert à la Cigale à<br />
l’occasion de la « Uffie Diesel Party », <strong>CRUMB</strong> a rencontré<br />
Uffie. Encore épuisée de sa prestation de la veille, elle nous<br />
a reçu dans les locaux du label Because, pour répondre, en<br />
toute simplicité à quelques questions. En 5 minutes chrono.<br />
(Uffie commence) :<br />
Pour info, je ne suis pas tombée hier soir, sur scène et je<br />
n’étais pas bourrée. J’essayais juste de faire monter une fille<br />
sur scène et j’ai perdu l’équilibre !<br />
Je n’avais pas prévu de t’en parler !<br />
Tant mieux car d’autres ne parlent que de ça. <br />
C’est le boomerang médiatique. Comment tu te situes sur la<br />
scène électro rock française ?<br />
Je ne me situe pas du tout. Par contre, je pense que je suis<br />
probablement une des seules filles à faire de l’électro en<br />
France. Et ça je le revendique.<br />
Est-ce que ton enfance en Chine a influencé ton rapport à la<br />
musique ?<br />
Pas vraiment, cela remonte à trop loin. C’est surtout les<br />
goûts musicaux de mes parents qui m’ont influencé.<br />
Il paraît que tu es en train de préparer un album « rock ».<br />
Oui, façon de parler. Mais il va resté très électro. Avoir joué<br />
mon album actuel en live m’a appris beaucoup de choses<br />
sur ma manière de travailler. Pour le prochain, j’aimerais<br />
utiliser beaucoup plus d’instruments. Il y aura donc, oui,<br />
même si cela reste très électro, un côté plus « rock ».<br />
Comment appréhendes-tu ta carrière, maintenant que tu es<br />
maman ?<br />
Cela ne se passe pas très bien. Particulièrement ces tempsci.<br />
Mais chaque jour est différent. Malheureusement, je ne<br />
peux pas être là tous les jours pour mon bébé donc j’essaie<br />
juste d’apprécier autant que je peux les moments que je<br />
passe avec. J’arrêterai un jour la musique pour ne<br />
m’occuper que d’elle. Pour l’instant je ne peux pas.<br />
Nicolas Cassagnes (et Thomas Carrié)
NICOLAS<br />
COMMENT<br />
Interview publiée le 20 novembre 2010<br />
Tout est dans le regard. Noir, avec une pointe de malice. Nicolas Comment a emprunté la poésie à<br />
Manset, le dépouillement à la New Wave et les phrasés subtils à Gainsbourg. Ce qu’il a fait de tout<br />
ça ? Un univers mystérieux, mélodique, instantané. Comme en photo. Ca tombe bien, photographechanteur,<br />
voilà ce qu’il est…<br />
Pouvez-vous nous parler de votre rapport<br />
image/musique ? On voit souvent des chemins<br />
artistiques se croiser dans la vie de certaines<br />
personnes. Or le passage de la photographie à la<br />
musique est assez inédit…<br />
C’est vrai… Mais dans les deux cas, il s’agit d’un<br />
travail d’auteur, avant tout artistique. Pour moi, jusqu’à<br />
présent, l’image l’avait emporté sur tout le reste. Et<br />
au-delà de la photographie, c’est la publication, le livre<br />
de photos qui me plait depuis toujours, les bouquins<br />
de Depardon des années 80, notamment. Toute<br />
l’histoire de la photo s’est faite pour moi à travers le<br />
livre. De l’autre côté, le disque en lui-même me<br />
fascine, notamment certains albums concepts qui sont<br />
vraiment singuliers. Plutôt qu’un rapport<br />
image/musique, j’entretiens un rapport à l’objet.<br />
Mais dans vos textes, vous suggérez des images…<br />
Oui complétement ! D’ailleurs, mon équipe de<br />
production m’as plusieurs fois répété : « Mais<br />
pourquoi tu ne mets pas tes photographies dans la<br />
pochette de l’album ? ». Tout simplement parce que<br />
les images sont dans les textes. Rajouter une<br />
nouvelle image par-dessus me paraissait excessif. Et<br />
puis je ne me sens pas capable d’illustrer les images<br />
qui sont produites par les textes et la voix. Je l’ai déjà<br />
fait il y a quelques années, à travers un premier EP,<br />
sorte de mini album concept sous la forme d’un livre<br />
photo sur Berlin. Pour cet album, je tenais au contraire<br />
à ne pas tout mélanger.<br />
Est-ce que l’on peut dire que vous écrivez des<br />
chansons comme des instantanés ? Et, si vous n’étiez
pas passé par la photographie, auriez-vous eu la<br />
même approche dans le travail au texte ?<br />
Je ne sais pas. Je dirais qu’il y a certainement dans<br />
mon travail, une influence de la photographie mais<br />
une fois dans le réel. C’est-à-dire que quand j’écris, je<br />
rédige par petites notes. Il s’agit généralement de<br />
choses vécues, en grande partie, et puis après je tire<br />
vers la fiction. Un peu comme en photo, oui. Je pars<br />
du réel, d’une image réelle mais je tends à lui donner<br />
une dimension onirique. En tout cas il y a bien un côté<br />
instantané car j’écris très vite les textes, en cinq<br />
minutes, c’est léger, même si je peux passer après<br />
plusieurs heures à les travailler. Mais au delà, pour<br />
moi, le lien, l’approche évidente entre la photographie,<br />
l’instant photographique et le travail musical est<br />
l’enregistrement. Walter Benjamin parle bien<br />
d’enregistrement dans L’Œuvre d’Art et la<br />
Reproductibilité. Pendant un enregistrement musical,<br />
on fait une prise voix ou instrumentale de la chanson<br />
– même si on peut tricher en faisant plusieurs prises<br />
et en collant les morceaux – et on l’écoute après. On<br />
peut l’écouter, la réécouter, des dizaines, des<br />
centaines de fois si la chanson nous plaît. C’est pareil<br />
pour la photographie : on immortalise une image dans<br />
l’instant mais on peut la revoir de la même manière<br />
des dizaines et des dizaines de fois. Donc oui, il y a<br />
fatalement un lien, une influence directe de la<br />
photographie sur le travail au texte mais je n’ai pas<br />
vraiment cherché à le mettre en avant.<br />
Est-ce grâce à votre rencontre avec Rodolphe Burger<br />
et Marc Collin, le producteur de Nouvelle Vague que<br />
le déclic musical s’est fait ?<br />
C’est une longue histoire… J’ai rencontré Rodolphe il<br />
y assez longtemps. C’est lui qui m’a permis de faire<br />
une première démo. Entre temps j’ai rencontré un<br />
autre producteur, Jean-Louis Pierot (des Valentins,<br />
ndlr), qui a produit le CD livre sur Berlin. Et après<br />
seulement j’ai rencontré Marc qui m’a tout de suite<br />
proposé de faire un album. Jusque-là je ne faisais que<br />
flirter avec l’idée…<br />
Et votre rapport à Gainsbourg ?<br />
(Sourire). On m’en parle beaucoup.<br />
C’est à cause de la voix je crois. Qu’est-ce que je<br />
peux dire ? J’adore son travail, c’est magnifique.<br />
Notamment Melody Nelson. Ces chansons sont des<br />
chefs d’œuvre mais je n’essaie absolument pas de<br />
l’imiter, alors comme je le sais j’ai mis sur l’album une<br />
chanson un peu clin d’œil qui s’appelle Variations Sur<br />
Unika. Histoire de dire « Ok, je suis au courant que ça<br />
peut faire penser à Gainsbourg, mais ce n’est pas<br />
Gainsbourg, il n’y a pas d’imitation ». Et finalement,<br />
en y regardant de plus près, l’influence n’est pas<br />
tellement gainsbourienne, mais plutôt du côté de<br />
Manset, même s’il y a des thématiques à la<br />
Gainsbourg, peut-être de l’érotisme sous-jacent…<br />
En tout cas, c’est une référence que je n’assume pas.<br />
Qui peut l’assumer ? C’est un géant !<br />
Propos recueillis par Thomas Carrié<br />
Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />
écourtée de certains passages.
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES<br />
ET ICONOGRAPHIQUES ©<br />
L’ensemble des photographies mises en page dans cette publication restent et<br />
demeurent la propriété de leurs auteurs respectifs.<br />
Photo de couverture : Anna Francesca, photographiée par Michael Dürr.(Anna<br />
Francesca @Body and Soul, Make Up & Hair : Lydia Bredl @ Talent Drag, avec<br />
M.A.C Cosmectics, retouche digitale : Katharina Schmalzhofer – photo extraite de<br />
la série initialement publiée sur C-Heads magazine le 4 octobre 2015)<br />
Vampire Week-end : XL Recordings (visuels presse) pages 15 et 17<br />
Madlib : Simon Betite, pour Crumb magazine, page 18<br />
Sky Ferreira : Terry Richardson, page 23, Jason Lee Pery double-page 24 et 25<br />
(photographie extraite de la série initialement publiée dans ASOS magazine, juillet<br />
2013), stylisme : Zeba Lowe, MakeUp : Gloria Noto, Hair : Alex Pollilo<br />
Grünt (Jean Morel) : Simon Betite pour Crumb magazine<br />
Austra (Katie Stelmanis) : Pauline Darley, pour Crumb magazine<br />
AlunaGeorge : Fiona Garden (visuel presse) page 36 et Simon Betite, pour<br />
Crumb magazine page 38 (photo extraite du portfolio du concert d’AlunaGeorge<br />
au Nouveau Casino, à Paris, en mai 2013, réalisé par Simon Betite et publié par<br />
Crumb le 10 mai 2013).<br />
Metronomy : Mathieu César pour Crumb magazine pages 45, 46, 47 et 49 et<br />
Pierre & Florent pour Crumb magazine page 50<br />
Bertrand Burgalat : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb<br />
magazine, page 53<br />
Michael Fassbender : Alice Hawkins, page 56, représentée par Patricia<br />
McMahon (photographie initialement publiée dans Esquire UK, juin 2012)<br />
Sébastien Tellier : Julot Bandit, représenté par Florence Faisan, pour Crumb<br />
magazine page 59 (photo initialement publiée en couverture édition .pdf digital de<br />
Crumb magazine n°13, mis en ligne le 17 mars 2012)<br />
Jungle : Mike Massaro, page 63<br />
Django Django : Pavla Kopecna, page 65<br />
Philippe Katerine : Visuel Presse, « Magnum », Philippe Katerine, page 76<br />
Busy P (Pedro Winter) : Julot Bandit, représenté par Florence Faisan, pour<br />
Crumb magazine, page 83<br />
Iggy Azalea : visuel presse, page 85<br />
Salut C’est Cool & Flavien Berger : visuel Salut C’est Cool facebook page 89<br />
Jagwar Ma : Visuel presse, Jagwar Ma page 92<br />
Hanni El Khatib : visuel presse, Hanni El Khatib, page 96<br />
Ayo : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 98 et Yann orhan page 109<br />
MØ : Thomas Skou (visuel presse), fourni by The Windish Agency, page 110<br />
Hinds : Bella Howard, page 112 (Nylon magazine), visuel presse Ping Pong<br />
double page 114/115 et Ryan Kenny, page 117 (photographie initialement publiée<br />
sur le site web du magazine Oyster, avril 2015)<br />
Foxygen : visuel presse, page 119<br />
Ödland : Ödland, photo officielle fournie par le groupe, page 121<br />
Dominique A : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb<br />
magazine, page 122<br />
The DØ : L.R - Dan Levy & Olivia Merilahti (visuel presse fourni par Six Degree<br />
Records), page 133<br />
Soko : Diane Sagnier, pour Crumb magazine<br />
Barbara Carlotti : Serge de Rossi, Atmosphériques, page 138<br />
Bertrand Belin : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 150<br />
BØRNS : Hobbes Ginsberg, page 143 (photographie initialement publiée sur le<br />
site web du magazine BEAT – thebeatjuice.com, janvier 2015)<br />
Alt-J : Yann Morrisson, pour Crumb magazine, page 144<br />
Zella Day : Jared Kocka / GAP, page 156<br />
Yuksek : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 159<br />
Stromae : Koury Angelo, page 163<br />
Electric Guest : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 165 (photo<br />
initialement publiée en couverture édition .pdf digital de Crumb magazine n°9, mis<br />
en ligne le 16 juillet 2011)<br />
The Dodoz : Alexis Pech, pour Crumb magazine, page 167<br />
The Shoes : Diane Sagnier pour Crumb (photo initialement publiée en couverture<br />
édition .pdf digital de Crumb n°13, mis en ligne le 17 mars 2012), page 169<br />
Disclosure : Mike Massaro, Disclosure, page 175 et double page 176/177<br />
London Grammar : Lindsey Byrnes, page 180<br />
Klub des Loosers : Laurent Nalin (Collectif 5.6) pour Crumb, pages 182 et 185<br />
Rodrigo Amarante : Yann Morrison, pour Crumb magazine, page 186<br />
Jackson Scott : Fat Possum Records (visuel presse)<br />
HAIM : Ben Rayner, page 192 (stylisme : Lauren Blane, été 2012) et Katrina<br />
Dickson pour Jesse Kamn, page 194<br />
Mikhael Paskalev : Visuel presse, Universal, Mikhael Paskalev, page 203<br />
Natalie Prass : Ryan Patterson, page 205<br />
Alan McGee : Justin Sutcliffe (photographie initialement publiée sur le site web du<br />
Telegraph, novembre 2013, visuels Creation Records, tous droits réservés et<br />
NME (archive), page 209<br />
Robi : Frank Loriou, page 212 et Justine Tellier, pour Crumb, page 215<br />
Gunther Love : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 217<br />
Destroyer : Visuel presse, Merge Records, Dan Bejar/Destroyer, page 221<br />
Franz Ferdinand : David Edwards, Franz Ferdinnd (visuel presse), page 233<br />
CHVRCHES : Justine Tellier pour Crumb magazine, page 235<br />
PHOTO (groupe) : Jean-Philippe Lebée, page 238<br />
Charlotte OC : Burak Cingi (visuel presse) page 241<br />
Twin Twin : Enzo Addi (photographie extraite du portfolio du groupe, par Enzo<br />
Addi, publié le 25 novembre 2013, lors d’une journée spéciale « Twin-Twin),<br />
assistant photo : Kamel Bentot, stylisme : Edem Dossou, assistante stylisme :<br />
Bénédicte), page 245<br />
Hollysiz : Éric Guillemain / Grazia, page 249 (photographie initialement publiée<br />
sur le site web du magazine Grazia, août 2014) & Dimitri Coste, page 251<br />
Jain : Visuel Come / Carcasse / Columbia Records / Jain, page 252<br />
Émilie Simon : Lisa Carletta (visuel presse), page 262<br />
Charlie Winston : Andrew Gura (visuel presse), page 266<br />
La Fiancée : Charlotte Marcodini (visuel presse), page 268<br />
Lulu Gainsbourg : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 270<br />
James Vincent McMorrow : Yann Morrison, pour Crumb magazine, page 272<br />
Ben Howard : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 275<br />
Mina Tindle : Fox and Favour / Mina Tindle, page 288<br />
1995 : Améli Monti, pour Crumb magazine, page 291<br />
TOPS : Rebecca Storm, page 295<br />
Uffie : Paul Blau page 296 et Ysa Pérez, double page 298 et 299<br />
Nicolas Comment : autoportrait, Nicolas Comment, page 301<br />
-<br />
Séries par Miranda barnes I (pages 40-43) et II<br />
Série par Lisa Boostani<br />
Série Madagascar<br />
Série Bleu<br />
Série Sunbathing<br />
Série Améli Monti<br />
Série boardculture<br />
Pages <strong>CRUMB</strong> et Michel Gondry<br />
Les séries reproduites ont été reprises telles quelles pour reprduction, avec les<br />
crédits associés.<br />
Les photographies du concert du groupe « Eagles Of Death Metal » au Bataclan le<br />
13 novembre 2015 sont de Manuwino. Le photographe les met à disposition, sur<br />
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À Adèle Miqueau, Adélaïde Michel, Adeline Pelle, Adrien Delaude, Agathe Bonin, Alain Gec, Alain Rakoto, Albane Leclerc, Alena Gapanova,<br />
Alexandre Fantin, Alexandre Santini, Alexandre Schwalberg, Alexandre Silberman, Alexis Baillia, Alexis Choque, Alexis Daguet, Alice Giu, Alix<br />
Charvon, Alix Lassaigne, Alizée Thily, Allison Toutain, Aloÿse Mendoza, Amélie Jelinek, Amélie Simonetti, Anaëlle Le Bouëdec, Anaëlle Kopff,<br />
Anaïs Denis, Anaïs Gningue, Anaïs Sans, Angela Netchak, Angélique Brochery, Angélique Daydou Dumont, Anaïs Coste, André Manon, Angela<br />
Pascale, Anicée Willemin, Anja Dimitrijevic, Anna Pavie, Anne-Cécile Kovalevsky, Anne-Hélène Dénécheau, Anne-Laure Dhooge, Anne<br />
Hervouët, Anne Pelletier, Anne-Sophie Leroux, Anne Terrin, Antony Celotto, Antoine Aubert, Antoine Giana, Antoine Haurant, Antoine Le<br />
Troadec, Antoine Ormières, Anton Muller, Armand Szpira, Armelle Bellenger, Arnaud Devigne, Arnaud Marchès, Arnaud Vanjak, Arthur Bois,<br />
Arthur Chassin, Arthur Duponnois, Arthur Pillu-Perrier, Audrey Desgrange, Aurélia Noudelmann, Aurélie Aldebert, Aurélie Ferry, Aurélien Habiak,<br />
Aurore Chavet-Henry, Asphodèle Berthelot-Eiffel, Axelle Mouren, Baptiste Juguera, Bastien Lefeuvre, Béatrice Vallone, Benjamin Dupuis,<br />
Benjamin Pincemaille, Benoit Le Guevel, Bérangère Taberkane, Bérengère Vellay, Boris Collet, Brice Roumiguière, Brigitte Thebault, Brown<br />
Sugar Shapes, Bruno Alexandre, Camille Ballon, Camille Chanial, Camille François, Camille Raveau, Camille Rudeaut, Carine Chevanche, Carole<br />
Legranche, Caroline Giraud, Caroline Marty, Caroline Moreau, Caroline Muller, Caroline Span, Caroline Tribut, Catherine Dorr, Catherine Nicolas,<br />
Cathy Cassagnes, Cécile Ballon, Célie Fromentin, Céline Bischoff, Cécile Pascaud, Cécile Tollu-Polonowski, Céline Ducreux, Céline Dutreux,<br />
Céline Ressouche, Charlène Pommier, Charles Gauthier, Charles-Vincent Lemesle, Charline Buda, Charline Salles, Charlotte Birenbaum,<br />
Charlotte Caron, Charlotte Castaing, Charlotte Retaggi, Charlotte Rivière, Charlotte Vessereau, Charlotte Tisserant, Charly Derouet, Chloé<br />
Ganiayre-Fontanille, Chloé Robineau, Christian Gervais, Christiane Bossavie, Christine Parietti, Christophe Cayre Eilebrecht, Christophe<br />
Salpetrier, Claire Delaleau, Claire-Hélène Frileux, Clara Paradas, Clara Soucadauch, Claire Lacquement, Clément Fortin, Clémentine Lévy,<br />
Clément Le Cornec, Clément Parchini, Côme Fradetal, Constance Meyer, Corentin Riffault, Corentin Visalmon, Cyrielle Leval, Damien Berret,<br />
Damien Fraulob, Daniel Yiu, David Attali, David Doutreleau, David Lavenant, Davic Loicq, Delphine Lecoeuvre, Diane Maffre, Diane Touren,<br />
Dimitri Clouet, Donatienne Vaute, Dorian Lagarrigue, Edith Cubedo, Emmanuel Griffon, Emel Roche, Élodie Lafaurie, Élodie Sellier, Élisa Routa,<br />
Élisabeth David, Élise Fraisse, Élodie Tann, Elsa Hassanaly, Elsa Prost, Emmanuelle Fort, Emmanuel Creutzer, Emmanuel Navarrete, Émilie<br />
Butel, Émilie Quentin, Éric Cerram, Éric Gras, Estelle Diloi, Estelle Maitre, Étienne Adelin, Étienne Bianco, Eva Maréchal, Étienne Martin, Fabien<br />
Coudon, Fabien Gallet, Fabienne Fourquet, Fanny Artola, Fanny Caignard, Fanny Houët, Ferielle Laieb, Flavie Monraisse, Flore Dutronc, Florent<br />
Garreau, Florence Chapuis, Florence Le Corre, Florence Levasseur, Florent Gaignon, Florent Morel, Florence Perlès, Floriane Aubry-Martoretti,<br />
Florian Grangier, Floriane Gillette, Floryse Menu, Fouzy Mathey, François Albert, François Cattelin, François Keul, Frank Loriou, Fred Hoareay,<br />
Frédéric Moreau, Frédéric Saudemont, Fulvio (chez Kitsuné), Gabriel Cancio, Gaëlle Saladin, Gauthier De Bock, Georges Baur, Gérald<br />
Brousselle, Géraldine Cowburn, Gisèle Carrié, Gisèle Lescuyer, Grace Libissa, Grégoire Combes, Guillaume Backert, Guillaume Fontana,<br />
Guillaume Maurey, Guy Mazaraguil, Gwendal Perrin, Gwenn Ledoyen, Harmony May, Héléne Angélina Médori, Hélène Jartoux, Hélène Stouff,<br />
Héloïse Gainié, Hervé Colleau, Idris Hassim, Ilonka Van Gerven, Imad Bousaid, Insolence Productions, Iphise Esmieu, Isabelle Bouffier, Isabelle<br />
Champigneulle, Jacques Pezet, Jade Sequeval, JB Le Tétour, Jean-Alain Le Borgne, Jean-Claude Cassagnes, Jean-Cyril Romagne, Jean-Éric<br />
Menezes, Jean-François Frontera, Jean-François Mosca, Jean-François Pot, Jean-Jacques Micheli, Jean-Paul Formisano, Jean-Pascal Schmitt,<br />
Jean-Yves Salasca, Jeanne Le Garrec, Jeanne-Marie Manaranche, Jérémy Bacon-Dubous, Jérémie Bottolier-Lemallaz, Jérémy Crohet, Jérémy<br />
Fernandes, Jérémy Pinheiro, Jérémy Rasori, Jérôme Sujkowski, Jéromine Hoiry, Jimmy Frade, JL Le Guillou, John Yves Bihan, Jordy Cazalot,<br />
Joséphine Barthélémy, Joséphine Klüft, Ju Planchard, Julia Losfelt, Julianne Lagadec, Julie Brianti, Julie Landes, Julie Lam, Julie Le Fouler, Julie<br />
Le Godinec, Julie Lux, Julien Baveye, Julien Damiano, Julien Garcia, Julien Legrand, Julien Loisy, Juliette Ballon, Juliette Colladant, Juliette<br />
Iriarte, Justine Le Bourvellec, Kenyon Manchego, Kévin Bouasy, Kévin Colin, Krystian Carrié, Laëtitita Dana, Lambert Perera Corte, Laura<br />
Belconde, Laura Boisset, Laura Chabbert, Laura Gouby, Laura-Lou De Jesus, Latifa, Zériahène, Laurence Morani, Laureen Robert, Laurent<br />
Austin, Lauriana Mathieu, Léa Habourdin, Léa Leblanc, Léa Lemoine, Léa Picot, Léa Porré, Léa Rérolle, Léa Schneider, Léo Beaufils, Léo<br />
Choisy, Léonie Loff, Lina Lahlou, Lionel Rault, Lorraine Nyagiro, Loïc Bérenguier, Loïc Bocat, Loïs Boucherf, Louana Marmé, Lou-Eve Repussard,<br />
Lou Girard, Lola Menou, Lola Pillu-Perrier, Louis Brillot, Louis Chaudré, Louis Mounis, Louis Miette, Louis Plat, Lucas Hoerenburg, Lucie Dahan,<br />
Ludivine Célié, Ludye Lawson, Lulla Tramp, Lydie Ramond, Lysian Beaume, Madeleine Zerbato, Magali Balagué, Magdalena Boguszewski,<br />
Manon Laporte, Manon Trescazes, Manuela Rey, Marie du Doigt, Marie-Amélie Tondu, Marie-Anne Cabocel, Marianne Bendera, Marie-Christine<br />
Brossard, Marie-Hélène Chimisanas, Mariette Phulpin, Marilou Caravati, Marion Colombani, Marion Coindeau, Marion Gaboriau, Marion Pallice,<br />
Marius-Thomas Saint-Ferrère, Marine Bosse, Marine Monbeig, Marie Mordacq, Marion Papillon, Marine Sulmont, Maïté Galindo, Margaux Criou<br />
Petyt-Davaille, Mariska Jorel Seve, Martial Buisson, Martin Le Bozec, Mathias Prost, Mathieu Abadon, Mathieu Cruz, Mathieu Sorosina, Mathieu<br />
Doligé, Mathilde Bellier, Mathilde Brèches, Mathilde Cerqueira, Mathilde Delhomme, Mathilde Djamdjian, Mathilde Hyvon, Mathilde Queguiner,<br />
Matthieu Kermaidic, Maud Borredon, Maud Caillaux, Maxim Bragoli, Maxime Gauthier, Maxime Guedj, Maxime Stange, Maximilien Stern, Mehdi<br />
Moudafi, Mélanie Latran, Melville Bouchard, Mélina Victor, Michael Uras, Michel de Bray, Michele Marcolungo, Morgane Gau, Mourad (Street<br />
Rules), Nao Halbmeyer, Nassima Zetchi, Nathalie Bastide, Nathalie Jeauffret, Nicolas Corbay, Nicolas Traino, Nicole Gervais, Niels Janin,<br />
Nolwenn Turlin, Octave Duros, Octavie Toublanc-Lambault, Olivier Cron, Olivier Mukiandi, Ombline Le Lasseur, Ophélie Aubert, Ophélie<br />
Duchemin, Ornella Grange, Pablo Berckmans, Pascal Bernard, Paul Deparis, Paul Markovic, Pauline Angeli, Pauline Celle, Pauline Darley,<br />
Pauline Malier, Patrick Simonetti, Perrine Le Saux, Philippe Chaudré, Philippe Hermann, Pierre-Brice Haurie, Pierre Casanouve-Soulé, Pierre<br />
Chevassus, Pierre Dumazeau, Pierre-François Galpin, Pierre Petit, Pierre Poumet, Pierre Saba-Aris, Pierre Schollier, Priscilla Régis, Priscille<br />
Pélissié, Quentin Avila, Quentin Billon, Raphaëlle Gibert, Rémi Peltier, Rémi Portuese, Rémi Vicini, Robin Buccholz, Romain Bernardon, Romain<br />
Hubert, Roman Couder, Rose-Marie Gohiec, Rose-May Philippe, Roxanne Auriel, Ruben Kjærgaard, Sabrina Benlemqawanssa, Saldyne Dam,<br />
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Ringenbach, Sixtine Mignot, Soizic Bour, Sophia Mathieu, Sophie Hellégouarch, Sophie Yang, Steeve Bauras, Stéphane Baumet, Stéphane<br />
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Beiger, Xavier Gonzalez, Yanis Vandenberghe, Yannick Lailler, Yannick Taranco, Yao-Wei Huynh, Yoann Masson, Yohann Schütz, Younn<br />
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Relecture : Marie Chaslin-Folio<br />
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envies pleines d’imperfections. De ce grand brouhaha amateur est resté<br />
beaucoup de souvenirs musicaux et humains, des rencontres et<br />
quelques mots. Comme un territoire d’expression privilégié et sans<br />
pretention, par des rendez-vous donnés à de nombreux artistes de<br />
toutes les scènes : de Vampire Weekend à Barbara Carlotti, en passant<br />
par Madlib, Iggy Azalea, Austra, Dominique A, Alt-J ou encore Michael<br />
Fassbender…<br />
C’est aussi l’histoire d’un magazine web qui a connu des évolutions de<br />
forme, de style, de directions (avec ou sans fautes d’ortographes). On y<br />
vit surgir dans des interviews fleuves des révélations de la scène<br />
musicale française, comme Robi, les confessions d’initiatives militantes<br />
hip-hop de Grünt, des discussions psychédéliques avec Sébastien Tellier<br />
ou des rêveries échangées avec Destroyer. On y vit aussi le travail de<br />
jeunes talents de la photographie, qui ont accompagnés l’aventure en<br />
long, avec ses bouts de rien.<br />
Ce book digital retrace le fil rouge de ces cinq années, en 312 pages et<br />
plus de 70 interviews, riches en photos et en mots. Comme une trace<br />
laissée, minime et naïve, de ce que <strong>CRUMB</strong> était.<br />
312 pages - 72 interviews.<br />
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