CRUMB BOOK 2016

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.fr DIGITAL BOOK 2010-2015 VAMPIRE WEEK-END / METRONOMY / MICHAEL FASSBENDER / IGGY AZALEA / MADLIB / AUSTRA / BERTRAND BURGALAT / SKY FERREIRA / DESTROYER / BUSY P / SÉBASTIEN TELLIER / JAGWAR MA / ALAN MCGEE / DISCLOSURE / HINDS / MØ / HANNI EL KHATIB / JAMES VINCENT MCMORROW / CHVRCHES / SALUT C’EST COOL / ALUNAGEORGE / GRÜNT / DOMINIQUE A / AYO / 1995 / THE DO / MINA TINDLE / HAIM / FRANZ FERDINAND / LONDON GRAMMAR / ROBI / THE SHOES / STROMAE / YUKSEK / ALT-J / BARBARA CARLOTTI / FOXYGEN / JAIN / ÉMILIE SIMON / RODRIGO AMARANTE / KLUB DES LOOSERS / &…

.fr <br />

DIGITAL <strong>BOOK</strong><br />

2010-2015<br />

VAMPIRE WEEK-END / METRONOMY / MICHAEL FASSBENDER / IGGY AZALEA /<br />

MADLIB / AUSTRA / BERTRAND BURGALAT / SKY FERREIRA / DESTROYER /<br />

BUSY P / SÉBASTIEN TELLIER / JAGWAR MA / ALAN MCGEE / DISCLOSURE /<br />

HINDS / MØ / HANNI EL KHATIB / JAMES VINCENT MCMORROW / CHVRCHES /<br />

SALUT C’EST COOL / ALUNAGEORGE / GRÜNT / DOMINIQUE A / AYO / 1995 / THE<br />

DO / MINA TINDLE / HAIM / FRANZ FERDINAND / LONDON GRAMMAR / ROBI /<br />

THE SHOES / STROMAE / YUKSEK / ALT-J / BARBARA CARLOTTI / FOXYGEN /<br />

JAIN / ÉMILIE SIMON / RODRIGO AMARANTE / KLUB DES LOOSERS / &…


<strong>2016</strong>, Crumb magazine © 2010-2015 - www.crumbmagazine.com


Photo de couverture : Anna Francesca (@Body and Soul) photographiée par Michael Dürr<br />

Make Up and Hair : Lydia Bredl (Talent Drag), using MAC Cosmectics. Retouche : Katharina Schmalzhofer. Crédits outfits complets en page 307.


ÉDITORIAL<br />

C’est l’histoire de rien, d’une aventure entre amis, d’un projet maladroit, aux milles vies,<br />

avec dix-mille envies. Curieux, défectueux, désireux. Un truc improbable, amateur, sans règles,<br />

tout-en bricole. Comme un fanzine. Bibelot, profane, inexpérimenté. Un fanzine, voilà, qui nous a<br />

porté par delà les rencontres, avec nos énergies, nos ignorances, nos débrouilles astucieuses et<br />

toujours dans un manque d’organisation total.<br />

C’est l’histoire de cinq années de partage, de rencontres et de textes, qui n’ont jamais eu aucune<br />

prétention si ce n’est celle de les faire vivre ailleurs que dans nos poches et nos têtes, en les<br />

offrant à d’autres yeux d’autres personnes. Et vous nous avez suivi. Sans règles. Parfois pour<br />

rien, souvent par soutien. Nous n’avons jamais vraiment su pourquoi vous étiez là, témoins,<br />

critiques, lecteurs. Et nous ne souhaitons pas savoir pourquoi. Vous avez fait avec nous cette<br />

histoire. Simplement. Vous avez été notre plus improbable rencontre. Vous avez assistez aux<br />

nôtres. Ce book les remémore.<br />

En cinq années, nous avons vu le marché de la musique, ses acteurs, son industrie et les<br />

méandres d’internet évoluer, beaucoup de choses changer. Dans ces pages, il y a un peu de tout<br />

ça, mélangé. Avec pour témoin ces rencontres, photos et interviews. Et tous les artistes à qui<br />

nous avons donné rendez-vous. Un grand brouhaha, en somme.<br />

Il a fallu faire des choix. Nous avons gardé le meilleur. L’essence même et l’identité de ce qui<br />

nous as porté. Nous avons aussi gardé les souvenirs, les maladresses, les erreurs. Comme<br />

autant de témoignages, de rebonds mal foutus, de traces inégales de ce que ces rencontres ont<br />

été. A découvrir derrière ces pages…<br />

Lors d’une émission radio étudiante où j’étais invité pour la première année de Crumb, on me<br />

demandait « Mais alors, c’est quoi ? Un magazine ? Un webzine ? Un blog ? ». Alors je<br />

répondais, tremblotant : une Aventure. Avec un grand A. Qui nous a fait prendre de nombreuses<br />

routes et conduit vers bien d’autres depuis. C’était nous. Des regards, des photos, des mots.<br />

C’était 2010-2015.<br />

C’était cela.<br />

Thomas Carrié


1 fanzine. 1 bande de potes. Anodine.<br />

Tellement d’anecdotes. 400 interviews. 400 rencontres. 1<br />

voyage dans le bayou. 3 bracelets-montres. 123456 mails<br />

échangés. Encore beaucoup en attente. Découragé.<br />

Contente. Une équipe et ses démons. Ses envies. Ses<br />

abandons. 1 Paris. 1 poisson rouge mort. Des écrits. Des<br />

médiators. 54, 000 fans Facebook, 6445 tweets. Des<br />

cafés. Des mac book pro. Imparfaits. Dans le métro. Des<br />

regards. Des sourires. Le hasard à prédire. Des erreurs.<br />

Des concerts. Ca écoeure. Ca espère. Des moments<br />

inoubliables. Des souvenirs. Indomptables. Et des rires. 1<br />

site internet. Des fautes d’orthographes. 1 trottinette. Des<br />

photographes. Des réunions. Par-ci. Par là. L’agitation<br />

qui déboula. Hossegor. Paris. Australie. Rue de Rivoli.<br />

Rue Notre-Dame de Nazareth. Des numéros. En .pdf.<br />

Comme des vignettes. Des soirées. 1500 personnes.<br />

Votre énergie. Qui nous façonne. Nos envies. Nos<br />

découvertes. Photographies et pertes. Les images. Les<br />

partenariats. Les chroniques. Les festivals. Comme un bal.<br />

Les abandons. Les lassitudes. Les questions. Un peu rude.


Les réponses. Les succès. Du plaisir. Toujours des<br />

soirées. 1 logo. 3 dictaphones. Vertigo. Presque aphones.<br />

Combien de cigarettes ? Combien de rendez-vous ?<br />

Aussi, combien de fêtes ? Combien de vous et<br />

nous ? 124536 kilomètres parcourus. A pied, a vélo. En<br />

vélib. Dans Paris. Avec Madlib. 1243567 mails échangés<br />

avec des attachés de presse. Qui nous relancent. Qui nous<br />

pressent. 1 stylo bic 4 couleurs (le noir n’a plus d’encre).<br />

175 shootings. 3897 questions posées. So shocking pour<br />

les 1/4 restées censurées. Tout ça à la fois. Comme cela.<br />

En plusieurs, en une fois. Des découragements. Des<br />

encouragements. Des envies. Des amitiés.<br />

Accidentel. Du bonheur. Du bordel.<br />

Dans nos coeurs. Tamponnées. Au<br />

millimètre. Cinq années.<br />

Cinq lettres. Crumb.


Pour ces 5 années, merci.<br />

Collaborateurs/collaboratrices sur la période 2010-2015 :<br />

Photos<br />

Mathieu César, Julot Bandit, Brice Portolano -et par ordre alphabétique : Tania Alineri, François Berthier, Katrin Braga, Margarita Carteron,<br />

Adèle Cany, Kin Chan, Hervé Coutin, Érica Fava, Camille Anne-Louise Gorin, Audrey Lezerman (Blondie), Ophélie Longuépée, Leah Miller,<br />

Anouk Nitsche, Katharina Nitzpon, Luca Nocera, Chloé de Nombel, Amel Kerkeni, Pierre & Florent, David Shama, Éléonore de Wismes<br />

Textes<br />

Irina Aupetit Ionesco, Adrien Petrache, Elen Huynh, Émilie Cochaud, Élisa Benchetrit, Cyrus Goberville, Grace Libissa, Arthur Pillu-Perrier -et par<br />

ordre alphabétique : Camille Balenieri, Sandra Barré, Charline Buda, Timothée Chevalier, Juliette Couderc, Mia Dabrowski, Karen Diop, Thibault<br />

Guichon, Camélia Mohamed, Sarah Piettre, Ugo Ribeiro, Laurène Rimondi, Blandine Rinkel.<br />

Merci particulier à :<br />

VICE France, Mathieu César, Kitsuné, Ayo, Émilie Butel (merci avec un grand M !), Matthias Labarbe, Because Music, Éric Marjault et Cinq7 pour<br />

les premières interviews et pour la confiance, Émilie Quentin, Cécile Legros, Axelle Giraud-Carrier et les équipes d’Atmosphériques (merci pour<br />

cette belle aventure), Coralie Kerbellec et les équipes de Polydor France, Anne-Sophie Lambell, Netta Margulies, Excuse My French, Éphélide,<br />

Mélissa Phulpin (Mélissa Promotion), les équipes du Pitchfork Music Festival Paris, SUPER !, Anthony Lapoire, Beggars France, Léa Rehnfeldt,<br />

Quentin Travade et les équipes de Mercury Records, Amélie Mousset, Tôt Ou Tard, Coline Eberhard, Brigitte Batcave, Maud Pouzin, Judith<br />

Giacometti, l’agence WAA, Laurence Alvart, Carine Chevanche, Michele Marcolungo, Believe Digital, Elisabeth Lavarenne, Emma Soriano, Selma<br />

Chachia, Record Makers, Quentin Vacheri, Cracki Records, Cooperative Music, Sony Music, Ed Banger Records, PIAS France, les équipes de<br />

Phenüm, Richard Dumas, Richard Aujard, Chloé Robineau, Frank Loriou, Florian Mona, Le Divan du Monde, les équipes du Festival de Dour,<br />

David Shama, Benjamin Lassalle, Guillaume Fasquelle, Mélissa Tran, Chloé Videau et toutes les équipes Advice/Vice Digital, Jean-Charles de<br />

Castelbajac, Marie Christine-Brossard et René Brossard, Gisèle & Krystian Carrié, Garance Rochoux-Moreau, Jean Morel, Adrien Gingold, Marc<br />

H’Limi et toutes les équipes de Radio Nova.<br />

A Nicolas Cassagnes, pour la création du logo.<br />

A Lola Picard-Weiss pour les nuits et les soirées.<br />

Et aussi à (par ordre alphabétique) :<br />

1disque1jour, 3è Gauche TV, Aaron, Action Management, ARTE France, Richard Aujard, Athénée Paris (hôtel), Nina Attal, Alexandre Barbier,<br />

Myrtille Beauvert, Yasmine Ben Hamouda, Aurélien Berne, Blundetto, Stéphanie Brossard, Jonathan Brouard, Léonie Brun, Basile de Bure,<br />

Christophe Calado, Barbara Carlotti, Willy Cartier, Adrien Casalis, Cascadeur, Mathilde Cerqueira, Victoire de Changy, Marie Chaslin-Folio,<br />

François Chevalier, Franck Chevalier, Laura Cieplik, Raphaël Ciofi, Gilles Collard, Maya Coline, Alan Corbel, Jeanne Damas, Darrius, Grégoire<br />

Degruel, Lola Delange, Charlotte Deniel, Valerio Dongie, Valériane Dousse, Raphaëlle Dupire, Drug Money, Louise Ebel, Damien Elroy, Faguo<br />

Shoes, Moji Farhat, Laura Flament, Victor Flomont, Pauline Franque, Flo&You, Émilien Fresson, Christian Georges, Gabrielle Geppert, Vincent<br />

Gigot, Marie Gombeaud, Laetitia Gorsy, Théo Gosselin, Corentin Grange, Nadine Gravelle, Karl Hab, Negar Hooshmand, Isabelle de Hovre, Irma,<br />

Malina Ioana, Ji Sun, Justice, Guillaume Kayacan, Alice Kong, Griselle Marie Rosario La Fontaine, Juliette Lamet, Quentin Lanoizelet, Hélène<br />

Lecomte, Romain Le Cam, Jérémy Leclerc,Susan Legind, Marion Le Goff, Gilles Lellouche, Leonard de Leonard, Clémentine Lévy, Antoine L.D,<br />

Lily Wood & The Prick, Lise, Lizbell Agency, Solweig Lizlow, Gildas Loaec, Chris de Luca, Christophe Lucquin, Aaron Matts, Adeline Mai,<br />

Charlotte Mailliez, Charlotte Marcodini, Margounnette, Giacopo Martini, Marion Mazauric, Charlotte Métairie, Alizée Meurisse, Charlotte Mia,<br />

MikiX The Cat, Coralie Millou, Meloni Mitchell, Daniele Mitra, Théo Moncassin, Debora Moro, Nadéah, Laurent Nalin, Nobasura, Ncza Lines,<br />

Chloé de Nombel, Oscar Montes de Oca, Inés Olympe Mercadal, Laura Pallancher, Federica Palotti, Charles Pasi, Alexis Pech, Louis-Marie du<br />

Perray, Ysa Pérez, Fabien Pochez, Ksenia Posadskova, Amaury Poudray, QManagement NY, Tahar Rahim, Tristan Ranx, Rodeo Massacre,<br />

Brisa Roché, Joachim Roncin, Markus Rose Baker, Corentin Schieb, Élise Schwartz, Robert Self, Shakespeare & Co (librairie), Marthe Sobczak,<br />

Soko, Charlotte Stokes, Street Tease, Sushella Raman, Marie Taillefer, Gabrielle Trapasso, Tristesse Contemporaine, Uffie, Sydney Valette,<br />

Anne Vaudoyer, Frédérique Veysset, Nicolas Vidal, Nick Von Hesse, Adèle de Wismes, Young Dreams, Yupeek, John Zoeller.<br />

Remerciements en contribution sur la partie architecture : Lola Petit, Le collectif Babel, Charles Bourthoumieux, Florence Bousquet, Aurélien<br />

Cavanna, Alexandre Chamelat, Giovanna Maria Fragapane, Fanny Kuhn.<br />

Merci enfin à l’ensemble des soutiens et donateurs dont les noms sont reportés par odre alphabétique en page 38 ainsi qu’à nos familles, amis et<br />

à toutes celles et ceux qui nous ont suivi ou accompagnés de près ou de loin dans cette aventure.<br />

Version diffusion libre à usage non commercial.<br />

Note : Certains textes et écrits publiés dans ce book ont pu être adaptés au format et/ou pour des raisons de mise en page. Les publications et textes complets sont à<br />

retrouver sur le site internet du magazine et disponibles sur simple demande.<br />

L’ensemble des crédits photographiques et iconographiques de ce book sont répertoriés en page 307.


Fondateur et Rédacteur en Chef<br />

Thomas Carrié<br />

Coordinatrice éditoriale<br />

Laurie Cassagnes<br />

Responsable rubrique musique<br />

Bastien Internicola<br />

Création du logo<br />

Nicolas Cassagnes<br />

Textes<br />

Arièle Bonte, Alice De Jode, Sirius Epron, Patricia Fontenas,<br />

Cécile Lienhard, Ariel Carol Novak, Mélodie Ravasi, Maxime Rosenfeld,<br />

Gaëlle Simonetti, Anne-Louise Sevaux, Brice Bossavie,<br />

Patricia Fontenas, Paul Bousquet, Denise Rose Hansen<br />

Photos<br />

Diane Sagnier, Pauline Darley, Maxime Stange,<br />

Yann Morisson, Simon Betite<br />

Contributeurs réguliers sur la période 2010-2015 :<br />

Lola Picard-Weiss, Antoine Semerdjian, Blaise Senti, Alfred Jules,<br />

Jacopo Pokack, Louise Autain, Lucie de Keyser, Mélissa Reverso,<br />

Pierre Cavanna, Quentin Monville, Sophie Legrand,<br />

Marie Chaslin-Folio, Nicolas Cassagnes, Ludovic Zuili,<br />

Alessandro Casagrande, Aurélien Lovalente<br />

Conception/développement du site<br />

Samuel Varoqeaux<br />

Contact<br />

hello@crumbmagazine.com


SOMMAIRE<br />

VAMPIRE WEEKEND P.14 / MADLIB (AKA QUASIMOTO) P.18<br />

/ SKY FERREIRA P.21 / GRÜNT P.26 / AUSTRA P.32 /<br />

ALUNAGEORGE P.36 / MIRANDA BARNES PORTFOLIO P.39 &<br />

P. 195 / METRONOMY P.44 & P.50 / BERTRAND BURGALAT P.52 /<br />

MICHAEL FASSBENDER P.55 / SÉBASTIEN TELLIER P.58 /<br />

JUNGLE P.62 / DJANGO DJANGO P.64 / LISA BOOSTANI<br />

PORTFOLIO P.66 / PHILIPPE KATERINE P.76 / BUSY P. P. 80 /<br />

IGGY AZALEA P.85 / SALUT C’EST COOL P.88 / JAGWAR MA<br />

P.92 / HANNI EL KHATIB P.95 / AYO P.97 & P. 108 / MAJUNGA<br />

MADAGASCAR PORTFOLIO P.100 / MØ P.110 / HINDS P.112 /<br />

FOXYGEN P.118 / ÖDLAND P.120 / DOMINIQUE A P.122 / BLEU<br />

PORTFOLIO P.126 / THE DO P.132 / SOKO P.134 / BARBARA<br />

CARLOTTI P.137 / BERTRAND BELIN P.140 / BØRNS P.143 /<br />

ALT-J P. 144 / SUNBATHING WITH MAGGI PORTFOLIO P. 148


ZELLA<br />

<br />

DAY P. 156 / YUKSEK P. 158 / STROMAE P.161 /<br />

ELECTRIC GUEST P.165 / THE DODOZ P.166 / THE SHOES P.168 /<br />

AMÉLI MONTI PORTFOLIO P.170 / DISCLOSURE P.174 /<br />

LONDON GRAMMAR P.179 / KLUB DES LOOSERS P.181 /<br />

RODRIGO AMARANTE P.186 / JACKSON SCOTT P.189 / HAÏM<br />

P. 193 / MIKAEL PASKALEV P.202 / NATALIE PRASS P.204 /<br />

ALAN MCGEE P.208 / ROBI P.211 & P. 214 / GUNTHER LOVE P.216 /<br />

DESTROYER P.220 / #GENERATIONBATACLAN P.224 / FRANZ<br />

FERDINAND P.232 / CHVRCHES P.235 / PHOTO P.238 /<br />

CHARLOTTE OC P.241 / TWIN TWIN P.244 / HOLLYSIZ P.248 /<br />

JAIN P.252 / ARAW PORTFOLIO P.255 / ÉMILIE SIMON P.262 /<br />

CHARLIE WINSTON P.266 / LA FIANCÉE P.267 / LULU<br />

GAINSBOURG P.270 / JAMES VINCENT MCMORROW P.271 /<br />

BEN HOWARD P.274 / LES CAHIERS DE LA BOARDCULTURE<br />

: NIC VON RUPP – CHRISTIAN MCLEOD - PABLO PRIETO<br />

– ADRIAN MORRIS P.277 / MINA TINDLE P.288 / 1995 ET LE<br />

GARAGE P.290 / TOPS P.294 / UFFIE P.296 / NICOLAS<br />

COMMENT P.300 / CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES ET<br />

ICONOGRAPHIQUES ET MENTIONS LÉGALES P.307 / END.


VAMPIRE<br />

WEEKEND<br />

Interview publiée le 13 mai 2013<br />

Avouons le, la première écoute de Modern Vampires Of The City, 3ème album de Vampire Weekend,<br />

nous avait quelque peu calmé. D’un groupe jeune et bondissant, nous passions à une pop plus complexe<br />

et chaude, qui n’attendait qu’à se révéler au fil des écoutes. Exit les références africaines, les hululements<br />

d’Ezra Koenig et la fureur des guitares : on a eu peur. C’est avec le temps qu’on a compris ce qu’il se<br />

passait dans la tête de ces 4 Américains qui ont vu le succès leur tomber dessus, sans (presque) rien<br />

demander. De la vie éreintante des tournées à l’envie de se renouveler en passant par les djembés de<br />

Jason Mraz, nous avons décidé d’un peu casser les règles de l’interview en prenant à chaque fois 4 ou 5<br />

mots, parmi lesquels Christopher Tompson (batteur) et Chris Baio (bassiste) piocheraient par préférence<br />

et inspiration, pour ensuite parler. Voici donc la trace presque intégrale de la discussion que nous avons<br />

eu avec eux. Drôle, et sincère à la fois.<br />

Pour commencer, pourriez vous présenter votre<br />

partenaire, l’un après l’autre ?<br />

Chris Baio : Christopher William Tomson est né le 8<br />

mars (il s’arrête net, ndlr) 6 mars 1984 ! Il vient de<br />

l’Upstate New York et a grandi dans une ferme du<br />

New Jersey, avec un terrain magnifique et une<br />

grange, où certaines des premières démos de<br />

Vampire Weekend ont été conçues. C’est un athlète<br />

inconditionnel, le meilleur du groupe : peu importe le<br />

sport qu’il choisit, il nous bat tous les trois haut la<br />

main. C’est quelqu’un que je suis fier d’appeler “ami”.<br />

Enfin, c’est un batteur génial et un percussionniste<br />

hors pair.<br />

Chris Tomson : Christopher Joseph Baio est né le 29<br />

octobre 1984 (ils se donnent un High-Five parce qu’il<br />

a trouvé la date du premier coup, ndlr) c’est le plus<br />

jeune membre du groupe. C’est aussi, depuis peu, un<br />

homme marié. Il est bassiste et DJ à ses heures<br />

perdues. Il a grandi à Westchester NY après avoir<br />

déménagé quand il avait 5 ans. Il kiffe la dance music<br />

et un peu tout et n’importe quoi, du moment qu’il y a<br />

des basses qui démontent tout.<br />

Si on vous dit guitare électrique/Djembé/violons ?<br />

Tomson : La première chose à laquelle je pense, là,<br />

comme ça, c’est Jason Mraz. Il a un joueur de Djembé<br />

dans son groupe ! Je ne pense pas avoir joué


Djembé depuis le lycée. Mais où est-ce que je veux<br />

en venir ? (Rires).<br />

Baio : Violons. C’est l’instrument qui a le son le plus<br />

royal, majestueux, avec le clavecin, parmis tous. Sur<br />

Modern Vampires Of The City, il y a moins de violon<br />

et plus de clavecin que sur les précédents. Je sais<br />

que le terme “royal” n’est pas à proprement dit<br />

musical, mais on a beaucoup discuté de ce terme, on<br />

l’a exploré au sein du groupe, il convient bien.<br />

En écoutant l’album, on se rend compte que le son<br />

des violons est très bas, presque masqué par le reste<br />

des instruments. Pourquoi ?<br />

Baio : Rostam et Ariel (qui co-produit l’album, ndlr)<br />

sont très méticuleux lorsqu’il s’agit de mixer les<br />

morceaux. Ils choisissent précisément l’importance<br />

des instruments les uns par rapport aux autres.<br />

Certains titres ont été mixés plus de quinze fois ! Ce<br />

que j’aime beaucoup avec les cordes de Modern<br />

Vampires Of The City c’est qu’il est, la plupart du<br />

temps, difficile de deviner s’il s’agit de vrais<br />

instruments ou s’ils ont été joués au synthétiseur.<br />

C’est ce qui rend cet album unique.<br />

On a vu votre prestation sur le plateau de Jimmy<br />

Kimmel et on s’est demandait où était le violoncelle…<br />

Baio : (Rires) Il y avait un violoncelle ! C’est juste que<br />

la caméra ne l’a pas vraiment mis en valeur…<br />

Tomson : Il y avait aussi trois cors à côté de moi. Et<br />

un violoncelliste, tout seul. En général, à la télévision<br />

américaine, si des musiciens accompagnent un<br />

groupe, ils sont rarement filmés.<br />

Baio : En ce qui concerne les guitares électriques, il y<br />

en a aussi très peu sur cet album. À part pour Diane<br />

Young. Les habitudes commençaient à s’installer au<br />

sein de la formation, et les riffs de guitare hauts<br />

perchés, aux motifs africains, qui caractérisent si bien<br />

les deux premiers albums avaient été assez<br />

exploitées. Nous ne voulions pas nous répéter.<br />

Tomson : Les influences africaines sont toujours là,<br />

au fond, mais vous en auriez sûrement eu marre si<br />

l’on vous sortait un A-Punk II.<br />

Baio : Carrément ! Imaginez qu’on écrive un B-Punk,<br />

un C-Punk ! (Tomson explose de rire ndlr)<br />

Si on vous dit Paris/New-York/Los<br />

Angeles/London/Berlin ?<br />

Tomson : New York. On y vit tous. C’est là qu’on écrit<br />

la majorité des morceaux et où Rostam et Ezra<br />

démarrent le processus de création. Par contre, la<br />

production s’est faite à Los Angeles avec Ariel, dans<br />

un studio. J’ai aussi envie de choisir une ville qui n’est<br />

pas dans les propositions. Alors qu’on était à la moitié<br />

de l’album, on est allé sur l’île Martha’s Vineyard, près<br />

des côtes du Massachusetts pour travailler ensemble.<br />

C’est là que la “finalisation” du disque s’est mise en<br />

marche. On a rien foutu à Londres par contre.<br />

Baio : Quand même ! Notre maison de disques est làbas.<br />

Cela nous mène à y passer un peu de temps,<br />

c’est comme une deuxième maison, surtout durant les<br />

tournées.<br />

Tomson : Pas faux. On a aussi joué à Tokyo pour cet<br />

album, et donné quelques interviews japonaises.<br />

Berlin. Chris à joué là-bas quelques fois en tant que<br />

DJ.<br />

Baio : Oui, dans une salle qui devait contenir à peu<br />

près quatre-vingt personnes. C’était génial. On a<br />

aussi fait des super concerts dans cette ville.<br />

Quand savez-vous qu’un morceau est terminé ?<br />

Tomson : C’est assez variable. Il est arrivé plusieurs<br />

fois, sur différents titres, qu’on ait un morceau qui<br />

aurait pu être laissé tel quel. Pourtant, il manquait<br />

quelque chose. La solution, en général, c’était d’en<br />

retirer certains éléments, certaines couches, pour les<br />

rendre plus intéressants.<br />

Discussions formelles/discussions en<br />

soirée/tristesse/mélancolie/solitude ?<br />

Tomson : Nous avons une discussion formelle, en ce<br />

moment, assis dans des beaux fauteuils, à côté de<br />

vieux tableaux, dans une chambre d’hôtel rouge.<br />

Baio : Pour les discussions en soirée, j’imagine un<br />

cercle, avec des amis et des verres en plastique<br />

rouge ou bleu, comme dans toutes les fêtes<br />

américaines. Je pense à la fac, à l’idée de se<br />

socialiser. Cela semble être un rituel.<br />

Je pense aussi à la mélancolie, à la solitude : entre le<br />

premier album et la fin de la tournée de Contra (leur<br />

deuxième album, ndlr), on n’a pas arrêté une<br />

seconde. À chaque moment du jour ou de la nuit, on<br />

savait où l’on serait le lendemain, avec un emploi du<br />

temps parfaitement orchestré et des gens qui<br />

s’assuraient qu’on le respecte. On a vieilli de quatre<br />

ans d’un coup et le break qu’on a pris il y a deux ans<br />

nous a fait du bien. Après ce mouvement incessant, le<br />

fait de se retrouver sans rien faire, sans but précis, de<br />

pouvoir rester dans son lit pendant deux semaines,<br />

n’en sortir que pour se nourrir, histoire de rester en<br />

vie, a quelque chose de profondément mélancolique.<br />

La solitude et la tristesse pouvaient se faire ressentir<br />

dans de tels moments. Je pense d’ailleurs que la<br />

plupart des musiciens doivent se sentir ainsi lorsqu’ils<br />

terminent leurs tournées, à moins qu’ils n’enchaînent<br />

directement sur un autre projet. Cela se produit très<br />

certainement pour tous les artistes en général, en<br />

achevant un roman ou un film. C’est important, pour<br />

que le processus de création fonctionne.<br />

Vous voyez vos amis/votre famille pendant les<br />

tournées ?<br />

Tomson : On garde contact avec notre famille et nos<br />

amis bien sûr, grâce à internet. Mais le fait de partir<br />

un mois, revenir, repartir, cela nous fait rater des<br />

trucs, c’est normal. On le savait de toute manière.<br />

moments du quotidien que l’on


À l’opposé de la solitude et de la mélancolie, c’est<br />

aussi agréable et indispensable de se reposer pour la<br />

création du nouvel album.<br />

Ce nouvel album est clairement plus sombre que les<br />

précédents…<br />

Tomson : Il y a plusieurs atmosphères qui se<br />

dégagent des morceaux. D’abord, du Romantisme,<br />

avec un R majuscule, au niveau des textes. Par<br />

contre, je suis le seul à avoir rompu avec quelqu’un, et<br />

je ne pense pas que cela ait influencé les textes. Mais<br />

au cas où vous vous feriez du souci : je vais bien ! J’ai<br />

d’ailleurs une autre copine depuis (Rires).<br />

Procrastination/Perfection/Recherche/Obsession ?<br />

Tomson : Toutes ces choses arrivent, sur tous les<br />

albums. L’essentiel c’est qu’il faut faire en sorte<br />

qu’elles soient faites de manière équilibrée. Cela<br />

rejoint votre question sur le fait de savoir quand un<br />

morceau est terminé. On a cherché la perfection du<br />

mieux qu’on pouvait. On a aussi procrastiné, c’est<br />

certain. Tous ces mots sont reliés, d’une certaine<br />

manière, même si chacun d’entre eux mène à des<br />

résultats différents. Pour nous, cela a mené à ce<br />

nouvel album et l’on espère que c’est réussi.<br />

Propos reccueillis par Bastien Internicola<br />

Traduction : Bastien Internicola & Brice Bossavie<br />

Photos : XL Recordings ©


MADLIB<br />

AKA QUASIMOTO<br />

Interview publiée le 18 mars 2014<br />

Figure de proue du prestigieux label américain Stones Throw et roi indétrônable de l’abstract hip-hop, on<br />

sait peu de choses sur Madlib. Très discret et peu présent sur scène, le “Loop Digga” est surtout connu<br />

pour s’enfermer des semaines entières dans son “bunker”, passant le plus clair de son temps à écouter<br />

des disques, chercher des boucles et faire des beats. Alors que sort aujourd’hui Piñata, en collaboration<br />

avec Freddie Gibbs, voici l’interview qu’il nous a accordée lors de sa dernière venue à Paris.<br />

Pourrais-tu te présenter rapidement ?<br />

Mon nom est Madlib, aussi connu sous le<br />

pseudonyme de Quasimoto. Je suis principalement<br />

producteur. J’ai travaillé avec J Dilla, MF Doom, Talib<br />

Kweli, Guilty Simpson, Freddie Gibbs…<br />

Comment est né ce personnage de Quasimoto, ton<br />

alter ego ?<br />

J’ai surtout créé Quasimoto car je n’aime pas ma voix<br />

quand je rappe. J’ai commencé à faire quelques<br />

expérimentations en fumant des joints et en mangeant<br />

des champignons, tu vois ce que je veux dire ?<br />

(Rires). J’ai essayé de trouver une alternative et c’est<br />

comme ça que Lord Quas est né. Je voulais aussi<br />

créer un personnage à qui je pouvais faire dire tout ce<br />

que je voulais et faire des boucles avec n’importe quel<br />

type de musique. C’est Jeff Jank (le directeur<br />

artistique de Stonesthrow, ndlr) qui l’a dessiné.<br />

Sa première apparition, c’était sur un skit de<br />

Lootpack, 20 Questions et c’était bien avant la sortie<br />

de The Unseen, en fait il existe depuis longtemps !<br />

Ouais effectivement, je commençais à peine à bosser<br />

sur le projet Quasimoto à l’époque. The Unseen n’est<br />

sorti que cinq ans plus tard.<br />

C’est prévu que l’animal reprenne du service bientôt<br />

avec de nouveaux titres ?<br />

Le dernier Quasimoto en date, Yessir Whatever, était<br />

juste une compilation d’inédits et de raretés qui ne<br />

figuraient que sur des vinyles qui ne sont plus édités.<br />

Pour répondre à ta question, j’ai pas mal travaillé sur<br />

un nouveau Quasimoto ces derniers temps, mais c’est<br />

loin d’être terminé.<br />

MF Doom arrive dans le hall de l’hôtel, visiblement il<br />

décuve encore :


Madlib : Supa !<br />

MF Doom : (Rires)<br />

Madlib : Encore bourré !<br />

MF Doom : Je crois que je vais retourner me coucher !<br />

Madlib : Dit-il en se dirigeant vers le bar ! (Rires) On<br />

était sur scène toute la nuit à Londres, nous n’avons<br />

presque pas dormi !<br />

Il parait que Mos Def était là aussi.<br />

Ouais c’était vraiment cool ! On travaille sur un album<br />

ensemble en ce moment, ça avance vraiment bien !<br />

Et dans l’immédiat, c’est quoi ton actualité ?<br />

Le dernier album que j’ai sorti c’était Rock Konducta<br />

qui fait partie de la série des Beat Konducta. Sinon le<br />

prochain à paraître, c’est celui avec Freddie Gibbs,<br />

Piñata. Après j’ai beaucoup d’autres albums qui sont<br />

terminés mais aucune date de sortie pour l’instant.<br />

Tu peux nous parler un peu de tes parents, de la<br />

façon dont ils t’ont initié à la musique ?<br />

Mon père était chanteur de soul dans les années 60, il<br />

faisait partie du groupe Otis Jackson & The<br />

Compromisers. Quand j’étais petit, il m’emmenait<br />

avec lui dans son studio et me laissait toucher à tout,<br />

je passais beaucoup de temps à le regarder travailler.<br />

C’est comme ça que je suis tombé amoureux de la<br />

musique et que j’ai appris la production. Il avait aussi<br />

une énorme collection de vinyles, mon frère et moi on<br />

passait des journées entières à les écouter. Toute ma<br />

famille est dans la musique. Ma mère écrivait les<br />

chansons de mon père, mon oncle Jon Faddis était<br />

trompettiste de jazz et mon frère Oh No fait la même<br />

chose que moi.<br />

En parlant de ton frère, vous allez faire un album<br />

ensemble un jour ?<br />

C’est déjà fait ! Je ne sais pas quand il sortira mais il<br />

est terminé depuis un bon moment !<br />

Tu écoutes énormément de musique et tu en produis<br />

tellement que c’est un peu difficile de te suivre,<br />

comment trouves-tu le temps de tout faire ? Ça<br />

t’arrive de dormir ?<br />

Ça m’arrive ! (Rires). J’aime la musique tout<br />

simplement, tu vois ce que je veux dire ? Je peux<br />

bosser des semaines entières sans presque jamais<br />

m’arrêter, puis je fais un break de quelques mois. Je<br />

produis tellement de musique en une journée que je<br />

peux ne pas enregistrer pendant une semaine entière,<br />

des mois… J’ai toujours fonctionné comme ça. Quand<br />

j’étais plus jeune, mes potes allaient jouer au basket<br />

et moi je m’enfermais dans ma chambre pour faire de<br />

la musique, c’est ce que j’ai toujours fait !<br />

Parle-nous un peu de ta façon de faire, de<br />

l’équipement avec lequel tu travailles.<br />

Je n’ai pas vraiment de processus. Parfois je peux<br />

utiliser deux CDJ et faire un beat. Je travaille très peu<br />

sur ordinateur mais il m’arrive de faire des beats sur<br />

mon iPad. J’utilise essentiellement un équipement très<br />

cheap, des claviers et des samplers, je ne suis pas<br />

trop attiré par tout ce qui est hi-tech. Tu peux utiliser<br />

plein de machines différentes et pourtant faire toujours<br />

la même chose…<br />

Ta discographie est particulièrement éclectique, tu<br />

produis du hip-hop, du jazz, de la soul, tu as même<br />

mixé du reggae sur Blunted in The Bomb Shelter,<br />

comment définirais-tu ton design sonore ? Quelle est<br />

sa principale caractéristique ?<br />

“My Soul, my blue Soul” ! J’aime rester dans le vague<br />

et travailler de manière instinctive, je ne suis vraiment<br />

pas du genre à polir un beat jusqu’à ce qu’il soit<br />

parfait. Une fois que c’est terminé je passe à autre<br />

chose, je ne reviens jamais dessus. A certains<br />

moments je peux travailler sur dix albums en même<br />

temps, alors je ne perds pas de temps avec tout ça.<br />

Vous en êtes où avec Doom sur le prochain<br />

Madvillain, ça avance bien ?<br />

Ouais l’album est presque fini, on a déjà 13 titres.<br />

Il se tourne vers MF Doom qui est accoudé au bar et<br />

qui entame une autre bière :<br />

Madlib : Ah merde, il reste plus qu’une bière (Rires).<br />

MF Doom : Aujourd’hui je commence tôt, tchin tchin !<br />

Comment décrirais-tu ta relation avec Peanut Butter<br />

Wolf, le fondateur de Stones Throw ?<br />

On est potes depuis très longtemps. Je suis le<br />

premier artiste qu’il a signé sur Stones Throw. Mon<br />

père avait sorti le premier EP de Lootpack, Pysche<br />

Move, sur son label Crate’s Digger Palace. Il l’a fait<br />

écouté à Wolf qui a tout de suite adoré et qui nous a<br />

immédiatement signés, juste en écoutant l’album.<br />

Après tout s’est enchaîné très vite : il a déménagé en<br />

Californie et Egon et moi avons emménagé dans sa<br />

maison où l’on a vécu cinq ou six ans avec Jeff Jank<br />

aussi. Je suis resté là-bas aussi longtemps car j’avais<br />

vraiment une grande liberté, je pouvais faire ce que je<br />

voulais quand je voulais, tout en gagnant de l’argent.<br />

Changeons de registre, pourrais-tu nous parler un peu<br />

de tes goûts cinématographiques ?<br />

J’aime beaucoup les vieux films de la Blaxploitation et<br />

les films de science-fiction. Mon réalisateur préféré<br />

est sans hésiter Melvin Van Peebles, sans doute<br />

parce que ses films sont aussi bizarres que ma<br />

musique (rires) ! C’est à travers ses films que j’ai<br />

découverts les bandes originales. Je les ai beaucoup<br />

samplées pour les Quasimoto.<br />

Pour finir une question pas simple : selon toi quelle<br />

est l’essence du hip-hop ?<br />

Difficile à dire mais en tout cas je pense que ce qui est<br />

fondamental, c’est d’être le plus honnête possible<br />

avec toi-même, de ne pas être faux et d’essayer<br />

d’absorber les quatre éléments, tu vois ce que je veux<br />

dire ?<br />

Propos recueillis par Maxime Rosenfeld<br />

Photographies : Simon Betite, pour Crumb<br />

magazine


SKY<br />

FERREIRA<br />

Rencontre/texte publiée le 17 mars 2014<br />

Je devais rencontrer Sky Ferreira la semaine du 7<br />

mars. Mais sa blessure à la jambe droite, qu’elle s’est<br />

infligée lors de sa première date en ouverture du<br />

Bangerz Tour de Miley Cyrus, s’est infectée.<br />

Impossibilité de prendre l’avion. L’interview a donc été<br />

repoussée à la semaine suivante, bousculant l’emploi<br />

du temps de la jeune artiste. Alors qu’il était convenu<br />

d’un entretien de trente minutes, j’hérite finalement de<br />

quinze petites minutes en compagnie d’une Sky<br />

discrète, la mine un peu fatiguée, mais disponible et<br />

surtout, honnête.<br />

Sky Ferreira est assise sur un fauteuil d’une chambre<br />

du W Hotel, à deux pas de l’Opéra Garnier, à Paris.<br />

La pièce a été vidée de ses meubles. Une grande<br />

baie vitrée donne sur les rues de la capitale, jetant<br />

dans la pièce une lumière chaude et claire. Elle est<br />

vêtue d’une parka verte et chaussée de grosses boots<br />

noires, comme si c’était encore l’hiver. Un jean<br />

boyfriend cache partiellement un bandage autour de<br />

sa jambe droite. Un brin déglinguée, légèrement<br />

maquillée, elle pianote sur son téléphone.<br />

J’ai découvert Sky Ferreira lorsqu’elle posait pour nos<br />

confrères du magazine Jalouse en juin 2010 à<br />

l’occasion du Jalouse Rocks Paris festival, une de ses<br />

premières scènes, aux côtés de We Have Band, The<br />

Drums ou encore I Blame Coco. Sky Ferreira y<br />

apparaissait comme une gamine aux airs de Lolita<br />

avec ses longues boucles blondes et sa pop<br />

bubblegum. Cette adolescente m’a tout de suite paru<br />

volontaire et différente des autres starlettes de<br />

l’époque. Son compte Facebook, alimenté de ses<br />

pensées de passage, était d’une honnêteté assez<br />

inédite. Quelques 20 000 personnes likaient la page,<br />

certains la suivaient depuis l’époque Myspace (le site<br />

qui lui a permis d’être produite par BloodShy & Avant,<br />

les producteurs du Toxic de Britney Spears, ndlr).<br />

Presque quatre ans plus tard, plus de 290 000<br />

personnes suivent Sky Ferreira sur le réseau social, et<br />

peuvent enfin écouter son premier album, Night Time,<br />

My Time qui sort ce jour en France. Il a été enregistré<br />

en trois semaines avec la complicité d’Ariel<br />

Rechtshaid et Justin Raisen. Le résultat pour Sky<br />

Ferreira d’une longue bataille avec son label. “J’ai<br />

commencé très jeune. Je n’avais pas les bonnes<br />

personnes autour de moi et elles ne cherchaient pas à<br />

m’aider ou à faire valoir mes intérêts. Je devais<br />

constamment me battre contre des gens avec un ego<br />

et du pouvoir. Dans le label, le principal problème était<br />

que chaque personne voulait que je sois quelqu’un de<br />

différent. Ils désiraient beaucoup de choses mais ils<br />

ne voulaient pas me laisser être moi-même.”<br />

Après deux EPs, As if en 2011, et Ghost, l’année<br />

suivante, Sky Ferreira explique que son label avait<br />

perdu de l’intérêt pour elle, mais qu’il fallait tout de<br />

même sortir un album. “Capitol a posé une deadline et<br />

m’a dit “nous avons besoin d’un album dans trois<br />

semaines” ou quatre semaines, quelque chose<br />

comme cela. Il y avait déjà un album de prêt mais je<br />

sentais que j’avais beaucoup plus en moi que ce qui<br />

était prévu. Donc nous sommes allés en studio avec<br />

Justin et Ariel, et nous avons écrit ce qui représente la<br />

moitié de Night Time, My Time pendant ces trois<br />

semaines.” Durant cette période intensive de studio,<br />

naissent les titres I Blame Myself, Heavy Metal Heart,


Nobody Asked Me, Omanko, Kristine et enfin Night<br />

Time, My Time. Des morceaux incisifs, sombres et<br />

intimes, qui reflètent cette tension entre le label et la<br />

jeune artiste. “Aujourd’hui, mes relations avec le label<br />

sont meilleures, surtout depuis que j’ai un nouveau<br />

management. Mais je ne suis pas une personne<br />

difficile, j’ai seulement un point de vue sur ce que je<br />

veux faire. Je ne voulais pas mentir aux gens. Si<br />

j’avais voulu sortir un album que je jugeais pas mal et<br />

seulement pas mal, j’aurais sorti la première version.”<br />

La suite, Sky Ferreira en est elle-même étonnée :<br />

“Depuis que Night Time, My Time est sorti, certaines<br />

personnes ont commencé à changer la perception<br />

qu’elles avaient de moi. Je ne m’attendais pas à<br />

certaines réactions ! Et j’ai enfin trouvé un manager<br />

qui est dans la mesure de dire que je n’ai pas à<br />

complètement changer pour avoir du succès.”<br />

Lorsque Sky Ferreira prend la parole, elle choisit ses<br />

mots. Parle lentement. Hache ses phrases tout en<br />

évitant de regarder son interlocuteur trop souvent<br />

dans les yeux. Elle scrute la fenêtre, laissant<br />

transparaître une personnalité réservée. Mais ce qui<br />

ressort de cet échange, c’est à quel point elle reste<br />

fidèle à elle-même. Elle n’hésite pas à prendre la<br />

parole pour se révolter contre des pratiques à son<br />

encontre qu’elle juge indécentes et qui ont<br />

principalement lieu sur Internet. “Ma carrière a<br />

commencé quand j’avais 15 ans grâce à Internet.<br />

J’étais très jeune, dans cette période où l’on a peu<br />

confiance en soi. Bien sûr, j’essaie de ne pas faire<br />

attention à ce que disent les gens, mais on veut<br />

toujours que les autres nous aiment bien, et non qu’ils<br />

nous détestent. Je n’ai jamais rien fait pour qu’on me<br />

traite comme cela ou que l’on parle de moi de cette<br />

façon. Aujourd’hui, ce genre de personnes ne<br />

représente pour moi que des gens derrière des<br />

écrans d’ordinateurs. Rien d’autre.”<br />

Victime de propos haineux, Sky Ferreira se défend<br />

directement sur Facebook où elle a écrit la semaine<br />

dernière un message pour dénoncer la violence des<br />

propos qu’elle reçoit. “Ce que j’ai écrit sur Facebook,<br />

ce n’est pas à propos des haters, des trolls, c’est<br />

seulement à propos d’humanité. Si tu as agresses<br />

sexuellement quelqu’un via un clavier, cela revient au<br />

même que d’avoir l’intention de le faire en vrai. Alors<br />

que la plupart des gens ne diraient jamais ce genre de<br />

choses dans la vie. Les filles peuvent particulièrement<br />

être très violentes et écœurantes. Tu peux regarder<br />

ce que certaines disent sur Lana Del Rey ou Miley<br />

Cyrus, cela peut faire peur parfois. Je reçois<br />

également ce type de commentaires et cela a toujours<br />

été le cas. J’essaie de les ignorer pour ne pas leur<br />

donner de crédit. Ce que j’ai écrit sur Facebook,<br />

c’était plus une pensée que j’ai eu au milieu de la nuit<br />

qu’un message à proprement parler. J’ai eu beaucoup<br />

de retours positifs. C’était la première fois qu’une telle<br />

chose m’arrivait ! Mais ce qui me contrarie aussi, c’est<br />

qu’un message de ce type, écrit par une femme, est<br />

considéré comme une rébellion. Alors que si cela<br />

avait été écrit par une rock star, il aurait été considéré<br />

comme quelque chose de cool.” Elle pointe alors le<br />

problème du sexisme dans l’industrie musicale. “De<br />

mon expérience personnelle, les gens ont été<br />

sexistes. Mais je suis sûre que les mecs sont aussi<br />

victimes de cela, comme Justin Bieber, par exemple<br />

qui a dû faire face à des insultes.”<br />

La tête sur les épaules, Sky Ferreira donne sa vision<br />

de la pop music et du climat de compétition qui règne<br />

entre les artistes féminines : “On est constamment<br />

comparées les unes aux autres, ou présentées<br />

comme étant la nouvelle version d’une fille qui a sorti<br />

un titre le mois d’avant. La compétition n’est pas<br />

forcément une mauvaise chose, mais je ne pense pas<br />

que l’on devrait se mettre des bâtons dans les roues.<br />

Tenir publiquement des propos contre une autre fille<br />

ne fait qu’empirer les choses. Les gens trouvent cela<br />

divertissant, mais nous n’avons pas besoin de<br />

négativité.” Elle évoque alors son amitié avec Miley<br />

Cyrus qui lui a offert la première partie de sa tournée :<br />

“Si on s’entend bien Miley et moi, je pense que c’est<br />

parce que nous ne sommes pas en compétition et<br />

nous faisons ce que nous avons envie de faire.”<br />

En attendant mon tour pour l’interview, je patientais<br />

dans le living-room de l’hôtel. Un magazine était posé<br />

sur la table basse en face de moi. En le feuilletant, je<br />

suis tombée sur une photographie de Sky Ferreira<br />

illustrant une interview de la jeune photographe<br />

canadienne, Petra Collins qui revendique ses idées et<br />

valeurs féministes. Des idées que partagent Sky<br />

Ferreira : “Je me considère comme une féministe.<br />

Même s’il y a toujours un stéréotype négatif quand on<br />

parle de féminisme. Il se passe beaucoup de choses.<br />

Il faut faire entendre notre voix.”<br />

Le 10 mars dernier, Sky Ferreira a écrit sur son<br />

compte Facebook : “ I almost wrote “fuck the media”<br />

until I realized that’s all I’ll be doing for the 12 hours<br />

today.” Elle s’explique librement sur le sujet : “Certains<br />

médias essaient de manipuler mon image ou de<br />

manipuler les mots que je dis pour les rendre plus<br />

divertissants pour les personnes qui vont ensuite les<br />

lire. Les gens ont la possibilité de changer tout ce<br />

qu’ils veulent. Je dois constamment me défendre<br />

alors que les interviews sont l’occasion, à mon sens,<br />

de connaître les artistes, de savoir ce qu’ils pensent et<br />

ce qu’ils font plutôt que d’essayer de les faire se<br />

disputer avec vous. J’ai l’impression que cela arrive<br />

beaucoup.”<br />

L’interview est sur le point de se terminer. Juste le<br />

temps d’évoquer le passage de Sky Ferreira au<br />

Nouveau Casino, à Paris, à la fin du mois de janvier :<br />

“On devait faire une reprise mais on n’a finalement<br />

pas eu le temps de la préparer.” Et pour le dernier<br />

morceau avorté de la setlist, Gurl You Gotta Party ?<br />

Elle réfléchit une seconde, puis éclate de rire : “C’était<br />

une blague ! Pour la personne qui aura la setlist,<br />

qu’elle se demande “mais quelle est cette chanson ?<br />

Je ne la connais pas !”.”<br />

Texte et propos reccueillis par Alice de Jode


©Jason-Lee Parry


GRÜNT<br />

JEAN MOREL<br />

Interview publiée le 18 février 2013


G pour Grünt et pour engaGé. Acteur principal de la scène rap underground parisienne mais aussi angegardien<br />

de l’état d’esprit hip-hop parfois malmené, Grünt est une “nébuleuse culturelle”, partenaire de<br />

Radio Nova, qui surprend par son ambition, étonne par son énergie et séduit par sa modestie. Dans une<br />

tension créative entre lyrisme éloquent et réalité urbaine, Jean Morel, tête pensante à lunettes du projet<br />

discute dans son rade préféré. Une langue débridée et une passion intelligente qui soulèvent une<br />

réflexion sur l’évolution du journalisme d’aujourd’hui, son rôle et le statut de ses acteurs. Optimiste, Grünt<br />

nous offre un départ direct vers une presse engagée dans son essence même : son audience. T’inquiètes<br />

pas, tu vas vite saisir…<br />

Si personne n’arrive à définir Grünt, toi tu y arrives ?<br />

Grünt c’est un tel bordel que je me force à théoriser<br />

au minimum. C’est un projet en cours, ce qui sous<br />

entend que la forme n’est même pas définie pour<br />

nous. Par exemple, pour confronter la culture rap à la<br />

culture dominante, notre dernière idée a été de<br />

demander à des Normaliens en Lettres de commenter<br />

des textes de rap, comme si c’était un examen de<br />

BAC. Le terme vague de « nébuleuse » permet d’avoir<br />

l’espace de prendre des nouvelles directions et de<br />

surprendre notre public. Je n’ai jamais voulu<br />

considérer Grünt comme un unique format vidéo.<br />

Sans prétention, j’essaye d’élever le niveau.<br />

Dès la naissance de Grünt l’auditeur pouvait<br />

t’entendre dire : “Nous avons pour ambition de mettre<br />

en avant la créativité d’aujourd’hui puisque celle-ci<br />

n’est plus assurée par les formats vieillissants”. Tu<br />

restes sur cette position aujourd’hui ?<br />

Je le crois toujours mais j’ai commencé à être moins<br />

vindicatif. Grâce à l’expérience Grünt, je mesure mon<br />

propos maintenant. Comme je me rends compte que<br />

Grünt me fait vraiment vibrer, j’aimerais bien qu’il y ait<br />

un de ces grands médias là qui ait l’intelligence de<br />

comprendre l’ambition qui est la notre à savoir une<br />

culture présentée comme telle, brute, sans altération<br />

de forme imputée par un format classique. Du coup,<br />

jamais Grünt ne modifiera son format journalistique<br />

parce que ça représente notre innovation et notre état<br />

d’esprit.<br />

Alors un média comme Radio Nova joue quel rôle<br />

dans l’aventure Grünt ?<br />

Nova nous sert et nous apporte énormément, grâce à<br />

son image et son rayonnement. Sans rien avoir<br />

inventé, j’ai plaisir à pouvoir me dire que nous avons<br />

réinstauré au sein de Nova un format mis en place par<br />

Dee Nasty. Je cherche à faire réapparaître l’esprit<br />

authentique du hiphop. C’est marrant de voir qu’on a<br />

pu avec Adrien Gingold (aka Gingoldescu, ami de<br />

Crumb et Responsable Éditorial de Novaplanet, ndlr)<br />

réutiliser le format free-style que Nova avait la<br />

première mis à l’antenne, le seul format qui vaille pour<br />

le hiphop. Et puis Nova est pour moi la seule radio qui<br />

a toute sa légitimité, la seule dans laquelle je me<br />

ressens en terme d’historicité du hiphop. De toute<br />

façon aujourd’hui j’ai le meilleur partenariat du monde,<br />

c’est le Saint Graal.<br />

Ton expérience chez Nova a probablement fait<br />

évoluer ta vision du journalisme…<br />

Tel que moi je veux le pratiquer c’est une passion,<br />

après tel que je le perçois autour de moi c’est quelque<br />

chose qui a été dévoyé au fil du temps. Je pense qu’il<br />

existe deux types de journalisme. Celui d’investigation<br />

et l’autre qui est en cours de mutation. Plus par<br />

l’accélération de la nouveauté que par la volonté<br />

même des journalistes, d’ailleurs. On n’a plus le<br />

temps de creuser suffisamment. La politique est celle<br />

de l’exclusivité, surtout dans le milieu culturel. Avec<br />

les blogs, là où j’ai commencé, tu fais une chasse à la<br />

nouveauté parfois au détriment de la qualité. C’est la<br />

logique de Google, premier à citer, premier à être<br />

référencé, et c’est à partir de là que commence<br />

l’influence de ta plateforme.<br />

C’est ce qui t’a amené à changer de format ?<br />

Exactement ! Ce nouveau format nous permet de<br />

proposer un contenu plus poussé et plus exclusif sur<br />

la toile. En fait ce n’est pas complètement nouveau<br />

puisque le free-style hiphop existe depuis toujours<br />

mais le fait qu’il soit filmé en appartement et dure<br />

assez longtemps (30-40min, ndlr) marque la<br />

différence. Ca permet à l’auditeur d’avoir le temps de<br />

plonger dans le délire. Dans le contenu journalistique<br />

pur, j’essaie de creuser pour éviter le « Est ce que<br />

t’aime bien les « bitches » et l’argent ? ». Je me<br />

tourne vers l’aspect technique du rap, le rapport à<br />

l’écriture, au son, à l’esprit de collectif. A côté de ça,<br />

quand un rappeur est invité par un grand média, on lui<br />

pose une question minable sur la société et jamais sur<br />

son Art en lui-même. J’avais envie d’aborder le sujet<br />

avec qualité, c’est la seule chose qui peut nous<br />

permettre de nous démarquer depuis que tout le<br />

monde peut écrire sur le net.<br />

Au début de Grünt on avait le droit à des articles<br />

engagés sur la place et l’histoire du hiphop.<br />

Maintenant Grünt se concentre sur le format vidéo.<br />

Pour quelles raison cette évolution ?<br />

Je n’arrive pas à trouver un format satisfaisant à<br />

l’écrit. J’ai trop envie que ça soit précis, irréprochable<br />

parce qu’il y en a beaucoup qui écrivent sur le hiphop<br />

et il faut que cela reste accessible, pédagogue,<br />

divertissant. J’ai le sentiment que dans mes interviews<br />

vidéo/radio, je suis autant pointu qu’à l’écrit. En même<br />

temps je viens de découvrir le format radio. Après


avoir bégayé au commencement, je me plais bien sur<br />

ce format. A l’oral il y a ce moyen de rentrer en<br />

contact avec le rappeur à travers le langage. Tu peux<br />

rebondir sur ce que te dis l’autre. Alors que l’écrit est<br />

plus rigide. Au final, c’est cela que permet Internet,<br />

être multi formats. La vidéo, elle, c’est un concert à<br />

emporter, une performance live devant ton ordi donc<br />

ça attire. Malgré tout, l’écrit reste ma source principale<br />

de donnée mais le plaisir que je trouve dans l’échange<br />

de l’interview est une belle découverte.<br />

Vers un retour à l’écriture ?<br />

Idéalement j’aimerais bien sortir un petit bouquin, un<br />

projet de plus grande envergure, du genre essai. Je<br />

n’ai pas envie de faire un truc à la va-vite et qui n’a<br />

que peu de sens, j’ai envie de me fixer un mois pour<br />

sortir un produit fini dont je suis fier. C’est peut être<br />

aussi que je ne pense pas avoir une plume de ouf,<br />

que j’ai peur de l’écriture…<br />

Dans tout ça, la thune elle sort d’où ?<br />

Ahah. Dis moi si t’as une solution ! Pour l’instant on<br />

cherche à réussir à avoir notre propre matos et à ne<br />

plus l’emprunter à droite à gauche. On pourrait<br />

envisager des partenariats, mais est ce que j’ai envie<br />

d’être aliéné à une marque ? Surtout pas. Là je suis<br />

libre, je garde la qualité. Au fond je sais pertinemment<br />

que je ne gagnerais jamais ma vie avec Grünt. Après<br />

le rêve d’avoir une structure avec des potes est<br />

toujours là…<br />

Dans ce cas là, pour quelles raisons Grünt prends un<br />

rôle sur la scène culturelle ?<br />

Pour le lüv (rires) ! Partager, rencontrer des<br />

passionnés dans la rue qui te félicitent ça vaut toutes<br />

les mailles de la terre. Savoir qu’il y a des accros à<br />

Grünt, aussi. On a commencé par passion et continué<br />

en étant surpris du soutien. En retour j’aimerais que<br />

notre public nous prévienne si jamais on commence à<br />

déconner. Nous n’avons pas envie de finir avec de la<br />

merde dans les mains à 55 balais. Pour l’instant,<br />

toujours pas de haters. Étonnant ! Ensuite, parce que<br />

je pense qu’on est en mission. Avec la petite ampleur<br />

qu’on a prise, on commence à avoir un rôle à jouer. A<br />

présent, Grünt a pour mission de nettoyer ce que<br />

nous n’aimons pas dans le journalisme. Si on continue<br />

à fédérer autour de notre mouvance alors on pourra<br />

trouver notre place. Là on va commencer à rigoler<br />

parce qu’il y aura des gens méritant. On fait un<br />

second ORTF en imposant uniquement du rap<br />

underground ! (Rires)<br />

Avec une telle fédération tu dépasses la simple<br />

dimension de journalisme. Moi c’est facile je fais que<br />

du culturel mais quand tu veux faire de l’info ça<br />

devient plus compliqué.<br />

Les lecteurs du Canard Enchainé pensent que leur<br />

journal est la seule source de scoop. Ceux qui ont<br />

réussi leur business model de ce point de vue là c’est<br />

Médiapart. Déjà ils sont indépendants, ce qui brise la<br />

méfiance du public et en plus ils se basent sur le<br />

soutien des abonnés. Quand tu réussi à faire<br />

comprendre à ta fanbase que sans eux tu ne peux<br />

survivre alors là tu gagnes. Mais ce sont des<br />

exemples minoritaires… Après ça, tu te demandes<br />

comment NRJ fait les plus gros scores ? Il y a un tel<br />

formatage, ça créé un tel instinct grégaire c’est<br />

incompréhensible.<br />

<strong>CRUMB</strong> est intéressant parce qu’on est à un moment<br />

où toutes les cartes sont entrain d’être redistribuées.<br />

On va voir comment une presse de qualité avec un<br />

état d’esprit est accueillie par le grand public. Autour<br />

de nous, à part <strong>CRUMB</strong> je ne vois aucun organe de<br />

presse récent qui obéit à ce schéma là. C’est pour ça,<br />

chapeau <strong>CRUMB</strong> ! Vous êtes une belle histoire avec<br />

une équipe passionnée qui taffe. Grünt ça n’a rien à<br />

voir, on est encore une micro-niche. Mais c’est ce qui<br />

fait notre identité aussi.<br />

Seule la passion a de l’importance…<br />

On a jamais fait 1euros avec Grünt sans le réinvestir.<br />

Tout le matos est emprunté. Si on monétisait notre<br />

chaine YouTube on se ferait 30euros par mois, ce<br />

serait de la folie ! Faut réinventer l’espace où tu te fais<br />

de l’argent. C’est pour ça que Grünt je ne l’incarne<br />

pas complètement, j’essaie aussi d’en faire une image<br />

de marque, un label de qualité qui évoque un état<br />

d’esprit. Il n’y a qu’avec ça qu’aujourd’hui que je peux<br />

espérer faire ma vie.<br />

Est ce que la presse numérique est condamnée à<br />

cette limite d’audience et d’argent ?<br />

Il ne faut plus miser, contrairement à Rue89, qui a<br />

d’ailleurs été racheté, uniquement sur le contenu<br />

presse. Si tu arrives à avoir une image, un état<br />

d’esprit, une idée de valeur assez forte, c’est à partir<br />

de cela que tu peux espérer des revenus. Grünt y<br />

arrivera seulement par la diversification, organiser des<br />

soirées open-mic et se faire un peu de mailles sur les<br />

bières. Voilà où se fait de l’argent la presse :<br />

l’événementiel. Arrêtons de croire que vous allez<br />

vendre du contenu ! En même temps <strong>CRUMB</strong> à une<br />

vrai fanbase. C’est pour ça que votre projet<br />

m’intéresse, c’est un vrai pari.<br />

Justement quel est l’état d’esprit Grünt ?<br />

C’est le “Do It Yourself”, un peu comme vous. C’est<br />

vendre des sweats par chers, c’est discuter de<br />

manières de penser autour d’une bière. Je vis Grünt<br />

comme une famille qui bosse tous ensemble parce<br />

qu’on a besoin du public pour réussir. Je suis dans<br />

l’échange plus que dans une position dominante.<br />

Cette idée participative, ça fait plaisir : le public<br />

partage les free-styles, propose son matériel. Il fait<br />

notre force. C’était marrant aussi j’ai eu des mecs qui<br />

me demandaient de faire un stage chez Grünt. Si tu<br />

veux on peut aller faire un plat de pâtes ensemble<br />

c’est tout ce que je peux te proposer (rires) !<br />

Comment tu définis les valeurs identitaires de Grünt ?<br />

Jamais avec Grünt on ne « vendra notre boule » pour<br />

reprendre une ligne assez récurrente du Hip Hop. Ne<br />

pas mettre de publicités au début de nos vidéos, c’est<br />

pour nous capital. Je ne fais pas cela pour percer,<br />

pour l’argent ou la célébrité. D’ailleurs je n’aime pas<br />

trop montrer ma gueule. Nous les journalistes, nous


ne sommes que les facteurs. Ce sont les artistes qui<br />

écrivent le courrier. Grünt est un médium entre le<br />

public et les artistes. Ce sont eux qui ont le talent<br />

alors je ne vais pas revendiquer quoi que ce soit.<br />

Quand j’aurais analysé suffisamment pour faire en<br />

sorte qu’on puisse comprendre la mesure de leur<br />

talent, alors j’aurais réussi ma mission de journaliste.<br />

Je ne vais pas ramener une star juste pour faire du<br />

clic. En revanche, là avec le Süre Mesure 2 on arrive<br />

à mettre en face l’Entourage, le collectif qui fait le plus<br />

de buzz actuellement, et Rocé et Khondo qui<br />

représentent l’Age d’Or du rap français. Sans ce<br />

mélange de générations et de popularités, certains<br />

jeunes d’aujourd’hui n’auraient pas découvert ces<br />

figures essentielles. Je ne revendique pas une<br />

érudition mais il faut assumer qu’il y a une histoire du<br />

rap qui permet de comprendre ce qui se fait<br />

aujourd’hui. Les rappeurs d’aujourd’hui respectent<br />

l’héritage des anciens et nous on veut faire passer ça<br />

du côté du public.<br />

Donc si j’ai bien compris t’es le genre de personnalité<br />

qui écoute Skyrock et NRJ ?<br />

Ces radios sont le cancer de la musique ! Quand tu<br />

penses que la loi sur la radio de 1981 stipule qu’on a<br />

le droit de passer la musique qu’on veut ! Dans ces<br />

radios il y a des professionnels payés pour créer une<br />

playlist type qui concentre des tubes façonnés comme<br />

tels, tout un système où les morceaux qui marchent le<br />

mieux s’échangent entre les radios. Par conséquent,<br />

95% des radios s’échangent 20 morceaux à partir de<br />

cette sélection. Pourquoi chercher la nouveauté si les<br />

gens s’enthousiasment toujours avec la même chose<br />

? Ca c’est la pensée des grandes radios. Elles ont<br />

abandonné leur mission première : la découverte<br />

C’est de la musique imposée et non pas sélectionnée.<br />

Ils devraient payer un programmateur, ça couterait<br />

moins cher ! On a l’impression de marcher à l’envers !<br />

Au cœur même de la signature grüntienne se trouve<br />

une hybridité du langage entre langage écrit et oralité.<br />

C’est ce qui permet à l’ovni Grünt d’être repéré ?<br />

T’es chiant en fait comme mec (rires) ! T’es trop est<br />

tatillon, je suis oblige de réfléchir.<br />

C’est vrai on a mis en place une création identitaire.<br />

Je me suis amusé à accaparer le langage des gens<br />

que je rencontre, un argot que je peux maitriser par la<br />

suite.<br />

Jongler entre l’aspect populaire du rap et<br />

l’intellectualisation de la production sans en faire trop,<br />

c’est ce que j’espère avoir réussi de faire avec le ton<br />

de Grünt. « Rapper » est devenu « kicker » dans ma<br />

tête. Mon identité hybride entre études littéraires et<br />

amour du hiphop dessine l’identité de Grünt !<br />

Les rencontres ont donc principalement fait évoluer<br />

ton expérience journalistique ?<br />

A force de côtoyer des gens et de faire des<br />

rencontres, celles-ci m’ouvrent les yeux sur la façon<br />

authentique dont il faut traiter le sujet, oui. Aujourd’hui,<br />

grâce à ces rencontres j’arrive à parler rap sans mon<br />

jargon d’étudiant de prépa littéraire. L’oralité a cette<br />

qualité d’être humain, vivant. Je parle avec leurs<br />

propres termes, je suis dans leur perception de leur<br />

Art. C’est cela aussi le but du journaliste. Il ne s’agit<br />

pas de calquer un schéma de connaissance pré établi<br />

mais de partager un rapport, une vision de la culture.<br />

Ca permet à ceux que j’interviewe d’avoir le sentiment<br />

de pouvoir se livrer dans le but de creuser ensemble.<br />

Faut trouver le juste équilibre pour arriver à les sortir<br />

de leur monde et à chercher un pourquoi. Je les mets<br />

en confiance tout en les tirant vers de la qualité. Enfin,<br />

je l’espère. Ce que j’aime, c’est quand je pose une<br />

question auquel l’auteur n’avait jamais pensé. Ca c’est<br />

pour moi du journalisme.<br />

Le fait que je parle de l’aspect technique de leur<br />

production revalorise leur Art, leur rend hommage. Si<br />

j’arrive à insérer cette petite connerie alors je serai<br />

content de mon travail. Le but du journalisme, pour<br />

moi, c’est d’obliger à réfléchir, de mettre en défaut, de<br />

faire progresser ensemble.<br />

En quoi cette idée du partage se reflète t-elle chez<br />

Grünt ?<br />

Je me suis dis qu’on allait se poser sur le même ton<br />

que ceux dont on parle.<br />

Par rapport au ton j’aime bien relever le niveau sans<br />

devenir soporifique. Je n’apprécie pas la manière<br />

débilisante dont est traité le rap aujourd’hui. Les<br />

rappeurs ont la science naturelle et authentique, moi<br />

j’essaie d’apporter une théorie qui sera, par définition,<br />

toujours en retard puisque leur art et leurs techniques<br />

d’écritures sont en constante mutation.<br />

Est ce que ce ton identitaire est une manière de cibler<br />

un public particulier ?<br />

Je ne sais pas. Mais en tout cas ce que ça m’a prouvé<br />

c’est que ceux qui adhérent se retrouvent dans le ton,<br />

qui est lui-même à notre image comme tu le dis.<br />

J’adore discuter avec le public de Grünt et il me fait<br />

comprendre qu’on est très similaires. Ensuite il y a<br />

des profils différents : des filles qui sortent de grands<br />

lycées parisiens mais se la jouent “street” et d’autres<br />

vraiment “street” qui mériteraient d’être dans ses<br />

grands lycées (rires) ! Ça me donne envie de tous les<br />

réunir dans une belle salle pour qu’ils se marrent bien<br />

entre eux. Ils se retrouvent autour d’un état d’esprit<br />

qui est aussi le nôtre. Et ça c’est Grünt !<br />

On assiste à une vraie évolution dans la<br />

communication…<br />

Exactement ! A partir du moment où tu échanges, cela<br />

fonctionne. En même temps il y a un réel danger.<br />

C’est que les professionnels de la communication<br />

peuvent commencer à faire du faux état d’esprit, à<br />

exploiter ce filon pour le vendre et le falsifier. La<br />

perversion serait d’adopter artificiellement ce ton<br />

intime. D’une certaine manière KissKissBankBank<br />

c’est la première étape de ça. Est ce que dans le long<br />

terme le crowdfunding ne va pas être réhabilité par<br />

des grosses entreprises ? Elles n’ont pas vraiment<br />

besoin de thunes mais vont utiliser cet outil qui est, à<br />

la base, pour des projets ambitieux mais sans<br />

moyens. Ce serait tout gâcher.


Est ce que dans cette proximité presque<br />

indispensable on pourrait voir la fin de la suprématie<br />

du statut de journaliste ?<br />

Il ne se distinguera que par la qualité. J’estime que le<br />

journaliste a un talent et que ce qu’il écrit a une valeur<br />

qui mérite d’être lue/vue/reconnue par plus que luimême,<br />

contrairement à un Tweet. Tant que le format<br />

et le contenu journaliste est présent alors ça marche.<br />

Il n’est pas descendu d’un piédestal s’il arrive à<br />

bosser avec une réflexion peu importe le ton. Ca reste<br />

principalement de la stratégie. C’est toute la mode du<br />

Gonzo ; si le mec arrive à te toucher en te racontant<br />

qu’il s’est pris une cuite alors tant mieux. Le ton pour<br />

le ton c’est dangereux. Ou sinon t’as Jooks « le site<br />

des mecs qui parlent aux mecs » avec des débats<br />

comme « Est ce que se taper sa cousine est bien ? ».<br />

Là c’est que du ton mais c’est drôle parce que ce n’est<br />

pas pris au sérieux.<br />

Tweeter, c’est faire du gonzo ?<br />

Je ne crois pas aux 140 caractères. Encore une fois,<br />

au niveau de la qualité. Je l’utilise pourtant mais cela<br />

reste pour moi la défaite de la pensée, le summum du<br />

rien. Ils ont réussi à pousser plus loin que PowerPoint<br />

dans leur quête de la nullité. En plus tu donnes la<br />

parole à des gens qui n’ont pas d’expertise. C’est<br />

pour cela qu’on a encore besoin d’une presse et<br />

qu’elle ne cessera d’exister. Nous aurons toujours<br />

besoin d’un médium entre le mélange passionconnaissance<br />

et le public. Pareil pour<br />

MyMajorCompany : le contraste est énorme entre le<br />

plébiscite d’un morceau et à sa réelle qualité. Même si<br />

la musique c’est quelque chose de subjectif, il y a des<br />

gens qui on une vraie oreille musicale. Ca s’apprend.<br />

Twitter c’est l’antithèse de l’expertise, en partie à<br />

cause du fait qu’il met en avant la logique de<br />

l’exclusivité.<br />

Je n’aurais pas du dire ça parce que si vous allez voir<br />

ce que j’écris sur Twitter vous allez penser que je me<br />

fous de votre gueule (rires).<br />

Quel est ton point de vue sur la libéralisation de<br />

l’expression par Internet et ce que cela change ?<br />

Ce qui me dérange dans l’idée de libéralisation c’est<br />

toute une théorie du complot qui en découle comme<br />

quoi tous ceux qui avaient la parole avant nous étaient<br />

des menteurs. L’émergence de la prise de parole<br />

dénature parfois les anciennes autorités culturelles qui<br />

ne sont alors plus respectées sous prétexte qu’elles<br />

ne distillaient que des mensonges. Il y a une limite à<br />

cela, mais c’est vrai qu’on est en droit de chercher<br />

une autre information que les Unes régulière sur les<br />

Francs Maçons par Le Point ou l’Express, ou ces<br />

unes sur le Halal et « Cet Islam sans gêne ». Il n’y a<br />

rien de plus racoleur et dangereux. Ca pour moi c’est<br />

la démission de la presse…<br />

En soi, Internet est à la fois le média le plus génial et<br />

le plus dangereux du monde : il permet à la fois à des<br />

gens qui le méritaient de prendre la parole mais aussi<br />

à des gens potentiellement dangereux, ou juste cons,<br />

de le faire aussi.<br />

J’ai un peu le sentiment qu’Internet vit la même chose<br />

que la radio après la libéralisation des ondes en 1981.<br />

C’est à dire, qu’on a créé un format à la liberté<br />

absolue et qu’aujourd’hui on termine avec 4 radios<br />

dominantes avec 95% des gens qui les écoutent.<br />

C’est la même chose avec Facebook, Google et<br />

Twitter. A cause du fric, de la pub, de la logique de<br />

suggestion autour du dernier clic qui limite ton champ<br />

des possibilités, la plus grande liberté est brimée.<br />

Internet a été reconditionné commercialement.<br />

Que c soit de la part du lecteur ou du journaliste on<br />

assiste également, par Internet ou à travers d’autres<br />

supports, à une course vers l’originalité, une frénésie<br />

de la nouveauté. Serait-ce une marque de<br />

désengagement ?<br />

Probablement. C’est surtout une évolution du temps.<br />

T’es jamais concentré sur rien, t’as toujours dix<br />

onglets ouverts quand tu “surfe sur le web” (rires). Et<br />

alors, l’artiste qui te marque vraiment dans tout ce flux<br />

il a encore plus de mérite que les autres. Cela<br />

soulève, en effet, l’enjeu de la qualité. Je continue à<br />

être persuadé que ceux qui ont vraiment du talent,<br />

finissent toujours par être trouvés. Il faut arrêter avec<br />

le mythe du poète maudit. A partir du moment où tu<br />

composes et tu envisages un public, tu auras alors<br />

toujours un public pour t’écouter. A condition, bien sûr,<br />

que tu aies du talent ! D’un autre côté, avec cette<br />

infinité de nouveautés l’auditeur semble ne pas<br />

pouvoir éviter la lassitude. Le journaliste peut tuer un<br />

talent plutôt que de le mettre en avant à force d’en<br />

parler, la sur-médiatisation est dangereuse. On peut<br />

arriver à une saturation.<br />

Et si Grünt ne se fait pas trop rare il sera où dans un<br />

an ?<br />

Si je rêve et espère, je dirais que proportionnellement<br />

on sera 15 000 fans sur Facebook l’année prochaine<br />

et on pourrait remplir virtuellement un Bataclan. Créer<br />

une vraie communauté, ça serait la consécration d’un<br />

idéal sans être la fin de l’aventure, loin de là. C’est<br />

aussi simple que ça quand tu fais du journalisme par<br />

passion. D’ailleurs, je vous invite !<br />

Propos recueillis et écrits par Sirius Epron<br />

Photos : Simon Betite, pour Crumb magazine<br />

Dédicaces à Quentin, Simon et Costo, les pilliers de<br />

Grünt.


AUSTRA<br />

Katie Stelmanis<br />

Interview publiée le 12 mai 2013<br />

Après avoir sorti « Feel It Break » lʼun des meilleurs albums de 2011, Austra revient sur le devant de la<br />

scène avec un nouvel LP, « Olympia » sorti le 18 Juin prochain. Alors que leur premier album était<br />

principalement complété par la chanteuse Katie Stelmanis, ce nouvel opus est le produit dʼune approche<br />

plus collaborative entre les six membres du groupe, Katie, Maya Postepski, Dorian Wolf, Ryan Wonsiak,<br />

Sari et Romy Lightman.<br />

Olympia est un album romantique, pragmatique, électronique, groovy, mélancolique, dont les thèmes<br />

abordés varient entre lʼamour, lʼamitié et la vie de tous les jours ; dépassant les limites des genres<br />

musicaux. Il est également très personnel pour Katie. A la limite de la confession, elle nous livre ses<br />

pensées, ses déceptions, ses relations, ou encore ses erreurs « What do I have to do to make you forgive<br />

me ? I wouldnʼt even tell the world if you could hear Iʼm sorry ». Récit…<br />

Tu as très longtemps étudié la musique classique et le<br />

chant lyrique. Depuis toute petite tu as été formatée<br />

dans ce domaine, aujourdʼhui comment composes-tu<br />

? Parles-nous de la manière dont tu as évolué…<br />

Je pense que beaucoup de choses sont différentes.<br />

Quand jʼai arrêté la musique classique et voulu<br />

commencer à écrire et composer, je ne pouvais pas le<br />

faire au piano parce que jʼétais effectivement<br />

formatée. J’ai été éduquée à jouer du piano de la<br />

façon la plus classique qui soit, à savoir regarder les<br />

notes et les jouer exactement telles quʼelles étaient<br />

écrites. Je ne pouvais pas voir autrement. En jouant<br />

de la guitare, j’ai véritablement commencé à<br />

composer et à voir les notes et les claviers dʼune autre<br />

façon.<br />

Ensuite tu as créé Galaxy…<br />

Oui avec Maya ! Cʼétait un peu du post punk/garage.<br />

Et là cʼest devenu important pour moi de<br />

composer. Ca a vraiment changé ma façon<br />

dʼappréhender la musique.<br />

Vous avez découvert la musique électronique<br />

ensemble et tu as d’ailleurs commencé à t’inspirer de<br />

Radiohead ou encore de Björk ? Que penses-tu de la<br />

scène électronique aujourdʼhui ?<br />

La musique électronique est tellement populaire<br />

maintenant, qu’elle est devenue mainstream. On est<br />

cependant dans une période très intéressante. Je<br />

pense que la combine est de ne pas tout composer<br />

sur ordinateur mais de garder des éléments «<br />

organiques » pour faire quelque chose de spécial…


Quel est ton principal objectif en musique ?<br />

Je crois que jʼai un objectif différent avec chaque<br />

album. Sur celui-ci nous voulions créer un album<br />

électronic-dance mais à la manière acoustique, sans<br />

utiliser de clavier midi ni de logiciels. Quasiment<br />

toutes les chansons ont été enregistrées en live. Alors<br />

évidemment, on entend parfois des imperfections, tout<br />

n’est pas en place mais on voulait vraiment garder ça.<br />

Tu as co-écrit et interprété deux chansons du groupe<br />

Death In Vegas, « Witchdance» et « Your Loft My<br />

Acid ». Comment ça s’est passé ?<br />

En fait c’était vraiment du hasard, Richard (Richard<br />

Fearless, fondateur de Death In Vegas, ndlr) mʼa<br />

contacté à l’improviste, par le biais de mon label.<br />

J’étais à Londres à ce moment-là. Je ne connaissais<br />

pas trop sa musique. Quand j’ai enregistré ses<br />

chansons, il m’a hébergé chez lui pendant trois<br />

semaines. Je me disais « C’est génial, sweet deal ! »<br />

(Rires). C’était vraiment cool et intéressant parce qu’à<br />

chaque fois que je chantais il me disait de le faire plus<br />

calmement et au final je me suis limite retrouvée à<br />

parler… C’était une chouette rencontre.<br />

Feel It Break était pour nous lʼun des meilleurs albums<br />

de 2011, vous êtes parti en tournée pendant deux<br />

ans. Quʼen avez-vous tiré ?<br />

Oui, nous n’avons pas arrêté pendant deux ans.<br />

Après avoir joué dans autant de salles et de villes,<br />

chaque fois que l’on arrivait quelque part, on se disait<br />

« Il faut que l’on fasse quelque chose de nouveau, on<br />

a déjà joué ici ». On a pas mal fait évoluer les<br />

morceaux. Au début je n’avais vraiment pas confiance<br />

en moi en tant que “performeuse”, mais avec le temps<br />

on en apprend plus sur la technologie et le rapport à<br />

la scène. Et puis… On a joué avec The XX et The<br />

Gossip.<br />

Raconte-nous votre rencontre avec The Gossip !<br />

C’était vraiment très cool ! Surtout que j’étais une<br />

énorme fan dʼeux quand j’avais 18 ans, et je les<br />

voyais toujours quand ils passaient à Toronto. Ce que<br />

j’adorais c’est que c’était à peu près toujours le même<br />

show : Beth retirait ses vêtements et courait dans le<br />

public ! Elle est très théâtrale et n’as jamais peur de<br />

s’exprimer. Huit ans après, nous avons joué ensemble<br />

à Berlin, et elle a refait la même chose ! Elle retire ses<br />

vêtements, court partout, chante Queen, mais cette<br />

fois devant 10 000 personnes. Elle n’a pas changé.<br />

Elle ne changera jamais.<br />

Sur Feel It Break, tu as travaillé principalement toute<br />

seule. Olympia est lui, le fruit dʼune collaboration entre<br />

toi, Dorian, Maya et Sari…<br />

Oui. Je voulais vraiment faire un album collaboratif,<br />

quelque chose qui reflétait nos concerts. J’avais<br />

l’impression qu’à la fin de notre tournée, nous avions<br />

une énergie tellement forte en live que cela ne<br />

ressemblait plus à l’album. Je ne voulais pas refaire<br />

un album solo, c’était important que tout le monde<br />

apporte ses idées pour donner vie à plus de créativité.<br />

C’est aussi un album différent, très personnel, à la<br />

limite de la confession, tu t’adresses à tes proches,<br />

principalement à propos de ta vie, de tes relations ou<br />

déceptions…<br />

Oui. Il était important pour moi d’écrire des chansons<br />

à propos de certaines choses de ma vie. Je ne l’avais<br />

jamais fait avant. Jʼai pas mal réécouté de vieux<br />

albums que j’avais chez moi comme ceux de Cat<br />

Power. Je n’avais jamais vraiment écouté les paroles<br />

et je me suis rendu compte que c’était totalement<br />

différent quand tu les écoutes et les comprends. J’ai<br />

vécu une période difficile, la tournée était finie, il y<br />

avait tellement de poids et de pression sur mes<br />

épaules qu’il devenait vital que tout sorte de moi.<br />

Toutes les chansons avaient un but précis, et Sari mʼa<br />

aidé à combler les trous et améliorer le tout !<br />

Sans être féministe, que penses-tu si je te dis<br />

qu’aujourd’hui je trouve que les femmes osent<br />

réellement franchir les barrières et être celles qui<br />

créent et «vont plus loin»…<br />

J’ai toujours eu cette vision que pour qu’une femme<br />

ait la même reconnaissance quʼun homme, il fallait<br />

qu’elle se mette beaucoup plus en avant et se crée<br />

une histoire. Je préfère ton point de vue (rires). J’ai<br />

l’impression que dans l’industrie de la musique si tu<br />

es une femme, l’image est très importante, plus que<br />

celle dʼun homme. Je ne me serais jamais doutée que<br />

j’allais être dans des magazines de mode, par<br />

exemple, mais pour la promo d’un disque, c’est ce<br />

que l’on attend de toi…<br />

Tu es une icône gay, tu le sais ?<br />

(Rires) Ah, je ne sais pas. Je ne dirais pas que je suis<br />

une icône, mais je sais que j’adorais les concerts de<br />

The Gossip ou Peaches par exemple parce que du<br />

coup ça devenait des soirées gays. Dans nos<br />

concerts, il y a une bonne partie du public qui est gay<br />

mais aussi beaucoup hétéros. C’est chouette de voir<br />

que notre public, gay ou non, est là et apprécie le fait<br />

qu’on s’assume, tous et tous ensemble. La société<br />

devrait copier notre public. Ca ne ferait qu’améliorer<br />

les choses.<br />

Tu écoutes quoi en ce moment ?<br />

J’aime beaucoup les derniers mais aussi les vieux<br />

albums de Cat Power et le dernier The Knife…<br />

Tu en pense quoi dʼailleurs du dernier album de The<br />

Knife ?<br />

Il est très expérimental. Ce que jʼadore à propos<br />

d’eux, ce que je sais aussi, cʼest quʼil faut vraiment<br />

écouter le tout plusieurs fois pour assimiler leur<br />

musique. Et celui-ci il faut vraiment lʼécouter (rires) !<br />

Quʼest-ce qui est le plus important pour toi ?<br />

Je crois que je dirais la santé et le bonheur. Il y a cinq<br />

ans j’aurais probablement dit la musique et ma<br />

carrière, mais aujourd’hui je veux juste vivre et surtout<br />

ne pas être la personne la plus connue au monde…<br />

Par pitié.<br />

Propos recueillis par Lucie de Keyser<br />

Photos : Pauline Darley, pour Crumb magazine<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


ALUNA<br />

GEORGE<br />

Interview publiée le 29 juillet 2013<br />

©Fiona Garden


C’est l’un des plus attendus de l’année : Body Music, le (très bon) premier album du duo<br />

AlunaGeorge sort aujourd’hui dans les bacs. A l’occasion, nous avons donné rendez-vous au groupe,<br />

à Paris, pour leur poser quelques questions durant les quelques minutes qu’ils avaient à nous<br />

consacrer – les rares libres qu’ils restaient dans leur emploi du temps désormais quotidiennement<br />

surchargé. Révélation de l’été ? Sans aucun doute, préparez-vous, la bombe AlunaGeorge ne fait que<br />

s’allumer et est déjà prête – sur son passage – à tout ravager…<br />

Si vous n’aviez pas fait de musique, vous en seriez où<br />

aujourd’hui ?<br />

Aluna : C’est difficile à dire. La musique a toujours fait<br />

partie intégrante de moi. Je ne sais vraiment pas ce<br />

que j’aurais fait d’autre. J’imagine que j’aurais travaillé<br />

dans un domaine artistique, quel qu’il soit.<br />

George : Idem. Depuis mes 13 ans, la musique est<br />

une certitude pour moi. Si je me souviens bien, c’est<br />

en commençant la guitare que je me suis dit que ce<br />

serait cool d’en faire mon métier. Si je n’avais pas fait<br />

ça, j’aurais probablement travaillé dans un secteur<br />

ennuyeux avec des chiffres… (Rires)<br />

Comment décririez-vous votre musique aux<br />

personnes qui ne vous connaissent pas ?<br />

Aluna regarde George : Tu es plus doué pour ce<br />

genre de questions !<br />

George : Eh bien, disons que notre musique est<br />

éclectique. Ce sont des rythmes et des sons, et le tout<br />

mis ensemble donne des bruits agréables à l’oreille…<br />

Ce sont des chansons qui te ramènent à toi-même.<br />

Du moins, c’est ce qu’on essaie de faire.<br />

Parlez-nous de votre rencontre artistique…<br />

Aluna : On a commencé par remixer la musique<br />

d’autres groupes, pour voir ce que cela donnait. Puis<br />

on a commencé à écrire ensemble, juste pour le<br />

plaisir.<br />

George : Exactement ! On a commencé à faire des<br />

remix, et à enregistrer parce que ça nous amusait. On<br />

s’est mis à écrire et au bout de huit mois, on s’est<br />

retrouvé avec un nombre assez conséquent de<br />

chansons. Du coup, on s’est dit qu’on devrait essayer<br />

de réellement en faire quelque chose, quitte à faire<br />

n’importe quoi. Il fallait au moins qu’on prenne le<br />

risque. Ce fut notre point de départ et cela nous a<br />

amené jusqu’ici. Ca s’est avéré être un travail<br />

minutieux et de longue haleine !<br />

Votre premier album, Body Music, sort aujourd’hui. Un<br />

mot à dire dessus ?<br />

George : Quand on a commencé le groupe, on ne<br />

pensait pas à faire un album. Tout ce qu’on avait en<br />

tête, c’était d’écrire des chansons. Et puis, un label<br />

nous a contacté et c’est devenu un objectif. Alors on a<br />

continué d’écrire, mais avec une exigence nouvelle,<br />

sans possibilité de reculer. On a crée, on a repris les<br />

projets qu’on avait laissé de côté, en essayant<br />

toujours de livrer quelque chose de neuf et d’original.<br />

Ce fut un challenge permanent !<br />

Où puisez-vous votre inspiration lorsque vous écrivez<br />

ou que vous composez ?<br />

George : Je ne dirais pas que j’ai des héros musicaux<br />

mais disons qu’il y a des musiques qui me suivent et<br />

qui m’inspirent. Si je devais en citer, je dirais<br />

Radiohead. Écouter de belles mélodies et prendre<br />

conscience du travail incroyable fait par d’autres<br />

personnes rend à la fois envieux et reconnaissant.<br />

Aluna : Exactement. Je suis très inspirée par l’histoire<br />

des autres. J’y suis plus sensible, et ça m’aide à<br />

écrire.<br />

Avec quels artistes, morts ou vivants, rêveriez-vous<br />

de collaborer ?<br />

George : J’adorerais faire quelque chose avec<br />

Pharrell Williams ! La voix d’Aluna se marierait<br />

incroyablement bien à la sienne !<br />

Aluna : Moi, j’aurais adoré pouvoir collaborer avec<br />

Jimmy Hendrix.<br />

Quel est votre meilleur souvenir de concert ?<br />

Aluna : Hultsfred ! Celui de l’année dernière (Le<br />

Hultsfred Festival, en Suède, où ils ont joué le15 juin<br />

2012, ndlr). C’était un de nos premiers concerts. Tout<br />

était là pour que cela se passe incroyablement bien.<br />

George : J’ai aussi adoré notre concert à Brixton.<br />

(Electric Brixton à Londres, le 20 juin 2013, ndlr).<br />

C’était un concert énorme, avec des tonnes de<br />

lumière et on avait vraiment la pression. On ne<br />

s’habitue pas encore vraiment au fait que monter sur<br />

scène est notre « métier ». On a vraiment de la<br />

chance.<br />

Y a-t-il une scène sur laquelle vous rêveriez de vous<br />

produire ?<br />

George : Je rêverais de jouer au Shepherds Bush<br />

Empire (A Londres, ndlr). Je crois que c’est là-bas<br />

que j’ai vu le premier concert qui m’a réellement<br />

marqué, j’avais quatorze ans, c’est vraiment un lieu<br />

incroyable. (La tournée anglaise du groupe a été<br />

annoncée depuis, AlunaGeorge jouera au Shepherds<br />

Bush Empire le 24 octobre 2013, ndlr)<br />

Aluna : Moi, je n’en ai aucune idée. Je crois que je n’ai<br />

pas encore fait assez de concerts pour pouvoir « rêver<br />

» d’une salle où jouer en particulier. Mais, quoi qu’il en<br />

soit, où que l’on se produise, le seul fait d’être sur<br />

scène a quelque chose d’incroyable en soi.


Le succès demande souvent de s’adapter. Quels<br />

changements votre notoriété grandissante vous as<br />

t’elle imposé au quotidien ?<br />

Aluna : Cela me fait penser à la période où mes amis<br />

avaient un vrai travail, ce qui n’était pas mon cas. Ils<br />

n’avaient pas de temps pour moi…<br />

George : On doit être partout en même temps…<br />

Aluna : Il faut être assez doué pour jongler avec les<br />

horaires et prévoir du temps libre, pour la famille et les<br />

proches.<br />

Aujourd’hui que vous réussissez dans la musique,<br />

avez-vous songé à vous intéresser à un autre<br />

domaine ?<br />

Aluna regarde George : Je suis convaincue que je<br />

suis une mauvaise actrice, mais tu essaies de me<br />

persuader du contraire. Donc, si je me retrouve un<br />

jour dans une fiction, ce sera la faute de quelqu’un<br />

d’autre…<br />

George à Aluna : Je pense que j’ai raison. Tu le<br />

montres dans nos vidéos. Tu dois adopter des<br />

attitudes et tu le fais avec aisance.<br />

Ils débattent un instant…<br />

Aluna : Je pense que je ferais quelque chose dans la<br />

mode. J’adore manipuler les tissus et faire des choses<br />

improbables avec ! J’adore créer des choses à partir<br />

de rien.<br />

George : Je peux témoigner. Sans donner trop de<br />

détails je peux vous dire qu’en ce moment elle élabore<br />

un truc vraiment ridicule… Son truc nous suit dans le<br />

van dans lequel on voyage, et elle coupe et elle colle<br />

et elle recolle…<br />

Aluna : Et ça me prend des heures… J’adore la colle !<br />

(Rires)<br />

Et si on reste côté musique, quel autre genre de<br />

musique auriez-vous aimer/pu faire ?<br />

Aluna : Du heavy metal. Quelque chose de bien<br />

sombre.<br />

George : Pourquoi pas ? Il y a bien quelqu’un qui aime<br />

ça quelque part ! Enfin, laissons ça à l’avenir, pour<br />

l’instant.<br />

Propos recueillis par Grace Libissa<br />

Un portfolio inédit du concert d’AlunaGeorge au Nouveau<br />

Casino, à Paris, en mai 2013, réalisé par Simon Betite a été<br />

publié par Crumb le 10 mai 2013. La photographie cidessous<br />

en en extraite.<br />

L’intégralité des photos du concert, réalisées pour Crumb,<br />

est à retrouver sur www.crumbmagazine.com


PORTFO<br />

<br />

LIO MIR<br />

ANDA L B<br />

ARNES<br />

Série photo publiée le 28 octobre 2013


Miranda Barnes est une jeune photographe américaine d’à peine 18 ans. Elle jette un regard pointilleux sur les choses qui<br />

l’entourent – toujours en argentique. Elle ne se considère pas comme photographe, d’ailleurs, elle est étudiante avant tout mais a<br />

déjà tout d’une grande, sans même le savoir. Elle parle de “créativité”, de “substance”, aimerait prendre en photo autre chose que<br />

des “poussins contre un mur blanc”, travailler pour le New-York Time et porter haut la place des femmes dans la jeune<br />

photographie contemporaine. Un conseil donc pour l’avenir : gardez un oeil sur elle…


Interview publiée le 25 septembre 2011<br />

Photographies : Mathieu César<br />

pour <strong>CRUMB</strong> magazine<br />

Les Metronomy en interview sont espiègles et nonchalants. Leur nouvel album « The English Riviera » les<br />

a enfin révélé au grand public et cette fois-ci, pour de bon. Pour beaucoup, c’est l’album de l’année, tout<br />

simplement. Écoutez la première chanson « We Broke Free » et laissez l’écume du Devon envahir votre<br />

âme. Tic-tac, tic-tac, tic-tac, c’est le bruit du métronome qui prolonge vos vacances d’été toute l’année…<br />

Avec The English Riviera, vous vous êtes lancés dans<br />

une électro beaucoup plus pop que sur vos deux<br />

premiers albums…<br />

Joe : Oui ! Cet album marque le début d’une étape. Je<br />

le vois comme une sorte de transition. C’est le premier<br />

que nous avons enregistré ensemble en studio, et<br />

c’est aussi le premier qui reçoit un accueil aussi<br />

incroyable de la part du public. Avec ce disque, on est<br />

encore à mi-chemin entre moi qui bidouille dans ma<br />

chambre et l’enregistrement studio, du coup, j’ai<br />

vraiment hâte de voir ce que le prochain va donner !<br />

Vous chantez souvent avec une voix très aigüe, votre<br />

marque de fabrique ?<br />

Oscar : A l’origine c’était sûrement Joe qui était tout<br />

seul en train d’enregistrer dans sa chambre et qui<br />

imaginait qu’il avait réussi à ramener une fille (rires),<br />

et comme ce n’était pas le cas, il s’est mis à crier<br />

aigu. Enfin je crois que c’est comme cela que ça a<br />

commencé !<br />

Joe : Tout a fait (rires). Non, pour être sérieux, je crois<br />

qu’il s’agit avant tout de confiance en soi. Plus tu<br />

chantes dans les aigus, moins c’est facile pour les<br />

autres d’entendre exactement ce que tu dis. Un peu<br />

comme quand tu imites un accent : cela change<br />

tellement ta voix, que tu te sens plus confiant pour<br />

chanter. Mais sur ce nouvel album, je me suis un peu<br />

calmé.


Joe, tu faisais beaucoup de remixes au début. C’est<br />

quelque chose qui intéresse encore le groupe ou vous<br />

êtes passés à autre chose ?<br />

Joe : En fait, je n’ai pas commencé par des remixes,<br />

même si c’est comme cela que la plupart des gens<br />

ont entendu parler de Metronomy au départ. Je crois<br />

que j’en ai tellement fait que je me sens à court<br />

d’idées. A vrai dire, je préfère travailler avec des gens<br />

plutôt que de changer ce qu’ils ont déjà créé.<br />

D’ailleurs, Gbenga fait des remixes en ce moment, et<br />

je crois qu’Oscar a essayé d’en faire quelques-uns,<br />

dont il a honte (rires) !<br />

Anna : Personnellement je trouve qu’on devrait<br />

interdire les remixes ! Les remixes, c’est la mort de la<br />

face B. Cela donne juste une excuse aux musiciens<br />

pour ne pas se casser la tête et se contenter de<br />

changer un tant soit peur un morceau.<br />

Gbenga : Non, je ne suis pas sûr que tout le monde<br />

ait cette approche-là. Pour les gens qui font de la pop<br />

peut-être… En tout cas, il y a des tas de groupe qui<br />

en font parce qu’on les pousse à produire plus qu’un<br />

simple album, on leur demande de fournir des<br />

morceaux en exclu, à droite et à gauche. L’industrie<br />

du disque l’impose d’une certaine manière…<br />

En tant que groupe qui s’est fait connaître en partie<br />

grâce à Internet, que diriez-vous à quelqu’un qui<br />

télécharge votre musique illégalement mais qui paye<br />

pour venir vous voir en concert ?<br />

Joe : C’est une question difficile pour nous, parce<br />

qu’Internet nous a permis de diffuser notre musique et<br />

de faire parler du groupe. Pour autant, je ne crois pas<br />

que la musique doit être distribuée gratuitement. Cela<br />

me fait bizarre d’entendre les gens me dire « Tu sais,<br />

j’ai piraté ton album, mais du coup je vais à ton<br />

concert ». C’est comme si je te disais « Je te vole 15<br />

euros, mais t’inquiète pas, je vais t’acheter quelque<br />

chose avec » !<br />

Oscar : Et puis on prend tellement de temps pour<br />

donner à l’album le son adéquat, que pirater une<br />

version mp3 avec un son moins authentique, je trouve<br />

cela un peu triste pour les gens qui téléchargent en<br />

fait.<br />

Gbenga : Pour moi, une partie du problème réside<br />

dans le fait que certaines personnes n’ont même pas<br />

conscience que l’on parle de vol. Il y a des pays<br />

comme la Chine ou la Russie où il est pratiquement<br />

impossible de gagner de l’argent avec un disque à<br />

cause du piratage. Un jour, on a fait un concert à<br />

Moscou devant 1500 personnes alors qu’on savait<br />

pertinemment qu’aucun d’entre eux n’avait acheté nos<br />

disques…<br />

En dehors du Royaume-Uni, comment expliquez-vous<br />

le lien particulier que vous entretenez tous les quatre<br />

avec la France ?<br />

Joe : Je pense que cela s’explique d’abord par le fait<br />

que notre label soit français (Because Music, ndlr). En<br />

dehors de cela, il me semble aussi que,<br />

traditionnellement, le public français se montre<br />

davantage réceptif aux choses et musiques un peu<br />

inhabituelles.<br />

Gbenga : C’est vrai qu’en Angleterre, 5 ans après<br />

notre premier album, on est encore parfois considérés<br />

comme une nouveauté…<br />

Joe : Mais pour être vraiment honnête, avec ce nouvel<br />

album, on est devenus populaires un peu partout et<br />

pas seulement en France.<br />

Oscar : Enfin en tout cas, ce qu’on peut dire, si c’est<br />

là où vous voulez en venir, c’est que la France était là<br />

avant tout le monde !<br />

Quelle a été votre plus belle expérience en France<br />

jusqu’à présent ?<br />

Gbenga : On a joué dans les Arènes de Nîmes avec<br />

les Chemical Brothers (dans le cadre du festival de<br />

Nîmes, ndlr) ! C’était génial.<br />

Anna : Et La Cigale, à Paris, aussi !<br />

Gbenga : Ah oui c’est vrai, La Cigale c’était vraiment<br />

spécial, mais Nîmes… Je n’aurais jamais crû que l’on<br />

pouvait faire ce genre de trucs ! Le décor était<br />

incroyable. Les Chemical Brothers jouaient le même<br />

soir, les arènes étaient bondées, les gens super<br />

réceptifs à notre jeu, et ce soir-là, je crois sans<br />

prétention que l’on a vraiment très bien joué !<br />

Joe : Notre dernière tournée en France a commencé à<br />

La Cigale. C’était tellement dément que chaque<br />

concert qui a suivi nous a paru moins intense que ce<br />

soir là parce que le public ne devenait pas aussi<br />

dingue.<br />

Vous avez intitulé votre album « The English Riviera »<br />

en référence à la région du Devon en Angleterre.<br />

C’est un endroit que vous recommanderiez pour aller<br />

passer ses vacances à la plage ?<br />

Joe : Si tu veux passer tes vacances à la plage, je te<br />

conseillerais plutôt d’aller à Nice (rires). Il y a de très<br />

beaux endroits dans le Devon, mais ce que nous<br />

souhaitions avec The English Riviera, c’était rendre<br />

cette région un peu plus glamour qu’elle ne l’est en<br />

réalité. Pour des vacances, je n’en sais rien. Pour<br />

allez y bronzer, mieux vaut prendre une petite veste<br />

(rires).<br />

Propos recueillis par Émilie Cochaud.<br />

Photos : Mathieu César, pour Crumb magazine<br />

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />

fait l’objet de la couverture du numéro de 10 de Crumb<br />

magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />

digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 25 septembre 2011.


. <br />

METRONOMY #2<br />

Deuxième rencontre<br />

Interview publiée le 6 mars 2014<br />

L’effervescence autour de la sortie de The English Riviera, avant-dernier album du groupe, a amené le<br />

quatuor jusqu’aux planchers des Zeniths et des festivals. Une reconnaissance méritée et intrigante qui<br />

nous amène à discuter avec un Joseph Mount un peu différent de celui que l’on avait croisé la dernière<br />

fois. Plus conscient des enjeux que représentent la sortie de son nouveau disque, Love Letters, mais<br />

toujours aussi porté par un flegme inégalable. Celui du type passionné qui voit le succès lui tomber<br />

dessus sans rien demander <br />

Après le succès de The English Riviera (…), ton<br />

nouvel album sonne plutôt home-made...<br />

Il sonne effectivement plus intime. On l’a enregistré<br />

dans un bon studio, mais le matériel utilisé et la façon<br />

de produire m’ont permis d’obtenir cette ambiance.<br />

J’ai évidemment fait attention à ce qu’il sonne mieux<br />

que si on l’avait enregistré dans ma chambre, mais<br />

dans l’intention, c’était ça. Avec The English Riviera,<br />

je voulais un disque très fouillé, sérieux tandis que<br />

pour Love Letters, j’ai souhaité qu’il soit moins<br />

parfait, moins propre…<br />

On entend différentes époques dans ce disque,<br />

des années 60 aux années 80. C’était voulu ?<br />

Non pas vraiment, tout dépend vraiment de la<br />

manière dont les gens perçoivent la musique. Je ne<br />

ferai jamais de musique en me disant “Ca, ça va<br />

sonner 70’s”. Je m’inspire e souvenirs, de sonorités<br />

que mon oreille a toujours entendues. J’ai pris une<br />

rythmique binaire, très sixties sur Love Letters, mais<br />

c’est quelque chose que l’on a toujours retrouvé dans<br />

ma musique depuis.<br />

Parles-nous de ces petites imperfections<br />

d’enregistrement…<br />

J’ai enregistré cet album en essayant d’être le plus<br />

fidèle à mes premières intentions, ces moments de<br />

recherche en studio où parfois des erreurs se<br />

glissent. La façon dont les disques sont aujourd’hui<br />

enregistrés est très clinique : tout doit être parfait,<br />

propre, calé à la seconde près, et j’avais envie de<br />

transgresser cette règle. On trouve donc sur Love<br />

Letters certaines petites choses inattendues que l’on<br />

a gardées. Il faut bien tendre l’oreille…<br />

Après des morceaux comme The Bay ou The<br />

Look, tu n’avais pas peur de devoir courir après<br />

les hits ?<br />

Heureusement non ! Mon label ne vient pas me voir<br />

en me faisant “hey Jo’, il faut nous sortir du lourd !”.<br />

Ils me laissent faire ma petite cuisine et ensuite ils<br />

écoutent. Même si j’avais un peu plus la pression que<br />

pour mes disques précédents, je n’y ai pas pensé. Si<br />

les gens veulent un album avec des tubes, ils peuvent<br />

appeler Pharrell Williams et le problème sera réglé !<br />

Et le fait d’enregistrer un nouvel album en<br />

sachant que l’attente des gens est forte ?<br />

Cela me semble être hyper stimulant ! Il faut en<br />

profiter. Les artistes et les groupes que j’aime ont su<br />

apprécier ce genre d’attente, en surprenant leurs<br />

fans. Ou parfois même en les décevant… Les gens<br />

n’ont pas encore écouté l’album, ils connaissent deux<br />

singles qui ne représentent pas entièrement le<br />

disque. Mais d’un autre côté, c’est une opportunité<br />

tellement rare pour moi de pouvoir décevoir, je ne<br />

sais pas, 200 000 personnes sur Terre (sourire).<br />

Tu aimes les jeux de l’interview ?<br />

Cela dépend (…) ça peut parfois vraiment être<br />

horrible. L’avantage lorsqu’on est plus populaire,<br />

c’est que les gens s’intéressent plus à toi et à ce que<br />

tu fais. Aux débuts du groupes, les questions étaient<br />

parfois terriblement chiantes…<br />

Pourquoi est-ce que Metronomy dit moins de<br />

bêtises sur Twitter ? Beaucoup se rappellent de<br />

ce fameux tweet lors des élections présidentielles<br />

françaises.<br />

(Rires) Je m’en souviens ! Je me suis dit qu’il fallait<br />

peut être s’arrêter, ou au moins se calmer. La<br />

politique et la musique, c’est pas toujours ça…<br />

J’adore Internet, mais je n’ai plus le temps de tenir un<br />

compte Twitter, cela m’ennuie. Puis j’ai un enfant<br />

maintenant. Mais rien ne dit que je ne risque pas de<br />

m’y remettre quand on repartira en tournée…<br />

Propos recueillis par Brice Bossavie<br />

Photos : Pierre & Florent<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


BERTRAND<br />

BURGALAT<br />

Interview publiée le 16 mai 2012<br />

T<br />

B comme Burgalat, génie sans langue de bois. Tour à tour pyromane, magicien, chanteur mais surtout<br />

producteur/arrangeur (pour Alain Chamfort, Katerine, April March, Supergrass, Christophe Willem, Alizée,<br />

Depeche Mode, ou encore Mick Harvey…), Bertrand Burgalat sort aujourd’hui a sorti son quatrième<br />

album personnel, « Toutes Directions ». Monstre de la scène musicale mais pas que, le fondateur du<br />

label Tricatel a donné une interview fleuve à Crumb, dont on a gardé l’essentiel ici. On a parlé d’à peu<br />

près tout et quand on est parti on s’est dit que ce mec-là avait tout d’un génie. <br />

Toutes Directions n’est que votre quatrième<br />

album et pourtant quand on regarde votre<br />

parcours, vous êtes un monstre de la musique<br />

depuis de nombreuses années. Vous avez<br />

collaboré avec énormément d’artistes,<br />

notamment Charles Berling que j’ai interviewé<br />

pour notre précédent numéro. Il me parlait d’un<br />

texte de Genet qui évoquait Rembrandt. Genet<br />

écrit que Rembrandt a passé sa vie à peindre des<br />

portraits pour à la fin de ses jours ne finir par<br />

peindre que des autoportraits… Est-ce que pour<br />

créer et dépeindre votre univers à vous, vous avez<br />

besoin un peu à la manière de Rembrandt de<br />

peindre celui des autres, de vous immiscer dans le<br />

leur ?<br />

Ahah. C’est une question intéressante. Je ne sais pas<br />

vraiment. La musique n’est bien que si on la partage,<br />

si on crée des rencontres. Travailler avec d’autres<br />

personnes permet souvent de se libérer, de livrer des<br />

choses plus personnelles. Il m’arrive de donner<br />

quelques trucs intimes, de les placer sur les disques<br />

des autres parce que ça libère et que du coup je<br />

peux me livrer sans avoir peur d’être impudique, vu<br />

qu’il ne s’agit pas de mes disques.<br />

A contrario, ce n’est pas qui vous écrivez sur ce<br />

disque…<br />

Raconter sa vie et ses états d’âmes n’a de sens que<br />

si on les transcende. Faire appel à des auteurs<br />

permet de se libérer. J’ai essayé par moi-même, je<br />

n’y suis pas arrivé. Pour Sentinelle Mathématique, par<br />

exemple, j’avais le titre et l’idée depuis un an et demi.<br />

Je visualisais quelque chose sur la société. J’avais<br />

l’impression d’avoir déjà tout dit dans le titre, d’avoir<br />

tout exprimé. Plusieurs auteurs ont essayé d’y<br />

apposer des paroles, ça n’a jamais marché. Et puis<br />

j’ai confié le truc à Barbara (Barbara Carlotti, ndlr), je<br />

lui ai envoyé le mp3, trois jours après, elle avait écrit<br />

le texte définitif que je trouve super.


Revenons en arrière, vous êtes parti en Slovénie<br />

après vos études, la musique s’est révélée à vous.<br />

Quand on regarde votre parcours on se dit que<br />

vous ne pouviez faire que ça, je veux dire de la<br />

musique. Sans elle, vous auriez fait quoi ?<br />

Probablement pas grand-chose. Pendant longtemps<br />

j’ai vécu de petits boulots. J’ai passé mon bac à<br />

16ans, je suis arrivé à Paris sans rien, je ne<br />

connaissais personne, je n’avais pas les codes. Je<br />

trouve que c’est une connerie d’être en avance sur<br />

son âge parce que finalement on a une maturité sur<br />

certaines choses mais pas sur d’autres. Après le bac,<br />

j’ai perdu confiance en moi, mon père est mort, je<br />

n’avais personne pour me guider, je me suis retrouvé<br />

seul, livré à moi-même, et dans cet interstice-là est<br />

venue se glisser la musique. Mais ça m’intimidait, me<br />

paraissait inabordable. Autrefois les gens qui<br />

sortaient des disques avaient une vraie légitimité et ils<br />

se la pétaient. Aujourd’hui tout le monde sort des<br />

disques, ça n’a plus la même résonnance, quelque<br />

chose a changé.<br />

En parlant de sorties de disque, est-ce que vous<br />

pouvez nous dire un mot sur Tricatel, le label<br />

musical que vous avez fondé ?<br />

Ce n’était pas vraiment mon idée, je n’ai jamais rêvé<br />

de label, je n’ai aucune notion de gestion. Au milieu<br />

des années 90, je bossais pas mal en Angleterre et<br />

avoir une boite de production là-bas, ça aide. J’ai<br />

monté le truc sans réfléchir, je n’ai même pas fait<br />

gaffe au nom, c’était une blague. D’un côté ça m’a<br />

servi, de l’autre non. Les gens un peu hâtifs ou sans<br />

humour ont vu sans ça comme l’apologie des années<br />

70. En même temps, quand on regarde le nombre de<br />

labels qui ont des noms idiots… (Rires).<br />

Signer et aider des artistes, c’est un peu une<br />

manière de renvoyer l’ascenseur, d’aider des<br />

personnes là où vous auriez aimé l’être…<br />

Absolument. Je trouve que c’est assez plaisant<br />

d’essayer d’éviter de faire subir aux autres ce que<br />

l’on a subit, mais c’est assez difficile pour moi. Il y a<br />

plein de gens intéressants qui ne savent pas se<br />

vendre. Quand j’écoute une démo, j’essaie de faire<br />

abstraction de la qualité, de l’enregistrement pour ne<br />

me concentrer que sur la musique et sur la création.<br />

A l’inverse, il y a vraiment des gens qui n’ont pas<br />

grand-chose d’intéressant à dire mais qui savent très<br />

bien le vendre. Je crois qu’on en connaît tous (rires).<br />

En tant que responsable de label, quel regard<br />

portez-vous sur la crise du disque ?<br />

Je suis plutôt content que cela ait baissé l’arrogance<br />

de certaines personnes. Tout le monde est désormais<br />

face à ses responsabilités et aux envies et désirs<br />

passionnés. Puisqu’on ne vend plus de disques,<br />

autant faire ceux qu’on aime. Ce que je vois arriver<br />

cependant et qui m’embête, c’est un secteur musical<br />

subventionné avec tout ce que cela peut représenter<br />

de magouilles et d’arbitraire. Les labels ne signent<br />

plus de projets, ils les créent, pour répondre<br />

spécifiquement aux quotas, aux crédits d’impôts, aux<br />

aides de l’état. Ça devient triste.<br />

Toutes Directions est quelque peu en rupture<br />

avec vos albums précédents. Comment aimeriezvous<br />

qu’il soit perçu ?<br />

(D’un air sérieux) « L’album de la maturité » (rires).<br />

Non je déconne. Je ne pense pas qu’il soit si en<br />

rupture que ça, disons qu’il est en progression. A<br />

l’évidence je suis condamné à progresser, je n’ai pas<br />

eu assez de succès pour pouvoir oser me répéter ou<br />

suivre une direction précise. J’essaie de toujours me<br />

renouveler. Je trouve que quand on fait des choses<br />

en marge, il est facile de s’endormir. Ca procure<br />

d’ailleurs un certain confort intellectuel. En France, il y<br />

a vraiment des gens qui aiment la musique mais il y<br />

aussi des beaufs qui ne comprennent pas toujours<br />

tout. Je trouve que la réponse à ce problème de<br />

compréhension c’est d’essayer de faire les choses le<br />

plus sérieusement et sincèrement possible. C’est une<br />

arme beaucoup plus efficace que l’indignation.<br />

Histoire de rétablir un équilibre. Comme pour<br />

beaucoup d’autres choses d’ailleurs. Ou bien des fois<br />

ça se fait tout seul. Par exemple les gens riches sont<br />

souvent très bêtes, c’est une sorte de justice (rires).<br />

Vous parliez d’un manque de succès. Est-ce que<br />

justement le fait de consacrer autant de temps à<br />

des collaborations ou des travaux extérieurs à<br />

votre univers n’a pas nui à votre carrière<br />

personnelle ?<br />

Non. Ce disque (Toutes Directions, ndlr), j’aurais pu le<br />

faire il y a deux ans, entre temps j’ai eu un enfant,<br />

dont j’ai préféré m’occuper. Je ne suis pas toujours<br />

dans la production permanente mais pour vivre, je<br />

prends tout, des commandes, des pubs, des trucs<br />

chouettes, d’autres moins. Il y a des moments où je<br />

suis à deux doigts de perdre l’appétit pour la<br />

musique, où je frôle la lassitude à force de multiplier<br />

les travaux forcés pas toujours inspirés. Mais le fait<br />

d’avoir à me bouger le cul pour vivre est assez<br />

plaisant, cela permet de rester en équilibre.<br />

Propos recueillis et interview par Thomas Carrié<br />

Photographies : Pauline Darley, assistée de<br />

Maxime Stange, pour Crumb magazine


MICHAEL<br />

FASSBENDER<br />

Interview publiée le 13 mai 2013<br />

Hiver 2012. Une chambre d’hôtel à Paris. Michael Fassbender nous attend. Il est à l’affiche du dernier<br />

film événement de Steve McQueen, « Shame », dans lequel il joue le rôle de Brandon, un trentenaire<br />

new-yorkais souffrant d’addiction sexuelle. La couverture médiatique est grande et Michael a déjà l’aura<br />

d’une star. Nous faisons partis des rares médias web (sous-entendu peu importants) à être accréditer<br />

pour l’occasion. Nous entrons. Et, là, au fil des mots et des pensées, nous l’avons vu se confier à<br />

Crumb, sur son travail d’acteur. Rencontre en toute intimité…<br />

Pour votre rôle dans Hunger, en 2008, je sais que<br />

vous aviez rassemblé de nombreuses<br />

informations et témoignages concernant votre<br />

personnage pour cerner son caractère et<br />

l’incarner au plus juste. Pour Shame, comment<br />

cela s’est-il passé ?<br />

En règle générale, je me concentre beaucoup sur le<br />

texte, pour commencer, je le décortique comme une<br />

partition de musique, comme pour déchiffrer les<br />

rythmes présents dans la mélodie. Je poursuis<br />

ensuite mon travail en rencontrant les gens. J’ai eu la<br />

chance de m’entretenir avec des personnes souffrant<br />

de ce trouble, de cette maladie et je leur en suis très<br />

reconnaissant. En discutant, j’essaie d’ouvrir le<br />

dialogue et de pousser ces gens à me raconter des<br />

histoires. Poser des questions directes n’est pas très<br />

habile et peut parfois placer l’interlocuteur sur sa<br />

défensive. À travers les histoires, on trouve des<br />

origines, des sources de motivation, voire l’essence<br />

même de ce que représente ce trouble d’addiction au<br />

sexe.<br />

Parmi les témoignages de ces gens y a t’il une<br />

histoire qui vous ait marqué en particulier ?<br />

Oui, bien sûr. Elles étaient parfois très intimes et<br />

racontées sur le ton de la confidence. Je ne raconterai<br />

évidemment pas ce que l’on m’a confié, mais ces<br />

récits m’ont permis de comprendre ce que ce<br />

sentiment d’intimité était, ce que les problèmes<br />

découlant de cette intimité représentaient. C’est ce qui<br />

habite mon personnage, Brandon : cette peur de<br />

responsabilité émotionnelle envers quiconque au sein


©Alice Hawkins / Esquire UK


d’une relation, cette zone floue qui le rend sans<br />

défense lorsqu’il doit s’ouvrir aux autres. Ce n’est pas<br />

une position qui le met à l’aise. C’est pour cela qu’il<br />

s’efforce de garder le contrôle de tout ce qu’il fait. Il<br />

contrôle le scénario avant de connaître sa possible<br />

implication dans la relation, en préservant une<br />

distance de sécurité entre la situation et ses<br />

sentiments.<br />

Quelle part de vous-même avez-vous mis dans<br />

Brandon ?<br />

J’ai voulu qu’il reste près de moi autant que possible.<br />

Je n’ai pas voulu prendre de la distance par rapport à<br />

lui, cela aurait été trop facile. Il fallait qu’il ressemble à<br />

tout le monde, qu’il vive une vie normale, en<br />

apparence. Ce n’est qu’en creusant que l’on découvre<br />

qu’il est atteint d’une addiction sérieuse. J’ai essayé<br />

de me rapprocher de lui au plus près, afin de le<br />

comprendre, en apportant la connaissance que j’ai de<br />

moi-même et de ce que je vois autour de moi. C’est le<br />

meilleur –et probablement le seul- outil de travail que<br />

je possède.<br />

(Silence. Un temps)<br />

J’aime travailler sans filet de sécurité.<br />

Plutôt que de juger mes personnages, j’essaie de les<br />

comprendre. Je fais des fiches en écrivant les<br />

différents traits de caractère. Je les compare aux<br />

miens et développe ceux qui en ont besoin. Je pense<br />

que l’on se ressemble tous, il existe uniquement des<br />

nuances en chacun d’entre nous. Nous sommes tous<br />

plus ou moins capables de faire des actions positives<br />

ou négatives. Nous sommes tous responsables les<br />

uns les autres, nous avons tous besoin d’être<br />

acceptés, aimés, alors il faut avoir l’approche la plus<br />

honnête possible envers de tels sujets.<br />

Quelle est la plus grosse différence entre votre<br />

personnage, Brandon (Shame) et Connor, celui<br />

que vous jouiez dans Fish Tank ?<br />

Le plus gros problème de Connor, c’est qu’il est<br />

irresponsable. Il est le genre de personne qui s’enfuit<br />

face à une situation au lieu de lui faire face. Je ne<br />

pense pas qu’il soit autant conscient de ses<br />

problèmes que Brandon, qui est lui, à l’inverse,<br />

hyperconscient de son problème, il ne s’aime pas, se<br />

dénigre. Il sait qu’il est malade. C’est pour cela que<br />

j’apprécie Brandon, il essaie de s’en sortir.<br />

Brandon couche avec deux filles à la fois, il y a de la<br />

haine, de la luxure, du désir absolu dans son regard.<br />

Après qu’il ait éjaculé, il y a cette sensation d’être<br />

perdu qui émerge, il se sent dégoutant et ressent<br />

même de la honte (Shame, en anglais, ndlr). Ce sont<br />

les sensations que j’ai essayé de transmettre à<br />

l’écran. J’ai donc dû faire abstraction du fait que j’étais<br />

nu.<br />

Il faut aussi garder à l’esprit que le réalisateur, Steve<br />

McQueen, ne filme pas ces scènes de sexe par pur<br />

plaisir, mais qu’elles sont là, pensées, pour servir à un<br />

but précis, construisant l’histoire.<br />

Lors de cette scène avec les deux filles, vous<br />

regardez directement la caméra pendant l’acte<br />

sexuel. Vous pensiez à quoi à cet instant-là ?<br />

(Sourire) Il y a une grande communication entre la<br />

caméra et moi-même, une énergie puissante sur ce<br />

moment précis. Je gardais à l’esprit la douleur qu’est<br />

censé ressentir le personnage. C’est difficile à<br />

expliquer, d’autant plus que j’entretiens une relation<br />

d’amitié et de confiance tant avec Steve qu’avec Sean<br />

(Sean Bobbitt, directeur de la photographie, ndlr) et<br />

qu’ils sont évidemment présents derrière la caméra. Il<br />

fallait donc se concentrer au maximum sur ces<br />

pensées !<br />

Quelle a été la part d’improvisation de votre travail<br />

avec Steve ?<br />

Elle n’a pas vraiment existé. Une fois sur le lieu du<br />

tournage, il nous est arrivé d’improviser les dialogues<br />

mais sur le plateau, tout était déjà prêt. J’ai donc<br />

préféré être efficace plutôt que d’imposer mes idées :<br />

Il vaut mieux être préparé, éveillé et conscient pour<br />

répondre aux situations scénographiques et interagir<br />

avec elles.<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Vous n’avez pas aimé Connor ?<br />

Si, bien sûr, mais différemment. Il y a du bon et du<br />

mauvais dans les deux personnages. Comme un peu<br />

en chacun de nous dans nos propres vies…<br />

Comment avez-vous appréhendé les scènes de nu<br />

sur le tournage de Shame ?<br />

Je me suis senti bizarrement observé, mais je savais<br />

que c’était le moteur de l’histoire. La proximité<br />

physique avec le personnage permet au spectateur de<br />

se rapprocher de lui, jusque dans sa tête. Lorsque


SÉBASTIEN<br />

TELLIER<br />

Interview publiée le 17 mars 2012<br />

Après le succès de Sexuality qui l’a révélé aux oreilles du plus grand nombre, Sébastien Tellier revient<br />

avec un nouvel album-concept. Nous avons eu la chance d’écouter il y a quelques mois ce nouvel opus<br />

My God is Blue –a paraître le 20 mars- et de rencontrer Sébastien Tellier. Autour de quelques bières,<br />

nous avons parlé avec lui de sa musique, de son travail et de choses plus ou moins bizarres…<br />

Depuis l’annonce de la sortie de l’album nous avons<br />

lu des tas de choses sur le web. Les gens ont<br />

interprété un peu librement le teaser de Pépito Bleu,<br />

on a entendu parler de Viagra, de Raël… Nous<br />

voudrions que tu nous expliques toi-même le concept.<br />

C’est simple. Ou pas tellement en fait. L’album<br />

s’appelle My God is Blue. J’ai eu envie avec de<br />

dépasser les limites de la musique, de n’être plus<br />

qu’un artiste entier, complet, sous toutes les facettes.<br />

J’ai créé un mouvement qui va d’ailleurs me permettre<br />

de vivre totalement la vie que j’ai envie de mener. Je<br />

l’ai appelé « l’Alliance Bleue ». Le but était surtout –<br />

même si je trouve le mot abominable – de créer mon<br />

univers. Un vrai univers, tout un monde, avec mes<br />

meubles, mon sac de voiture, des maisons à mon<br />

image, voilà l’esprit général.<br />

Le clip de Pépito Bleu n’est qu’un teaser. Des tas de<br />

choses vont venir après. Le site de l’Alliance Bleue<br />

notamment, je m’exprimerai au travers, vendrai mes<br />

tableaux, appellerai au mécénat…etc. Si cela ne sera<br />

que virtuel dans un premier temps, j’espère que<br />

l’Alliance se concrétisera dans le réel. Nous allons<br />

faire de grandes choses, mais pour connaître quelle<br />

couleur va prendre l’Alliance Bleue au-delà du bleu, il<br />

va falloir attendre encore, j’ai envie de créer du<br />

mystère, de garder le secret, un peu comme une<br />

sirène. Pour l’instant, j’ai envie d’attirer les gens à moi<br />

mais sans tout leur dévoiler.<br />

Vous suivez ? (Rires)<br />

D’ailleurs il y a quelque chose qui m’a surpris et je<br />

profite d’être invité dans <strong>CRUMB</strong> pour en faire part : la<br />

première chanson extraite de l’album s’appelle Pépito<br />

Bleu, on est d’accord je construis mon empire sur du


iscuit mais enfin je suis choqué de voir qu’il y a des<br />

gens qui prennent vraiment tout cela au sérieux. J’ai<br />

ma propre approche de l’esthétique, de la beauté<br />

mais soyons d’accord, rien de cela n’est ni crédible ni<br />

sérieux. Je ne suis pas philosophe, religieux, politique<br />

ou sociologue. Je ne connais rien à l’organisation des<br />

choses. Pépito Bleu c’est juste quelque chose de<br />

léger, un rêve que j’ai fait. Le fait de me mettre en<br />

scène dans ce personnage et créer un mouvement<br />

relève du fantasme. Je n’essaie pas d’être vrai.<br />

Quand je parle de Pépito Bleu, j’entends déjà certains<br />

dire « Ce mec est fou, il se prend pour Dieu », mais<br />

non, soyons sérieux deux secondes, Dieu ne parle<br />

pas de pépitos… voyons !<br />

(Rire général. Il allume une cigarette, repositionne ses<br />

lunettes sur le nez)<br />

Enfin bref, tout ça pour dire que je suis surpris que<br />

certaines personnes prennent toute cette mascarade<br />

au sérieux et se sentent agressés. Pépito Bleu, c’est<br />

tout sauf agressif, comment trouver un titre plus doux,<br />

plus gentillet, mis à part Pépito Rose (rires). En tout<br />

cas, pour moi, tout ça n’est qu’un amusement.<br />

Après, amusement ou non, oui, je souhaite créer une<br />

attente, un mystère, je ne veux pas que l’on s’ennuie.<br />

Quand on regarde une série télé, que l’épisode se<br />

termine au moment fatidique, on a de suite l’envie, le<br />

désir de se plonger dans la suite. C’est une sensation<br />

que j’adore vivre et que j’ai envie de faire vivre aux<br />

autres.<br />

Sur le travail de cet album, tu as fait appel à Mr Flash,<br />

qui est à l’origine un producteur connu pour avoir une<br />

pâte assez hip-hop, éloignée du style que l’on te<br />

connaît. Pourquoi lui ?<br />

C’est une longue histoire. J’ai un studio à côté de<br />

chez moi, qui n’est pas fait pour enregistrer,<br />

seulement pour composer. J’en suis sorti avec toutes<br />

les chansons de l’album déjà prêtes. J’avais écrit les<br />

textes, j’avais commencé à composer. Les démos<br />

étaient jolies, mais j’avais besoin d’autre chose,<br />

quelque chose en plus, du relief, un petit truc qui<br />

mettrait tout en valeur. J’imaginais depuis le début, cet<br />

album comme quelque chose de grand, qui passait<br />

par la notion d’espace, avec des raz de marée, des<br />

tremblements de terre. Et de la manière dont j’avais<br />

produit mes démos jusque-là, il n’y avait pas encore<br />

cela.<br />

Je suis tombé sur le dernier maxi de Mr Flash et là,<br />

rien qu’à l’écoute, soudain tout est devenu grand. Il y<br />

avait le Mont Blanc, l’Everest, tout, des lacs, des<br />

palmiers, l’univers… C’était grand, c’était mental et<br />

fort, c’était tout ce que j’attendais. Ce fut comme une<br />

révélation, je me suis dit que je voulais à tout prix<br />

transposer ces compositions dans mes chansons.<br />

Ça m’a énormément excité. Et puis on s’est vus<br />

rapidement, le lendemain. Je n’avais jamais entendu<br />

parler de lui avant. Je ne savais pas s’il avait seize ou<br />

soixante ans, je n’avais aucune idée d’où il pouvait<br />

venir. On m’a dit qu’il habitait Paris, nous nous<br />

sommes fixés un rendez-vous, nous nous sommes<br />

vus et, presque instinctivement, juste après la<br />

rencontre nous sommes partis en studio.<br />

J’avais mes démos avec moi, nous avons essayé de<br />

refaire le travail à deux, à partir de rien et ça a pris de<br />

suite. Tout ce que j’avais imaginé prenait enfin une<br />

dimension réelle. Le déclic. Et pourtant avant lui,<br />

disons que j’avais écouté des dizaines de milliers de<br />

disques de mon producteur, j’avais déjà des noms, j’ai<br />

pensé à beaucoup de monde sauf qu’à l’écoute, Mr<br />

Flash a été une certitude. Je savais que c’était lui dont<br />

j’avais besoin.<br />

En quoi le travail avec Mr Flash a t-il été différent de<br />

celui que tu as pu réaliser avec Guy Man sur l’album<br />

Sexuality ?<br />

Avec Guy Man, on ne se connaissait pas mais on se<br />

croisait souvent en soirée, en backstage de concerts<br />

ou autres. Si je dois absolument trouver une<br />

différence c’est que Guy Man et moi étions en fusion.<br />

Nous avons le même but, essayions de faire le même<br />

disque, allions dans le même sens. Avec Mr Flash, il<br />

n’a jamais été question d’aller dans la même direction.<br />

Nous avons très vite été passionné par le projet mais<br />

nous nous y sommes projeté de façon totalement<br />

irrationnelle, avec chacun notre vision propre. Nous<br />

n’avons jamais vraiment réussi à travailler ensemble.<br />

Nous avancions dans deux mondes différents et<br />

pourtant pour une même œuvre. C’est ce qui donne je<br />

crois cette élasticité à l’album. Comme si nous avions<br />

à deux, essayé de couvrir tous les champs, d’explorer<br />

tous les espaces et c’est finalement d’une très grande<br />

richesse.<br />

L’enregistrement a été un combat, une partie d’échecs<br />

acharnée. Personne ne voulait perdre, alors on a<br />

essayé de donner le meilleur de nous-même. Et c’est<br />

une bonne chose, parce que souvent, quand on est<br />

en studios, on est déjà satisfait d’être là, de faire de la<br />

musique et on se contente de peu. D’autant que le<br />

cadre est beau, boiseries, canapés en cuir… Tout<br />

pour faire de la musique. Sauf que trop souvent on<br />

croit que l’on fait de la bonne musique, simplement<br />

parce qu’elle sonne bien, parce que la réverbération<br />

des murs flatte le son. Moi je ne voulais surtout pas de<br />

cela. Et dans cette sorte de guerre avec Mr Flash, rien<br />

ne pouvait m’aider à aimer ce que je faisais. J’étais<br />

sans cesse porté par l’envie d’aller plus loin, de<br />

trouver d’autres chemins, d’autres solutions, d’autres<br />

techniques. Grâce à ça, nous avons vraiment créé<br />

quelque chose de différent.<br />

Si je comprends bien, ce nouvel album a donc été le<br />

fruit d’une lutte constructive ?<br />

Oui. La difficulté principale tenait dans le choix de ce<br />

que l’on entend, à savoir du Simbalom ou du Glass<br />

Water, des voix de chorale, des chœurs plus<br />

intimes… Ces choix ont toujours posés problème.<br />

Après, sur l’enregistrement proprement dit, nous<br />

savions ce qu’il fallait faire. Mr Flash a une vision 3D<br />

de la musique, j’adore ça. Il arrive à mettre sur pied<br />

des choses extrêmement spacieuses, à la fois<br />

complexes et légères. Moi j’avais mes certitudes, lui<br />

en avait d’autres. Tout s’est articulé autour de cela. Et<br />

finalement, avec le recul nous nous sommes rendu<br />

compte que l’on arrivait toujours à la même<br />

conclusion. On n’a pas sorti un disque que lui déteste<br />

et moi j’adore, non, nous sommes très fiers de ce que<br />

nous avons fait et réalisé ensemble. Nous sommes<br />

passés par tous les chemins du désaccord. Quand il


voulait une voix grave, moi je voulais une voix aigüe…<br />

La moindre note a été un combat<br />

Mais ce combat « musical » a donné vie à ce que tu<br />

attendais…<br />

Oui. Disons que j’avais un tableau plat et que, d’un<br />

coup de grâce, Mt Flash l’a modelé et a pu en faire le<br />

tour. Et même de dos, le tableau rendait bien. Il a<br />

mais du volume, fait son boulot de producteur de<br />

façon fantastique.<br />

Toute à l’heure tu disais qu’il avait une pâte<br />

davantage hip-hop, c’est vrai. Il a produit énormément<br />

de rappeurs français ou américains mais il n’a pas de<br />

culture rap. Il est très bon dans ce domaine mais ce<br />

n’est pas lui. Inconsciemment je pense, il y avait une<br />

part de My God Is Blue dans sa tête et ce projet était<br />

l’occasion pour lui, enfin, de concrétiser ses envies,<br />

d’affirmer qui il était, de montrer l’étendue de son<br />

talent. Je pense qu’il a vécu notre collaboration de<br />

façon très profonde. Il a sans doute pensé qu’il faisait<br />

son propre disque, il a pu s’exprimer, n’avait pas de<br />

limites. De manière générale nous ne nous sommes<br />

fixés aucune limite dans la création.<br />

Et même dans ce côté création nous étions en<br />

opposition. Moi, par exemple, j’ai l’habitude de<br />

travailler allongé. Le premier truc que je fais quand je<br />

rentre en studio c’est d’installer un lit de camp.<br />

J’apporte un duvet et un oreiller, je m’allonge et bosse<br />

comme ça. Alors, lui forcément, il a eu un peu de mal<br />

à collaborer avec un mec qui somnole (rires). Mais<br />

d’un avis personnel, je suis toujours meilleur et inspiré<br />

lorsque je travaille entre le rêve et la réalité.<br />

Il a joué le rôle de ton psychanalyste musical, assis<br />

derrière toi, qui était allongé…<br />

C’est exactement ça ! Lui était assis sur une chaise,<br />

moi allongé sur mon lit de camp. Quand je<br />

commençais à ronfler il ne supportait pas. Moi j’étais<br />

bien. Le ronflement à ce stade de la création, je trouve<br />

que c’est du professionnalisme. On ne fait jamais la<br />

même musique lorsque l’on vient de se réveiller que<br />

quand on est en pleine forme. On n’est pas dans la<br />

même relation. Au réveil, nous sommes généralement<br />

davantage à l’écoute, avec un côté spontané que l’on<br />

perd au fil de la journée… Au réveil, il y a aussi des<br />

réalités et des vérités différentes avant qu’elles ne<br />

perdent et se diffusent dans le brouillard du<br />

quotidien…<br />

J’ai lu que tu portais un regard extrêmement critique<br />

sur tes précédentes œuvres et qu’une fois terminés,<br />

tu avais beaucoup de mal à réécouter tes anciens<br />

albums…<br />

Oui. Il m’est très difficile d’apprécier un morceau une<br />

fois qu’il est fini. En musique, pour moi, il n’y a pas de<br />

règles harmoniques, rien n’est jamais fini, on peut<br />

toujours trouver quelque chose à améliorer, à rajouter.<br />

Le problème vient surtout du fait qu’il faut s’arrêter à<br />

un moment. Il y a des moments où l’inspiration est<br />

sans fin. Et My God Is Blue je me dis que, j’aurais pu<br />

continuer à l’enregistrer toute ma vie…<br />

Mais tu ressens quoi, par exemple, lorsque tu jettes<br />

un œil sur tes vieux albums, comme Politiks ?<br />

Politiks, très franchement, je ne peux pas le réécouter.<br />

C’est trop difficile. Et l’album est odieux. Je n’entends<br />

pas la musique, je n’entends que les défauts, les<br />

ratés. Parfois j’aurai aimé que certains sons<br />

ressemblent à du ABBA et finalement je me rends<br />

compte qu’on dirait du William Scheller (rires). Je sais<br />

qu’il faut s’y faire, mais moi je ne m’y fais pas. Alors je<br />

fais comme l’album n’existait pas.<br />

Comment naît un album de reprises, du coup, tel que<br />

Sexuality Remix ?<br />

C’est ma maison de disque qui se charge de tout.<br />

Notamment de trouver les artistes de faire les<br />

propositions. C’est eux qui le font simplement parce<br />

que je ne sais pas le faire, je ne connais rien de tout<br />

ça qui se fait, je ne suis jamais dans l’actualité. Je<br />

trouve qu’il y a des milliers d’albums qui sortent tous<br />

les jours, avec tout le temps des noms bizarres, je n’y<br />

comprends rien, je suis perdu (rires).Il y a, bien<br />

évidemment des choses que j’entends et que j’adore,<br />

mais je ne retiens jamais les noms, j’oublie de suite.<br />

Le travail de remix est un travail considérable que je<br />

suis incapable de gérer seul. Je compte donc<br />

énormément sur ma maison de disque. Eux, au<br />

moins, ils savent quelles sont les tendances, quelles<br />

sont les choses bonnes à écouter et les autres. Je<br />

sais que cela paraît bizarre parce que les gens me<br />

perçoivent comme un mec parisien hyper branché, à<br />

la pointe des tendances sauf que je suis loin de tout<br />

ça et ne sais rien de ce qui se passe. Quand on me<br />

parle d’un groupe, je ne le connais jamais. Je<br />

découvre des artistes cinq ans après tout le monde<br />

(rires). Alors, à mon tour, de manière presque<br />

instinctive je me sens obligé d’écouter des choses<br />

rares ou exceptionnelles…<br />

Comme par exemple ?<br />

Bobi Solo, un chanteur italien (rires) ou encore<br />

Bernard Ilous, un type qui a chanté « La route à<br />

l’envers ». J’aime bien aller chercher des trucs assez<br />

loin.<br />

Et maintenant My God Is Blue, la suite, elle va se<br />

passer en public avec des concerts ?<br />

Oui. Tout plein ! Je vais essayer de ne pas être que<br />

chanteur ni musicien. Je veux être un leader spirituel,<br />

j’ai envie de vivre l’expérience pleinement. Je veux<br />

que le public soit en communion. Je veux<br />

expérimenter des choses nouvelles, proposer d’autres<br />

sensations. Je veux faire des concerts pour l’éveil. Un<br />

éveil des sens et des discours. Et puis d’ailleurs, ce<br />

qui compte dans l’Alliance Bleue c’est qu’il n’y aura<br />

pas de spectateurs mais des « fidèles », des gens qui<br />

sont et vont avec moi, pour toujours.<br />

Propos recueillis/interview par Nicolas Cassagnes<br />

Avec la présence de Thomas Carrié<br />

Photos : Julot Bandit<br />

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />

fait l’objet de la couverture du numéro de 13 de Crumb<br />

magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />

digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 17 mars 2012.


JUNGLE<br />

Rencontre/texte publiée le 15 juillet 2014<br />

De passage à Paris pour le festival We Love Green, les deux têtes pensantes de Jungle nous ont reçus<br />

dans leur tipi du parc de Bagatelle pour parler, en vitesse, de leur premier album. Au programme :<br />

football, Japon, feu de camp et hélicoptère. Rencontre express.<br />

Nous avons découvert Jungle, il y a un peu plus d’un<br />

an, avec la vidéo de Platoon. Plus récemment, nous<br />

les avons vu pour la première fois en live, en mars<br />

dernier, à l’occasion du concert des soeurs Haïm à<br />

Paris. Une mystérieuse équipe est arrivée sur scène,<br />

enclenchant une euphorie rarissime pour une<br />

première partie. Marquante, l’équipe enchaîne des<br />

titres à l’empreinte soul unique, car innée. « On aime<br />

juste les bonnes chansons, de n’importe quel style. Je<br />

pourrais très bien mettre un super son de reggae là.<br />

On se mettrait à danser tous les trois dans ce tipi,<br />

mais si la chanson ne vous plaît pas, le moment sera<br />

gâché. Les seules choses qui comptent sont la<br />

mélodie, le rythme et l’émotion. On ne souhaite pas<br />

rentrer dans un genre particulier pour se rassurer, ce<br />

serait malhonnête. » Les mystérieux fondateurs de<br />

Jungle : T. et J. se connaissent depuis qu’ils ont dix<br />

ans et souhaitaient créer librement, avec leurs potes<br />

londoniens qu’ils ont embarqués par hasard dans leur<br />

épopée. « Nous sommes des producteurs, on aime<br />

rester en arrière plan. En équipe, il y a une excitation<br />

et une spontanéité qui nous plaît vraiment. On sait<br />

mieux prendre conscience et profiter des instants que<br />

nous sommes en train de vivre. Ce n’était pas prévu à<br />

la base mais des concerts ont vite été programmés et<br />

on voulait surtout s’entourer de bons musiciens ».<br />

Attendu par les médias anglais, le groupe décide de<br />

miser sur la discrétion et pour préserver leur musique.<br />

« La sortie de l’album est un moment excitant car il<br />

représente le moment où nous nous sommes tous<br />

rapprochés. Une bulle de bonheur s’est créée<br />

pendant la préparation du disque. » J. attrape le<br />

cendrier sur la table pour évoquer leur cercle de<br />

coolitude, une bouteille de bière pour désigner le<br />

NME, une canette de Coca pour Crumb « si vous<br />

voulez nous rejoindre dans la sphère c’est cool, sinon<br />

on s’amusera très bien tous seuls. » La découverte de<br />

l’album et les shows maîtrisés des sept joyeux lurons<br />

nous donne, sans le dire, envie de joindre la ronde.<br />

L’usine à talents qu’est l’Angleterre nous livre cet été<br />

un album contenant douze pépites. L’alliance de la<br />

mélancolie des paroles et une avalanche de cool dans<br />

les mélodies marchent ici à tous les coups. Le duo


évoque avec insouciance leur façon de composer : «<br />

L’un de nous s’assoit au piano, improvise des bribes,<br />

jusqu’à ce que l’on se dise : attends, ça sonne comme<br />

une chanson de Jay-Z, et à partir de là, on ajoute des<br />

choses assez simples pour que les gens puissent<br />

nous écouter sans s’ennuyer. Les paroles tendent<br />

vers quelque chose de différent, une atmosphère plus<br />

sombre hantée par la peur, la solitude et la paranoïa.<br />

Dans un sens, une tour se dessine à travers l’album,<br />

avec un étage pour les mélodies-clés pour attirer les<br />

gens et un autre pour les mots, plus compliqué à<br />

percevoir car il vient de notre âme ».<br />

« I’ve Been Loving You Too Long » répètent-ils dans<br />

Drops, morceau caméléon, transpirant Otis Redding.<br />

Jungle mélange époques et sentiments avec une<br />

classe folle, pourtant rien n’apparaît comme vraiment<br />

calculé. Les titres s’enchaînent et sillonnent un terrain<br />

de jeu surréaliste. « Tout est toujours une coïncidence<br />

avec Jungle. On s’entraide, on est entre amis, c’est<br />

pourquoi on aime faire ce qu’on fait, parce qu’on ne<br />

force jamais pour ne pas perdre le naturel, la fraîcheur<br />

de notre musique, c’est comme en football ! La<br />

musique y est liée quand on y réfléchit, car c’est<br />

l’effort de partager une émotion. Quand une équipe<br />

joue vraiment ensemble, les choses se font<br />

naturellement, mais dès qu’elle force et essaye d’aller<br />

marquer trop rapidement, l’unité se perd et le match<br />

se gâte. » Leur processus d’écriture est d’ailleurs<br />

semblable, une image les fascine et les guide<br />

inconsciemment jusqu’au titre final. « Chaque<br />

morceau pourrait former une bande originale à lui seul<br />

car chacun évoque un lieu spécifique, directement lié<br />

à une émotion. Accelerate serait une course de moto<br />

au Japon dans un jeu vidéo où tu es invincible. Tu<br />

peux tomber mais ne jamais perdre. Platoon mettrait<br />

en scène une réunion dans un marécage, avec des<br />

gens portant des armes faites de fleurs et Lucky I got<br />

what I want illustre des gens qui danse le hip hop<br />

autour d’un feu de camp dans les bois, avec Kanye<br />

West et Jay-Z qui claquent des doigts en rythme. Et<br />

puis il y aurait aussi une Xbox et un hélicoptère. » Si<br />

cette description improvisée les rend hilares, l’écoute<br />

de l’album la confirme : l’aura du rap n’est jamais loin<br />

et l’ambiance planante hippie forment un résultat<br />

unique.<br />

Repéré par leurs vidéos pour Platoon et The Heat<br />

réalisées avec l’aide de leurs amis et les moyens du<br />

bord, Jungle tend à flouter les barrières entre les<br />

styles, comme l’a entrepris Mø avec No Mythologies<br />

to Follow. « Un groupe est bon quand il sait y aller<br />

étape par étape », cela implique ne pas être pressé<br />

de se limiter à un seul style. Dans ce tipi, ils racontent<br />

leurs aventures sans arriver à tenir en place, prêts à<br />

monter sur scène. Mais alors que nous évoquons la<br />

réalisation de leur clip, des échos de Why Won’t They<br />

Talk To Me de Tame Impala arrivent jusqu’à nos<br />

oreilles et font stopper net le débit de paroles de J.,<br />

qui semble plus qu’apprécier le morceau, avant de<br />

reprendre le fil un peu troublé. Les titres de Jungle<br />

font le même effet, ils donnent envie d’arrêter toute<br />

activité pour se concenter uniquement sur le son, et<br />

ce n’est pas Lorde qui dira le contraire. Nous l’avons<br />

aperçu faisant danser sa crinière sur ces mad sounds<br />

dans un coin de la scène de We love Green pendant<br />

leur show.<br />

Propos recueillis par Alice de Jode


DJANGO<br />

DJANGO<br />

Interview publiée le 21 janvier 2012<br />

Les Django Django viennent de passer quatre ans (ou presque) enfermés dans une chambre (véridique) à<br />

travailler notes et musiques pour en faire des tubes. Un quatuor – familier des looks aux pulls improbables<br />

– à l’univers coloré. Un brin de folie en interview, aussi.<br />

Vous vous êtes rencontrés sur les bancs de<br />

l’école d’Art d’Edimbourg, vous ne vous êtes plus<br />

lâché et avez depuis inventé un nouveau genre<br />

musical que l’on peut qualifier de « groupe de<br />

chambre ». Avez-vous réellement conçu et produit<br />

entièrement cet album dans une chambre ?<br />

Oui, absolument ! Dans la chambre de David, dans<br />

l’Est londonien. Une chambre horriblement petite,<br />

avec un ordinateur au bout et un micro au pied du lit. Il<br />

a souvent fallu se serrer pour pouvoir enregistrer dans<br />

les bonnes conditions. Ce n’était pas l’idéal, mais<br />

nous n’avions pas de studio, alors on a fait avec les<br />

moyens du bord. Il a fallu juste faire un peu de place<br />

pour faire en sorte que cela marche !<br />

Au préalable, nous avions sorti en 2009 le titre<br />

Storm/Love’s Dart mais nous n’étions pas encore un<br />

groupe de musique à part entière – au sens officiel du<br />

terme. La chanson a créé le buzz sur Myspace. Après<br />

son succès, plutôt inattendu, nous avons décidé de<br />

nous éloigner, de prendre du recul et de réfléchir à la<br />

manière dont nous pouvions mettre en place une<br />

formation musicale, une vraie. Nous l’avons crée dans<br />

une chambre !<br />

Jimi Hendrix disait que les rythmes qu’il créait lui<br />

étaient inspirés par son papier-peint pendant son<br />

sommeil. David, y a-t-il du papier peint dans votre<br />

chambre ? Si oui, est-ce à lui que nous devons la<br />

dimension psychédélique que l’on retrouve dans<br />

vos chansons ?<br />

Probablement. Je ne rêve que dans ma chambre à


l’évidence et nulle part ailleurs. C’est là que la<br />

musique me vient. Quand nous répétions, j’étais en<br />

robe de chambre, tu sais (rires). A peine sortis du lit,<br />

nous branchions les ordinateurs et commencions à<br />

composer. Je crois que ma chambre m’inspire<br />

vraiment. Si bien que vous n’aurez pas à attendre le<br />

second album longtemps. C’est une sorte de scoop<br />

que nous vous livrons. Nous avons déjà bien travaillé<br />

la suite et avons préparé des ébauches du prochain<br />

opus, qui sera beaucoup plus professionnel et<br />

structuré que celui-ci. Rien n’est plus efficace qu’un<br />

studio chambre, donc !<br />

Sur l’album – éponyme – que vous sortez cette<br />

année, on retrouve étonnamment énormément de<br />

couleurs dans les sonorités, à l’image de vos<br />

pulls… J’imagine qu’elles ont été égrenées par les<br />

évolutions et vécus de ces quatre années…<br />

Oui. Je pense que cela revient à ce que vous disiez<br />

sur le papier-peint. Au delà du rêve, notre musique est<br />

le reflet de notre vie, des choses que l’on a<br />

conservées pendant ces quatre ans mais aussi et<br />

surtout pendant l’enfance, des souvenirs, des images,<br />

des bruits. Dans cet album, nous voulions observer<br />

toutes ces choses d’en haut, les mélanger – avec des<br />

parties plutôt mélancoliques et d’autres plus<br />

optimistes. Nous n’avons pas composé que des<br />

chansons, nous avons composé le voyage de nos<br />

vies, avec toutes leurs couleurs.<br />

Propos recueillis par Irina Aupetit-Ionesco.<br />

©Pavla Kopecna


Lisa<br />

Boostani<br />

Série photo publiée le 15 octobre 2014<br />

Photographe et réalisatrice d’origine iranienne et espagnole, Lisa Boostani nait en 1989 à Toulouse. Dès seize ans elle<br />

réalise ses premiers clips et clichés qui documentent la scène artistique toulousaine et ses voyages, notamment en<br />

catalogne. Désireuse d’asseoir une démarche artistique qui prend peu à peu forme, elle suit les cours d’Histoire de l’art de<br />

l’Université du Mirail. En 2012, lors de son voyage à New-York, elle assiste des photographes de mode et développe un<br />

regard singulier sur cet univers ultra-codé. A son retour la même année, elle intègre l’École des Gobelins, à Paris, option<br />

photographie- prise de vue. Elle poursuit en parallèle sa pratique autodidacte de la vidéo en réalisant des clips pour<br />

plusieurs artistes musicaux tel que Zombie Zombie, Benjamin Diamond ou encore DyE…<br />

Faisant dialoguer photographie et cinéma, documentaire et fiction, elle met au centre de son œuvre la narrativité et les<br />

pluralités de l’interprétation. Qu’il s’agisse de ses portraits anonymes ou de paysages désertiques, ses photographies<br />

transfigurent le quotidien, la réalité ordinaire, en scènes cinématographiques. Dans ses images, esthétiques et léchées,<br />

elle se joue des détails, invente des bascules interprétatives. Ce renversement est aussi présent dans ses photographies<br />

de modes : en poussant les modèles dans leurs retranchements, en les incitants à abandonner leurs habitudes faites de<br />

poses figées et de moues avantageuses, elle tente de capter des états tel que l’angoisse, l’hystérie et l’étrangeté.<br />

Sophie Puig.


PHILIPPE<br />

KATERINE<br />

Interview publiée le 10 mai 2014<br />

Nous vous avions parlé de Magnum – le film – dans un précédent article, nous avons cette fois<br />

rencontré l’artiste. Entre une balance et le direct d’une émission télé, Katerine nous parle en toute<br />

simplicité de son projet, de sa collaboration avec SebastiAN, des dictateurs, d’Arielle Dombasle, d’un<br />

saxophone, de la critique et de lui, entre autres… <br />

Magnum c’est tout un projet, un album et un film.<br />

Pourquoi « Magnum » ?<br />

C’est un nom que j’apprécie, je l’ai choisi avant de<br />

faire le disque. Et j’étais obligé de faire quelque chose<br />

de bien avec un nom pareil.<br />

Un rapport avec Tom Selleck ?<br />

Non, pas vraiment. Il y a toutes sortes de choses, des<br />

glaces, des flingues… Après oui, il est peut-être<br />

question du fait d’être un héros de sa propre vie.<br />

Magnum, c’est un héros aussi bien sûr.<br />

Vous êtes un éternel insatisfait de votre travail, et là,<br />

vous sortez 12 clip de 12 titres, vous faites un film<br />

avec l’album, est-ce que vous êtes satisfait de ce que<br />

donne le projet fini ?<br />

Oui, sinon, je ne le sortirais pas. Je fais plein de<br />

choses, des chansons, des disques entiers que je ne<br />

sors pas, parce que je ne les trouve pas bien ! Donc il<br />

faut que j’estime, quand c’est fini, que ce soit<br />

vraiment le maximum que je puisse faire, et que ce<br />

disque-là soit essentiel à la communauté. Peut-être<br />

que je me trompe, enfin il faut que j’en sois persuadé<br />

au moment où ça sort, sinon je ne fais rien.<br />

Comment est venue l’idée du film ?<br />

Elle est venue assez tôt. A un moment donné, cela<br />

devait être un film sur une croisière, et puis aucune<br />

compagnie de croisière n’a été intéressée, sûrement<br />

pour leur image, ou je ne sais pas trop d’ailleurs, je<br />

n’ai même pas cherché à savoir. Ce qui fait qu’après,<br />

le film s’est construit sur le fait que le bateau était<br />

échoué, et c’est là que commence l’histoire. Donc j’ai<br />

recommencé le scénario une fois que j’ai eu tous les<br />

refus.<br />

Le scénario était complètement écrit, ou vous avez<br />

laissé une grande part d’improvisation ?<br />

Non, il n’était pas complètement écrit, mais il n’y<br />

avait pas énormément d’improvisation non plus. On<br />

travaillait sans, comment on appelle ça au cinéma…<br />

sans bible ! Personne ne savait trop ce qu’on allait


faire le lendemain, ça se décidait un peu au dernier<br />

moment.<br />

Vous avez fait de nombreuses collaborations dans le<br />

cinéma, des bandes-son, des seconds rôles, mais là<br />

c’est un film sur vous, est-ce que ça marque une<br />

nouvelle étape dans votre carrière ?<br />

J’aime le cinéma, mais je n’ai jamais eu de rêve de<br />

cinéma. Tu vois, j’m’en fous de faire un film ou pas,<br />

ce qui compte c’est que je m’exprime. Après, cela<br />

peut-être en dessin, en chanson, en cinéma. Le<br />

cinéma n’a jamais été un rêve. Par contre j’ai adoré le<br />

faire, ça m’a vraiment plu, j’ai trouvé que c’était une<br />

expérience vraiment incroyable, qui me correspondait<br />

à ce moment-là. En plus on était vraiment en petit<br />

comité donc on était très peu à décider, il n’y avait<br />

pas de réunion avec des producteurs quelconques.<br />

C’est juste qu’ils nous faisaient confiance, on était<br />

super libres de faire ce qu’on voulait. Je pense que<br />

cela ne se reproduira pas tous les ans.<br />

Pas d’autres projets de cinéma ?<br />

Non. Bon, j’écris toujours des petits trucs comme ça.<br />

Après ce sont les circonstances de la vie qui font que<br />

ça se passe ou pas, mais ce n’est pas du tout un rêve<br />

pour moi, j’vous jure.<br />

Concernant l’album, il est plus intime que les<br />

précédents. On retrouve le thème de la maternité, la<br />

paternité, etc. Est-ce que vous êtes un papa trop<br />

papa ? Est-ce que vos enfants seront des dictateurs ?<br />

Non, je suis peut-être un papa trop maman ! C’est<br />

fort possible. J’espère que non bien sûr, mais c’est<br />

vrai que tout se passe dans l’éducation, même avant<br />

les trois ans il paraît !<br />

Avant trois ans ?<br />

Oui, avant trois ans tout est joué. C’est ce que j’ai lu<br />

dans un livre.<br />

Il faut s’y prendre tôt !<br />

Très tôt même ! Personnellement, peut-être que tout<br />

a été joué avant trois ans, mais moi j’ai l’impression<br />

de faire des choses avec ce qui s’est passé avant<br />

mes quatorze ans. C’est-à-dire, je ne jouais pas<br />

forcément au dictateur mais j’avais pas mal de<br />

problèmes de communication, et tout ce qu’il s’est<br />

passé avant mes quatorze ans, c’est encore ça dont<br />

il s’agit aujourd’hui.<br />

Vous avez commencé à écrire les « Mariages<br />

chinois », votre premier album, seul, est-ce que vos<br />

processus d’écriture ont évolué depuis ?<br />

A chaque fois que j’ai fait un disque cela n’a jamais<br />

été la même chose en fait. Parfois j’ai enregistré un<br />

disque avec des groupes, parfois tout seul, j’ai fait un<br />

disque tout seul à la guitare aussi. Là c’était avec un<br />

DJ, SebastiAN. Je n’avais jamais fait ça. J’ai procédé<br />

comme les gens du hip-hop le font, c’est-à-dire qu’ils<br />

reçoivent des instrumentaux et ils s’expriment<br />

dessus.<br />

Comment s’est passée cette collaboration avec<br />

SebastiAN ?<br />

Je recevais des instrumentaux de lui, que j’adorais.<br />

Après, dans ma chambre, j’inventais les mélodies et<br />

les textes en même temps. Je n’avais jamais fait ça<br />

avant. Là c’est vraiment une collaboration. Des fois tu<br />

fais des disques plus personnels, de façon plus<br />

intime, mais qui au fond sont plus éloignés de toi.<br />

Alors que là, quand tu collabores à deux, tu peux<br />

faire des choses plus intimes que tu ne l’aurais fait<br />

tout seul.<br />

L’album parle de travestissement, « efféminé », « sexy<br />

cool », vous pouvez être Dean Martin, beaucoup de<br />

choses, et donc finalement, Katerine, qui êtes-vous ?<br />

J’en sais rien, et d’ailleurs je ne veux surtout pas le<br />

savoir !<br />

Par exemple, l’album est introduit par la chanson<br />

Delta qui ne comporte que quelques mots : « surtout,<br />

surtout, surtout, ne soyez pas vous-même ».<br />

Oui, j’ai l’impression que je suis multiple, donc<br />

j’essaie d’en profiter. Je pense que pour la plupart<br />

des gens, il y a une foule de gens dans les gens !<br />

Personne n’est tout seul à l’intérieur de soi. C’est vrai<br />

que je suis parti un peu de cette phrase.<br />

Cette phrase qui est dite par Arielle Dombasle dans le<br />

film…<br />

Oui. C’est elle qui me l’a dite aussi dans la vie.<br />

Comment ça ?<br />

On a fait un disque ensemble et je lui ai demandé : «<br />

Ce serait bien si vous étiez vraiment vous-même pour<br />

chanter cette chanson » - une chanson que je lui<br />

avais composé. Et elle est partie sur ses grands<br />

chevaux, en me disant : « mais pourquoi être moimême,<br />

quelle horreur, vous n’y pensez pas ! » Et ça<br />

m’a fait drôlement réfléchir. Je me suis dit « mais elle<br />

a bien raison, c’est ridicule au fond », de vouloir être<br />

soi-même.<br />

Pouvez-vous définir le concept Sexy cool, titre d’une<br />

chanson de l’album ?<br />

Il n’y a pas vraiment de concept en fait. C’est un truc<br />

fuyant, comme je les aime, il ne reste pas en place.<br />

C’est très large, toujours en mouvement. On ne peut<br />

pas situer « Sexy Cool », on ne peut pas savoir ce<br />

que c’est vraiment.<br />

Pas de définition précise…<br />

Non, surtout pas.<br />

Dans la chanson ADN, vous vous essayez au<br />

saxophone ?<br />

J’ai découvert le saxophone il y a un an à peu près, et<br />

je m’en suis acheté un. J’ai découvert que je pouvais<br />

y jouer facilement, parce que ce n’est pas comme la<br />

trompette, je veux dire, il y a un son. J’en joue de<br />

temps en temps.<br />

Vous avez pris des cours ?<br />

Non, pas du tout, je n’ai pas appris. Je réagis à<br />

l’instinct (rires).<br />

Ça se sent dans la chanson. C’est un peu comme du<br />

free-jazz ?<br />

Oui, voilà, free ! Avant d’être jazz, c’est d’abord free !


(Rires) Après il faut savoir trouver l’orthographe du<br />

mot « free » ! Ça peut se finir avec un « t » aussi,<br />

non ? « Frit », quoi. Je n’ai pas joué beaucoup de<br />

minutes dans ma vie, mais j’adore ça ! Je faisais des<br />

reprises avec Francis et ses peintres, des reprises de<br />

chansons françaises. Il me laissait un solo sur « La<br />

Boîte de Jazz » de Michel Jonasz. Tous les soirs<br />

j’avais droit à un solo, une improvisation, j’adorais<br />

cela ! Des fois c’était affreux, d’autres fois c’était<br />

super. Donc, j’ai rencontré un ami ! Qui s’appelle<br />

Jean-Philippe. C’est le nom de mon saxophone.<br />

Le nom du saxophone ?<br />

Du saxophone, oui. Jean-Philippe. Le prolongement<br />

de mon corps.<br />

Vous avez des conversations avec ?<br />

Oui, et on a dormi ensemble ! C’est pas évident de<br />

dormir avec un saxophone, je ne vous le conseille<br />

pas. C’est affreux.<br />

C’est plus facile de dormir avec un poisson ?<br />

C’est beaucoup plus difficile. Parce que le saxophone<br />

est vivant ! Le poisson, quand je dormais avec dans<br />

le film, il était mort. Le saxophone, lui, est toujours<br />

vivant.<br />

D’autres projets ? Vous faites beaucoup de choses,<br />

de la chanson mais aussi du dessin, du cinéma…<br />

Oui, je fais des dessins pour un livre, avec Julien Baer<br />

qui fait des chansons, et après je verrai. Je ne sais<br />

pas du tout ce que je vais faire.<br />

Et pas de cinéma, donc ?<br />

J’ai joué dans un film de Benoît Forgeart, qui<br />

s’appelle Gaz de France, je joue le président de la<br />

République, quand même.<br />

Qu’est-ce que ça fait d’être président, après avoir été<br />

dictateur ?<br />

Je n’ai pas trop aimé ! Dictateur, je préfère, au moins<br />

c’est franc jeu. Par contre je pense que le film va être<br />

génial. Parce que Benoît Forgeart est lui-même<br />

génial.<br />

Comment les idées vous viennent-elles ? Un matin,<br />

vous vous levez, et vous pensez à Magnum ? Ou c’est<br />

le fruit d’une mûre réflexion ?<br />

Non, ce n’est jamais très mûr, comme ça, cela évite<br />

que ce soit pourri. C’est plutôt instinctif. Je préfère<br />

faire les choses un peu dans l’urgence, parce que<br />

sinon je commence à intellectualiser et ce n’est pas<br />

bon pour moi ! Je ne crois pas que ce soit bon de<br />

réfléchir. Pour moi, en tout cas. Je préfère être dans<br />

un mouvement, en action. Donc, rien n’est prévu ! Au<br />

fond, c’est écrit mais rien n’est prévu. Après je<br />

m’adapte à l’environnement, à la température, à ce<br />

que j’ai mangé, à l’ambiance dans une pièce. Je<br />

préfère avoir un bout de papier et pouvoir le déchirer<br />

si besoin est.<br />

Quel est votre rapport à la critique ?<br />

Moi je fais des disques, c’est un travail. Il faut que<br />

l’auditeur fasse un travail aussi. S’il n’a pas envie de<br />

le faire, le disque n’existe plus. Je préfère laisser mes<br />

textes ouverts, que ça ne soit totalement fini. Pour<br />

cela j’ai besoin d’un auditeur qui soit disponible. Or,<br />

certaines personnes ne le sont pas, pour des raisons<br />

qui leur sont personnelles, peut-être sûrement leurs<br />

problèmes, leur vie privée, qui les rendent<br />

complètement indisponibles. On ne peut pas lutter<br />

contre ça. J’ai lu cette critique de Télérama, en effet.<br />

Elle est affreuse ! Parce que c’est quelqu’un qui ne<br />

voit que ses problèmes à elle, qui parlait<br />

éternellement de testicules, de couilles, je ne sais pas<br />

quoi. Alors que dans mon disque il s’agit de trente<br />

secondes, mais elle n’a vu que ça. Il s’agit plus de<br />

ses problèmes personnels que des miens ! Mes<br />

disques ne peuvent pas marcher si une personne est<br />

bloquée sur ses a priori personnels. Ca ne peut pas<br />

fonctionner.<br />

C’est pour vous à l’auditeur de faire la deuxième<br />

moitié du chemin ?<br />

C’est ce que j’espère tout le temps. C’est pour cela<br />

que des fois je fais des textes qui paraissent courts,<br />

ou suggérés ! Parce que je pense qu’un texte s’écrit à<br />

deux. Pour moi, l’horreur, et ça m’est déjà arrivé,<br />

c’est de me regarder écrire. Il y a beaucoup de gens<br />

qui se regardent écrire quand il font leurs textes de<br />

chansons, c’est un truc que je renifle tout de suite. «<br />

Regardez comme j’écris bien, regardez comme ma<br />

phrase est bien tournée ». Je fuis ce genre de<br />

sentiment, parce que souvent quand on se regarde<br />

écrire, on ferme des portes. Et peut-être que certains<br />

auditeurs non disponibles se sentent rassurés ! Mais<br />

en tout cas ce n’est pas du tout ma démarche. Il faut<br />

quelqu’un qui ait envie.<br />

Qu’est-ce que vous évoque « Crumb » ?<br />

Ca me fait penser au dessinateur. J’ai vu l’expo au<br />

Musée d’Art Moderne, à Paris. Elle était<br />

extraordinaire ! Je partage beaucoup de goût en<br />

commun avec Crumb… Une inspiration pour le<br />

dessin, j’adore aussi le bouquin qu’il a fait avec sa<br />

femme. Je trouve que l’idée est extraordinaire.<br />

Chacun travaille sur le même bouquin dans un<br />

couple, en réponse à l’autre dans une conversation<br />

qui n’en finit pas, c’est extraordinaire. C’est un grand<br />

artiste. Vous avez un grand nom.<br />

Propos recueillis par Cécile Lienhard.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.<br />

Une question sur la critique : dans la critique de<br />

l’album par Télérama, ils écrivent de vous que vous<br />

êtes « un entubeur à vide »…<br />

Oui, j’ai lu ça aussi !


BUSY P<br />

PEDRO WINTER<br />

Interview publiée le 13 juin 2013<br />

Il fallait être sur Mars pour ne pas avoir entendu un seul mot à propos de la petite bande d’Ed Banger<br />

Records ces derniers mois : passées dix années d’exigence électronique, de fêtes folles et furieuses et<br />

de dénichage de perles dansantes, l’équipe de Pedro Winter a décidé de stopper son rythme habituel<br />

pour porter durant un an un costume d’anniversaire. Dix années, c’est long, et pourtant ils tiennent le<br />

cap. Après nous avoir offert une fête folle à la Grande Halle de la Villette en Mars dernier, un livre/roman<br />

photo, et une tournée mondiale actuelle, voici venu le temps pour Ed Banger Records de s’adonner à ce<br />

qu’il sait faire de mieux : de la musique. Ed Rec. Vol X fait office de délicieuse cerise sur le cadeau pour<br />

fêter l’âge à deux chiffres du petit mais gigantesque label parisien. Rencontre avec son boss. <br />

Comment s’est passée cette première moitié<br />

“d’année-anniversaire” ?<br />

Bien ! On a ouvert les hostilités au mois de mars avec<br />

notre soirée d’anniversaire le 1 er , une date précise<br />

inventée, parce qu’on ne savait plus le jour exact. Il y<br />

a eu la grosse fête à la grande Halle de la Villette, que<br />

l’on a appelé Ed Banger Land, avec un espèce de<br />

parc d’attraction sur le lieu. Tout s’est d’ailleurs super<br />

bien passé, à la hauteur de nos espérances et de<br />

notre ambition.<br />

Nous voulions que les gens gardent un souvenir un<br />

peu plus saisissant qu’une énième soirée ou festival<br />

electro. Nous avons tenu notre pari, je crois. Le plus<br />

beau compliment qu’on nous ai fait c’était de nous dire<br />

“La fête d’anniversaire d’Ed Banger, dans dix ans je<br />

pourrai dire : j’y étais”. On ne voulait pas s’arrêter à la<br />

capitale, cependant. On donc prévu exactement dix<br />

dates dans le monde. Il y a déjà eu Paris, Londres,<br />

Bruxelles, et ce week-end on part à Barcelone, au<br />

Sonar pour la quatrième date. On a décidé de<br />

célébrer ça sur un an, on ne va pas se gêner !<br />

En plus de ces dates nous avons aussi fait avec So<br />

Me un livre de photos dans lequel on partage nos dix<br />

ans d’aventure : Travail Famille Party. Les gens<br />

auraient pu s’attendre à du graphisme, mais on a<br />

choisi de faire un livre de photos dans lequel on a<br />

intégré une petite discussion entre Bertrand (So Me),<br />

moi, et Jean Baptiste Modino qui est un photographe<br />

qu’on aime bien.


Etant donné que c’est un livre de photos on voulait<br />

avoir le regard de quelqu’un dont c’est le métier. Il y a<br />

donc les soirées, le livre, et maintenant la fameuse<br />

compilation Ed Banger Records volume X. On célèbre<br />

les dix ans dans tous les sens et sous toutes les<br />

formes !<br />

Au niveau du world-tour, y a-t-il des dates qui te<br />

font frétiller d’avance ?<br />

Ça serait injuste de n’en choisir qu’une. Les dix me<br />

font vibrer ! On a choisi de faire précisément dix dates<br />

par rapport aux dix ans mais dans des villes dans<br />

lesquelles on se sent bien, avec lesquelles on a des<br />

affinités, des rendez vous, des habitudes. Si je devais<br />

n’en choisir qu’une je citerai peut être la dernière à<br />

Mexico, où ça risque d’être assez intense ! On n’a pas<br />

encore vraiment confirmé la date mais on risque de<br />

faire ça au moment de la fête des morts là bas, vers le<br />

2 ou 3 novembre. Ca va rajouter un peu d’intensité à<br />

l’événement car le pays sera en fête à ce moment là.<br />

Et puis Mexico est une ville assez exotique où j’ai du<br />

aller deux ou trois fois, contrairement aux autres villes<br />

où j’ai mes habitudes.<br />

D’autres qui te font, ou t’ont fait peur ?<br />

Paris. J’avais peur évidemment. On est chez nous, les<br />

gens sont beaucoup plus critiques et le projet était<br />

quand même beaucoup plus ambitieux. Ed Banger<br />

Land dans la Grande Halle, 7000 tickets à vendre –<br />

ce n’est pas rien – avec l’envie que les artistes du<br />

label soient surpris… Tout ça a fait que, en effet,<br />

j’avais un peu peur.<br />

Entre Ed Banger Land et plus récemment les<br />

platines du Social Club, comment sens tu le<br />

public parisien en ce moment ?<br />

Je le sens plutôt bien. Tu sais, j’ai beaucoup entendu<br />

parler du petit drama “Paris est mort, plus personne<br />

ne sort, on ferme toutes les boites et les bars” mais je<br />

trouve que le public parisien est toujours présent, et<br />

tellement large. Au contraire, je trouve même qu’il se<br />

passe plein de chose ! Quand tu vois le Wanderlust,<br />

le Nüba, le Social Club qui se porte bien, et que tu<br />

entends parler de la Concrete qui fait un carton, le<br />

paysage nocturne est plutôt en forme. Après, moi,<br />

personnellement, je sors de moins en moins, je<br />

deviens une vieille dame, tu sais (rires).<br />

Quels étaient les enjeux en faisant une<br />

compilation qui célèbre les dix ans d’un label<br />

aussi libre, éparse et pointu qu’ Ed Banger ?<br />

Je vais te dire la vérité : en faisant la Ed Rec X on<br />

avait le choix de faire soit ce que l’on a fait, soit une<br />

rétrospective, un espèce de best of. Mais je trouvais<br />

ça un peu opportuniste et pas excitant, tout<br />

simplement. J’ai donc proposé aux artistes de<br />

continuer ce qu’on avait commencé, dans l’esprit des<br />

trois premiers volumes. Au final, on a sorti trois<br />

compilations en 10 ans et là était le clin d’oeil, sauter<br />

du 4 au 10 pour marquer le coup. C’est une


compilation qui tombe l’année des dix ans mais qui<br />

n’est pas du tout tournée vers le passé, ou vers une<br />

certaine forme de célébration et de nostalgie. C’est<br />

plutôt histoire de se dire : « Après 10 ans de boulot<br />

qu’est ce qu’on est capable de faire et de proposer de<br />

différent ? » J’espère qu’on propose au final quelque<br />

chose d’autre que ce que les gens connaissent de<br />

nous ou du paysage actuel de la musique<br />

électronique française et même mondiale.<br />

Rassembler les troupes n’a pas du être une mince<br />

affaire… Tu peux nous balancer les bons et les<br />

mauvais élèves ?<br />

C’est marrant que tu parles de ça, parce que j’ai fait<br />

une petite campagne pendant la production de ce<br />

disque, où je marquais ceux qui m’avaient rendus les<br />

morceaux et ceux qui ne me l’avait pas encore fait.<br />

C’est vrai que je courrais un peu après tout le monde,<br />

mais c’était plus une histoire de planning que d’envie.<br />

La chance qu’on a avec le label, c’est qu’on arrive<br />

facilement à réunir et à fédérer tous les artistes, tout le<br />

monde est content d’y participer.<br />

D’ailleurs, le plus mauvais élève de la compil’ c’était<br />

moi ! J’ai rendu mon morceau le dernier alors que<br />

normalement je suis censé montrer l’exemple. Il y a<br />

aussi eu Cassius par exemple qui a eu un peu de mal<br />

à faire son titre, mais c’est justement dans la douleur<br />

qu’ils ont donné naissance à Sunchild, un morceau<br />

assez incroyable qui rend un bel hommage à Mehdi.<br />

C’est d’ailleurs pour moi le morceau qui sort<br />

complétement du lot.<br />

Qu’est-ce que tu peux nous dire sur ton EP, ce<br />

« Still Busy ». Ce n’est pas une façon de nous dire<br />

que tu es toujours dans les parages ?<br />

C’est un double message. Ta vision n’est pas<br />

mauvaise. Mais je veux un peu plus dire que<br />

l’excitation et l’envie sont toujours là. J’hallucine<br />

toujours quand on me fait des demandes à droite à<br />

gauche, de l’intérêt des gens qui nous appellent pour<br />

faire des articles, même après douze ans de Daft<br />

Punk et dix ans d’Ed Banger. Ca me fait toujours<br />

plaisir. C’est cela qui me donne envie de continuer.<br />

Cet EP va plus dans ce sens là. Il y a également un<br />

autre morceau un peu plus sombre sur la face B, qui<br />

est aussi, peut-être une façon de montrer où j’ai envie<br />

d’aller, m’éloigner d’une certaine caricature de la<br />

musique électronique française qui ne m’intéresse pas<br />

des masses.<br />

Tu peux nous en dire plus sur ton album en<br />

préparation avec Boston Bun ?<br />

Je n’en suis pas encore là ! Je suis une limace (rires).<br />

Je n’en suis qu’à trois sorties en dix ans ! La grosse<br />

bonne nouvelle, si cela t’intéresse, c’est que j’ai trouvé<br />

les gens avec qui le faire, le studio où le travailler,<br />

ainsi que la méthode à adopter. C’est ce qui m’a pris<br />

le plus de temps. Je ne sais pas, je pense que ça ne<br />

va pas être un disque déprimant mais disons que la<br />

tendance de cet album va plus fonctionner à<br />

l’émotion. C’est ça la musique que j’ai envie de faire<br />

aujourd’hui.<br />

Cette collaboration avec Boston Bun et son<br />

electro-house un peu rétro, ce aussi une envie de<br />

retour aux sources, au commencement ?<br />

Complètement. Musicalement je ne me suis jamais<br />

éloigné de la House Music avec laquelle j’ai<br />

commencé. Tous les disques qui sont ici (dans les<br />

locaux de Ed Banger ndlr.) le prouvent. Même si les<br />

couleurs du label partent ailleurs, les fondations n’ont<br />

jamais été loin. Le projet Carte Blanche de Mehdi et<br />

Riton était une ode à Chicago par exemple. Je ne<br />

m’en suis jamais senti éloigné même si la musique<br />

que je jouais et que je faisais était différente<br />

Évidemment, quand j’ai écouté ce que faisait Boston<br />

Bun, je me suis dit : “Le mec comprend vraiment le<br />

genre, sauf qu’il le reproduit avec les outils et la<br />

production d’aujourd’hui”. Et j’ai cette envie de retour<br />

aux sources, de sortir des vinyles, de faire quelque<br />

chose d’un peu plus personnel, intime. Au niveau de<br />

sa musique, je sais qu’on ne va pas avoir la même<br />

campagne que sur Justice ou Breakbot par exemple,<br />

mais c’est un projet qui m’excite tout autant.<br />

Dis moi, comment se fait-il qu’il y ait si peu de<br />

filles chez Ed Banger ?<br />

Je ne me l’explique pas justement ! Je pense que je<br />

t’aurais déçue si j’avais eu une explication ! C’est une<br />

histoire de rencontres, d’opportunités… J’aurais adoré<br />

signer AlunaGeorge (interview à lire page 36, ndlr), et<br />

plein d’autres artistes féminines, mais ça ne s’est pas<br />

présenté. Uffie (interview à lire page 290, ndlr) c’était<br />

un heureux accident mais qui malheureusement ne<br />

s’est pas prolongé puisqu’on a arrêté de travailler<br />

ensemble il y a un peu plus d’un an maintenant. En<br />

tous cas ça ne vient pas du tout d’une envie de ne pas<br />

travailler avec des filles, au contraire. Mais sinon je<br />

suis là moi pour apporter la touche féminine au label.<br />

J’essaie du mieux que je peux (rires) !<br />

C’est une jolie fin ça ?<br />

Propos recueillis par Margaux Bouteldja<br />

Photos : Julot Bandit, pour Crumb magazine


IGGY<br />

Interview publiée le 18 juin 2013<br />

AZALEA


Il faut le dire, la perspective de passer une demie heure à la rencontre de la jeune Australienne Iggy<br />

Azalea, était aussi excitante qu’inquiétante. Qui est-elle réellement ? Allions-nous nous retrouver face à la<br />

même fille brut et sexy que dans ses clips, sulfureux et menaçants ? Passée la sortie de plusieurs<br />

mixtapes et d’un EP, sous l’aile de Diplo et TL, il était temps pour la demoiselle de s’attaquer à un premier<br />

album attendu pour la fin de l’année. A cette occasion, rendez-vous était donné avec la musicienne dans<br />

un hôtel parisien, près des Champs Elysées, un jour ensoleillé de Juin. Nous voici donc dans une<br />

chambre parfumée, seuls. Iggy est en train de faire une autre interview, pendant que nous tentons de<br />

scruter le son de sa voix. Je stresse un peu, il faut le reconaître. Dans quelques minutes c’est moi, face à<br />

la jeune fille. Du retard, comme souvent lors des journées promo, qui me fait attendre “LE” moment. Et<br />

c’est pile à cet instant que la porte s’ouvre : elle est là, face à moi (ou plutôt au dessus tant sa taille est<br />

vertigineuse), elle me tend la main avec un grand sourire : « Hey, my name is Iggy ! ».<br />

Salut Iggy, ce n’est pas un peu frustrant de passer<br />

deux jours à Paris, enfermée dans une chambre<br />

d’hôtel, à répondre à des journalistes aux accents<br />

horribles ?<br />

(Rires) Ca ne me dérange pas du tout de discuter<br />

avec vous, malgré vos accents bizarres, mais j’aurais<br />

bien aimé avoir un peu de temps pour faire les<br />

magasins. Paris est sûrement une de mes villes<br />

préférées, pour dépenser mon argent et me balader,<br />

donc je suis un peu triste de ne pas pouvoir le faire.<br />

Je m’organiserai ça un peu plus tard !<br />

Tu as récemment fêté tes 23 ans. Qu’est-ce-qui a<br />

changé pour toi depuis ton dernier anniversaire ?<br />

Je pense que j’étais un peu perdue. J’avais décidé de<br />

ne pas sortir un premier album à tout prix et au plus<br />

vite, donc les gens me prenaient un peu pour une<br />

dingue. Je ne savais pas ce que je devais faire ou ce<br />

qui allait arriver à ma carrière, si ce n’est que<br />

j’envisageais de sortir un album, mais sans savoir<br />

comment, ni avec quel label, et quelles personnes<br />

pour m’aider… Cette année, on peut dire que tout va<br />

mieux : j’ai signé chez Mercury et Def Jam avec deux<br />

singles sur les rails, je suis beaucoup plus sereine.<br />

Tout semble être arrivé vite et facilement…<br />

Ca a été facile quand les choses se sont<br />

enclenchées. Je cherchais un label depuis longtemps,<br />

et j’ai décidé d’arrêter de démarcher l’année dernière<br />

pour expérimenter, trouver mon véritable “son”, en<br />

sortant des EP et des mixtapes. Une fois passée cette<br />

étape, je suis repartie à la recherche d’un label pour<br />

mon album, et le choix de Dej Jam Records s’est très<br />

vite imposé. Travailler avec eux et Mercury est<br />

vraiment un plaisir, ils ont compris où je voulais aller,<br />

avec une réelle passion pour la musique, ce qui n’est<br />

pas actuellement pas le cas partout. De plus en plus<br />

de businessmen s’intègrent malheureusement dans le<br />

milieu.<br />

Comment décrirais-tu la Iggy Azalea de 2013, par<br />

rapport à celle de 2012 ?<br />

Probablement un peu moins irrationnelle et dépassée<br />

! (Rires) Mais toujours un peu irrationnelle quand<br />

même ! Je pense que l’année dernière, beaucoup de<br />

choses incroyables me sont arrivées pour la première<br />

fois, donc ma réaction était extrême, du genre : “Wow<br />

! Qu’est ce qui m’arrive? C’est dingue !”, alors que ces<br />

mêmes choses se répètent maintenant, mais j’ai plus<br />

d’expérience pour les comprendre. Je me sens plus<br />

calme, et un peu moins sensible aux rouages de<br />

l’industrie musicale. Je ne suis pas une Iggy Azalea<br />

adulte, mais plutôt “grandie”.<br />

A l’écoute de tes deux nouveaux singles, Bounce et<br />

Work, on ressent vraiment une influence plus dance.<br />

Tu es d’accord avec ça ?<br />

Bien sûr. Pour Work, j’ai été énormément influencée<br />

par Bombs Of Bagdad de Outkast, que j’écoutais<br />

énormément : c’est une chanson très dansante,<br />

parfaite pour une soirée, mais avec en même temps<br />

un message vraiment intéressant et sérieux, sans<br />

empêcher les gens de danser dessus. J’ai eu envie<br />

de faire exactement pareil. On me demande très<br />

souvent de raconter mon histoire mais ma vie est<br />

tellement sérieuse ! Je ne veux pas que les gens se<br />

sentent triste là-dessus, je veux qu’ils s’amusent. J’ai<br />

donc voulu raconter mon histoire, sans être<br />

déprimante, et en laissant les gens s’amuser dessus.<br />

Je préfère laisser un message positif, en expliquant<br />

que je n’ai pas eu une jeunesse facile mais que je<br />

m’en suis parfaitement sortie ! J’ai ensuite sorti<br />

Bounce pour ne pas arrêter mon message positif, ça<br />

aurait été dommage de mettre aussi vite fin à la fête !<br />

Celle-ci est parfaite pour l’été.<br />

Dans tous les cas, il y aura une alternance entre<br />

chansons “concrètes” et dansantes sur mon album.<br />

Pour l’instant, il y a plus de titres sérieux que l’inverse,<br />

mais je me disais justement ce matin que je devrais<br />

penser à ré-équilibrer la balance. C’est important<br />

d’avoir un mélange des deux. Je ne veux pas qu’on se<br />

sente triste en m’écoutant mais je n’ai pas non plus<br />

envie qu’on pense que suis une fille complètement<br />

superficielle qui pense juste à s’amuser.<br />

Work est un peu une réponse à tes détracteurs…


Est-ce que je l’ai écrite en ayant ça derrière la tête ?<br />

J’y pense tous les jours ! (Rires). Des tonnes de gens<br />

essayent de me discréditer, disent que je joue un rôle,<br />

que ce n’est pas logique qu’une fille comme moi fasse<br />

du rap, alors qu’énormément de personnes dans le<br />

monde s’ouvrent à des choses qui ne les concernent<br />

pas directement à la base. Ils ne comprennent pas<br />

que je fais tout cela sincèrement. J’ai voulu montrer<br />

avec ce titre que je faisais les choses avec le cœur.<br />

Je me suis démenée pour en arriver là où j’en suis<br />

aujourd’hui et ça n’a pas été facile. C’est difficile de<br />

trouver sa place dans un milieu très apprécié et<br />

critique. Je suis fière d’avoir trouvé la mienne. Donc<br />

oui, je pense souvent à ces gens et je leur dis “Fuck<br />

You guys !” (Elle nous fait deux doigts d’honneur, un<br />

grand sourire aux lèvres, ndlr.)<br />

Est-ce que tu ne trouves pas un peu ennuyant le fait<br />

que les hommes te considèrent plus comme un sexsymbol<br />

en puissance plutôt qu’en tant que vraie<br />

rappeuse ou musicienne ?<br />

J’y ai déjà réfléchi. Je n’ai jamais fait de musique pour<br />

ce type de personnes. Si tu entends mon message,<br />

mais que tu ne le comprends pas, c’est que ce que je<br />

fais n’est pas pour toi ! Ils peuvent continuer à me<br />

regarder mais au final, ils ne cerneront jamais qui je<br />

suis. J’essaie donc de ne pas trop y penser. Je<br />

préfère me dire : “Peut être que j’ai quelques vues<br />

Youtube en plus juste pour mes fesses, c’est pas trop<br />

grave” (rires). Ca m’embêterait vraiment si j’avais des<br />

millions de vues Youtube pour mes clips, en vendant<br />

à côté seulement dix singles. Peut être qu’il y a des<br />

mecs qui me regardent uniquement moi, dans mes<br />

vidéos, mais à côté de cela, d’autres achètent ma<br />

musique et s’y intéressent, donc ça me va.<br />

Tu es consciente que tu es devenue une sorte<br />

d’image que les gens et les marques veulent…?<br />

Je le sais, oui, mais j’essaie de ne pas trop m’investir<br />

là dedans pour le moment. Je n’ai pas sorti d’albums,<br />

donc je fais attention. J’adore faire des campagnes<br />

pour Levi’s, ou présenter une émission pour MTV<br />

comme je l’ai récemment fait -j’ai carrément<br />

interviewé Brad Pitt !- mais je ne veux pas que les<br />

gens me découvrent et me considèrent autrement<br />

qu’en tant qu’artiste, plutôt que comme un modèle<br />

pour une marque de jeans… Dès le moment où j’aurai<br />

vraiment fait mes preuves avec mes morceaux, je me<br />

permettrai d’aller un peu plus dans cette voix (…)<br />

Cela crée de la confusion chez les gens qui se<br />

demandent à quel point je suis investie dans la<br />

musique et pensent que c’est juste un prétexte, alors<br />

que je suis complètement dedans ! Sauf que c’est en<br />

même temps difficile de refuser des opportunités<br />

aussi intéressantes, donc je fais attention. Je pèse la<br />

balance, et j’essaie de faire en sorte que les “à-côtés”<br />

ne dépassent pas ma musique. Pas mal de gens<br />

seraient surpris en découvrant à quel point je suis<br />

investie dans le travail d’écriture des mes titres, des<br />

paroles jusqu’à la musique. Je reste toujours avec<br />

mes amis producteurs (Diplo ou Steve Aoki, entre<br />

autres, ndlr) quand on travaille ensemble, du premier<br />

beat jusqu’au morceau complet, et ce genre de<br />

choses appuient ma crédibilité en tant qu’artiste.<br />

Tu produis tes morceaux toi-même ?<br />

J’aimerais tellement ! J’ai souvent collaboré avec<br />

B.O.B, sur Best Friends ou Million Dollar Misfits, et il<br />

produisait à chaque fois ses titres, en jouant du piano<br />

et d’autres instruments. Je l’observais et je me disais<br />

« J’aimerais tellement savoir faire ça…! ». Pour<br />

l’instant, j’en suis au stade où je dirige les opérations<br />

pendant la composition. Je donne la marche à suivre,<br />

en essayant de coller à mon univers. Mais la<br />

production est quelque chose que j’aimerais<br />

développer personnellement, pour le futur.<br />

Je préfère travailler avec un tout petit cercle de<br />

producteurs, Diplo, Steve ou The Invisible Men, avec<br />

qui j’ai de réels liens d’amitiés, qui comprennent<br />

maintenant exactement ce vers quoi je veux aller. Je<br />

reçois énormément de productions via Internet, mais<br />

je pense que c’est important de rester avec des gens<br />

qui te connaissent pour rester fidèle à ton propre son.<br />

Surtout qu’en général, ils m’écoutent vraiment afin de<br />

savoir ce que je veux moi, exactement, et ça me<br />

semble primordial.<br />

Et ce serait quoi, par exemple, une production parfaite<br />

pour Iggy Azalea ?<br />

Question compliquée ! J’adore ce que font Diplo ou<br />

Steve Aoki ; ils n’ont pas peur de s’essayer à<br />

différents styles. Surtout Diplo. Ce qu’il a fait avec<br />

Major Lazer est incroyable. Il adore le reggae, mais il<br />

y a aussi insufflé sa passion pour l’électro et le hiphop.<br />

Le résultat est explosif, et c’est vraiment dur de<br />

mélanger autant de genres. C’est pour ça que je<br />

l’admire. Tout comme Steve Aoki, qui m’a réellement<br />

initié à la musique électronique, alors que je n’étais<br />

pas du tout réceptive au genre auparavant.<br />

Est-ce que “Crumb” t’évoque quelque chose ?<br />

Robert Crumb ! C’est un dessinateur de BD<br />

complètement dingue ! C’est pour cela votre nom ?<br />

Entre autres, oui !<br />

Vraiment ? Je ne pensais pas, c’est génial ! C’est<br />

marrant parce que je le cite souvent en interview, en<br />

répétant tout l’amour que j’ai pour lui. Je le trouve<br />

brillant. J’ai adoré sa relecture complète de la Bible.<br />

Pareil pour son travail sur les femmes : il les<br />

sexualisait énormément, mais je trouvais ça vraiment<br />

intéressant. Je ne suis pas particulièrement religieuse,<br />

donc ça ne m’a jamais offensée. J’ai plus globalement<br />

toujours adoré sa façon de voir le monde et de le<br />

traduire dans ses dessins. Il a pour moi le meilleur<br />

coup de crayon de toute l’histoire du cartoon.<br />

Mon père était lui aussi dessinateur de bandes<br />

dessinées, et il m’a énormément initiée à cet art,<br />

notamment à travers les travaux de Robert Crumb. Il<br />

avait des idées vraiment tarées, mais c’était le<br />

premier à sexualiser le comic américain, en<br />

changeant le style du dessin. Quand j’y pense, c’était<br />

beaucoup plus compliqué pour lui de faire ses dessins<br />

provocateurs que pour moi en faisant ma chanson<br />

“Pussy” à notre époque (rires) !<br />

Propos recueillis par Brice Bossavie.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


Salut c’est<br />

cool & Flavien Berger<br />

cobversations<br />

Interview publiée le 27 novembre 2014<br />

Samedi soir dernier, au Trabendo, à Paris, la bande de Salut C’est Cool a donné un concert incroyable<br />

agrémenté entre autres de leurs tubes des plus ‘chelous’, d’une dégustation de fromage sur scène et<br />

d’une bataille de polochons. Ils avaient invité pour l’occasion Flavien Berger qui a bercé leur été autant<br />

que le notre avec son EP Mars Balnéaire. On leur a donc proposé un entretien tous ensemble avant la<br />

fête, qui promettait déjà d’être très folle.<br />

Pourquoi y a-t-il plein de paillassons Salut C’est Cool<br />

à l’entrée ?<br />

Salut C’est Cool : C’est juste pour se faire des thunes<br />

et pour que les gens repartent avec un petit souvenir !<br />

Flavien Berger : Vous les vendez combine ?<br />

SCC : Dix boules.<br />

Flavien : C’est un grand paillasson coupé en petit<br />

bouts ?<br />

SCC : Non. A couper c’est impossible. Certes on<br />

aurait pu faire des belles formes mais cela nécessite<br />

une scie particulière et ça ferait des pertes autour.<br />

Ceci étant, on aurait pu s’en servir pendant le concert,<br />

genre se les mettre sur la tête.<br />

Et ces sprays d’eau parfumée ?<br />

SCC : Ce soir on a prévu une bataille de polochons et<br />

du coup il va y avoir pleins d’acariens. On va utiliser<br />

ces sprays pour faire retomber les poussières s’il y a<br />

trop de gens qui éternuent. Intelligent, non ?<br />

Flavien : C’est incroyable comme idée les gars, que<br />

vous ayez réfléchi au fait qu’il fallait faire tomber la<br />

poussière…<br />

SCC : En fait on connait des allergiques qui utilisent<br />

cette méthode… Merci Alex, si tu nous lis !<br />

Vous êtes plutôt performance que concert ?<br />

SCC : Non, c’est juste un concert mais il y a des trucs<br />

qui se passent en plus de la musique. C’est faire de la<br />

musique et des jeux en même temps pour une<br />

expérience un peu totale.<br />

Et pour toi Flavien ?<br />

Flavien : Moi, je chante mes chansons différemment<br />

que sur le disque, je les improvise, en les prenant<br />

comme une matière. C’est comme si je m’auto<br />

samplais. Du coup souvent je ne chante même pas


les paroles des morceaux, parfois même pas dans la<br />

langue de base, même si on reconnait le titre.<br />

Comment avez-vous découvert la musique des uns et<br />

des autres ?<br />

Flavien : Avec des potes on a un collectif, le Collectif<br />

Sin et lorsqu’on était étudiants on entendait parler de<br />

Salut C’est Cool qui étaient déjà reputes pour leurs<br />

fêtes et leurs concerts. Il y a eu une rencontre il y a<br />

super longtemps entre le groupe et le Collectif mais je<br />

n’étais pas là puis il y eu un concert à Bourges, une<br />

sorte de battle entre nous, un truc dans le genre…<br />

SCC : un Dj set ping pong !<br />

Flavien : Voilà. C’est vraiment comme ça que j’ai<br />

découvert leur musique et leur entité.<br />

SCC : Nous étions voisons avec les membres du<br />

Collectif Sin, on était à l’école ensemble, quand<br />

Flavien a commencé à faire de la musique, on a vite<br />

entendu son travail. Du coup cet été on s’est tué à<br />

Océan Rouge dans la bagnole, à la maison et un peu<br />

partout d’ailleurs.<br />

Vous avez tous fait des écoles d’Art, et toi Flavien tu y<br />

enseignes même…<br />

SCC : Sérieux t’es prof ? (Rires)<br />

Flavien : Oui aux Ateliers de Sèvres, à Paris.<br />

SCC : C’est une interview revelation <strong>CRUMB</strong> ! C’est<br />

trop cool ! Mais tu as quel âge ?<br />

Flavien : 28 ans.<br />

SCC : Nous, on pourra être prof dans 3 ans (rires).<br />

Vos experiences respectives dans l’Art ont t-elle une<br />

influence sur votre façon de penser et concevoir la<br />

musique ?<br />

Flavien : Oui je pense. C’est totalement lié meme. Ca<br />

t’apprend à penser et à travailler.<br />

SCC : Même si tu essayes de les séparer dans des<br />

compartiments, c’est ce que certains d’entre nous<br />

faisaient quand on était à l’école en parlant rarement<br />

du groupe, tu te rends vite compte que des ponts se<br />

font puisque c’est la même personne qui fait tout et du<br />

coup tu peux faire des parallèles de réflexion. La<br />

musique après tout c’est une forme d’expression<br />

comme une autre et dans les écoles d’Art le principe<br />

c’est de faire des projets. la musique en est un qui<br />

prend juste une forme différente.<br />

Et pour l’enseignement, Flavien ?<br />

Flavien : Cela permet d’être au courant de plein de<br />

choses niveau musique, des mecs de dix huit ans qui<br />

arrivent en écoutant de l’acid et qui s’y connaissent<br />

trop bien alors que c’est quelque chose d’inconnu<br />

pour ma part. Cela t’apprend l’humilité, ouvre l’esprit.<br />

Je ne donne pas de cours magistraux, j’apprends des<br />

techniques. Comme une experience que je mets sur<br />

la table et que je partage.<br />

Votre site internet dispose d’un journal intime, avec<br />

pleins de photos, est-ce que les réseaux sociaux<br />

basés sur l’image comme Instagram vous attirent ?<br />

SCC : Instagram on trouve ça chiant parce que le<br />

format de tes photos doit obligatoirement être carré,<br />

en plus c’est à faire avec un smartphone et on en a<br />

pas donc techniquement ce n’est pas pour nous. Et<br />

puis les photos partent directement de ton téléphone<br />

vers internet sans passer par ton ordinateur c’est à<br />

dire sans que tu puisses les archiver ni les classer.<br />

Nul.<br />

Flavien : ça a l’air d’un truc pro en apparence mais<br />

c’est typiquement amateur.<br />

SCC : Et les filtres sont pas géniaux. La photo<br />

originale sera toujours mieux que si tu la retouches dix<br />

fois.<br />

Dans ce journal, il y a l’album des Eurockéennes,<br />

c’était comment de jouer là-bas ?<br />

SCC : C’était trop bien, il a beaucoup plu.<br />

Flavien : Les photos où vous allez dans une forêt puis<br />

dans une cabane, c’était là-bas ?<br />

SCC : Sûrement…oui<br />

Flavien : Ah ouais, ça dérive à mort (rires) !<br />

SCC : C’est qu’on a joué hyper tôt du coup on a eu le<br />

temps de bien s’amuser…<br />

Tu n’as pas d’albums photos dans ce type, Flavien ?<br />

Flavien : Non en fait j’archive tout. Des images se<br />

retrouvent dans certains de mes clips. J’accumules<br />

encore et encore sans vraiment savoir pourquoi et<br />

puis lorsqu’un projet nécessite une certaine matière,<br />

c’est là-dedans que je la trouves. C’est ce qu’il va se<br />

passer pour mon prochain clip où il y a encore une<br />

histoire de photos que je vais puiser là-dedans. Après<br />

je ne fais pas partie d’un groupe, mais il y a le<br />

Collectif Sin. La pratique de ma musique m’est bien<br />

particulière mais je fais suis aussi une part de ce<br />

Collectif.<br />

SCC : D’ailleurs nous on trouve ça super courageux<br />

de faire de la musique tout seul parce que c’est quand<br />

même rassurant d’être en bande, d’aller à des<br />

endroits, d’être ensemble pour s’ennuyer moins.<br />

Flavien : Je ne m’ennuie pas vraiment car au final je<br />

suis rarement seul, surtout en concert.<br />

SCC : Tu ne te démotives jamais ?<br />

Flavien : Parfois je me retrouve dans des situations un<br />

peu abyssales à cause de la fatigue, mais je ne dirais<br />

pas que c’est ennuyant sinon je ne ferais pas de<br />

musique. Je rencontres et travailles avec énormément<br />

de gens, tant dans la phase de création que dans la<br />

production, je ne me sens vraiment pas seul. C’est<br />

aussi ce que m’a appris mes études, gérer des étapes


de projet, allier le bon travail aux bonnes étapes, avec<br />

les bonnes methods...<br />

SCC : Nous on est très mauvais pour gérer nos<br />

projets, même si on est plus organisé qu’avant…<br />

Flavien : Faut voir aussi ce que ça donne si vous vous<br />

mettez à tout faire de manière très organisée, vous<br />

allez peut être ressembler à un boys band (rires).<br />

SCC : Faire de la musique c’est aussi prendre du<br />

temps sur notre quotidien. C’est un peu paradoxal<br />

parce que tu t’empêches de faire autre chose…<br />

Flavien : Je ressentais cela avant aussi, mais<br />

maintenant je considère ce temps comme moteur et<br />

nécessaire pour le reste. (…) Mais, je comprends pas.<br />

Ca t’empêche de faire quoi ? De l’argent ? (Rires).<br />

SCC : Non, on a nos paillassons pour ça (rires). En<br />

fait il y a la musique mais aussi tout ce qui l’environne,<br />

que l’on considère comme une extension de nousmême.<br />

Communiquer sur ce qu’on est en train de<br />

faire et de créer s’inscrit dans une pratique globale. Et<br />

puis mettre en ligne un album des Eurockéennes de<br />

Belfort nous paraît naturel, comme n’importe qui y<br />

étant allé aurait envie de partager ses photos.<br />

Flavien : Mais c’est rendu possible par l’humour, que<br />

le roman photo soit l’extension du concert ! C’est<br />

aussi pour ça que je suis content d’être là ce soir<br />

parce qu’à l’inverse de mes disques, les concerts sont<br />

un peu plus drôles, il y a plus de dérision alors que le<br />

disque est plus premier degré et romantico-imagé. Je<br />

pense que l’humour est un moyen de tout transformer<br />

en Salut c’est cool. Toutes vos images sont des<br />

chansons, c’est comme cela que je vous perçois en<br />

tout cas.<br />

SCC : C’est une façon de voir les choses un peu<br />

différente, faire de la musique c’est pas le but unique.<br />

Flavien tu as des projets particuliers pour 2015 ?<br />

Flavien : Je vais sortir un album. En entire, complet.<br />

C’est intéressant de se plier à l’exercice consistant à<br />

composer des morceaux plus courts pour en avoir<br />

plus. Il y a toujours un thème précis. En l’occurrence,<br />

cette fois, ce sera une attraction de fête foraine qui fait<br />

évoluer un personnage jusque dans les abysses de<br />

l’océan. Les morceaux sont faits, l’album est en<br />

mixage. Après viendront les concerts…<br />

des chansons sur ce theme. J’en visite pleins depuis<br />

pour l’imagerie de l’album, là j’étais à celle de Rouen<br />

puis il y aura celle de Rennes et après j’irais voir celle<br />

de Brighton.<br />

SCC : T’as open bar sur les attractions du coup?<br />

Flavien : Pas trop. C’est le label qui paie les<br />

attractions du coup on demande des reçus, ça donne<br />

des trucs assez géniaux. On en a un avec marquee<br />

dessus : “Vingt cinq euros” en manuscrit et juste<br />

“King” tamponné dessus. C’était pour une montagne<br />

russe, ca ne passera jamais à la comptabilité.<br />

D’ailleurs à Rouen, l’autre jour l’attraction c’était un<br />

énorme disque, entouré d’autres disques qui tournent<br />

dans des sens différents avec au milieu de ça une<br />

statue d’un DJ du futur, qui tournait lui-même. Il avait<br />

des lunettes de soleil immenses, les verres faisaient<br />

le tour de sa tête, une casquette à l’envers en<br />

plastique, et il tournait au milieu de l’attraction, c’était<br />

incroyable, magnifique, magique.<br />

SCC : Ca a l’air trop bien ! Il y a souvent des<br />

attractions qui paraissent moins impressionnantes<br />

mais c’est avec elles que tu auras les sensations les<br />

plus fortes genre “La poêle A Frire”, où tu sautes<br />

comme un fou. La dernière fois qu’on est monté<br />

dessus il pleuvait à moitié c’était tellement extrême.<br />

On avait vraiment l’impression de perdre pied, à la fin<br />

on était mal ! “La Poêle A Frire” de Stasbourg, ça<br />

déchire. C’est à tester !<br />

Vous avez déjà pensé à tourner un clip dans une<br />

attraction ?<br />

SCC : Je ne sais pas si c’est trop notre délire parce<br />

que c’est souvent un seul thème du coup ça pourrait<br />

être un peu relou de devoir promouvoir un unique<br />

personage, genre une poêle A frire, quoi.<br />

Flavien : Mais un parc à votre nom est prévu, non ?<br />

Un parc d’attraction géant Salut C’est Cool ?<br />

Ouverture en <strong>2016</strong> ? (Rires).<br />

SCC : Oui ! Il sera totalement en paillasson !<br />

Propos recueillis par Alice De Jode.<br />

D’où te viens ta fascination pour la fête foraine ?<br />

Flavien : De l’imagerie collective. La fête foraine, on la<br />

connait tous, on en a tous fait, il y en a toujours eu<br />

partout. Il y un an à Berlin je suis allé au marché de<br />

Noël avec des copains et on avait fait la fête la veille.<br />

Du coup il y a eu un déclic opéré par le reste de<br />

drogues qu’on avait dans le sang et les lunettes<br />

psychédéliques qu’on nous avait mis sur les yeux<br />

pour faire la fameuse attraction du Palais du Rire.<br />

C’est devenu super inspirant et j’ai commencé à faire


JAGWAR JAGWAR<br />

MA MA


Interview publiée le 29 juillet 2013<br />

On ne vous présente plus le groupe australien Jagwar Ma que nous avions déjà croisé en juin dernier.<br />

Entre temps est sorti leur premier LP, Howlin’, un album pop résolument moderne qui insuffle sur des<br />

sonorités 90’s une énergie nouvelle, dans un savant mélange de dream pop psychédélique, d’acid house<br />

et d’electronica. Après leur concert parisien à la Flèche d’Or et un mois avant leur venue au Pitchfork<br />

Music Festival le 1er novembre prochain, nous avons rencontré la tête pensante du groupe Jono Ma et le<br />

chanteur Gabriel Winterfield.<br />

L’été touche à sa fin, quels sont les meilleurs<br />

souvenirs que vous garderez des scènes sur<br />

lesquelles vous avez joué ?<br />

Gab : Tout a été parfait. Il n’y a eu que des bons<br />

souvenirs. Il y a eu des moments très importants pour<br />

nous. Jouer à Glastonburry était vraiment spécial car<br />

quelques heures avant, Jono était très malade et il y<br />

avait de fortes chances pour qu’il ne puisse pas jouer.<br />

On s’était fait une raison, et puis finalement il est<br />

monté sur scène avec nous, c’était magique ! Ensuite<br />

on a fait le Leeds Festival, très intéressant, puis le<br />

Bestival sur l’île de Whight, très différent mais tout<br />

aussi cool.<br />

On a aussi tourné en France avec Foals à Lyon, Lille,<br />

et Paris où l’on a fait un concert à la Flèche d’Or la<br />

semaine dernière. C’était très chouette.<br />

Comment ça s’est passé avec Foals ? Vous avez<br />

aussi tourné avec The XX…<br />

Gab : Foals est vraiment un groupe à part, très<br />

différent des autres groupes avec lesquels on a joué.<br />

La dernière fois, je suis resté éveillé, avec eux,<br />

jusqu’à 7 heures du matin à parler politique étrangère<br />

avec Yannis. Il a des origines grecques. Son point de<br />

vue sur ce qu’il se passe là-bas est très intéressant. Il<br />

est passionné par le sujet, très patriotique donc c’est<br />

marrant de parler de cela avec lui. Moi-même j’ai des<br />

origines iraniennes et l’on en parle beaucoup aussi.<br />

Jamie (de The XX, ndlr), lui, est une des rares<br />

personnes que je connais à Londres qui skate donc<br />

on n’arrête pas de parler de cela, de s’envoyer des<br />

vidéos de skate, etc. The XX est vraiment un chouette<br />

groupe, ils sont tous adorables et leur public est à leur<br />

image donc c’est vraiment très agréable de jouer<br />

devant eux, on ne se sent pas comme des étrangers.<br />

La première fois que l’on a fait leur première partie,<br />

nous pensions que personne ne nous connaissait et<br />

que la salle serait déserte. En fait ils sont tous venus<br />

tôt pour nous écouter aussi, c’était vraiment cool !<br />

Howlin’ est un album très éclectique. Si vous deviez<br />

définir votre style, vous diriez quoi ?<br />

Gab : Notre style c’est avant tout “des mecs qui jouent<br />

à la guitare” ! Ce n’est pas vraiment un style mais on<br />

fait tous de la guitare depuis notre adolescence et<br />

c’est ce qui nous a inspiré le plus, ce qui nous a tous<br />

donné envie à un moment de monter un groupe. C’est<br />

très difficile d’en choisir une en particulier, c’est<br />

comme choisir un de ses enfants, quoi (rires).<br />

Quand l’idée vous est venue, vous étiez plutôt jeunes.<br />

Vous jouiez dans des fêtes d’ados ?<br />

Gab : Ouais, très souvent ! C’était le meilleur moyen<br />

que j’avais trouvé pour qu’une fille vienne m’aborder :<br />

jouer Come As You Are de toutes mes tripes !<br />

Et ça marchait ?<br />

Gab : Absolument pas !<br />

Quel regard portez-vous sur la scène électro de ces<br />

dernières années ?<br />

Jono : elle est saine, plus saine que jamais. L’électro<br />

est une musique en perpétuelle mutation qui évolue<br />

très vite tout en se recyclant énormément. J’aime<br />

beaucoup la Classic House, la Deep House, des mecs<br />

comme les Pachanga Boys par exemple. Il y a<br />

quelques années, tout devait être très rapide,<br />

immédiat, dansant. Je trouve l’électro plus saine<br />

aujourd’hui car certains styles sont plus profonds, plus<br />

calmes mais elle n’est plus aussi intense. Bon il y a<br />

des exceptions, regarde le Dubstep américain ! Pour<br />

le coup je ne sais pas si c’est une musique saine mais<br />

en tout cas définitivement très intense !


A quels artistes émergents souhaiteriez-vous confier<br />

un remix ?<br />

Jono : En parlant d’eux, justement, les Pachanga<br />

Boys ont fait un remix de Come save Me absolument<br />

fantastique qui vient de sortir en vinyle. Il est sur la<br />

face A et dure 12 min. Ils l’ont passé au Burning Man<br />

cette année, le dernier jour du festival à 7 heures du<br />

matin, c’était fou ! Tu peux trouver la vidéo sur<br />

YouTube, c’est très intéressant à regarder, je te le<br />

conseille !<br />

En termes d’artistes émergents, plus sérieusement,<br />

on aime beaucoup Dan Avery qui vient d’Angleterre et<br />

qui produit des choses vraiment très excitantes. Il y a<br />

quelques mecs en Australie aussi, Guerre par<br />

exemple, pour ne citer qu’eux. Je pense que l’on peut<br />

considérer ça comme de l’électro, mais son style est<br />

vraiment très difficile à définir. Ca se rapproche de<br />

James Blake vocalement parlant, je ne sais pas si tu<br />

vois. A écouter et découvrir aussi, quoi. Sinon, nous<br />

sommes vraiment fans de Jonti qui vient aussi de<br />

Sydney et avec qui on est amis depuis longtemps car<br />

on a grandi dans le même quartier. Il est en train de<br />

nous faire un remix. Il travaille avec The Avalanches<br />

pour leur prochain album et sur son propre album<br />

aussi, en même temps, qui est incroyable. Pour te<br />

donner une idée, ça sonne comme du J Dilla qui<br />

remixerait les Beach Boys, tu vois ? (Rires).<br />

Vous pouvez nous parler de l’écriture et de<br />

l’enregistrement de Howlin’ ?<br />

Gab : Il y a des idées qui reviennent souvent et qui<br />

remontent à très longtemps. Quand on travaille sur<br />

des mélodies, on va chercher très loin dans nos<br />

souvenirs d’enfance. Après l’enregistrement de<br />

l’album en lui-même a duré environ un an.<br />

Jono : On a commencé quand on s’est mis à mixer<br />

Come Save Me.<br />

années et j’adore les mixer.<br />

En octobre vous revenez à Paris pour jouer au<br />

Pitchfork Music Festival. Vous allez partager la scène<br />

avec les Disclosure, que nous avons interviewé (lire<br />

page 174, ndlr) qui sont très connus en France, vous<br />

pensez quoi de leur musique ?<br />

Jono : Ils sont incroyables ! Ils sont tellement jeunes,<br />

c’est leur tout premier album mais c’est déjà d’une<br />

efficacité redoutable ! Quand tu l’entends à la radio,<br />

ça te tranche comme une lame de rasoir ! On les a<br />

vus pour la première fois au Midi Festival, en France,<br />

l’année dernière. On ne savait pas encore qu’ils<br />

allaient sortir un album, c’était avant qu’ils explosent,<br />

et je me revois me dire « Wow ces mecs vont être<br />

gros, très gros ! » Donc ouais, nous sommes de<br />

grands fans ! Vous pouvez leur dire.<br />

Un mot sur le choix de cette pochette d’album ? C’est<br />

quoi en arrière-plan ? On dirait Sangoku pendant la<br />

pleine lune…<br />

Gab : C’est vrai ouais !<br />

Jono : Tu as raison. Gab est un grand fan de Dragon<br />

Ball Z (rires) ! Plus sérieusement, c’est un dragon.<br />

C’est mon frère Dave et un pote à nous qui ont<br />

travaillé sur le visuel. Mon frère est photographe et il<br />

nous a envoyé plein de vieilles photos de paysages<br />

jusqu’à ce que l’on tombe sur cet étrange visuel qui<br />

ressemble un peu à une photo de famille. Je crois<br />

qu’elle date des années 80. La photo lle a été prise<br />

dans un parc à thèmes qui n’existe plus aujourd’hui.<br />

On s’est dit qu’elle avait un genre de pouvoir<br />

surnaturel, c’est pour ça qu’elle est devenue le visuel<br />

de l’album !<br />

Propos recueillis par Maxime Rosenfeld<br />

Merci à Maxime Pascal et à La Mission<br />

Quelle chanson vous parait être la plus représentative<br />

de Jagwar Ma ?<br />

Jono : Encore une fois c’est comme choisir un de ses<br />

enfants, c’est difficile de répondre. Enfin, je crois.<br />

Gab : C’est comme si tu fouillais dans l’œuvre de<br />

Freud en cherchant lequel de ses écrits résume le<br />

mieux sa pensée. Nous concernant je pense quand<br />

même que c’est Come Save Me. Pour Freud, je ne<br />

sais pas.<br />

Jono : Ouais celle-là et The Throw car elle contient<br />

tous les ingrédients qui nous caractérisent : de la pop,<br />

des éléments plus sinistres, des éléments deep dance<br />

très calmes, des samples, des beats, des guitares…<br />

Tout cela à la fois. Un équilibre entre une pop très<br />

directe et une musique électronique plus profonde.<br />

Vous avez déjà fait des DJ set dans le passé ?<br />

Jono : Oui. J’en ai fait personnellement pendant des<br />

années en Australie. Récemment j’ai mixé en Croatie,<br />

d’ailleurs, dans un festival, sur une péniche, c’était<br />

génial ! Je collectionne des disques depuis des


HANNI EL<br />

KHATIB<br />

Interview publiée le 21 janvier 2012<br />

Avec un premier album intitulé Will the Guns Come Out, Hanni El Khatib, nous plonge dans un univers<br />

fifties rempli de Rockabilly, de Blues et de Doo-Woop. Fils de parents philippino-palestiniens et natif de<br />

San Francisco, ce monsieur cheveux gominés est surtout imprégné d’une grande culture américaine et<br />

nous en parle sans retenue. Il nous fait même partager la musique de ses potes. Un type cool, quoi.<br />

On peut voir des photos d’accidents de voiture sur les<br />

pochettes de tes albums, d’où t’es venue cette idée ?<br />

Cela a commencé après mes premiers<br />

enregistrements. J’ai photocopié des photos<br />

d’accidents en noir et blanc : des maisons brulées,<br />

des accidents de voiture.<br />

(Il nous sort un petit livre, et nous explique qu’il y avait<br />

des photos d’accidents, puis des trucs écrits, puis<br />

d’autres accidents).<br />

Voilà à quoi ressemblait mon album au début, avant<br />

que je signe sur mon label. Je le vendais tel quel<br />

après mes concerts ou le donnais simplement à mes<br />

amis. C’est marrant, parce qu’un an avant, Sarah de<br />

chez Colette (le célèbre concept-store parisien, ndlr) a<br />

acheté plusieurs copies de ce disque fait maison pour<br />

les vendre. Je voulais donner vie à une sorte de<br />

fanzine, un peu comme <strong>CRUMB</strong>, qui ressemble à<br />

l’esprit de ma musique. J’ai commencé par le vinyle,<br />

qui est bleu avec une scène d’accident. Il y en a une<br />

autre, rouge, sur laquelle on aperçoit une voiture sur<br />

le flanc, criblée de balles. C’est comme ça qu’ils<br />

étaient aux États-Unis. Le concept, c’est de montrer<br />

que des objets qui ont l’air indestructibles peuvent se<br />

retrouver écrabouillés en un instant comme une boîte<br />

de conserve.<br />

Le titre de l’album vient de la chanson du même nom.<br />

J’ai toujours rêvé d’écrire des chansons de Gospel.<br />

Ça n’y ressemble pas vraiment mais c’est l’idée que je<br />

désirais faire passer. C’est assez personnel, en<br />

réalité.<br />

Ton album parle essentiellement d’amour. J’ai pris<br />

quelques morceaux de tes paroles : « You’re guilty /<br />

you’re a liar / you’re dead wrong / fuck you / You<br />

make me so lonely baby ». Tu nous expliques ?<br />

Hors contexte, cela peu sonner un peu débile, je te<br />

l’accorde (rires). En amour, tout le monde fait face à<br />

des problèmes relationnels, un jour où l’autre. Je


préfère écrire des chansons honnêtes, qui comptent<br />

pour moi. Alors, la plupart de mes paroles racontent<br />

des expériences personnelles ou vécues par des<br />

proches. D’ailleurs, c’est plutôt marrant d’écrire un<br />

morceau qui détaille les histoires de son meilleur ami.<br />

Lorsqu’il s’en rend compte, ça fait une drôle de<br />

surprise !<br />

Tu écris donc plus facilement sur les peines de cœur<br />

et les problèmes sentimentaux ?<br />

Oui. Il est très rare que j’enregistre un morceau sur le<br />

simple fait d’être content, sur les histoires d’amour qui<br />

se passent bien, sans que cela soit complètement nul<br />

(rires). Prenons Loving You par exemple : magnifique,<br />

mais si n’importe qui d’autre que Minnie Riperton la<br />

chantait, cela serait ridicule. Morrissey ou les Smiths,<br />

par exemple, écrivent des morceaux avec des<br />

accords majeurs, des mélodies joyeuses et des<br />

paroles sombres et tristes. Je préfère les accords<br />

mineurs, cela doit venir du Blues.<br />

On ressent comme une sorte de construction /<br />

déconstruction sur ton album…<br />

J’ai grandi à San Francisco, je me sens américain<br />

avant tout. À l’école, toutes les origines et cultures<br />

étaient mélangées. Cela semblait normal. Nous<br />

mangions de la nourriture étrange tous les jours. À la<br />

maison, tout le monde parlait anglais, même si avec<br />

les membres de chaque famille respective, ce pouvait<br />

être de l’arabe ou du tagalog. Je suis fils unique, mais<br />

il y avait tout le temps des amis d’origines différentes<br />

à la maison. Je ne me suis jamais senti bizarre, même<br />

si bien sûr, il arrivait parfois qu’un camarade blanc<br />

trouve mon déjeuner spécial. C’était avant les<br />

événements du 11 septembre et la vague de racisme<br />

et de peur envers les personnes originaires du<br />

Moyen-Orient. Je parle seulement anglais. C’est<br />

dommage, je sais.<br />

Mais cette culture fifties/sixties, elle te vient d’où ?<br />

Les années 50’s/60’s sont une période de l’histoire<br />

particulièrement iconique avec laquelle tout le monde<br />

grandit aux États-Unis. Elles font vivre une légende,<br />

même si elles ne sont pas de ton temps. C’est comme<br />

ancré dans l’esprit collectif. L’univers fifties en général<br />

me met de bonne humeur. Sur mon album, les<br />

références sont authentiques, mais ma musique n’est<br />

pas fifties.<br />

Mon ami Nick a 25 ans et ça, c’est sa musique :<br />

(Il prend son téléphone et nous fait écouter une<br />

chanson qui aurait pu être enregistrée dans les<br />

années 50, aux États-Unis)<br />

C’est un morceau qu’il a enregistré cette année. Alors,<br />

quand je pense à ma musique, je me dis que lui<br />

sonne fifties mais pas moi. Ma musique est plutôt un<br />

mélange de Garage, de Blues, d’inspirations d’un gros<br />

bordel d’influences musicales, que je condense dans<br />

chaque morceau. J’aime aussi certains aspects de<br />

Heavy Rock Psyché et de Punk. Build Destroy est très<br />

Punk. The Seeds, The Sonics faisaient du Garage<br />

super. Ma guitare, ma voiture, appartiennent à cette<br />

époque, aussi, c’est une vraie passion.<br />

L’interview se termine en écoutant Oo ma liddi, de JJ<br />

Jackson… “Désolé, j’ai tendance à parler un peu trop<br />

de musique” (rires). Merci Hanni, tu sais, on est venu<br />

pour ça !<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola.


AYO<br />

Interview publiée le 19 mars 2011<br />

Prendre un café avec Ayo dans un appartement parisien et lui poser des questions sur sa musique, sa<br />

carrière ou encore Michael Jackson est une chose qui ne s’oublie pas. Intime, légére, à cœur ouvert et en<br />

toute simplicité, nous avons rencontré l’artiste pour la sortie de son nouvel album « Billie-Eve », électrisant<br />

et coloré.<br />

On a l’impression qu’au fil de l’évolution de tes<br />

albums, ceux-ci deviennent de plus en plus<br />

personnels. Ce troisième opus, notamment, porte le<br />

nom de ta fille, et il y a des morceaux comme «<br />

Before » particulièrement intimes…<br />

Oui ! La musique agit sur moi comme un antibiotique,<br />

peut-être le seul que j’arrive à digérer. Quand on a<br />

mal à la tête, on prend de l’aspirine, quand on a mal à<br />

la gorge, on prend du sirop, mais vous êtes-vous déjà<br />

poser de la question du remède quand on a mal à<br />

l’âme et au cœur ? C’est à ce moment-là que la<br />

musique intervient.<br />

La musique t’a sauvé ?<br />

Pas à chaque fois. J’écris cependant souvent dans<br />

l’instant présent pour soulager mes douleurs. Cela<br />

dépend. L’autre jour, je me demandais si ce n’était<br />

pas trop égocentrique de n’écrire que sur soi mais<br />

finalement écrire sur moi, sur ce que je ressens est la<br />

seule façon que j’ai trouvé de me libérer d’un poids.<br />

J’en ai besoin pour être bien et équilibrée.<br />

Tu écris beaucoup de chansons, en rapport avec des<br />

femmes. Tu es également ambassadrice de<br />

l’UNICEF. En quoi cet engagement, est-il important<br />

pour toi ?<br />

Mon engagement est important vis-à-vis des femmes<br />

et des petites filles. Car, avant d’être artiste, je suis<br />

avant tout femme, maman et fille. Et cumuler les trois<br />

n’est pas facile tous les jours. Tant qu’il y aura des<br />

choses à changer dans ce monde, les engagements<br />

personnels, politiques, sociaux, humanitaires, quels<br />

qu’ils soient seront toujours importants.<br />

Tu as été élue par le journal Jeune Afrique comme<br />

faisant partie des 100 personnalités les plus influentes<br />

de la diaspora africaine du XXIe siècle. Quel lien<br />

entretiens-tu avec tes origines ?<br />

(Visiblement émue) Je ne savais pas que j’avais été<br />

choisie par ce journal. C’est incroyable ! (Un instant).<br />

Pour être honnête, j’ai toujours un problème quand les<br />

gens me demandent d’où je viens. Je suis né en<br />

Allemagne, ma mère est gitane, mon père nigérien.<br />

Cela fait un grand mélange. Mais je crois en l’être<br />

humain, peu importe d’où il vient. Je suis une enfant<br />

du monde, cosmopolite, je ne crois ni aux passeports,<br />

ni aux frontières, je crois au bon et au mauvais.<br />

L’Afrique, en elle-même est aussi importante dans ma


vie, au sens des origines que dans celle de n’importe<br />

qui, car elle a joué un rôle primordial dans la<br />

naissance et dans l’histoire de l’Humanité.<br />

Ta musique est d’ailleurs particulièrement<br />

cosmopolite. Mélange de reggae, de soul, de pop…?<br />

Inconsciemment oui. Je crois que ma musique est<br />

simplement influencée par la vie. La vie est pleine de<br />

couleurs qui changent tous les jours et qui changent<br />

avec nous. Tout ce que je vis m’inspire. Un peu à la<br />

manière d’une éponge, je m’imprègne de chaque<br />

moment vécu, je prends tout ce qu’il y a autour. C’est<br />

cela qui m’influence. Peu importe d’où la musique<br />

vient, peu importe ses origines, son style, ce n’est<br />

qu’une question de couleurs.<br />

Sur ce nouvel album, tu as énormément travaillé le<br />

côté électrique cette fois-ci ! Beaucoup plus que sur<br />

les précédents…<br />

C’était un choix naturel. Après le second album,<br />

quand j’ai commencé la tournée, j’ai joué quelques<br />

chansons à la guitare électrique. Et, de fait, j’ai<br />

découvert l’instrument. Et puis, j’ai été bercée toute<br />

mon enfance par les sons de Jimi Hendrix, The Who,<br />

Led Zeppelin… Avec les sons électriques, l’album<br />

paraît vraiment plus rock. Cela change, impressionne.<br />

Surtout ceux qui se disaient « merde, un nouvel album<br />

de Ayo, encore un truc acoustique » (rires). C’est un<br />

peu comme si j’avais découvert un nouveau sens.<br />

Pour l’enregistrement, tu t’es entourée de nombreux<br />

artistes, et notamment de Mathieu Chédid, qui<br />

apparait à la guitare sur une chanson.<br />

Oui ! On s’est rencontrés il y a un peu plus de trois<br />

ans à Londres, lors d’une JAM Session, qui s’intitulait<br />

Africa Express. Il m’a invité à jouer avec lui dans ses<br />

concerts, je l’ai invité dans les miens. On s’est dit « un<br />

jour il faut que l’on fasse un truc ensemble », mais<br />

nous étions toujours tous les deux en voyage ou en<br />

train de faire quelque chose en particulier. Je suis allé<br />

à New York enregistrer mon album, avant d’être<br />

hospitalisée suite à une grossesse extra-utérine.<br />

Pendant ma convalescence, j’ai écris des chansons,<br />

sans aucun instrument à disposition. J’avais tout de<br />

prêt dans ma tête, j’ai demandé au boss de Polydor<br />

s’il m’autorisait à retourner au studio, et il a accepté.<br />

Je suis allé au studio Ferber à Paris, et j’y ai<br />

enregistré 5 chansons, en deux jours, dont celle avec<br />

Mathieu, que j’ai appelé et qui a tout de suite accepté<br />

! C’était une approche vraiment différente, car j’ai joué<br />

la batterie et lui la guitare. Ce fut un moment<br />

particulièrement inspiré. Mathieu est un très grand<br />

musicien.<br />

chanson, il y a une énergie qui se dégage, quelque<br />

chose de spontané que tu ne peux pas reproduire. Je<br />

fais généralement peu d’enregistrements. Quand tu es<br />

satisfait de quelque chose, il est souvent très difficile<br />

de le reproduire, même pour l’améliorer.<br />

Un mot sur Michael Jackson. Reprendre « I Want You<br />

Back », c’est un message directement adressé à lui ?<br />

Pour moi, Michael Jackson est le plus grand ! Quand<br />

on me parle de musique, je pense tout de suite à lui. Il<br />

représente une grande partie de mon enfance et il est<br />

la preuve que la musique peut sauver une personne.<br />

Quand tu regardes sa vie, les moments difficiles qu’il<br />

a vécu, je crois, que c’est seulement quand il chantait,<br />

qu’il était en paix. Rien de ce qu’il a fait n’a été un jour<br />

dépassé. Et ne le sera jamais. Plus personne n’arrive<br />

à sa cheville aujourd’hui. Pas même Prince – Si vous<br />

avez le temps, allez sur Youtube et tapez « Prince<br />

Michael Jackson et James Brown », il y a le lien d’une<br />

vidéo de l’anniversaire de James Brown. Michael<br />

Jackson, sur scène, improvise une petite vocalise<br />

simple, timide et modeste. Prince, avec sa guitare,<br />

enlève son haut et fait le show -alors que c’est le<br />

concert de James Brown- jusqu’à s’accrocher à une<br />

barre pour faire une lapdance, une barre qui lui<br />

paraissait solide mais qui lui tombe dessus et tout le<br />

décor avec. C’est le summum du ridicule. Si j’étais<br />

journaliste chez <strong>CRUMB</strong> et que j’avais l’occasion de<br />

l’interviewer, je lui demanderais : « Mais sérieusement<br />

Prince, sérieux, mais qu’est-ce qui t’est passé par la<br />

tête ce jour là ? » (Rires).<br />

Promis, on lui demandera !<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié.<br />

Photographie : Diane Sagnier, pour Crumb<br />

magazine<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.<br />

Tu as d’ailleurs enregistré ces chansons tellement<br />

rapidement que tu as mis sur l’album la démo du<br />

morceau « My Man ». Pourquoi avoir laissé la<br />

première prise telle quelle ?<br />

Je crois que les premières prises sont toujours les<br />

meilleures ! C’est comme une première impression<br />

quand tu rencontres quelqu’un. Cela peut évidemment<br />

évoluer, mais si tu ressens quelque chose, c’est un<br />

signe ! Quand tu joues pour la première fois une


MAJUNGA


MADAGASCAR


Série photo publiée le 5 novembre 2013<br />

Les photographies de ce portfolio sont tirées du travail de Maxime Leyravaud. Pour <strong>CRUMB</strong>, le photographe présente une<br />

première série d’images, documentant le travail de recyclage dans une casse de bateaux à Majunga, sur la côte Ouest de<br />

Madagascar.<br />

Des hommes organisés en plusieurs équipes (gardiens, casseurs, forgerons, etc) démantèlent des bateaux de pêche et de<br />

transport en fin de vie, à la force des bras et avec des outils rudimentaires, pour pouvoir récupérer les matériaux, les<br />

recycler et ainsi fabriquer de nouveaux navires. Ils utilisent les tôles pour faire des braseros employés pour le chauffage ou<br />

la cuisine, les roues des pousse-pousse ou encore des charrettes. Ces hommes, âgés pour la plupart entre 20 et 35 ans,<br />

vivent avec leur famille sur les navires ou aux abords du chantier. Il n’y a pas toujours du travail sur le site, alors ils vont<br />

travailler aux champs ou s’occuper des zébus et des cochons.<br />

Le travail final, plus large de cette série, comportera plusieurs épisodes, des reportages (sur la vie familiale, les coutumes<br />

et la religion, les ethnies, des lieux insolites ainsi que différentes méthodes de travail) réalisés dans tout Madagascar qui<br />

seront des sujets à part entière, desquels seront extraites des séries d’images. Ce projet, présenté sur <strong>CRUMB</strong> a pour but<br />

de tisser un portrait, un état des lieux de Madagascar tout en mettant en avant la capacité d’adaptation des malgaches. Ce<br />

travail s’étale sur plusieurs années à Madagascar et est réalisé en numérique. Il aura comme finalité une exposition et<br />

l’édition d’un livre qui sera vendu au profit de l’association ADDAM qui est présente sur l’île depuis dix ans.<br />

Photographe professionnel depuis 2008, Maxime Leyravaud est un adepte de belles images et de la photographie sous<br />

toutes ses formes et navigue entre les voyages et les studio pour enrichir l’exercice de son métier.<br />

.


AYO #2<br />

Deuxième rencontre<br />

Interview publiée le 6 octobre 2013<br />

Je retrouve Ayo là où je l’ai laissé, quasiment trois ans après la sortie de son dernier album, « Billie-Eve », le prénom<br />

de sa fille. Je m’impatiente déjà. Ayo est une amie. Elle revient avec « A Ticket To The World ». Pas la même. Elle a<br />

changé, d’univers, de maison de disques, d’équipe, de style. Elle a grandi. Ou plutôt, elle a repris la route des sillons<br />

tracés par son premier album, ce qu’elle appelle « ses racines ». Au sommet de son art, tout en prenant des risques.<br />

Aujourd’hui, Ayo rappe, plus affirmée, plus brutale, seule ou en duo avec Youssoupha, dit les maux du monde et les<br />

met en lumière. Elle est la lumière.<br />

Nos retrouvailles se déroulent au sous-sol du Loulou, boulevard Saint-Germain. Billie-Eve, sa fille, est là. Elle a trois<br />

ans, elle aussi a grandi. Elle parle, fait des grimaces, me regarde, est surprise. Elle ne sait pas encore –ou peut-être<br />

que si- que sa maman a enregistré l’un des meilleurs albums de l’année.<br />

Il y a trois ans, je t’interviewais pour la sortie de “Billie-<br />

Eve”. Tu as fais quoi tout ce temps ? Tu en as profité<br />

pour voyager ?<br />

C’est intéressant que tu me poses cette question, car<br />

finalement je n’ai quasiment pas voyagé. Je suis<br />

restée chez moi, avec mes enfants, j’étais pas mal<br />

occupée j’ai profité de ce temps pour faire une<br />

introspection personnelle, penser à moi, aux choses<br />

enfouies. J’ai voyagé intérieurement, pris un peu de<br />

recul mais je n’ai pas beaucoup bougée<br />

géographiquement ! (Rires).<br />

Un des mes meilleurs amis, d’Hambourg, est venu<br />

chez moi – celui avec qui j’ai écrit mon premier album,<br />

et Down on My Knees (son premier succès public,<br />

ndlr). Je lui ai dis que j’avais envie de changer, que je<br />

voulais faire du rap. On a travaillé sur des « beats »,<br />

et j’ai écris Fire et Complain, un retour à mes racines,<br />

ce que j’ai toujours aimé.<br />

Il est vrai que chacun de tes albums apporte une<br />

touche personnelle différente. Sur le précédent tu<br />

mettais en avant l’électrique des guitares. Pourquoi<br />

cette envie et ce besoin à ce moment-là de ta vie, de<br />

revenir à ce que tu appelles tes « racines », le rap ?<br />

Je ne sais pas s’il y a une explication. A chaque<br />

nouveau disque, je suis dans un état d’esprit nouveau,<br />

c’est vrai. Quand je me suis penchée sur cet album,<br />

j’ai voulu créer un personnage, sorte de « Black<br />

Mamba », pour me cacher. J’avais peur que les gens<br />

ne reconnaissent pas mon univers si je me mettais à<br />

rapper. Alors j’ai inventé un alter ego mais je ne l’ai<br />

finalement pas gardé, cet album est signé “Ayo”…<br />

Un personnage comme celui de Mathieu Chédid, avec<br />

qui tu as collaboré ! Ne pas garder « Black Mamba »,<br />

c’est finalement une manière d’assumer<br />

complètement, d’affirmer qui tu es et ce que tu veux…<br />

Oui. J’ai fais écouter quelques extraits d’album à des<br />

amis (les membres du Saian Supa Crew, ndlr) et ils<br />

m’ont tous dit la même chose : « Cet album ce n’est<br />

pas Black Mamba, c’est toi, c’est Ayo ! Tu l’as fais<br />

avec ton cœur, avec ce que tu es, assumes ! ». Cela<br />

m’a fait du bien, parce que j’ai beaucoup douté. Tu<br />

sais, il y a même un ami proche qui m’as dit « Il ne<br />

faut absolument pas que tu rappes, c’est trop “Old<br />

School”, reste avec tes chansons à la guitare et ce<br />

sera mieux ». Il m’a même conseillé de réécrire Fire<br />

(premier extrait de l’album, partagé en duo avec<br />

Youssoupha, ndlr). Au fond de moi, je sais que je suis<br />

dans le vrai. A la première écoute, j’ai appelé mon<br />

père en lui disant « Papa, je crois que c’est mon<br />

meilleur album »…<br />

Tu me disais l’autre fois que pour écrire, tu<br />

t’imprégnais de choses de ta vie, ce fut le cas aussi<br />

cette fois ?<br />

Oui. En encore plus fort même. J’ai été inspirée par<br />

les mouvements de contestation, les « Riots », et<br />

toutes ces choses que l’on a vu partout en Europe et<br />

dans le Monde, même au Nigeria, c’était la première<br />

fois que des gens descendaient dans la rue, sortaient,<br />

protestaient. Le monde change, est en train de<br />

changer, tout est étrange, le système dans lequel<br />

nous vivons est un cancer. Mon fils va bientôt avoir 8<br />

ans, alors je pense à l’avenir. J’écris mes doutes et<br />

mes interrogations.<br />

En parlant d’interrogations, tu en as connu avec ton<br />

changement de maison de disques, une étape<br />

importante et pleine de solitude…<br />

Oui. Après la sortie de mon précédent album, j’ai<br />

complètement changé d’équipe, je ne me suis pas<br />

entendu avec la direction de Polydor. Je me suis<br />

retrouvée complètement seule. Je suis allé voir Pascal<br />

Nègre en personne en lui disant que je voulais être<br />

chez Motown. Il a ri. J’ai signé chez Motown ! Je ne<br />

l’ai pas encore dit à mon père, j’attends qu’il voie le<br />

logo sur le disque, que je lui porte en personne et qu’il


soit fier de moi. Tu sais, cet album est une<br />

renaissance. J’y interprète Sunny, le premier vinyle<br />

que je me suis acheté quand j’étais toute petite alors<br />

que j’étais en orphelinat…<br />

Faire de la musique c’est ta manière de panser les<br />

plaies, les tiennes et celles du monde ?<br />

Je crois que c’est une manière d’exprimer ce que j’ai<br />

sur le cœur. Cet album là, plus que les autres, parle<br />

du monde et de notre société. Les artistes ont une<br />

responsabilité. Je n’ai pas de télé mais quand je<br />

l’allume, dans les hôtels, que je regarde les JT et que<br />

je vois le monde et sa réalité, je me mets souvent à<br />

pleurer. On voudrait tous être des héros, mais on ne<br />

peut rien faire, on est dépassés. Alors je chante et<br />

j’écris. C’est ma façon de réagir, de panser les maux,<br />

de panser les plaies. Toi, moi, <strong>CRUMB</strong>, avons plus de<br />

pouvoir que n’importe quel président si l’on décide de<br />

changer, d’opérer des changements, de travailler à un<br />

monde meilleur. Pour demain, pour nos enfants…<br />

Finalement, ton « Ticket To The World », c’est cet<br />

album ?<br />

Absolument. C’est marrant que tu dises cela, parce<br />

que j’en parlais il y a peu avec mon meilleur ami. Ma<br />

musique m’affranchit des frontières, c’est avec elle<br />

que je voyage, avec elle que je vis. C’est elle qui me<br />

porte… C’est mon passeport.<br />

Texte et propos recueillis par Thomas Carrié.<br />

Traduction : Guillaume Grégoris.<br />

Une version anglaise de cette interview est disponible sur le site du<br />

magazine : www.crumbmagazine.com



Interview published on October 6, 2013<br />

Half of the music world is currently mispronouncing the edgy Copenhagen-based Karen Marie Ørsted’s artist name,<br />

but who cares? MØ is not one to play by the books, and singing along to her provocative tracks is much more fun<br />

than worrying about phonetics anyway. We love her for telling us to stop trying to be pretty – just relax, express<br />

yourself and be as happy as you can.<br />

In Danish, ‘mø’ means both maid, virgin, damsel and<br />

maiden. But nothing in MØ’s seductive lyrics give off<br />

signs of either virginity or being a helpless damsel in<br />

distress. MØ has grabbed the world by the balls, and<br />

in a heartbeat, her fuck-it-all yet congenial attitute<br />

made enthusiasts around the globe raise their arms to<br />

embrace this shooting star from Scandinavia.<br />

This week MØ returned from a U.S. tour (where she<br />

amongst other things supplied warm-up for the<br />

chillwave duo Purity Ring) and I was lucky enough to<br />

exchange a few words with Karen before she went<br />

back to her studies at the Art Academy in<br />

Copenhagen and, oh, working on her debut album<br />

with producer Ronni Vindahl.<br />

MØ has been compared to both M.I.A. and Lana Del<br />

Ray, but I was thrilled to discover that the cult status<br />

noise quartet Sonic Youth is on the top of her list of<br />

inspration:<br />

“Sonic Youth has always been one of my biggest<br />

inspirations – also when it comes to lyrics. I love the<br />

whole universe they have created around themselves<br />

as musicians and artists. When I was a teenager I<br />

printed out the lyrics to all the songs ever made by<br />

Sonic Youth, and I would read in the pile of paper<br />

before I went to bed.”<br />

The inspiration of boredom and dreams is revealed in<br />

the aesthetic video for the blasting single “Glass”. Fish<br />

cutters rest in the harbor, pickled gherkins stand in<br />

straight rows at the supermarket, the Christmas<br />

decoration glistens in the window; life appears boring<br />

and tedious. But somehow director Casper Balslev<br />

made it all appear visually beautiful, accentuating the<br />

theme of growing up in a small provincial town while<br />

dreaming about making it big.<br />

“I was quite bored as a teenager – and so were all my<br />

buddies in the province. My biggest dream was to<br />

become a punk/rock star and touch people with my<br />

music. My biggest fear was to miss a party; to miss<br />

the fun.”<br />

Now it seems that the boring days are over and Karen<br />

is enjoying life in Copenhagen, though she finds it<br />

critical that Denmark has no mountains. She stresses<br />

that having a good time is not absolutely everything in<br />

life, but…<br />

“I consider it very important to be able to just let go<br />

and stop worrying about everything. You don’t have to<br />

look pretty and strive for perfection – fuck that – no<br />

one can live up to it anyway. Just try to let go, relax,<br />

express yourself when you need to, and be as happy<br />

as possible – then things look brighter.”<br />

Fuck perfection, fuck appearances, just chill? This is<br />

an electro-pop heroine we can relate to.<br />

10 Quickies for MØ<br />

What is important to you as a lyricist?<br />

To be personal without reaching the borders of<br />

privacy, and to express feelings in a simple way<br />

without being too obvious.<br />

What are you listening to at the moment?<br />

MS MR, Sonic Youth (as always, but I just had stormy<br />

revival of my SY obsession), Bonobo, Major Lazer…<br />

But I don’t listen much to music when I’m at home.<br />

What was on your stereo as a teenager?<br />

Sonic Youth, Nirvana, Yeah Yeah Yeahs, Jimmy<br />

Hendrix, Smashing Pumpkins, Cat Power.<br />

What does youth mean to you?<br />

To wander around in the woods.<br />

Did you always want to make music?<br />

Yes – since I was seven it has been my big dream<br />

and obsession.<br />

What has been the greatest experience since your<br />

music career truly kicked off last year?<br />

All the traveling and the excitement of being in this<br />

position – chasing your dreams everyday.<br />

What is sexy?<br />

Confidence and muscles.<br />

Do you see yourself as a lady or a tomboy?<br />

Tomboy.<br />

What can we expect from your first album?<br />

Honesty, restlessness and hopefully songs people<br />

can relate to and be touched by.<br />

Are you coming to Paris anytime soon?<br />

I sure hope so! I really like Paris.<br />

Interview by Denise Rose Hansen<br />

E N G L I S H T E X T


HINDS<br />

Interview publiée le 9 novembre 2015<br />

HINDS ouvrait le dernier bal du Pitchfork Music Festival, à Paris, samedi dernier. Trente minutes pour<br />

convaincre. Les espagnoles ont relevé le défi haut la main avec leurs titres ravageurs qui sévissent sur le<br />

web depuis plus d’un an. Pas de synthé pop ou de voix innocentes, mais un rock honnête et sans<br />

complexe. Elles ont évoqué avec nous, la veille de leur prise de la Grande Halle de La Villette, ce qu’elles<br />

ont appris sur la route et de la magie d’Internet.<br />

Je vous ai découvert en premier partie des Libertines<br />

il y a un an…<br />

Hinds (toutes en même temps, en pointant du doigt la<br />

direction du Zénith) : Oh oui, c’est par ici non ?<br />

Exactement ! Vous avez ouvert les shows de<br />

nombreux groupes cette année, qu’en retenez-vous ?<br />

Sentez-vous avoir appris quelque chose ?<br />

Ana : The Libertines est le plus grand groupe avec<br />

lequel nous avons joué, mais nous avons seulement<br />

fait deux shows avec eux. Ces dix derniers jours, nous<br />

avons tourné aux États-Unis avec Glass Animals et<br />

nous avons beaucoup appris d’eux. Nous sommes<br />

devenus amis et toutes les questions que nous avions<br />

comme “Combien coûte un tour-bus ? Combien de<br />

personnes avez vous besoin dans votre équipe de<br />

tournée ?” ont pu enfin avoir des réponses !<br />

Carlotta : Et tu réalises que c’est assez différent de<br />

notre façon de faire les choses. Eux voyagent la nuit<br />

pour arriver le matin et avoir le temps de découvrir la<br />

ville où ils jouent, des vrais pros !<br />

Vous avez tourné dans le monde entier avant même<br />

de sortir un premier album. Est-ce que cela été<br />

bénéfique pour vous avec du recul ?<br />

Carlotta : Je pense que c’est assez rare et on<br />

apprécie vraiment d’avoir cette chance. Tout cela c’est<br />

fait grâce à Internet. On n’a plus forcément besoin du<br />

schéma classique : rencontre avec label / signature /<br />

sortir d’album / tournée, etc. Quelque fois, les labels<br />

exigeaient même d’avoir un album écrit et prêt pour<br />

vous signer auparavant. Maintenant, Internet est le<br />

label. Il suffit d’y mettre quelques chansons pour<br />

lancer la machine.<br />

Justement, Pitchfork a atteint une renommée<br />

internationale en tant que magazine défricheurs de<br />

nouveaux talents sur le net. Est ce que c’est un site<br />

que vous consultez pour découvrir de nouveaux<br />

artistes ?<br />

Carlotta : Non, à vrai dire, pas vraiment, enfin, on finit<br />

toujours par y atterrir dessus ou le lire parce qu’ils ont<br />

un catalogue considérable…<br />

Ana : Ils ont aussi beaucoup d’exclusivité sur les<br />

artistes mais généralement je ne suis aucun de ce<br />

genre de sites « dénicheurs », comme si c’était une<br />

religion du genre : “Tout ce dont ils parlent, je vais<br />

l’écouter”, parce que je n’ai pas vraiment le temps<br />

d’abord, et parce que je préfère découvrir des artistes<br />

en live lors des concerts !


Carlotta : Oui, nous sommes de vrais<br />

« marathoneuses » de concerts elle et moi ! Nous<br />

pensons qu’un live en dit plus qu’une critique d’album.<br />

Ana : Oh et Youtube également.<br />

Carlotta : On y passe des heures !<br />

Pouvez vous me parler de la scène musicale en<br />

Espagne ?<br />

Carlotta : Avant de former HINDS, on pensait qu’il y<br />

avait une scène énorme avec pleins concerts et de<br />

groupes, des liens forts entres tout le monde. Mais<br />

malgré ces connexions, nous avons réalisé que la<br />

scène était en fait très petite, chez nous.<br />

Ana : C’est bizarre car nous revenons de New York et<br />

là-bas tout le monde se connait. Comme si tout ce<br />

monde fonctionnait comme un voisinage. Ce n’est pas<br />

seulement une impression de notre point de vue<br />

extérieur, même eux le ressentent ainsi. C’est comme<br />

à Madrid mais en plus beaucoup plus étendu, avec<br />

forcément plus de salles, plus de groupes et surtout<br />

plus de concerts : je dirais 10 auxquels tu veux aller<br />

par soir ! En Espagne c’est un concert par mois ?!<br />

Et vous pensez que la situation de la scène musicale<br />

garage à Madrid va s’améliorer ?<br />

Carlotta : Je crois que ça commence déjà à<br />

s’améliorer. Le fait que nous tournions en dehors de<br />

l’Espagne a fait que, soudainement, beaucoup de<br />

gens comme toi, comme <strong>CRUMB</strong>, nous demande ce<br />

qu’il passe chez nous. Donc je pense que c’est en<br />

train de devenir populaire, car nous essayons<br />

vraiment de défendre cette scène, de travailler pour<br />

elle. L’Espagne est notre maison et je pense que c’est<br />

en train de s’améliorer par cet engouement.<br />

Ana : Ce qui est triste, c’est que ce qui s’améliore,<br />

c’est seulement les groupes, la place qu’on leur<br />

donne, la considération que l’on a pour eux, etc. Mais<br />

je n’ai pas l’impression que l’industrie en elle-même<br />

change. La culture de la musique en Espagne n’est<br />

pas en train de se transformer radicalement, mais au<br />

moins il y a une porte qui s’ouvre. Aujourd’hui, les<br />

groupes de Madrid peuvent aller se produire ailleurs.<br />

Avant, on trouvait qu’il y avait vraiment ce problème<br />

de frontière infranchissable. Là on commence à voir la<br />

lumière au bout du tunnel ! Mais du point de vue de<br />

l’industrie : les producteurs, magazines, festivals, je<br />

ne vois pas vraiment de différence. Et si j’en note une,<br />

c’est seulement parce que les groupes de Madrid sont<br />

en train de vivre un truc incroyable et que les médias<br />

ne veulent pas rater le coche.<br />

Votre album sort dans quelques mois, quel a été votre<br />

processus d’écriture ?<br />

Carlotta : L’album pourrait être découpé en deux<br />

parties en terme d’écriture : la première a été écrite<br />

quand nous passions plus de temps à Madrid, avant<br />

que nous partions en tournée. Ces chansons ont été<br />

écrites et composées dans une salle de répétition et<br />

chez nous, d’une manière très relax où nous prenions<br />

notre temps. Puis nous avons commencé à tourner<br />

non stop et nous ne pouvons vraiment plus écrire.<br />

Notre vie en tournée se résume à jouer, dormir, faire<br />

des interviews (10 aujourd’hui, ndlr), des shootings et<br />

répondre à des emails ! Nous n’avons pas le temps<br />

de prendre une guitare. L’autre partie de l’album a été<br />

faite dans la fatigue, pendant de longues nuits sans<br />

dormir pour terminer les chansons en travaillant sur<br />

tous les instruments en même temps. Comme une<br />

explosion de musique lorsque nous sommes rentrées<br />

à Madrid alors que nous n’avions pas vu nos familles<br />

depuis des mois.<br />

Comment percevez-vous l’image des groupes de filles<br />

dans les médias ?<br />

Ana : Comme une image désastreuse qui s’améliore<br />

lentement.<br />

Carlotta : On m’a demandé l’autre jour si je ressentais<br />

être traitée de manière différente par mon label car je<br />

faisais partie d’un groupe de filles. Je n’ai jamais<br />

ressentie cela. Nous sommes différentes en tant que<br />

Hinds mais pas en tant que « groupe de filles » d’un<br />

label. Cette question est très compliquée pour nous<br />

car cela dépend du contexte et c’est quelque chose à<br />

laquelle nous ne voulons pas attachée une trop<br />

grande importance. C’est évident qu’il y un problème<br />

d’image quelque part mais nous n’y avons jamais<br />

vraiment été confronté. On se dit juste qu’il ne faut<br />

pas y attacher trop d’importance. Pourquoi nous<br />

inquiéter de que les gens pensent de nous ? On s’en<br />

fout.<br />

Ade : Cela dépend vraiment aussi des différences<br />

culturelles. Nous rentrons d’Amérique et face à cette<br />

question, les Américains sont incroyables. Il y a tant<br />

d’énergie, de soutiens aux filles qui font de la<br />

musique. Je n’ai jamais vu autant de femmes<br />

ingénieurs du son ou travaillant dans le secteur.<br />

Carlotta : Oui c’est dingue, il y a dix personnes dans<br />

les bureaux du label, dont deux garçons seulement !<br />

En Espagne, il y que des garçons, en Angleterre c’est<br />

plus ou moins différent…<br />

Nous approchons de la fin de l’année, il y a-t-il un<br />

album sorti en 2015 que vous avez écouté en boucle<br />

pendant votre tournée ?<br />

Carlotta : Nous avons beaucoup écouté Glass<br />

Animals, leur album est dingue. Beaucoup de The<br />

Districts également, Mø (lire interview en pages<br />

précédentes, ndlr). Mais c’est très drôle car nous<br />

n’avons jamais la Wifi pendant les tournées, n’importe<br />

où que l’on soit, cela ne capte jamais. On a cinq<br />

albums sur nos téléphones qui passent donc en<br />

boucle !<br />

Propos recueillis par Alice de Jode


FOXYGEN<br />

Rencontre/texte publiée le 23 octobre 2014<br />

Le duo Foxygen sera sur la scène de la Grande Halle de la Villette pour un concert d’Halloween à<br />

l’occasion du Pitchfork Music Festival, à Paris. Il présentera alors …And Star Power, le dernier résultat de<br />

tribulations punk. Jonathan Rado, le compositeur du groupe, nous a conté sous un soleil de plomb ses<br />

aventures californiennes.<br />

Depuis plusieurs années, Foxygen dispose d’une aura<br />

mystique dans notre imaginaire. Notre rencontre avec<br />

Rado, le compositeur du duo l’a confirmé, en y<br />

ajoutant une belle touche d’innocence. Si We Are The<br />

21st Century Ambassadors of Peace and Magic avait<br />

fait grand bruit à sa sortie début 2013, grâce à une<br />

production léchée et des mélodies gorgées d’air<br />

californien, Star Power apparaît au premier abord<br />

comme un obscur come back : 24 titres dont les<br />

durées varient entre une et sept minutes et une<br />

phrase qui peut laisser perplexe. “Star Power is the<br />

radio Station you can hear only if you<br />

believe.” Heureusement, le parfait triptyque<br />

d’ouverture nous enlace et nous mène au voyage<br />

punk de Sam et Rado. “C’est un album sur la folie, qui<br />

passe par tous les aspects de son spectre, de<br />

l’optimisme à l’incontrôlable névrose, explique<br />

Rado” De ce guet-apens bordélique émane une<br />

mélancolie plus assumée, sans fard. L’époque du<br />

lycée où les deux s’enfermaient dans leur garage pour<br />

composer des albums entiers tend à s’éloigner peu à<br />

peu. Le groupe avait partagé l’an dernier via les<br />

réseaux sociaux un album ultra barge (36 titres)<br />

nommé The Jurassic Explosion Philippic, composé<br />

lorsqu’ils avaient quinze ans. Le format du double<br />

album n’est donc pas une nouveauté pour eux. “Au fur<br />

et mesure de la composition, nous avons compris que<br />

nous étions dans le même processus que lors de<br />

l’écriture de Jurassic, à raconter des histoires d’aliens.<br />

Star Power s’apparente à une suite implicite de cet<br />

album.” Par ailleurs, Richard Swift (du groupe The<br />

Shins et bassiste des Black Keys) qui avait produit<br />

leur premier album après avoir découvert le génial EP,<br />

Take The Kids Off Broadways, n’était pas présent<br />

pour calibrer leurs dernières expérimentations en un<br />

format plus pop. “J’aurais aimé qu’il produise celui-ci,<br />

mais il n’était pas disponible, puis nous voulions<br />

prendre notre temps pour Star Power. Le précédent<br />

album avait été produit très rapidement. Nous nous<br />

sommes donnés cinq mois pour faire cet énorme<br />

puzzle.” A l’écoute de leur trip, c’est bien un<br />

sentiment de temps stoppé qui nous attrape,<br />

transcription d’une thérapie violente émanant des<br />

souvenirs chaotiques de la tournée, et nous fait<br />

regretter que peu d’artistes prennent ce genre de<br />

risque à l’ère de la “spotifisation” de la musique.<br />

“C’est un album auquel il faut laisser une chance. Il<br />

pourrait bien vous sauver la vie, mais seulement si<br />

vous y croyez.” Cette invitation au voyage est le<br />

résultat d’une session d’enregistrement qui a permis<br />

au groupe de renaître. “Ma relation avec Sam n’a<br />

jamais été en danger, confie Rado. Seulement, un<br />

enchaînement d’accidents et des annulations de<br />

tournées ont fait dire à la presse tout et n’importe<br />

quoi. Nous n’avons pas voulu nous en mêler. On a<br />

laissé faire et ce fut pour le mieux. Star Power était la<br />

catharsis dont nous avions besoin, un retour à ce<br />

pourquoi nous avions initié ce groupe.”<br />

Si Rado n’était pas musicien, il lâche avec<br />

nonchalance qu’il aurait aimé bosser dans un parking.<br />

“Tu restes toute la nuit dans ta cabine à regarder la<br />

télé, ça n’a pas l’air d’être un boulot stressant.”


Tellement sincère qu’on est désormais d’accord avec<br />

lui, parce qu’un parking en Californie c’est sûrement<br />

un super décor pour un film de la dynastie Coppola.<br />

Les deux lads s’enferment même au Château<br />

Marmont pour terminer d’enregistrer leur album,<br />

célébrant le mythique L.A Sound. “Nous avions<br />

terminé toute la partie instrumentale de l’album et<br />

nous étions arrivés à un point où mon petit garage,<br />

sans fenêtre, ne nous inspirait plus. On voulait<br />

s’échapper et profiter du fait qu’il nous restait du<br />

budget pour la préparation de l’album. Louer des<br />

chambres d’hôtel hyper chères nous est apparu<br />

comme l’alternative la plus cool.” La saveur si<br />

spéciale qu’ont les disques des années 70 de la Cité<br />

des Anges exerce une fascination sur Rado. “Notre<br />

album prend ses racines à L.A, dans les histoires qu’il<br />

raconte. Mais il reflète plus l’atmosphère avant et<br />

après la décennie 80, celle-ci est vraiment immonde !<br />

Si je devais remonter dans le temps, j’irais en 1976 où<br />

tous les groupes composaient des trucs super. J’ai<br />

l’impression qu’ils étaient tous sous la même<br />

substance bizarre cette année là. Ce devait être une<br />

bonne période pour écrire un album”. Rappelons alors<br />

que le célébrissime Rumours de Fleetwood Mac,<br />

sortait une année plus tard, après des sessions<br />

chaotiques de préparation. Le groupe fétiche de notre<br />

interlocuteur crevette (on lui donnerait bien dix-sept<br />

ans) nous fait dériver quelque temps, avant de faire à<br />

nouveau dévier la conversation sur l’album de Todd<br />

Rundgrenn, A Wizard, A True Star, sorti en 1973.<br />

“Beaucoup de gens le considère comme un album<br />

peu sérieux, anecdotique, mais il a vraiment<br />

bouleversé mon monde, je l’écoutais sur la route.”<br />

Cette épopée de rock progressif nous éclaire sur l’état<br />

d’esprit du compositeur. La clarté du propos n’est<br />

peut-être pas le premier objectif, mais les émotions<br />

s’entremêlent pour ne jamais nous ennuyer.<br />

“Certains groupes captent à la seconde où ils<br />

commencent à composer la direction qu’ils souhaitent<br />

prendre, analyse Rado. C’est un aspect merveilleux<br />

qui a le pouvoir de happer tout de suite l’auditeur<br />

lorsque c’est bien fait. Les Smiths par exemple y<br />

parvenaient, mais nous ne sommes pas du genre à se<br />

dire aujourd’hui « Je me sens triste, alors je vais<br />

écrire une chanson triste ». Sam et moi mélangeons<br />

différentes émotions, il n’y a pas de titres en lignes<br />

droites.” Voilà pourquoi nos petits préférés ne nous<br />

sortirons probablement jamais un certain album de la<br />

maturité, préférant osciller entre désillusions, avec<br />

Cosmic Vibrations au refrain nonchalant If You Want<br />

Me/You Can Have Me/But I’m All Used Up et grande<br />

tornade 666 .“On a voulu terminer l’album sur une<br />

note positive avec Everyone needs love, pour<br />

conclure notre voyage”.<br />

Star Power est donc une épreuve initiatique, qui prend<br />

ses racines avec un projet de Sam. “Il faisait des<br />

concerts très punks qu’il nommait Star Power,<br />

explique Rado. Il y faisait pas mal de bruit et cela<br />

nous a amené à nous dire ‘Et si Foxygen était un<br />

groupe punk ?’ Nous avons pensé à nous créer des<br />

sortes de personnages pour nous renouveler.”<br />

Entouré par des choeurs sur scène, le duo promet au<br />

public de ne pas être déçu, en live. “Sam est hyper<br />

actif, il peut passer la moitié du concert dans la foule,<br />

les filles qui chantent avec lui donnent un côté très<br />

soul et vivant au live. C’est une tradition qui se perd<br />

alors que c’est un plaisir de tourner à neuf ! Certes ça<br />

nous coute très cher mais faire que le public puisse<br />

profiter d’un véritable show, avec des petits pas de<br />

danse, c’est quand même cool !”.<br />

On ne peut que vous souhaiter d’adhérer au concept,<br />

ne serait-ce simplement que pour Coulda Been My<br />

Love, le meilleur slow à ce jour, ôde d’un amour<br />

impossible, rappelant en toute modestie No<br />

Expectations des Rolling Stones. Si vous vous laissez<br />

tenter par l’album entier, vous entendrez des cris, des<br />

voix d’enfants et de femmes, du grisonnement de<br />

radio et de belles prières : du rock’n’roll, en somme.<br />

Du vrai.<br />

Alice De Jode


ÖDLAND<br />

Interview publiée le 6 mai 2010<br />

Poétique, magique, déconcertant, surprenant, envoûtant… les mots ne manquent pas pour évoquer le<br />

premier album d’Ödland. Ce Projet fou et unique, « Ottocento » -c’est son nom- est une perle dans<br />

l’univers de la création musicale autoproduite et indépendante. Rencontre, en images et en paroles…<br />

Pouvez vous nous présenter Ödland en quelques<br />

mots ?<br />

C’est un projet musical intégralement acoustique qui<br />

puise ses inspirations dans le XIXe siècle et le<br />

Romantisme. Le groupe est formé de Lorenzo<br />

Papace, pianiste et compositeur, à l’origine du projet,<br />

d’Alizée Bingöllü au chant, d’Isabelle Royet-Journoud<br />

aux ukulélé et jouets et de Léa Bingöllü au violon. Sur<br />

l’album, la formation est complétée par Alice Tahon,<br />

au violoncelle.<br />

Votre unité est musicale mais, au delà, votre album<br />

est comme visuel, presque théâtral. Ce n’est pas<br />

seulement de la musique que l’on écoute, c’est aussi<br />

des images ! Par qui/quoi ont-elles été inspirées ?<br />

L’image est en effet une composante essentielle du<br />

groupe, comme de tout projet par essence en réalité.<br />

Le monde est pensé et dicté par l’image. Cela ne<br />

signifie pas que la nôtre est superficielle mais elle est<br />

un chemin obligatoire pour faire passer nos idées.<br />

Lorsqu’une image est ratée ou mal adaptée, un projet<br />

est mal perçu voire incompris. Nous utilisons<br />

beaucoup internet pour diffuser notre musique. Or<br />

internet est un média lui-même voué à l’image. Il n’y a<br />

que ça, pas de sons et encore moins de goûts ou<br />

d’odeurs. Si l’odorat était le sens le plus important<br />

dans notre société, alors peut-être aurions nous<br />

développé un parfum qui reflèterait notre univers<br />

musical.<br />

Quelle odeur ce parfum aurait-il pu avoir ?<br />

L’odeur d’un fruit désuet, sûrement. Notre culture est<br />

bien trop limitée en ce sens pour imaginer quelque<br />

chose d’intéressant. En revanche pour l’image, nous<br />

sommes plus à l’aise. Dans le groupe, Alizée est<br />

comédienne, Isabelle est photographe et Lorenzo est<br />

photographe et réalisateur. Ottocento en tant que<br />

disque, ce n’est donc pas seulement de la musique,<br />

c’est aussi un objet graphique précieux, inspiré par<br />

l’imagerie artisanale des vieilles boîtes de collection<br />

richement décorées. Nous avons réalisé les<br />

photographies en argentique, pour garder la magie de<br />

la chimie, en surface. Lorenzo a coréalisé deux clips<br />

pour la sortie du disque. “The Queen of Hearts” avec<br />

Vincent Pianina et “The Well” avec Maximilien<br />

Dumesnil sur le thème d’Alice au Pays des merveilles.<br />

L’idée était de se rapprocher des ambiances<br />

originales créées par Lewis Carroll.<br />

En parlant de Lewis Caroll, le nom du groupe fait<br />

d’ailleurs référence à un conte scandinave. Et<br />

l’univers de l’album pourrait parfaitement se<br />

retranscrire en livre…<br />

Absolument ! Nous aimerions beaucoup faire un livre<br />

qui reprenne l’ensemble des photographies que l’on a<br />

faites. Nous tenons énormément à ces images et au<br />

bout d’un moment, les voir sur un écran c’est lassant.<br />

Le format papier est incomparable, bien que le web<br />

fasse des merveilles, avec <strong>CRUMB</strong>, vous le savez,<br />

mais nous sommes déjà très contents du livret<br />

intérieur d’ « Ottocento » pour lequel on a vraiment<br />

soigné la présentation. Nous aimerions aussi publier<br />

un livre de partitions, mais c’est sûrement encore trop<br />

tôt. Il ne faut pas oublier qu’Ödland n’a pas plus d’un


an. Et même si en une année il s’est passé beaucoup<br />

de choses, on voudrait que cela aille toujours plus<br />

vite. Alors on tente d’être patients et de laisser le<br />

temps aux gens de découvrir notre musique avant de<br />

décliner notre univers sur d’autres supports.<br />

Vous êtes aux antipodes de la création musicale<br />

actuelle. La scène française d’aujourd’hui est-elle trop<br />

conventionnelle selon vous ?<br />

Beaucoup d’expériences sont menées mais trop<br />

souvent dans le silence. Ce n’est pas un problème de<br />

musiciens. En France comme ailleurs, il y a beaucoup<br />

de personnes créatives. Ce n’est pas non plus un<br />

problème de public. Quoi qu’on en dise, le public<br />

français n’est pas une “masse” qui ne supporte que la<br />

musique facile et bête. Il y a au contraire beaucoup de<br />

curieux. Nous sommes à chaque fois étonnés de voir<br />

que notre musique touche des personnes de tous les<br />

horizons, sans limite de culture ou de distinction. Cela<br />

fait d’ailleurs plaisir à voir car nous apportons quelque<br />

chose d’assez proche de la musique classique.<br />

Beaucoup de personnes y sont réceptives et laissent<br />

tomber les préjugés. S’il y a un problème, il vient de<br />

l’industrie et des personnes qui prennent des<br />

décisions automatiques au nom de la culture de<br />

masse. Ce phénomène n’est pas limité au seul<br />

domaine de la musique mais c’est là que nous le<br />

ressentons le plus. Ödland n’intéresse pas les majors<br />

de l’industrie musicale. On nous a reproché de ne pas<br />

être assez “mainstream” ! Alors, nous avons décidé<br />

de promouvoir notre musique telle qu’elle est et nous<br />

verrons si cela fonctionne ou non. Nous<br />

autoproduisons nos albums, nous les dessinons nousmêmes,<br />

les enregistrons, les fabriquons, les vendons,<br />

les distribuons. Alors bien sûr c’est beaucoup moins<br />

rapide, mais les personnes que nous touchons de<br />

cette façon ne tombent pas amoureuses de notre<br />

musique sous l’effet d’une campagne de publicité,<br />

seulement parce que notre univers les a séduit d’une<br />

façon ou d’une autre. Nous ne savons pas jusqu’où<br />

nous irons, si un jour l’industrie nous aidera ou non,<br />

mais nous savons que les débuts se font seuls, que<br />

chaque nouveau fan ou chaque CD vendu représente<br />

déjà pour nous une grande chance.<br />

La plupart de vos chansons sont écrites et<br />

interprétées en anglais. Pourquoi ?<br />

C’est avant tout parce que nous avons d’abord eu<br />

plus d’écoute en Angleterre et en Allemagne avec<br />

notre premier EP que nous utilisons cette langue.<br />

Dans notre premier EP, il n’y a qu’une seule chanson<br />

qui contient un peu d’anglais. Si vous écoutez<br />

Ottocento, les parties anglaises qui s’y trouvent sont<br />

presque absolument toutes extraites de l’œuvre<br />

originale d’Alice au Pays des Merveilles. Pour tout le<br />

reste, nous restons des amoureux de la langue<br />

française, il serait trop dommage de la laisser de côté<br />

! La signification des chansons, les histoires et<br />

l’humour nous importent beaucoup. Nous avons<br />

énormément d’écoute à l’international. Nous envoyons<br />

des albums aux États-Unis et même au Japon. C’est<br />

pourquoi nous sommes partagés entre l’anglais et le<br />

français. Notre premier morceau, The Caterpillar<br />

mélangeait anglais et français, politesse et<br />

irrévérence, à l’image de ce chapitre d’Alice où la<br />

discussion avec la chenille se perd dans des jeux sur<br />

les bonnes manières. Ces paroles ouvrent notre<br />

album “That Is Not Said Right, Not Quite Right I’m<br />

Afraid” et parlent de la peur.<br />

Quelle est la chose qui vous fait le plus peur ?<br />

Ne pas avoir le temps de conquérir le monde.<br />

Une dernière chose à dire aux lecteurs de <strong>CRUMB</strong> ?<br />

Nous aimons vents et violons, piano et nuages. Il faut<br />

que nous rêvions pour ne pas oublier ce paysage.<br />

Nous sommes nés dans un train fou et voyageons<br />

avec des fantômes. Notre ombre va renaître car le<br />

passé nous éclaire. Bienvenue sur nos terres !<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié.


DOMINIQUE<br />

A<br />

Interview publiée le 17 mars 2012


« Dieu que cette histoire finit mal / On n’imagine jamais très bien / Qu’une histoire puisse finir si mal /<br />

Quand elle a commencé si bien ». Voilà vingt ans que ces quatre vers, relayés au grand public par<br />

Bernard Lenoir, vinrent discrètement nous chatouiller les oreilles. Dominique A et son Courage Des<br />

Oiseaux débarquèrent alors sur la scène française désinhibant bon nombre d’artistes voulant prendre la<br />

relève. De disque en disque, de scène en scène, Dominique A s’est renouvelé, devenant une référence<br />

en nous surprenant à chacune de ses étapes. A l’heure de la rétrospective, l’intégralité des ses albums<br />

est rééditée et bonifiée, alors qu’une tournée anniversaire passant par le Théâtre de la ville à Paris a pris<br />

fin à l’aube de la sortie de Vers Les Lueurs, son neuvième album attendu le 26 mars prochain. Derrière<br />

son micro, ses pas dansants syncopés voire spasmés, secs et gracieux, fouleront encore de nombreuses<br />

planches dès le mois prochain, pour notre plus grand plaisir, afin d’écrire une nouvelle page de sa déjà<br />

brillante carrière.<br />

Dominique, pour fêter vos vingt ans de carrière, vous<br />

ressortez tous vos CDs, dont les quatre premiers remasterisés.<br />

Cela vous tenez à cœur de retravailler le<br />

son de ces albums?<br />

Cela me tenait à cœur dans le sens où comme on<br />

ressortait tous les disques, je voulais que ce soit<br />

optimisé. J’avais vraiment envie d’en ressortir<br />

quelques-uns, surtout La Fossette, mais je n’espérais<br />

pas que tout le soit (rires). Cela a été difficile, suite à<br />

mon changement de maison de disque de EMI à<br />

Cinq7, puis finalement ils se sont entendus. Il y a<br />

également eu le hasard du calendrier avec la<br />

programmation au Théâtre de la Ville, à Paris,<br />

coïncidant avec les vingt ans du premier album. Cela<br />

me permettait d’envisager de rejouer le premier album<br />

sur scène, et donc de le reproposer remasterisé dans<br />

les bacs. Finalement par ricochets, tout est ressorti.<br />

En regardant ces rééditions et tous les bonus<br />

présents, on remarque que vous avez fait beaucoup<br />

de tris, vous auriez pu sortir quinze albums !<br />

C’est vrai, cela fait seize disques en tout. J’aime bien<br />

les ébauches et les versions de travail qui<br />

n’aboutissent jamais et restent en l’état. Il y a les<br />

disques officiels et des espèces de morceaux qui<br />

courent, qui s’agrippent, comme ces bonus. Au final,<br />

ces morceaux-là sont tout de même rattachés à des<br />

périodes, symbolisées par les disques. J’avais envie<br />

de les faire écouter. Le fait de tout ressortir<br />

aujourd’hui en magasin, implique de toute façon une<br />

politique de bonus. On peut être contre ou pas, moi je<br />

n’ai rien contre, du moment que ce n’est pas vendu<br />

trente euros. Il fallait que ce soit cohérent, que le<br />

disque bonus soit au moins aussi long que l’album<br />

original, et c’est le cas. Cette réédition m’a permis de<br />

vider le sac, Maintenant il n’y a plus rien à sortir, j’en<br />

suis débarrassé et vous aussi (rires).<br />

Le mois dernier j’ai réécouté La Fossette, chose que<br />

je n’avais plus faite depuis des années. Et j’ai éprouvé<br />

deux sensations inédites. La première j’ai souri, puis<br />

la seconde a été une réflexion sur le fait d’avoir sorti<br />

un album comme celui-ci fait maison, à cette époque.<br />

Vous avez ouvert des portes incroyables à de<br />

nombreux artistes. Comment avez-vous vécu cela il y<br />

a vingt ans ?<br />

Dans une inconscience totale. La démarche a été<br />

personnelle, mais tout de même dirigée. J’avais<br />

conscience que ce n’était pas dans la norme, mais en<br />

même temps j’étais persuadé du bien fondé de ma<br />

démarche. Par contre, de là à déclencher des déclics<br />

chez des gens, ce n’était pas mesurable. Je savais<br />

que cela pouvait plaire à des personnes qui étaient<br />

dans le même esprit que moi, mais je n’aurais pas<br />

pensé que cela puisse susciter des réactions tant<br />

extrêmes, aussi fortes. Aujourd’hui, à l’heure de la<br />

rétrospective, maintenant que les choses se sont<br />

décantées on se dit “Oui cela a ouvert des portes”,<br />

mais sur le moment ce n’était pas aussi clair.<br />

L’histoire se réécrit un peu a posteriori. Cet album ne<br />

s’est pas vendu par centaine de milliers, cela a été<br />

assez souterrain, très progressif, le bouche à oreille a<br />

très bien fonctionné. Au final, tout cela amène la<br />

dimension du disque culte, mais ce n’est que très tard<br />

que je m’en suis rendu compte.<br />

C’est comme Un Disque Sourd en bonus de La<br />

Fossette dans cette rétrospective. Cet album a un son<br />

incroyable avec le vinyle que l’on entend craquer,<br />

pourquoi ne pas l’avoir sorti à l’époque ?<br />

En fait, La Fossette est Un Disque Sourd abouti. Au<br />

départ Un Disque Sourd a été autoproduit et tiré à très<br />

peu d’exemplaires. Par la suite, Vincent Chauvier de<br />

Lithium (son premier label, ndlr), m’a contacté pour<br />

faire un disque. Je lui ai dit que je voulais sortir celuilà<br />

tel quel. Seulement, d’autres morceaux sont arrivés<br />

entre temps. A l’époque, il n’y avait pas lieu de<br />

ressortir un disque où la moitié des morceaux auraient<br />

été communs.<br />

Vous regrettez ce label indépendant qu’était Lithium ?<br />

Non pas du tout. Cela a été une belle histoire, assez<br />

passionnante d’ailleurs, parce que c’était un état<br />

d’esprit. Ce label avait une identité très forte. L’histoire<br />

lui a échappé, il n’a pas eu l’identité qu’il avait envie<br />

de se construire autour de la chanson française.


Vincent Chauvier voulait faire de la Noisy Pop. La<br />

Fossette a ensuite eu du succès et de fil en aiguille il<br />

a sorti pas mal d’artistes solos similaires à ce genre. A<br />

la longue, il en avait marre de cette image de label<br />

proposant de nouveaux chanteurs français. Au fond,<br />

cela ne l’intéressait pas. Le label a été imprégné de la<br />

personnalité de Vincent. Même sur mes disques et<br />

notamment les quatre premiers, des choix ont<br />

vraiment été faits, de par sa personnalité. Je ne peux<br />

pas dire que je regrette car à la fin on arrivait dans le<br />

mur où on se frittait sur les choix artistiques, mais cela<br />

a été très fructueux.<br />

Beaucoup d’artistes vous citent comme influence.<br />

Vous êtes une référence pour les acteurs de la<br />

chanson française, de la scène rock ou indé. Vous<br />

faites également parti d’une même scène globale, on<br />

pourrait dire. Je pense à Miossec, Cali, Yann Tiersen,<br />

entre autres. Christophe Miossec vous a même piqué<br />

votre groupe pour son très bon dernier album.<br />

(Rires) Oui c’est vrai, qu’un cercle s’est créé. Bon<br />

cette fois-ci cela en devenait quand même un peu<br />

grotesque. Le groupe est parti enregistrer avec<br />

Miossec sans trop m’en avoir parlé ; je l’ai un peu mal<br />

pris. En même temps je ne les salarie pas, il n’y a pas<br />

de contrat d’exclusivité. Ce groupe composé de David<br />

Euverte, Thomas Poli et Sébastien Buffet a été<br />

constitué sur ma tournée précédente et un son de<br />

groupe s’est créé sur celle-ci. J’avais envie de<br />

continuer avec eux. Ensuite ils ont eu envie de faire<br />

des choses avec Miossec, j’ai rien à dire, simplement,<br />

ce que je disais à Christophe,- et on s’est expliqué à<br />

ce niveau-là, c’est que l’on s’est déjà tellement<br />

rapproché l’un de l’autre que si en plus on tourne avec<br />

les mêmes musiciens, hormis les problèmes<br />

d’organisations, cela ne peut être sain. Après ce qu’ils<br />

ont fait sur l’album de Miossec a une identité, qui n’est<br />

pas forcément celle qu’il y aura sur mon prochain<br />

disque. Donc pour moi il n’y a pas de souci, du<br />

moment qu’on ne tourne pas en même temps. C’est<br />

tout le problème, justement, pour rejoindre ta<br />

question, d’appartenir à une même scène.<br />

Pour continuer à parler de cette scène justement,<br />

vous aviez d’ailleurs failli monter un groupe avec<br />

Philippe Katerine plus jeune ?<br />

Oui, on avait créé un petit truc tous les deux, on faisait<br />

cela chez lui, il habitait encore chez ses parents. On<br />

avait fait des enregistrements quatre pistes, qui ont<br />

donné trois-quatre morceaux débiles, assez marrant<br />

d’ailleurs. C’était surtout un truc d’amitié.<br />

Un mot sur la tournée événement-anniversaire. Cela<br />

se passe bien ?<br />

Oui très bien. On propose une relecture à trois (piano,<br />

guitare, synthé, voix, ndlr) de La Fossette, avec très<br />

peu de boîtes à rythmes contrairement au disque<br />

original. C’est assez épuré, mais cela fonctionne<br />

plutôt bien. La deuxième partie est réservée<br />

exclusivement aux nouvelles chansons, on est dix sur<br />

scène dont un quintet à vents. C’est à la fois très<br />

électrique et arrangé, assez ample en fin de compte.<br />

Les gens viennent voir un double truc, c’est assez<br />

marrant.<br />

Ce n’est pas vraiment une tournée, car c’est une<br />

formule qui est très lourde. Onze musiciens plus cinq<br />

techniciens, cela fait seize personnes sur la route,<br />

pour des soucis de logistiques on est davantage sur<br />

des dates événementielles. On fait cinq dates en<br />

janvier juste après avoir enregistré l’album. Début<br />

février nous mixons et l’on ne rejouera pas avant fin<br />

mars, début avril.<br />

D’ailleurs, quelle sera l’ambiance de ce nouveau<br />

disque ?<br />

Il y aura le groupe rock de base, plus un bassiste, un<br />

américain excellent, Jeff Hallam. Nous avons mis<br />

l’accent sur le quintet à vent (hautbois, cor anglais,<br />

clarinette, clarinette basse, et flûte, ndlr). Les<br />

arrangements ont été faits par David Euverte aux<br />

claviers. Je lui ai remis les guitares-voix, je voulais<br />

vraiment travailler sur le mélange électrique et<br />

acoustique, du coup on s’est basé sur un quintet à<br />

vents pour l’accompagnement. Une fois les<br />

arrangements fait à partir de mes guitare-voix, on a<br />

travaillé tous ensemble, électrique plus acoustique. Il<br />

y a vraiment eu un travail autour du quintet, et<br />

harmoniquement c’est assez riche, très coloré.<br />

Beaucoup de chansons sont accès sur le thème de la<br />

lumière, avec une approche un peu moins urbaine.<br />

En contraste avec Remué ?<br />

Oui, c’est un peu plus rural (rires). Il y a beaucoup de<br />

chansons sur la campagne, comme un cadre<br />

rupestre. C’est quelque chose qui est à la fois<br />

énergique, tenu, mais avec beaucoup d’éléments<br />

mélodiques et harmoniques. Nous avons enregistrés<br />

dans des conditions qui s’apparentent à du live. Avec<br />

le groupe de base on a fait les prises de cette façon,<br />

cela nous a permis de transmettre une nouvelle<br />

énergie et le quintet est venu se greffer par-dessus.<br />

C’est quelque chose de nouveau pour vous en studio,<br />

d’enregistrer en live.<br />

Oui. Je crois que le disque va sonner de manière<br />

différente. Tout sera comme avant, assez boursouflé.<br />

Je voulais retenter quelque chose dans ce genre là,<br />

mais sans les boursouflures, avec un côté immédiat,<br />

sans aucunes bricoles ou bidouillages sur Pro Tools.<br />

A la base, sur celui-ci on devait enregistrer en live<br />

total, pour être au plus proche de ce que l’on fait<br />

actuellement sur scène. Au Théâtre de la Ville, ce que<br />

l’on va jouer, ce sera le son de l’album. Il y a un truc<br />

très direct. L’écriture est assez ambitieuse en terme<br />

d’arrangements, il fallait alors que ce soit très<br />

immédiat, et c’est cela qui marche.<br />

Ce sera toujours Dominique Brusson au son?<br />

(Collaborateur, co-producteur ou mixeur des albums<br />

de Dominique A depuis 1999 et l’album Remué, et<br />

ingénieur du son des lives, ndlr)<br />

Oui, comme c’est lui qui fait le live, c’était évident que<br />

pour ce disque ce soit encore lui. On travaille bien, il y<br />

a vraiment un ping-pong entre lui et moi. Il y a un<br />

rapport de complicité dans la production que j’aime. Si<br />

aujourd’hui on me dit de travailler avec un autre<br />

producteur, cela ne m’intéresse pas. C’est un truc que<br />

l’on a développé ensemble sur des années, que moi


j’adore. Comme les projets changent et évoluent, c’est<br />

passionnant. Tant que cela ne ronronne pas, tant que<br />

l’on sent que l’on va sur des terrains différents, il n’y a<br />

pas de raison d’arrêter la collaboration, au contraire.<br />

Pour ce neuvième opus, qu’est-ce qui a déclenché<br />

l’écriture et la composition? Un moment particulier?<br />

Comme votre voyage au Groenland qui a provoqué<br />

l’album L’horizon par exemple.<br />

Il y a quelque chose de terre à terre qui s’est imposé.<br />

Il était hors de question pour moi de rejouer La<br />

Fossette en live pour ces concerts événements, sans<br />

seconde partie originale. J’y suis allé un peu à tâtons,<br />

je n’avais pas vraiment d’envie particulière, si ce n’est<br />

dans les textes d’avoir une approche un peu plus<br />

différente, moins urbaine. Le thème de la lumière est<br />

venu assez rapidement, et cela a été très évolutif. J’ai<br />

du me tenir à une certaine simplicité. Je ne voulais<br />

pas que l’ambition des arrangements ne parasite la<br />

simplicité de l’écriture.<br />

Avez-vous déjà eu envie d’associer votre musique à<br />

d’autres arts ? Cinéma ? Théâtre ? Littérature ?<br />

Non, pas encore. Par contre, j’ai écrit un petit bouquin<br />

en prose qui paraîtra chez Stock en mai, qui est<br />

autobiographique et lié au rapport qu’on entretient<br />

avec l’idée de l’enfance. Il s’appelle Y revenir. C’est<br />

mon unique incursion hors chansons. Dernièrement<br />

on m’a demandé d’intervenir pour le théâtre sur un<br />

projet intéressant. Un jeune metteur en scène rennais<br />

a envie de travailler sur un texte de Marina Tsvetaeva,<br />

qui est une poétesse russe du début du XXème<br />

siècle. Elle a eu une destiné incroyable. J’ai fait une<br />

chanson sur ce personnage il y a quelques années.<br />

Par ce biais là il m’a contacté, et il aurait aimé mettre<br />

en scène un texte qui est réputé pour être quasiment<br />

impossible à monter. J’ai bien aimé son discours, la<br />

pièce à l’air passionnante. En ce moment, je n’ai pas<br />

le temps de me plonger dans des aventures comme<br />

cela, mais dans le futur pourquoi pas.<br />

J’ai essayé de faire des musiques de films par le<br />

passé. Je n’ai pas aimé la démarche, le rapport à l’art,<br />

le langage différent. J’ai besoin de me sentir en<br />

interaction avec un texte. Faire de la musique<br />

indépendamment d’un travail sur l’écriture m’intéresse<br />

moins, je me sens moins légitime, pas suffisamment<br />

armé.<br />

Pouvez-vous nous dire ce qu’il tourne en ce moment<br />

sur votre platine ?<br />

Les derniers trucs que j’ai écouté et aimé, ce sont<br />

deux disques sortis par un label Suisse que j’aime<br />

vraiment bien. Le label s’appelle Two Gentlemen. Le<br />

premier CD a pour nom General Thoughts And Tastes<br />

et le groupe Honey For Petzi. Petzi comme l’ours des<br />

BD, c’est du math-rock assez mélodique avec un<br />

super son. Sur le même label, j’ai beaucoup apprécié<br />

un artiste qui s’appelle Fauve, c’est son deuxième<br />

album Clocks ’N’ Clouds, et il est vraiment brillant,<br />

mélange de Sufjan Stevens, et David Sylvian dont il<br />

s’est beaucoup inspiré, les chansons sont excellentes.<br />

Ce sont les derniers sons récents que j’ai vraiment<br />

aimé et que j’ai surtout pris le temps d’écouter.<br />

Et sur votre table de chevet qu’est-ce qu’il traîne ?<br />

Je lis plusieurs livres à la fois. Je suis en train de lire<br />

Les Solidarités Mystérieuses de Pascal Quignard, je<br />

n’avais jamais rien lu de cet auteur, j’aime bien le<br />

style. J’ai aussi commencé un bouquin qui s’appelle<br />

Le Pilon de Paul Desalmand, c’est un bouquin assez<br />

marrant. C’est un livre qui parle de sa vie de livre.<br />

C’est un exercice de style mais qui est plutôt pas mal,<br />

on sait déjà qu’il va finir au pilon (rires), mais cela<br />

parle du rapport à la culture, à la littérature. Je l’ai<br />

dans la poche, je l’ai acheté par hasard, j’aime bien<br />

piocher comme cela dans les librairies. (Il va le<br />

chercher dans sa veste pour me le faire feuilleter). J’ai<br />

également acheté un bouquin dont j’avais entendu<br />

parler, mais je ne sais pas si je vais avoir le courage<br />

de le lire. Il s’appelle La Traversée de la France à la<br />

nage de Pierre Patrolin, chez P.O.L, cela fait 700<br />

pages, et c’est un mec qui se baigne dans tous les<br />

fleuves de France (rires). C’est assez contemplatif et<br />

naturaliste, mais cela a vraiment l’air super bien.<br />

Vous avez parlé de l’enfance tout à l’heure, et avec<br />

toute votre actualité (Rétrospective dans les bacs,<br />

rejouer La fossette sur scène, votre bouquin Y<br />

revenir), j’ai envie de vous demander si vous êtes<br />

nostalgique ?<br />

Non, je ne crois pas. Je pense être honnête en disant<br />

cela, mais il n’y a pas d’autres périodes où j’aimerais<br />

être en dehors de celle-ci. Aujourd’hui ne me semble<br />

pas moins enviable qu’hier, aucunement. Par contre,<br />

j’aime le rapport assez franc avec le passé, qui n’est<br />

pas un rapport de fuite mais une sorte de régurgitation<br />

de ce que l’on a vécu, de ce que l’on vit, qui nous<br />

permet d’appréhender l’avenir avec plus d’armes. Je<br />

suis donc dans une régurgitation volontaire et<br />

permanente, mais je ne suis pas dans le regret. Je ne<br />

lamente pas mon enfance, je ne la magnifie pas non<br />

plus, je ne l’idéalise pas. Les beaux moments je les<br />

garde, comme chacun, comme des trésors. Mais<br />

quand c’est fini, c’est fini.<br />

Pour beaucoup, nostalgie rime avec blessures et<br />

souffrances, comme quelque chose qui ronge.<br />

J’adore le rapport avec le passé, celui au temps. Les<br />

gens croient que je suis passéiste, puis là je fais un<br />

bouquin qui s’appelle Y revenir. Mais c’est simplement<br />

une digestion des choses, d’acceptations, et de toutes<br />

ces choses qui permettent d’asseoir le présent et le<br />

jour d’après. Si tu ne construis pas ton passé, il va te<br />

rattraper et te pourrir la vie. Pour moi le passé est une<br />

construction tout comme le souvenir. Ce sont des<br />

thèmes qui me passionnent, même si je ne les pas. Je<br />

n’ai pas l’impression que ce soit par volonté de revivre<br />

ce que j’ai vécu. Mêmes les meilleurs moments de ma<br />

vie, je parle notamment des rencontres amoureuses,<br />

et bien je peux te dire que je préfère faire une<br />

interview avec toi là maintenant, pour <strong>CRUMB</strong>, plutôt<br />

que de revivre cela.<br />

Propos recueillis par Aurélien Lovalente<br />

Photo : Pauline Darley, assistée de Maxime<br />

Stange, pour Crumb<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


BLEU<br />

by Johann Bouché-Pillon


Série photo publiée le 27 janvier 2014<br />

Johann Bouché-Pillon est un photographe plasticien parisien à l’univers visuel riche. Après des débuts en graffiti au cours<br />

desquels il développe son goût pour l’expressionnisme et la transgression, il s’achemine vers une œuvre plus minimaliste.<br />

Patient, méticuleux, accompagné de ses fidèles appareils analogiques, l’artiste -inconditionnel de cinéma de la Nouvelle<br />

Vague- crée puis photographie, tour à tour, donnant ainsi à ses travaux l’allure de véritables performances. Pour Crumb, il<br />

dévoile aujourd’hui “Bleu”, une série inédite.<br />

.


THE DØ<br />

Interview publiée le 19 mars 2011<br />

Dan & Olivia ont envahi les ondes en 2008 avec On My Shoulders. Le couple franco-finlandais fusionnel<br />

et multi-créatif a depuis sorti un second album, Both Ways Open Jaws. Comme un nouveau chapitre écrit<br />

sur des orchestrations méticuleusement soignées. Nous rencontré Olivia.<br />

Votre nouvel opus est encore plus créatif et riche que<br />

le précédent… Comment l’avez-vous appréhendé et<br />

travaillé ?<br />

Dan a une manière amnésique de travailler. Il est<br />

dans l’oubli permanent de ce qui vient de se passer,<br />

de ce qui vient d’être réalisé et du coup, il était dans<br />

un système de création permanente. Je pense que<br />

c’est en rapport avec toutes les musiques qu’il écoute,<br />

qu’elles soient improvisées ou contemporaines. A<br />

quinze ans il écoutait Boulez (Pierre Boulez, ndlr) et<br />

toujours aujourd’hui d’ailleurs. Ce n’était pas du tout<br />

structuré dans sa tête, alors que, de mon côté, j’ai<br />

essayé de faire en sorte que ça le soit. J’ai bien dit «<br />

essayé ». Au final, cela a donné Both Open Jaws…<br />

L’album recèle une part de cinématographie que<br />

n’avait pas forcément le premier…<br />

Dans la texture, les arrangements et les couleurs, oui.<br />

Cela fait partie du travail de Dan, de son obsession à<br />

vouloir donner à chaque morceau une vraie identité.<br />

Je pense que l’on peut considérer cet album comme<br />

un « long métrage » dans le sens où il apparaît<br />

comme beaucoup plus cohérent que le premier, qui<br />

était lui, dans une veine déstructurée. A Mouthful<br />

aurait pu être un recueil de courts-métrages.<br />

Un long-métrage ici, qui reprend me semble t-il,<br />

l’imagerie de contes pour enfants…<br />

C’est possible, oui. Nous avons beaucoup regardé de<br />

films pendant l’enregistrement. Je pense que cela<br />

nous a vraiment inspiré, notamment un film japonais<br />

de 1964 : Onibaba, de Kaneto Shindô. J’ai lu un<br />

article dessus, d’ailleurs, qui disait « Onibaba se<br />

ressent plus qu’il ne se critique ». Ca le décrit très<br />

bien. Il y a de la poésie, de la violence, de la magie.<br />

C’est l’histoire de deux femmes qui vivent seules au<br />

milieu des roseaux en temps de guerre. Des soldats<br />

se perdent dans ce champ et elles les tuent parce<br />

qu’elles n’ont pas d’argent. Elles vont revendre leurs<br />

vêtements, leurs armes, leurs armures et le tout<br />

devient une super histoire. Et puis, surtout, il y a toute<br />

cette imagerie autour du masque…<br />

Ce masque qui engendre un rapport totalement<br />

personnel, presque intime avec vos chansons…<br />

Je ne peux pas l’imaginer autrement ! C’est la raison<br />

pour laquelle j’ai encore un peu de mal à en parler.<br />

J’ai affronté beaucoup de démons et mis en forme<br />

certains mots que je n’utilisais jamais, j’ai essayé de<br />

combattre beaucoup de peurs dans cet album. Dan<br />

aussi. Je crois bien que nous sommes un duo de<br />

peureux.<br />

De quoi avez-vous peur ?<br />

J’ai eu peur du noir pendant longtemps. Je crois que<br />

j’ai gardé quelques traces de mes traumatismes. A<br />

vrai dire, j’ai peur un peu de tout. Il y a un côté très<br />

sombre sur cet album sauf sur Bohemian Dances<br />

précisément où l’on ressent beaucoup plus<br />

d’insouciance et de légèreté. Quoi qu’il en soit, j’aime<br />

l’idée que cet album soit hanté.<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


SOKO<br />

Interview publiée le 16 mai 2012<br />

S.O.K.O. Quatre lettres qui vous rappelle à hier lorsque vous fredonniez peut-être sans le savoir son<br />

fameux « I’ll Kill Her ». Mais Soko c’est surtout une adulescente avec des brouillons dans la tête et au<br />

coeur, des vidéo-clips images inspiration enfance tournées façon 8mm. Musicalement, un genre ovni<br />

dirait-on ou bien alien, au choix. Pas forcément avenante, pas forcément sympa. Mais des trucs à livrer et<br />

révéler. Premier album. Premiers mots pour <strong>CRUMB</strong>.<br />

Comment qualifierais-tu ce premier album ?<br />

Je voulais que cet album soit très intime, honnête et<br />

touchant. Un ensemble vrai, intense et un peu<br />

dreamy. Les chansons sont pour moi comme des<br />

secrets racontés.<br />

Un peu journal intime ?<br />

Oui, parce que tout ce que j’écris, je l’ai vraiment<br />

vécu. Je ne me verrais pas du tout monter sur scène<br />

et raconter des histoires fausses ou des trucs<br />

inventés.<br />

On sent dans tes chansons le besoin de parler d’un<br />

certain mal-être…<br />

J’ai vraiment ce truc débile d’artiste torturé qui ne peut<br />

écrire que quand il ne va pas bien. J’imagine que c’est<br />

cliché mais ça transparaît forcément. Je suis tout le<br />

temps un peu up and down et les chansons que<br />

j’écoute ne sont pas très joyeuses donc. J’ai écris<br />

beaucoup de paroles sur la dépression et le suicide.<br />

Et tu penses qu’un jour tu pourrais parler de tes joies<br />

aussi ? Que ça t’inspirerait ?<br />

Je ne sais pas. Je crois que je suis un peu trop<br />

torturée pour ça.<br />

Dans tes vidéos et tes textes, tu as un fort rapport à<br />

l’enfance, c’est une source d’inspiration très<br />

importante ?<br />

J’ai un vrai côté nostalgique. J’ai grandi trop vite et<br />

voulu être une adulte trop tôt. Je suis partie de chez<br />

mes parents à 16 ans et à 20 ans j’avais l’impression<br />

d’être une mamie, d’avoir déjà tout fait. Si je restais là,<br />

immobile, j’allais stagner et ma vie allait être<br />

misérable. J’ai fait une espèce de crise<br />

d’adolescence, du genre bombe à retardement.<br />

J’avais envie d’être complètement sans attaches,<br />

insouciante et vivre un peu comme un enfant.<br />

Hook, est mon film préféré. Je pense que quand on<br />

sait cela de moi, on sait beaucoup de choses. C’est<br />

vraiment important pour moi de ne pas perdre l’enfant<br />

que l’on était, de pouvoir encore s’amuser, voler et<br />

aller au pays imaginaire si on en a envie.<br />

Et ce premier album, c’est ton bébé ?<br />

Oui ! À chaque montée de chaque petite marche,<br />

j’avais envie d’y arriver toute seule. Je voulais pouvoir<br />

jouer de tous les instruments, faire tous les<br />

arrangements, être à fond dans la production, réaliser<br />

mon artwork, faire mon site web, tourner mes vidéos.<br />

Pour moi, c’est un ensemble ! Le truc le plus flippant,<br />

ce serait d’être un produit contrôlé par d’autres. J’ai la<br />

chance que l’on me laisse faire un peu ce que je veux.<br />

Donc j’en profite et je contrôle tout !


Et sans perdre ce pouvoir-là, tu as tout de même<br />

collaboré avec des artistes à L.A. ? Comment ça s’est<br />

passé, et avec qui ?<br />

À L.A., il y a une vraie scène musicale indé et quand<br />

on joue un peu là-bas, on rencontre vite tout le<br />

monde. Stella de Warpaint, une de mes super potes,<br />

a fait des guitares sur mon album. Harper Simon, le<br />

fils de Paul Simon, a aussi joué de la guitare vingt<br />

secondes sur un morceau. C’était très spontané,<br />

j’habitais à Echo Park, j’avais une grande maison<br />

avec un studio, les gens passaient prendre le thé tout<br />

le temps et on faisait de la musique.<br />

Tu as aussi collaboré avec Alexander Ebert… (album<br />

solo Alexander sorti en 2011 et chanteur du groupe<br />

Edward Sharpe and the Magnetic Zero, ndlr)<br />

On peut dire que c’était une collaboration en quelque<br />

sorte. Pas musicalement, mais c’était mon amoureux.<br />

Il m’a aidée de manière différente, à choisir les<br />

chansons de l’album, à faire le séquençage. Nous<br />

étions séparés quand je finissais l’album mais il a<br />

vraiment été d’un soutien incroyable. Et quand j’avais<br />

arrêté de faire de la musique pendant un an, parce<br />

que je ne supportais plus et que je ne m’en sortais<br />

pas avec mon album, c’est lui qui m’a motivée à m’y<br />

remettre.<br />

Tu a écris cet album depuis un bout de temps et il est<br />

prêt depuis juin 2011. Comment te sens-tu depuis la<br />

sortie ?<br />

J’ai été complètement en énorme dépression et je<br />

suis sous antidépresseurs depuis un mois. Voilà<br />

comment je me sens.<br />

…<br />

Je ne m’étais jamais dit, en écrivant, que les gens<br />

allaient écouter. Dans la vie, tu n’as qu’une chance<br />

pour faire un truc une première fois ; ça y est, cette<br />

première fois est passée, qu’est-ce que je fais après ?<br />

Tu commences à réfléchir à tes projets futurs ?<br />

Je fais peut-être un film cet été et je vais à LA dans<br />

quatre jours pour faire une autre vidéo et mixer.<br />

Que tu vas aussi réaliser ?<br />

Oui.<br />

Toujours avec un iPhone ?<br />

Oui, avec l’application 8mm.<br />

Est-ce que tu penses ou travailles déjà à d’autres<br />

projets musicaux ?<br />

J’ai déjà deux autres albums prêts, oui, que j’ai juste à<br />

mixer. J’écris et je fais de la musique tous les jours. Je<br />

suis une grosse « music nerd ». Le premier truc que je<br />

fais quand je me réveille le matin c’est mettre la<br />

musique et le dernier truc c’est éteindre la musique.<br />

C’est ma vie.<br />

Quels sont les albums qui tournent en ce moment<br />

dans ton iPod/iPhone ?<br />

Le nouveau Perfume Genius, quelques chansons du<br />

nouveau Baxter Jury, le dernier The Tallest Man On<br />

Earth, le dernier Kurt Vile, que j’écoute depuis un an…<br />

Le dernier Deerhunter dont je ne me lasse pas…<br />

Pas d’influences plus anciennes, depuis l’enfance par<br />

exemple ?<br />

J’ai Odyssey and Oracle des Zombies, qui est un de<br />

mes albums préférés. Leonard Cohen, Paul Simon,<br />

qui sont des génies…<br />

Tu as aimé le dernier album de Leonard Cohen ?<br />

Je n’ai pas vraiment écouté. A vrai dire, j’ai un peu<br />

peur…<br />

Ton meilleur souvenir musical à L.A. ?<br />

Monsters of Folk au Greek Theater. Tous mes<br />

musiciens préférés dans le même groupe : M.Ward,<br />

Conor Oberst et le mec de My Morning Jacket.<br />

Y-a-il une question que tu aurais aimé qu’on te pose<br />

en particulier ?<br />

Moins on m’en pose, mieux je me porte.<br />

J’en ai encore quelques unes pour toi. Dans la<br />

chanson I Just Want to Make it New with You, on<br />

dirait presque que tu conclues un genre de pacte avec<br />

tes fans. Est-ce que tu avais peur de les décevoir<br />

après ta longue absence ?<br />

Je n’ai pas du tout écrit cette chanson pour cela. J’ai<br />

écris cette chanson pour un mec dont j’étais<br />

complètement amoureuse et qui fait de la musique<br />

très différente de la mienne. On s’était dit tous les<br />

deux que dès qu’on découvrirait la musique de l’autre,<br />

on serait tellement déçus, on allait se détester et<br />

jamais s’aimer. Donc toutes les paroles « You’ll<br />

Discover Me From My Songs, My Heartbreaks And<br />

Fears And Depression », c’était un peu « tu vas<br />

découvrir toutes les pires facettes de moi dans mes<br />

chansons et après tu vas me détester » !<br />

Quelles paroles de tes chansons te résumeraient le<br />

mieux tu penses ?<br />

« We Might Be Dead By Tomorrow ».<br />

Textes et propos recueillis par Elsa Launay,<br />

assistée de Charline Buda<br />

Photographie : Diane Sagnier


BARBARA<br />

CARLOTTI<br />

Interview publiée le 17 mai 2012<br />

L’heure de l’ascension a sonné pour Barbara Carlotti. Avec son nouvel album « L’Amour, l’Argent et le<br />

Vent », la chanteuse de 37a ns, au long parcours, sème des mots d’amour sur la scène musicale et vu<br />

l’engouement du public qui l’accueille bras ouverts l’argent ne devrait pas être loin, manque encore le<br />

vent. Ou pas. Il y en avait ce jour-là à l’hôtel Amour, à Paris où nous lui avions donné rendez-vous, en<br />

évitant de parler d’Argent.<br />

Tu as produit tes deux précédents albums sur un label<br />

anglais. Aujourd’hui, tu sors un nouvel album chez<br />

Atmosphériques, un label partenaire que l’on aime<br />

beaucoup. Pourquoi ce choix ?<br />

L’équipe du précédent label chez qui j’étais a changé.<br />

Les gens avec qui j’avais signé n’étaient plus là, ce<br />

n’était plus ceux qui avaient aimé et défendu mon<br />

projet. Il y avait comme une distance, de fait. J’ai donc<br />

décidé de partir. Ma manageuse et moi avons cherché<br />

un label en France et la suite de l’histoire s’écrit donc<br />

chez Atmosphériques.<br />

D’ailleurs, dans ce dernier album tu chantes<br />

exclusivement en français…<br />

Oui. C’est finalement dans cette langue que je<br />

travaille mieux. Quand j’écrivais des chansons en<br />

anglais, c’était généralement pour le fun. Je suis, bien<br />

évidemment plus à l’aise avec le français. Je peux<br />

développer davantage les choses il me semble.<br />

Tu as récemment voyagé en Inde au brésil au japon…<br />

une quête d’inspiration ?<br />

A peu près, oui. Le Brésil est le point de départ de ma<br />

chanson L’amour, l’Argent et le Vent. C’est sûrement<br />

celle qui a la plus forte empreinte. Le but de ces<br />

voyages était surtout d’essayer de s’imprégner<br />

d’endroits différents, de m’accrocher à d’autres<br />

repères. Ça m’a permis de porter une attention<br />

particulière à la musique, de développer des couleurs<br />

de sons que je ne connaissais pas. Mais c’est surtout<br />

un contexte d’écriture en fait, comment ailleurs on<br />

réagit dans un environnement et comment ça joue sur<br />

la manière d’aborder les choses.<br />

Justement on perçoit quelque chose de fort dans ton<br />

écriture. Tu cites très souvent Baudelaire ou Verlaine<br />

qui sont de grands mélancoliques. Te considères-tu<br />

comme telle ?<br />

Ce que j’aime chez Baudelaire c’est les thèmes qu’il


aborde, après oui il y a une forme de mélancolie en<br />

filigrane, cela va de soi. Je pense que la chanson a<br />

intrinsèquement quelque chose d’introspectif. A<br />

l’intérieur se développe la mélancolie. Mais pas que,<br />

je ne crois pas. Il y a aussi de l’humour, de la distance<br />

et de la légèreté, c’est un mélange de pleins de trucs.<br />

Les références à Baudelaire viennent du fait qu’ils<br />

abordent des thèmes qui me sont chers, comme<br />

l’invitation au voyage tout simplement.<br />

Tu signes un duo avec Philippe Katerine (lire interview<br />

page 137), qui me semble avoir une personnalité<br />

relativement opposée à la tienne. Pourquoi cette<br />

collaboration ?<br />

Avec Philippe on s’est rencontré sur mes premiers<br />

concerts, je l’ai croisé dans un festival à Rennes, il y a<br />

huit ans, je ne sais plus. On est resté amis. J’adore<br />

son côté exubérant, drôle plein d’humour un peu<br />

décalé et en même temps je trouve que c’est un super<br />

musicien qui écrit des mélodies magnifiques et ça fait<br />

longtemps qu’on se dit qu’il fallait que l’on fasse une<br />

chanson ensemble. On s’est retrouvé en soirée, on a<br />

écrit des cadavres exquis et on les a conclus en<br />

chanson. Voilà comment cela s’est fait.<br />

Cet album, qu’a-t-il de plus que tes précédents ?<br />

Je pense qu’il est plus affirmé, plus direct en fait. Les<br />

rythmiques sont plus denses. Il y a, en tout cas<br />

quelque chose de plus libre, un je-ne-sais quoi de plus<br />

libre, voilà.<br />

Qu’attends-tu du public vis-à-vis de la réception de cet<br />

opus ?<br />

(Elle ouvre grand les yeux) Qu’il m’adore enfin !<br />

(Rires). Enfin, surtout de faire des concerts et de<br />

pouvoir partager des moments avec tous ceux qui<br />

m’écoutent. Et puis la scène, monter un beau<br />

spectacle, avec des lumières un déroulement entres<br />

les chansons, une vraie histoire, que ce soit encore<br />

plus vivant que sur l’album.<br />

Si tu devais choisir un morceau, ce serait lequel ?<br />

Je suis incapable de choisir. J’aime un milliard de<br />

trucs dans le monde. Pour moi le titre le plus affectif<br />

c’est « Quatorze Ans ». En même temps quand on<br />

écrit c’est difficile de choisir. Il y a une raison pour<br />

tout.<br />

Tu aurais aimé vivre à une autre époque ?<br />

Non, je ne suis pas une nostalgique dans l’âme mais<br />

on vit une époque où les choses sont difficiles. Avec<br />

la crise économique, en tout cas celle que l’on nous<br />

vante, partout, dans les médias, on sait que les<br />

choses sont difficiles, notamment par rapport aux<br />

disques. J’ai tout de même mis deux ans à trouver un<br />

label qui veuille bien de moi. Il y a quelques années<br />

Aujourd’hui, internet a pris le relais. On est dans une<br />

période de transition, qui demande de s’adapter. Ça<br />

demande à réfléchir aussi, de se poser des questions,<br />

notamment sur ce que l’on vit, ce que l’on s’apprête à<br />

vivre et ce que l’on a envie de vivre !<br />

« Les Choses Importantes De La Vie » renvoie<br />

d’emblée au titre de ton album « L’Amour, l’Argent et<br />

le Vent ». Quand tu dis « Vent » est ce que cela veut<br />

dire que finalement l’amour et l’argent ne sont<br />

qu’éphémères ?<br />

Cela peut être une des lectures, en effet. Dans ces<br />

trois choses, il y a une valeur, un élément et un<br />

sentiment. C’est impalpable, cela nous traverse, c’est<br />

toujours avec nous. Un vent s’il est trop fort peut faire<br />

des ravages. C’est à peu près pareil si on se<br />

préoccupe trop de l’argent ou de l’amour. Ca<br />

bouleverse tout. Ce titre, c’est une manière poétique<br />

de mettre en perspective tout cela.<br />

Certaines critiques trouvent et jugent tes textes<br />

particulièrement tristes et mélancoliques… Quel est<br />

ton regard là-dessus ?<br />

Il n’y a pas que des choses tristes. Je pense qu’écrire<br />

des chansons permet de mettre les choses à<br />

distance, des choses que l’on n’exprime pas<br />

forcément publiquement. Mais il y aussi des clins<br />

d’œil, de l’ironie. Mes chansons sont un rapport à la<br />

vie. Elle n’est pas tout le temps gaie, ni tout le temps<br />

joyeuse. On n’est pas toujours heureux d’exister.<br />

L’exprimer en mots, dans des textes permet<br />

d’immortaliser ces instants de vie et finalement de<br />

mieux s’en débarrasser.<br />

Dans une de tes chansons « Ouai Ouai Ouai », tu<br />

parles d’une icône des années 60, ça m’a fait penser<br />

au titre Ava…<br />

Cette chanson, elle aurait pu parler de Lana del Rey<br />

(rires). Non mais elle m’a inspirée un personnage<br />

totalement fictif. Ca m’amusait d’imaginer quelqu’un.<br />

En l’occurrence une jeune fille superficielle qui<br />

pourrait être mal menée, un peu perdue, qui passe<br />

ses nuits en boite de nuit mais qui est un peu fragile<br />

aussi.<br />

C’est en effet un hommage pur à Lana Del Rey (rires).<br />

Il paraît qu’elle a des rituels assez superficiels<br />

d’ailleurs avant de monter sur scène. Tu en as toi ?<br />

Oui. J’ai toujours un trac de malade avant d’y aller, de<br />

monter sur scène, d’affonter le public, de chanter.<br />

Avec mes musiciens on fait le check des « Chivers »<br />

qui est tiré du film « Steak » de Quentin Dupieux.<br />

C’est super débile mais ça marche ! (Rires).<br />

Propos recueillis par Camélia Mohamed


BERTRAND<br />

BELIN<br />

Interview publiée le 20 novembre 2010


Bertrand Belin est un artiste. Avec un grand A. Il nous livre avec son troisième album un écrin musical<br />

sublimé par des textes dont lui seul a le secret. Rapport au voyage, tempo épuré, mélodie minimaliste<br />

mais soignée : son univers intrigue. Comment pouvait-il nous en parler ? Simplement en évoquant la<br />

notion de « territoire ». Un album à traverser et découvrir, comme une nouvelle contrée, chargée<br />

d’histoires et de sentiments. Et puis, Bertrand Belin nous parle de son rapport à la voix, à la littérature et à<br />

la scène française… Et l’on resterait des heures à l’écouter parler.<br />

A la première écoute de l’album j’ai cru entendre<br />

Bashung. C’est peut-être une chose que l’on vous<br />

répète souvent et je ne vais pas déroger à la règle : A-<br />

t-il eu une influence sur votre travail ?<br />

Et bien je dirais que la ressemblance je ne peux pas<br />

la nier mais je ne la vois pas vraiment. Je ne suis pas<br />

particulièrement influencé par Bashung plus que par<br />

d’autres mais il y a peut-être dans notre rapport au<br />

texte quelque chose qui nous rapproche. J’ai, comme<br />

lui, des chansons qui n’offrent pas une réelle clarté<br />

narrative. Après, s’il s’agit d’une ressemblance dans<br />

le timbre de la voix, je n’en sais trop rien.<br />

Dans votre rapport au timbre vocal justement, y a-t-il<br />

eu des voix emblématiques, particulières du paysage<br />

musical ou cinématographiques, qui vous marquent,<br />

vous ont marqués, inspirés ?<br />

Oui. Beaucoup m’ont inspirés. Pas forcément<br />

d’ailleurs dans une approche de mimétisme ou<br />

d’imitation. Par exemple, j’aime beaucoup Caetano<br />

Veloso. Je trouve qu’il y a chez lui, dans sa voix,<br />

quelque chose qui me touche. J’aime énormément les<br />

voix masculines. Je pourrais citer aussi Rodolphe<br />

Burger. Leurs univers sont très opposés mais c’est<br />

quelque chose qui a à voir avec un ancrage dans le<br />

sol, un chant qui transmet une certaine humanité…<br />

Dans vos textes on retrouve souvent une part de<br />

cinématographie…<br />

Vous savez, la musique ne se matérialise pas. Elle se<br />

déploie sous forme d’ondes dans l’air. Je crois qu’on<br />

ne peut pas échapper à la vocation naturelle de la<br />

musique de créer des images. Elle emprunte son<br />

langage à l’art visuel, à savoir l’horizontalité, la<br />

verticalité, les tonalités, qui sont d’ailleurs des termes<br />

analogiques que l’on emploi à la fois en peinture et en<br />

musique. Les images ne sont jamais voulues, la<br />

musique déploie d’elle-même ses paysages…<br />

Par rapport à ce qui se fait actuellement, vous êtes<br />

presque un ovni dans le paysage de la chanson. Quel<br />

regard portez-vous sur la création actuelle française ?<br />

Ce dont je me rends compte jour après jour c’est que<br />

l’on est dans une période de paradoxe complet, avec,<br />

d’un côté, des disques qui se vendent de moins en<br />

moins et de l’autre, une profusion incroyable<br />

d’artistes, une multiplication de festivals et de lieux<br />

culturels. Je pense que les récents bouleversements,<br />

notamment liés à la diffusion de la musique, en<br />

particulier sur internet, ont obligés les maisons de<br />

disques, les labels à se positionner différemment, à se<br />

questionner sur ce qui fonde leur travail, le devoir de<br />

recherche, le devoir de renouvellement, sur ce que<br />

l’on pourrait appeler « la volonté de trouver la perle<br />

rare » et non plus à s’habituer à prescrire à la manière<br />

d’un médicament une musique qui plait au plus grand<br />

nombre sans qu’elle ne se renouvelle et dont on sait<br />

que l’exploitation remplie assez facilement les caisses<br />

des actionnaires. Je ne sais pas si c’était si différent<br />

que ça il y a 30 ans. Pour ma part en tout cas, dans le<br />

périmètre dans lequel j’évolue, je n’ai pas à me<br />

plaindre de la diversité et de l’excellence de la<br />

production française.<br />

Si vous deviez qualifier votre album « Hypernuit » en<br />

un mot, vous diriez quoi ?<br />

(Sourire) Si je devais le qualifier je parlerais de<br />

territoire, quelque chose que l’on peut fouler. Pas un<br />

territoire au sens de la propriété mais un territoire<br />

habité par des gens, des personnages, des figures<br />

dont on sait peu finalement.<br />

J’ai lu que vous aviez déclaré à propos de ce disque<br />

« ce sont des chansons et non de la littérature »…<br />

Oui, parce que l’on vit dans une époque où la<br />

littérature est partout. Elle recouvre un nombre<br />

incroyable de domaines alors qu’elle ne se trouve pas<br />

plus partout que depuis toujours. Elle est quelque<br />

chose de rare et quand elle existe en vrai et qu’elle de<br />

qualité cela finit toujours par se savoir. Or je trouve<br />

qu’il n’y a pas de littérature dans la chanson. Il y a de<br />

la littéralité, un caractère littéraire oui, mais parler de<br />

littérature non, ce n’est pas le lieu.<br />

Il y a dans vos chansons, certains éléments qui ne<br />

viennent pas à la première écoute, comme si elles<br />

étaient voilées…<br />

Oui car je crois qu’il faudrait avoir une acuité très<br />

particulière à comprendre le monde dans lequel on vit<br />

pour retranscrire une histoire de A à Z avec un<br />

scénario précis. Je préfère cela à une narration<br />

strictement linéaire car c’est comme ça que je reçois<br />

le monde, c’est comme cela qu’il m’arrive. Voilà<br />

pourquoi je le restitue de manière un peu voilée.<br />

Propos recueillis et interview par Thomas Carrié.<br />

Photographie : Diane Sagnier<br />

Cette interview et la photographie qui l’accompagne ont fait<br />

l’objet de la couverture du numéro de 5 de Crumb<br />

magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />

digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 20 novembre 2010.


Interview/Rencontre publiée le 5 novembre 2015<br />

BØRNS était de passage à Paris en ouverture du Pitchfork Music Festival, le 27 octobre dernier. Dans la<br />

petite salle du Café de la Danse, l’auteur-compositeur-interprète de 23 ans a présenté quelques morceaux<br />

de Dopamine, son premier album. Un concert court mais fédérateur où le jeune artiste a confirmé ce<br />

qu’on savait déjà : il ira loin. La veille de sa performance, Garrett Borns, de son vrai nom, nous a reçus à<br />

la table d’un restaurant parisien. Une atmosphère calme et inspirante, à l’image de cette interview où le<br />

jeune homme est revenu avec nous sur son (jeune) passé de magicien professionnel, ses premiers pas à<br />

Paris à l’âge de 19 ans et ce qui l’a inspiré dans l’écriture de son premier album.<br />

Il a une silhouette mince et élancée. Un visage en<br />

partie caché par ses cheveux qui tombent<br />

négligemment juste au-dessus de ses épaules. On se<br />

dit qu’il doit être fatigué : il a atterri le matin même à<br />

Paris, sur les coups de 6 heures. Il met même<br />

quelques secondes à se souvenir de ce qu’il a fait la<br />

veille et où il était, tant les soirs de concerts<br />

s’enchaînent, passant d’un continent à l’autre en<br />

quelques heures de vol. Aujourd’hui Paris, demain<br />

Londres. Hier, un festival de musique à North<br />

Charleston, en Caroline du Sud, sponsorisé par une<br />

célèbre marque de thé. Une étrangeté qui fait sourire<br />

Garrett Borns, surtout parce que le thé n’est pas très<br />

bon, selon lui.<br />

Au fur et à mesure que progresse l’interview, après<br />

avoir bu un ou deux verres d’eau fraîche et plaisanté<br />

sur ces petits chiens habillés avec des robes qu’il a<br />

vus le matin même à l’aéroport, Garrett Borns partage<br />

ses expériences et sa vision de la musique avec un<br />

naturel déconcertant. Peut-être qu’il se sent à l’aise à<br />

Paris, une ville qu’il aime bien et dans laquelle il s’est<br />

déjà rendu à l’âge de 18 ans. Un ami réalisateur du<br />

Michigan l’avait invité à le suivre dans la capitale<br />

française pour deux ou trois jours. Le résultat ? On<br />

peut encore le voir aujourd’hui sur YouTube, grâce à<br />

une performance TedX, enregistrée à Grand Rapids,<br />

dans le Michigan, son État de naissance. Quand on<br />

lui évoque la vidéo, il rougit presque. Et pourtant<br />

Garrett Borns, connu aujourd’hui sous le nom de<br />

BØRNS, n’a pas vraiment de quoi être embarrassé.<br />

Dans cette vidéo, le jeune homme a la voix déjà<br />

affirmée et un aplomb attendrissant. Une vision<br />

d’artiste aussi, qu’il partage aux spectateurs sans<br />

pudeur et tout en poésie.<br />

BØRNS a aujourd’hui troqué sa guitare acoustique<br />

contre une électrique, raccourci son blaze et rallongé<br />

ses cheveux. Il vient de sortir Dopamine, son premier<br />

album. Le résultat d’une quête de soi artistique,<br />

commencée sur la côte Est américaine où le jeune<br />

Garrett a grandi. Son enfance, il raconte l’avoir<br />

passée à construire des forts en bois ou à skier avec<br />

son husky tout en évoluant dans son propre univers<br />

artistique. Le piano, l’écriture de “chansons stupides”<br />

à l’école élémentaire, la magie à 10 ans qu’il pratique<br />

comme un vrai pro : “J’ai appris quelques tours car il y<br />

avait beaucoup de magiciens professionnels dans ma<br />

ville et je me suis dit que je pouvais moi aussi en faire<br />

sérieusement. J’étais un gamin mais même à cet âge,<br />

ce qui m’intéressait, c’était de repousser mes limites.<br />

Essayer de voir jusqu’où je pouvais aller.”<br />

Après le lycée, l’envie de passer derrière la caméra et<br />

une escale de 6 mois à New York, Garrett s’envole de<br />

l’autre côté des Etats-Unis, à Los Angeles. C’est là<br />

bas qu’il finira par composer et enregistrer les 11<br />

morceaux de Dopamine. “Je suis arrivé à Los Angeles<br />

pour une session d’écriture. Je ne devais y rester que<br />

quelques jours”. Mais l’air des plaines californiennes<br />

sied bien à BØRNS. Il affine son style musical, conduit<br />

une Mustang dans les rues de LA et vit dans une<br />

cabane dans les arbres. Une vie de bohème, de soleil<br />

et d’espaces qui se traduit dans chacun des<br />

morceaux de Dopamine, où l’amour se vit comme une<br />

drogue. “La plupart des chansons de l’album ont été<br />

inspirées par cette réaction chimique qui se déclenche<br />

lorsque qu’on cède à la tentation amoureuse et au<br />

désir”, explique t-il.<br />

“Mon inspiration vient aussi des fantasmes ou des<br />

fantaisies que j’imagine dans mon esprit. Je me<br />

demande toujours « Qu’est-ce qui aurait pu se passer<br />

si j’avais fait ça » ou « J’aurais dû lui dire ça » à cette<br />

fille qui est maintenant très loin”.<br />

Dommage pour elle. Tant mieux pour nous.<br />

Propos recueillis par Arièle Bonte


BØRNS


ALT-J<br />

Interview publiée le 22 septembre 2014<br />

Nous avons rendez-vous avec ALT-J pour interview. On l’a commence par à-coups. Une musique<br />

supposée nous détendre installe une ambiance assez louche. Un piano macabre, le style de son<br />

qui te fout la chair de poule. Et puis on finit par faire couper le son. Le silence nous soulage, et les<br />

trois membres d’Alt-J s’enfoncent plus confortablement dans leur canapé en cuir et on s’engouffre<br />

directement dans le coeur de l’album, que l’on va appréhender comme une sorte de langage. In<br />

medias res. Comme ça, de but en blanc, sans préliminaires.


Les vocalises, les bruits primitifs que l’on entend,<br />

notamment au début de votre disque, semblent<br />

donner forme à une sorte langage qui va résonner<br />

jusqu’à la dernière piste. La voix émerge comme un<br />

outil bien particulier…<br />

On essaye d’utiliser la voix comme un instrument à<br />

part entière, il ne s’agit pas seulement d’un chant. On<br />

utilise des mélodies, sans mots. Même si le résultat<br />

donne un titre qui ne contient qu’à moitié des paroles,<br />

ce n’est pas important. Les paroles sont riches, sur ce<br />

disque. Nous avons traversé une période de<br />

transformations. L’enregistrement de l’album a débuté<br />

après le départ de Quill, en février. Il est parti deux<br />

jours avant l’entrée en studio. Cela nous a poussés à<br />

nous remettre en question.<br />

Est-ce une pratique courante en Angleterre ? Vous<br />

êtes quatre membres, vous sortez un premier album<br />

qui marche super bien, et puis vous vous retrouvez à<br />

trois ? C’est ce qui est arrivé à The XX aussi.<br />

On adore leur deuxième album d’ailleurs. Peu importe<br />

que l’on soit trois ou quatre, le spectacle doit<br />

continuer. La séparation a été difficile mais<br />

encourageante. On s’est rendu compte que l’on était<br />

très proches, tous les trois, en tant qu’équipe. C’était<br />

nécessaire, en fait, pour l’équilibre du groupe, même<br />

si on ne l’entendait pas de cette oreille à l’époque.<br />

En lisant les titres des morceaux de votre nouveau<br />

disque, on sent qu’il y a une sorte de voyage tout au<br />

long du disque, avec l’arrivée, le départ, etc.<br />

Nara est une ville du Japon où les cerfs sont sacrés.<br />

Ils peuvent évoluer dans les rues. Le titre Nara parle<br />

des droits des homosexuels. Il parle de la liberté de<br />

vivre avec la sexualité que l’on veut. C’est d’ailleurs<br />

un sujet sensible en ce moment, notamment lorsque<br />

l’on voit ce qui se passe en Russie ces jours-ci. Les<br />

paroles sont bien écrites d’ailleurs (ils se félicitent et<br />

se donnent un high-five).<br />

C’est une analogie avec le cerf à l’intérieur de Nara,<br />

avoir la liberté de faire ce que l’on veut sans entrave…<br />

Vous sentez-vous politiquement impliqués ?<br />

Nous sommes ouverts à l’idée de vivre une vie<br />

tranquille, sans être jugés alors que l’on ne fait de mal<br />

à personne. Nous ne sommes pas un groupe<br />

politique, c’est certain. En Russie, ils utilisent le terme<br />

propagande pour dénoncer la Gay Pride, par<br />

exemple. C’est dingue d’utiliser le terme propagande<br />

pour ça. Surtout venant de leur part.<br />

Qu’essayez-vous de construire avec cet album ?<br />

Je pense qu’il s’agit d’un voyage qui a pour<br />

destination le dernier titre. Nous ne pensions<br />

cependant pas construire quoi que ce soit pendant<br />

son élaboration. On n’a pas particulièrement voulu<br />

écrire un album concept si c’est cela ta question.<br />

Vous prenez votre temps pour faire entrer l’auditeur<br />

dans les morceaux. Les intros sont longues, les<br />

outros aussi. Pourquoi ?<br />

Nous avons volontairement écrit des chansons plus<br />

longues sur cet album que sur les précédents. Les<br />

espaces entre les chansons sont tout aussi importants<br />

que les chansons elles-mêmes, de la même manière<br />

que les moments plus calmes étaient nécessaires, et<br />

aussi importants que les moments énergiques.<br />

Left Hand Free est un des morceaux les plus courts<br />

de l’album. Pourquoi ce choix ?<br />

Ce titre ne durait qu’une minute et vingt secondes, on<br />

a dû le rallonger ! C’était supposé être très bref, dans<br />

l’album. Honnêtement en l’écoutant, je le trouve<br />

toujours trop long (rires).<br />

Une particularité dans le langage : pourquoi le<br />

passage en Français dans Hunger of The Pine [Une<br />

immense espérance a traversé la terre/Une immense<br />

espérance a traversé ma peur] ?<br />

Car c’est cool. Enfin, c’est une citation du livre Lady<br />

Chatterley’s Lover. En fait, je croyais que l’écrivain,<br />

D.H. Lawrence, essayait d’être poétique, en écrivant<br />

en Français. Je ne savais pas que c’était une poésie<br />

française pré-existante. Je pense qu’une bonne<br />

phrase en Français a un très grand potentiel de<br />

rendre bien en chant. Les français sont renommés<br />

pour savoir bien s’exprimer et ça me fait plaisir de<br />

pouvoir profiter de cette langue. Gus parle Français et<br />

peut m’aider pour la prononciation.<br />

Il y a une voix feminine sur Warm Foothills. Est-ce<br />

Feist ?<br />

Non, c’est Liane La Havas et Marika Hacknan. Tu ne<br />

nous crois pas, hein ?! (Ils rient).<br />

Y-a-t-il d’autres invités sur l’album ?<br />

Oui, Conor Oberst des Bright Eyes ainsi que Sivu sont<br />

aussi sur Warm Foothills.<br />

Pourquoi rester si proche de l’album lorsque vous<br />

êtes sur scène ?<br />

C’est vrai que nous reproduisons l’album sans<br />

vraiment faire de variations considérables. C’était un<br />

peu notre but initialement. Nous voulons être aussi<br />

bien que sur l’album. Le groupe Foals, par exemple,<br />

peut se permettre d’étirer ses morceaux jusqu’à sept<br />

minutes et de faire des variations. Ce genre de<br />

confiance se gagne avec le temps. Nous aimons<br />

l’album, donc c’est ce que nous jouons.<br />

Seriez vous surpris d’être parmi les meilleurs albums<br />

ou les pires couvertures de l’année 2014 dans des<br />

classements ?<br />

En tant que trio il est difficile que nous ne soyons pas<br />

satisfaits de ce que nous avons sorti. Oui, je pense<br />

que Pitchfork nous mettra sur la liste des pires<br />

pochettes d’album. “Haters Gonna Hate”, n’est ce pas<br />

? Et, vous <strong>CRUMB</strong>, vous diriez quoi ?<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Photographie : Yann Morrison, pour Crumb<br />

Traduction : Bastien Internicola & Jacopo Martini.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


Sunbathing<br />

WITH MAGGI<br />

by Alessandro Casagrande


Série photo publiée le 29 avril 2013


ZELLA DAY


Interview/Rencontre publiée le 3 novembre 2015<br />

Le premier album de Zella Day raconte l’amour, le désir et la souffrance dans une pop-folk<br />

ensoleillée qui puise ses racines dans le songwriting des 70’s. Rencontre avec une enfant de l’Ouest<br />

américain. <br />

Zella Day est une jeune américaine de 20 ans qui a<br />

grandi à Pinetop, une ville paumée d’Arizona. Là bas,<br />

pas de scène musicale mais un seul coffee shop tenu<br />

par ses parents. Biberonnée à Bob Dylan et “à la<br />

bonne musique” dit-elle, elle gratte sa première<br />

guitare à 10 ans et se produit déjà devant les clients<br />

et amis artistes de sa famille. Le début d’une vocation<br />

pour cette gamine à la blondeur californienne.<br />

“En tant que jeune femme artiste, c’est dur de trouver<br />

des personnes qui croient en toi”<br />

Une décennie plus tard, la demoiselle entame déjà sa<br />

deuxième vie musicale après une première<br />

expérience à 15 ans à Nashville. Le résultat ? Des<br />

morceaux trop country. Et des producteurs bornés.<br />

Mais Zella Day ne voit pas ce premier ratage comme<br />

un échec, tant elle se nourrit de sa détermination.<br />

Tout en restant fidèle à elle-même. “J’étais trop jeune<br />

pour savoir qui j’étais et ce que je voulais vraiment.<br />

Mais je savais ce que je ne voulais pas et la direction<br />

musicale qu’on m’imposait ne me convenait pas”,<br />

explique-t-elle à <strong>CRUMB</strong> au téléphone, à l’autre bout<br />

du monde. Plutôt que de faire quelque chose qui ne lui<br />

ressemble pas, elle préfère quitter la capitale de la<br />

musique country et à pose finalement ses valises à<br />

LA. C’est dans la Cité des Anges qu’elle va affirmer<br />

son identité, avoir le cœur brisé et construire sa team<br />

musicale.<br />

“A Los Angeles j’ai trouvé des producteurs qui<br />

croyaient en ma vision des choses. C’est une chance<br />

car en tant que jeune femme artiste, c’est dur de<br />

trouver des personnes qui croient en toi, alors que les<br />

hommes dominent l’industrie musicale”, confie-t-elle.<br />

Avec Xandy Barry ou Wally Gagel (le duo de<br />

producteurs derrière des morceaux de Best Coast ou<br />

de Bon Iver), Zella Day va alors composer les 12<br />

morceaux de Kicker et construire un univers à la fois<br />

musical et esthétique, fidèle à ce qu’elle est.<br />

Social Queen<br />

Zella Day n’est pas qu’une chanteuse. En plus d’écrire<br />

ses chansons, elle a une maîtrise parfaite de son<br />

image ou de ses vidéos clips et a le luxe de pouvoir<br />

choisir ses réalisateurs parmi ses amis. Elle manie<br />

également les réseaux sociaux avec une certaine<br />

virtuosité. Un job à part entière, selon elle. “J’y<br />

partage mes voyages et ma vie d’artiste. Mais je<br />

communique peu sur ma vie privée. J’en montre en<br />

fait suffisamment pour livrer une image de moi sincère<br />

et authentique”. Derrière son look de queen des 70’s,<br />

inspirée par Stevie Nicks ou Mick Jagger, Zella Day<br />

est bien un pur produit des nouvelles technologies et<br />

a tout compris au pouvoir du numérique. Pour toucher<br />

un maximum de gens.<br />

“Tu ne sais jamais ce qui va t’arriver sur la route”<br />

Après avoir passé l’été à sillonner les routes des<br />

Etats-Unis, Zella Day va désormais parcourir le<br />

continent européen. Un voyage de plus d’un mois qui<br />

sera immortalisé par l’un de ses amis californien.<br />

“Pour la première fois de ma vie j’ai un public qui me<br />

suit. Aller en Europe est très important pour moi, alors<br />

j’ai envie de pouvoir le partager et de capturer les<br />

moments sur la route, en backstage ou dans les<br />

chambres d’hôtel”, explique-t-elle.<br />

“Tu ne sais jamais ce qui va t’arriver sur la route, tu es<br />

toujours en train d’essayer de tenir le coup. Il y a des<br />

moments durs, où l’on ne sait pas quoi faire de soimême…”<br />

(…) “Mais j’ai rencontré beaucoup de gens<br />

et je comprends le monde d’une nouvelle manière<br />

maintenant. Mon écriture a radicalement changé”, me<br />

confie-t-elle avant de rappeler que le plus cadeau de<br />

sa vie d’artiste est de monter sur scène et d’entendre<br />

les spectateurs chanter ses propres chansons. Ce<br />

dont elle a toujours rêvé. Désormais, sa réalité.<br />

Propos recueillis par Arièle Bonte, par téléphone.


YUKSEK<br />

Rencontre/texte publiée le 7 mai 2013<br />

Deux ans après la sortie de son deuxième album Living on the Edge of Time qui l’avait propulsé sur<br />

le devant de la scène, Yuksek revient avec un projet ambitieux et surprenant, le lancement de son<br />

propre label “Partyfine”. Il nous raconte l’histoire du projet.<br />

On t’a vu travailler sur beaucoup de choses<br />

différentes ces derniers temps, ton projet personnel<br />

sous le nom de Yuksek, plusieurs remixes<br />

intéressants et la production d’autres groupes comme<br />

Juveniles par exemple. Comment est née cette envie<br />

de monter ton propre label en plus de tout ça ?<br />

J’ai toujours travaillé tout seul en studio, enfin,<br />

artistiquement en tout cas. Encore plus sur le<br />

deuxième album où il n’y avait pas de featuring, je<br />

chantais, faisais le mixage, l’écriture, tout ! Et je crois<br />

que je suis arrivé au bout de cette logique. Même pour<br />

le live, j’avais décidé de ne pas le faire en solo et de<br />

recommencer une “vie de groupe” et des<br />

collaborations.<br />

En septembre, à la fin de ma tournée, je me suis<br />

remis à la production pour d’autres gens. J’ai travaillé<br />

sur l’album de Juveniles, je produis toujours The<br />

Magician avec qui j’ai d’ailleurs un autre projet (Peter<br />

& The Magician), j’ai fait des sessions studio avec Oh<br />

Land, bossé avec JD Samson… Du coup, j’ai<br />

vraiment eu envie de développer tout ça. C’est un truc<br />

que l’on me demandait depuis longtemps mais que je<br />

n’avais pas encore eu le temps de faire. J’avais<br />

produit l’album de Birdy Nam Nam ainsi que celui de<br />

Bewitched Hands, mais c’était toujours entre deux<br />

trucs personnels. En septembre, je me suis dit qu’il<br />

fallait que je laisse le champ libre à tout ça et que je<br />

fasse le contraire. Si entre temps j’ai des trucs pour<br />

moi je les sortirais mais l’idée c’est vraiment de<br />

travailler pour et avec les autres désormais.<br />

Comment s’est réellement concrétisée cette envie ?<br />

Quand j’ai produit l’album de Juveniles, on s’est super<br />

bien entendus, on a fait un morceau en plus ensemble<br />

mais on ne savait pas trop quoi en faire. Et puis il y a<br />

eu beaucoup de rencontres, celle avec Oh Land avec<br />

qui j’avais commencé à faire quelque chose, et un<br />

nouveau Peter & The Magician. On avait sorti deux<br />

maxi chez Kitsuné qui ont eu un bon impact. On s’est<br />

dit qu’avec l’image et la notoriété que l’on a, ce ne<br />

serait pas si différent de le sortir nous-même. La<br />

valeur ajoutée d’un label indépendant, que ce soit le<br />

tien ou un autre, est quasiment la même. Alors, oui,<br />

des labels comme Kitsuné renvoient une image forte,<br />

mais je pense que Stéphane (de The Magician, ndlr)<br />

et moi, en avons une aussi. Qui nous est propre. C’est<br />

ça leur logique chez Kitsuné : sortir des nouveaux<br />

projets de mecs pas trop connus et garder un ou deux<br />

groupes pour faire des albums plutôt Pop.


Un label, un concept : où as-tu envie de nous<br />

emmener avec cette nouvelle histoire ?<br />

C’est une démarche vraiment indépendante qui vise à<br />

concrétiser toutes ces collaborations et leurs<br />

extensions en faisant ça moi-même. C’est aussi avoir<br />

l’idée d’un son plus que d’un style. J’aime<br />

énormément de trucs et j’ai toujours mixé des styles<br />

différents. L’idée est de faire quelque chose dans le<br />

genre de ce qu’a pu faire Murphy [aka James Murphy]<br />

avec DFA (LCD Soundsystem, The Rapture), toute<br />

proportion gardée évidemment, un vrai label de<br />

producteur de studio, en somme !<br />

Il y a déjà des noms signés sur ce label que tu<br />

pourrais nous annoncer ?<br />

On va sortir le nouveau Peter & The Magician avec JD<br />

Samson en featuring vocal fin juin. Et je peux aussi<br />

vous dire qu’on va sortir le premier maxi de Get A<br />

Room en septembre. Le reste des collaborations est<br />

un peu secrète !<br />

Le label sera basé à Reims, chez toi ?<br />

Un peu à Reims, un peu à Paris. Le bureau officiel est<br />

à Paris mais le studio à Reims, chez moi, oui.<br />

Tu parles beaucoup de rencontres et de<br />

collaborations, l’EP que tu sors le 13 mai sous le nom<br />

de Partyfine est clairement dans la lignée de ce<br />

concept. Il est composé de deux titres : Last of Our<br />

Kinds avec Oh Land et Truth avec Juveniles. J’ai<br />

personnellement beaucoup aimé ce titre, comment<br />

est-il né et comment s’est fait le choix d’Oh Land ?<br />

J’avais fait un remix pour elle il y a 2 ou 3 ans, je ne<br />

l’avais pas rencontrée mais on s’est toujours dit que<br />

ce serait cool d’arriver à se croiser à Paris ou New-<br />

York et d’enregistrer un morceau ensemble. On a<br />

réussi à se voir à New-York, on a fait une journée et<br />

demie de studio et on a sorti ce titre. C’est toujours<br />

une question de rencontre.<br />

n’ai pas de logique de carrière ou de développement.<br />

Pour l’instant, je suis dans un état d’esprit de<br />

collaboration, ce qui correspond à mon label, mais je<br />

suis toujours en contrat avec Universal, je leur dois<br />

encore un album et il me donne gentiment le droit de<br />

faire tout cela en ce moment et de prendre mon<br />

temps.<br />

Oui, il y aura un troisième album un jour, et à priori je<br />

pense qu’il y aura une majorité de chansons que je<br />

chanterai moi-même parce que j’y ai pris beaucoup de<br />

plaisir sur l’album précédent mais je ne pense pas<br />

que je le ferai complètement tout seul. Peut-être que<br />

j’écrirai les morceaux avec quelqu’un, il y aura une<br />

forme d’échange…<br />

Mon second album, je l’ai voulu comme ça donc<br />

j’assume, mais ça a été hyper dur de faire cet album<br />

tout seul et un peu long aussi. Même s’il s’est fait en 6<br />

mois, ça m’a paru interminable. J’ai vraiment envie<br />

d’être, pour le prochain, dans un truc plus “instantané”<br />

et direct. Dans l’échange, c’est plus simple et je<br />

prends davantage de plaisir à faire de la musique. Je<br />

ne veux vraiment pas planifier tous ces projets ni me<br />

donner une deadline pour le faire, j’ai envie que ce<br />

soit un truc un peu à l’ancienne. J’ai envie de ne pas<br />

le penser.<br />

Propos recueillis par Patricia Fontenas<br />

Photographie : Diane Sagnier.<br />

Merci à Brice Bossavie<br />

Magician, je l’ai rencontré à Calvi il y a 3 ou 4 ans<br />

quand il avait quitté Aeroplane. Je crois qu’il ne<br />

s’appelait pas encore Magician, il n’avait pas encore<br />

de morceaux. C’est son manager qui nous a présenté,<br />

il est venu à Reims, j’ai fait le mixage de son remix de<br />

I Follow Rivers de Lykke Li, on a fait Twist ensemble<br />

et on s’est juste dit « c’est cool continuons ».<br />

Les choses se sont faites comme cela, à vrai dire, rien<br />

n’a été planifié. Je crois que je suis assez fataliste. Si<br />

on doit se croiser on se croise, si les choses doivent<br />

se faire elles se font et voilà. Il y a aussi pleins de<br />

gens avec lesquels j’ai travaillé et avec qui j’aimerais<br />

bien refaire des trucs : Ebony Bones par exemple,<br />

Brodinski ou encore Amanda Blank avec qui j’ai fait le<br />

titre Extraball sur mon premier album.<br />

Des collabs, des remixes, un label, un EP avec des<br />

featuring, ta carrière est-elle mise entre parenthèses<br />

ou aura-t-on bientôt un nouvel album ?<br />

Je ne sais pas du tout et en même temps j’ai toujours<br />

bossé comme ça. Je n’ai jamais su ce que j’allais faire<br />

ni après le premier album ni après le deuxième. Je


STROMAE<br />

Interview publiée le 26 août 2013<br />

Pour la sortie de Racine Carrée, Paul Van Haver, alias Stromae est venu à Paris histoire de mettre<br />

des mots sur le buzz qui l’entoure depuis quelques semaines, tant avec Papaoutai qu’avec<br />

Formidable, en tête sur Itunes. On a peu de temps. La conversation part un peu dans tous les sens.<br />

On commence par parler de cinéma, de manière informelle, de ses siestes interminables en cours<br />

d’histoire du cinéma -le film impossible à regarder par excellence, selon lui : Le Cuirassé Potemkine,<br />

Eisenstein, 1925. Le bruxellois n’hésite pas à s’interrompre de temps en temps pour me rappeler<br />

“Arrête-moi, hein, si je dis n’importe quoi. Je parle trop“. Mais non, mais non. On t’écoute…<br />

On commence par lui faire visionner une vidéo vieille<br />

de cinquante ans : Aznavour, 1962, « Tu t’laisses<br />

aller ». Réactions :<br />

C’est Eric Zemmour ? (Rires). Ah, c’est Aznavour. On<br />

n’invente rien… Je n’ai jamais entendu cette chanson.<br />

C’est le mec qui rentre du boulot qui est bourré, c’est<br />

ça ? C’est quoi le titre du morceau ?<br />

Tu t’laisses aller, Charles Aznavour en live à la<br />

télévision au Québec en 1962. Il sourit. En regardant<br />

la vidéo, il parle très peu. Attentif, il laisse<br />

transparaître certaines réactions. Il rit, fronce les<br />

sourcils, hoche la tête. Le personnage, la diction, le<br />

caractère du chanteur l’intriguent.<br />

On te compare souvent à Brel, il suffit de lire les<br />

commentaires sur tes vidéos.<br />

C’est bien de regarder cette vidéo d’Aznavour. Il n’y a<br />

pas que Brel qui jouait des personnages sur scène.<br />

Toute l’ancienne école le faisait. Piaf le faisait,<br />

Nougaro aussi. Ces artistes avaient une distance par<br />

rapport à leur image personnelle. C’est important.<br />

C’est sain, pour l’esprit, de jouer des personnages. Ce<br />

sont des petits films que l’on joue. Ce n’est pas<br />

étonnant de voir des médias qui sont outrés de voir<br />

Orelsan qui chante Sale Pute, parce que c’est<br />

vraiment scandaleux. Mais il a le droit. Évidemment<br />

que cela se dit. Une meuf a aussi le droit de dire que<br />

c’est un vrai connard, un enculé, tout ce qu’elle veut.<br />

Mais les beaux couples, ce sont des connards et des<br />

connasses et c’est ça qui est beau. C’est la<br />

consommation de l’amour qui s’exprime. J’ai déjà<br />

raconté ça et on m’a rétorqué qu’avant, dans certains<br />

couples, des femmes étaient forcées de rester avec<br />

des hommes, à cause du mariage. Mais l’amour, c’est<br />

un peu ça. Et inversement. Aznavour chante “Tout a<br />

changé”. C’est normal, il ne faut pas s’attendre à ce<br />

que tout reste comme avant. Peut être que je ne le<br />

comprendrai jamais. Au final, à part des relations qui<br />

n’ont duré guère plus que trois ans, je n’ai rien connu.<br />

Cela reflète bien ma façon de “consommer” l’amour.<br />

Il y a des tutoriels pour utiliser Reason sur la toile, un<br />

logiciel qui sert à composer des morceaux. En trois<br />

minutes, tu cliquais sur deux boutons pour en faire un<br />

titre. C’est si facile que ça, pour toi ?<br />

Sur la vidéo, on ne montre pas les nombreuses nuits<br />

blanches de galère. Notamment au moment de<br />

l’écriture du deuxième album. Je calculais tellement,<br />

qu’il fallait que je sois dans un état de fatigue et de<br />

faim telle, qu’au bout de la nuit enfin, je lâche prise et<br />

arrive à être sincère et spontané. À ce moment là,


j’arrivais à trouver des solutions intéressantes.<br />

Tu ne dors plus chez maman ?<br />

J’ai quitté ma mère. Je vis tout seul. Du moins,<br />

j’essaie. C’était il y a un an seulement, j’avais vingtsept<br />

ans. Au bout d’un moment, faut bouger. Ma<br />

génération est quand même composée de vieux<br />

Tanguy. À mort.<br />

Que partages-tu avec la génération d’artistes dont tu<br />

fais partie ?<br />

Ce que tous les auteur-interprètes ont en commun :<br />

nous sommes une bande de démagos.<br />

Tu sors davantage pour t’inspirer ou oublier ?<br />

Les deux ! La sortie, la fête, pour composer le<br />

deuxième album. La musique, le hip-hop sont utiles,<br />

mais la mélancolie compte pour beaucoup aussi, au<br />

delà du côté dance, groove. Il y a autant de<br />

mélancolie dans les discothèques que dans le métro,<br />

au final, car elles représentent tellement l’exagération<br />

de la fête qu’elles masquent une tristesse inouïe.<br />

√ : Racine Carrée, c’est le titre de ton nouvel album.<br />

Cela a un rapport avec les mathématiques ou c’est<br />

simplement pour te la jouer hipster ? <br />

Ce symbole reflète mon côté maniaque, pragmatique.<br />

Malgré le fait que je sois complètement bâtard, j’ai<br />

envie que cela soit noir ou blanc. Je me suis fait avoir<br />

au niveau du contrat de la vie. Au début, on te dit,<br />

d’une manière manichéenne, qu’il y a les gentils et les<br />

méchants. En grandissant, tu te rends vite compte<br />

que c’est hyper compliqué. Et heureusement. Je ne<br />

suis pas une tête en maths mais j’aime bien tout ce<br />

qui est scientifique, pragmatique. J’ai du mal à lire des<br />

fictions, je n’aime pas les romans. J’ai l’impression de<br />

perdre mon temps en les lisant. Les films me saoulent<br />

aussi parfois. Je me dis “putain je vais passer une<br />

heure et demie à regarder un truc qui n’a pas existé“.<br />

C’est totalement prétentieux d’ailleurs, parce que je<br />

passe mon temps à faire cela dans ma musique.<br />

On aborde la notion de Gloire. Stromae évite ce<br />

terme. Il préfère célébrité. Il y a une raison à la<br />

célébrité : le métier de quelqu’un par exemple. La<br />

gloire, qu’il décrit comme “beaucoup plus vide”<br />

n’existe pas, dit-il, car elle n’implique que du positif,<br />

contrairement à la célébrité. On rejoint la visibilité<br />

éphémère que peut offrir twitter à certains… Tu parles<br />

de ce réseau social au petit oiseau bleu sur ton titre<br />

Carmen d’ailleurs.<br />

J’utiliserais plus le mot buzz. C’est du marketing, et<br />

cela a toujours existé. Le buzz devient la promotion de<br />

sa propre personne, à frimer même devant ses potes,<br />

à montrer là où on est parti en vacances. Facebook,<br />

Twitter c’est super, mais je les utilise pour la<br />

promotion de mon métier, c’est tout. Ma vie privée<br />

s’arrête à un moment bien précis : heureusement que<br />

je ne suis pas le même sur scène, dans mes<br />

chansons -qui sont légèrement inspirées de mon<br />

histoire- et à la maison. J’ai un côté politiquement<br />

correct mais une fois devant ma télé, cela fait plaisir<br />

d’insulter les gens qui sont dedans.<br />

Un film t’a marqué récemment?<br />

La merditude des choses (deFelix Van Groeningen,<br />

Belgique, 2009, ndlr). On peut avoir l’impression que<br />

c’est encore une caricature du misérabilisme belge<br />

comme on en voit toujours mais au final, les gens sont<br />

beaux parce que ce sont des cassos. C’est ça la<br />

merditude des choses. C’est aussi ce que je défends<br />

dans mon album. On est beaux parce qu’on est des<br />

frimeurs, parce qu’on est un peu tout ça à la fois. Pour<br />

en revenir à la célébrité éphémère. Je lisais un article<br />

dans un journal, récemment, qui présentait une<br />

analyse sur Le Loft. C’était peut-être dans Libération.<br />

Un des premiers participants déclarait : « Ce qui est<br />

horrible, c’est que c’est la vérité : c’est ce que l’on<br />

est ». Mais pour qui se prend-on pour juger ? C’est<br />

tellement facile de casser du sucre sur leur dos. Au<br />

final, on est tous des connards, autant que les gens à<br />

l’intérieur. La production, les spectateurs n’échappent<br />

pas à la règle. Les personnes enfermées ne font que<br />

refléter ce que nous sommes tous. Si cela fonctionne,<br />

c’est que le concept représente bien notre société<br />

actuelle. Il faut que cela nous serve de leçon.<br />

Personne n’est à l’abri.<br />

Tu as vu Nabila sur le plateau de Canal+ face à ton<br />

compatriote Stéphane de Groodt ?<br />

Ce qui fait chier les gens, c’est de se voir eux mêmes<br />

dans des personnages comme Nabila. C’est une mise<br />

en abîme. Nabila, c’est un résumé du fait de se mettre<br />

en photo sur Facebook. J’ai vu cette vidéo, et j’ai ri,<br />

évidemment, parce qu’elle jouait le jeu. Cela l’arrange<br />

de jouer la simplette. Je ne pense pas être optimiste<br />

en disant qu’elle le fait exprès. Et cela arrange tout le<br />

monde qu’elle soit comme ça. Ce que j’ai aimé, c’est<br />

que Stéphane de Groodt n’était pas méchant. Ce<br />

n’était pas violent. C’est ça qui est marrant, chez nous<br />

: il y a des Nabila, il y a des Stéphane de Groodt.<br />

La langue française : une cause à défendre ?<br />

C’est une aussi belle langue que le flamand, l’anglais,<br />

que toutes les langues du monde. Ca m’énerve<br />

d’entendre dire que le français sonne moins bien que<br />

l’anglais. On n’a pas attendu l’anglais pour savoir<br />

qu’on avait, tous, une richesse culturelle à défendre,<br />

même si l’on est tous mélangés et que tout<br />

s’influence. Mon travail, ce n’est pas d’imiter les<br />

américains. C’est d’être qui je suis, en français.<br />

As-tu l’impression d’être schizo parfois ?<br />

La schizophrénie, c’est ma façon de me<br />

soigner. Quand je joue Formidable ou Papaoutai, ce<br />

n’est pas ma vie. C’est en endossant le rôle de<br />

différents personnages que j’arrive à prendre de la<br />

distance entre ce que je fais et ce que je suis. Dans la<br />

maison de disques, nous sommes plusieurs à<br />

rassembler des idées. Il est malsain de faire porter<br />

une attention telle sur une seule personne, alors<br />

j’espère gagner une certaine distance en me mettant<br />

dans la peau de personnages. Et le tout, mélangé, ça<br />

donne vie à Stromae…<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


Interview publiée le 16 mai 2012<br />

Sweet électro venu de L.A et descendants directs des MGMT, Electric Guest a de grandes chances de<br />

gravir les sommets et s’impose déjà comme une des révélations de l’année !<br />

Rencontre avec Asa et Matthew…<br />

Les médias français parlent de vous comme d’un<br />

groupe « électro funk psychédélique ». Vos<br />

instruments et voix sont souvent comparés à Vampire<br />

Weekend ou Two Door Cinema Club et votre musique<br />

est assez trippante pour qu’on vous vous appelle les «<br />

nouveaux MGMT », cela vous plaît ?<br />

Asa : MGMT ! Wow, j’aime beaucoup ce dernier<br />

commentaire ! Enfin, Vampire Weekend ont fait deux<br />

albums vraiment cool mais ils ne sont pas si bien<br />

passé que ça aux US… Quant à Two Door Cinema<br />

Club, c’est un peu trop pop pour moi…<br />

Matthiew : Par contre, j’adore vraiment MGMT !<br />

Asa : C’est tellement génial que les gens croient<br />

autant en nous !<br />

Quel serait le pire groupe auquel on puisse vous<br />

comparer ?<br />

Asa : Ouh ! Je crois qu’on sait tous les deux la<br />

réponse à cette question !<br />

Matthiew : Ah oui ! Quel est ta chanson préféré mec ?<br />

« Pumped Up Kicks » ! (Rires)<br />

Foster The People ? Vous avez tout de même fait leur<br />

première partie…<br />

Matthiew : Oui mais je ne peux juste pas ! C’est une<br />

différence de culture je crois…<br />

Asa : Je sais que cela va sonner bizarre et je crois<br />

que c’est quasiment impossible d’expliquer ça à un<br />

français. Mais la base du problème c’est que Foster<br />

The People est comment dire, « fourbe ». Quand on<br />

connaît toutes les tendances musicales qu’il peut y<br />

avoir aux US, ce qui est sorti ces dernières années,<br />

les différents genres, etc, on a l’impression qu’ils ont<br />

étudié ce qui était populaire et ont fait un parfait<br />

package de ce qui était en vogue pour s’assurer le<br />

succès.<br />

Quel est le morceau que vous auriez rêvé de créer ?<br />

Asa : « Follow », de Danny Richie Havens. C’est lui<br />

qui a ouvert à Woodstock. Son arrivée sur scène en<br />

hélicoptère a marqué tous les esprits. Il y avait<br />

tellement de monde qu’il ne pouvait pas y accéder<br />

autrement ! Une fois sur scène, on lui a dit qu’il devait<br />

y rester 2 heures alors qu’il n’avait que 8 morceaux à<br />

jouer. Il s’est mis à improviser. C’est de là qu’est né «<br />

Follow ». Cela reste, pour moi, le meilleur morceau de<br />

tous les temps!<br />

Derrière la mélodie de vos chansons, les paroles sont<br />

assez dures. Chaque morceau semble être une<br />

critique de la société<br />

Asa : Avec les temps qui courent, les gens ne veulent<br />

pas forcément faire passer un message dans leur<br />

musique, ils préfèrent que le public se change les<br />

idées avec. Mais pour moi c’est essentiel. La musique<br />

est un moyen de se faire entendre sur tous les plans<br />

et ce que je vais dire dans mes chansons compte<br />

beaucoup. Les paroles que j’écris sont travaillées et<br />

pensées pour chaque morceau. Alors oui, j’y parle de<br />

société.<br />

Vous avez une anecdote folle à nous raconter ?<br />

Asa : (Rires) Où trouvez-vous ces questions ? Quand<br />

on était en train d’enregistrer l’album, on est resté<br />

quasiment 2 semaines cloitrés dans le studio avec<br />

Danger Mouse. Il y avait toujours Brian et ses deux<br />

ingénieurs du son. A force d’être ensemble vingtquatre<br />

heures sur vingt-quatre, Brian et moi avons eu<br />

quelques tensions. Un jour, je suis rentré dans le<br />

studio et les deux ingénieurs qui ne sortaient jamais<br />

ont, décidé d’aller chez Starbucks. Je me suis<br />

retrouvé en tête à tête avec Brian, dans une<br />

atmosphère très tendue. Au bout d’un moment, il me<br />

dit : « Asa, viens t’asseoir ! Faut qu’on parle. Il va<br />

falloir qu’on arrive à s’entendre tous les deux si on<br />

veut réussir à travailler ensemble… ». Et là, il me fait<br />

écouter un album entier de David Bowie et il me dit : «<br />

Il faut que t’écoutes ça. Que tu l’écoutes vraiment.<br />

Fais en l’expérience totale ». Et il est parti. C’est peutêtre<br />

la manière de régler des problèmes la plus<br />

incroyable que j’ai connu. Et ça a marché.<br />

Propos recueillis par Marie Polo.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.<br />

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />

fait l’objet de la couverture du numéro 14 de Crumb<br />

magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />

digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 16 mai 2012.


ELECTRIC<br />

GUEST


THE DODOZ<br />

Interview publiée le 25 novembre 2011<br />

14h10.Vincent s’approche de nous, l’air penaud. « C’est vous Crumb ? – C’est nous. ». Voix grave,<br />

cernes prolongées, la nuit a été visiblement longue. Quelques bières plus tard, le reste du groupe<br />

nous rejoint. Géraldine, Jules, Adrien et Vincent sont les Dodoz. Depuis leur passage très remarqué<br />

sur la compil CQFD des Inrocks en 2008 et un premier album éponyme applaudi par la critique, les<br />

toulousains ont le vent en poupe. Interview planches à roulette.<br />

Vous vous appelez les Dodoz, un poulet sans aile qui<br />

s’est fait bouffé par tous les autres prédateurs, ce<br />

n’est pas un peu contradictoire avec l’envol de votre<br />

carrière ?<br />

Vincent : (Rires) On essaie justement de le faire<br />

revivre, de le réhabiliter. Sorte de clin d’œil !<br />

Vous avez commencé avec le festival des Inrocks,<br />

puis des premières parties prestigieuses. Difficile de<br />

ne pas perdre les pédales ?<br />

Géraldine : Tout n’a pas été si rapide. La plupart des<br />

gens ne nous ont découvert que récemment mais cela<br />

faisait déjà 4 ans que l’on travaillait sur le projet. Nous<br />

avons fait nos premiers concerts comme on a pu,<br />

seuls sur les routes, en dormant chez des fans de la<br />

première heure qui nous hébergeaient. Quand la<br />

médiatisation est arrivée, nous n’avons fait que<br />

profiter, sans jamais nous demander si ça allait<br />

continuer…<br />

Vincent : A Toulouse, dans notre cocon familial, c’est<br />

beaucoup plus simple de garder les pieds sur terre.<br />

Votre nouvel album Forever I Can Purr a été mixé par<br />

Mike Crossey – qui a travaillée, entre autres, avec<br />

Arctic Monkeys, Foals, Razorlight, ndlr)…<br />

Géraldine : Oui. Mais nous n’avons pas directement<br />

enregistré avec lui. Le tout s’est fait au Vega Studio,<br />

avec notre producteur, Peter Murray et notre ingénieur<br />

du son Bertrand Montandon. Une fois le travail prêt,<br />

nous lui avons tout envoyé. Le mixage s’est fait à<br />

Liverpool et nous avons déjà eu de très bons retours.<br />

Vincent : Ce nouvel album sera plus « réverbéré »,<br />

c’est à dire qu’on a voulu que le disque soit plus large,<br />

que les sons soient enregistrés comme dans une<br />

pièce plus vaste avec des échos. Plus nuancé aussi<br />

mais toujours tourné vers le live.<br />

L’an dernier, les anglais disaient de vous que vous<br />

étiez un groupe plein de « jeunesse dans sa forme la<br />

plus pure ». Vous l’avez pris comment ?<br />

Géraldine : Tant que c’est le bon côté de la jeunesse<br />

qui est exposé : la fraicheur, la naïveté, l’énergie, c’est<br />

génial, on est très fiers. C’est ce que l’on essaie de<br />

transmettre modestement à travers notre musique et<br />

en live.<br />

Propos recueillis par Paul Bousquet et Théo<br />

Moncassin, à Toulouse.<br />

Photographies : Alexis Pech<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


THE SHOES<br />

Interview publiée le 16 juillet 2011<br />

De quoi peuvent converser des journalistes de Crumb et le duo montant The Shoes, par un beau<br />

matin de juillet 2011, place de la République, à Paris ? Questions/récit.<br />

Au delà du travail studio, vous êtes surtout un<br />

groupe de scène…<br />

Benjamin : Oui ! En live, nous sommes quatre, avec la<br />

plupart du temps deux batteurs qui jouent debout<br />

pendant que nous nous occupons de la basse et du<br />

clavier. C’est assez tribal et rythmique.<br />

Guillaume : Nous ne sommes pas de grands<br />

chanteurs mais avons de la force physique à<br />

revendre. Nous avons un rapport assez intime au son<br />

et la scène se joue à l’énergie. Et puis, évidemment<br />

on s’amuse beaucoup à réinterpréter ou réinventer<br />

nos compositions.<br />

Benjamin : Nos chansons sur scène prennent une<br />

tournure rock’n’roll.<br />

Et pourtant, il n’y a pas une seule note de guitare ! Ni<br />

sur l’album, ni en live…<br />

Guillaume : C’est vrai. On a pourtant essayé mais ce<br />

n’est pas un instrument qui colle à notre univers et à<br />

notre esthétique. Je ne sais pas pourquoi.<br />

Comme votre nom de scène d’ailleurs, personne ne<br />

sait…<br />

Benjamin : Nous avons fait une liste de tous les jeux<br />

de mots que les journalistes ont réalisés sur notre<br />

nom. Essayez-donc, <strong>CRUMB</strong> ! En réalité on s’appelle<br />

The Shoes par un concours de circonstances. Cela<br />

n’a pas plus de sens que ça pour nous.<br />

J’ai vu que vous aviez quand même réalisé une<br />

interview, exclusivement sur le thème des<br />

chaussures…<br />

Benjamin : Imagine que l’on se soit appelé«The Slips»<br />

Guillaume : À la base, « The Shoes » était un nom<br />

provisoire. A l’époque, nous avions un MySpace. On a<br />

mis une photo d’une paire de chaussures dessus et le<br />

buzz est parti. On ne pouvait plus la retirer ni<br />

abandonner le concept. On a été dépassé par la<br />

chose en elle- même !<br />

Aujourd’hui que vous accès à tout, au succès et aux<br />

lives, que vous avez collaboré, travaillé avec et<br />

produit une pléiade d’artistes, y a t’il une personne en<br />

particulier avec qui vous aimeriez collaborer ?<br />

Guillaume : Osmar Souleymane, sans hésitation !<br />

C’est un chanteur syrien complètement incroyable. On<br />

essaie de faire en sorte que cela soit possible. Nous<br />

aimerions continuer à travailler avec Esser aussi, sur<br />

un prochain disque, parce que c’est un super pote et<br />

que ça marche plutôt pas mal entre nous. Maintenant,<br />

les gens qui nous accompagnent sont des proches,<br />

des personnes que l’on connaît. Il n’y a pas de<br />

superstar, ce n’est pas l’intérêt. Nous aimons les gens<br />

de notre génération, être sur un même pied d’égalité.<br />

Une paire mais deux mêmes pieds ! (Rires).<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Photographie : Diane Sagnier<br />

Cette interview et les photographies qui l’accompagnent ont<br />

fait l’objet de la couverture du numéro 9 de Crumb<br />

magazine, première version, alors qu’il était une revue<br />

digitale, à feuilleter. Il fut mis en ligne le 16 juillet 2011.


Amélie Monti, portfolio


Amélie Monti est une jeune photographe française, originaire de Paris. Autodidacte, c’est après des études de cinéma qu’elle<br />

va se consacre à la photographie avant de rejoindre le collectif Le Garage (direction artistique du groupe 1995 entre autres).<br />

Ses photos, principalement en noir et blanc, s’intéressent aux détails et aux instants de vie, d’un oeil éloigné et curieux. Elle<br />

touche ainsi plus particulièrement à l’inattendu et à la perception du réel.


DISCLOSURE<br />

Interview publiée le 22 mai 2013<br />

Disclosure réinvente la Dance et le UK Garage. Entre la sortie de leur premier EP et aujourd’hui, la<br />

donne a changé. Respectivement agés de 19 et 21 ans, les frères Guy & Howard Lawrence ont connu<br />

ensemble un succès fulgurant ces deux dernières années grâce à des titres tels que Latch ou encore<br />

White Noise en featuring avec AlunaGeorge (lire interview, page 36). C’est leur second EP « The<br />

Face », sorti sur le label précurseur GrecoRoman en juin 2012, accompagné de leur irrésistible remix<br />

de Running de Jessie Ware, qui les propulse sur le devant de la scène et leur permet de tourner aux<br />

cotés de SBTRKT, Annie Mac ou encore Hot Chip. Le duo s’apprête à sortir leur prochain album,<br />

Settle, le 3 Juin prochain et partira ensuite faire la tournée des festivals et des continents.<br />

Pour sûr, de la musique d’été.<br />

Avant Disclosure, quelle a été votre formation<br />

musicale ?<br />

Guy : J’ai commencé à jouer de la batterie quand<br />

j’avais trois ou quatre ans, ensuite vers sept ans j’ai<br />

appris à jouer de la guitare. Je n’écoutais pas de<br />

genre en particulier mais vers seize ans je me suis<br />

intéressé au hip-hop américain. Il y a cinq ans j’ai<br />

commencé à sortir en club et j’ai découvert le<br />

Dubstep. J’en ai tout de suite parlé à Howard, c’est<br />

comme ça qu’on a commencé à “créer” de la<br />

musique.<br />

Howard : Oui, c’est un peu la première fois qu’on<br />

aimait la même musique au même moment. Nous<br />

n’avions pas du tout les mêmes goûts musicaux.<br />

Comme Burial ou Joy Orbison ?<br />

Guy : Oui totalement ! Du dubstep, mais pas du genre<br />

woa-woa-woa (rires), du bon dubstep ! Pas mal de<br />

House music aussi.<br />

Quand avez-vous décidé de former Disclosure ?<br />

Howard : Nous n’avons pas vraiment décidé. C’était<br />

un accident. Nous faisions des beats sur mon<br />

ordinateur pour s’amuser et un jour, à l’école, un mec<br />

a vu ce que je faisais. C’était un prof de technologies.<br />

Il m’a demandé s’il pouvait produire et mixer certains<br />

morceaux qu’on avait fait. Nous en avons fait deux<br />

que l’on a publié sur Myspace. A partir de là, des<br />

labels se sont intéressés à nous…<br />

Votre morceau Latch est resté longtemps dans le UK<br />

Top Ten, de même pour White Noise, décrit comme «<br />

le single le plus hot au Monde ». Vous attendiez-vous<br />

à un tel succès ?<br />

Guy : Non. En fait on voulait faire de la House Music,<br />

un truc assez underground. Nos titres sont vraiment<br />

arrivés dans les charts par accident (rires).<br />

Howard : C’est une histoire assez incroyable. Et on<br />

est toujours dans le Top 40.<br />

Qu’avez-vous appris de votre tournée avec SBTRKT,<br />

Hot Chip ou encore Annie Mac ?<br />

Howard : Nous avons fait trois ou quatre shows avec<br />

Annie Mac, et à chaque fois c’était vraiment très cool<br />

parce qu’elle ramenait principalement des filles ! Les<br />

filles semblent plus apprécier notre musique que les


mecs et aussi mieux la comprendre.<br />

Quand on était avec Hot Chip, leur public ne savait<br />

pas du tout qui on était, cela nous a offert un peu plus<br />

de notoriété…<br />

Guy : Oui et la tournée avec SRTKT (prononcez<br />

« Subtrakt », ndlr) était vraiment cool !<br />

Comment travaillez-vous ?<br />

Howard : On commence généralement pas les<br />

mélodies voire la batterie… Mais cela change selon<br />

les chansons ou les personnes avec lesquelles on<br />

travaille. Impossible de répondre à cette question !<br />

Vous venez tout juste de revenir des États-Unis,<br />

comment s’est passée votre tournée et en quoi le<br />

public américain est-il différent du public européen ?<br />

Guy : C’est surtout la musique qui est différente làbas.<br />

Eux en sont toujours à écouter du Dubstep.<br />

Nous, on écoutait ça il y a quatre ans, tandis qu’ils<br />

sont encore à fond dedans et dans tout ce qui est<br />

mainstream aussi d’ailleurs. On a donc eu un peu de<br />

mal à se faire comprendre, même si nos show ont<br />

tous été complets.<br />

Ce fut le cas à Coachella ?<br />

Howard : Oui ! Nous étions le dernier concert du<br />

festival, c’était énorme.<br />

Parlez-nous de votre collaboration avec<br />

AlunaGeorge…<br />

Howard : Les choses se sont faites très naturellement.<br />

On adore ce qu’ils font. Et la voix d’Aluna est unique.<br />

Ils ont fait notre première partie lors de la tournée du<br />

Royaume-Uni. C’est comme cela que le lien s’est<br />

tissé…<br />

Pourquoi avez-vous nommé votre prochain album<br />

Settle ?<br />

Howard : C’est en fait une blague de notre manager !<br />

Nous étions tous tellement super excités par le succès<br />

de nos morceaux que du coup on s’est souvent répété<br />

qu’il fallait qu’on se calme, d’où le “Settle Down” / To<br />

Settle Down (rires).<br />

Pouvez-vous nous parler de cet album…<br />

Guy : C’est le première fois que l’on travaille avec<br />

autant de voix et de chœurs en même temps en en<br />

arrangements. C’est vraiment un mélange entre la<br />

Dance et le Garage. Il y a un bon équilibre entre les<br />

deux. C’est la seule chose qu’on voulait faire. Le reste<br />

est secret…<br />

Votre meilleur souvenir de scène ?<br />

Guy : L’année dernière, à Ibiza, en haut du vieux<br />

château de l’île ! Il y avait à peu près 5000 personnes,<br />

le soleil se couchait, c’était le soir de mes 21 ans. Une<br />

super soirée d’anniversaire.<br />

L’occasion de rappeler que vous êtes tous les deux<br />

très jeunes… Si un jour tout s’arrête vous avez prévu<br />

de faire quoi ?<br />

Guy : J’aimerais produire du hip-hop, ce serait cool.<br />

En fait, en dehors de la musique je ne sais pas du tout<br />

ce que je ferais…<br />

Howard : Moi, écrire pour d’autres artistes, je crois.<br />

En attendant, la suite à venir ces prochains mois,<br />

c’est… ?<br />

Guy : 39 festivals cet été ! Ensuite on à notre tournée<br />

au Royaume-Uni, en Europe, en Amérique, Australie<br />

et des Dj Sets, un peu partout, aussi.<br />

Pas de date à Paris ?<br />

Guy : Pas pour le moment. Mais nous allons revenir.<br />

C’est sûr. On adore Paris.<br />

Propos recueillis par Lucie de Keyser


LONDON<br />

GRAMMAR<br />

Interview publiée le 16 octobre 2013<br />

Toutes celles et ceux qui ont écouté l’album de Disclosure cet été (lire interview en pages précédentes)<br />

sont tombés amoureux de la voix de la fille qui chante Help Me lose my mind. C’est un fait. Cette fille,<br />

c’est Hannah Reid. Acompagnée de Dot Major à la batterie, au djembé et aux claviers et de Dan Rothman<br />

à la guitare, les anglais forment le groupe London Grammar et ont sorti leur premier album If You wait le 9<br />

septembre, quelques mois seulement après leur EP Metal & Dust. À Paris, avant un showcase à la Fnac<br />

des Halles, le groupe s’est installé bien au chaud dans un café pour nous décrire leur musique. Hannah a<br />

mal à la gorge. Elle parle tout bas afin de s’économiser pour le live qui allait suivre. Les garçons étaient là<br />

pour raconter la suite.<br />

Comment concevez-vous votre musique ?<br />

Dan : de plein de manières différentes, et ça change<br />

tout le temps ! On a passé beaucoup de temps dans<br />

mon garage à jammer ensemble, beaucoup de<br />

chansons sont nées comme cela. Il y a aussi des<br />

chansons qu’Hannah a écrit juste en improvisant au<br />

piano, d’autres qui étaient à la base des<br />

expérimentations électro. A la fin, on a voulu mélanger<br />

tout ça pour en faire un album.<br />

Parlez-nous un peu de l’album et des thèmes que<br />

vous y abordez.<br />

Hannah : Il y a beaucoup de thèmes différents sur<br />

l’album, les paroles sont principalement basées sur<br />

mes expériences personnelles, mes histoires d’amour<br />

mais aussi sur des images qui me viennent à l’esprit<br />

quand j’écoute les compositions que Dan et Dot ont<br />

écrit. D’autres abordent la condition humaine, l’esprit<br />

humain, la psychanalyse…<br />

Comment décririez-vous cet album à quelqu’un qui ne<br />

l’a jamais écouté ?<br />

Dan : Il y a d’abord un côté minimaliste, électro<br />

expérimentale, influencé par des groupes comme<br />

Radiohead, Massive Attack. Il y a ensuite un côté plus<br />

Classic Pop, influencé par ce que Hannah écoute,<br />

Michael Jackson ou Tina Turner par exemple. Toutes<br />

ces influences réunies donnent une certaine<br />

consistance à l’album, une atmosphère que je<br />

qualifierais de mélancolique.


Parlez-nous de la chanson Flickers.<br />

Dot : C’est la chanson la plus ancienne de l’album<br />

avec If You Wait. C’est la première chanson<br />

qu’Hannah et Dan ont écrit avant mon arrivée dans le<br />

groupe et c’est la première qu’on a composée<br />

ensemble. C’est pour ça que tu peux y entendre du<br />

djembé. Elle est assez représentative des débuts de<br />

notre groupe car à cette époque, Dan composait<br />

beaucoup avec une pédale de loop.<br />

Hannah : Je me souviens très bien du moment où on<br />

a écrit cette chanson. C’était dans la chambre de Dan<br />

à l’université, il venait d’écrire (elle commence à<br />

chanter, ndlr) : « The path is long, it’s cold and wet,<br />

desire path will lead you quicker here than the rest »<br />

Dan : Ce ne sont pas vraiment des paroles ! (Rires).<br />

Hannah : Oui mais c’est brillant. C’est de ce petit bout<br />

de phrase que la chanson est née, c’était le thème de<br />

base. On a ensuite écrit le reste de la chanson<br />

ensemble.<br />

Dot : A l’origine, il n’y avait pas la partie plus rythmée<br />

que tu peux entendre au milieu de la chanson, je l’ai<br />

ajoutée en arrivant dans le groupe.<br />

Dan : Quand nous sommes allé en studio, le<br />

producteur de l’album Tim Bran a rajouté d’autres<br />

éléments live comme les Delays Dub par exemple. Il a<br />

joué pas mal de temps avec Dreadzone, un groupe de<br />

dub-reggae, l’influence s’entend sur l’album.<br />

Vous aimez danser ?<br />

Dot : Moi pas du tout. Ce qui est assez paradoxal car<br />

je suis le batteur du groupe, mais ce n’est pas mon<br />

truc !<br />

Hannah : moi j’adore ça et Dan est un excellent<br />

danseur !<br />

Parlez-nous de votre collaboration avec Disclosure.<br />

Hannah : C’était vraiment chouette. C’est notre<br />

manager qui les connait depuis un moment et qui<br />

nous les a présentés. Tout s’est fait très rapidement !<br />

Ils sont très talentueux mais aussi très efficaces. On a<br />

passé que deux jours en studio avec eux, ils<br />

travaillent tellement vite !<br />

Dot : Ca doit pas être facile pour des producteurs<br />

d’électro de trouver ses repères dans un album<br />

comme le nôtre où le chant occupe la plus grande<br />

place, mais ils l’ont fait brillamment et ils sont tombés<br />

littéralement amoureux de la voix d’Hannah en<br />

écoutant If you wait.<br />

En même temps, tout le monde tombe amoureux de<br />

sa voix, non ?<br />

Entretien et textes par Bastien Internicola<br />

Traduction : Maxime Rosenfeld


KLUB DES<br />

LOOSERS<br />

Interview publiée le 12 mai 2013<br />

Regard fuyant mais la confiance de la passion musicale bien ancrée en lui, Fuzati m’observe du coin de<br />

l’œil quand j’arrive. Mis à nu, il n’en reste pas moins déstabilisant. Après quelques minutes de silence,<br />

je m’installe à côté de lui. L’échange commence, il semble sentir ma sensibilité pour sa musique et se<br />

détend, dans une distance chaleureuse. Son amour pour la production prend le dessus et l’englobe<br />

dans une sincérité à l’image de sa musique…<br />

Une musique hors du temps, qui touche à la modernité pour mieux se tourner vers l’intemporel. Fuzati,<br />

embrumé par son travail, construit de toutes pièces son propre genre musical. Parsemé de chaleur et<br />

d’étrangetés attirantes, Last Days remet au goût du jour la musique de chambre. Les samples vocaux te<br />

susurrent à l’oreille et résonnent dans les coins, les bruitages cosmiques imprègnent la tapisserie pour<br />

transformer l’acoustique, le beat masse ton esprit vide affalé dans un fauteuil : Last Days s’introduit<br />

chez toi par la porte secrète…<br />

Last Days avant quoi ?<br />

Avant la mort… (Rires). Last Days raconte l’histoire<br />

des derniers jours du personnage de l’album, un<br />

personnage obnubilé par le fait de faire de la musique<br />

et qui se drogue jusqu’au dernier morceau. Il meurt<br />

d’un arrêt cardiaque dans Goodbye qui finit juste avec<br />

le beat pour illustrer le rythme cardiaque décroissant.<br />

En même temps, ça va avec mon histoire. J’ai<br />

vraiment failli y passer à cette époque. Le truc c’est<br />

que je ne dormais pas, je bossais tout le temps, je<br />

prenais pas mal de “substances” donc à la fin ça a<br />

joué sur ma santé. Dans Last Days, je raconte mon<br />

histoire avec des samples et non en rappant. C’est ça<br />

la différence avec les projets précédents.<br />

Au sujet des derniers albums tu dis que Fuzati c’est<br />

toi, poussé à l’extrême. Alors, sans les paroles<br />

saignantes, qui se cache derrière le son ? Est-ce que<br />

le masque et sa symbolique sont encore de vigueur<br />

sur cet album instrumental ?<br />

C’est moi. Quand j’écris, j’assume tout ce que dit<br />

Fuzati mais c’est simplement des émotions poussées<br />

à l’extrême parce que c’est là où se trouve le plus<br />

intéressant. Mais ici c’est vraiment moi, mes goûts<br />

musicaux. Je l’ai fait il y a super longtemps et je suis<br />

content quand je le réécoute aujourd’hui. Ce qui est


pas mal avec les instrus c’est que je m’en lasse pas et<br />

j’arrive même à en profiter sans me dire que c’est moi<br />

qui l’ai composé. Je l’ai fait que pour moi au départ et<br />

j’apprécie la distance sentimentale que je peux avoir<br />

avec cet album. J’essaie de ne jamais sacraliser la<br />

musique par rapport à une période.<br />

Enregistré en 2006, quel effet cela te fait de le sortir<br />

maintenant, 7 ans après et à la suite d’un album<br />

composé plus tard ?<br />

Je trouve ça super bien. Le rapport que j’ai avec la<br />

musique est très distancié de l’actualité. Moi je suis<br />

surtout dans le jazz, j’écoute des trucs des années 60,<br />

sans tout ce que l’on trouve aujourd’hui autour de la<br />

musique du type promotion-buzz-image. Ce sont des<br />

mots horribles qui t’éloignent de la musique ellemême.<br />

Là avec la distance je ne suis plus dans<br />

l’album, j’en parle mieux, avec du recul. Ca ne m’était<br />

jamais vraiment arrivé et c’est pas mal même si je ne<br />

le ferai pas sur chaque album.<br />

Tu as une relation particulière à la production et ici tu<br />

apparais exclusivement comme un producteur, un<br />

beatmaker. Quel effet cela te fait par rapport à l’image<br />

que le public a de toi, c’est à dire purement un<br />

chanteur/rappeur ?<br />

Je suis beatmaker depuis le départ, depuis 15 ans<br />

mais les gens pensent que c’est Detect qui fait les<br />

sons alors qu’il est mon Dj et mon ingé-son. Au<br />

départ, même avec le Klub des 7 c’était mon album<br />

de beatmaker mais je me suis juste caché derrière le<br />

groupe. Donc moi cela me fait pas bizarre d’apparaître<br />

exclusivement en tant que beatmaker. Ce qui est<br />

marrant c’est que mon travail de rappeur est très<br />

cloisonné de celui de beatmaker, je ne les associe<br />

que pour la finition mais dans ma tête ce sont deux<br />

mondes. Pour Last Days, je me dis « Enfin ! Les gens<br />

ne pourront pas fermer les yeux sur mon travail<br />

sonore ».<br />

Je n’ai pas fait cet album pour montrer ma production<br />

en tant que beatmaker parce que chez moi ce travail<br />

est continu. Il y avait déjà Spring Tales même si c’est<br />

purement un album hiphop pour rapper dessus alors<br />

qu’avec Last Days c’est un projet en tant que tel. Je<br />

ne dirais même pas que Last Days est un album<br />

hiphop mais plutôt un disque de beats. Il n’y a pas du<br />

tout que du sampling. Sur pleins de morceaux j’ai tout<br />

joué, modifié, programmé. Mais bien sûr il y a toujours<br />

mon approche hiphop avec la boucle.<br />

Sur Last Days alors, avec quelles machines as tu<br />

composé ?<br />

Ahah. C’est cool d’enfin parler de musique. Merci<br />

<strong>CRUMB</strong>. Normalement on me demande juste : «<br />

Pourquoi le masque ? ». Dans Last Days j’ai bossé<br />

essentiellement sur la MPC 2000 XL, un Minimoog et<br />

des machines plus vintages comme le Korg Sigma et<br />

le Fender Rhodes. Ce n’est que de l’analogique parce<br />

que je suis très attaché à ce grain chaud. Tu le sens,<br />

l’album est sale mais dans le bon sens du terme, il<br />

grésille. J’adore quand le son est chaleureux, c’est ma<br />

marque du Klub. Cet album vient un peu de mon<br />

obsession pour le Minimoog et toutes ces ambiances<br />

spatiales…<br />

Tu sembles chercher l’harmonie sonore, un grain<br />

musical particulier sur chacun de tes albums.<br />

Complètement. Ici je suis encore dans la lignée des<br />

précédents projets : un son hyper chaud, hyper Low-<br />

Fi, analogique. C’est pour ça que j’ai toujours Detect<br />

comme ingé-son qui vient nettoyer mes mixs. Parfois<br />

je lui donne des morceaux vraiment trop crades pour<br />

qu’ils soient passables (rires).<br />

A quel point Detect t’a apporté sa patte sur Last Days<br />

?<br />

Par énormément sur ce projet là. Juste que comme on<br />

bosse ensemble depuis longtemps il sait parfaitement<br />

ce que je veux et le grain que je cherche. Donc il fait<br />

le travail de finition au niveau du son en neutralisant<br />

certaines fréquences qui crachaient trop. Il me connaît<br />

bien.<br />

De la manière dont je t’écoute on dirait que tu te<br />

préfères comme beatmaker ?<br />

En fait, oui, je pense. En tout cas plus que comme<br />

rappeur. J’ai toujours rêvé d’être beatmaker depuis<br />

mes 13 ou 14 ans mais j’ai dû attendre de signer chez<br />

Record Makers pour avoir des avances et m’acheter<br />

une MPC. J’ai trouvé un Minimoog pas trop cher en<br />

2005 après Vive la Vie. A partir de ce moment là j’ai<br />

rattrapé le temps perdu. J’avais plein de vinyls prêts à<br />

être samplés et j’étais comme un gosse. C’est là que<br />

tout a vraiment commencé pour moi.<br />

Quand tu composes, comment avances-tu ? Est-ce<br />

l’improvisation qui te fait progresser ou tout est déjà<br />

organisé dans ta tête ?<br />

Comme c’est un travail constant, parfois ça va partir<br />

d’une boucle à partir de laquelle je retravaille ou<br />

parfois c’est un air qui me vient du synthé et qui<br />

m’accroche. Je n’ai pas de méthode type puisque je<br />

compose tous les jours. Ce qui est super c’est que les<br />

instruments t’aident à composer ta musique. Le<br />

Minimoog ca ne fonctionne pas avec des accords<br />

donc il va m’inciter à jouer d’une certaine manière<br />

alors que le Fender Rhodes me permet de me lâcher<br />

sur les accords. L’instrument m’amène à composer<br />

d’une certaine manière, ça fait évoluer ma musique.<br />

C’est pour cela que je pense aussi que les mecs<br />

d’aujourd’hui font souvent tous la même musique. Sur<br />

numérique c’est une machine avec les mêmes<br />

réglages c’est plus difficile d’être original. Alors<br />

qu’avec l’analogique ce qui est intéressant c’est<br />

l’erreur. Par exemple le Minimoog il est hyper<br />

capricieux : ça met 10 minutes à chauffer, parfois tu<br />

joues et il se coupe.<br />

Comme tu nous l’as raconté, il y une histoire solide<br />

dans Last Days, c’est un album qui parle facilement<br />

grâce aux samples mais aussi à un effet roadtrip<br />

passionnant. Est ce que tu associes ta musique à des<br />

images ?<br />

Pas à des images mais plus à des couleurs. C’est un<br />

peu con mais cet album est bleu parce que pour moi<br />

l’espace c’est forcément bleu et cosmique donc je l’ai<br />

illustré par des pianos et du Moog. Tout ce qui est


Fender Rhodes et trompette c’est plus jaune tandis<br />

que le xylophone et les aigues c’est bleu. Non, ma<br />

composition n’était pas associée à des images parce<br />

que sur cet album je raconte une histoire grâce aux<br />

dialogues.<br />

Ces dialogues te sont venus comment ?<br />

C’est une recherche constante. Chez moi c’est un<br />

magasin donc je pioche. Le plus difficile c’est de<br />

chercher plein de bouts différents et de créer au final<br />

une cohérence, de donner l’impression que c’est le<br />

même groupe qui a tout joué, d’en faire ton son. C’est<br />

ça qui est marrant aussi, c’est de faire des collages à<br />

partir de voix de vieux disques et de les détourner<br />

pour recréer une pièce décalée. Sur Wet Dreams c’est<br />

une fille qui rêve de faire du fistfucking alors<br />

qu’évidemment ce n’était pas du tout le dialogue<br />

d’origine (rires).<br />

Comment les utilises-tu dans ta composition, pour<br />

rythmer la musique ?<br />

Je tombe sur une boucle et cela m’inspire tel ou tel<br />

sentiment. Le plus difficile c’est de trouver la bonne<br />

caisse claire qui permet de l’intégrer à la boucle en<br />

donnant l’impression qu’elle a toujours fait partie du<br />

morceau d’origine. Le travail de texture me prend le<br />

plus de temps.<br />

J’ai l’impression que le travail sur Last Days a été<br />

sensiblement différent.<br />

C’est vrai. Habituellement je fais de la musique tout le<br />

temps, par-ci par-là, alors que pour Last Days je me<br />

suis concentré pour faire un album construit. Je l’ai fait<br />

pour moi, sans vouloir le sortir, donc dès le départ ça<br />

allait devenir un album harmonieux. Pour Spring Tales<br />

j’avais simplement réuni pleins d’instrus. Pour La Fin<br />

de l’Espèce il y avait une grosse attente. J’ai un<br />

ressenti beaucoup plus intime avec Last Days.<br />

Avec La Fin de l’Espèce, le Klub a atteint un succès<br />

plus large que précédemment. Comment cela a joué<br />

par rapport à la sortie de Last Days ?<br />

Je sais pas pourquoi mais d’un coup j’avais envie de<br />

sortir Last Days. En le réécoutant il y a pas longtemps<br />

je me suis dit que c’était con de le garder que pour<br />

moi et que cela pouvait intéresser des gens. Mais<br />

avant je ne voulais pas le sortir parce que je savais<br />

que les gens attendaient une suite à Vive la Vie. Les<br />

gens ont tendance à moins faire attention à mes<br />

projets d’instrus alors qu’ils ont autant de valeur pour<br />

moi. Ils pensent que c’est juste un « sideproject ». J’ai<br />

donc attendu pour offrir à Last Days la place qu’il<br />

mérite à mes yeux. Les gens seraient passés à côté si<br />

je l’avais sorti avant La Fin de l’Espèce. Ils n’y<br />

auraient pas fait attention.<br />

Tu nous parles de substances et du son du Klub qui a<br />

toujours été teinté de pop. Comment ont-elles<br />

influencé ta production ?<br />

Aucun effet, c’est des conneries, dans le sens que<br />

c’est un mythe de dire que les substances te font<br />

créer une bonne musique. Simplement que je suis<br />

assez nerveux donc après une grosse journée de taff ‘<br />

de bureau j’avais besoin de ça pour me calmer. A la<br />

limite, parfois les substances te font entendre<br />

différemment la musique, tu te concentres sur un effet<br />

que tu n’avais pas assez remarqué, tu entres par une<br />

nouvelle porte dans ta musique. Mais sinon, quand tu<br />

t’es défoncé, il ne faut pas faire de musique. Tu fais<br />

une boucle, tu crois que c’est mortel et le lendemain<br />

matin t’écoutes et c’est nul. Quand t’es défoncé, t’es<br />

défoncé, c’est tout. Ca ne sert à rien. Ca ne mène<br />

nulle part.<br />

Tu aimes poser le doigt là où ça fait mal. Sur Vive la<br />

Vie c’était l’adolescence et le suicide, avec La Fin de<br />

l’Espèce c’était sur la reproduction et les relations aux<br />

femmes. Avec Last Days, tu cherches à soulever des<br />

questions ?<br />

Sur celui-ci c’est différent. C’était à un moment où je<br />

n’avais plus envie de rapper. Après la sortie de Vive la<br />

Vie, j’avais fait une grosse tournée mais j’étais dans<br />

une période de doutes à cause de l’industrie du<br />

disque qui se cassait la gueule. Donc j’ai compris que<br />

si je voulais bien vivre de ma musique il fallait que je<br />

travaille à côté sinon c’était difficile de ne pas «<br />

corrompre » ma musique. Donc j’ai trouvé un vrai taff’,<br />

à côté et j’avais plus forcement l’envie de rapper. Par<br />

contre, je voulais toujours raconter une histoire, d’où<br />

l’utilisation des dialogues. C’est un album qui est<br />

vraiment conçu pour chez toi. T’ouvres une bière et<br />

t’écoutes de la Musique, au-delà du style hiphop.<br />

Dans le catalogue on trouve une traduction en<br />

japonais. Quel est ton rapport à ce pays ?<br />

L’album sort au Japon mais je ne le savais pas quand<br />

je composais. Les japonais sont vachement dans ce<br />

style de musique cosmique. J’en reviens d’ailleurs et<br />

c’est fou là-bas. Tu trouves tout. Ils ne téléchargent<br />

pas du tout illégalement par respect de la musique<br />

d’abord et ensuite de la loi. Donc c’est un marché où<br />

le disque fonctionne encore, où les japonais font plus<br />

attention à la musique que nous. 70% de la musique<br />

que j’ai achetée sont des vinyls français qu’on ne<br />

trouve plus ici et qu’eux respectent. Il y a du jazz<br />

partout là-bas, tu vas pisser et c’est du Blue Note qui<br />

tourne - c’est leur musique de base. Même quand tu<br />

te balades au supermarché tu as l’impression d’être<br />

dans Cobra. Je pense qu’inconsciemment c’est pour<br />

cela que j’adore le jazz-funk parce que gamin quand<br />

je regardais les dessins animés j’étais face à de la<br />

qualité.<br />

Tes textes portent en eux l’esprit d’écriture française.<br />

Pourquoi ici présenter l’album en anglais ?<br />

Simplement parce que c’est un album qui pourrait être<br />

produit par un allemand ou un anglais donc j’ai voulu<br />

rentrer dans l’universel, à la fois par la langue utilisée<br />

mais aussi par la musique que je partage. C’est un<br />

projet international même si inversement ce serait<br />

ridicule de mettre mais titre en anglais sur le Klub des<br />

Loosers. Au fond, Last Days n’est même pas un<br />

album de beatmaker mais de musique, tout<br />

simplement. C’est fini la séparation de genres que l’on<br />

trouve dans les bacs chez le disquaire. Quand tu fais<br />

de la musique tu fais ce qu’il te plaît, sans<br />

cloisonnement mais avec emprunts. C’est pour cela<br />

que j’adore la musique brésilienne, elle est faite de


fusions. Mais il y aura toujours des extrémistes du<br />

genre, des mecs qui veulent garder des chapelles<br />

comme quand Miles Davis quand il a introduit le<br />

Fender Rhodes dans le jazz.<br />

Tu sembles davantage posé avec ce type de projet<br />

comme Last Days. Tu vas en sortir d’autres du même<br />

genre?<br />

Il y en aura d’autres parce que vers 2006 j’ai<br />

énormément travaillé et donc j’ai au moins deux ou<br />

trois autres albums d’instrus. J’ai fait d’autres beats<br />

très différents de Last Days. J’ai des sons plus funk et<br />

d’autres plus différents. Vous verrez !<br />

T’en penses quoi de conclure la trilogie après Vive la<br />

Vie et La Fin de l’Espèce ?<br />

Oui, j’ai envie de finir cette trilogie même si pour<br />

l’instant je bosse sur le prochain Klub des Loosers qui<br />

ne fera pas partie de la trilogie. Je reste dans le<br />

même univers, avec le même personnage mais je le<br />

présente à travers un autre prisme. Après il y aura le<br />

dernier épisode de la trilogie.<br />

Tu peux nous en dire quelques mots ?<br />

Non, je suis en plein dedans. Je préfère prendre mon<br />

temps, tu comprends…<br />

Après l’adolescence et la trentaine, tu vas parler des<br />

vieux ?<br />

Non non non (rires effleurés). Ce n’est pas si logique<br />

que ça. Non. Je ne suis pas logique.<br />

Interview et propos recueillis par Sirius Epron.<br />

Photograhies : Laurent Nalin, du Collectif 5.6,<br />

pour Crumb magazine


RODRIGO<br />

AMARANTE<br />

Interview publiée le 11 février 2014<br />

Il s’en est passé, du temps, depuis 2008. Little Joy, groupe éphémère, sort un album, fait le tour des<br />

festivals et rencontre un franc succès. Rodrigo Amarante y chantait en anglais des refrains dont<br />

certains d’entre vous se souviennent sûrement. Membre de Los Hermanos et Orquestra Imperial, le<br />

Brésilien s’aventure aujourd’hui en solo dans un album solitaire, dans le bon sens du terme, et<br />

éminemment touchant. Il nous a parlé de ses amis, de ses voyages sur la Terre et en lui même, en<br />

décortiquant certaines de ses chansons.


L’album sort bientôt en Europe. Comment a-t-il été<br />

reçu au Brésil, chez toi ?<br />

Je ne peux pas vraiment savoir. Toutes les<br />

informations que j’ai proviennent de mes amis et des<br />

concerts. Cela dit, je peux dire que j’en suis très<br />

satisfait. Les réactions ont été très intéressantes. Pas<br />

seulement positives. Les gens parlaient des paroles,<br />

des idées et du son de l’album. Ils ont été surpris que<br />

je fasse un disque comme cela ! J’ai eu le retour que<br />

je voulais. En plus, jouer l’album en concert a été très<br />

libérateur car je savais que ça allait être quelque<br />

chose de très délicat : ce sont des chansons qui<br />

prennent beaucoup d’espace, qui ont un certain<br />

dynamisme. Les Brésiliens ont l’habitude de me voir<br />

très bruyant avec Los Hermanos ou même avec<br />

Orquestra Imperial. C’est un autre groupe que j’ai.<br />

C’est dans le style de la musique des casinos des<br />

années 1940. Nous avons commencé il y a<br />

maintenant douze ans. Nous avons fait l’Europe et les<br />

Etats-Unis ensemble. Avec ce groupe, nous avons<br />

apporté un type de musique qui avait d’une certaine<br />

façon disparue au Brésil et aussi un type de samba<br />

qui est la gafieira. C’est un type de samba qui a été<br />

particulièrement influencé par le jazz américain dans<br />

les années 1940 et 1950. J’ai formé ce groupe avec<br />

plusieurs amis dont Seu Jorge, un chanteur<br />

compositeur brésilien qui a notamment travaillé sur un<br />

film de Wes Anderson.<br />

C’est lui qui chante Bowie en portugais ?<br />

Tout a fait. Le groupe était composé de Seu, Caetano,<br />

qui est un très bon ami moi et quelques autres gars de<br />

Rio. Je raconte cela pour te dire que c’était quelque<br />

chose de très différent et que mon nouvel album est<br />

aussi différent par rapport à tout ce que j’ai fait<br />

auparavant. Même par rapport à Little Joy. Ce fut un<br />

véritable défi. Avec Cavalo, au lieu de pousser, je me<br />

retire légèrement. Je crée du silence pour que les<br />

gens puissent se rapprocher. Tout l’album contient<br />

cette idée de silence. En tout cas, j’ai eu de bons<br />

résultats, de bonnes critiques, et mes amis ont<br />

apprécié. Je sens que pour sortir un album comme ça<br />

il faudrait du temps, mais je l’ai laissé sortir. Je ne<br />

parle pas de temps pour atteindre un certain succès,<br />

mais du temps pour que les gens l’écoutent.<br />

C’est bien plus calme que Little Joy, qui était déjà<br />

assez détendu avec une ambiance plus<br />

silencieuse. J’ai lu ta lettre qui expliquait que tu étais<br />

sans meubles… Parle-moi un peu de cette histoire.<br />

C’était une lettre pour Caetano Veloso, peut-être le<br />

plus grand compositeur brésilien. C’est le fondateur<br />

du mouvement Tropicália. Il a une certaine importance<br />

et il se trouve que je suis son ami. Je lui ai écrit une<br />

lettre avant la sortie de l’album. Pendant que<br />

j’écrivais, je parlais avec Devendra Banhart. Nous<br />

sommes partis en tournée ensemble. Il m’a alors<br />

conseillé d’écrire mon propre communiqué pour la<br />

sortie de mon album au lieu de la faire faire à<br />

quelqu’un. D’habitude on donne ce travail à une<br />

personne qui a un certain nom ou une opinion qui<br />

compte. Cela dit, je n’ai jamais trop aimé ce<br />

processus. Alors, quand j’ai réfléchi à ce que j’aurais<br />

dit, je me suis rendu compte que la lettre que j’avais<br />

écrite à Caetano était parfaite. J’ai effacé le “Cher<br />

Caetano” et j’ai changé quelques passages pour que<br />

cela devienne la chronique de l’album. J’écris à<br />

quelqu’un qui est intéressé, qui apprécie les idées et<br />

les concepts. Je me suis dit, “C’est parfait ! Je ne<br />

devrais pas me retenir ou m’excuser car je veux dire<br />

quelque chose en particulier !”. C’est plus ou moins la<br />

manière dont cela s’est déroulé. Vous avez besoin<br />

d’une chronique ? La voilà ! J’étais un peu inquiet que<br />

cela ne marche pas en dehors du Brésil, car il y avait<br />

quand même une sorte d’attente et j’ai voulu<br />

présenter le projet correctement pour ceux qui<br />

auraient eu une certaine envie de savoir ce que je<br />

pense. L’album t’intéresse ? Tu veux savoir ce qu’il y<br />

a derrière l’album ? D’où ça vient ? Eh bien voilà !<br />

Cela a très bien marché dans mon pays. Les gens qui<br />

posaient les questions savaient de quoi ils parlaient et<br />

cela se sentait. Cela a dirigé leur écoute. C’est plutôt<br />

nouveau comme concept, je n’y avais jamais pensé<br />

avant et je suis très heureux de l’avoir fait.<br />

Où as-tu déménagé ?<br />

Aux États-Unis. J’ai vécu au Brésil toute ma vie et j’ai<br />

commencé à y aller pour enregistrer. Je n’ai jamais<br />

imaginé aller un jour vivre aux States, mais j’ai<br />

rencontré Devendra Banhart à Londres quand je<br />

jouais à un festival et nous sommes devenus amis.<br />

Nous avons échangé nos adresses électroniques et<br />

quelques chansons. Il m’a ensuite invité à aller aux<br />

États-Unis pour enregistrer avec lui. À l’époque, Los<br />

Hermanos étaient encore actifs, c’était en 2007 je<br />

crois. J’y suis allé pour enregistrer quelques chansons<br />

mais j’ai fini par enregistrer tout l’album avec lui. Nous<br />

sommes devenus de très bons amis, y compris avec<br />

Nowa, le productueur et ingé-son. C’est aussi l’ingéson<br />

de Cavalo et de Little Joy. C’est d’ailleurs à cette<br />

époque que j’ai reçu un appel de Fabrizio, le mec<br />

avec qui j’ai fait l’album de Litlle Joy. C’est le batteur<br />

des Strokes. Je l’avais rencontré au Portugal à un<br />

autre festival quelques années auparavant. Il m’avait<br />

dit “J’ai cru comprendre que t’es à L.A., on se voit ?”.<br />

On s’est vu et il m’a proposé de l’aider à finir sa<br />

chanson. Cela devait être une seule chanson, mais<br />

c’était tellement facile de composer avec lui qu’au final<br />

c’est devenu un album entier : Little Joy. Ensuite je<br />

suis parti en tournée aux U.S. avec Devendra, puis<br />

avec Little Joy. Au bout d’un moment je me suis<br />

retrouvé avec deux adresses, et je me suis dit “Tu<br />

sais quoi ? C’est génial !”. Après l’album de Devendra,<br />

nous avons décidé de se séparer avec Los<br />

Hermanos. Nous avons fait une pause. C’était parfait<br />

pour moi d’aller sur une nouvelle terre où il faut que je<br />

parle une autre langue. Un autre défi pour moi et ma<br />

musique, aller quelque part où il n’y a pas d’attente de<br />

la part du public et où tout le monde se fout de toi. Je<br />

me disais “Présente ta musique et l’on verra ce qui se<br />

passe”. En tant que compositeur, c’était important<br />

pour moi de le faire.<br />

Parle-moi de ta chanson en français, Mon Nom.<br />

C’est un grand défi d’écrire en anglais. Je parle assez<br />

bien anglais maintenant, mais écrire est quelque


chose qui nécessite une exploration des sens de<br />

chaque mot. Il m’a fallu beaucoup d’entraînement et<br />

d’engagement. Quand j’ai finalement été à l’aise, j’ai<br />

écrit quelques chansons en anglais et j’ai remarqué<br />

que les textes parlaient du processus même de<br />

l’écriture, du fait que j’étais en dehors de ma “terre”.<br />

Ils commençaient à devenir très personnels. Je<br />

voulais écrire une chanson à propos du fait d’être<br />

étranger et j’ai pensé à la langue française. La culture<br />

française entretient une relation d’amour avec ce qui<br />

l’entoure, dans le monde. Le mot exotique vient de la<br />

langue française. Malgré cela, une tension existe en<br />

France, dûe aux conséquences du colonialisme. C’est<br />

ce paradoxe qui m’a poussé à écrire en Français. J’ai<br />

étudié la langue et je l’adore. Ce fut un processus très<br />

intéressant. J’ai commencé la chanson en disant “Je<br />

suis l’étranger” et puis “Je ne parle pas tout à fait<br />

comme toi”. Au début de la chanson, je m’excuse<br />

quant à la manière dont je parle. En écoutant, on<br />

pourrait penser que je parle d’une manière différente<br />

ou que je ne dis pas exactement ce que je voudrais<br />

dire, ce qui peut limiter le degré de compréhension à<br />

la surface du texte. Pourtant, ce sont bien<br />

évidemment des métaphores. La langue française a<br />

particulièrement bien marché. J’ai trouvé le thème, le<br />

nom, Bruno et le mot “brun”, qui peut être lu comme<br />

ayant un lien avec la race et la culture arabe. J’ai<br />

choisi des mots et des choses que peut-être même<br />

les Français n’auraient pas su comprendre. Par<br />

exemple, quand je dis “aubergine”, je parle des<br />

femmes près des parcmètres qui portent des<br />

vêtements violets. Quand je dis “plate-bande”, je parle<br />

du trottoir. Tu sais à Paris, il y a ces petits endroits<br />

avec les fleurs sur les cotés. Je dis que je viens de<br />

cela… Je parle aussi un peu du film Being There de<br />

Hal Ashby avec Peter Sellers, son personnage est un<br />

jardinier. Le propriétaire du territoire sur lequel il<br />

travaille meurt et les gens le prennent pour le<br />

propriétaire. Ainsi, ils pensent que c’est un ‘economic<br />

adviser’ et ils l’écoutent en tant que tel alors que ses<br />

discours sur le jardinage ne sont pas des métaphores.<br />

Il parle des saisons, où investir, où planter mais les<br />

personnes ne savent pas qu’il parle littéralement de<br />

jardinage. C’est une autre idée présente dans la<br />

chanson. Le personnage n’est pas au courant du<br />

message qu’il donne, voire dans l’autre sens : je<br />

m’excuse et je ne suis pas conscient du sens de mon<br />

message. Cela a été dangereux pour moi, un autre<br />

niveau de danger. J’aime beaucoup la France. J’aime<br />

le cinéma français, la littérature et je voulais en faire<br />

partie. C’était également la langue parfaite pour cette<br />

chanson, pour ce thème.<br />

Mais tu n’as pas commencé à partir de rien n’est-ce<br />

pas ? Tu avais étudié le français auparavant ?<br />

Oui et j’étais amoureux d’une Française, ça aide. Une<br />

autre chose qui m’a encouragé c’est le projet<br />

Brassens. On m’a proposé de traduire Brassens et j’ai<br />

accepté ! Mais je n’aurais pas pu le faire tout seul,<br />

alors j’ai invité un ami français. C’est un batteur qui<br />

joue avec moi dans Orquestra Imperial. Je<br />

connaissais la musique de Brassens auparavant et<br />

j’avais étudié le français à travers les paroles de ses<br />

chansons. Mais je ne suis pas français et il y a<br />

tellement de niveaux d’humour et en général des<br />

choses que le chanteur portait dans ses textes. Mon<br />

ami m’a parlé de la vie de Brassens, sa relation avec<br />

sa femme, d’où il vient, ce qu’il se passait en France à<br />

l’époque. Je me suis demandé comment est-ce que je<br />

pouvais préserver les rimes et le prodige du discours.<br />

Comment souligner le sens de l’humour et comment<br />

le faire de manière élégante tel que le faisait<br />

Brassens. Il le fait de manière très élégante et du<br />

coup cette traduction a été un défi. J’ai adoré le faire !<br />

Au début, c’était un peu “Merde ! C’est trop<br />

compliqué. Je ne vais pas pouvoir finir tout ça”, mais<br />

aujourd’hui, je suis très satisfait du résultat ! J’ai mis la<br />

chanson en français sur l’album.<br />

J’ai commencé à écrire une autre chanson en<br />

français. Je l’aime bien. Je veux que mon français<br />

s’améliore rapidement. J’ai découvert une dimension<br />

positive et intéressante dans le fait de ne pas écrire<br />

en portugais. Je ne peux pas utiliser le vocabulaire<br />

comme outil pour créer des couches au-dessus d’un<br />

concept et ainsi faire passer un message qui n’est pas<br />

très clair ou vrai. Si j’écris en anglais, je dois être<br />

propre dans mon écriture, je dois savoir ce que je dis.<br />

Bien sûr, c’est pareil pour toutes les langues. Mais en<br />

portugais, par exemple, il y a une chanson que j’ai<br />

écrite pour Los Hermanos qui traite du discours de<br />

l’homme envers la femme. C’est toute une chanson<br />

avec un langage très compliqué, mais qui au final ne<br />

dit rien. Toute la chanson est une excuse pour n’avoir<br />

rien à dire mais le tout est masqué par un langage<br />

très flamboyant. C’est une métaphore de la rationalité<br />

masculine qui est mise en opposition à la femme. La<br />

femme exprimerait davantage de sentiments sous<br />

forme pure alors que le discours flamboyant et le<br />

vocabulaire appartiendraient au profil du mâle. Donc<br />

je peux faire cela en portugais, mais pas en anglais.<br />

Pas encore.<br />

Mais en étant dans le pays, tu peux apprendre les<br />

petites subtilités de la langue.<br />

Oui c’est vrai. J’adore les langues. Je travaille très dur<br />

pour comprendre. S’il y a un mot que je ne connais<br />

pas, je demande ce qu’il signifie. Je collectionne des<br />

dictionnaires et j’adore rechercher les origines des<br />

mots. C’est amusant.<br />

Tu penses qu’il y aura un retour avec Little Joy ?<br />

Bien sûr ! Il y a une grande possibilité. Fab et moi<br />

sommes allés en tournée avec Devendra cette année,<br />

aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe. Nous avions un<br />

certain nombre de chansons que nous avons<br />

commencé à écrire mais qui ont été mises de côté.<br />

Nous avons commencé à les reprendre en main. Fab<br />

a écrit plusieurs chansons, c’est un compositeur<br />

incroyable. Il est très bon. Il me montrait ses<br />

chansons et nous étions en train de recommencer à<br />

collaborer mais les Strokes l’ont rappelé. On s’adore,<br />

et nous avons toujours pensé que ce serait dommage<br />

de n’avoir qu’un seul album de Little Joy.<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola.<br />

Traduction : Jacopo Martini<br />

Photographie : Yann Morrison, pour Crumb


JACKSON<br />

SCOTT<br />

Interview publiée le 17 décembre 2013<br />

A cinq millions de visiteurs uniques par mois, c’est aujourd’hui Pitchfork qui fait et défait les<br />

réputations musicales sur le web. L’histoire de cet américain d’à peine vingt ans, Jackson Scott en est<br />

la dernière illustration en date. Un morceau posté sur Soundcloud et c’est le graal : That Awful<br />

Sound est nommé ‘Best New Track’ par le site américain. En quelques mois, il signe chez Fat<br />

Possum, sort son premier album Melbourne et entame une tournée. Nous sommes donc partis à la<br />

rencontre de ce petit génie à l’air désinvolte. C’était au Trabendo, juste avant l’ouverture du Pitchfork<br />

Festival de Paris, où il était justement programmé.<br />

D’où viens-tu, Jackson ?<br />

J’ai grandi à Pittsburg en Pennsylvanie et je vis à<br />

Asheville en Caroline du Nord depuis quelques<br />

années. J’y ai rapidement arrêté la fac. A Pittsburg<br />

c’était un peu vide. Il n’y avait pas grand chose à faire<br />

à part traîner avec des potes et donc faire de la<br />

musique. Je pense que certains me trouvaient<br />

ennuyeux mais je m’en fichais un peu. J’avais juste<br />

envie de faire de la musique, le reste je m’en foutais.<br />

J’ai apprécié les grands espaces, les forêts. C’est un<br />

peu pareil à Asheville d’ailleurs. Je ne suis pas<br />

vraiment un mec de la ville.<br />

En arrivant à Asheville, tu t’es connecté avec la scène<br />

locale?<br />

Oui, j’ai monté un groupe. On jouait des trucs. Mais je<br />

ne sais pas si on peut dire qu’il y a une « scène » là<br />

bas, c’est juste des kids qui traînent et c’est cool. Tout<br />

le monde à la fac était dans cet esprit-là. On jouait, on<br />

chantait, personne ne jugeait. C’est vraiment un<br />

endroit où tu peux faire ce que tu as envie de faire.<br />

J’aime vraiment bien Asheville.<br />

Quand as-tu commencé la musique ?<br />

J’ai commencé à faire de la musique quand j’avais


huit ans. J’ai commencé par apprendre le piano, puis<br />

la guitare et la batterie quand j’étais ado. Je ne sais<br />

pas, j’ai toujours aimé faire de la musique.<br />

Qu’est-ce qu’écoutaient tes parents ? Tu as été nourri<br />

aux Nugget’s je crois (des compilations, ndlr) ?<br />

Ils ont tous les deux grandi dans les sixties donc il y<br />

avait beaucoup de musique de ce genre à la maison :<br />

Jimmy Hendrix, les Beatles. Ma mère, c’était surtout<br />

Hendrix et les Stones. J’ai aussi un grand frère donc<br />

j’écoutais pas mal sa musique aussi, et les trucs qui<br />

passaient à la radio dans les nineties. Je me souviens<br />

qu’on avait Nevermind de Nirvana en cassette, on<br />

l’écoutait tout le temps dans la voiture. Ça m’a<br />

probablement influencé.<br />

Comment as-tu réagis quand Pitchfork t’as nommé<br />

« Best New Track » et quand tu as signé chez Fat<br />

Possum dans la foulée ?<br />

Je ne m’y attendais pas. Je voulais juste sortir mon<br />

truc sur vinyle, peu importe la taille du label. J’ai mis<br />

mon morceau en ligne et je l’ai envoyé un peu partout.<br />

Je n’avais pas tellement de réponse de la part des<br />

labels mais les gens ont commencé à écrire dessus.<br />

Notamment Pitchfork, ouais, qui l’a nommé « Best<br />

New Track ». D’un coup j’ai juste été submergé par<br />

les emails. J’ai choisi Fat Possum pace que je suis<br />

fan depuis très longtemps et puis ça avait l’air d’être<br />

des mecs cools !<br />

La « hype » autour de toi, est donc arrivée très vite.<br />

Comment tu te sens par rapport à ça ?<br />

J’en suis très content ! Je suis conscient qu’en<br />

général ça n’arrive pas aussi vite, c’est plus long pour<br />

la plupart des gens. Je suis juste vraiment heureux de<br />

pouvoir partir en tournée et tout ce qui va avec. Mais<br />

ça ne veut pas dire que ça vient de nulle part. J’ai<br />

travaillé dessus pendant deux ans ! J’ai essayé de<br />

faire les choses sérieusement et c’est vrai, tout s’est<br />

enchaîné rapidement…<br />

Parlons un peu de tes influences. Comme le chante<br />

Television Personalities dans I Know Where Syd<br />

Barret Lives, tu sais où vit Syd Barret ?<br />

(Rires) Il y a une tonne de musiciens que j’aime et<br />

Syd Barret est l’un deux. Je suis très admiratif, il force<br />

le respect. Et pas juste pour ses frasques et les<br />

moments où il devenait fou ! Vraiment, son attitude et<br />

le fait qu’il n’ait pas besoin de faire des longues<br />

interviews pour expliquer ce qu’il fait me touche<br />

beaucoup. Tu le comprends juste en l’écoutant ! Il a<br />

toujours parlé pour lui-même. Ceci dit, je peux aussi<br />

être inspiré par à peu près n’importe quoi. Je peux<br />

écouter une Pop Song à la radio et me dire : « Tiens,<br />

il faudrait que j’essaye de faire ça ».<br />

Tu écoutes beaucoup de musique mainstream ?<br />

Ça dépend de ta définition du mainstream ! La plupart<br />

du temps non, mais ça m’arrive de temps en temps,<br />

comme tout le monde. J’ai rien contre, si je trouve<br />

qu’un morceau est bon…<br />

Un exemple ?<br />

Ok, c’est un peu absurde mais le plus récent… Le truc<br />

c’est que cela ne doit pas être pris hors contexte ! Ce<br />

n’est pas comme si je restais là, assis à l’écouter mais<br />

je dirais le morceau de Robin Thicke. C’est la<br />

première Pop Song que j’ai bien aimée depuis un<br />

moment. La mélodie est vraiment bien. J’aime<br />

vraiment bien l’aspect mélodique dans la musique.<br />

C’est vrai, tu as beau sonner très Lo-Fi, tes morceaux<br />

sont très mélodiques. C’est un choix de ne pas avoir<br />

du tout poli ton son ?<br />

Oui, c’est en partie dû au fait que j’aime enregistrer en<br />

analogique. J’aime bien l’analogique en général, en<br />

photo, en cinéma… J’ai commencé à enregistrer en<br />

numérique et puis un de mes amis a acheté un quatre<br />

pistes. J’ai aimé comment cela sonnait et la manière<br />

de faire. Je l’ai gardé.<br />

Pourquoi avoir intitulé ton album Melbourne alors ?<br />

C’était le nom de la maison où on vivait. Enfin, c’est le<br />

nom de la rue et on appelait la maison comme ça,<br />

genre « On rentre à Melbourne ! ». Comme j’ai tout<br />

enregistré là bas, j’ai trouvé que ça collait bien.<br />

T’as pris des acides quand tu enregistrais ton album ?<br />

Oui, effectivement. J’en ai pris quelques fois. Il y a un<br />

ou deux trips qui m’ont influencé. Il y a une fois<br />

notamment, il y a quelques étés, où j’ai pris de la<br />

mescaline. Je ne l’ai plus refait depuis mais c’était<br />

vraiment cool. Un peu comme, je n’sais pas, ça m’a<br />

inspiré. Pas tant pour les choses auxquelles tu<br />

penses que celles que tu vois. Ça peut t’amener à des<br />

idées très intéressantes. Mais je dois dire que<br />

Melbourne ce n’est pas vraiment ça. Je n’étais pas<br />

tout le temps à coté de la plaque ! Ça m’est arrivé de<br />

fumer de la Weed ou de boire, mais la plus part du<br />

temps j’étais sobre et concentré. Je voulais créer un<br />

album que peut-être tu pourrais écouter sous drogues<br />

mais on a jamais besoin d’être défoncé pour créer,<br />

c’est pas vrai.<br />

Tu as l’air de rejeter cette étiquette d’Indie Boy.<br />

Pourquoi ?<br />

Parce que je ne vois pourquoi on dit cela de moi.<br />

Effectivement, je suis sur un label indé mais certains<br />

ont l’impression que j’ai été nourri à l’Indie Music, que<br />

je n’écoutais que ça. Cela m’arrive bien sûr, mais<br />

j’écoute autant de rock que de rap. C’est juste cette<br />

connotation que je n’aime pas. Je n’ai vraiment rien<br />

contre en fait. Ca peut être rapidement tentant du<br />

coup de me catégoriser comme cela.<br />

Tu es très jeune et tu divises la critique. Un partie voit<br />

en toi quelqu’un de talentueux mais encore un peu<br />

jeune, l’autre pense que tu es juste très malin. Alors,<br />

branleur ou génie ?<br />

Je pense que mon jeune âge alimente tout ça. Je<br />

comprends pourquoi les gens le prennent en compte<br />

mais ça n’a jamais été important pour moi. Regarde<br />

Syd Barret, il n’avait que 21 ou 22 ans quand il a<br />

commencé ! Ca m’est complétement égal en fait.<br />

Propos recueillis par Quentin Monville.


HAIM<br />

Rencontre/Texte publiée le 22 décembre 2013<br />

Notre coup de cœur aux cheveux longs que nous suivons de près, déjà, depuis trois ans (avant même le<br />

buzz provoqué sur les internets cette année) : le charmant trio des sœurs Haim, auteur d’un premier<br />

album respirant le soleil et la bonne humeur, était de passage à Paris au début du mois pour un concert à<br />

guichet fermé à la Gaîté Lyrique. On n’a pas pu s’empêcher de sauter sur l’occasion pour enfin leur poser<br />

quelques questions.<br />

D’emblée, dès notre rencontre, les HAIM<br />

admettent sans concession leur admiration pour<br />

la culture française.<br />

“Il y a quelque chose de très charmant, que ce<br />

soit avec la chanson ou la mode, en France. Je<br />

crois que ça séduit encore plus quand on vient<br />

de Californie. Gainsbourg, Piaf, Françoise Hardy<br />

ou Brigitte Bardot ont vraiment écrit des titres<br />

magnifiques”.<br />

Il se pourrait aussi que Phoenix ait participé à<br />

renforcer leur culte, puisque les demoiselles ont<br />

ouvert leurs concerts dans toute l’Europe. Este,<br />

chanteuse et guitariste, rappelle qu’elle avait<br />

rencontré le groupe lorsqu’elle accompagnait<br />

Julian Casablancas sur scène puis, “Il y a trois<br />

ans, on s’est faufilées dans les backstages après<br />

leur concert à Santa Barbara. Je ne pensais pas<br />

qu’ils me reconnaîtraient, je ne leur avais<br />

d’ailleurs jamais dit avoir un groupe et dès qu’ils<br />

nous ont aperçues, ils m’ont accueillie à bras<br />

ouverts. Je suis triste qu’ils soient encore en<br />

tournée, j’aurais voulu faire la fête avec eux, on<br />

n’a jamais fait de vraie soirée à Paris”.<br />

Leur attachement pour le groupe date… Tout<br />

comme leur amour pour les Vampire Weekend<br />

(lire interview page 14) ou encore The Strokes,<br />

ce qui explique en l’occurence pourquoi elles ne<br />

réalisent toujours pas avoir partagé de si beaux<br />

moments avec chacun d’entre eux. Un de leurs<br />

plus beaux souvenirs était un concert de<br />

Florence and The Machine, “devant des milliers<br />

de personnes, Florence a la capacité de rendre<br />

ces shows toujours plus intimes, on avait<br />

l’impression d’être vingt, on a beaucoup appris<br />

en l’observant”.<br />

Avec Days are Gone, leur année 2013 fut un<br />

véritable tourbillon d’expériences nouvelles. Este<br />

se rappelle qu’elles ont toutes les trois pleuré sur<br />

scène la première fois qu’elles ont entendu la<br />

foule chanter les paroles de leurs chansons.<br />

“Glastonbury était un moment vraiment intense.


En plus de notre concert, on a vu des groupes<br />

merveilleux, on a même chanté avec Primal<br />

Scream sur la grande scène, juste avant que les<br />

Rolling Stones arrivent. Mais la sortie de notre<br />

album restera gravée dans nos mémoires. Un<br />

premier album représente une chance unique et<br />

on en est très fières. On a vraiment l’impression<br />

d’être dans un rêve depuis plusieurs mois, donc<br />

on essaie d’en profiter au maximum”.<br />

Même en tournée, elles continuent à écrire des<br />

paroles, qu’elles enregistrent dans leur<br />

téléphone…<br />

“Il faut rester créatif pour garder de la fraîcheur<br />

dans nos titres”. Fraîcheur ou le mot parfait pour<br />

définir ce premier bijou qui en aura fait danser<br />

plus d’un cette année, puisque chaque morceau<br />

contient un potentiel “tubesque” remarquable qui<br />

n’a pas échappé à Georgio Moroder, publiant un<br />

remix il y a une dizaine de jours de leur premier<br />

single Forever.<br />

Insouciant, le trio, invité un peu partout pour leur<br />

promo, a repris lors de l’enregistrement de<br />

l’émission de radio BBC Live “Lounge Wrecking<br />

Ball” de Miley Cyrus, peu de temps après la<br />

prestation controversée de l’ado Disney aux MTV<br />

Music Awards. Alana, la cadette, trouve cette<br />

controverse exagérée, “En France ca ne vous a<br />

pas choqué tant que cela, non ? Je la trouve<br />

vraiment cool Miley, elle semble vraiment<br />

s’amuser quand elle est sur scène, c’est tout ce<br />

qui compte. A 20 ans, personne n’a envie de se<br />

faire dicter sa conduite, elle a raison de faire ce<br />

qu’elle veut”.<br />

Este chantonne Hold On We’re Going Home et<br />

nous avoue que c’était ce titre qu’elles<br />

souhaitaient reprendre lors de leur passage à<br />

l’émission de la BBC, mais les Arctic Monkeys<br />

s’étaient ré-appropriés le morceau quelques<br />

jours plus tôt. D’ailleurs unanime, la belle famille<br />

revendique comme meilleurs albums de l’année<br />

Yeezus de Kanye West et Nothing Was The<br />

Same, de Drake. Surprenant ou pas. Pas le<br />

même genre mais la même origine<br />

géographique. West Coast quand tu nous tiens.<br />

Alice de Jode


PORTFO<br />

<br />

LIO MIR<br />

ANDA L B<br />

ARNES 2<br />

Série photo publiée le 11 mars 2014


MIKHAEL<br />

PASKALEV<br />

Interview publiée le 21 novembre 2014<br />

Dans la lignée de Mac Demarco et Devendra Banhart, voici Mikhael Paskalev , qui débarque avec un<br />

premier album en Europe et un premier EP aux Etats-Unis. Un gars tranquille, gentil et amical, qui sait<br />

que les amateurs de musique n’en peuvent plus de ces machine-stars que l’on voit partout mais<br />

attendent des concerts intimes d’un mec qui pourrait être et qui est, en fait, notre ami. Au début, il<br />

nous regarde avec nostalgie : “Cela fait un mois que nous sommes en tournée.” Juste avant de<br />

monter sur scène, il ajoute: “Je commence à avoir envie de rentrer à la maison.” Il nous a parlé de sa<br />

musique et son concert nous a montré son pouvoir d’être seul sur scène, courageux et mélancolique.<br />

Quel est le morceau de ton album, What’s Life<br />

Without Losers que tu préfères?<br />

J’aime beaucoup Jive Babe, je trouve qu’elle a une<br />

énergie particulière. I Remember You, aussi, je l’ai<br />

enregistrée et écrite avec mon producteur. C’est la<br />

première fois que je collaborais avec quelqu’un<br />

d’autre sur l’un de mes titres.<br />

Où l’as-tu enregistré ?<br />

Surtout à Liverpool. Au début, j’ai été deux semaines<br />

dans un studio en Norvège, mais cela me dérangeait<br />

de regarder l’horloge au dessus de moi qui me<br />

narguait en me rappelant tout l’argent que j’étais en<br />

train de dépenser. Du coup j’ai enregistré dans<br />

l’appartement de mon meilleur ami – qui est ingé-son<br />

– et dans une salle de gym à Liverpool. Pas<br />

seulement pour avoir un son Lo-Fi mais aussi parce<br />

que c’était plutôt agréable, plus humain.<br />

L’album ressemble à un livre… Il y a plusieurs<br />

personnages : Jenny, Jonny, Susie, Brother, etc. En<br />

apprenant l’hsitoire de ces personnages, on apprend<br />

aussi des choses sur toi. C’était voulu ?<br />

Non (Il rit). Je pense que quand je serai plus âgé, que<br />

j’aurai plus d’expérience, je pourrais peut-être viser<br />

quelque chose de précis à travers mes créations.<br />

Pour l’instant, ce n’est pas assez spontané. Cela ne<br />

m’intéresse pas d’écrire une chanson en pensant déjà<br />

à la prochaine. Pour revenir sur l’idée du livre, j’ai<br />

justement toujours pensé que cet aspect était un


défaut de l’album. Le premier album est toujours un<br />

regroupement un peu flou de ce qui a été écrit<br />

pendant plusieurs années. Par exemple, le dernier<br />

album de Metronomy– Love Letters– est très défini : il<br />

est parfaitement cohérent musicalement et<br />

conceptuellement (lire interview pages 44 et 50).<br />

De quoi parle exactement le titre Jailhouse Talk ?<br />

C’est un échange entre trois personnages. Jenny et<br />

Johnny voudraient être ensemble. Ils ne peuvent pas<br />

car Johnny est en prison pour meurtre. Il y a aussi le<br />

gardien de la prison qui est le troisième personnage. Il<br />

représente toutes les raisons pour lesquelles Johnny<br />

est en prison. J’aime penser que cela est presque<br />

comme un scénario avec des répliques pour chaque<br />

personnage. La chanson est inspirée d’une scène de<br />

Paris, Texas de Wim Wenders.<br />

Tu as étudié au Liverpool Institute for Performing Arts.<br />

Est-ce que tu as réalisé ce dont tu rêvais ?<br />

J’osais même pas rêver d’un truc comme ça ! A<br />

l’époque j’étais guitariste et il n’y avait que cela qui<br />

m’intéressait. J’ai eu une tendinite aux deux bras qui a<br />

durée trois ans, j’ai donc été obligé de repenser ma<br />

manière de voir la musique. J’ai commencé par dédier<br />

beaucoup plus de temps à l’écoute des paroles, des<br />

mélodies et des histoires. <br />

En tant qu’ancien étudiant en musique, te sens-tu<br />

différent par rapport aux autres musiciens qui<br />

t’entourent ?<br />

A vrai dire, en ce moment, je suis en tournée avec des<br />

musiciens de Juliard et Berklee (deux collèges de<br />

musique, ndlr). Ils sont tellement habiles et<br />

intelligents, musicalement parlant. De mon côté, ça<br />

n’a jamais été quelque chose que j’ai vraiment<br />

recherché. Je n’ai pas l’impression que les autres me<br />

regardent différemment dans la mesure où ma<br />

musique et ma personnalité n’ont rien à voir avec un<br />

style académique et scolaire. <br />

As-tu envie que l’on se souvienne de toi,<br />

musicalement, dans 100 ans ?<br />

Je m’en fous. Certains artistes racontent comment ils<br />

ont aidé des gens grâce à leur musique. Je n’ai jamais<br />

fait des chansons pour les autres, je les fais pour moi.<br />

Quand les gens aiment ce que je fais, c’est la plus<br />

belle chose au monde mais ce n’est pas mon but. Je<br />

pense que ca n’a jamais été le but de qui que ce soit<br />

de faire partie de l’histoire de la musique. Au<br />

contraire, je crois que c’est toxique de penser de cette<br />

façon. Cela dit, ça ne me dérangerait pas que l’on se<br />

souvienne de moi (rires).<br />

Tu connaît des artistes qui vont entrer dans l’histoire ?<br />

Oui. J’ai de très bons amis extrêmement talentueux<br />

comme Jonas Alaska et Billie Van. Je pense qu’Avi<br />

Buffalo est un des meilleurs compositeurs de notre<br />

époque, il est aussi très bon en concert.<br />

Phosphorecent est aussi très cool, même s’il ne fait<br />

pas forcément quelque chose de spécial, les histoires<br />

et les mélodies sont ce qui il y a de plus important.<br />

Pouvu que ce soient elles qui restent.<br />

Propos recueillis par Martin O’Pojac.


NATALIE<br />

PRASS<br />

Interview publiée le 27 avril 2015<br />

Après avoir conquis les États-Unis par un son venu d’un autre temps, Natalie Prass sort enfin son<br />

premier album éponyme en France. Intrigués par la capacité de ce disque à remettre au goût du jour<br />

une production orchestrale et subtile, nous sommes allés à sa rencontre. Elle évoque Austin,<br />

Nashville, Boston et sa figurine porte-bonheur, Godzilla devenue l’emblème de ses tournées.<br />

Un retard sur un planning d’interview peut parfois avoir du bon : c’est-à-dire arriver pile pour<br />

l’enregistrement d’une session live. Avant même de s’assoir pour discuter avec l’artiste, on comprend<br />

rapidement qu’elle a plus d’un tour dans son sac. Si l’album pourrait être une synthèse d’un certain<br />

folklore musical américain -soul, folk et une touche de bonne vieille comédie musicale de Broadwaylorsqu’il<br />

est interprété avec deux guitares, c’est un accent de blues brulant qui en ressort, contrasté<br />

par la voix mutine de Natalie Prass. Les deux titres nous font voyager dans le mythe d’un American<br />

Dream intemporel où les notes de guitare semblent résonner perpétuellement dans les grandes<br />

étendues désertiques de la Sun Belt. La plupart des chansons de Natalie Prass ont été écrites après<br />

une rupture. La prouesse du travail de son auteur réside dans sa capacité à éviter le risque de la<br />

plainte lourde et chargée de pathos. Natalie Prass offre plutôt un instant de volupté, qui n’a pas<br />

échappé aux médias américains criant au talent.


L’artiste vient ensuite s’assoir à nos côtés. Elle se<br />

relève pour aller chercher un objet qui s’apparente de<br />

loin à un jouet en forme de dinosaure, laissé près de<br />

sa guitare.<br />

Serait-ce Godzilla ?<br />

C’est plutôt un faux Godzilla, vu qu’il a été fait en<br />

Chine, le vrai est japonais (rires). Je l’ai trouvé dans<br />

un marché en Angleterre, je le ballade beaucoup<br />

depuis : sur scène, partout et tout le temps.<br />

Tu as donné plusieurs concerts au festival South by<br />

Southwest le mois dernier, que retiens-tu de cette<br />

experience ?<br />

C’était déjà il y a si longtemps ? (Rires). Je n’en<br />

reviens pas. C’était vraiment incroyable car nous<br />

avions tourné en Europe juste avant, le choc<br />

thermique fut violent ! La chaleur était insoutenable et<br />

mon corps n’y était pas préparé. Ca grouillait de<br />

monde et une sorte de bruit permanent arrivait de<br />

toute part. Pour nos derniers shows, j’étais d’humeur<br />

à jouer très bas, pour donner du répit à mes oreilles<br />

tant il y avait de la musique venant de partout dans la<br />

ville. Je me demande vraiment comment les gens ont<br />

supporté ça.<br />

Là-bas, on ne peut pas vraiment savoir l’impact que<br />

l’on a sur les gens, il n’y a pas de balances et les<br />

shows sont très courts. Certains furent vraiment<br />

épiques, mon clavier m’a lâché pour plusieurs<br />

concerts donc j’ai dû jouer de la guitare. Au final, le<br />

concert que je pensais le plus catastrophique a été le<br />

plus commenté par la presse et de manière positive,<br />

ça m’a surprise. Le contraste avec notre tournée<br />

précédente avec Ryan Adams où nous avions des<br />

balances d’une heure et jouions dans des salles<br />

magnifique ont rendu l’expérience encore plus<br />

absurde.<br />

Comment t’es tu retrouvée à Nashville pour écrire cet<br />

album ?<br />

Habiter à Nashville ne m’avait jamais attiré<br />

auparavant. Je n’avais jamais écouté de la musique<br />

country, cela ne m’intéressait pas. Lorsque je me suis<br />

installée à Boston je me suis sentie misérable<br />

pendant un an. L’ambiance de la ville était trop<br />

sombre à mon goût et j’y avais très froid. Mon père a<br />

eu un nouveau job à Nashville. En allant lui rendre<br />

visite j’y ai retrouvé deux amis de Virginia Beach (sa<br />

ville natale, ndlr) qui m’ont baladé dans la ville. J’ai<br />

tout de suite aimé l’atmosphère très cool. C’est une<br />

ville de musiciens et à l’époque, je souhaitais vraiment<br />

apprendre le plus possible sur ce qu’implique être un<br />

songwriter et un musicien.<br />

Quelles influences la ville a-t-elle eu sur ton disque ?<br />

Je n’écoute toujours pas de country, ça n’a jamais été<br />

un type de musique avec lequel je sens une<br />

connexion. Mais tout de même, il y a des chansons<br />

vraiment superbes que j’écoutais beaucoup et qui<br />

m’ont influencée. Patty Cline et Dolly Parton par<br />

exemple, avec des tonalités plus soul que la country<br />

en général. Et puis, c’est un peu difficile de ne pas<br />

être influencée par l’atmosphère générale de la ville.<br />

Comment as-tu abouti à ce son très orchestral ?<br />

Je dois donner tout le mérite à Trey Pollard pour cette<br />

prouesse ! C’est lui qui s’est chargé des<br />

arrangements des cordes. J’adore ce son et bien que<br />

j’avais déjà fait des chansons avec de genre de<br />

production, je n’ai pas les capacités d’écrire tout cela.<br />

Trey et Matthew E. White se sont chargés d’emmener<br />

mes chansons aussi loin qu’ils pouvaient.<br />

J’avais une vague idée de ce que je voulais entendre,<br />

mais je n’avais jamais imaginé que It Is You se<br />

transformerait en musique de conte de fée. Bien sûr<br />

j’avais ce désir d’expérimenter le plus possible mais je<br />

ne pensais pas en avoir l’opportunité un jour. Lorsque<br />

Trey m’a dit « Allons-y à fond pour celle-ci » je<br />

pensais qu’il plaisantait.<br />

A cause de cette chanson ta voix a été comparée à<br />

celle d’une princesse Disney, comment l’as-tu perçu ?<br />

Je suppose que je suis habituée maintenant. La<br />

première fois il me semblait que les gens me<br />

comparaient à cela car c’était facile. Mais au final, je<br />

sais que ma voix a toujours été comme ça et puis<br />

j’adore les chansons de Disney. Je pense que tout le<br />

monde les aime, non ? Ce n’est pas grand chose, je<br />

ne veux simplement pas que cela devienne quelque<br />

chose de réducteur ou négatif.<br />

Qu’as-tu appris en écrivant pour d’autres artistes ?<br />

J’ai appris que ce n’était pas toujours très fun (rires) !<br />

Ce n’était pas ce que j’avais envie de faire, mais c’est<br />

un bon exercice. Cela aide à sortir de son<br />

interprétation personnelle du monde. Lorsque j’ai pu<br />

parler en tête à tête avec un artiste que j’aidais, je me<br />

suis senti comme dans la peau d’un médium ou d’un<br />

capteur d’énergie à essayer de comprendre ce qu’il<br />

souhaitait exprimer. Mais c’est une situation<br />

compliquée. Il y a beaucoup de pression, le travail est<br />

moins stimulant que lorsqu’on écrit pour soi. J’ai des<br />

amis à Nashville qui écrivent deux à trois chansons<br />

par jour pour d’autres artistes, dans l’espoir qu’un de<br />

leur morceau se retrouve sur un album de country. Ils<br />

font ça depuis des années. Ils obtiennent peu mais<br />

travaillent comme des dingues. Je ne pourrais jamais<br />

me torturer ainsi aussi longtemps.<br />

Ta musique n’a rien à voir avec tout ce qui sort en ce<br />

moment. Quelles ont étaient les réactions des gens<br />

avant que tu ne trouves ta place chez Spacebomb<br />

Records ?<br />

J’avais vbesoin de faire un vrai album. J’ai rencontré<br />

tant de producteurs à Nashville dans des diners, des<br />

cafés, autour de verres pour présenter mes envies.<br />

Mais il y avait souvent un décalage. Les gens<br />

faisaient une tête bizarre lorsque j’évoquais Dionne<br />

Warwick comme référence, maintenant elle parait plus<br />

normale. Même quand j’étais en tournée avec Jenny<br />

Lewis pour ouvrir les shows de Beck l’été dernier,<br />

lorsque je parlais avec l’un des musiciens de Beck, il<br />

me demandait à quoi ressemblerait mon album. Je lui


épondais : « J’aimerais qu’il évoque Dionne<br />

Warwick » et il était choqué. Je savais que toutes ces<br />

années d’expérimentations, pour savoir précisément<br />

quelle artiste j’avais envie d’être, ne pouvaient être<br />

effacées par des gens qui ne voyaient pas où je<br />

voulais en venir. Il y a eu beaucoup de discussions,<br />

mais pas de vrais liens naissant avec la plupart des<br />

gens que je rencontrais. J’étais très frustrée.<br />

Un ami m’a conseillé de parler avec Matthew<br />

(Matthew E. White, un ami d’enfance, ndlr) et le<br />

courant est tout de suite passé. Il me comprenait très<br />

bien, nous venons de la même ville. Il était étonné par<br />

mon travail. Il m’a vue sur scène et a compris ce que<br />

je voulais. Nous avons commencé à travailler<br />

ensemble de manière très instinctive. Même au delà<br />

de la musique, nous avons les mêmes expériences de<br />

jeunesse à Virginia Beach donc tout cela rendait les<br />

discussions naturelles. A Nashville, tout le monde fait<br />

de la musique, mais personne ne prend le temps de<br />

soigner les choses. On est allés à Richmond, les gens<br />

y étudient la musique, l’ambiance est différente. C’est<br />

ce dont j’avais besoin, un album qui respire, pour<br />

lequel nous avons pris notre temps. Je voulais<br />

prendre un an, et c’est ce que nous avons fait !<br />

Puisque tu évoques ton adolescence à Virginia<br />

Beach, comment t’es venue l’envie d’être musicienne<br />

dans cette petite station balnéaire ?<br />

Je dois cela à mon père. Ce n’est pas un musicien<br />

professionnel mais ça lui arrivait de jouer de la guitare<br />

à la maison pour le plaisir et cela me fascinait. Je me<br />

souviens parfaitement qu’enfant j’ai eu cette espèce<br />

de révélation lorsque je l’ai entendu jouer un air, e lui<br />

ai demandé ce que c’était, il m’a répondu qu’il venait<br />

de l’inventer. J’ai trouvé cela incroyable, je lui ai dit<br />

que j’allais faire pareil. Je trouvais cela vraiment cool<br />

que l’on puisse écrire de la musique uniquement pour<br />

le plaisir. A l’école primaire je faisais des concerts<br />

pour mes voisins, puis au collège j’allais voir les amis<br />

de mon frère pour leur demander comment monter un<br />

groupe. Ils me répondaient “Demande à quelqu’un de<br />

jouer avec toi, c’est tout”. Je ne savais pas par où<br />

commencer, mais je savais que je voulais le faire à<br />

fond.<br />

Avec Matthew on se demande souvent comment les<br />

choses seraient si nous avions grandi à Nashville,<br />

avec toute l’atmosphère de l’industrie du disque<br />

autour de nous. C’est aurait été peut être plus simple<br />

pour comprendre l’industrie. Mais Matt et moi n’avions<br />

aucune idée de ce qu’il fallait faire ! On était naïfs, on<br />

l’est encore. Nous ne faisions qu’écrire et jouer. C’est<br />

intéressant parce que Virginia Beach est une ville<br />

touristique à l’atmosphère un peu étrange, qui n’a rien<br />

avoir avec Nashville.<br />

Les paroles de tes chansons sont assez personnelles,<br />

ton écriture fait-elle office de thérapie ?<br />

La plupart du temps oui, car l’écriture a toujours été<br />

un moyen de clarifier mes idées, de comprendre ce<br />

que je ressens et m’éviter de devenir dingue. C’est ma<br />

façon de communiquer et de me calmer. J’écris par<br />

passion, c’est quelque chose de personnel, qui m’est<br />

absolument nécessaire. Mais parfois, je vais chercher<br />

des mots ailleurs. Par exemple pour le morceau<br />

Christy, c’était juste une histoire inventée. Pour It Is<br />

You, je voulais emmener les gens dans des endroits<br />

oniriques. Mes amis m’appellent Elfe, un nom qui<br />

résume bien les choses je suppose (rires).<br />

D’où l’atmosphère un peu rêveuse de ta musique…<br />

Tu étais dans la lune quand tu étais ado ?<br />

Oh mon dieu, oui. Et encore aujourd’hui ! Je<br />

m’intéresse un peu à l’astrologie, tu sais. Mon signe,<br />

poisson est caractéristique du rêveur. Je crois<br />

correspondre assez bien à la description du poisson,<br />

toujours ailleurs…!<br />

Propos recueillis par Alice De Jode


Interview publiée le 13 mai 2013<br />

ALAN<br />

MCGEE


Tout commence à Glasgow dans les années 70, Alan McGee rencontre Bobby Gillespie avec qui il<br />

rejoint le groupe punk The Drains. A peine trois ans après, Creation Records naît. Une histoire qui<br />

commence tellement bien que le parcours de McGee, producteur-musicien-manager-blogeur<br />

hyperactif, passionné et (l’un ne va pas sans l’autre) acharné n’est finalement que suite logique. Un<br />

héros à qui l’on doit beaucoup de ce DIY très présent dans le discours ambiant et sans qui The Jesus<br />

and Mary Chain, My Bloody Valentine, Slowdive, Primal Scream et même Oasis ou The Libertines ne<br />

seraient sans doute pas ce qu’ils sont. Parti de rien, opiniâtre, porteur d’une philosophie qui laisse<br />

admiratif, ce gamin amoureux de rock devenu géant de l’industrie persiste à surprendre par son<br />

autodidactisme exemplaire et à cœur ouvert. Entre la folie Creation et la sortie de son premier film<br />

cette année il y a un itinéraire hors du commun, une œuvre passionnelle qui a tatoué l’histoire de la<br />

musique, jusqu’au lancement tout récent de son nouveau label.<br />

Alternative master<br />

1978, Alan McGee a 18 ans et développe une<br />

sérieuse fascination pour le mouvement punk aux<br />

côtés de Bobby Gillespie, son ami de toujours. Après<br />

avoir posé un premier pied dans le monde de la<br />

musique avec The Drains, il forme en 1980 The<br />

Laughing Apple avec le guitariste Andrew Innes. A<br />

peine deux ans plus tard, il emprunte £1000 et fonde<br />

Creation Records avec Dick Green et Joe Foster<br />

(autre figure du milieu, producteur, musicien, acteur et<br />

historien, rien que ça). Cette année là, il commence<br />

aussi sa carrière de manager avec The Jesus And<br />

Mary Chain fraîchement formé, il crée son propre<br />

fanzine Communication Blur et Creation édite un tout<br />

premier disque, “’73 in ’83” de The Legend. Quelques<br />

mois plus tard, le label publie le single du nouveau<br />

groupe de McGee, Biff Bang Pow ! et celui des Jesus<br />

And Mary Chain : la machine est lancée, le label<br />

gagne l’attention immédiate de l’underground et<br />

s’installe parmi les record companies les plus<br />

prometteuses de la scène alternative en gestation.<br />

McGee et ses camarades pour le label donne le ton.<br />

L’ambition de McGee est claire : soutenir à sa façon<br />

des groupes qu’il aime et produire leur musique en<br />

vinyle. Fermement opposé à toute subordination aux<br />

majors, obstiné à soutenir une autre musique que la<br />

pop « manufacturée » très en vogue à l’époque, il se<br />

fait remarquer en imposant sa vision très personnelle<br />

de la production. Creation devient un incontournable<br />

de l‘Indie movement dès 1984. Le Label proposera<br />

jusqu’en 2000 un éventail impressionnant de singles,<br />

d’EP et d’albums incluant The Pastels, Primal<br />

Scream, The Weather Prophets, Felt, The House of<br />

Love, 18 Wheeler, My Bloody Valentine, Slowdive,<br />

Ride, The Telescopes, Super Furry Animals, Boo<br />

Radleys, Oasis ou encore The Cramps.<br />

De Creation à Poptones<br />

Tiré du groupe The Creation qui produisait un rock<br />

déjà bien crasseux dans les sixties, le nom choisi par


En 1992, des problèmes de financement viennent<br />

malgré tout compliquer les choses et McGee se voit<br />

dans l’obligation de vendre la moitié du label à Sony,<br />

rude période qu’il décrit comme « le début de la fin du<br />

véritable Creation ». Une mise sous administration<br />

judiciaire difficile à accepter au moment où Oasis fait<br />

son entrée dans le catalogue. Le groupe mancunien,<br />

devenu très vite LE symbole britpop de l’époque, vend<br />

ses albums comme jamais pour un groupe<br />

indépendant. Leur second LP (What’s the Story)<br />

Morning Glory? (1995), souvent présenté comme<br />

l’album anglais le plus vendu de la décennie, marque<br />

un profonde rupture dans l’histoire de Creation et<br />

dans la vie de McGee. Cette année là, il retourne tout<br />

de même à la musique et fonde The Chemical Pilot<br />

avec Ed Ball dont le premier album Journey to the<br />

Centre of the Mind sortira en 1996. Mais l’impact de<br />

Sony devenant trop lourd, il annonce trois ans après<br />

la fin de Creation, son petit label indé qui ne<br />

ressemble finalement plus à ce qu’il était. Il reste<br />

malgré tout le manager des Jesus And Mary Chain,<br />

Mogwai, The Kills, The Libertines, The Beta Band ou<br />

de Dirty Pretty Things et continue de publier My<br />

Bloody Valentine, Swervedriver ou Primal Scream<br />

sous le nom de « Creation Songs ». Le dernier album<br />

sorti sur Creation est XTRMNTR de Primal Scream<br />

(2000). Quelques mois après et emporté par la<br />

volonté de renouer avec l’indépendance absolue de<br />

ses débuts, McGee crée Poptones (nom en référence<br />

à Public Image Ltd) et produit plusieurs albums<br />

remarqués, notamment le premier de The Hives en<br />

2002 qui fixe le succès du label. Pour les mêmes<br />

raisons financières, accentuées cette fois par le<br />

numérique, et parce que McGee souhaite se<br />

consacrer au management de groupes, Poptones<br />

s’arrête en 2007.<br />

Un docu culte<br />

Un jour écrivain pour le Guardian Weekly Music Blog<br />

ou pour le Huffington Post UK, une autre fois<br />

conférencier à l’Université de Gloucestershire<br />

(Angleterre) puis manager du fameux club Death<br />

Disco ou DJ aux quatre coins du monde, McGee<br />

restera un hyperactif incorrigible jusqu’à la sortie en<br />

DVD du génialissime et déjà culte documentaire<br />

Upside Down (2011). Présenté cette année là au<br />

festival ‘Filmer la Musique’ (Gaité Lyrique) par McGee<br />

himself et le réalisateur Danny O’Connor, le film<br />

retrace avec honnêteté et virulence toute l’histoire de<br />

Creation Records à coup d’images d’archives<br />

hallucinantes imprégnées de dope, de passion,<br />

d’amitié, de prises de tête, de concerts, de dettes, de<br />

galères ou même de politique. Un docu très réussi,<br />

pour une histoire humaine avant tout, basée sur les<br />

témoignages de McGee, Bobby Gillespie, Noel<br />

Gallagher ou Kevin Shields et qui, non seulement<br />

rend compte de l’importance du label mais qui nous<br />

en apprend aussi beaucoup sur l’industrie de la<br />

musique. A la limite du surnaturel, le film nous fait<br />

entrer dans l’univers Creation, l’alternatif<br />

eighties/nineties et donne de quoi affirmer que le label<br />

britannique reste un des plus importants de l’histoire<br />

aux côtés de Factory, Rough Trade ou Mute.<br />

De la musique au cinéma<br />

Depuis 2012, McGee se concentre sur divers autres<br />

projets, en commençant par le cinéma. Il fonde la<br />

société de production Escalier 39 avec le scénariste,<br />

réalisateur et producteur britannique Dean Cavanagh<br />

(connu notamment pour ses collaborations avec Irvin<br />

Welsh, l’auteur de Trainspotting). Dévoilé avec une<br />

bande originale époustouflante en juillet 2012, leur<br />

premier film Kubricks dessine l’histoire de Donald The<br />

Director (joué par Roger Evans), un réalisateur qui<br />

souffre de dépression et qui, au beau milieu du<br />

tournage de son film, plonge toute l’équipe et les<br />

acteurs dans ses délires sinistres et obsessionnels.<br />

Le trailer du film annonce une bonne dose de<br />

spiritualité et de physique quantique, que McGee<br />

résume comme ceci : « Kubricks a été tourné pendant<br />

le solstice d’été sur une ligne cosmique et l’histoire<br />

parle d’un réalisateur qui devient fou en essayant de<br />

faire un film DIY ».<br />

« No music business, no bullshit »<br />

Aussi, annoncé depuis plusieurs mois, le retour de<br />

McGee à la production pure (et après 5 ans<br />

d’absence) vient tout juste de se confirmer avec le<br />

lancement de son nouveau label basé à Londres, 359<br />

Music. Une nouvelle histoire qui débute et issue d’une<br />

amitié vieille de plus de 30 ans avec Iain McNay de<br />

Cherry Red Records. McGee prévoit de produire une<br />

dizaine de groupes par an et présente le label comme<br />

un tremplin pour des artistes qu’il aime et des talents<br />

ignorés. Clairement opposé à l’idée de le faire devenir<br />

aussi gros que Creation, McGee explique son désir de<br />

retour au DIY à l’ère du numérique : « Il y a un vrai<br />

besoin de proposer une ouverture à de nouveaux<br />

artistes qui ont été exclus par le système et j’espère<br />

que 359 Music sera cette ouverture ». Il précise<br />

d’ailleurs que tout artiste souhaitant être considéré par<br />

le label peut envoyer ses demos musique et bandesson,<br />

par mail à infoat359music@aol.com et qu’il<br />

« écoutera personnellement » chaque envoi ! A bon<br />

entendeur…<br />

Gaelle Simonetti.<br />

Retrouvez une interview d’Alan McGee pour nos amis<br />

de The Autojubilator ici.


R0BI<br />

Interview publiée le 21 janvier 2012<br />

Quatre lettres, des fêlures et des blessures et une envie de musique qui résonne en elle comme une<br />

évidence… Trouver la voie n’a pas été simple et pourtant elle était là, devant elle, depuis son enfance et<br />

ces moments où elle s’imaginait que Gainsbourg écrirait un jour pour elle. Aujourd’hui, en cessant de tout<br />

vouloir maîtriser, Robi s’est enfin trouvé. Pour notre plus grand bonheur. « Cette interview, c’est un peu<br />

une psychanalyse », balance t-elle, le regard noir, profond. Elle avait arrêté de se poser des questions. Le<br />

temps d’un café, on lui en a reposé quelques-unes…<br />

L’interview est simple. Une conversation. Tu prends<br />

ce que tu veux. On commence par l’enfance. Tu as<br />

passé la tienne en Afrique…<br />

Oui. Jusqu’à l’âge de dix ans (puis à la Réunion, ndlr).<br />

Je pense que le fait d’y avoir grandi m’a éduqué à un<br />

rapport au rythme qui n’est pas le même que celui que<br />

nous connaissons ici, en Occident. Ces sonorités, je<br />

me suis rendu compte plus tard qu’elles agissaient sur<br />

moi presque comme une obsession à laquelle je n’ai<br />

pas donné libre cours de suite – la part très<br />

intellectuelle de moi-même ne me l’ayant pas autorisé<br />

(rires). Aujourd’hui, ma musique est essentiellement<br />

basée sur des basses et des drums. Ce sont là les<br />

traces qu’il me reste de mon enfance.<br />

Très tôt, tu t’es réfugiée dans la chanson française…<br />

Oui. J’avais des parents passionnés par Brel,<br />

Brassens, Barbara… Lorsque je suis arrivée à La<br />

Réunion, les choses auxquelles j’avais accès étaient<br />

particulièrement commerciales. Mes seules<br />

révélations rock furent Nirvana et Noir Désir – qui<br />

étaient déjà de grosses machines à l’époque – je<br />

n’avais pas accès à la culture « indé » métropolitaine<br />

et c’est vrai que, de manière un petit peu rebelle,<br />

comme en opposition, je me suis tournée vers la<br />

chanson française. C’était la seule chose à laquelle je<br />

pouvais vraiment me rattacher. Je n’avais pas la<br />

culture rock pointue des rennais de mon âge. A La<br />

Réunion, l’alternative était assez limitée.<br />

Ton arrivée à Paris a donc été une révélation<br />

musicale ?<br />

Complètement. Avec ce sentiment de frustration<br />

d’arriver dans la capitale et de me rendre compte à<br />

quel point j’étais loin d’avoir tout découvert. Plus<br />

qu’une révélation, Paris a été une révolution. Et le<br />

cheminement entre le moment où j’ai commencé à<br />

faire de la musique et celui où je me suis dit que je ne<br />

pouvais rien faire d’autre a été long et rapide à la fois<br />

mais surtout inconscient. Il s’est imposé à moi, il n’y a<br />

pas eu de déclic. Ceci étant, à 9 ans, j’étais déjà<br />

persuadée que Gainsbourg allait un jour m’écrire des<br />

chansons. Quand il est mort ce fut un choc. Je me<br />

suis demandé ce que j’allais faire de ma vie ! (Rires).


A ce moment-là de ton adolescence, la musique<br />

devient-elle un refuge, comme un moyen – le seul<br />

peut-être – de canaliser ton énergie ?<br />

Je vais répondre par la négative : je ne savais<br />

absolument rien faire d’autre. J’ai commencé par<br />

écrire. Pendant assez longtemps d’ailleurs, je n’ai fait<br />

que cela, je ne compose pas, peut-être parce que je<br />

ne m’en sens pas capable. Plus tard, en m’autorisant<br />

à composer, mon écriture a changé, la musique a pris<br />

le dessus. J’avais une démarche beaucoup trop<br />

intellectuelle, trop construite et il a finalement a fallu<br />

que je m’autorise à tout déconstruire pour être<br />

pleinement moi.<br />

Suivant cette démarche, tu as sorti un premier album,<br />

autoproduit dont tu n’es pas très fière et que tu<br />

écoutes pour ce qu’il est, comme on regarde des<br />

dessins d’enfants, avec de la tendresse… Jusqu’à ta<br />

rencontre décisive, avec un certain Jeff Hallam…<br />

Oui ! Il est arrivé au moment où j’en avais vraiment<br />

besoin. Je ne suis pas technicienne, je n’ai pas le<br />

langage pour. Jeff, oui. On travaille sur l’organique, on<br />

se comprend, avec ses mots à lui, avec mes<br />

périphrases à moi (il est américain, ndlr) et l’on arrive<br />

souvent au même point.<br />

Au-delà de la musique, as-tu déjà pensé la littérature<br />

comme un outil d’expression ?<br />

J’écris depuis -presque- toujours. Il aurait fallu que je<br />

garde tous mes vieux textes pour voir si cela me fait le<br />

même effet que d’écouter mon premier album (rires).<br />

J’ai toujours eu un rapport extrêmement fort à la<br />

littérature. J’avais espoir d’écrire de grandes choses,<br />

mais ce n’est qu’en me débarrassant de ces grands<br />

modèles et grands idéaux que je me suis rapprochée<br />

au mieux de ma propre écriture, celle qui me paraît<br />

aujourd’hui la plus naturelle.<br />

musique. Avec un grand M. C’est en tout cas assez<br />

joli de voir que se dessine comme cela une sorte de<br />

génération spontanée, en quête d’autre chose,<br />

d’univers personnels mais qui touchent un grand<br />

public.<br />

(Après un temps)<br />

En fait, je me rends compte que cette interview me<br />

sert de psychanalyse (rires) !<br />

Il y a encore beaucoup de choses qui te révoltent<br />

aujourd’hui ?<br />

Tout (Rires) ! Beaucoup de choses récurrentes et<br />

exceptionnelles mais surtout cette capacité assez<br />

surprenante à ne pas se rendre compte que l’on est<br />

vivant, dans l’instant présent et que cela ne va pas<br />

durer. On ne se rend pas toujours assez compte de la<br />

chance que l’on a. L’idée de la mort est<br />

particulièrement révoltante mais c’est en même temps<br />

une bénédiction dont on n’a pas conscience. La mort<br />

devrait nous rendre la vie plus belle…<br />

Pourtant tu n’écris pratiquement pas sur des sujets<br />

engagés…<br />

C’est une question que je me pose depuis longtemps.<br />

Pour écrire une chanson engagée, il faut être<br />

particulièrement doué. Je trouve que c’était déjà<br />

difficile de le faire dans les années 70. Aujourd’hui en<br />

2012, nous maîtrisons mal les tenants et les<br />

aboutissants des problèmes de notre société, le<br />

monde et sa lecture se sont terriblement complexifiés.<br />

Il me semble cependant que toute chanson en général<br />

fait réfléchir, dans l’idéal, tant qu’elle parle d’absolu…<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié.<br />

Car peut-être plus spontanée…<br />

Absolument. Je pense que j’écrivais pour me prouver<br />

à moi-même que je savais écrire, que je le pouvais.<br />

Quand j’ai pris conscience que je n’étais pas Rimbaud<br />

et qu’il fallait que je sorte de ces schémas de<br />

pensées, le problème a été réglé.<br />

Finalement, tu n’est parvenu à créer qu’en arrêtant de<br />

tout vouloir maîtriser…<br />

Exactement… Et en ne me posant plus de questions.<br />

Quel regard portes-tu sur cette nouvelle « scène »<br />

française, qui émerge ? Je sais que tu as participé au<br />

festival « La Nouvelle voie de la Chanson Française »<br />

à La Réunion, justement, avec des artistes comme JP<br />

Nataf, Arlt, ou encore Bertrand Belin (lire interview<br />

page 140)…<br />

Je suis une grande admiratrice des artistes dont tu<br />

parles. Mais à mon sens, ce ne sont pas des artistes<br />

de la « Chanson Française ». C’est une idée<br />

extrêmement bizarre de considérer que la chanson<br />

française puisse être un genre en soi. Ils font de la<br />

chanson française soit par amour de la langue soit par<br />

accident, tout simplement parce qu’ils sont nés en<br />

France mais ce sont avant tout des gens qui font de la


Deuxième rencontre publiée le 18 novembre 2013<br />

Presque deux ans après notre première rencontre, nous retrouvons Chloé Robineau, alias Røbi. Il est tôt<br />

le matin, Røbi est au chaud sous ses gros pulls. Elle s’excuse de ses périphrases et de ses digressions,<br />

elle prend son temps pour répondre aux questions parce chaque mot a sa place et sa force. Nous<br />

sommes quelques jours avant son concert au Nouveau Casino, à Paris. Un concert qu’elle considère<br />

comme le point d’ancrage de sa tournée. C’est avec justesse à soi qu’elle nous parle de sa musique.<br />

Parle moi de ton chemin dans la musique, de ton<br />

chemin intérieur et des rencontres qui ont donné<br />

naissance à cette Røbi qui nous parle des sentiments<br />

et de la vie.<br />

Par où commencer… Pendant longtemps, j’ai écrit,<br />

réécrit, rayé, barré, cherché consciemment et<br />

inconsciemment à tendre vers certains modèles<br />

d’écriture et de composition mais c’était terriblement<br />

frustrant car évidemment je ne serai jamais<br />

Baudelaire ou Gainsbourg, aucun de ces artistes que<br />

j’admire. Il a fallu que j’arrive à découvrir que je n’étais<br />

que moi-même pour commencer à travailler à<br />

l’intérieur de mes concours limités. J’ai pu m’exprimer<br />

d’une façon plus forte et plus vraie. Ce travail<br />

demande de s’extraire de toute référence et de<br />

l’exigence intellectuelle qui n’a pas lieu d’être. J’ai<br />

vraiment envie de travailler sur l’émotion, ce qui ne<br />

veut pas dire pas d’exigence mais une exigence qui<br />

passe par l’intime et par la vérité de parole, pas par le<br />

biais cérébral. Røbi est née à partir du moment où j’ai<br />

été capable d’arrêter de me penser, de me réfléchir,<br />

de me regarder en miroir. À partir du moment où je<br />

me suis trouvée, tout est allé très vite : une première<br />

rencontre avec Frank qui a monté le label avec moi et<br />

qui est à la fois mon manager et directeur artistique<br />

puis une deuxième rencontre avec Jeff Hallam,<br />

bassiste. Il est le premier à avoir accompagné mon<br />

projet en tant que compositeur sans égo aucun, me<br />

laissant l’espace pour pouvoir m’exprimer avec le peu<br />

de mots que j’ai puisque je suis une musicienne<br />

autodidacte, je ne savais pas dire les choses. Le<br />

dialogue entre nous a été facile. Quelques mois<br />

d’enfermement en toute intimité et nous avons<br />

construit une sorte de petite maison sous forme d’un<br />

premier EP qui s’est transformé en album, L’Hiver et<br />

la Joie.<br />

Pourquoi n’as-tu pas gardé ton prénom comme nom<br />

d’artiste ?<br />

J’ai très vite éliminé le prénom Chloé car il porte une<br />

trop forte connotation féminine alors même que j’avais<br />

envie d’inscrire ma musique et ma démarche dans<br />

quelque chose qui soit plus universel, dans une sorte<br />

de neutralité. Røbi est mon surnom depuis que je suis<br />

à Paris et qui ne m’est pas étranger puisque c’était<br />

aussi celui de mon père. C’est comme une sorte<br />

d’écho, quelque chose de l’ordre du passage qui me<br />

permet à la fois d’être moi-même et quelqu’un d’autre.<br />

Dans l’écriture de tes textes, comment arrives-tu à<br />

passer d’un aspect intime (voire intimiste) à une<br />

dimension plus universelle ?<br />

Je crois profondément que plus on va vers l’intime,<br />

plus on va vers une justesse à soi et vers une chance<br />

de toucher non pas le plus grand nombre mais le plus<br />

fortement. Les chansons qui ont touché le plus<br />

fortement les gens sont celles qui sont les plus<br />

universelles comme “Ne Me Quitte Pas” ou “Avec Le<br />

Temps” qui sont des chansons de l’intime. Nous<br />

sommes tous traversés par les mêmes choses et les<br />

mêmes questions : le sens de la vie, l’absurdité de la<br />

mort, l’absolu et la façon dans l’amour de répondre<br />

aux autres questions. C’est en ce sens qu’on a le plus<br />

de chance d’être entendu. C’est une façon de<br />

transformer son cœur en hall de gare.<br />

Tu réalises toi-même tes clips. Pourquoi ne pas avoir<br />

choisi de déléguer cette partie du travail d’un titre à un<br />

tiers ?<br />

Pour être honnête, c’est avant tout une nécessité<br />

financière lorsqu’on est dans une petite économie<br />

artisanale voire familiale comme la nôtre. À cette<br />

dimension financière s’ajoute la dimension de l’image.<br />

Il aurait été contradictoire et compliqué pour moi de<br />

confier mon image à quelqu’un. Je l’aurais ressenti<br />

comme quelque chose de très vaniteux. Il aurait fallu<br />

intellectualiser l’image que je voudrais qu’on ait de<br />

moi et imposer le fait que quelqu’un entre dans mon<br />

univers, d’être regardée et mise en scène. Ma seule<br />

envie était de poser la caméra et de voir ce que je<br />

pouvais en faire, comment je pouvais capter quelque<br />

chose dans une forme de solitude, comme un<br />

adolescent qui danse devant sa glace. J’ai adoré ça !<br />

Je me suis découvert un plaisir fou à travailler cette<br />

matière qu’est l’image en mouvements. C’est une<br />

écriture qui me passionne et je compte continuer à le<br />

faire.<br />

Ton choix esthétique pour le clip d’“On Ne Meurt Plus<br />

D’Amour” (premier extrait de son album, ndlr) est<br />

plutôt fort.


L’esthétique est un choix, je suis plutôt d’accord. Ce<br />

n’est pas quelque chose qui vient se poser sur le fond<br />

puisque qu’ils ne fonctionnent pas indépendamment<br />

l’un de l’autre. Je me suis amusée avec mes mains et<br />

mon visage devant la caméra et j’ai trouvé ça<br />

fascinant, ce que cela pouvait raconter et cacher.<br />

“On Ne Meurt Plus D’Amour” est-il adressé à une<br />

personne en particulier ?<br />

C’est une chanson d’amour adressée, évidemment.<br />

Elle vient de quelqu’un et de quelque part mais c’est<br />

aussi une interrogation. Je me souviens, après ce<br />

terrible chagrin d’amour, mes amis étaient nombreux<br />

autour de moi à me dire de ne pas m’inquiéter et que<br />

j’allais m’en remettre. Je crois qu’il était plus terrible<br />

encore de m’entendre dire ces choses que la<br />

perspective que je pouvais en mourir. C’était<br />

insupportable de me dire qu’on pouvait se remettre de<br />

ça puisque ça voulait dire que si je m’en remettais,<br />

plus rien définitivement n’avait de sens. C’est une<br />

chanson avant tout adressée à moi-même et<br />

évidemment à cet autre en miroir. C’est aussi une<br />

réflexion. Est-ce que finalement on n’en meurt pas ?<br />

Et si on n’en meurt pas, est-ce que ce n’est pas plus<br />

absurde encore ?<br />

Est-elle en adresse aux femmes qui, peut-être,<br />

auraient pu partager tes sentiments ?<br />

Je pense que ma musique est asexuée puisque je<br />

pense que les hommes aiment et souffrent aussi. Le<br />

sentiment n’est pas le seul fait de la femme. C’est<br />

d’ailleurs amusant de remarquer le virement de<br />

situation quand on voit que le fait sentimental était<br />

réservé à l’homme et que la femme n’était pas<br />

capable de grands sentiments mais confinée à des<br />

choses très concrètes. Aujourd’hui, la question<br />

sentimentale est à la femme et le concret est à<br />

l’homme. Il est bon de le rappeler de temps en temps.<br />

Avec des titres si personnels et si intimes, le fait d’un<br />

concert doit beaucoup apporter à ta musique.<br />

C’est évident puisque la musique est vécue à travers<br />

le corps. C’est beaucoup plus physique mais la<br />

musique reste du même ordre puisque qu’un concert<br />

est un équilibre entre une nécessité de rester juste à<br />

l’intérieur de soi et d’être dans le partage à la fois.<br />

C’est un moment très plaisant dans lequel j’ai<br />

beaucoup de bonheur mais c’est aussi un endroit<br />

dans lequel on peut facilement s’enfermer ou au<br />

contraire être trop à l’extérieur de l’intimité du propos.<br />

C’est en ce sens que c’est un travail de spectacle<br />

vivant et que c’est un travail qui m’intéresse<br />

énormément.<br />

Ton hiver à toi, tu veux qu’il soit comment ?<br />

Ah ! L’hiver ! J’ai beaucoup de mal avec l’hiver mais<br />

en même temps, ce qu’il bouscule en moi et ce qu’il<br />

m’oblige à mettre en œuvre pour lutter m’intéresse.<br />

En tant que grande fainéante, je travaille bien<br />

davantage et mieux en hiver. Cet hiver sera<br />

essentiellement consacré au prochain album, ce qui<br />

est encore une joie.<br />

Textes et propos recueillis par Ariel Carol Novak.<br />

Photographies : Justine Tellier, pour Crumb<br />

magazine


GUNTHER<br />

LOVE<br />

Interview publiée le 21 mai 2011<br />

Mimer un guitariste sans instrument en main, dans une tenue kitsch à souhait, c’est ce qu’on appelle<br />

l’Air Guitar. Combien de générations ont imité les plus grands groupes de rock, leurs riffs mythiques<br />

ou leurs solos, à l’abri de tous, cachées dans une chambre ou dans une salle de bain ? C’est<br />

précisément ce « sport musical » qui a permis en 2009, à un certain Gunther Love, d’acquérir sa<br />

notoriété en devenant champion du monde de la discipline à Oulu, dans le nord de la Finlande. Ce<br />

showman à moustache et pantalons dorés a d’ailleurs maintenu son titre en 2010. Il a, à sa manière,<br />

marqué l’histoire de France, en faisant sortir de l’ombre une discipline méconnue, qu’il continu de<br />

mettre en scène, plusieurs fois par an, avec son Air Band (oui, oui) « Airnadette ». Déjanté, plein<br />

d’humour et d’auto-dérision mais lucide sur ce qui l’entoure, nous avons échangé avec lui, dans le<br />

décor du Bus Palladium, spécialement privatisé pour l’occasion. Histoire enfin de se retrouver en tête<br />

à tête avec un champion du monde français, ouais ; et de tenter de percer les mystères de ses succès<br />

et de ses nombreux projets…<br />

Comment as-tu découvert l’Air Guitar ?<br />

C’est en 2008, lors des Eurockéennes de Belfort. Je<br />

devais réaliser une publicité pour la marque Puma.<br />

Deux jours avant de partir, la directrice marketing de<br />

la marque me téléphone pour m’annoncer qu’elle a<br />

embauché la patrouille de France d’Air Guitar pour<br />

m’aider. Autant dire que je ne savais pas de quoi elle<br />

me parlait. Arrivé à la gare de Belfort, je me retrouve<br />

avec deux des Airnadettes : « Moche Pitt » et «<br />

Château Brutal », en tenue d’exercice. Là, je me suis<br />

dit que le weekend allait être très long. En réalité, j’ai<br />

passé quatre jours de folie. Ce fut ma première<br />

expérience d’Air Guitar. Je ne connaissais rien de<br />

l’univers. Juste que nous avons fait la fête pendant de


longues nuits et que Moche Pitt m’a initié à la<br />

discipline. Il m’a annoncé qu’il comptait m’inscrire au<br />

prochain championnat et que je deviendrais le futur<br />

champion du monde. Je n’avais pas de nom, je n’étais<br />

personne. Le lendemain, ma carrière était pourtant<br />

lancée. Je m’appelais Gunther Love et j’allais tout<br />

défoncer !<br />

Tu as choisi un nom plutôt kitsch…<br />

Le côté kitsch me plait. L’Air Guitar, c’est une<br />

dédicace à la musique. Tout le monde le pratique plus<br />

ou moins dans sa chambre ou sa salle de bain.<br />

Et tu es champion du monde de la discipline…<br />

Oui ! Champion du monde 2009 et 2010 ! L’année<br />

dernière, je ne souhaitais pas tellement participer au<br />

championnat. Tu sais, il faut avoir envie d’y aller dans<br />

le nord de la Finlande (rires). Tu n’y mets pas les<br />

pieds si on ne te donne pas rendez- vous pour du Air<br />

Guitar !<br />

Pour toi, tout ça c’est de la rigolade ou bien c’est un<br />

vrai métier, sérieux ?<br />

Je suis devenu Gunther, tout le monde m’appelle<br />

Gunther ! Médiatiquement parlant, je fais preuve<br />

d’humour et prend tout ça à la légère mais, depuis<br />

quelques temps, c’est devenu très sérieux. Le<br />

problème, c’est que je suis arrivé dans ce milieu par<br />

erreur et que je pense encore et toujours que mon<br />

titre de champion du monde est une erreur.<br />

Ton look est-il vraiment réfléchi ?<br />

Oui, il l’est vraiment ! Vous allez voir le nouveau…<br />

Nous avons réussi, avec ma copine (Daphné Burki,<br />

ndlr), à obtenir le numéro de la couturière qui crée les<br />

véritables costumes des patineurs artistiques français.<br />

Elle m’a dessiné une tenue parfaite.<br />

Fini le doré alors ?<br />

Ah non ! Restons humble. Toujours en or, médaille<br />

d’or.<br />

Tu n’as jamais essayé de jouer de la guitare en vrai ?<br />

Non, je suis très mauvais. J’ai chanté dans un groupe<br />

de rock pendant neuf ans mais je suis vraiment nul.<br />

Je me suis arrêté à Zombie des Cranberries : c’est le<br />

seul morceau que je sais jouer, et encore avec les<br />

mauvais accords !<br />

Il y a vraiment un aspect théâtral lors de tes<br />

prestations. C’est surtout de la comédie !<br />

Cela fait dix ans que je suis comédien – intermittent<br />

du spectacle. L’Air Guitar c’est une erreur de<br />

parcours. Là, où je m’exprime réellement, c’est sur<br />

scène, avec les Airnadette. Nous sommes sept et<br />

faisons tout comme un vrai groupe de rock : nous<br />

avons tourné aux États-Unis, nous préparons une<br />

tournée en Asie, Canal+ nous a suivis pendant 3<br />

semaines pour tourner un documentaire qui sortira le<br />

8 juin, bref, nous sommes devenus un vrai band<br />

international ! On a assuré la première partie de -M- à<br />

Bercy pendant 3 dates, et ce, chaque soir devant 17<br />

000 personnes ! Lenny Kravitz est même venu me<br />

voir pour me dire que c’était cool ! En fait, on est un<br />

peu comme Britney Spears, sauf que nous, on avoue,<br />

dès le départ que l’on chante en playback (rires) !<br />

Comment est né Airnadette ?<br />

Ça a débuté au musée d’Art Moderne, à Paris. Nous<br />

pratiquions tous le playback brosse à dents ou brosse<br />

à cheveux dans la salle de bain, donc on s’est dit «<br />

On va monter un groupe ! ». On a débuté à<br />

l’Alimentation Générale, à Paris, puis nous avons fait<br />

les premières parties de Camille à la Cigale il y a deux<br />

ans et, de fil en aiguille, on s’est lancés, sur plus de<br />

150 dates. A la rentrée débutera une « Air Comédie<br />

Musicale » d’une heure et quart, mise en scène par<br />

Pef, des Robins des Bois.<br />

Et la kermesse de Gunther, explique nous…<br />

J’adorais les kermesses à l’école quand j’étais petit. A<br />

Paris, les gens sont trop sophistiqués. Je me suis dit<br />

qu’il serait intéressant d’y organiser des soirées<br />

régressives. J’ai proposé l’idée à mon ami Nicolas<br />

Ullman (Le Bus Palladium, ndlr) et à Daphné. On s’est<br />

dit qu’on ferait une kermesse typique : marelles,<br />

chaises musicales, chamboule-tout, 1, 2, 3, soleil, etc<br />

mais aussi l’élection du meilleur danseur, du meilleur<br />

costume. L’idée, c’est que tout le monde joue le jeu, il<br />

y a des personnes qui m’écrivent après les kermesses<br />

pour me dire que ça leur a coûté cher en Amourpropre<br />

mais que ça leur a fait du bien.<br />

Finalement, tu as le meilleur job du monde, non ?<br />

Je me lève tous les matins en riant déjà de la journée<br />

que je vais passer, alors oui, j’ai le meilleur job du<br />

monde ! Même quand je travaille sur Canal+, ce n’est<br />

que blague et drôlerie.<br />

Tu ne penses pas avoir besoin ou envie de sérieux<br />

par moment ?<br />

Non. On se fait suffisamment chier dans la vie, non ?<br />

Être cadré ? Non plus ! Ou seulement sur une photo.<br />

Pas plus.<br />

Tout le monde peut devenir champion du monde d’Air<br />

Guitar selon toi ?<br />

Oui. Je pars du principe que pour devenir champion<br />

d’Air Guitar, il faut jouer avec l’envie de pisser et<br />

comme tout le monde a envie de pisser, finalement<br />

tout le monde a sa chance…<br />

Si tu devais donner des conseils aux débutants pour<br />

réussir ?<br />

Arrêtez tout de suite ! Il n y a pas de débutants. Tu es<br />

Rock n’roll, ou tu ne l’es pas ! Il faut avoir un style qui<br />

tue, tout miser sur le costume. Ce n’est pas pour les<br />

amateurs, tu sais, c’est un sport extrême.<br />

Tu penses être en partie responsable de sa<br />

démocratisation ?<br />

Les médias se sont emparés du phénomène parce<br />

que je suis arrivé pendant la période creuse des Jeux<br />

Olympiques. J’étais le seul français médaillé de l’été,<br />

mais personne ne savait de quoi il s’agissait. Je suis<br />

rentré de vacances au mois d’août, et j’ai vu un titre<br />

sur une page web : « La France devient championne<br />

du monde », je clique, et je vois une grande photo de


ma tête s’afficher ! Le soir où je suis rentré de<br />

Finlande, j’ai clôturé le journal de Claire Chazal, j’ai<br />

fait bon nombre d’interviews, j’ai aussi été invité sur le<br />

plateau de LCI qui m’a laissé commenter l’actualité<br />

comme je le souhaitais, durant quinze minutes… C’est<br />

ça la vie. Mais, pour répondre à ta question, est-ce<br />

que j’ai, pour ma part, aider à démocratiser l’Air<br />

Guitar, je ne pense pas.<br />

Tu as peut-être donné envie à des jeunes de se<br />

lancer, même si ce genre de passion est parfois<br />

catalogué de « ringardes », un peu comme le<br />

tunning…<br />

Oui ! Mais celui qui trouve cela ringard, c’est qu’il n’a<br />

jamais passé une soirée Airnadette ou assisté à une<br />

compétition. Ce que l’on dit souvent c’est que ce ne<br />

sont pas les gens qui n’aiment pas l’Air Guitar, c’est<br />

nous qui ne voulons pas d’eux ! Les événements qui<br />

sont organisés autour de nous font partie d’un même<br />

petit univers. D’ailleurs, avec Airnadette et tous les<br />

gens qui nous suivent, nous pensions que ça ne<br />

durerait qu’un mois et au final cela fait deux ans que<br />

nous « exerçons » et ce n’est pas prêt de s’arrêter.<br />

Tu dis ne pas vouloir de certaines personnes, dans le<br />

milieu de l’Air Guitar. De qui parles-tu ?<br />

De ceux qui nous critiquent lorsque l’on poste des<br />

vidéos en ligne. On peut avoir plus de 100 000 vues<br />

mais le peu de personnes qui laissent des<br />

commentaires insultants ou dégradants sot toujours<br />

les mêmes. J’ai juste envie de leur dire: «Hé les mecs,<br />

si vous n’aimez pas ce que l’on fait, pourquoi vous<br />

perdez votre temps à suivre notre travail et à nous<br />

regarder ? ». Après, l’important, c’est déjà qu’on<br />

puisse parler librement d’Air Guitar, que ce soit en<br />

bien ou en mal.<br />

En parallèle des critiques, tu as quand même un vrai<br />

public fidèle ?<br />

Oui. Il y a des gens qui nous suivent. Je m’en suis<br />

aperçu sur Facebook. Je me retrouve avec une<br />

quantité incroyable d’amis, je n’en connais pas plus<br />

d’une trentaine. Les gens me connaissent<br />

généralement car ils m’ont vu sur Canal+. Le pire, tu<br />

sais, c’est que je reçois de vraies lettres de fans, oui,<br />

comme dans les années 70 (rires). La dernière que<br />

j’ai reçu était celle d’une petite fille de huit ans qui<br />

avait écrit quelque chose du genre « vous êtes trop<br />

génial génialement génial ! ». C’est extraordinaire.<br />

dehors, il reste Sacha Baron Cohen. Dans le milieu de<br />

la musique, en France, il y a les Airnadette : une<br />

caricature de ce qu’est précisément le monde de la<br />

musique et celui des paillettes.<br />

Comment est le vrai Gunther dans la vraie vie ?<br />

En fait, un peu comme maintenant. L’Air Guitar prend<br />

tellement de temps que je n’ai plus le choix. Depuis<br />

deux ans, tout le monde m’appelle Gunther (Sylvain<br />

Quimène, dans la vraie vie, ndlr). Même mon père !<br />

Rassures moi, tu n’es pas schizophrène ?<br />

Non, ça va. J’ai travaillé pendant trois ans au sein<br />

d’un hôpital psychiatrique. Ca m’as plutôt aidé (rires).<br />

Parmi les gens qui t’ont aidé ou lancé d’ailleurs, qui<br />

ont compté pour toi, il y a Bruce Toussaint (Canal+,<br />

ndlr). Si tu devais lui faire une déclaration d’amour, tu<br />

lui dirais quoi ?<br />

Bruce ? C’est mon mentor ! Lorsque je suis arrivée<br />

chez Canal, il m’a immédiatement pris sous son aile<br />

et m’as mis en confiance. C’est quelqu’un de très<br />

rassurant. D’ailleurs s’il lit cette interview dans<br />

<strong>CRUMB</strong>, j’aimerais lui dire de raser sa barbe. Il<br />

m’avait promis en début d’année, qu’il ne raserait pas<br />

sa barbe tant que je ne serais pas reçu officiellement<br />

à l’Élysée, en tant que champion du monde officiel<br />

d’Air Guitar. Du coup, il ne s’est toujours pas rasé et il<br />

commence sérieusement à ressembler au Père Noël.<br />

Et une déclaration d’amour à Daphné?<br />

Et bien que des bouffées d’amour. C’est mon<br />

amoureuse.<br />

Qu’est-ce que qu’on peut te souhaiter pour la suite ?<br />

Toujours autant de bêtises. Et surtout de plaisir !<br />

Propos recueillis par Laurie Cassagnes<br />

Photographie : Diane Sagnier<br />

L’Air Guitar est un sport fédérateur ?<br />

Bien sûr ! Et si je parle constamment des Airnadette,<br />

c’est parce que le Gunther que je suis ne fait pas de<br />

shows tout seul. L’important, c’est qu’à chaque<br />

nouveau spectacle, on retrouve des gens, qui<br />

viennent là pour rire et ça fait du bien. Il n’y a pas de<br />

codes. Sans qu’on sache expliquer pourquoi, le public<br />

accepte toujours le concept et rentre dans son rôle.<br />

Tu t’inventes une nouvelle vie sur scène ?<br />

Je la démultiplie. Un personnage d’Air Guitar, c’est un<br />

prolongement de soi, un peu comme Sacha Baron<br />

Cohen qui interprète Borat. Il entre dans le rôle de son<br />

personnage lors d’interviews, comme ici, mais en


DESTROYER<br />

Interview publiée le 25 septembre 2015<br />

A l’occasion de la sortie du nouvel album de Destroyer — Poison Season — qui nous emmène<br />

sensuellement vers l’automne, nous avons rencontré Dan Bejar qui nous parle de ce nouveau “morceau<br />

de fiction insulaire”. L’artiste qui répète vouloir maintenant prendre son rôle de chanteur de jazz au<br />

sérieux, s’approche des bords de profonds états d’âme sans jamais plonger, explorant une sorte de<br />

vertige à travers des paysages mentaux qui longent l’idée romantique de la chose jamais atteinte. On ne<br />

peut pas parler de retenue quand on l’écoute. Il y a là plutôt une mélancolie maîtrisée qui identifie sa<br />

musique à une forme de détachement lyrique où le ravissement serait du côté d’une vague tristesse.<br />

L’obscurité n’est donc jamais très loin et quand Dan Bejar nous fait presque croire à une résignation, il se<br />

rattrape finalement en évoquant sa musique comme l’empreinte d’une quête passionnée.<br />

Quelle idée avez-vous du romantisme ?<br />

J’ai deux réponses. La première est musicale donc<br />

peut-être historique : des sons de large envergure<br />

mais toujours mélancoliques, des sons peut-être<br />

antérieurs au rock’n’roll, des sons qui font comme<br />

allusion aux européens, qui ne sont pas nordaméricains.<br />

C’est plutôt de l’ordre d’une définition<br />

historique : une influence de la musique classique,<br />

des accords de Jazz qui pour moi sont très<br />

romantiques. Et puis il y a une définition lyrique où le<br />

romantisme évoque ce qui est voué à l’échec.<br />

Pensez-vous qu’aujourd’hui le romantisme soit<br />

anachronique ?<br />

J’ai beaucoup de mal à imaginer des versions du<br />

XXIème siècle, parce qu’il a l’air ruiné. Je suis aussi<br />

plus âgé et donc plus attaché au XXème siècle. J’ai<br />

adoré le XXème siècle, c’était super, vous auriez dû<br />

être là !<br />

Le romantisme du XIXème siècle est-il toujours<br />

possible ?<br />

Non, ce n’est plus possible —je ne réponds pas de<br />

façon personnelle bien sûr, je garde en tête ce que je<br />

fais, des albums. Je pense qu’il y a certains artistes<br />

ou écrivains qui essaient de retrouver cette tradition<br />

simplement parce qu’ils sont attirés par ce qui semble<br />

universel, les formes dégageant une sorte de<br />

classicisme mais qui ne sont pas aussi bonnes. Cela<br />

peut être une béquille mais c’est toujours plus facile<br />

d’en faire quelque chose de beau ou d’étrange que ça<br />

ne l’est avec des sons obsédés par l’idée d’être<br />

actuels. Je pense qu’une jeune personne est plus<br />

impliquée dans ce qui se passe autour d’elle<br />

culturellement — par la culture jeune ou pop — et<br />

peut-être aurait-elle une meilleure réponse à ce que le<br />

romantisme veut dire dans un sens contemporain.<br />

Elle dirait sans doute qu’il s’agit de quelque chose de<br />

sexuel.


Vous parlez comme un dinosaure, vous n’êtes pas si<br />

vieux…<br />

Non c’est vrai, mais quand j’écoute de la nouvelle<br />

musique je me sens distant, je n’ai pas l’impression<br />

d’en faire partie et c’est comme ça depuis plusieurs<br />

années. Il doit y avoir une raison. Un vieux type, oui,<br />

je me suis toujours senti comme ça.<br />

D’une certaine manière, vous essayez dans votre<br />

musique de neutraliser le romantisme quand vous<br />

approchez trop près de ses bords, de même avec le<br />

drame. Vous ne l’atteignez jamais mais vous en êtes<br />

souvent très proche.<br />

Oui. Je ne suis pas acteur, je ne peux pas vraiment<br />

incarner ces états et je me méfie de ce qui serait<br />

seulement cent pour cent émotionnel. Ce n’est pas<br />

très intéressant selon moi de simplement essayer de<br />

peindre une belle image. Cela ne vaut pas la peine à<br />

moins qu’elle soit vraiment belle. Peut-être que je ne<br />

peux pas le faire car je ne sais pas comment m’y<br />

prendre. Mais j’écoute la musique de Destroyer et elle<br />

me semble plutôt en conflit, elle veut toujours faire<br />

deux ou trois choses différentes en même temps. J’ai<br />

l’impression de toujours vouloir une musique assez<br />

large, sensuelle, dramatique. Mais d’autres univers<br />

sont plutôt spécifiques, détaillés et bizarres.<br />

J’aime cette idée de conflit permanent. Connaissezvous<br />

l’écrivain Robert Walser ? J’ai l’impression qu’il y<br />

a un lien avec votre musique.<br />

Peut-être. J’ai seulement lu quelques uns de ses<br />

écrits. Il y côtoie un certain humour noir.<br />

C’est drôle parce que cela semble naïf. Il y a un<br />

tiraillement constant entre des descriptions très<br />

froides et d’autres qui sont presque trop romantiques.<br />

Il faut que je lise plus de ses écrits, je l’ai toujours<br />

voulu. Je pense que quand tu commences à prendre<br />

des influences, comme la littérature et que tu essaies<br />

de les insérer dans ta musique, cela génère une<br />

bataille, parce que j’ai toujours envie d’avoir d’abord<br />

une réaction sensible. C’est la seule réaction que je<br />

comprends en musique, je réagis émotionnellement à<br />

la musique. Je ne sais pas si l’écriture marche de<br />

cette façon ou même si ma manière de chanter<br />

marche ainsi, donc je ne sais pas non plus si le ton de<br />

ce qui est dit ou le ton de tout ce qu’il y a autour<br />

fonctionne. J’ai l’impression que plus je fais d’albums<br />

plus ils deviennent une seule et même chose, un<br />

ensemble. Je pense que c’est le but de l’artiste d’être<br />

une seule chose, unique. Et dans ce sens je devrais<br />

peut-être complètement abandonner la littérature.<br />

Malgré l’aspect d’inquiétante étrangeté de votre<br />

musique, la présence de personnages mélancoliques,<br />

elle, semble confortable, ce qui encore une fois est<br />

conflictuel.<br />

Oui, je ne sais pas parler d’une autre voix. J’ai<br />

l’impression que ce nouvel album est peut-être un peu<br />

différent. Il y a de vrais moments où la personne qui<br />

parle semble méprisable ou diabolique, plutôt que<br />

juste mélancolique. Ou peut-être qu’il y a simplement<br />

une véritable tristesse comme opposée à la simple<br />

mélancolie, qui sont pour moi deux choses différentes.<br />

Mais oui la mélancolie c’est la voix naturelle de<br />

Destroyer. C’est celle qui me paraît la plus consciente<br />

du monde. Et c’est comme une tristesse agréable,<br />

comme quand tu n’es pas dévasté mais que tu as la<br />

sensation que tout est foutu.<br />

Pensez-vous qu’une ville comme Vancouver laisse<br />

une place à la mélancolie ?<br />

Je pense que les gens ont différentes idées de ce<br />

qu’est cet endroit. Quand tu y vas pour la première<br />

fois, tu vois une ville le long de l’océan Pacifique avec<br />

ses montagnes couvertes de forêts en arrière-plan.<br />

Ça a l’air idyllique mais je crois que quiconque y<br />

passe du temps réalise que ce n’est pas vrai. D’abord<br />

parce qu’il y fait gris la plupart du temps et qu’il pleut<br />

en permanence. Mais surtout parce que c’est une ville<br />

écrasée par le capitalisme, ce qui est une véritable<br />

source de tristesse pour n’importe quelle personne qui<br />

n’est pas putain de riche. Elle a probablement une<br />

des populations vivant dans la rue des plus visibles<br />

d’Amérique du Nord — c’est un fait important. La ville<br />

est déchirée.<br />

Je ne pense pas tant que ça à Vancouver, j’y suis<br />

simplement né. J’ai essayé d’en partir mais je ne l’ai<br />

pas fait. Ou peut-être que je n’y suis pas arrivé. Il y a<br />

une chanson que j’ai écrite il y a quelques années,<br />

Chinatown, c’est un quartier que je connais assez<br />

bien. Je marchais sous la pluie et j’ai écris cette<br />

chanson. Cela résume d’une manière très simple ma<br />

relation à la ville. Aujourd’hui, je ne pense plus avoir<br />

aucune envie d’écrire à son propos. J’en ai fini avec<br />

cet endroit. J’y habite, simplement.<br />

Pensez-vous que le côté stérile de cette ville soit la<br />

raison d’une certaine effervescence artistique et<br />

musicale, comme si les artistes avaient besoin d’y<br />

insuffler quelque chose de vivant ?<br />

Elle a une réputation d’endroit inactif. Elle est active<br />

pour y faire du roller ou du vélo, mais si tu es jeune et<br />

que tu as un groupe de musique ou si tu es un artiste,<br />

tu veux généralement en partir. Mais cela reste un<br />

endroit très critique dans le bon sens du terme. La<br />

plupart des groupes que j’ai vu sortir de Vancouver<br />

ont quelque chose que les groupes de Montréal ou de<br />

Toronto n’ont pas et dans ce sens je suis fier de<br />

Vancouver. C’est aussi compliqué de mettre en<br />

lumière quoi que ce soit à Vancouver car tout ce qui<br />

est bon se passe dans l’ombre, et les médias ne<br />

trouvent rien. La scène underground est très<br />

désorganisée. Quand j’étais plus jeune et que je<br />

traînais dans ce milieu, ce n’était pas vraiment cool de<br />

poursuivre la musique de manière fonctionnelle ou<br />

professionnelle. C’était important d’être un raté. Je<br />

vois une différence avec les scènes de Montréal et<br />

Toronto où tout le monde était positif, très actif, où les<br />

gens écrivaient tout le temps sur les groupes, en<br />

parlaient, à travers la presse ou le bouche à oreilles.<br />

À Vancouver tout se passe dans l’ombre, il y a un<br />

rejet plus virulent de la culture mainstream que dans<br />

n’importe quel autre endroit.<br />

Considérez-vous les lieux comme des personnages ?<br />

Je les pense comme des toiles de fond pour drame,


Comme un décor de théâtre. J’associe des villes à<br />

certains albums sans doute parce que j’y ai habité et<br />

écrit un bon nombre des chansons. Cela m’est arrivé<br />

plusieurs fois quand j’habitais en Espagne, ou même<br />

à Montréal. J’ai l’impression de me concentrer de plus<br />

en plus sur ce qu’il se passe en moi quand j’écris,<br />

plutôt que d’être celui qui erre en regardant autour de<br />

lui. Je crois, dans tous les cas, que le dernier album<br />

de Destroyer ressemble plus à un morceau d’une<br />

fiction insulaire, d’un monde intérieur.<br />

Il n’y a donc pas de lien avec le lieu où vous êtes ?<br />

Ou avez-vous besoin de vous sentir chez vous ?<br />

Je pense que je me suis toujours senti revigoré par le<br />

voyage, par le déplacement. J’ai beaucoup écrit dans<br />

des lieux étrangers. Je ne sais pas si c’est encore<br />

vrai. Je crois avoir perdu tout intérêt pour certains<br />

aspects du monde.<br />

J’ai l’impression que la mélancolie peut provenir d’une<br />

nostalgie permanente du chez-soi.<br />

Je ne me suis jamais trouvé quelque part où je me<br />

sentais complètement chez moi. Peut-être que c’est<br />

ça, d’une certaine manière, l’idée de ne jamais se<br />

sentir à sa place. Tu sais j’habite à Vancouver, mon<br />

père était espagnol et ma mère vient de Californie, je<br />

ne me suis jamais vraiment senti canadien. Je ne dis<br />

pas que si j’avais grandi en Espagne ou à Los<br />

Angeles je me sentirais complètement chez moi. Je<br />

ne pense pas que ce serait le cas. Je me suis toujours<br />

senti un peu en dehors de tout.<br />

Quand je parlais d’anachronisme, je pensais au côté<br />

passéiste de votre musique, mais en même temps le<br />

recours permanent aux cuivres la rend très présente,<br />

vivante.<br />

Je n’ai jamais pensé aux cuivres comme un symbole<br />

du corps — c’est du véritable souffle. J’ai toujours<br />

adoré les trompettes et saxophones. Je crois que je<br />

suis juste cupide, et plus je pense à la musique que<br />

j’ai écouté ces dernières années, plus j’ai envie de<br />

m’en emparer et de l’utiliser pour moi-même. Il y a<br />

quelque chose que j’obtiens de ces instruments qu’il<br />

n’y a pas chez les autres. Cela appartient aussi à une<br />

tradition qui me permet de sortir un peu de moi-même,<br />

surtout si je suis sérieux dans le fait de devenir un<br />

chanteur de jazz, je dois m’envelopper de ces<br />

influences. Je ne le vois pas comme une décision<br />

consciente ou une construction, ce sont des sons que<br />

j’aime, c’est tout. Ce sont des choix simples.<br />

Allez-vous jouer d’un instrument pendant votre<br />

prochaine tournée ?<br />

Non, je considère vraiment sérieusement le fait de ne<br />

toucher aucun instrument. Je l’ai fait pendant<br />

longtemps, puis j’ai arrêté il y a quelques années. Je<br />

crois que ça m’a vraiment aidé, car je ne prenais pas<br />

le rôle de chanteur au sérieux jusqu’à ce que je pose<br />

la guitare. Je pense que ma manière de chanter s’est<br />

améliorée une fois que j’ai fait cela, j’ai même changé<br />

mes chansons et ce que je pensais qu’il serait bien de<br />

chanter. Ça semble traumatisant, mais je crois que ça<br />

a changé toute mon idée de ce que je fais, parce que<br />

j’aime avoir des boucliers. La guitare était ce derrière<br />

quoi je me protégeais. Quand je me tiens là juste<br />

debout sans rien, c’est beaucoup plus intense.<br />

Vous évoquez souvent la rédemption, il y a également<br />

quelques personnages bibliques dans vos morceaux.<br />

Souhaitez-vous parler de la part mystique de votre<br />

musique ?<br />

Je ne sais pas comment en parler sans avoir l’air fou<br />

ou prétentieux. Je me fiche que l’on pense ça mais ce<br />

n’est pas vraiment qui je suis. Je pense que dans<br />

d’autres arts, comme la poésie, c’est assez simple de<br />

faire partie de cette tradition ou d’utiliser ces images,<br />

alors qu’en musique c’est impossible de le faire ou<br />

d’en parler sans rappeler Jim Morrison. Je sais qu’il<br />

est très important ici à Paris et je l’aime beaucoup,<br />

mais il y a une version caricaturale de la mystique —<br />

la mystique rock’n’roll — que je ne trouve pas très<br />

intéressante. En revanche, il y a la mystique de<br />

Clarise Lispector, l’idée de la quête. Ce n’est pas la<br />

quête d’un sens mais plutôt la recherche d’un<br />

éclairage dans son travail. Je trouve ça plutôt normal<br />

en ce qui concerne l’écriture musicale, c’est une<br />

tradition bien ancrée ; on retrouve cela chez des gens<br />

comme Van Morisson ou Joni Mitchell, même dans<br />

des éléments du travail de Dylan tu peux ressentir une<br />

certaine ferveur religieuse. Tu veux utiliser l’imagerie<br />

religieuse et les personnages religieux pour que les<br />

gens comprennent à quel point ce que tu essaies de<br />

faire ou de révéler est important.<br />

Je ne le vois cependant pas comme un élément<br />

crucial dans la musique de Destroyer, jusqu’à ce<br />

dernier album. Pour une raison que j’ignore il a l’air<br />

perdu dans le monde, errant, et le spectre de la mort<br />

le surplombe. C’est un album (Poison Season) plus<br />

lourd que d’habitude. Mais je ne m’assieds pas en me<br />

disant “Tiens, c’est l’heure du mystique, l’heure<br />

d’écrire une chanson mystique“. Je n’écris pas en y<br />

réfléchissant à deux fois, c’est très instinctif. Si j’en<br />

parle, je ne fais que regarder en arrière et essayer de<br />

comprendre ce que j’ai fait. Mais, d’une part, je n’ai<br />

aucun désir de comprendre ce que j’ai fait, ça ne<br />

m’intéresse pas. Je veux simplement que ça existe,<br />

que ça exerce une sorte de force et, d’autre part, à la<br />

minute où j’en parle, je suis sûr que ça change. Je<br />

vois un morceau d’une certaine façon un jour, et le<br />

lendemain il peut prendre un tout autre sens.<br />

Donc on devient artiste ou musicien par manque de<br />

religion ?<br />

Selon moi les artistes sont supposés exprimer tout ce<br />

que je suis incapable de dire maintenant, aussi<br />

sensiblement que possible. L’art doit aussi être<br />

conscient qu’il ne pourra jamais complètement<br />

exprimer cette chose. Mais tu laisses une trace de ta<br />

quête, ou une trace de ta lutte, et c’est ce qui d’une<br />

certaine façon est touchant. Ou bien c’est nul et ça n’a<br />

rien d’émouvant ! Tout ce que j’essaie de faire avec<br />

Destroyer, c’est rattraper ce manque dans le monde<br />

qui m’entoure…<br />

Propos recueillis et interview par Gaëlle Cognée


Ces photos ont été prises le 13 novembre 2015<br />

pendant le Concert du groupe Eagles Of Death Metal au Bataclan, à Paris, par Manuwino.<br />

Elles sont publiées ici en format libre de droit et disponibles à la diffusion sans modification,<br />

recadrage ni retouche supplémentaire sur simple demande<br />

auprès de Manuwino.<br />

À Thomas. À Marie.<br />

À tous ceux qui étaient là. À leurs regards. À leurs sourires.<br />

À Paris. À la vie.<br />

À la Génération Bataclan.


FRANZ<br />

FERDINAND<br />

Interview publiée le 3 septembre 2013<br />

C’est à l’étage d’un troquet Parisien que notre rencontre avec les Franz Ferdinand prend place. Très vite, on a le<br />

sentiment de discuter avec des types qui sortent de leur tanière. Et pour cause, voilà plus de quatre longues<br />

années que la bande Ecossaise n’avait pas sorti un seul morceau sous ce nom. Après une période de doute<br />

avec l’album Tonight, electro et pessimiste, mais follement bon, il était temps pour les quatre garçons de<br />

retrouver le sourire en nous présentant “Right Thoughts, Right Words, Right Actions“, simple, direct et efficace.<br />

Quoi de mieux que de laisser la parole à Alex Kapranos, leader incontestablement doté d’un charisme explosif ?<br />

Là ou un Alex Turner se grime en un Elvis Presley de manière poussive, Kapranos reste lui même et attribue les<br />

bons et les mauvais points…<br />

Que s’est-il passé pour les Franz Ferdinand ces<br />

quatre dernières années ?<br />

Nous avons sorti notre album Tonight en 2009, puis<br />

nous avons tourné ensuite jusqu’en 2011. Nous avons<br />

décidé de faire une pause, pour que chacun puisse se<br />

consacrer à ses projets personnels dans son coin<br />

pendant un petit moment. J’ai produit plusieurs<br />

albums, Nick a fait de la musique pour du théâtre par<br />

exemple et nous nous sommes retrouvés pour<br />

recommencer à écrire des chansons ensemble. Nous<br />

voici aujourd’hui, devant vous.<br />

A quel moment avez-vous décidé de travailler sur ce<br />

nouveau disque ?<br />

Il y a un an et demi. Nous voulions garder une<br />

véritable spontanéité dans notre travail, que ce qui<br />

sorte du studio reste frais. On a alterné sessions en<br />

studio et tournées en festivals, pour un peu se<br />

changer d’air. Nous avions disparu ces dernières<br />

années, oui, mais c’était absolument voulu. On ne<br />

l’avait jamais fais auparavant. Nous avions envie de<br />

disparaître. On ne voulait pas se sentir scrutés par les<br />

gens ni que l’on parle trop de nous. Si tu parles de toimême,<br />

tu es conscient que tu es en train de créer<br />

quelque chose, et ça te fait justement perdre toute<br />

spontanéité.<br />

Moins on parle de vous, mieux vous travaillez ?<br />

Je pense, oui. Tu trouves toujours de meilleures idées<br />

quand on te laisse tranquille. Mais c’est surtout qu’il<br />

n’y a globalement rien à dire sur nous. Aujourd’hui, on<br />

a un nouveau disque, on a de la matière à défendre.


Ce n’est pas vraiment intéressant de dire à la presse<br />

que tu es en train d’essayer mille choses en studio.<br />

C’est la différence, pour moi, entre les artistes et les<br />

célébrités, même si, médiatiquement, les routes se<br />

croisent. Nous ne sommes pas des célébrités mais<br />

des musiciens. On aime que les gens s’intéressent<br />

aux bonnes choses. A nos chansons. Surtout.<br />

Enregistrer votre disque par sessions, c’était un<br />

moyen d’éviter l’isolation ?<br />

Oui. On l’a fait pendant quelques temps, mais cela ne<br />

dépassait jamais les deux semaines. S’isoler, c’est<br />

devenir claustrophobique, oublier l’objectif final des<br />

chansons et ça reniait aussi notre versant live. On<br />

aime la scène, il ne nous fallait pas perdre l’énergie et<br />

l’adrénaline de ces moments. C’était agréable de faire<br />

des pauses, de parcourir des festivals. Nous avions<br />

un véritable désir d’aller vers les autres avec ce<br />

disque, de trouver des idées pour les transformer en<br />

chansons. Et il est vrai qu’il est plus difficile de trouver<br />

des idées, enfermés entre quatre murs dans un studio<br />

sous terre.<br />

A l’écoute de votre album, on a un sentiment de retour<br />

aux sources du son Franz Ferdinand…<br />

Je pense que nous sommes revenus à l’essence<br />

même du groupe, en effet. Je me souviens d’une<br />

discussion avec Peter Bjorn en 2011 autour d’un café<br />

à Glasgow, où il nous demandait comment le disque<br />

allait sonner. On a juste répondu “Franz Ferdinand” !<br />

Nous avons essayé de faire évoluer les choses mais<br />

sans oublier les bases de notre son et de son identité.<br />

Peter avait quand même répondu “Ah oui, un mélange<br />

entre Daft Punk et Dr Feelgood”. C’est une remarque<br />

que l’on nous fait souvent. C’est amusant parce qu’on<br />

a ajouté des éléments jamais entendus dans notre<br />

musique avec ce nouvel album, comme du<br />

saxophone, des cuivres, un solo de hautbois même,<br />

mais on a tenu à garder une sorte d’efficacité<br />

particulièrement importante pour nous.<br />

Vous avez un peu mis les synthétiseurs de côté ?<br />

Il y en a ! « Love Illuminations », « Goodbye Lovers<br />

And Friends », « Stand On The Horizon »mais<br />

contrairement à Tonight, nous n’avons pas basé les<br />

chansons que sur cela..<br />

Quatre après, quel regard portez vous sur Tonight ?<br />

À cette période, nous étions plutôt pessimistes,<br />

fatigués du monde qui nous entourait, et nous<br />

voulions faire quelque chose de très différent de ce à<br />

quoi les gens pouvaient s’attendre. S’il fallait décrire<br />

notre groupe en un seul mot, j’utiliserai le terme<br />

“contraire”. Lorsque nous nous sommes formés, nous<br />

voulions sonner à l’opposé de tout ce qu’il se faisait,<br />

et c’est dans cette même philosophie que l’on a fait ce<br />

disque, qui reflétait aussi nos états d’esprits<br />

personnels à cette époque…<br />

Vous avez donc travaillé ce nouvel album par<br />

opposition totale à Tonight alors ?<br />

Oui ! C’était en pure réaction à cette période. Mais les<br />

choses se sont faites naturellement, comme une<br />

évolution !<br />

Et ce sera la même pour le prochain ?<br />

Je n’en sais rien, je n’ai pas envie de le savoir. Peutêtre<br />

qu’un jour nous nous poserons. Des contraires<br />

contre des contraires contre des contraires, c’est<br />

infini.<br />

Right Thoughts semble plus “léger” ?<br />

Je ne sais pas si “léger” est le bon terme mais je<br />

comprends ce que tu veux dire. Nous nous sommes<br />

focalisés sur les bonnes mélodies en tout cas. Nous<br />

avions un but précis : faire des chansons qui<br />

fonctionnent à l’instinct, sanguines, directes. Nous<br />

voulons que les gens ressentent quelque chose dès la<br />

première écoute, mais aient aussi envie d’y revenir<br />

plus tard, dans le détail. Notamment au niveau des<br />

paroles : la majorité des textes se présentent comme<br />

des grandes questions. Chacun peux y réfléchir à sa<br />

façon en fonction de son humeur. C’est aussi<br />

intéressant. Mais dans tous les cas, nous sommes<br />

d’humeur beaucoup plus « sympathique » avec ce<br />

disque que pour Tonight.<br />

Vous semblez moins prendre de risques…<br />

Je pense qu’il est beaucoup plus risqué de trouver de<br />

vraies mélodies, avec des bons refrains, plutôt que de<br />

faire quelque chose de complètement abstrait et<br />

tortueux. Ces chansons sont très faciles à écouter,<br />

mais bien plus compliquées à écrire. Il faut beaucoup<br />

d’effort pour justement avoir un résultat qui ne<br />

s’écoute sans aucuns efforts.<br />

Peter Bjorn, Todd Terje : Qu’est ce qui a autant<br />

amené les Franz Ferdinand en Scandinavie ?<br />

Le monde froid qui nous entoure et son cœur de glace<br />

impartial (rires) ! Plus sérieusement, nous adorons la<br />

scène scandinave : Lykke Li, Lindstrom, les dernières<br />

sorties de Terje. J’ai l’impression qu’il y a une<br />

véritable humanité dans la musique de ces gens là.<br />

Peter (Bjorn, ndlr), lui, est un ami de longue date.<br />

Quel regard portez vous sur l’industrie musicale<br />

depuis que vous nous avez quittés il y a quatre ans ?<br />

Il n’y avait pas de Skrillex à l’époque…<br />

L’Amérique a découvert l’EDM trente ans après sa<br />

naissance, les jeunes groupes peuvent<br />

malheureusement de moins en moins se permettre de<br />

vivre de leur musique, mais je retiendrais surtout le<br />

boom de la musique électro. Quelques uns font du<br />

bon boulot, mais la grande majorité de ce qui en sort<br />

est plutôt merdique et c’est comme cela dans tous les<br />

genres ! On a récemment joué avec Major Lazer en<br />

Argentine, c’était assez marrant à voir sur scène, c’est<br />

plus un show que de la musique. Mais les choses<br />

risquent bien de changer. Notamment à cause de<br />

l’album de Daft Punk : l’influence que ce groupe arrive<br />

à avoir est impressionnante et indéniable. Bravo la<br />

France !<br />

Propos recueillis par Brice Bossavie


CHVRCHES<br />

Interview publiée le 24 octobre 2013<br />

On s’est tapé des barres avec les Écossais CHVRCHES. Ils nous accueillent le sourire aux lèvres et font preuve<br />

d’une auto-dérision qui nous met d’emblée à l’aise, entre potes. Si l’on vous dit : Taxidermie, internet, accent à<br />

couper au couteau et démocratie, vous voyez le rapport entre tous ces termes ? Ou pas ? “On devrait peut être<br />

consulter un psy”, nous déclarent-ils avant de partir. Lisez-donc pour mieux comprendre…


Le choix du V de Chvrches, c’était pour faire hype ou<br />

surtout pour faciliter les recherches sur Google ?<br />

Lauren : C’est principalement dû au fait qu’on a<br />

commencé à vouloir déposer notre nom de domaine<br />

et “Churches Music” ou “Churches Band” ne<br />

donnaient pas grand chose. Parallèlement, notre amie<br />

Amy avait fait un logo pour nous -elle fait tout nos<br />

artworks désormais- et déjà, cet artwork avait ces<br />

figures en formes de V. Nous avons décidé de le faire<br />

correspondre au nom du groupe. C’est plus une<br />

question esthétique mais aussi la nécessité d’être<br />

facilement reconnaissable sur Internet. Cela peut<br />

paraître idiot mais c’est comme cela que les gens<br />

trouvent le plus facilement notre musique.<br />

Nous avons eu la même conversation il y a quelques<br />

temps avec “!!!”<br />

Martin : (Rires) Les gens ont enfin compris, après<br />

toutes ces années !<br />

Il faut écrire Chk Chk Chk, sinon ça ne donne rien…<br />

Martin : En tout cas nous ne sommes pas vraiment<br />

des hipsters donc ce n’a jamais été pour ça.<br />

Et qu’est ce qu’un hipster pour vous ? Ca n’a pas<br />

vraiment de sens.<br />

Iain : Conduire un monocycle en portant une<br />

moustache frisée ?<br />

Lauren : S’amuser de tout de manière ironique, ça me<br />

dépasse, pourquoi pas rire, simplement.<br />

Martin : La boisson immonde que tout le monde boit à<br />

Berlin, comment s’appelle-t-elle ?<br />

Lauren : Club-mate ?!<br />

Martin : Oui, ça c’est hipster !<br />

C’est quoi ?<br />

Lauren : Une boisson qui ressemble à une bière mais<br />

qui est, en réalité, plutôt de la limonade. Il y en a dans<br />

tous les cafés de Berlin.<br />

Martin : Et la taxidermie, ça a été cool à un moment…<br />

Iain : Si les hipsters achètent nos disques et aiment<br />

notre musique, tant mieux !<br />

Le nom de domaine de votre site web est enregistré<br />

en Espagne, pourquoi ?<br />

Martin : Un type a acheté tous les domaines<br />

“chvrches.com” dès que nous sommes devenus ce<br />

groupe pour ensuite nous les revendre contre un<br />

accès backstage à vie pour nos concerts et 3000<br />

euros. On lui a dit qu’il pouvait avoir le Pass et un<br />

point dans la figure mais pas l’argent.<br />

Lauren : Il faut croire que c’est plus répandu qu’on ne<br />

le pense, des gens gagnent bizarrement leur vie<br />

comme cela. C’est absurde. On n’allait pas payer<br />

quelqu’un qui nous avait doublé. Surtout qu’il n’avait<br />

pas été assez intelligent pour penser à acheter le<br />

domaine en Espagne, du coup on a pu échapper à ce<br />

chantage. Les gens pensent probablement que c’est<br />

un effet de style de voir écrit chvrch.es mais c’était<br />

surtout un moyen pour ne pas rester dans l’ombre du<br />

net.<br />

Vous avez joué au festival de Pitchfork à Paris en<br />

2012, qu’est ce que cela représente pour vous ?<br />

Iain : D’un côté, il y a Pitchfork, mais aussi tous les<br />

blogs, les sites internet et magazines autres, comme<br />

<strong>CRUMB</strong>, qui sont en grande partie responsables de la<br />

vitesse à laquelle nous avons attiré l’attention des<br />

gens. Vu d’un grand angle, Internet c’est chercher<br />

puis trouver une information. La façon dont les gens<br />

peuvent télécharger des morceaux sur leur téléphone<br />

n’importe où, en une minute a un impact sur la vitesse<br />

à laquelle les gens commencent à s’intéresser à des<br />

groupes comme nous. Je trouve cela extrêmement<br />

positif. Ce ne sont plus les labels qui décident de ce<br />

qui doit être entendu ou non, n’importe qui peut<br />

apparaître en ligne, sur Pitchfork ou une centaine<br />

d’autres médias en lignes et c’est vraiment, pour<br />

chaque partie, un moyen de communication excitant.<br />

Martin, ton accent me rappelle celui des acteurs de La<br />

Part des anges de Ken Loach…<br />

Martin : C’est parce que je viens du coin le plus<br />

pauvre, c’est ça ? Je n’ai pas encore vu ce film mais<br />

si tu trouves mon accent difficile, essaie encore de<br />

comprendre ce que je dis après quelques verres.<br />

Lauren : Même moi je n’y comprends plus rien. On vit<br />

tous à Glasgow mais on vient d’endroits<br />

complètement différents. Martin est né pas loin, Ian<br />

vient de l’autre côte de l’Ecosse et moi plus du nord.<br />

Parlez-nous des thématiques de vos morceaux.<br />

Lorsque l’on regarde simplement les titres, elles<br />

paraissent assez sombres et en rapport au corps<br />

humain.<br />

Lauren : Pour Under The Tide, je pensais à ces<br />

documentaires où l’on peut observer les vagues, leur<br />

mouvement et l’écume par en dessous, tout paraît<br />

plus calme, comparé à ce qu’on peut ressentir lorsque<br />

l’on est à la surface, remué par la houle. Par rapport<br />

au corps, j’ai réalisé après avoir fini l’album que l’on<br />

avait travaillé sur beaucoup de références aux<br />

membres, pour rendre l’impact ou l’émotion plus<br />

physique, je pense. Parler de choses que l’on ne peut<br />

pas vraiment voir comme les os et les rendre visible<br />

par la musique me fascine.<br />

Iain : On devrait peut être consulter un psy.<br />

Lauren : Oui, pourquoi suis-je inspirée par des<br />

jambes, des hanches ? Je ne sais pas. Mais c’est<br />

intéressant de voir comment les gens se<br />

réapproprient nos titres. The Mother We Share<br />

explore le thème de l’espoir ou son manque, mais<br />

cela ne parle pas de famille au sens propre. Les<br />

paroles sont plus dans l’impression que dans la<br />

narration d’une histoire particulière. Une fille nous a<br />

envoyé un mail pour en connaître son sens car elle<br />

comptait utiliser cette chanson pour danser avec son<br />

père à son mariage et nous étions vraiment surpris.


Nous étions partagés par un sentiment hyper touchant<br />

et en même temps la réalité qui est que ce n’est pas<br />

vraiment une chanson joyeuse pour danser avec son<br />

père. Il est question de désespoir, d’échec mais de la<br />

nécessite de continuer. Elle, semblait penser qu’il<br />

s’agissait de gens qui restaient unis malgré tout. Ce<br />

rapport à la différence entre plusieurs niveaux de<br />

lecture est génial. Il faut tout toujours laisser planer du<br />

mystère sur les chansons pour que chacun puisse en<br />

profiter comme il l’entend.<br />

Vous avez remixé Hurricane de MS MR, c’est un<br />

exercice qui vous plait particulièrement ?<br />

Lauren : C’est vraiment quelque chose de sympa à<br />

faire, s’amuser avec le travail de quelqu’un d’autre et<br />

faire quelque chose de différent. Comme une belle<br />

chaîne de créativité en se réappropriant une matière<br />

qui n’est pas la nôtre. Ca aussi, c’est une question de<br />

lecture ou de relecture !<br />

Martin : Si on est dans un studio en train de mixer et<br />

que quelqu’un nous suggère de remixer Speed<br />

Demon de Micheal Jackson, la première réaction est<br />

toujours « C’es complètement malade ». Puis, on le<br />

fait parce qu’on réalise qu’il est important de ne pas<br />

avoir peur d’explorer les morceaux, ne pas les<br />

considérer comme trop précieux ou intouchables.<br />

Nous faisons aussi des DJ set, sous deux formes, la<br />

première exclusivement électro, la seconde consiste<br />

seulement à faire danser le public jusqu’au petit matin.<br />

Chacun d’entre nous s’en charge. Lauren mixe surtout<br />

dans les soirées les plus importantes, moi, je<br />

commence à prendre ce jeu au sérieux maintenant, si<br />

je n’étais pas un musicien je serai DJ. C’est nul sur le<br />

papier mais je gagnerais plus d’argent, je crois.<br />

L’adjectif “démocratique” revient souvent dans vos<br />

interviews, par rapport à votre manière de travailler.<br />

Comment arrivez vous à surmonter les désaccords<br />

pouvant survenir quand il faut composer de la<br />

musique à trois ?<br />

Martin : La démocratie c’est se battre pour ses idées.<br />

Tout le monde a son mot à dire, chaque jour, mettre<br />

en avant des arguments, des raisons, la discussion en<br />

studio est fondamentale. Si il y a un problème mais<br />

qu’il est vite oublié, on n’y revient pas. On essaie. En<br />

revanche, si des doutes persistent, on prend le temps<br />

qu’il faut pour les mettre à plat et avancer, à trois.<br />

Lauren : C’est une question de respect et de<br />

confiance mutuelle, je crois. Un partenariat divisé<br />

entre le travail et l’amitié crée une vraie dynamique.<br />

Bien sûr on se dispute à 5h du matin à l’aéroport, en<br />

studio, en voiture, partout mais quand il s’agit de<br />

choses vraiment sérieuses, qui touchent au fond de la<br />

musique, à sa forme, on prend le temps de réfléchir.<br />

Encore plus lorsque nous prenons du recul sur ce que<br />

nous avons vécu depuis quelque temps, il faut être<br />

sûr que nous nous sentions à l’aise dans le groupe,<br />

chacun à sa place. Les écossais ont la réputation de<br />

communiquer, de beaucoup exprimer leurs<br />

sentiments. Cela se ressent à travers notre groupe.<br />

Pur sarcasme, vous l’avez compris.<br />

Martin : Les écossais expriment leur sentiment une<br />

fois tous les 9 mois théoriquement.<br />

Iain : Cela se passe souvent dans un bar d’ailleurs.<br />

Un type s’enflamme devant son meilleur pote « I really<br />

love you man, I would use a fucking for you » et le<br />

lendemain matin c’est oublié. Jusqu’à une nouvelle<br />

démonstration d’amitié…<br />

Martin : 9 mois plus tard.<br />

Lauren : Pourquoi ai je choisi d’être dans ce groupe,<br />

avec ces deux mecs ?<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Traduction : Alice De Jode<br />

Photos : Justine Tellier, pour Crumb magazine


PHOTO<br />

Interview publiée le<br />

Choisir comme nom “Photo” lorsqu’on est un groupe de musique est un pari risqué. Un choix audacieux,<br />

pour mieux traduire, peut-être, l’influence esthétique et graphique des textes du groupe et l’imagerie<br />

visuelle qui s’en dégage. Photo c’est Antoine et Augustin, deux frères passionnés de musique, qui, par<br />

leur rencontre avec Théo et Pascal ont su mettre à profit l’étendue de leur talent. Une complémentarité<br />

musicale totale qui donne à ce groupe l’un des cachets les plus prometteurs de la scène French Touch.


Vous avez commencé la musique par la formation<br />

d’un autre groupe, les Racing Seagulls…<br />

Antoine : Oui mais ça remonte à loin ! Au départ cela<br />

fait 4-5 ans que l’on joue ensemble, avec divers<br />

musiciens. On a essayé de trouver notre univers mais<br />

c’est seulement quand Pascal est arrivé (le bassiste,<br />

ndlr), que cela a fait une vraie différence. Quelque<br />

part on a l’impression d’avoir mûris pendant cette<br />

première période, de s’être trouvé musicalement. Mais<br />

il n’y a pas grand-chose de passionnant à dire sur nos<br />

anciens groupes<br />

Augustin : Il n’empêche que ces formations nous ont<br />

appris à jouer ensemble, à se connaître musicalement<br />

mais par rapport aux projets que l’on fait aujourd’hui,<br />

par rapport à PHOTO, il n’y a pas de lien direct, ni de<br />

vraie influence.<br />

Il y a dans votre rapport à la musique quelque chose<br />

de très personnel, que vous explorez depuis<br />

longtemps…<br />

Augustin : Antoine et moi, on ne vient pas vraiment<br />

d’une famille où la musique est importante, mais c’est<br />

vrai que très jeunes on s’est retrouvés là-dedans.<br />

C’est plutôt une démarche personnelle, autodidacte et<br />

je pense que ce qui fait notre originalité musicale c’est<br />

qu’aucun d’entre nous n’as appris à jouer d’un<br />

instrument dans un schéma classique. A l’âge de<br />

quinze ans, je savais que je voulais être musicien et<br />

j’ai entrainé Antoine avec moi là-dedans…<br />

Antoine : Je suis arrivé, pour ma part, à la musique,<br />

par des chemins de traverse (le théâtre, le cinéma,<br />

ndlr). J’ai mis plus de temps à me focaliser sur<br />

certains domaines. Et puis j’ai été reçu dans une<br />

école prestigieuse de cinéma (l’INSAS, ndlr), en<br />

Belgique, pour des études. Je ne pouvais pas passer<br />

à côté de cette opportunité. On commençait à mettre<br />

en place quelques créations, j’ai dit aux garçons « Ne<br />

vous arrêtez pas pour moi, j’en ai pour 5 ans, trouvez<br />

un autre chanteur », et la réponse a été unanime :<br />

Hors de question. Ils sont venus me rejoindre en<br />

Belgique et l’on a vécu tous ensemble. Ce qui est<br />

assez dingue d’ailleurs. C’est ce genre de choses qui<br />

a fait que ce groupe est aujourd’hui incassable. Et<br />

puis, je ne sais pas si tu connais la Belgique, mais ce<br />

n’est quand même pas Hawaï. Ils n’étaient pas<br />

obligés de me suivre. On a loué là-bas une maison<br />

immense pour le prix d’une chambre de bonne à<br />

Paris. On y jouait toute la nuit. Il y a une relation à<br />

l’espace et au voisinage totalement différente d’ici. Et<br />

les gens aiment vraiment la musique. Est-ce que dans<br />

l’interview, tu peux peut mettre « États- Unis » à la<br />

place de Belgique, peut-être, non ?… (Rires).<br />

En fait, vous ne seriez pas allé en Belgique, il n’y<br />

aurait pas eu de vraie émulation au sein de PHOTO ?<br />

Théo : On ne peut pas vraiment répondre. En tout<br />

cas, je ne pense pas. Mais c’est vrai que se retrouver<br />

tous ensemble nous a aidé à apprendre à mieux se<br />

connaitre et à faire naitre un langage commun.<br />

Aujourd’hui, on arrive vraiment à se comprendre. On a<br />

su créer notre bulle.<br />

Antoine : En Belgique, on répétait tous les jours et je<br />

crois que c’est une phrase de Kurt Cobain qui dit, «Un<br />

groupe sérieux doit répéter au moins 4 fois par<br />

semaine», le temps de trouver son propre style, de se<br />

chercher. Je crois que c’est vrai. Si l’on avait eu<br />

qu’une seule répétition par semaine, dans un grand<br />

studio parisien, avec 2 heures pour jouer, nous<br />

n’aurions pas eu le temps de chercher des choses ni<br />

même de nous planter. Je pense au travail de la voix<br />

notamment. A force de s’enregistrer, d’essayer, tu<br />

trouves une voix, un timbre qui te semble être le tien<br />

et tu essaies de le traiter de telle ou telle manière,<br />

mais cela prend du temps et tu ne peux pas le faire en<br />

ne répétant que 2 heures par semaine.<br />

Théo : Pour nous, le son a une vraie importance. On<br />

le place au-dessus de la technique. Donc il est vrai<br />

qu’avoir eu la possibilité de répéter 7 jours sur 7, nous<br />

a permis de vraiment maitriser notre travail.<br />

Après l’arrivée de Pascal, il y a eu un temps<br />

d’adaptation ?<br />

Antoine : Pascal (qui n’est pas encore arrivée à ce<br />

moment de l’interview, ndlr) a toujours eu une manière<br />

très particulière de jouer, c’est quelqu’un de très<br />

mélomane. Beaucoup plus que ce que l’on pourrait<br />

attendre d’un bassiste qui se contenterait de suivre la<br />

ligne de basse. Lui, apporte quelque chose de très<br />

travaillé. On pourrait avoir, c’est vrai, un bassiste plus<br />

simple qui ne nous poserait pas de problèmes et s’en<br />

contenter, mais les problèmes que nous pose Pascal<br />

enrichissent toujours d’une manière ou d’une autre<br />

nos compositions. D’ailleurs, si vous avez l’occasion<br />

de tendre l’oreille vers ce qu’il fait, il a des lignes de<br />

basse très particulières, avec un style bien à lui. Il a<br />

vraiment trouvé sa place et affirmé son style.<br />

Augustin : Le groupe est devenu vachement plus rock<br />

à une période et c’est beaucoup grâce à lui. C’est un<br />

excellent mélodiste. Il a libéré les autres instruments<br />

qui étaient un petit peu frustré par le manque de<br />

basse. Ca a, du coup, épanoui le groupe et a permis à<br />

chacun de se concentrer sur son propre instrument.<br />

(Un temps) finalement, je me dis que l’on a toujours<br />

eu de la chance dans notre cheminement artistique.<br />

Je ne parle pas en termes de contrat ni de réussite,<br />

mais par exemple l’arrivée de Pascal, ce genre de<br />

chose… Ou le fait que tout se passe bien en Belgique.<br />

Sans chercher de bassiste, on en a trouvé un, très<br />

bon, au bon moment !<br />

Antoine : Nous sommes nous quatre, en perpétuel<br />

mouvement d’adaptation. On aime la musique qui<br />

parle aux gens. Donc à chaque fois qu’un morceau<br />

nous parait trop compliqué, on essaie de le<br />

retravailler. Un message simple en somme, pas trop<br />

long, mais profond, qui va vite à l’essentiel, à<br />

l’évidence. On ne cherche pas à faire des choses<br />

extraordinaires. Tout le monde pourrait faire ce que<br />

l’on fait mais personne ne le fait !<br />

Théo : Au début surtout, juste après nos premiers<br />

concerts, on centrait nos compositions sur ce qui<br />

plaisait ou non au public. On est encore aujourd’hui en


train de se remettre en question. Même si l’on est<br />

parfaitement convaincu de notre démarche artistique,<br />

on vit notre aventure à cinq : nous quatre et le public !<br />

La femme de notre bassiste filme la plupart des<br />

concerts et cela nous permet vraiment de nous mettre<br />

face à face, de regarder les détails à améliorer, les<br />

choses qui ne fonctionnent pas…<br />

Donc chaque concert est différent ?<br />

Théo : Chaque concert diffère parce qu’après chaque<br />

remise en question, on essaie de mettre en forme un<br />

espèce de «savant mélange musical», de manière à<br />

ce qu’à chaque fois le public soit réceptif de façon<br />

différente.<br />

Antoine : Ce n’est ni prétentieux ni populiste. On n’a<br />

pas la vanité de se retrouver face à un public qui ne<br />

s’amuserait pas, on le prend donc en considération.<br />

Et puis sur scène, on essaie de ne pas s’enfermer<br />

dans une bulle, mais d’être véritablement présent et<br />

de s’amuser. Ne serait que pour moi, qui chante, être<br />

face au public, les yeux ouverts et regarder les gens,<br />

c’est quelque chose qui frappe, qui fait toute la<br />

différence, par rapport à un chanteur qui fait semblant<br />

d’être aveuglé ! Je crois savoir que tu fais du théâtre,<br />

alors tu dois connaître cela…<br />

Absolument ! Donc, en quelque sorte, pour résumer,<br />

vous faites de la musique participative ?<br />

Antoine : C’est un peu ça, oui ! Pour nous, avoir une<br />

démarche qui tient compte du public, c’est avoir une<br />

vraie démarche d’artiste. Un artiste qui se parle à luimême,<br />

que ce soit en sculpture, en peinture ou au<br />

cinéma, cela peut être très beau mais ça reste stérile.<br />

Est-ce que cette manière de vouloir à tout prix tenir<br />

compte du public n’enlève pas un peu de spontanéité<br />

à votre travail ?<br />

Augustin : Non, je ne pense pas. Si on sent que le<br />

public décroche, on se regarde, on est à l’écoute, on<br />

décide d’adapter l’interprétation à ce que le public<br />

aime. C’est une remise en question sur scène, il n’y a<br />

rien de figé. C’est d’autant plus spontané que l’on est<br />

réellement intéressé par le procédé chimique qui fera<br />

que tel ou tel morceau va plaire ou non à un moment<br />

donné.<br />

Augustin, tu parlais toute à l’heure d’une période<br />

plutôt rock. Puis vous avez dérivé vers la pop. Vous<br />

êtes à quelle frontière aujourd’hui entre les deux ?<br />

Augustin : Sur une frontière électro rock !<br />

Pascal (qui vient d’arriver) : Mais cela se voit<br />

davantage en live que sur ce que l’on propose à<br />

l’écoute sur notre MySpace actuellement.<br />

Augustin : Le truc c’est qu’on évolue très vite. Quand<br />

on enregistre, qu’on se réécoute quatre mois après,<br />

on a envie de passer à autre chose. Ce n’est pas de<br />

l’autocritique, mais une vraie recherche d’évolution. Et<br />

l’avantage aussi de n’avoir pas signé avec un label,<br />

c’est que cela nous laisse le temps de changer, de<br />

bouger, de prendre d’autres orientations. Et on<br />

expérimente cela en live.<br />

Vous pensez d’abord au live avant de composer ?<br />

Théo : Oui. Je pense que l’avenir de la musique, en<br />

tout cas à l’heure actuelle, se joue sur le live. Et puis,<br />

il y a un vrai plaisir personnel…<br />

Il y a un rapport esthétique assez important dans le<br />

groupe. Antoine, tu as fait des études<br />

cinématographiques, avec sans doute, une certaine<br />

influence. C’est toi qui écris les textes ?<br />

Antoine : Moi et ma femme. Oui, je suis marié, tu n’es<br />

pas obligé de le mettre dans l’interview !<br />

Comment travailles-tu pour reproduire tes influences<br />

graphiques dans les textes ?<br />

Antoine : Tu as senti une influence graphique dans les<br />

textes ?<br />

Oui !<br />

Antoine : C’est génial, parce que les gens n’écoutent<br />

généralement pas les paroles. Dans la construction,<br />

cela dépend. Par exemple, pour Big, on est parti de<br />

Max et les Maxi monstres, d’une esthétique enfantine,<br />

un espèce de rêve-cauchemar. Il n’y a pas de<br />

référence de film pour chaque morceau mais<br />

l’élaboration d’un univers cinématographique imagé.<br />

Si l’on sent des références, elles ne sont pas<br />

forcément conscientes donc ?<br />

Antoine : Exactement. Et comme j’écris en anglais et<br />

que je n’ai pas vraiment de référence littéraire –<br />

même si je comprends tout ce que j’écris hein (rires),<br />

j’ai des références visuelles. C’est aussi pour cela que<br />

l’on s’appelle PHOTO. Il y a l’image, la lumière, un<br />

langage simple, minimaliste, universel.<br />

Sur scène, est-ce que cela se traduit par un<br />

esthétisme particulier ?<br />

Antoine : Pas pour le moment. Nous n’avons ni les<br />

moyens ni le public pour. On a joué dans plein de<br />

petites salles parisiennes, mettre en place une vraie<br />

mise en scène déshumaniserait le concert. Et puis<br />

comme on a mis pas mal de temps à trouver notre<br />

son, nous n’avons pas vraiment défini l’esthétique<br />

graphique du groupe. On teste des trucs. Et comme le<br />

son bouge très vite, c’est assez difficile de suivre<br />

l’image. Mais dans un avenir riche et célèbre, on fera<br />

des shows à la Madonna !<br />

Pour finir, un titre que vous écoutez en ce moment,<br />

que vous aimez particulièrement ?<br />

Antoine : Lady Dada’s Nightmare, MGMT<br />

Pascal : Wax Simulacra, The Mars Volta<br />

Théo : The Rip, Portishead<br />

Augustin : Et moi ? Myxomatosis, de Radiohead<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié


CHARLOTTE OC<br />

Interview publiée le 6 mars 2015<br />

Il y a quelques mois, on vous parlait de Charlotte OC,<br />

jeune anglaise de 24 ans, qui débute sa deuxième vie<br />

dans l’industrie musicale. Burning, son nouvel EP,<br />

sort aujourd’hui. Passée par Paris en novembre<br />

dernier pour le Pitchfork Music Festival, Charlotte OC<br />

est revenue dans la capitale française soutenir The<br />

Avener, lors d’un enregistrement pour la télévision.<br />

L’occasion pour nous de rencontrer cette artiste et<br />

d’en savoir plus sur elle et sur son univers, à quelques<br />

heures de son retour en Angleterre.<br />

Le dédale d’Universal, dans le Vème arrondissement<br />

de Paris. Il est bientôt l’heure de déjeuner et je n’ai<br />

que vingt minutes pour faire connaissance avec<br />

Charlotte OC. Alors que je parcours les nombreux<br />

couloirs et escaliers du label, j’ai les yeux rivés sur<br />

mes notes. Il faut être efficace et aller vite me dit-on.<br />

Frustrant.<br />

Lorsque j’entre dans la salle de réunion, Charlotte OC<br />

vient de terminer une interview. Assise autour d’une<br />

grande table ronde, entourée de sièges mais<br />

complètement seule, elle illumine la pièce. Sourire aux<br />

lèvres, elle accepte le café qu’on lui tend et me lance<br />

un « Salut ». Longs cheveux couleur corbeau<br />

parfaitement lissés, visage angélique, regard rieur, la<br />

jeune artiste impose par sa présence. Elle me tend<br />

une poignée de main délicate.<br />

“Je suis à Paris pour quelques jours. Je travaille avec<br />

The Avener. On a enregistré l’émission C à vous,<br />

explique t-elle.” Le DJ français et l’artiste anglaise ont<br />

été mis en relation par leur label. The Avener avait<br />

besoin d’une chanteuse pour l’émission de France 5 –<br />

le morceau est, à l’origine, interprété par Phoebe<br />

Killdeer and The Short Straws – et le label a suggéré<br />

Charlotte. “On a fait quelques répétitions et puis on a<br />

filmé. C’était vraiment sympa comme moment, surtout<br />

que c’était ma première collaboration avec un autre<br />

artiste.” Le résultat : une interprétation habitée sur le<br />

plateau d’Anne-Sophie Lapix. The Avener et Charlotte<br />

OC se sont totalement approprié le morceau de<br />

Phoebe Killder, lui donnant une dimension plus<br />

électro, presque mystique.<br />

Flashback.<br />

Charlotte O’Connor est à peine majeure et vient de<br />

signer avec le label Columbia. Elle enregistre un<br />

premier album, For Kenny. Il ne sera jamais<br />

commercialisé. A l’évocation de ce premier essai, elle<br />

sourit. Elle garde une certaine bienveillance à l’égard<br />

de cette expérience musicale, sponsorisée par<br />

Quiksilver - On peut la voir sur des vidéos<br />

d’événements de la marque de surf interpréter.<br />

Elle a déjà cette voix, cette présence magnétique sur<br />

scène. Mais le style est différent. Alors que la<br />

Charlotte de ces vieilles vidéos adopte un style de<br />

plage, short en jean, tee-shirt loose et cheveux<br />

ondulés, la Charlotte 2.0 a grandi – au même titre que<br />

son style musical - le noir est devenu sa couleur<br />

préférée et un aura mystique émane d’elle. Une sorte<br />

de personnage entre l’univers de Tim Burton et la<br />

Famille Addams. Attention quand même, de ne pas<br />

me faire ensorceler.


Tu as écrit et composé For Kenny, ton premier album,<br />

très jeune. Il est aussi très différent de ce que tu fais<br />

maintenant. As-tu eu une liberté artistique pour<br />

l’écriture des morceaux ?<br />

Charlotte OC : J’ai été signée par Columbia après un<br />

événement Quiksilver. J’ai beaucoup travaillé avec la<br />

marque et je pensais que j’étais influencée par tout<br />

cet univers lié à l’eau et à la plage. Je le trouvais très<br />

romantique. Alors que je n’ai pas du tout grandi dans<br />

cet univers là. Avec le recul, je pense que c’était un<br />

peu comme une parenthèse dans ma vie : c’était plus<br />

une vie que je voulais, pas forcément celle que j’avais<br />

ni même ce que j’étais. Je déteste la mer ! J’ai la<br />

phobie des poissons mais j’étais sponsorisée par une<br />

maque de surf, c’est comme cela. Ça n’a pas vraiment<br />

de sens. J’ai grandi dans une ville industrielle –<br />

Blackburn, au Royaume-Uni – un peu sombre et<br />

sinistre. C’est à peu près ce que je suis maintenant<br />

d’ailleurs.<br />

Quel regard portes-tu sur For Kenny, aujourd’hui ?<br />

J’étais une gamine et je m’amusais beaucoup ! J’ai<br />

vraiment eu beaucoup de chance de pouvoir<br />

expérimenter tout ça. Je pense que tout le monde<br />

devrait faire un très mauvais album et ne pas le sortir,<br />

pour pouvoir apprendre et faire mieux après ! Tout le<br />

monde devrait passer par ce schéma : être signé, être<br />

viré.<br />

Qu’est-ce que tu as fais après avoir été lâchée par ton<br />

label ?<br />

J’ai pris deux années Off et j’ai embrassé beaucoup<br />

de garçons ! J’ai expérimenté pas mal de trucs, j’ai fait<br />

la fête, je me suis levée tard, j’ai voyagé à Berlin, et<br />

dans d’autres villes. Je voulais juste être une jeune<br />

fille. Quand j’avais 16 ans, je vivais dans des<br />

chambres d’hôtel. C’est bizarre de vivre ça à cet âge.<br />

Chanter, c’est un job, un business. C’est sympa d’être<br />

dans un studio et d’écrire de la musique. Mais tu le<br />

fais avec des hommes qui ont la cinquantaine, alors<br />

que tu es une adolescente. On n’avait pas vraiment<br />

les mêmes goûts musicaux. J’avais besoin de ces<br />

deux ans pour devenir une jeune fille. Au moins le<br />

redevenir. ! Pour m’amuser, avoir le coeur brisé.<br />

A quel moment t’es-tu remis à la musique ?<br />

En janvier 2012, je me suis envolée pour Los Angeles<br />

et j’ai commencé à travailler avec Tim Anderson. On a<br />

écrit “Color My Heart” et “Hangover” ensemble. Je<br />

revenais tout juste de Berlin. J’étais toujours dans<br />

l’esprit de la ville, de ce que j’avais expérimenté làbas<br />

et de la musique que j’avais entendue. Je crois<br />

que c’est la première fois de ma vie que quelque<br />

chose me touchait autant et j’avais besoin de le dire…<br />

J’étais au Berghain (club berlinois, ndlr) et il y avait un<br />

remix techno de Bon Iver. Le club a une ambiance<br />

d’étrange église. Il y a une atmosphère très religieuse.<br />

Il n’y a pas d’horloge, tu ne sais jamais quelle heure il<br />

est. Tu es juste là pour passer le meilleur moment de<br />

ta vie. Là-bas, j’ai entendu des musiques incroyables.<br />

J’ai été très touchée et émue de ces sensations et<br />

j’avais besoin d’en dire quelque chose. Donc quand je<br />

suis arrivée à L.A, j’ai raconté à Tim ce que j’avais<br />

vécu et il m’a dit qu’il fallait que l’on fasse de la<br />

musique ensemble. Il a très bien compris ce que<br />

j’avais à dire. Il est la première personne avec laquelle<br />

j’ai écrit aux États-Unis et ça a instantanément<br />

marché !<br />

Les morceaux de tes deux EPs – Strange et Color My<br />

Heart – semblent assez personnels… Qu’est-ce qui<br />

t’inspire ?<br />

Certains morceaux sont à propos de moi et d’autres<br />

ne le sont pas. “Hangover” est à propos de quelque<br />

chose dont je ne parlerai jamais et que je ne veux pas<br />

expliquer. Mais ce n’est pas à propos de boire de<br />

l’alcool, on pourrait penser que ça parle de ça. Enfin<br />

si, la chanson parle d’alcool mais pas de Love<br />

Hangover. C’est un peu plus sombre. “Color My<br />

Heart” parle de ma soeur. Elle était en train de<br />

divorcer. Quand j’ai écrit cette chanson, je savais<br />

qu’elle aimait encore ce type alors qu’il n’était pas très<br />

sympa avec elle. Cette chanson est une sorte de<br />

prière que je voulais lui adresser.<br />

Quelle genre de musique écoutes-tu ?<br />

Leonard Cohen, Talking Heads, Aretha Franklin,<br />

Roberta Flack, entre autres. Mon père écoutait<br />

beaucoup de Folk et ma mère beaucoup de Soul. Je<br />

pense que c’est ce qui m’a le plus influencé quand j’ai<br />

commencé à jouer de la guitare à 15 ans. J’ai pris des<br />

cours pendant deux ou trois mois. Je ne voulais pas<br />

en apprendre trop. Je voulais travailler avec le<br />

minimum syndical et voir ce que je pouvais créer à<br />

partir de ça. C’est un vrai challenge. Quand tu es ado,<br />

tu veux toujours te rendre la vie plus compliquée.<br />

J’ai lu quelque part que tu avais passé deux ans avec<br />

ta mère, dans son salon de coiffure. C’est vrai ?<br />

Oui mais j’ai tenu une semaine ! Je n’étais pas très<br />

sympa avec les clients. Je lavais les cheveux de ces<br />

gens alors que je voulais juste faire de la musique. Je<br />

n’aimais pas trop que l’on me dise ce que je devais<br />

faire aussi. Donc oui, je ne suis pas restée très<br />

longtemps, jusqu’à ce que ma propre mère me mette<br />

à la porte ! Quand j’étais plus jeune, j’étais fascinée<br />

par ma mère ! Elle est toujours l’être humain le plus<br />

incroyable que je connaisse mais je voulais être<br />

comme elle. Je la trouvais tellement belle, je voulais<br />

faire de la coiffure pour lui ressembler ! Je pense que<br />

ce qui m’intéressait dans la coiffure, c’était le fait de<br />

créer quelque chose.<br />

Ton premier album en tant que “Charlotte OC” n’est<br />

pas encore sorti. A quoi peut-on s’attendre ?<br />

C’est difficile à dire parce que je suis toujours en train<br />

d’écrire des chansons. J’ai encore beaucoup de<br />

choses à dire. J’espère que l’écriture sera terminée<br />

d’ici septembre. Mais on ne peut jamais prévoir à<br />

l’avance. Pour le son, je ne sais pas comment<br />

l’expliquer mais je ne veux pas trop de production<br />

lourde. Je veux que ma voix soit l’élément principal<br />

des morceaux et qu’il y ait autour d’elle de petits<br />

éléments, comme les cordes sur “Color My Heart”.<br />

J’ai hâte.<br />

Propos recueillis par Arièle Bonte<br />

.


TWIN TWIN<br />

Interview publiée le 24 novembre 2013<br />

Souvent la frontière peut s’avérer bien étroite entre l’hypnotique et le fun, l’envoûtant et le débordement.<br />

Avec les Twin Twin, nouveaux héros d’un slam-pop à la française, cela ne tient qu’au talent. Hip-hop,<br />

hyperactifs, bariolés mais surtout particulièrement généreux dans leur travail, l’exploration d’univers variés<br />

et la création d’une musique graphique aux couleurs uniques, le trio est le groupe français le plus<br />

incontrôlable et déroutant de l’année. Leur premier « vrai » album, comme ils disent,Vive La Vie, sorti ce<br />

mois, les raconte. Mais qui sont-ils donc ?<br />

Questions fleuves et réponses croisées.<br />

Commençons par le tout début. Votre rencontre et<br />

votre amitié. Cela me semble capital dans l’histoire du<br />

groupe. D’ailleurs, certaines légendes urbaines<br />

racontent qu’alors que vous aviez monté le groupe<br />

Chimère – Lorent et François – vous avez trouvé<br />

Patrick qui faisait du beatbox dans une cave…<br />

Patrick : Alors, je tiens à démentir cette information<br />

(rires). Pour être honnête, j’ai intégré Chimère en fin<br />

de vie. Le hasard a voulu qu’au moment où je<br />

cherchais un endroit où me loger, j’ai rencontré Lorent<br />

et François qui avaient une maison à Montreuil. J’y ai<br />

emménagé en même temps qu’ils me proposaient de<br />

bosser avec eux. Nous souhaitions quelque part tous<br />

évoluer et passer à une autre forme de musique…<br />

Et ça a collé tout de suite ?<br />

François : Oui ! Parce qu’il a fait des travaux dans la<br />

maison (rires).<br />

Patrick : En plus il y avait une cheminée ! François<br />

était le seul à répéter qu’il fallait aller chercher du bois.<br />

On ne l’a jamais trop écouté jusqu’à l’arrivée de<br />

l’hiver. Là, tout le monde était motivé pour aller en<br />

chercher !<br />

Lorent : C’est l’histoire vraie. Il y avait pas mal<br />

d’autres artistes, c’était une vraie communauté.<br />

Chacun faisait sa musique, ses photos, ses images.<br />

On travaillait sans cesse, ça nous a soudé. C’est ce<br />

qui a fait naître l’amitié avant même le projet.<br />

Qui s’est fait dans la bricole…<br />

Lorent : Complètement ! A l’époque, mon frère faisait<br />

de la basse et j’écrivais des textes dessus. Patrick<br />

faisait du beatbox. Petit à petit, on a trouvé ensemble<br />

un schéma qui fonctionnait, avec une boite à rythme,<br />

des gimmicks de synthé-samplé et des ajouts vocaux<br />

et notre style est né. Dans Vive La Vie, il y a ces<br />

détails, ces petits riens qui créent un univers. Nous<br />

n’avions rien mais nous faisions des concerts dans<br />

des squats. Il y en avait un mythique : le Cercle PAN,<br />

rue de Belleville où l’on a fait de très belles soirées…<br />

Vous êtes finalement un groupe qui est né du live…<br />

Ensemble : Totalement !<br />

Patrick : On a surtout beaucoup de choses à<br />

apprendre de l’autre monde, le studio.<br />

J’allais y venir. Quand on vit de la scène et que l’on<br />

en dégage autant d’énergie comment appréhendes t-<br />

on le travail en studio où tout est clos ?<br />

Lorent : C’est hyper-dur.<br />

Patrick : Désolé je te coupe mais il faut que je dise un<br />

truc. Je veux parler des textes, parce que Lorent vient


de parler du style musical du groupe mais si Twin<br />

Twin a une vraie valeur par rapport au texte, c’est<br />

grâce à lui. Il vient du slam, il a vraiment su simplifier<br />

l’écriture et mettre en valeur premier et second<br />

degrés.<br />

Lorent : (tout sourire) Merci ! Par rapport au studio,<br />

c’est vrai que retranscrire en audio l’énergie pure du<br />

live est impossible. On fait du bidouillage, des essais<br />

mais on n’est pas encore satisfaits.<br />

Patrick : C’est d’autant plus difficile qu’on fait un<br />

mélange de rock, d’électro et de Hip-Hop.<br />

François : Peut-être que la solution serait de ne sortir<br />

que des albums live (rires) !<br />

C’est un bon concept ! A l’origine de la formation du<br />

groupe donc et de la naissance du projet, vous ne<br />

pensiez pas du tout à l’album…<br />

Ensemble : Pas du tout !<br />

François : Les premiers morceaux que l’on a crée sont<br />

nés d’une situation maison. Patrick jouait un truc, je<br />

l’entendais, ça me donnait idée de mettre des lignes<br />

de basse dessus et Lorent d’écrire les textes. C’est<br />

comme ça qu’est née Vive La Vie, notre première<br />

chanson. On a d’ailleurs appelé l’album comme cela<br />

car c’est la première chanson que l’on a vraiment faite<br />

ensemble et celle avec laquelle on ouvre tous nos<br />

concerts…<br />

Lorent : Comme on avait pas mal de connaissances<br />

dans différents milieux : musique, squat, mode, on<br />

s’est très vite retrouvés à jouer dans pas mal<br />

d’endroits et à faire plein de dates mais l’album on n’y<br />

pensait pas du tout. D’ailleurs, maintenant quand j’y<br />

repense, je me demande pourquoi on l’a fait (rires).<br />

François : C’est vraiment une démarche spontanée.<br />

Ce qui est marrant d’ailleurs, c’est que l’on n’a jamais<br />

cherché à avoir une vraie structure de chanson. On<br />

faisait les trucs, à notre matière et c’était les gens qui<br />

nous disaient ce qu’il fallait changer…<br />

Le public a, en effet, vraiment eu une importance<br />

capitale pour vous. Au delà du live d’ailleurs, vous<br />

avez remporté plusieurs prix dont SFR Jeunes<br />

Talents et le FAIR…<br />

François : Oui. C’est arrivé assez vite et ça nous a<br />

pas mal aidé. C’était important et on en garde que des<br />

bons souvenirs. D’ailleurs, le FAIR nous a emmené en<br />

Colombie pendant une semaine, c’était génial !<br />

Patrick : J’ai fêté mon anniversaire dans l’avion !<br />

Quelle a été la réception du public colombien ?<br />

François : Énorme. Pour t’expliquer. Là-bas, il n’y a<br />

pas de train. L’équivalent du train ce sont de petits<br />

avions de ligne, même pour des trajets de 30 minutes<br />

car tout est montagneux et il y a peu de routes.<br />

Pendant qu’on jouait, des gens nous suivaient et<br />

prenaient l’avion, juste pour venir nous voir…<br />

Lorent : Les groupes internationaux ne vont pas y<br />

jouer car il n’y a pas d’économie suffisante. La grande<br />

star internationale, c’est Shakira. Du coup, quand on<br />

est arrivés, les gens étaient incroyables avec nous. Ils<br />

sont hyper friands de nouveautés et de découverte<br />

lorsque des groupes étrangers viennent jouer. C’était<br />

hyper « à l’ancienne ». Des gamins venaient nous voir<br />

à la fin des concerts pour nous dire « On voudrait les<br />

tablatures des morceaux, s’il vous plaît » (rires).<br />

François : Je pense que cela plairait vachement aux<br />

lecteurs de <strong>CRUMB</strong>. La ville de Bogota est un<br />

mélange de New-York et Berlin, avec du high-tech<br />

d’un côté, des tours recouvertes de graffitis de l’autre,<br />

à moitié détruites, à moitié modernes mais super<br />

vivantes…<br />

Ce sont ces prix qui vous ont aidé à signer chez<br />

Warner ?<br />

Lorent : Pas vraiment. Ca nous a évidemment aidé et<br />

apporté de la visibilité mais ce qui nous a amené chez<br />

Warner, c’est notre rencontre avec Nizard Bacar<br />

(Directeur Artistique, ndlr, membre de la chaîne<br />

Ofive). Il bossait dans le label à ce moment-là et il<br />

avait entendu parler de nous.<br />

François : Il y a quelque chose qui a attiré le regard<br />

des gens du métier, en revanche, c’est la tournée de 8<br />

dates Ricard Live Music que l’on a faite avec VV<br />

Brown et BB Brunes. C’était à chaque fois des dates<br />

de 20,000 personnes.<br />

Lorent : Et ensuite on a vachement tourné…<br />

François : On a fait un peu plus de 220 dates en une<br />

année et demie… Sans album !<br />

Lorent : L’album, ça a été la découverte d’un autre<br />

monde. Celui de la vente et des chiffres où les dates<br />

et les lives n’ont plus d’importance.<br />

Revenons sur le studio et l’album justement.<br />

Comment avez-vous travaillé ?<br />

François : On l’a pas mal taffé pendant notre tournée<br />

au départ. On n’avait pas le temps de se poser.<br />

Lorent : On a enregistré et maquetté avec un objectif<br />

de 12 titres mais on s’est vite rendu compte que l’on<br />

n’était pas satisfaits.<br />

Patrick : Cela rejoint ce que l’on disait au début. Nous<br />

ne sommes pas vraiment un groupe de studio.<br />

Lorent : On a longtemps discuté avec Warner. Eux<br />

aussi avaient des impératifs et des déceptions. Du<br />

coup, on a fait appel ensemble à deux producteurs,<br />

Ninja et Benjamin Constant. On a travaillé ensemble,<br />

dans leur studio de Montreuil. Ils nous ont apporté leur<br />

patte et leur expérience. Ils ont joué le rôle de<br />

magiciens. On a, je crois, crée un panel de tout ce<br />

qu’il est possible de faire. On a appris énormément.<br />

Cet album représente notre parcours, nos désirs, ce<br />

que l’on a n’a pas réussi à faire, nos succès, ce vers<br />

quoi on veut aller. Avec de l’inconnu, du travail, des<br />

erreurs. C’est un vrai premier album !<br />

Patrick : Même s’il a été dur à faire – on est passés<br />

par des phases où l’on était enfermés pendant 6<br />

semaines en studio, sans voir la lumière du jour – cet<br />

album c’est mon premier amour, je m’en souviendrais<br />

toute ma vie.<br />

Il y a souvent en France un frein social ou culturel<br />

face justement au côté « fun » que peuvent avoir<br />

certains artistes ou projets. Vous qui avez voyagé,<br />

vous avez senti une différence de perception par<br />

rapport aux publics étrangers ?<br />

Lorent : Totalement. Et c’est hyper intéressant. En<br />

Colombie par exemple, personne ne se pose de<br />

questions.<br />

Patrick : Je marchais dans les rues en leggings et les


meufs se retournaient en s’écriant « COOL » !<br />

Lorent : Au Canada aussi, tu peux te maquiller ou te<br />

promener nu, personne ne te calcule. Les gens<br />

comprennent le fun, ça fait partie de la culture.<br />

François : C’est parce qu’ils ont tellement froid qu’ils<br />

ont besoin d’avoir une autre vision de la vie (rires).<br />

Patrick : La France est un pays littéraire où il faut se<br />

justifier de tout et prendre le temps de tout expliquer.<br />

Or un artiste ne peut pas tout expliquer. Les<br />

démarches artistiques sont le plus souvent libres et<br />

spontanées.<br />

Je lisais récemment un article du Time, écrit par une<br />

dizaine de sociologues internationaux, qui disaient<br />

que les français ne sont jamais contents de rien,<br />

parce qu’ils ont tout et sont blazés.<br />

François : Exactement. Ici il y a moins de possible et<br />

tu es très vite jugé. Aux U.S, si tu montes un magasin<br />

de chaussettes et que tu fais faillite, tu peux monter<br />

dans la foulée une pizzeria, tout le monde<br />

t’encouragera. C’est ça l’Amérique (rires) !<br />

Patrick : Le poids de l’histoire joue beaucoup.<br />

Lorent : Ce que l’on voit de ce point de vue là dans la<br />

musique, si on analyse, ça se traduit par deux<br />

tendances. D’un côté le « Hardcore », avec des<br />

rappeurs comme Kaaris qui gueule « j’t’encule »<br />

toutes les 2 minutes – parce que les gens ont besoin<br />

d’un défouloir – et de l’autre des artistes hyper<br />

références type Stromaé qui ont tendance à rassurer,<br />

avec beaucoup de talent…<br />

Lorent, en parlant de ce besoin de « défouloir », avant<br />

les TWIN-TWIN, tu découvres le slam. Dans cet<br />

esprit-là ? Avec un besoin de dire des choses ? Par<br />

militantisme ?<br />

Lorent : Dans mon cas non.<br />

Patrick : En soi, faire de la musique c’est déjà militer.<br />

Lorent : Exactement. Le slam est venu à moi parce<br />

que je m’intéressais à l’écriture. J’avais déjà écrit un<br />

premier roman (Un nageur en plein ciel, ndlr) et j’avais<br />

besoin de partager quelque chose. A ce moment de<br />

ma vie, c’était une façon de se rencontrer. J’ai fait la<br />

connaissance de plein de gens importants du milieu<br />

underground, hyper actifs. Aller dire mon texte était<br />

presque anecdotique. L’idéal était d’être ensemble,<br />

dans un bar miteux, quel que soit les âges et de crée<br />

une utopie, quelque chose de vrai et puissant. En<br />

cela, oui, ça a un côté militant.<br />

Quelles ont été vos influences à chacun avant la<br />

formation des TWIN TWIN ?<br />

Patrick : Pour moi, c’était essentiellement du rap. Et<br />

quand j’ai eu 13 ans, je me suis mis au métal. Je<br />

kiffais énormément le côté « White Trash »,<br />

subversif…<br />

Lorent : C’est cool pour un renoi d’aimer le côté «<br />

White Trash » (rires) !<br />

Patrick : Non mais je te jure. Quand j’allais à des<br />

concerts de métal, les mecs me disaient « Qu’est-ce<br />

que tu fous là ? », « Bah je kiffe ! » (Rires).<br />

Lorent : Pour moi, c’était le rap aussi, forcément. Et<br />

puis, plus tard, de la chanson : Brassens, Boby<br />

Lapointe, je me rappelle encore des textes. Mais la<br />

vraie claque reste et restera l’album de Lunatic,<br />

Mauvais Œil.<br />

Patrick : Une époque que ceux qui écoutent 1995 (lire<br />

interview page 289) aujourd’hui ne comprendront<br />

jamais. C’était notre quotidien, le gris, la pluie. C’était<br />

nouveau, avec des flows complémentaires. Cet album<br />

reste le number one.vcfd force je crois. Et aussi, au<br />

delà de la musique, nous sommes intéressés par l’art,<br />

la création, la forme pure, graphique, cela rajoute<br />

quelque chose au groupe.<br />

François : Quand je te disais que lors du travail sur<br />

l’album, nous ne nous sommes pas posé de questions<br />

ni suivi une démarche construite, on faisait du dessin,<br />

en essayant de trouver quelle touche de ton il fallait<br />

que l’on mette pour donner telle couleur à la<br />

musique…<br />

Lorent : Et c’était la même chose en écriture. Les<br />

mots ont des valeurs rythmiques, bien plus que<br />

textuelles et le tout forme un schéma visuel qui<br />

accompagne les gimmicks. Finalement, on est un<br />

groupe graphique !<br />

Travaillez-vous déjà « graphiquement » sur le<br />

prochain album ?<br />

Patrick : Oui ! On est en train de tester pas mal de<br />

choses, à base de maquettes, de bouts de textes et<br />

d’idées. En essayant d’être encore plus rigoureux<br />

qu’avant.<br />

L’artiste que vous aimeriez interdire ?<br />

Patrick : Damien-Jean (rires).<br />

Lorent : Non, lui tu peux pas l’interdire, il s’interdit tout<br />

seul !<br />

François : Franchement ? Robin Thicke. Quand mes<br />

potes métalleux regardent le clip, ils tombent par terre<br />

de rire en pleurant tellement c’est pathétique.<br />

Lorent : Moi j’interdis Lady Gaga ! Tant qu’elle ne<br />

revient pas à quelque chose de sérieux. Il faut qu’elle<br />

arrête de prendre l’art contemporain pour un torchecul,<br />

qu’elle revienne à la musique, ce qu’elle sait faire.<br />

Même par rapport à Abramovic et ses performances,<br />

par rapport à l’engagement des artistes. Tout ce<br />

qu’elle a repris est vulgaire. Elle a institutionnalisé à<br />

elle seule ce système de reprises de références<br />

artistiques pour en faire un truc pourri ! En revanche,<br />

j’adorerais travailler avec KRAFTWERK. Je n’avais<br />

pas réalisé l’impact qu’ils ont eu sur l’époque<br />

aujourd’hui, avec leurs masques, leurs voix vocodées,<br />

etc. Ils étaient déjà en 2013, trente ans plus tôt.<br />

François : Totalement. Ils ont écrit la grammaire<br />

d’aujourd’hui.<br />

Patrick : Moi j’aimerais collaborer avec Booba, parce<br />

qu’il est moderne, dans l’apprentissage, les<br />

techniques, la carrière. Depuis dix ans, c’est l’un des<br />

seuls qui se maintient. Il plane au dessus des autres,<br />

chie un peu sur la tête de certains mais il a inventé<br />

son genre. Ou bien alors NTM mais il faudrait les<br />

ressortir de leur époque 90 !<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié.<br />

Photographie Enzo Addi.<br />

La photograhie illustrant cet interview est extraite d’un portfolio inédit du<br />

groupe, par Enzo Addi, publié lors d’une journée spéciale « Twin-Twin », le<br />

25 novembre 2013, (Assistant photo : Kamel Bentot, Stylisme, Edem Dossou,<br />

Assistante stylisme : Bénédicte).


HOLLYSIZ<br />

Interview publiée le 4 novembre 2013<br />

« My Name Is » est à la fois un premier album et un album de la maturité. Pensé et élaboré pendant plus<br />

de cinq années et porté par des collaborations multiples et prestigieuses, il matérialise l’entrée de Cécile<br />

Cassel dans le monde de la musique. Ce n’est pas un double qu’elle convoque alors mais bien une<br />

identité nouvelle. Cécile Cassel choisit de s’affirmer avec ses codes graphiques, musicaux et un nouveau<br />

nom, piquant et à son image. Rencontre à la croisée des arts.<br />

Pourquoi as-tu choisi le nom Hollysiz ? Qu’est ce qu’il<br />

veut dire pour toi ?<br />

Déjà c’est le diminutif de mon petit surnom qui est Siz<br />

depuis longtemps. Mes amis m’appellent comme ça.<br />

J’avais donc vraiment envie qu’il soit présent dans le<br />

nom et Holly c’est plusieurs choses. En anglais c’est<br />

le houx et c’est une plante qui est rouge et qui pique<br />

donc ça me plaisait bien par rapport au projet vu qu’il<br />

y avait déjà cette dominante rouge. C’est aussi un<br />

personnage de La Balade Sauvage de Terrence<br />

Malick, qui a inspiré une chanson de l’album. Je<br />

trouvais que cela sonnait bien. J’aime bien le côté<br />

doux et ciselé en même temps.<br />

C’est un changement d’identité ?<br />

Presque. C’est une manière de changer d’identité<br />

pour se rapprocher encore plus de soi. Quand on<br />

pense aux supers-héros des comics, ils mettent une<br />

cape pour se rapprocher de ce qu’ils sont<br />

profondément. C’est un peu ça, mettre une cape pour<br />

faire des choses que je n’osais pas faire avant.<br />

Comme quoi ?<br />

La musique, tout bêtement. Le fait d’avoir fait le choix<br />

de l’anglais fait d’ailleurs partie de la même démarche,<br />

une manière pudique de parler de choses dont je<br />

n’aurai pas osé parler en français. C’est comme<br />

mettre un espèce de filtre pour pouvoir dire des<br />

choses personnelles, tout en restant proche de mon<br />

identité.<br />

Du coup, la musique c’était une évidence ?<br />

Ca a toujours été présent. Je fais de la musique<br />

depuis toujours, j’écris des textes qui au départ étaient<br />

des poèmes, des nouvelles, pour moi. Et puis un jour<br />

il a fallu que j’officialise un peu tout. Ca a pris du<br />

temps. Cet album, c’est justement l’officialisation que<br />

je n’osais pas vraiment faire.<br />

Tu as fait beaucoup de scène avant d’enregistrer.<br />

L’album est nourri de ça ?<br />

C’est un mélange de mes textes très personnels avec<br />

l’envie de faire de la musique qui marcherait pour la<br />

scène. Lorsque j’ai fait des premières parties, j’ai<br />

réécrit totalement des morceaux en sortant de scène<br />

parce que d’un coup je me disais “ça marche pas<br />

comme j’en ai envie”. La scène a imprégné l’album de<br />

partout. Le studio aussi. J’ai eu cependant la chance<br />

de faire ce disque sans pression, parce que personne<br />

ne le savait, personne ne m’attendait. Ca m’a permis<br />

de réfléchir, retravailler, prendre le temps juste par<br />

plaisir de faire de la musique, mélanger et au final de<br />

faire quelque chose qui me paraissait cohérent parce<br />

que d’un coup j’y retrouvais tout ce qui me plaisait.


Tu dis que personne ne le savait mais tu as quand<br />

même eu de belles collaborations tout au long de<br />

l’album…<br />

Elles se sont faites assez naturellement en fait. J’ai<br />

pas mal travaillé en famille. Les filles de Brigitte pour<br />

ne citer qu’elles, par exemple, sont des amis de très<br />

longue date. Aurélie (la blonde, ndlr) est une de mes<br />

meilleures amies depuis quinze ans. Ours, (le fils<br />

d’Alain Souchon, ndlr) c’est pareil, ça fait des années<br />

que l’on se connait, un jour on a improvisé à la<br />

campagne sur ce qui est devenu Daisyduke. Pour<br />

Yodelice et Xavier Quo qui ont une identité propre,<br />

cela s’est fait un peu différemment. Jai rencontré<br />

Maxime (de Yodelice, ndlr) il y a quelques années. Il<br />

m’a entendu chanter à une soirée. Il m’a demandé ce<br />

que j’avais chanté. Je lui ai répondu “Une chanson à<br />

moi”. Il m’a proposé de passer à son studio. Je lui ai<br />

fait écouter des maquettes, qui étaient des trucs faits<br />

sur Garageband que je n’avais jamais fait écouter.<br />

D’un coup j’ai eu envie et confiance et voilà comment<br />

tout a commencé. Seuls ces gens étaient au courant<br />

finalement, mais sans eux, cet album n’aurait jamais<br />

existé.<br />

Tu parlais de ton envie de faire de la musique autour<br />

de toi ?<br />

J’ai fait venir le noyau dur des gens qui m’entourent<br />

dans les premières parties, quand je jouais dans les<br />

bars, etc mais je ne l’ai jamais trop ramené non plus.<br />

Cela s’est fait doucement. Et puis, ça me faisait plutôt<br />

marrer parce que quand quelqu’un l’évoquait, c’était<br />

“Ouais, il paraît que tu prépares un album…”. Il y a eu<br />

plusieurs réactions. J’ai vu les gens suspicieux. C’était<br />

beaucoup plus sain de travailler comme ça, sans rien.<br />

L’univers graphique de l’album est très marquant, très<br />

cohérent. Qu’est-ce qu’il a déterminé pour toi<br />

musicalement ?<br />

Je n’ai pas d’explication mais depuis le tout début de<br />

ce projet j’ai cette obsession des rayures rouges et<br />

blanches qui est là. Le rouge est une couleur que je<br />

porte beaucoup, que j’ai toujours aimée. Dans la vie je<br />

suis assez cartésienne donc j’aime beaucoup les<br />

lignes, les diagonales, les perspectives, ce qui est<br />

graphique. J’ai beaucoup parlé de la verticalité mais<br />

c’est très bizarre, tout ça était très spontané en fait. Il<br />

y a quelques chose d’instinctif visuellement là-dedans.<br />

Tu as déterminé le track-listing de l’album selon cette<br />

métaphore graphique ?<br />

Le track-listing est presque ce qui a été le plus difficile<br />

à faire car il y a beaucoup d’univers qui se confrontent<br />

dans l’album, certaines chansons que l’on ne pouvait<br />

pas mettre l’une à côté de l’autre. Pour cette raison, il<br />

y a des chansons que j’ai mises de côté. Je me disais<br />

qu’il fallait une porte d’entrée et la chanson numéro 1,<br />

Better than Yesterday était une bonne porte d’entrée<br />

pour pouvoir au fur et à mesure aller vers des<br />

morceaux parfois plus exigents, qui demandent une<br />

écoute différente. The Fall par exemple est en plein<br />

milieu de l’album et dure cinq minutes. C’est un<br />

morceau très produit, je ne pouvais pas la mettre en<br />

numéro 2. Il faut le temps de rentrer dans un album.<br />

Ca été très difficile.<br />

Quels groupes (ou artistes) actuels t’inspirent ?<br />

Il y en a plein. Les gens qui m’ont influencé ? Ting<br />

Tings, LCD Sound System, Portishead dans un autre<br />

style ou encore Radiohead. Ce sont des groupes que<br />

j’ai énormément écouté. En ce moment j’adore ce que<br />

fait Disclosure (lire interview page 174), je suis<br />

vraiment épatée par leurs propositions, le fait qu’ils<br />

aient douze ans et demi et qu’ils soient des<br />

producteurs aussi dingues. J’adore AlunaGeorge<br />

aussi (lire interview page 36). Je regarde beaucoup<br />

tout ce qui se passe en Angleterre parce que j’ai<br />

toujours été beaucoup influencée par ce pays et sa<br />

culture et que j’y ai habité. Les renouveaux musicaux<br />

partent souvent de chez eux. Bon. Et je dois avouer<br />

un petit faible un peu moins pointu pour Bruno Mars.<br />

Voilà je l’ai dit. Il faut que j’arrête de faire la faux cul<br />

(Rires). Je n’adhère pas sur tout, j’aime moins les<br />

balades, mais je suis assez bluffée par son travail. Et<br />

je dois dire que ce que j’aime beaucoup c’est<br />

l’empreinte aussi d’un autre artiste, Mark Ronson dont<br />

j’aime le travail en tant que producteur et compositeur.<br />

On ressent une certaine mélancolie à l’écoute de<br />

certains titres.<br />

C’est une mélancolie que j’ai naturellement. Plus je<br />

parle de l’album et plus je me rends compte qu’il est<br />

très personnel. Le fait d’avoir écrit des textes<br />

mélancoliques et d’avoir mis dessus une énergie<br />

parfois très contradictoire, ce qui est le cas pour<br />

Come Back To Me, c’est assez ce que je suis. C’est à<br />

dire qu’il y a la première couche de l’énergie qu’on<br />

reçoit et qui rend optimiste et en deçà, une partie très<br />

sensible voire “soupe au lait” parfois, qui se traduit par<br />

une mélancolie qui vient peut-être de l’adolescence et<br />

qui est restée, cette espèce de truc qu’on peut avoir,<br />

où tout est terrible. Cette mélancolie-là, au lieu de la<br />

réduire en quelque chose qui pourrit la vie, j’ai voulu la<br />

transformer en une proposition artistique.<br />

Cela vaut aussi certainement pour ton parcours.<br />

Aujourd’hui il est à la croisée des arts. Qu’est-ce qui<br />

t’inspire en dehors de la musique ?<br />

Tout ! Dans le cinéma, Terrence Malick ! Parce qu’il a<br />

inspiré une des chansons, Daisyduke. Après je suis<br />

très alerte des oeuvres d’un vidéaste qui s’appelle<br />

Ange Lecchia, qui travaille beaucoup sur la lumière.<br />

La lumière me fascine beaucoup, d’ailleurs c’est pour<br />

ça que le clip de Come Back To Me est rempli de<br />

lumières très différentes. J’adore aussi Egon Schiele,<br />

les expressionnistes allemands. J’aime profondément<br />

Ingres et sa manière de travailler les peaux.<br />

L’inspiration est partout, chez les gens, elle est<br />

émotionnelle. J’ai entendu l’autre jour une interview<br />

d’Oxmo Puccino qui disait « Quand les artistes disent<br />

qu’ils n’ont plus d’inspiration je leur propose de<br />

retourner dans le métro ». Je suis assez d’accord<br />

avec ça. J’ai toujours pris le métro et c’est vrai que ça<br />

résonne, c’est palpable, les gens que l’on croise, les<br />

visages, ce que l’on s’imagine de leur histoire…<br />

Propos recueillis et textes : Lucie Rico.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages


JAIN<br />

Interview publiée le 25 novembre 2015<br />

Il y a quelques jours, nous avons rencontré Jain, dans sa petite robe noire et ses sneakers<br />

personnalisées. Depuis quelques mois, elle nous fait danser sur des beats ethniques, hip-hop et parfois<br />

même folk. Son premier album, Zanaka, est sorti le 6 novembre dernier. On a cherché à comprendre qui<br />

était Jain. Pas facile, au vu de son parcours atypique. Rencontre avec la plus africaine des françaises.


Qui est Jain ?<br />

Je m’appelle Jain, enfin, mon vrai prénom est Jeanne.<br />

Je suis née à Toulouse dans le Sud-Ouest de la<br />

France. Lorsque j’avais 3 ans, on a déménagé avec<br />

ma famille à Pau. Là-bas, j’ai commencé la musique<br />

en faisant de la batterie pendant 12 ans. Et à mes 9<br />

ans, nous sommes partis vivre à Dubaï où j’ai fait des<br />

percussions arabes, notamment de la « Derbouka ».<br />

J’étais dans un lycée français, c’était la première fois<br />

que je partais hors de France et que je voyageais hors<br />

du pays. C’était un peu un choc. Après 3 ans là-bas,<br />

nous sommes allé au Congo, dans une ville du Sud, à<br />

côté de l’océan. C’est là-bas que j’ai fait mes<br />

premières compositions de musique avec Mr Flash,<br />

un rappeur et beatmaker très connu - il y a<br />

énormément de rappeurs congolais. Il faisait des<br />

rythmiques et m’a donné des logiciels pour pouvoir<br />

m’enregistrer chez moi. J’ai pu mettre mes chansons<br />

sur Myspace, où j’ai rencontré mon manager et<br />

producteur (Yodelice, ndlr). C’est à partir de ce<br />

moment-là que la musique a réellement commencé<br />

pour moi. Ensuite, j’ai déménagé à Abou Dabi pour<br />

passer mon bac et enfin, je suis retournée à Paris où<br />

je me suis inscrite en Prépa Art.<br />

Comment on fait pour se construire, lorsque l’on<br />

passe son adolescence aux quatre coins du monde ?<br />

C’est justement ce qui était assez compliqué et ce<br />

pour quoi j’ai commencé à écrire des chansons. À un<br />

moment, je me suis vraiment sentie déracinée. A 18<br />

ans, j’avais passé la moitié de ma vie hors de France,<br />

et je ne me sentais pas non plus tout à fait française.<br />

Pourtant, je n’étais ni congolaise ni d’Abou Dabi. J’en<br />

suis finalement venue à me dire que cette question<br />

d’appartenance n’est pas liée seulement à un pays,<br />

mais plutôt à une famille. Elle concerne les gens qui<br />

nous entourent. Donc voilà, je viens de ma famille !<br />

J’ai décidé que pour ma musique ce serait pareil et<br />

que je ne choisirais pas un camp particulier mais que<br />

j’essaierai plutôt d’apprendre de tout ce que j’ai vu et<br />

des pays où j’ai vécu.<br />

Tu as justement pleins de cordes à ton arc. Ta<br />

musique est à la fois ethnique, hip-hop, soul, folk, etc.<br />

Qu’est-ce qu’il y a dans tes écouteurs ?<br />

Un peu de tout. Il y a pas mal de hip-hop mais aussi<br />

des chansons africaines et musiques traditionnelles.<br />

J’aime beaucoup écouter les musiques traditionnelles,<br />

qu’elles viennent d’Amérique du Sud, ou d’Afrique. Il y<br />

a quelque chose de tribal, un son chaud que j’aime et<br />

que j’aimerais bien retranscrire dans mes chansons. Il<br />

y a également de l’électro, notamment Daft Punk. Ce<br />

qui est drôle c’est qu’avant mes concerts,<br />

généralement, on me demande de faire une playlist<br />

d’attente. La mienne est très éclectique, il y a vraiment<br />

de tout, ça en énerve certains (rires).<br />

Tu as dit que ton coeur venait d’Afrique et que tu<br />

aimais beaucoup la black music…<br />

Oui, c’est quelque chose qui me touche énormément<br />

car quand j’étais petite, on en écoutait beaucoup à la<br />

maison. Ma mère est d’origine Malgache, elle écoutait<br />

beaucoup d’artistes comme Miriam Makeba, Youssou<br />

N’Dour. Et surtout, j’ai commencé la musique par la<br />

batterie et les percussions, donc forcément, il y a<br />

quelque chose d’ethnique qui me touche dans ce<br />

rapport au rythme, qui est très riche.<br />

Je t’ai vue en concert au MaMa Festival. Sur scène, tu<br />

passes d’un instrument à un autre. Comment<br />

composes-tu ? Tu fais tout toute seule ou tu es aidée<br />

par quelques musiciens ?<br />

Chez moi j’ai mon petit atelier, mon laboratoire. Je<br />

commence par faire des maquettes très « roots », pas<br />

très professionnelles où je banlances toutes mes<br />

idées et ensuite je vais au studio de mon producteur.<br />

C’est à partir de ce moment qu’il m’aide à rendre le<br />

tout plus professionnel, à l’enrichir et surtout à bien le<br />

cadrer. Car chez moi, tout part souvent dans tous les<br />

sens.<br />

Tu l’as dit, Yodelice t’a reperée sur Myspace. Quel<br />

rapport entretien-tu avec internet ?<br />

Je cherchais surtout à avoir un avis professionnel, car<br />

j’avais des retours de ma famille et mes amis, mais<br />

qui n’étaient forcément pas objectifs. J’ai donc envoyé<br />

des mails à tout le monde, j’ai eu quelques réponses.<br />

La plupart me disaient que c’était trop fouillis. J’ai reçu<br />

une réponse de mon manager actuel qui m’a mis en<br />

contact avec Yodelice. Internet a vraiment joué un rôle<br />

très important pour moi car c’était vraiment ma seule<br />

solution de partage et de communication lorsque<br />

j’étais au Congo, de par les réseaux mais aussi étant<br />

donné que je ne viens pas d’une famille qui fait de la<br />

musique ou qui est implantée ou reconnue dans le<br />

milieu. C’était le seul moyen dont je disposais pour me<br />

faire connaître.<br />

Ton premier album s’appelle Zanaka. Parle-nous-en.<br />

Et d’ailleurs, que signifie Zanaka ?<br />

Ma mère est métisse malgache, Zanaka, cela veut<br />

dire enfant en malgache. C’est un album que j’ai écrit<br />

il y a sept ans au Congo et qui a grandi avec moi,<br />

pendant toute mon adolescence, et aussi un peu plus<br />

tard, lors de mon retour à Paris. C’est un album très<br />

joyeux, assez optimiste, avec pleins d’influences.<br />

J’aime beaucoup dire que c’est un melting-pot qui<br />

mêle un peu d’ethnique, du hip-hop, de la soul. C’est<br />

un petit bordel organisé, quoi !<br />

Moi j’ai un petit faible pour All My Days. J’ai beaucoup<br />

aimé la pochette de ton album qui fait référence à la<br />

déesse Shiva. C’est toi qui l’as imaginée ?<br />

J’avais fait la pochette de l’EP et on voulait garder<br />

cette même idée. Un peu comme avec mes chansons,<br />

nous sommes partis de ma maquette avec Paul &<br />

Martin qui sont les deux photographes. Je voulais<br />

commencer à mettre de la couleur car il y a beaucoup<br />

de noir et blanc. C’est aussi une manière de montrer<br />

ce qui se passe en live, l’idée de multi-tâche et faire<br />

aussi un petit clin d’oeil à la déesse Shiva. Cela<br />

montre la démultiplication. C’est comme créer le<br />

visuel d’une super-woman multi tâche (rires).<br />

Tu as fait une Prépa Art. Tes clips sont très visuels, y<br />

compris tes photographies et tes mises en


scène. C’est important pour toi de garder la main sur<br />

ton image ?<br />

Je voulais faire de l’Art avant-même de vouloir faire de<br />

la musique. Le choix a été assez difficile d’arrêter ma<br />

Prépa Art pour faire de la musique. Mais c’était<br />

nécessaire car je n’arrivais plus à faire les deux en<br />

même temps. J’ai décidé que si je faisais de la<br />

musique, je voulais vraiment avoir la main mise sur ce<br />

qui se passerait à l’image car c’est ce qui m’intéresse<br />

aussi et que c’est un ensemble. Je veux vraiment<br />

quelque chose de sincère et qu’à aucun moment on<br />

ne m’impose quelque chose. Généralement, c’est moi<br />

qui propose les maquettes et ce sont ensuite mes<br />

maquettes qui sont proposées à des professionnels<br />

de la photographie.<br />

Comme Coco Chanel et sa fameuse petite robe noire,<br />

tu as choisi la sobriété en portant toujours ta petite<br />

robe noire. Pourquoi ce choix ?<br />

A la base, c’était principalement pour ne pas<br />

influencer les gens. Je voulais vraiment qu’au niveau<br />

de l’image, on voit bien le contre pied avec ce que je<br />

proposes dans mon album. Je voulais quelque chose<br />

de sobre et de classique, jouer sur le blanc et le noir,<br />

que l’on retrouve aussi peut-être dans les sonorités de<br />

ma musique. Cette robe montre le contraste qu’il y a<br />

dans l’album. J’aime bien surprendre les gens par<br />

exemple lors des festivals, lorsqu’ils me voient arriver<br />

dans cet habit qui fait un peu « nonne ». Ils se<br />

demandent ce que je vais faire avant de m’écouter<br />

rapper. C’est drôle de voir leur réaction.<br />

Avant de te voir en concert, je me suis figurée que tu<br />

étais un petit peu comme un paquet cadeau dont on<br />

ne sait pas du tout ce qu’il contient avant de le<br />

déballer. Finalement, on ne sait pas du tout à quoi<br />

s’attendre en te voyant, on ne sait pas du tout quelle<br />

étiquette te donner.<br />

C’est quelque chose qui m’a toujours fait peur car la<br />

musique, c’est quelque chose qui doit évoluer. J’ai<br />

envie d’essayer plein de choses différentes et surtout<br />

qu’on me laisse tranquille et qu’on ne me range dans<br />

aucune case. Je ne veux correspondre à aucune<br />

étiquette. Je ne veux pas que l’on m’impose de faire<br />

un style de musique particulier, je veux proposer,<br />

réaliser et vivre celle dont j’ai envie, qui est mienne.s<br />

Tu passes bientôt aux Étoiles, à Paris (à guichet<br />

fermé, ndlr) et ensuite à la Maroquinerie. Comment<br />

appréhendes-tu ces premiers concerts ?<br />

C’est plus la sortie de l’album qui me fait un petit peu<br />

peur que ces concerts. Je ne sais pas du tout<br />

comment il va être reçu. Mais pour le moment je suis<br />

très contente des live que j’ai fait et surtout d’avoir<br />

enfin pu rencontrer mon public. Les dates parisiennes<br />

seront assez émouvantes car il y aura ma famille,<br />

mes amis, les gens qui ont soutenu le projet pendant<br />

beaucoup de temps.<br />

Est-ce que tu aimerais un jour collaborer avec<br />

certains artistes ?<br />

J’aimerais beaucoup collaborer avec un rappeur, pour<br />

croiser nos univers mais aussi avec des artistes<br />

africains. Je ne me suis pas encore trop posée la<br />

question mais oui, j’aimerais beaucoup faire des<br />

collaborations et d’ailleurs pas forcément qu’avec des<br />

chanteurs, mais pourquoi pas aussi avec des artistes<br />

en général, quels que soient leurs domaines. Je vais y<br />

réfléchir !<br />

Tu penses retourner au Congo un jour et leur<br />

présenter ta musique ?<br />

J’aimerais beaucoup. Donner un concert un jour, làbas,<br />

ainsi la boucle serait bouclée…<br />

Propos recueillis par Mélodie Ravasi.


PORTFO<br />

LIO LUD<br />

L<br />

OVIC ZU<br />

ILI ARAW<br />

Série photo publiée le 14 mai 2012


ÉMILIE<br />

SIMON<br />

Interview publiée le 23 mars 2014<br />

C’est l’une des personnalités les plus atypiques de la scène française. Chanson ? Pop ? Électro ?<br />

Les mondes d’Émilie Simon sont imperméables à toute tentative de classification. Artiste<br />

indépendante dans son mode de production autant que dans son inspiration artistique, distinguée<br />

par plusieurs Césars du Cinéma et Victoires de la Musique, elle revient aujourd’hui avec un sixième<br />

album au titre explicite : Mue. Après le sombre Franky Knight, ce nouvel opus est un lumineux retour<br />

vers la France où nous lui avons donné rendez-vous.<br />

La chanson d’ouverture de votre album Paris J’ai Pris<br />

Perpète est un hymne à la belle capitale française.<br />

Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir en<br />

France et plus particulièrement à Paris ?<br />

J’ai habité à New York pendant quatre ans. La<br />

découverte d’un autre pays, l’immersion dans une<br />

nouvelle culture, tout cela a été très important pour<br />

moi et a donné l’album Big machine.<br />

Mais cela m’a également permis de redécouvrir Paris<br />

sous un autre angle, au retour. En habitant à<br />

l’étranger, j’ai perçu des choses, une sorte de magie<br />

que je n’avais jamais eu, avant en étant étudiante à<br />

Paris. J’étais dans une autre réalité, une autre<br />

époque. Là, j’avais une sorte de distance sur la<br />

France et sur Paris en particulier. J’ai pu voir des<br />

choses magnifiques qui prennent sens, se révèlent<br />

lorsque l’on est loin. Je crois que c’est ce qui m’a<br />

inspiré, j’ai écrit tout l’album ici, dans le Paris<br />

poétique, romantique.<br />

Comparé à vos précédents albums, dans celui-ci vous<br />

n’avez que deux chansons en anglais, c’était aussi<br />

important de revenir à la langue française ?<br />

Je crois que cela suit tout simplement ma vie. J’ai écrit<br />

Big machine alors que j’étais nourrie par une curiosité<br />

du pays, une envie de m’immerger dans la culture<br />

américaine, d’apprendre, d’absorber, d’avoir une<br />

meilleure compréhension de la langue et de la culture.


C’est ce qui m’a donné envie d’écrire en anglais d’une<br />

manière extrêmement naturelle. Ce n’est pas vraiment<br />

une décision que j’ai prise consciemment, j’étais<br />

simplement en état de réceptivité par rapport à<br />

l’inspiration. C’est souvent ma vie et son contexte qui<br />

vont orienter mes inspirations. J’ai passé plus de<br />

temps ici et j’ai eu l’envie de creuser cette facette<br />

romantique parisienne : l’Amour, Paris, comment je<br />

l’exprimerais en musique…<br />

Cet album comporte une orchestration très riche,<br />

comme si tout votre univers synthétique avait fusionné<br />

avec quelque chose de plus organique. Parlez-nous<br />

de la composition même d’une chanson, de la finition<br />

d’un morceau à une orchestration complète, avezvous<br />

déjà une idée précise du rendu final ?<br />

Cela dépend des titres, certains viennent déjà avec<br />

leurs orchestrations. Paris J’ai Pris Perpète venait<br />

naturellement avec des cordes, des cloches, une<br />

espèce de peinture sonore. C’est très<br />

cinématographique aussi. Certains morceaux me font<br />

des surprises, je les écris, ils existent en piano-voix ou<br />

guitare-voix et puis d’un coup j’essaie une<br />

programmation qui m’emmène complètement ailleurs.<br />

Un peu comme un voyage. Parfois je vois très bien là<br />

où je vais et c’est très clair, d’autres fois, j’avance à<br />

petits pas, je découvres où je suis, à tâtons et je ne<br />

sais pas trop où les choses me mènent.<br />

L’album débute par un hymne à la capitale avant de<br />

nous mener vers d’autres altitudes, de nous diriger<br />

vers différents registres musicaux que vous n’aviez<br />

pas encore ou très peu abordé avant, notamment des<br />

influences latino-cubaines dans Encre, un registre<br />

asiatique avec Perdu Dans Tes Bras. Avez-vous<br />

entièrement réalisé cet album ?<br />

Oui. J’ai réalisé l’album mais aussi collaboré avec des<br />

artistes, producteurs et réalisateurs que j’ai invité pour<br />

l’occasion : Tahiti Boy, Ian Caple, et David Kahne à<br />

New York qui a aussi travaillé avec nous. C’est un<br />

album que j’ai réalisé comme les précédents, mais<br />

pour la première fois je n’étais pas entièrement seule<br />

à prendre toutes les décisions de production. J’ai<br />

invité des gens à avoir une vision extérieure sur<br />

certains titres. C’était très enrichissant, on apprend<br />

toujours des collaborations. Un réalisateur comme Ian<br />

Caple a tellement d’expérience, qu’il arrive avec ses<br />

« bagages » et sa bienveillance, ce qui m’inspire<br />

forcément ou me donne envie de développer plus ou<br />

moins certains aspects de la création. Certaines<br />

collaborations m’aident à aller plus loin, à me pousser,<br />

à être plus audacieuse. D’autres m’encouragent à être<br />

plus classique, cela dépend et c’est toujours très<br />

enrichissant.<br />

Cet album est en fait très international, parce que je<br />

lai enregistré à Paris, puis les cordes et les cuivres à<br />

Londres et à New York j’ai mixé et enregistré les voix.<br />

Parlez-nous de la pochette de l’album où vous vous<br />

mettez littéralement à nue. Il y a quelque chose de<br />

très épuré, parfaitement serein.<br />

J’ai travaillé dessus avec un artiste qui m’a proposé<br />

plusieurs idées. Sur celle que l’on a retenue, j’aimais<br />

le côté « peau », très nue, comme si le visuel portait<br />

des émotions écrites sur le corps. J’aimais aussi le<br />

contraste avec le livret sur l’édition limitée où l’on<br />

raconte l’histoire d’amour qui passe par différentes<br />

météos intérieures pour finalement tourner la page et<br />

passer à autre chose. L’image laisse sa « mue » et<br />

accepte de laisser des choses dont on a plus besoin,<br />

de se renouveler.<br />

Vous êtes une artiste touche-à-tout. Vous composez,<br />

jouez, arrangez, chantez. Aujourd’hui vvous endossez<br />

également la casquette de metteur en scène pour<br />

votre clip Menteur que vous avez écrit et réalisé,<br />

seule...<br />

J’ai adoré imaginer, écrire l’histoire, oui. Il y en avait<br />

plusieurs d’ailleurs avant celle-là, parce que j’ai<br />

beaucoup tourné autour du sujet de Menteur, la façon<br />

dont on pouvait travailler avec ce morceau. Il y<br />

tellement de possibilités, c’est incroyable. Écrire<br />

l’histoire, trouver l’équipe, m’amuser à me trouver des<br />

personnages, faire le casting, trouver des visages que<br />

je voulais projeter, des lieux, des décors, les essais<br />

d’images, les différentes textures possibles, c’était un<br />

tout absolument fabuleux.<br />

Le clip a été tourné aux États-Unis avec une équipe<br />

de Los Angeles qui a été superbe. Ça a été une<br />

incroyable expérience en tant que réalisatrice. Ils ont<br />

été super, eux-mêmes réalisateurs. Jai été très bien<br />

entourée et je n’aurais pas pu imaginer une meilleure<br />

première expérience. J’adore cela en fait, imaginer<br />

une histoire, d’un bout à l’autre.<br />

Peu de réalisateurs ont également la capacité de<br />

savoir réellement mettre en scène.<br />

Ce n’est pas simple, c’est vrai.. Mais tout s’est très<br />

bien passé et je suis ravie du résultat. Faire les deux<br />

c’est certain que ça n’a pas été facile mais je<br />

n’imaginais pas le tournage autrement.<br />

Votre univers musical est souvent rattaché au<br />

domaine cinématographique, décrit comme étant très<br />

visuel. Le bonus track Wicked Game de Chris Isaac<br />

est grandement rattaché à Sailor et Lula de Lynch.<br />

Est-ce un hommage ?<br />

Je crois qu’il y a beaucoup de choses. C’est vrai qu’il<br />

y a l’univers cinématographique, mais j’avais aussi fait<br />

un duo avec Chris Isaac il y a deux ans pour Taratata.<br />

On s’était rencontrés et on avait fait notre duo sur<br />

Blue Hotel. Il avait aussi été question de le faire sur<br />

Wicked Game à un moment, je l’avais écouté et<br />

j’avais adoré.<br />

Je pense que c’est plus un clin d’oeil, un petit<br />

hommage, mais c’est effectivement aussi des<br />

morceaux qui sont dans des films cultes pour moi,<br />

cela marche à plusieurs niveaux.<br />

Quel est l’intérêt pour un artiste d’avoir autant de<br />

liberté, de contrôle concernant toute la conception<br />

d’un album. Est-ce qu’il n’y pas une limite à ne<br />

recevoir de l’aide d’aucun regard extérieur ?<br />

Je ne sais pas. D’abord c’est ce que j’ai envie de faire<br />

et cela me remplit de bonheur de l’imaginer. J’ai des


idées, je sais ce que je veux donc je n’ai pas tellement<br />

le réflexe de demander aux autres. On se tourne vers<br />

des personnes dans les domaines où l’on n’a pas<br />

accès car on n’a pas les connaissances. Je m’entoure<br />

donc de gens qui savent faire, mais quand je m’en<br />

sens capable, ou que j’ai envie de développer quelque<br />

chose et d’apprendre, je fonce, je n’ai jamais su faire<br />

les choses autrement.<br />

Je racontais cette histoire au premier album. Cela fait<br />

longtemps que je ne l’ai pas racontée donc je vais<br />

vous la dire. Quand j’étais petite on m’a offert un<br />

album de Kate Bush et j’ai adoré. Je me souviens très<br />

bien qu’avec mon regard d’enfant, quand je tenais ce<br />

disque, que j’écoutais la musique tout en lisant les<br />

paroles dans le livret, je voyais son visage en photo<br />

sur la couverture, je la voyais, elle. Je voyais ses<br />

mots, je voyais que c’était elle qui avait écrit et pour<br />

moi c’était normal. Je ne pouvais m’imaginer que<br />

d’autres artistes chantaient les mots d’autres<br />

personnes.<br />

J’ai grandi en écoutant des artistes qui ont développé<br />

un univers fort et personnel. Il y avait Kate Bush, Joni<br />

Mitchell, aussi. Adolescente, j’ai découvert Björk.<br />

C’est assez étrange car on écrit des morceaux au<br />

départ pour nous et finalement, l’envie de les partager<br />

avec d’autres personnes surgit. Faire vivre les<br />

morceaux sur scène, c’est juste fantastique, c’est une<br />

forme de communication, de communion parfois. Il y a<br />

des choses magnifiques qui peuvent se passer sur<br />

scène, rien qu’avec des notes de musique et du<br />

chant. Lorsque tout cela se transforme dans la même<br />

pièce, c’est super. Cela me manque énormément,<br />

entre deux albums. J’ai hâte.<br />

Qu’avez-vous découvert récemment qui vous a<br />

permis d’enrichir votre domaine musical ?<br />

La Côte Ouest des États-Unis, la Californie, les<br />

couchers de soleil de l’Arizona, il y a beaucoup de<br />

cela dans l’album. Les grands espaces assez<br />

épiques, c’est un mélange entre de nombreux lieux et<br />

d’images qui ont défilé devant mes yeux et qui défilent<br />

aujourd’hui dans ma tête.<br />

Propos recueillis par Louise Autain<br />

Ce contrôle, c’est une façon de faire, une philosophie.<br />

J’ai envie de développer un maximum de choses dans<br />

la limite de mes capacités mais je pense que l’on a<br />

tous des compétences illimitées pour rejoindre ce que<br />

tu dis. Il faut juste se donner le temps pour bien diriger<br />

son objectif et au moins essayer.<br />

Cet album est très ouvert, très riche, comment allezvous<br />

le transposer sur scène ?<br />

On a commencé les répétitions la semaine dernière. Il<br />

y a beaucoup de changements par rapport aux<br />

albums précédents. Nous avons simplement fait un<br />

seul concert pour Franky Knight. Avec The Big<br />

Machine, nous étions trois sur scène et c’est vrai que<br />

le pari de cet album était de pouvoir tout gérer. J’étais<br />

au contrôle de tout ou presque, j’avais quatre claviers,<br />

quatre pédales, l’ordinateur, le micro, le bras, etc.<br />

J’avais envie de voir jusqu’où je pouvais aller en<br />

m’occupant de tous ces postes. Aujourd’hui, je n’ai<br />

plus du tout envie d’aller dans cette direction-là, en<br />

live, contrairement à la réalisation d’ailleurs. Pour le<br />

coup-là, j’ai envie de m’alléger de plein de choses. Je<br />

crois que j’ai envie d’être vraiment avec les gens et de<br />

chanter tout simplement, sans forcément faire<br />

plusieurs choses en même temps.<br />

Sur scène, cela va être intéressant de me retrouver<br />

finalement plus comme au premier album où je jouais<br />

de temps en temps des instruments, mais n’étais pas<br />

systématiquement derrière le clavier, j’étais un peu<br />

plus libre de mes mouvements.<br />

Comment se passe votre relation avec le public sur<br />

scène ?<br />

Je suis super contente de pouvoir bientôt retrouver<br />

mon public, ça me rend tellement heureuse.


CHARLIE WINSTON<br />

Interview publiée le 25 novembre 2011<br />

Charlie nous a mordu… Chez Shakespeare & Co, ou la librairie anglaise de Paris. Nous nous sommes faufilé, le<br />

temps d’un instant, parmi les étagères, remplies d’illustrations, d’histoires et d’odeurs de papiers noirs ou jaunis,<br />

à la recherche de Charlie. Et de son nouvel album « Running Still ».<br />

Au delà de tes succès artistiques et médiatiques,<br />

particulièrement en France d’ailleurs, nous savons<br />

finalement peu de choses sur toi. D’où viens-tu Charlie ?<br />

Par où commencer ? Pendant longtemps, j’ai joué dans des<br />

clubs et bars à Londres, dans différents groupes, avec mon<br />

beau-frère, à la fin des années 90. Assez rapidement, nous<br />

avons signé un contrat avec une maison de disques. Je me<br />

suis mis à écrire ma propre musique, de mon côté, à<br />

voyager à travers l’Europe… J’ai rencontré des amis, qui<br />

sont aujourd’hui toujours là. Et puis, un jour, un CD que<br />

j’avais enregistré avec l’aide de Peter Gabriel tomba dans<br />

les mains de Marc Thonon (Monsieur Atmosphériques, le<br />

très joli label français, fidèle partenaire de Crumb, ndlr). Ma<br />

musique lui a plu. Il a voulu produire un album sur-le-champ.<br />

Nous avons pris notre temps – huit mois – pour enregistrer<br />

mon premier “vrai” opus et « préparer le terrain » afin d’avoir<br />

la meilleure réception possible. Je parle de celle du public.<br />

Hobo est sorti en janvier 2009 et c’est devenu dingue : les<br />

français se sont rués dessus dès le début. Je ne<br />

m’attendais vraiment pas à une telle ampleur. En deux ans,<br />

j’ai vendu plus d’un demi-million d’exemplaires de l’album.<br />

Et maintenant, me voilà, devant vous. J’ai arrêté la promo<br />

de Hobo il y a bientôt un an. 2011 m’a permis de repenser<br />

ma manière de travailler. Je suis parti un moment à Los<br />

Angeles, c’était assez difficile d’enregistrer à nouveau en<br />

France. Tout était miroir, tout ce que je regardais semblait<br />

appartenir au personnage de Hobo, alors je me suis exilé<br />

quelques temps pour puiser quelque chose de nouveau en<br />

moi. Je viens de là. Cela répond à ta question ?<br />

Absolument. Aujourd’hui te voilà de retour avec Running<br />

Still, peux-tu nous en dire quelques mots…<br />

Tout un tout nouvel album, oui. J’y ai beaucoup pensé,<br />

réfléchi. Hobo, de son côté, s’était construit et développé<br />

des années durant. Après cela, je ne savais pas vraiment<br />

où j’allais, mais ce dont j’étais certain, c’était une sensation<br />

que j’avais envie de transmettre. Running Still laisse<br />

transparaître un sentiment de laisser aller, pour s’échapper<br />

et prendre le temps d’être spontané. L’album est né d’un<br />

mélange de solitude et de mélancolie. Il illustre de manière<br />

très juste le fait qu’en travaillant pendant deux ans, en<br />

gagnant expérience et succès, j’ai compris que plus on est<br />

au centre des attentions, plus la solitude nous gagne. C’est<br />

ce dont cet album parle, au fond.<br />

On le ressent dans le premier extrait, qui porte d’ailleurs<br />

bien son nom, « Hello Alone »…<br />

Oui. C’est une sorte de solitude accueillante, comme avec<br />

un vieil ami dont tu pensais t’être débarrassé, dans ta tête<br />

mais qui est toujours là, au fond de toi. Il me semble que<br />

c’est le seul morceau cependant qui ressemble à peu près à<br />

l’univers de mon premier album, celui pour lequel les gens<br />

me connaissent. Il rappelle aux gens qui je suis. J’avais<br />

besoin, je crois, de cette chanson, besoin de convier à<br />

nouveau les gens, de leur dire « C’est toujours moi, mais je<br />

vous emmène ailleurs, cette fois ».<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


LA FIANCÉE<br />

Interview publiée le 15 janvier 2011<br />

“Tout dire en très peu de mots…” Une rencontre, un destin ont fait de La fiancée ce qu’elle est : une<br />

chanteuse à la fois touchante et enivrante. Pas vraiment le hasard. Petite, déjà, elle s’amusait à faire des<br />

vocalises devant ses frères et soeurs excédés. De cette enfance, elle a gardé quelques traces de sublime<br />

enfouies quelque part dans sa rêverie amoureuse…<br />

Tu baignes dans la musique depuis toute petite. Or il<br />

a fallu attendre la rencontre avec Edgar Ficat et<br />

Florent Marchet pour qu’un univers et des chansons<br />

se mettent en place. Tu y pensais avant ou bien ces<br />

rencontres ont créent le déclic ?<br />

Je n’y ai jamais pensé une seule seconde ! Si on<br />

m’avait dit que j’aurais un jour mes chansons sur un<br />

CD, j’aurais certainement rigolé. Mais il est vrai que je<br />

baigne là-dedans depuis toute petite. Mes parents se<br />

sont rencontrés en faisant de la musique et cela a<br />

toujours complétement fait parti de ma vie même si j’ai<br />

arrêté après le lycée parce que j’avais juste autre<br />

chose à faire. Edgar m’a mis devant un micro un soir.<br />

Il cherchait justement une chanteuse. Sans cela je<br />

n’aurais jamais essayé. Il avait des mélodies libres,<br />

sans trop de paroles dessus. Moi je venais de me<br />

faire larguer donc j’avais beaucoup de choses à dire<br />

(rires). On a fait une première chanson, on l’a mise<br />

sur Myspace et très vite on a été contactés par un<br />

producteur.<br />

Quel souvenir gardes tu de ton rapport à la musique<br />

pendant l’enfance ?<br />

Quelque chose de très apaisant. Ma maman me<br />

chantait tout le temps quelques chansons pour<br />

m’endormir, des titres de Joan Baez et de choses<br />

comme cela, que j’adorais. Et puis je faisais de la<br />

danse classique, donc j’avais en même temps une<br />

ouverture sur le Folk par mes parents et sur la<br />

musique classique par la danse. J’en garde un grand<br />

plaisir, celui des souvenirs de vacances où l’on<br />

chantait en voiture, un peu comme tout le monde,<br />

mais mon grand bonheur c’était surtout de faire des<br />

harmonies vocales avec mes parents, de chanter à<br />

deux, trois voix. On rigolait bien et j’emmerdais<br />

énormément mes frères et sœurs qui détestaient cela.<br />

Et ton rapport aux sixties ? Car on t’en parle<br />

beaucoup…<br />

Oui ! On m’en parle énormément et finalement je n’en<br />

ai pas tant que cela. Je suis plutôt seventies dans


mes influences musicales. Ce qui touche aux années<br />

60, je l’ai atteint plus tard, par le biais de la chanson<br />

française, France Gall, Dutronc, des artistes comme<br />

ça. Rien qu’au niveau de l’image c’est magnifique,<br />

hyper pop, coloré. C’est une époque qui paraît<br />

formidable. Je ne sais pas si je m’y serais sentie bien<br />

mais quand tu regardes cela avec du recul tu<br />

t’aperçois qu’ils étaient tous beaux à cette époque-là,<br />

jeunes, fringants, le monde était en train de s’ouvrir, il<br />

n’y avait pas de crise. Ils avaient certainement bien<br />

d’autres problèmes mais en tout cas pas ceux que l’on<br />

connaît aujourd’hui.<br />

Tu as justement repris quelques chansons d’artistes<br />

de cette époque et d’autres, plus contemporains,<br />

comme Benjamin Biolay…<br />

Oui ! J’adore Benjamin Biolay. Je trouve incroyable<br />

qu’il soit juste reconnu par le public maintenant alors<br />

qu’il a donné vie à des perles musicales incroyables,<br />

depuis le tout début.<br />

En reprenant des chansons qui te plaisent, tu donnes<br />

à entendre finalement un jukebox personnel en<br />

plusieurs EP, un peu comme une collection de 33<br />

tours…<br />

Exactement ! C’est un objet que j’aime énormément.<br />

Et puis il y a un truc génial dans le fait de sortir des<br />

disques à 4 chansons : c’est beaucoup plus court<br />

donc, comme dirait mon ami Edgar, si tu te plantes<br />

sur un 4 titres c’est beaucoup moins grave que si tu te<br />

plantes sur un album. Tu peux prendre plus de liberté,<br />

plus de risque, tu t’ennuies moins. Faire des reprises,<br />

c’était aussi pour moi l’occasion de chanter en anglais<br />

– chose que je n’aurais pas tenté sur un album entier.<br />

Enfin, je me suis lancé un mini défi. Celui d’arranger le<br />

troisième EP. Pour les précédents j’avais fait appel à<br />

Florent Marchet et à Julien Ribot sur le deuxième. Là,<br />

on a vraiment fait cela avec les garçons, qui<br />

m’accompagnent sur scène. On a passé des journées<br />

de pré-prod, à écouter, essayé, choisir les<br />

arrangements qui nous plaisaient. Et puis après on ne<br />

les a plus écouté du tout, on les a un peu bousculé<br />

pour se les réapproprier et j’ai complètement oublié la<br />

question… (Rires).<br />

Je parlais de jukebox personnel…<br />

Oui ! C’est cela ! C’est un excellent moyen de faire<br />

connaître mes influences musicales et en même<br />

temps je me suis énormément demandé si ce n’était<br />

pas une erreur car reprendre les chansons d’un artiste<br />

que tu aimes est toujours un pari risqué. Si tu fais<br />

moins bien que ce que tu espères notamment. En<br />

même temps, si tu te poses trop de questions, tu ne<br />

fais plus rien ! Alors voilà, j’ai livré ma version des<br />

choses et j’en suis tout de même assez satisfaite.<br />

J’ai lu que tu comparais ces sortes de mini disques à<br />

des nouvelles de roman. Est-ce que justement plutôt<br />

que de passer par la musique, tu n’as pas envie de<br />

t’essayer à la littérature ?<br />

A vrai dire, tout est toujours venu par le texte – j’ai fait<br />

des études littéraires, c’est quelque chose qui me tient<br />

à cœur – dans le principe de nouvelles, c’est qui me<br />

plait, être capable en très peu de temps – et cela a<br />

aussi un rapport avec la chanson – dans un texte très<br />

court, de raconter une histoire poignante. Tout dire en<br />

très peu de mots. C’est quelque chose de super<br />

compliqué. C’est un défi à chaque fois et c’est en<br />

même temps super agréable à faire. J’aurais dû mal à<br />

faire des descriptions longues parce que ce n’est pas<br />

comme cela que je suis non plus. J’aime bien<br />

synthétiser et m’accrocher à certains détails qui vont<br />

tout de suite créer une ambiance, un personnage,<br />

sans tout dévoiler. Et c’est cela qui est aussi<br />

intéressant dans les chansons, en tout cas les<br />

miennes, il y a toujours une part d’autobiographie<br />

mais elle est toute petite et j’essaie de faire précis tout<br />

en restant universel pour que tu puisses toi garçon –<br />

alors que je suis une fille – trouver des choses qui te<br />

parle dans mes textes.<br />

Les arrangements musicaux sont relativement<br />

minimalistes, très intimes. Comment tu les as<br />

travaillés ?<br />

Comme j’enregistre mon travail en plusieurs parties,<br />

j’arrive chaque fois en studio avec une expérience un<br />

peu plus forte et un peu plus d’idées. Au début j’avais<br />

vraiment envie de toucher à la musique mais je ne<br />

connaissais rien du langage musical – un peu comme<br />

quand tu demandes à un petit enfant, qui n’a que 400<br />

mots de raconter une histoire précise. C’est beaucoup<br />

plus facile une fois que tu en as 40 000 pour pouvoir<br />

t’exprimer. Pendant le premier E.P, j’ai beaucoup<br />

observé Florent (Florent Marchet, ndlr). J’ai eu de la<br />

chance qu’il m’intègre dans le processus de création<br />

dès le départ. Pour le deuxième, on a travaillé<br />

davantage en amont, sur ce que j’aimais, les<br />

ambiances que je voulais donner à telle ou telle<br />

chanson et puis il s’est passé beaucoup de choses en<br />

studio. Notamment, au Studio Gang, qui était le studio<br />

de Michel Berger, où l’on travaillait à 2 heures du<br />

matin. Il y avait une ambiance très bizarre. On avait<br />

préparé beaucoup de choses, pour au final n’en<br />

garder que quelques-unes. Et là, sur le dernier EP, on<br />

est arrivés avec de simples bases et l’on a tout<br />

construit en studio (La Fabrique, à St-Rémy de<br />

Provence, ndlr). Pour le prochain, je m’investirais<br />

encore davantage. Je ne sais pas encore avec qui je<br />

vais travailler. C’est cela que j’aime beaucoup<br />

d’ailleurs et que je souhaitais : quelque chose de très<br />

spontané.<br />

Tu es aussi rédactrice de mode ! Est-ce que cela a<br />

une influence sur tes créations ?<br />

Oui. Je pense qu’il y a un rapport. La musique et la<br />

mode ont toujours été intimement liés et les musiciens<br />

sont la plupart du temps une grande source<br />

d’inspiration pour les créateurs. Ce qui est génial dans<br />

la mode, c’est que l’on est toujours en avance – on<br />

travaille six mois à l’avance sur les collections de l’été<br />

prochain. Et puis, la mode a un aspect sociologique.<br />

Tout ce qui s’y passe y est politique. Cela oblige à<br />

être curieux et à rester ouvert sur pleins de choses. Il<br />

y a aussi un truc dont je me suis rendu compte le jour<br />

où j’ai commencé à écrire: le processus de création<br />

d’une chanson est le même que celui d’un vêtement :<br />

on part d’une base, une matière, un tissu ou bien un<br />

instrument, un matériau, une guitare et l’on brode au


fur et à mesure, on construit, on réajuste. C’est une<br />

histoire de style, de précision, de coupe, de rigueur.<br />

Il y a un endroit où tu aimes écrire ?<br />

Dans les cafés, dans les trains ! Le paysage qui<br />

défile, ne plus penser à rien ou bien observer les<br />

gens. L’inspiration naît aussi quand tu as tout un tas<br />

d’autres choses à faire : en trajet, dans le métro ou<br />

quand je suis super occupée, super pressée et là, ça<br />

vient, c’est horrible et il faut pouvoir s’arrêter.<br />

Si tu devais travailler ton quatrième E.P à partir d’une<br />

B.O de film ou de l’univers d’un cinéaste. Ce serait qui<br />

? Quoi ?<br />

C’est assez marrant que tu me demandes cela car je<br />

me mets, depuis peu de temps, à regarder les films<br />

de façon monomaniaque ! Là je viens de finir le coffret<br />

Buñuel, que je ne connaissais pas bien. Deux, trois<br />

idées me sont venues, dans le rapport hommes et<br />

femmes, le rapport à la séduction, à la bourgeoisie.<br />

J’ai acheté tout un coffret Rohmer et Romy Schneider.<br />

Je suis assez dans des choses comme cela, très<br />

parlées, posées. Rohmer c’est génial, ce sont des<br />

structures scénaristiques qui se développent au fur et<br />

à mesure. Je ne peux donc pas encore répondre à la<br />

question, mais j’y suis en plein dedans !<br />

L’album complet, c’est pour bientôt ?<br />

Je considère que l’album est sorti en plusieurs<br />

morceaux au fur et à mesure. On risque de livrer au<br />

public un format coffret et un format plus classique,<br />

avec 11 ou 12 titres ou 13. J’aime bien le chiffre 13,<br />

pour en finir avec les superstitions ! Je ne sais pas si<br />

je garderais toutes les chansons, notamment les<br />

reprises. Elles ont un intérêt pour moi, en tant que<br />

disque à part entière, mais après sur l’album, est-ce<br />

que ce sera nécessaire ? Je ne suis pas sûre. J’aime<br />

bien aussi l’idée que les versions sur les anciens EP<br />

ne soient pas vraiment les mêmes que sur l’album,<br />

histoire de leur conserver une vraie identité.<br />

La question que l’on ne t’as jamais posée et ce que tu<br />

y répondrais ?<br />

Est-ce que tout cela me rend heureuse ? Oui !<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié


LULU GAINSBOURG<br />

Interview publiée le 25 novembre 2011<br />

Au coin de la rue Etienne Marcel, à Paris, Lulu Gainsbourg patiente, chapeau sur la tête, en utilisant la table<br />

comme un instrument à percussions, il tapote un rythme binaire. J’entre le saluer, il est timide mais souriant. Au<br />

premier abord, se retrouver face à Lulu Gainsbourg c’est comme toucher du doigt une infime partie mythique de<br />

l’histoire de la chanson française. Mais Lulu n’est pas que le « « fils de », c’est un véritable artiste. Franchement<br />

pas dégueu’ comme dirait l’autre…<br />

Depuis le Petit Lulu du Zénith 89, où à l’époque vous étiez<br />

l’enfant-star le plus médiatisé, jusqu’à aujourd’hui, la sortie<br />

de votre premier album, ou étiez-vous ?<br />

J’étais sur le point d’arrêter mes études pour devenir acteur<br />

et puis j’ai vécu pas mal d’aventures et voyagé ici et là. En<br />

2001 j’ai rendu, en compagnie de ma mère (Bambou, ndlr),<br />

cet hommage à mon père avec la chanson Ne dis rien, et<br />

dernièrement la chanson Quand Je Suis Seul pour Marc<br />

Lavoine en 2010. Cet album aujourd’hui, From Lulu To<br />

Gainsbourg, je l’ai fait sur un coup de tête. Avec un ami. Je<br />

me suis dit que c’était le moment. Peu importe les critiques,<br />

je le fais pour mon père. Comme un message personnel.<br />

On a l’impression qu’une place importante a été laissée à<br />

l’improvisation et à la spontanéité…<br />

Oui c’est vrai. Surtout dans l’enregistrement. Il y a beaucoup<br />

de titres aux couleurs jazz, qui permettent ce genre de<br />

liberté. Mon père adorait le jazz, il a commencé comme<br />

cela. C’est une musique qui me touche. Le classique aussi.<br />

Quel genre de classique ? Plutôt contemporain ?<br />

Surtout la période classique romantique. La musique<br />

classique a un pouvoir en plus par rapport aux autres<br />

musiques. Elle peut vous déstresser, vous mettre dans un<br />

état euphorique ou bien vous bercer.<br />

Que représente le voyage pour toi ?<br />

L’apprentissage. J’ai découvert de nouveaux peuples, de<br />

nouvelles atmosphères, c’est un continuel renouveau. J’ai<br />

eu la chance d’avoir un père qui a très bien réussi, ma mère<br />

qui m’a très bien élevé, je n’ai manqué de rien quand j’étais<br />

petit et je ne manque toujours de rien aujourd’hui. Mais j’ai<br />

également eu la chance d’aller en Inde et de découvrir<br />

justement tout le côté inverse. Et pourtant il y a une telle<br />

richesse à travers chaque personne que tu vas croiser. Ils<br />

sont heureux alors qu’ils n’ont rien. Quand je vois des gens<br />

ici en France qui se plaignent pour des choses<br />

superficielles, je trouve cela assez injuste.<br />

Es-tu déjà retourné au 5 bis rue de Verneuil ? (L’hôtel<br />

particulier de Serge Gainsbourg à St Germain- des-près, où<br />

Lulu a grandi jusqu’à la mort de son père en 1991, ndlr).<br />

Oui ! La dernière fois c’était en juin. L’avantage c’est que je<br />

peux entrer à l’intérieur, il y a toujours une grande énergie.<br />

L’âme de mon père y est toujours présente. Je la sens.<br />

Propos recueillis par Aurélien Lovalente.<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


JAMES VINCENT<br />

MCMORROW<br />

Interview publiée le 13 janvier 2014<br />

On retrouve dans le nouvel album de James Vincent McMorrow, Post Tropical, un aspect très<br />

envoûtant, un je-ne-sais-quoi d’orchestration qui rend le tout particulièrement puissant. L’idée de ce<br />

nouvel opus lui est venue alors qu’il était encore en tournée. Il y a là-dedans, une envie de faire<br />

quelque chose de nouveau chez lui…<br />

Vous semblez attacher une importance primordiale à<br />

l’orchestration, avez-vous réalisé vos propres<br />

arrangements ?<br />

Oui, j’avais une idée assez précise du rendu que je<br />

souhaitais avoir. J’ai essayé d’aller plus loin dans le<br />

travail autour de l’orchestration, en cherchant de<br />

nouveaux instruments qui pouvaient illustrer certains<br />

sons. Par exemple dans une des chansons, j’ai<br />

essayé de reproduire d’un point de vue musical le son<br />

d’une cascade, ce qui fonctionne plutôt bien.<br />

Avez vous ressenti le besoin de vous retirer pour<br />

composer comme pour votre précédent album ?<br />

Oui. Il est étrange de se retrouver seul face à soimême,<br />

surtout après avoir passé plusieurs mois<br />

entouré d’une équipe et après avoir voyagé un peu<br />

partout mais c’est le seul moyen que je connaisse<br />

pour composer.<br />

Parlez nous de ces voyages. Que vous ont-­ils<br />

apporté ?<br />

Tous les endroits que j’ai visité ou découvert m’ont<br />

apporté quelque chose au niveau culturel et m’ont<br />

ouvert l’esprit. J’ai particulièrement aimé passer du<br />

temps au Texas où il y avait un vrai côté exotique.<br />

C’est aux États-Unis que tout arrive, c’est le pays de<br />

la musique moderne. Il y a eu quelques désillusions,<br />

bien sûr, mais c’est comme un rêve d’enfant de<br />

pouvoir aller jouer là bas. Pratiquement tous les<br />

artistes que j’admire viennent de là.<br />

Vous serez en concert à Paris le 20 février prochain, à<br />

La Maroquinerie. Comment abordez-vous votre<br />

relation avec le public ?<br />

Tout dépend du pays et c’est assez déroutant<br />

d’ailleurs. Par exemple, la première fois que j’ai donné<br />

un concert à Paris, les gens étaient beaucoup plus<br />

silencieux, à l’écoute. Je n’attache pas cependant pas<br />

trop d’importance à la réaction du public. C’est même<br />

assez marrant de se dire que certaines personnes<br />

vont détester ce que tu fais ou y être complètement<br />

impassibles dans un premier temps.


C’est à dire ?<br />

Eh bien, la plupart de mes albums préférés sont ceux<br />

que j’ai détestés ou qui me dérangeaient<br />

profondément. Par exemple la première fois que j’ai<br />

entendu The Boxer de The National, cela m’a<br />

totalement insupporté. Je n’aimais pas sa voix, son<br />

look, la structure des sons. Aujourd’hui, avec le<br />

temps, c’est sûrement un de mes albums préférés.<br />

Comment avez-vous changé d’avis ?<br />

Je ne sais pas. Je ne pouvais pas m’empêcher de<br />

revenir dessus, de le réécouter tellement je le<br />

détestais. Je ne dis pas que c’est la réaction que<br />

j’aimerais forcément provoquer chez les gens mais le<br />

nombre de personnes qui écoute un album et l’aime<br />

immédiatement rate quelque chose. Il faut passer<br />

outre le fait d’aimer un genre de musique et essayer<br />

de creuser un peu plus. Pour moi, l’intérêt de faire de<br />

la musique c’est de trouver le lien entre quelque<br />

chose de beau et d’intéressant sans avoir peur de<br />

provoquer une réaction chez l’auditeur, bien au<br />

contraire, qu’elle soit positive ou négative.<br />

Lorsque vous composez, pensez-vous aux émotions<br />

que vous souhaiteriez transmettre ?<br />

Lorsqu’on compose seul, on est obligé d’être son seul<br />

public. Tout ce que je fais est personnel. Je suis<br />

devenu un fan de musique dès l’instant où j’ai<br />

commencé à en faire. Quand on travaille dur, on a<br />

envie d’être autant impressionné par le travail des<br />

autres que par le tien, pas d’un point de vue<br />

narcissique bien sûr mais ceux qui font de la musique<br />

pour l’argent ou le succès se trompent.<br />

Vous devez avoir de nombreuses influences qui vous<br />

ont toujours marqué depuis votre enfance, mais<br />

récemment, qu’avez-vous découvert dans les autres<br />

domaines artistiques qui a enrichi votre univers<br />

musical ?<br />

Take Care de Drake a eu un énorme impact sur moi. Il<br />

m’a surtout impressionné au niveau de la production.<br />

C’est un génie dans le sens où il trouve les meilleures<br />

personnes et les meilleures idées à placer dans un<br />

contexte moderne. Il a osé mettre certains types<br />

d’orchestrations là où on ne s’y attend pas, et ça<br />

marche. Dans un autre registre, j’ai vu Gravity<br />

récemment, un des meilleurs films que j’ai jamais vus.<br />

J’adore le réalisateur (Alfonso Cuarón, ndlr). Il a su<br />

créer quelque chose de brillant et qui a eu un succès<br />

mondial alors que le sujet ne tourne qu’autour d’une<br />

seule et même personne. La plupart de mes films ou<br />

albums préférés sont de gros succès commerciaux.<br />

J’adore l’idée que quelqu’un puisse faire à la fois<br />

quelque chose d’ingénieux et commercial et qui va par<br />

conséquent s’adresser à un large public. C’est<br />

beaucoup plus difficile à faire que quelque chose de<br />

faussement artistique qui ne va s’adresser qu’à un<br />

groupuscule ou un public niche.<br />

En parlant de cinéma, vous avez travaillé en<br />

collaboration avec Aoife McArdle pour votre<br />

clip et allez en faire une trilogie…<br />

Oui, c’est vrai. Elle est en train de travailler dessus.<br />

J’avais énormément apprécié son travail sur Open<br />

Eye Signal de Jon Hopkins. J’ai décidé de lui laisser<br />

toute liberté pour réaliser le clip à sa façon. Je n’ai<br />

pas voulu m’imposer car je ne suis pas réalisateur, j’ai<br />

totalement confiance en sa vision artistique. Le clip<br />

qu’elle a fait venait de son propre ressenti. Le fait de<br />

faire réagir un artiste et d’apporter sa pierre à l’édifice<br />

d’un autre artiste est toujours extrêmement<br />

enrichissant.<br />

Pourquoi avoir choisi Cavalier comme premier titre<br />

extrait, pour promouvoir votre album ?<br />

Parce que je ne voulais pas introduire ce nouvel albul<br />

par une chanson dans la lignée du précédent. C’est<br />

audacieux mais je voulais que les gens sachent tout<br />

de suite que ça allait être différent, surtout au niveau<br />

de l’aspect esthétique !<br />

Propos recueillis par Louise Autain<br />

Photographies : Yann Morrison, pour Crumb<br />

magazine


BEN<br />

HOWARD<br />

Interview publiée le 25 novembre 2011<br />

« Le problème, lorsque je viens à Paris, c’est que je n’ai le temps que de fréquenter salles de concerts<br />

et cafés et très peu la ville au final ». C’est sur ces mots que Ben Howard commence notre entrevue à<br />

l’heure du déjeuner, à quelques minutes de son premier grand rendez-vous dans une radio française.<br />

Le temps manquait, alors nous ne nous sommes pas assis. Nous avons préféré nous balader et parler<br />

en marchant, dans le dédale des rues du 1er arrondissement de la capitale. Le temps, peut-être, qu’il<br />

voie enfin Paris. Des échanges entrecoupés de rires, d’attention aux rues que l’on traverse et aux<br />

voitures qui luisent sous la lumière de l’automne. Je pose une première question à Ben, qui rêvasse. Il<br />

me répond « Beautiful day isn’t It ? »…<br />

Tu fais partie des artistes qui utilisent leur guitare<br />

comme instrument de percussion… Peut-on<br />

commencer là-dessus ? Cela m’intrigue assez…<br />

(Rires) La guitare est pour moi l’instrument le plus<br />

frustrant au monde ! Je suis très souvent limité,<br />

j’arrive parfois à cette impression de ne pas en savoir<br />

assez. J’aimerais pouvoir composer un bon morceau<br />

de blues, jouer de manière plus libre et surtout<br />

comprendre comment cela fonctionne. Car je ne sais<br />

jamais vraiment ce que je joue. J’imagine, j’entends<br />

les notes dans ma tête, mais je ne connais pas leur<br />

nom. Alors, en attendant, en effet, je tapote dessus !<br />

Est-ce que tu sais au moins comment fonctionne<br />

l’amour ? J’ai remarqué que le mot « Love » revient<br />

dans chacune de tes chansons, titres ou paroles ?<br />

Ah ça, je ne sais pas. Mais en effet, « Love » est<br />

partout. Il me semble qu’il est toujours plus facile<br />

d’écrire sur ses sentiments, notamment les chagrins<br />

ou contrariétés liées aux relations amoureuses car il<br />

s’agit d’émotions brutes, au sens premier du terme.<br />

Mes chansons parlent des gens, en général, de la<br />

manière dont ils interagissent ensemble et dont<br />

j’interagis avec eux. Les relations les plus fortes que<br />

l’on entretient avec ceux qui nous entourent<br />

impliquent très souvent l’amour. Du moins pour moi.


Et quand cela va mal, j’écris ! Mais tous les artistes<br />

font la même chose, non ?<br />

Je crois. Il y aussi chez toi la peur et ton titre « The<br />

Fear »… Pourquoi ce nom ?<br />

Cette chanson concerne en fait la détermination, le<br />

but, dans la vie de chacun. A l’origine elle ne devait<br />

pas être pour moi. Arrivé à la moitié du texte, dans ma<br />

phase de travail, mon processus d’écriture, je me suis<br />

rendu compte que j’étais à nouveau en train d’écrire<br />

une chanson sur moi. J’y parle de mes réflexions en<br />

général, des questions – souvent beaucoup trop<br />

nombreuses – que l’on se pose quant aux bonnes<br />

décisions à prendre dans nos vies. En tant que<br />

musicien, je me demande souvent à quoi sert la<br />

musique. Pourquoi est-ce que, nous artistes,<br />

montons-nous sur scène ? Devant un public ?<br />

Pourquoi les gens sont là, réagissent, applaudissent,<br />

encouragent ? C’est un métier étrange. Ce n’est peutêtre<br />

même pas un métier, je ne sais pas. Cela des<br />

responsabilités. Du coup, je passe pas mal de temps<br />

à me demander si je prends les bonnes décisions, si<br />

j’emprunte les bons chemins artistiques ou<br />

personnels. Parfois, je suis effrayé par ces choix, par<br />

les étapes qui suivent. Cette chanson parle de cela.<br />

(Silence. Un temps)<br />

Pour l’anecdote, ce qui est drôle, c’est que j’ai fini par<br />

avoir réellement peur de jouer cette chanson. Chaque<br />

fois qu’on l’interprète avec le groupe, il y a quelque<br />

chose qui foire. Une fois, en la jouant, j’ai cassé trois<br />

cordes, trois fois de suite, sur scène. Une fois, Chris<br />

(son bassiste, sur scène, ndlr) en a cassé douze, un<br />

record. Dernièrement, les cymbales de la batterie sont<br />

tombées par terre en plein milieu du morceau. C’était<br />

dingue. A croire qu’il y a quelque chose autour de ce<br />

titre, que je ne contrôle pas…<br />

Ben continue la promenade. Debout, entre deux<br />

immeubles, essayant de respirer ce qu’il reste de<br />

soleil, il me demande :<br />

« Tu as écouté mon album en entier, d’un bout à<br />

l’autre, ou tu seulement des pistes de façon arbitraire<br />

? ».<br />

Je lui réponds que j’écoute toujours les albums d’un<br />

trait. Ma réponse semble le satisfaire. Il sourit et dit :<br />

Il y a beaucoup de chansons écrites à des moments<br />

très différents de ma vie dans cet album. Les<br />

morceaux représentent mes trois dernières années,<br />

jusqu’à aujourd’hui. Lorsque j’ai commencé à travailler<br />

dessus, j’avais à peu près vingt-cinq titres avant de<br />

passer à l’enregistrement. Il en reste dix aujourd’hui.<br />

Keep Your Head Up est la plus ancienne. Elle date d’il<br />

y a trois ans, The Wolves d’il y a deux ans, alors<br />

qu’Only Love, Black Flies et The Fear sont<br />

relativement récentes et toutes fraîches. Le résultat<br />

est relativement homogène et il me semble avoir<br />

réussi à faire en sorte que tous ces morceaux,<br />

composés à différentes périodes de ma vie, dans des<br />

états d’esprit différents forment un tout et ne font<br />

qu’un. Il y a en ce sens, peut-être un fil conducteur, du<br />

début à la fin…<br />

Le tour du quartier terminé, on piétine un peu, pour<br />

avoir le temps de continuer à parler quelques<br />

secondes, de Laura Marling, de combien elle écrit<br />

bien. Ben me confie qu’il la considère comme la<br />

meilleure songwriter de Grande-Bretagne du moment.<br />

Il dit également écouter Little Dragon, James Blake et<br />

adorer Bon Iver. Pour lui, ces derniers tirent<br />

véritablement la scène musicale actuelle vers l’avant.<br />

En suspens, je le confie à Diane, notre photographe,<br />

le temps de quelques clichés et termine sur ces mots<br />

avant de vous laisser vous précipiter sur son album,<br />

là, maintenant, tout de suite.<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Photographie : Diane Sagnier, pour Crumb<br />

magazine


LES CAHIERS<br />

BOARDCULTURE<br />

Contenus dirigés par Laurie Cassagnes,<br />

publiés entre le 19 janvier 2013 et le 8 septembre 2014<br />

En 2013, Crumb a intégré dans ses colonnes, une rubrique « boardculture ». Comme une suite<br />

logique d’univers, de rencontres et de chemins à prendre, depuis les landes françaises et la Côte<br />

Basque jusqu’en Australie où notre coordinatrice éditoriale d’alors, Laurie, a posé ses valises. Une<br />

suite logique de regards sur la musique aussi – car ces univers sont liés, en tempos, en battements de<br />

cœur, en dépassement de soi. En deux ans, nous avons monté des partenariats, défriché des<br />

festivals, du Fise au Watsa et donné la parole à des baroudeurs de la nature qui ont, avec nous,<br />

construit une communauté rassemblée sous l’étiquette de notre magazine et de ce que nous avons<br />

appelé « Cross-Culture ». De la musique et de la ride. Quelques écorchures amusées pour deux<br />

cultures croisées.


After having scored a 9.97 out of 10 at one of the most feared waves, Pipeline in Hawaii, Nic Von<br />

Rupp is one of the biggest hopes in European surfing. Traveller, passionate by surf videos and famous<br />

for his colourful wetsuits, he will be one of the ones to watch in 2013. By Laurie Cassagnes. <br />

Nic ! After cover thousands of kilometres and<br />

overcome jet lag, where are you today?<br />

Hey, I’ve been all over this week. I was in Western<br />

Australia at the start of the week, and now in Bali.<br />

Can you present yourself for the people who might not<br />

know you ?<br />

My name is Nic von Rupp. I’m a 22 year old, German<br />

Portuguese Pro surfer. I was born in Lisbon Portugal<br />

with a German father and Swiss Portuguese mother.<br />

My life consists of chasing the world Tour of surfing<br />

and filming the best biggest waves our world has to<br />

offer.<br />

When did you start to chase the waves for the first<br />

time and where did that need come from ?<br />

I grew up on the beach. As a highly active kid I was<br />

always having fun in the waves with skimboards,<br />

bodyboards, until time came where I stepped up to the<br />

real deal. I must have been around 9 when i started<br />

getting into surfing. That was it, my first love, never<br />

looked back ever since.<br />

You’re only 22…When did you start surfing<br />

professionally ?<br />

Surfing professionally starts around age 15; at that<br />

age you’re already competing internationally against<br />

the best in the world in your age group. There is some<br />

pay checks involved straight away, but I only really felt<br />

professional at 17 when I got 5th in the World Juniors<br />

in Australia.<br />

You are famous too for your beautiful/colourful<br />

wetsuits …<br />

Ah my wetsuits! Last year Nike gave us the chance to<br />

choose the colours of our wetsuits. I did get a little<br />

excited and accidentally put all fluoro colours on all<br />

the wetsuits. It was alright for carnival time, but I had<br />

to surf in it all year. I do have to admit it was an<br />

embarrassing year of surfing … Aha!<br />

You even had the chance to sign with big brands as<br />

Hurley, Nike, Monster energy…<br />

Hurley is owned by Nike, it’s great to have the<br />

greatest sports brand involved in our sport. It really<br />

has pushed surfing to the next level.<br />

Which one of all competitions you did marks your<br />

memory the most and why ?<br />

Probably 2009 market me the most so far, it was the<br />

year I was finishing school and I really stepped it up<br />

for the first time on an international stage. It was like<br />

from being an average school boy to becoming 2nd in<br />

the European Pro junior tour and then becoming 5th at<br />

the World Juniors against the best in the world. Good<br />

memories…<br />

Your best wave ?<br />

Probably this year at the most feared Pipeline in<br />

Hawaii, I got a 9.97 score out of 10 in one of the most<br />

dangerous waves in the world.<br />

On the internet we can more watch you than read you.<br />

Do you prefer to appear in video to talk about and<br />

show what you do ?<br />

Surfing as the interesting visual side that the surfing<br />

community really enjoys watching videos of their<br />

favourite surfers giving their best moves. That’s why I<br />

do a lot of videos.<br />

Do you spend all your time to search for the most<br />

beautiful waves or you sometimes try to challenge the<br />

snow, the wind or the tar ?<br />

I go wherever the waves are, if its 10ft snow or 50º<br />

tropics. I don’t care; I just want the best waves<br />

possible.<br />

I like to ask one thing. How many continents did you<br />

lay your feet on and which culture that you felt the<br />

closest to?<br />

I don’t know, it’s been 10 years non stop travelling.<br />

But what I can say is I lay feet on every continent at<br />

least 1 time a year. I feel blessed to have the life I<br />

have<br />

I’ve got friends like family in a lot of places that I go to,<br />

so I would say those places are where i feel the most<br />

comfortable<br />

Between two destinations, what do you do? What type<br />

of music or artist do you listen ?<br />

I read books, Facebook, I listen to music …I like<br />

everything, house music, rap, groovy stuff, rock…<br />

What are your upcoming projects in the next few<br />

months ?<br />

I am filming for 5episodes of ”My Road” around the<br />

World!<br />

What are your objectives for 2013 in terms of results ?<br />

Win some some big WQS Events !


Surfing photography is not always the sandy-beach, hot-climate sport it’s made out to be. Christian<br />

McLeods passion has led him to explore places around cold and rainy Ireland. He spends his days<br />

between finishing college and exploring his lands. <strong>CRUMB</strong> catches up with the youngster to ask about<br />

the technical aspects of shooting in the water, his gear and craziest stories. By Laurie Cassagnes.<br />

Christian, where are you right now and what was the<br />

last thing you did before we started this interview?<br />

I would love to say something crazy like climbing a<br />

volcano or something, but in all honesty, I just got<br />

home from college. I’ve been working on my thesis all<br />

day. Can’t wait to be finished fully in a months time !<br />

Tell us about your background, where are you from?<br />

I am originally from Montana, pretty much the spot to<br />

be if you don’t want to be near the ocean ! But I’m<br />

living in Ireland right now , I’m never in one spot for<br />

too long.<br />

When did you first discover an interest in photography<br />

and did surf photography kick in?<br />

It’s funny, I started studying Engineering in college<br />

and had my head focused on that. In the 2nd year, I<br />

stumbled upon my Mom’s old cameras. So naturally, I<br />

picked them up and started investigating, tearing them<br />

apart and taking photos etc… Then I grabbed my own<br />

semi-old digital camera and started bringing it to<br />

college. A lot of sneaking by Lecturers with my small<br />

camera bag had to be done, and it grew into an<br />

addiction.<br />

From there, I think it was about 5 weeks and I took it<br />

with me on a little surf to a local spot, and took a<br />

couple snaps, showed them to a friend who said I<br />

should send them to Tonnta, the Irish surf magazine.<br />

Three weeks later it was published as a double page<br />

spread (I still have the copy on my desk)! It was so<br />

surreal.<br />

Your photos are incredible, when did you realise that<br />

photography was the direction you’d like to be<br />

heading?<br />

Even after I had that image published it was still just a<br />

hobby, a fun outlet to pass the time after class. I’ve<br />

dreamt about making photography a living and<br />

thought that it’s just a dream, until this year, and I<br />

made a decision one day in January of this year while<br />

I was on a bus back from Germany that I want to do<br />

this for the rest of my life. I look at the work I’m doing<br />

in college. I like engineering and would have no<br />

problem working in that industry, but this is my love.<br />

Is there any particular camera that you like to use the<br />

most?<br />

Right now I’m in a mixing pot. For the past 2 years I’ve<br />

been on all Canon gear, mainly a 5Dmk3 and a 7D.<br />

But just this year with all the traveling and hiking I’ve<br />

been doing I started searching for lighter cameras.<br />

Generally with the Fstop Bags I use, I don’t really<br />

need to think about the weight on my back, but I find I<br />

have so much other necessary gear I’ve had to cut<br />

down on camera weight, so I’ve snagged a new Sony<br />

camera to replace my 7D, which is literally a weight off<br />

my shoulders.<br />

Where was your last shoot ? What did you do there<br />

and what did you bring back from it? I can’t say<br />

much about Where my last shoot was, but let’s just<br />

say the South of Ireland has so much potential for<br />

good waves. I was shooting for Riptide Magazine who<br />

have started a 200 hours project for their 200th issue,<br />

and I’m more than stoked to be a part of it.<br />

What is or has been your favourite location to shoot?<br />

Do you prefer to shoot from land or in the<br />

water?<br />

There have been so many beautiful places! Norway<br />

was one that really sticks out in my mind, but then<br />

again Ireland just has so many amazing landscapes,<br />

not many countries can compete. I have no<br />

preference, to land or water, when it comes to<br />

photography, it completely depends on the waves and<br />

the landscape. However on a personal note, I love<br />

being in the water more than sitting on dry land.<br />

Has the ocean always been a huge part of your life?<br />

Shockingly it hasn’t. Being born in the middle of the<br />

Rocky Mountains didn’t really offer me much ocean<br />

life. First time I remember seeing the sea was when I<br />

was 7, in California, and I was only driving by on the<br />

way to the airport. I started surfing when I was 15 and<br />

from there my love grew for the ocean.<br />

You spend a lot of time in the ocean with dangerous<br />

currents and house highwaves. What were the most<br />

dangerous situations you’ve faced so far when<br />

photographing surfers?<br />

That would definitely have to be my first swim at a<br />

spot down south called Aileen’s. It wasn’t the scariest<br />

day and no one was getting into trouble out in the<br />

lineup or anything but I just lost attention because of<br />

the amazing waves and amazing scenery. I remember<br />

i so vividly. I was swimming with my housing, and<br />

trying to get a different angle moving closer to the end<br />

bowl and sneaking just over the edge each time. Jack<br />

Johns dropped into this massive barrel and I started to<br />

smile, pulling the trigger I knew I had something<br />

special and I just made it over that wave and over the<br />

next wave aswel. It seemed like there was a brief lull,<br />

so I started taking a couple shots of the landscape<br />

and I hear this whistle, and a few hoots and hollars. I<br />

thought, “What’s that?“. I look and the jet skis are way<br />

out in the channel, and the surfers and way out to sea.<br />

I never felt my gut drop like that in my whole life. I got<br />

pulled deeper from the rip and closer to the cliffs, and


then the adrenaline kicked in, I swam for dear life. I<br />

saw the first wave coming and I couldn’t believe it. I<br />

thought I was gonna make it, dove under the wave,<br />

popped up, kept my head down and kept swimming,<br />

knowing there would be another one, and boy was I<br />

right. A massive 15ft set wave was already starting to<br />

break out the back and I had the slimest chance of<br />

making it. I swam as hard as I could with my 1Kg<br />

waterhousing and my little legs. I saw the lip coming<br />

on the end bowl and I dove under once more, and<br />

gave my arm a huge stretch to grab some seaweed<br />

and I couldn’t reach the bottom. It suddenly felt like I<br />

was about to make it, the feeling of raising t the<br />

surface out the back. Then, I felt this thump and heard<br />

the sound of crushing ice. I was immediately thrown<br />

and felt as if I just jumped off a giant ledge, then<br />

another pounding. I’ve been through wipeouts before<br />

but never with a waterhousing and fins. Holding my<br />

camera to my chest to protect it, as you are advised<br />

by the pro’s to do, was impossible as my whole body<br />

was being ragdolled. I eventually came up and took a<br />

breath of air to see the next wave break ahead, and<br />

white water heading towards me. I made it fine under<br />

that, apart from the feeling of my foot being caught on<br />

kelp. I started to panic and started shaking my leg,<br />

and finally made it free and up to the surface again.<br />

Got washed out to the channel and started to kick<br />

when I realised my fin was gone, which I later figured<br />

out was shaken off by myself in the panic of the attack<br />

of the seaweed. Everything worked out fine. I’m<br />

actually quite stoked to have experienced that, and<br />

also to get a cover from the shot of Jack Johns, really<br />

making the beatings worth while.<br />

You’ve shot big waves surfers like Nic Von Rupp that<br />

we interviewed a year ago. Which other surfers have<br />

you already photographed?<br />

I actually haven’t shot with many big name Pro<br />

surfers, apart from Nic. I’ve shot alot with the local<br />

rippers like Gearoid McDaid, and Barry Mottershead,<br />

and so many other great surfers here who love to<br />

adventure.<br />

Do you know them or they ask you to come with<br />

them?<br />

I know quite alot of the Irish and British surfers and<br />

have shot with them on a variety of swells. It’s always<br />

great to get a phone call from a surfer and they want<br />

you to shoot.I find it such an honor that they find my<br />

work good enough for them to ask. If my work can<br />

stoke someone out, it makes me happy.<br />

The business and the sport has changed over the last<br />

years. In your opinion what are the biggest changes<br />

that surf photography is confronted with currently?<br />

That’s a good question. There have been so many<br />

changes as you said, and every change has it’s<br />

upsides and it’s downsides. For instance digital/social<br />

media. I’ll go shoot waves at Mullaghmore one day,<br />

and by the time the surfer has finished the wave it’s<br />

already up on the National News. This is great for<br />

broadcasters, newspapers, journalists (with their<br />

iPhones) but pretty bad for photographers. I am not<br />

worried about losing business or anything like that, but<br />

people see the images instantly, and an instant later<br />

they’ve forgotten about it and moved onto the next<br />

topic, which is a little sad. Saying this, the growth of<br />

social media has helped so many photographers and<br />

artists like myself to show their work to the world and<br />

let people enjoy it, instead of it collecting digital dust<br />

on an overpriced hard drive. I love you and hate you<br />

social media.<br />

In terms of self-marketing and social media, several of<br />

your photographs have been regrammed by the Red<br />

Bull Instagram account. Do you think that the<br />

influence of these kinds of brands helped you? With<br />

which brands are you in collaboration now?<br />

Working with brands is all a part of the business I’ve<br />

jolted myself into. Working with Brands and<br />

Magazines, such as O’Neill, Sea Stoke, Fstop Gear,<br />

Zeal Optics, Red Bull, or Billabong, are both a brilliant<br />

way to bring my work to light but also a great way to<br />

help bring a little adventure to alot of people. It’s<br />

amazing seeing how happy people get on social<br />

media just from seeing a cool photo of a wave or a<br />

hiking trail. I love spreading the stoke.<br />

If you’re not out shooting, what are you doing?<br />

At the moment? Typing out my Thesis for college.<br />

Generally? Surfing, sending emails or spending time<br />

with my girlfriend (in no particular order).<br />

What type of music or artist do you listen?<br />

Music my good friend. The band MEW have always<br />

been a great travel companion to me, always in m ear<br />

reminding me of old adventures. Nothing beats a little<br />

old school jazz either…<br />

Finally, what does the future hold for you and your<br />

work and where do you see yourself in five years from<br />

now?<br />

I’ve never been good at telling the future, as you can<br />

see 4 years ago I would have pictured myself as an<br />

engineer in 5 years time. But saying that, I see myself<br />

traveling and spreading my adventures and working<br />

with the best brands and magazines across the world,<br />

no question about it!<br />

Have you got any projects up your sleeve? Any last<br />

word?<br />

I have been doing nothing apart from planning project<br />

for the past 4 months, so yes is the answer, and no I<br />

can’t tell you yet. You will see.<br />

Thanks to my Mom for bringing me to the ocean, and<br />

all the people and companies who have helped me<br />

stay at the ocean.


He makes average waves look good, he makes powerful waves look soft and impossible tube time<br />

look easy. Everything is second nature to him. Half German, half Canarian, globe-trotter …<br />

Considering the way we want to speak about the boardculture in Crumb, it appeared as an evidence to<br />

us to interview Pablo Prieto for first in Water section and that he makes us share his experiences.<br />

By Laurie Cassagnes.<br />

Hey Pablo! Where are you in the world today?<br />

Hi, I am in Fuerteventura at this moment. I live in a<br />

little apartment in the north of the island. Can you<br />

present yourself briefly for the people who might not<br />

know you? That is one of those questions no one<br />

knows what to say… Well my name is Pablo and I am<br />

half german and half spanish. I have grown up most of<br />

my life in the canary Islands, Tenerife. I Studied<br />

Marketing in England and after University I started up<br />

Star Surf Camps together with 2 friends. I love<br />

travelling and the ocean and really enjoying<br />

photography lately as well.<br />

When did you slip on the bodyboard for the first time<br />

and where did that need come from ? When I was<br />

living in Germany ( age 4 -9) I have always dreamt of<br />

Surfing. I think my older brother got me into that<br />

thought. When we moved to Tenerife the first thing me<br />

and my brother wanted to do is surfing, but there was<br />

only enough money for a Bodyboard and many of the<br />

local kids where into bodyboarding. It is a very big<br />

sport in the Canary islands and considered one of the<br />

best places in the world to practice this sport due to its<br />

incredible type of waves. The final Event of The IBA<br />

word tour is also hold here. The Fronton Pro. The<br />

sensations the sport gives you on so many ways was<br />

more than enough to fall in love with the ocean and<br />

the sport.<br />

When did you start bodyboarding professionally?<br />

My first contest was at the age of thirteen. After that<br />

point everything happened fairly quickly. Meeting<br />

others on a same level provides you with the<br />

motivation to improve quickly. With the age of six I<br />

entered the German National Team and started to<br />

challenge myself to compete on European level. I was<br />

still at school at this point and my studies have always<br />

been a priority. Once I finished I had more time to


focus on the World tour to compete on the highest<br />

level.<br />

You even had the chance to sign your own Pro Model:<br />

The Pablo Prieto Arin pro Model. Tell us about that.<br />

How did you work on it, design and technologies wise<br />

?<br />

Throughout your Bodyboarding career you enter many<br />

events, that can be forgotten quickly. Being able to<br />

design my own Signature Model is something very<br />

special to me as a reflection to my achievements. I<br />

have been riding with Arin for 6 years now. And the<br />

relationship I have with the Shaper and owner of the<br />

brand is incredible. We work on different materials<br />

depending on the type of wave and water temperature<br />

trying to increase the performance of the riders. I had<br />

a variety of boards prior of being of Arin. I had a good<br />

idea of what kind of boards I liked in terms of shape<br />

and dimensions. It was friend Amaury Laverne<br />

,French rider from Reunion Island and 2010 IBA Word<br />

Champin Amaury Laverne who helped me finding the<br />

final dimensions of an all round board that should suit<br />

the kind of waves I identify my surfing the most<br />

You did a lot of competitions, which one marks your<br />

memory the most and why ?<br />

I think those done on local territory are very special<br />

due to the support you see on the beach. The actual<br />

waves play a big role as well though. The “Margara<br />

Big Wave Challenge Invitational” in Puerto Rico was<br />

one of my favourite events. I just love that place, the<br />

people and the waves. Being an invitational event and<br />

not part of the World Tour changed the attitude and<br />

atmosphere entirely. Friendship in incredible waves<br />

with only a few people out, combined with a good<br />

result ( 2nd ) is definitely one of my best memories.<br />

Big Hallo to all my friends From Puerto Rico.<br />

Your best wave ?<br />

The best wave is always at home. No matter how<br />

good it gets it will be the one where you have<br />

experienced the most and shared good moments<br />

amongst your friends.<br />

You’ve also travelled a lot, how many continents did<br />

you lay your feet on, how many miles have you been<br />

through? (approximately !)<br />

Wow, made me count now….. North and South<br />

America, Australia, Asia, Afrika and Europe. Miles?<br />

that I could really not tell you ! I would definitely say<br />

that if I have had my frequent flyer cards on me at all<br />

times, I would be considered a very good customer.<br />

A destination, or a culture that you felt the closest to ?<br />

I am a mix of cultures myself and have always felt<br />

comfortable with cultures that have had many foreign<br />

influences in their past .On the other hand every place<br />

has so many incredible things to offer that are so<br />

unique and not found elsewhere. I still have a lot to<br />

discover but once again Puerto Rico is one of those<br />

places I felt like at home. It has the latin, the island<br />

live-style I am used to and a great passion for the<br />

ocean, light-life…..<br />

I heard that you created your own surf camps, what<br />

were your motivations ?<br />

I have worked as a Surf Instructer within Surfcamps<br />

since the age of 17. Every Summer between school or<br />

University I spent my time in the South of France,<br />

Moliets to teach Surfing and Bodyboarding. I love the<br />

sport, the people you meet and the lifestyle. Whilst in<br />

University I met my 2 best Friends and business<br />

partners Joe and Sami who also follow the passion for<br />

the sport. We had similar ideas on how we would like<br />

our future to be, and after 4 years we still live together<br />

working hard every day and enjoying what we do.<br />

Of course there is learning how to surf, skate,<br />

bodyboard… but there are also cultural excursions<br />

organised in big cites close to the camps, and party…<br />

Can you explain the goals you set to achieve thanks<br />

to those activities ?<br />

I guess we try to teach the lifestyle of surfing that<br />

surrounds the sport as much as the technical part of it.<br />

Travelling and meeting people from around the world<br />

who share the same passion is just part of it. Most<br />

people who come to visit us come back and develop<br />

their skills and passion for travelling visiting us in<br />

Indonesia, Morocco and on Fuerteventura.<br />

I’ve heard the lessons your surf camps give are one of<br />

the best ? How do you explain that ?<br />

That is very nice to hear, thank you. I believe in having<br />

teachers who love what they do. These have been in<br />

the sport for many years, travelled the world and<br />

many of them have also competed on international<br />

level. They love to be in the water helping until they<br />

see the satisfaction and excitement of their students<br />

first waves. The students motivation and excitement is<br />

a reflection of the Instructor. Thanks boys.<br />

What are your upcoming projects in the next few<br />

months ?<br />

We have been working really hard on our current<br />

projects. Bali, Morroco and Fuerteventura are our new<br />

destinations and we hope to be able to deliver the<br />

same quality we have been delivering in France so<br />

far.<br />

Is there something or someone you wish to talk about<br />

?<br />

I would like everyone who has not done the sport to<br />

try it. Find the time to escape from routine and find a<br />

passion. Going surfing will always make you smile<br />

and forget about problems.


Capturing adventure and immortalizing the beautiful is the fuel for Adrian’s artistic fire. With a<br />

knapsack on his back, a camera around his neck, and his feet on a skateboard, He illustrates and<br />

photographs people and places that inspire and stimulate astonishing moments, from every corner of<br />

the world. How to do what he does? Go travel, go experience, go live. By Laurie Cassagnes.<br />

Adrian! Can you talk a little about where you grew up<br />

and when you got into art and more especially<br />

photography?<br />

I grew up in Australia on the Gold Coast, well known<br />

for its amazing surf and perfect weather, so I spent a<br />

lot of time outdoors exploring which I guess lead to my<br />

passion for travelling and adventuring later on. My<br />

interest in Photography came from travelling; I<br />

became obsessed with trying to capture the beautiful<br />

and interesting places and situations that I discovered<br />

around me. With art and illustration it is something<br />

that I have always been doing since i was a child; I<br />

have loved drawing for as long as I can remember.<br />

What drew you to life as a photographer?<br />

Travelling! Skating, exploring, cultures, interesting<br />

people, beautiful places… All the things that need to<br />

be shared!<br />

Can you share what visually appeals to you as a<br />

photographer and why you shoot what you shoot?I am<br />

drawn to images that create a feeling or atmosphere<br />

of a place or a moment. Something that feels totally<br />

true and real to the moment, something very organic.<br />

These images are the most interesting for me.<br />

What advice would you offer to photographers that<br />

would like to get into lifestyle photography?<br />

Live! Travel the world, meet interesting people,<br />

explore… Be inspired by your surroundings. It is hard<br />

to understand what to capture if you have not<br />

experienced it yourself.<br />

I know you travel a lot. Where were you in the world?<br />

On how many continents have you laid your feet on? I<br />

have been to every continent except for South<br />

America! (and Antarctica). I first started travelling<br />

around Southeast Asia many times (Vietnam,<br />

Malaysia, Thailand, Philippines, Singapore, Hong<br />

Kong) spent some time in Japan also. I have travelled<br />

in India a few times and spent some time in Sri<br />

Lanka… also apart from that I have spent the last few<br />

years back and forth travelling around many places in<br />

Europe and also down to Morocco. I have lived in<br />

England, Italy, Portugal and Turkey and recently lived<br />

in New York for a few months and travelled around<br />

America in a van. Currently I am living in London!<br />

Hopefully I will continue to travel and learn and gain<br />

new experiences.<br />

How do you feel when you travel when you leave your<br />

hometown? Do you take the travel as a break or a<br />

new adventure?<br />

Everything is always a new adventure I guess, I<br />

haven’t lived in my hometown for 7 years now, so it is<br />

nice to go home, but also good to keep everything<br />

fresh and new at the same time.<br />

Can you explain why you choose Mowgli ?People<br />

started to call me Mowgli because I look a lot like<br />

Mowgli from the Jungle book and I have a crazy love<br />

for animals. I guess it suits my passion for exploring<br />

and adventure aswell so I thought it was the most<br />

fitting name to use for myself!<br />

Which aspects of surfing, skating, travelling and<br />

lifestyle do you try and capture through your<br />

photographs?<br />

I think all of these things have a sense of freedom and<br />

creativity that is an important part to try and capture<br />

as a part of the lifestyle.<br />

Do you skate or surf? Your favourite tricks/spot? I<br />

grew up skating and I can surf but I am really bad! My<br />

two favourite surf spots are in Morocco and Sri Lanka<br />

but they are secret spots don’t want to give it away!<br />

We talk about photography, lifestyle and boardculture.<br />

Beside all of this, there is another part of culture… I<br />

know you love drawing/ painting on the paper/walls…<br />

Can you explain your graphic illustrations/your way to<br />

draw?<br />

My drawings I guess are a way of expressing a more<br />

light hearted and fun side of my brain, everything I<br />

draw tends to be quite twisted and quirky.. i like to try<br />

and make people feel happy and less serious when<br />

seeing something i have drawn or painted on a wall.<br />

Is there a link between photography, boardculture and<br />

art? In your work too?Of course! Alot of my drawings<br />

and photos are influenced by boardculture, from<br />

graphics I see, videos, magazines.. certain things that<br />

are visually connected to Boardculture influence the<br />

images and art that I create.<br />

To close this conversation what is on your MP3 in this<br />

moment ? Your favourite band or music ?<br />

Right now I am listening to Teebs but also have been<br />

listening alot to The Holydrug Couple and Mulatu<br />

Astatke… Three very differents but chilled! Beats,<br />

Psychadelic and Ethiopian Jazz!<br />

Where do you hope to take your talents in the future?I<br />

would like to just keep travelling and learning, taking<br />

photos and creating art and improving what I do and<br />

how to do it. I would love to be involved in a project<br />

where I am able to use my skills to benefit others in<br />

another country that I have visited. I have a really<br />

exciting project like this that I have already pitched<br />

coming up in the next year which is exciting so you<br />

have to stay tuned for that !


MINA<br />

TINDLE


Interview publiée le 16 mai 2012<br />

Le Limier, 1972. Dernier film de Mankiewicz en tant que réalisateur -un de ses réalisateurs préférés.<br />

Elle parle d’un huis clos, d’une belle rencontre entre le théâtre et le cinéma. Milo Tindle, lui, coiffeur,<br />

correspond parfaitement à l’image du parvenu américain, du nouveau riche. Il rencontre le propriétaire<br />

d’une maison immense, une sorte de magnifique manoir, riche collectionneur d’objets de cirque, de<br />

maquettes, disséminées dans toutes les pièces de la demeure. Le film parle d’une lutte entre les deux<br />

hommes, qui se piègent chacun leur tour pour l’amour d’une femme. Si les deux personnages ne<br />

partagent guère plus qu’un nom très similaire, Mina Tindle trouvait que ce dernier sonnait bien. Elle l’a<br />

gardé à cause de sa page MySpace nommée ainsi, de ses premiers concerts joués sous ce<br />

pseudonyme, de même que les premiers articles écrits sur elle. Nous l’avons rencontrée un aprèsmidi<br />

ensoleillé pour l’entendre raconter l’histoire de Taranta, son premier album. Voilà.<br />

Taranta, cela signifie quoi ?<br />

C’est une des dernières chansons que j’ai écrite, qui<br />

n’est pas sur le disque. Je n’ai pas encore eu le temps<br />

de l’enregistrer. Récemment, dans un concert à la<br />

maroquinerie, j’ai invité des amies chanteuses, qui<br />

chantent divinement. J’avais même invité a mère,<br />

mais elle n’a pas osé venir ! Je suis tombée<br />

amoureuse de l’Italie du sud, une de mes meilleures<br />

amies en est originaire. Il y a cette tradition de la<br />

Tarentelle là-bas : cette danse, cette musique<br />

ancestrale propre à cette région. C’est une tradition<br />

transmise oralement, un véritable rite de passage,<br />

que chaque femme apprend différemment. Il s’en<br />

dégage une dimension très spirituelle. Ma mère m’a<br />

raconté des histoires et le fantasme qu’il y a autour de<br />

cette danse, ce qui m’a fasciné au point d’écrire cette<br />

chanson. Les femmes qui travaillaient dans les<br />

champs de tabac avaient des conditions de vie très<br />

difficiles, toute la journée en plein soleil, quand elles<br />

ne se faisaient pas taper dessus ou violer par leur<br />

patron. Mais une fois par an, elles avaient le droit de<br />

danser, dans une sorte de carnaval, ce qui constituait<br />

une véritable libération. Lorsqu’elles dansaient ainsi,<br />

on les qualifiait volontiers de folles, comme si elles<br />

avaient été piquées par une araignée -taranta en<br />

italien, d’où la Tarantelle. Les danses étaient justifiées<br />

pour faire “sortir” le venin qu’elles avaient en elles,<br />

dans une sorte de transe qui pouvait durer des<br />

heures, des nuits entières jusqu’au petit jour, en rond.<br />

C’est une belle image sur la création, l’hystérie et les<br />

femmes que j’ai voulu garder.<br />

Tu as pris ton temps pour créer des morceaux riches.<br />

Comment faire sur scène pour recréer l’atmosphère<br />

de l’album et la complexité de ses arrangements ?<br />

On a essayé d’adapter les morceaux pour la scène,<br />

bien sûr, car les morceaux sont très produits. J’ai une<br />

pédale de loop, pour faire des boucles. L’année<br />

dernière je faisais mes concerts toute seule, j’ai appris<br />

à m’en servir au fur et à mesure. Deux garçons<br />

m’accompagnent au chant. L’un d’eux a une voix<br />

extrêmement aigüe, qui lui permet de chanter presque<br />

toutes les lignes que je chante sur le disque. Olivier<br />

Margueri, des Syd Matters, s’occupe de la session<br />

rythmique. Grace au pads, il balance des séquences<br />

prises du disque, pour donner un peu d’épaisseur. En<br />

étant peu sur scène numériquement, il est difficile<br />

d’habiller les morceaux autrement.<br />

Quel est ton moment préféré pour écrire ?<br />

La nuit. Je ne crois pas encore avoir de déclic ou<br />

d’habitude. Mais la nuit, je peux me retrouver à bosser<br />

sur des enregistrements ou des maquettes et être<br />

hyper heureuse. J’enregistre beaucoup chez moi.<br />

Tu n’écris donc jamais en rentrant, en ayant un peu<br />

bu ?<br />

En général, j’évite de boire quand je bosse seule.<br />

Cela serait un peu triste, non? Quand je bois, c’est<br />

que je suis avec des gens et que je n’ai donc pas<br />

envie de bosser. Parfois, en tant que bonne « geek »<br />

des temps modernes, je me retrouve sur Facebook, à<br />

écouter les morceaux que certains amis musiciens<br />

postent ou à cliquer sur une vidéo de Nina Simone<br />

pour ensuite écouter tous les liens associés. En étant<br />

un peu ivre, avec les images, je trouves presque que<br />

la musique est mieux que d’ordinaire ! J’ai un rapport<br />

bizarre avec les vidéos, Internet. Les gens cliquent, tu<br />

« likent », approuvent sans vraiment regarder, mais<br />

ne prennent pas le temps de regarder. Internet est<br />

complètement chronophage. Passer autant d’heures<br />

devant un ordi, quand on y pense, avec du recul, c’est<br />

c’est un peu ridicule. Ce que je préfère ? Écouter de<br />

beaux vinyles quand je rentre, le soir.<br />

Propos recueillis par Bastien Internicola<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


1995<br />

& LE GARAGE<br />

L’AUTRE IMAGE DU RAP FRANÇAIS<br />

Rencontre/Texte publiée le 15 octobre 2013<br />

Avec un premier album au succès indéniable et une fan-base active sur les réseaux sociaux, le<br />

groupe 1995 a réussi à s’imposer sur la scène musicale française en donnant un nouveau visage<br />

visuel au genre, sur la simple base d’une collaboration artistique avec le collectif Le Garage. Enquête<br />

sur l’ascension de 6 types normaux qui brisent les codes du hip hop hexagonal.<br />

Janvier dernier, l’antre de la (pseudo?) « coolitude »<br />

télévisuelle du Grand Journal accueillait pour son<br />

début d’année non pas une star américaine venue<br />

présenter son dernier single radio ou un groupe<br />

alternatif en pleine ascension mais bien une bande de<br />

potes originaire de Paris-centre, à même pas 10<br />

kilomètres de l’emplacement du studio. Tous affublés<br />

d’un costard bien propre comme il faut, les membres<br />

du groupe de rap 1995 inauguraient leur premier<br />

grand passage télévisuel sous les yeux du “feuprésentateur”<br />

vedette Michel Denisot et de centaines<br />

de milliers de téléspectateurs qui avaient plus<br />

l’impression de voir s’exécuter des jeunes sortant de<br />

la Fac plutôt que des « canailles de banlieue » comme<br />

les à priori bien français l’imposent. Une consécration<br />

pour le groupe et le paysage hip-hop français, tant le<br />

genre a souffert de sa longue marginalisation dans<br />

l’Hexagone. Mais avant de fouler les planches des<br />

médias grand public et de pénétrer dans la sphère du<br />

« cool » (terme en pleine démocratisation ces tempsci<br />

pour le meilleur, surtout le pire), les 6 membres du<br />

collectif ont eu recours à une mini-révolution dans le<br />

genre, aidé d’un bon coup de pied visuel et codifié.<br />

Originaire du Paris plein-Sud, 1995 (un neuf-neuf-cinq<br />

/ un double-neuf-cinq, ndlr) témoigne de l’histoire de<br />

quelques copains qui ont décidé de prendre un micro<br />

pour lâcher des couplets sur leur vie, parfois<br />

insouciante et festive, d’autres fois plus complexe et<br />

lourde de cicatrices. Un rap sincère et direct qui a vite<br />

su toucher une large partie de la population


mélomane française, pas habituellement friande de<br />

hip- hop comme l’on a vite pu le constater. Avec des<br />

productions sortant des carcans rap actuels (gros<br />

synthés, turbines à fond et gangstah feeling) la<br />

démarcation a d’abord été musicale : 1995 revendique<br />

sa passion pour le siècle dernier et ne se gène pas<br />

pour en faire sa marque de fabrique. Usant de<br />

samples tirés des trésors d’il y a 15 ans, ou<br />

s’acoquinant avec des nappes synthétiques plus<br />

modernes où planent arrières-pensées nostalgiques<br />

et passionnées, les 6 MC’s arrivent à se déconnecter<br />

du cercle fermé des ténors du genre, sans pour autant<br />

les rejeter. C’est cette singularité qui a permis au<br />

collectif de rentrer dans les iPod de pas mal<br />

d’aficionados d’autres musiques, tel que la pop,<br />

l’électro, ou parfois même le rock. Il suffit alors de se<br />

rendre à un concert du groupe pour constater la<br />

diversité du public : blancs, noirs, jeunes, vieux,<br />

clubbers, banlieusards ou (parfois) même CSP+<br />

Ne manquait plus qu’un levier majeur à ce coup de<br />

love musical, pour mieux pénétrer dans d’autres<br />

sphères que celui du hip hop français : l’identification.<br />

Avec leur look de parisiens « normaux », leur attitude<br />

propre, et une ribambelle de clips, pochettes et photos<br />

soignées, les 1995 ont très vite, réussi à tirer leur<br />

épingle du jeu par un visuel travaillé et original qui a<br />

amené la bande vers un nouveau public. Car la<br />

philosophie 1995 ne s’arrête pas seulement à des<br />

paroles balancées en l’air, elle se construit sur la base<br />

d’un logo récurrent, de photos à l’esthétique léchée<br />

loin des anciens codes graffs / banlieue / bling et de<br />

clips réalisés avec une portée artistique et<br />

conceptuelle qui a amené le groupe à faire parler de<br />

lui. Qu’ils se fassent trainer par terre pour « La<br />

Flemme », filmer de dos pour « La Suite », ou mettre<br />

en scène dans un stade municipal pour « Flingue<br />

Dessus », les kids intriguent et font parler d’eux.<br />

Même cas de figure pour les pochettes de « La Suite<br />

» et « Paris Sud Minute » – premier album en date –<br />

qui mettent tour à tour le groupe en scène dans une<br />

chambre d’hôtel et devant une épicerie avec sac de<br />

courses à la clé. A tel point que la bande s’est vu<br />

attribuer une étiquette « hype » qui la suit encore<br />

aujourd’hui : taxés de rap de bourgeois, rap de blanc,<br />

ou rap de « midinettes », 1995 se targue de faire ce<br />

qui lui plait, dans un esprit décontracté et détaché des<br />

règles imaginaires des puristes. En clair, l’alchimie<br />

1995 relève plus d’une cassure totale dans les codes<br />

visuels et sociaux du rap français que d’un véritable<br />

blasphème éthique et musical. Mais comment une<br />

simple bande de copains a-t-elle réussi à bouleverser<br />

esthétiquement toute une scène musicale entière ?<br />

Pour y répondre, il a fallu aller un peu creuser au fond<br />

de l’entourage 1995. Jusqu’à ce que notre œil soit<br />

attiré par un petit détail : à la fin de chacun des clips<br />

du groupe, on retrouve un logo apposé le temps d’une<br />

fraction de seconde. Formé d’un triangle surplombé<br />

d’un cercle, le symbole simple et direct n’a pas l’air<br />

anodin. C’est après renseignement que l’on<br />

découvrira que la petite entreprise à l’oeuvre derrière<br />

le fameux “signe” correspond à Syrine Boulanouar et<br />

ses potes du Garage. Formé en 2008 par 5 copains<br />

parisiens, tous sorti des arts décoratifs, Le Garage est<br />

une sorte d’épicentre artistique en plein cœur de<br />

Paris, dans lequel chacun de ses membres se<br />

développe individuellement et spécifiquement<br />

(photographie, réalisation, design, scénographie) tout<br />

en se rejoignant collectivement autour de certains<br />

grands projets. Amateurs de hip-hops et féru d’art<br />

contemporain, il manquait à ces garçons là un déclic<br />

majeur pour lancer la machine : la rencontre avec les<br />

1995 en sera la clé.<br />

Après quelques mails échangés et deux trois coups<br />

de fils passés, nous avons donné rendez-vous à<br />

Syrine (clippeur de la bande et tête principale de la<br />

DA d’1995 avec Antoine Durand et Samuel Lamidey,<br />

mais aussi actuellement en train de réaliser son<br />

premier long métrage) dans ses propres locaux situés<br />

au détour d’une petite rue pavée du cinquième<br />

arrondissement parisien. Le tout accompagné à la<br />

dernière minute de Sneazzy West, membre de 1995.<br />

Installés dans une brasserie parisienne ré-aménagée<br />

en atelier arty un peu bordélique, nous avons pu<br />

aborder la genèse de cette relation fidèle entre Syrine,<br />

le collectif et le groupe. Une rencontre qui a vu le jour<br />

par pur hasard, comme l’explique Sneazzy West : «<br />

J’habite pas loin d’ici, et je suis passé devant les<br />

locaux du collectif en 2007. Du son passait, et en tant<br />

que rappeur sauvage je suis allé toquer. A ma grande<br />

déception je ne suis pas tombé sur des musiciens<br />

mais 4 potes qui buvaient des bières dans des locaux<br />

vides, et qui m’ont invité à les rejoindre». Une amitié<br />

commence à naître entre le musicien et la bande,<br />

jusqu’à ce que les affaires de Sneazzy commencent à<br />

prendre. « Quand 1995 est devenu vraiment sérieux,<br />

on cherchait à faire des clips et j’ai de suite pensé à<br />

eux ». De fil en aiguille, la totalité du Garage va<br />

rencontrer les membres du crew et la collaboration<br />

s’officialisera. « La rencontre avec 1995 correspondait<br />

vraiment au moment où on a décidé de bosser pour et<br />

avec des gens qu’on appréciait vraiment » rajoute<br />

Syrine.<br />

La bande se mettra alors au travail à partir du 2eme<br />

EP La Suite, pour donner au groupe une nouvelle<br />

identité visuelle.<br />

Un travail commun qui s’est révélé extrêmement<br />

productif pour plusieurs raisons. Syrine et 1995<br />

développent d’abord une manière de travailler à part,<br />

puisque elle est basée sur une amitié réelle qui<br />

commence à dater. «L’amitié est venue du travail,<br />

mais elle est sincère. Tout repose sur des discussions<br />

en amont autour des projets. » comme l’explique<br />

Syrine, avant d’ajouter : « On n’a aucune gêne dans<br />

notre manière de bosser qui est assez sauvage. Le<br />

rapport de confiance est génial entre nous. Même si il<br />

y avait des réticences, à partir du moment où l’on<br />

sentait que l’un de nous croyait au truc on l’a suivi. ».<br />

C’est une réelle prise de position par rapport à la<br />

promotion basique, souvent examinée par un label<br />

puis travaillée par les concernés. La base vient du<br />

groupe et du collectif, ce qui permet par la suite de<br />

donner une réelle sincérité au projet et à son univers.


Malgré certains obstacles rencontrés. « On est en<br />

licence chez Polydor, ce qui veut dire que l’on investit<br />

nous même dans tous nos clips, notre merchandising<br />

et nos soirées, c’est le contrat. On travaille bien mieux<br />

tout seul qu’avec des gens qui veulent se faire de<br />

l’argent sur notre dos, sans vouloir cracher sur les<br />

majors» rajoute Sneazzy West, qui tout comme le<br />

reste du groupe se sent très bien dans cette situation.<br />

En outre, passées les nombreuses heures de<br />

discussion collective, une idée en ressort, et la bande<br />

se met alors au travail. « 1995, Syrine ou Le Garage,<br />

on aime les mêmes choses dans tous les domaines,<br />

on a finalement la même passion qui nous poussait à<br />

bien faire notre travail »<br />

Et si le travail se caractérise par une organisation<br />

débrouillarde, le résultat, lui, vient d’une envie bien<br />

précise de la part du groupe et de Syrine. Passées<br />

des années de clips et de visuels aux carcans très<br />

établis dans le milieu hip hop, Sneazzy West et ses<br />

acolytes ont pris la décision de faire changer les<br />

choses : « Après deux années de streets-clips on<br />

avait envie de passer le cap des vidéos de rap<br />

français lambda où l’on voit un mec qui rappe sur un<br />

parking, ça ne nous intéresse plus. On préfère créer<br />

des objets visuels, que ce soit pour nos clips ou nos<br />

pochettes » explique-t-il. Une initiative qui quoiqu’on<br />

dise, a permis au groupe de se différencier : « C’est<br />

clair qu’on a réussi à se démarquer même si on a<br />

souvent pris des risques. On nous faisait souvent<br />

remarquer que nos clips étaient marrants, originaux,<br />

ce n’était pas un hasard. On fait d’abord ça pour nous<br />

».<br />

Résultat des courses, le groupe forme une réelle<br />

identité au projet 1995 grâce à la patte artistique de<br />

Syrine. « Dans une France où les artistes ne font plus<br />

forcement attention à leur image, puisque c’est les<br />

maisons de disques qui gèrent tout, c’est un plus de<br />

faire attention à la leur » montre Syrine, approuvé par<br />

son partenaire (une tendance qui se perd maintenant,<br />

aidé d’un sentiment d’indépendance artistique de plus<br />

en plus présent)<br />

La philosophie 1995 relève d’une proposition<br />

alternative, sans se compromettre dans ses choix et<br />

sa façon de faire : « On passe en radio sans être<br />

dictés par un supérieur, on choisit notre truc sans se<br />

soumettre. C’est super important pour nous. ». Une<br />

façon de faire, et un succès populaire qui n’aurait<br />

surement jamais été autant possible sans l’aide du<br />

Garage et de Syrine, qui défend réellement une «<br />

autre » vision de cette musique : «On fait des choses<br />

que le public rap n’irait pas voir en premier, et c’est<br />

pour ça qu’on a réussi à attirer une autre catégorie de<br />

personnes. Et même dans notre état d’esprit, on<br />

refuse la concurrence. On fait juste nos trucs sans<br />

faire gaffe aux autres, et sans les juger ».<br />

Le succès de 1995 pourrait donc ne pas se résumer à<br />

l’image de « boys band du rap français » que leur ont<br />

collé leurs plus fervents détracteurs, en allant voir les<br />

propositions qu’offre le groupe sur la scène musicale<br />

française. En collaborant avec un collectif artistique<br />

indépendant comme Le Garage et en s’écartant des<br />

codes récents du genre, les 1995 ont montré qu’une<br />

autre formule était possible. Plus urbaine et jeune<br />

peut être, mais tout autant artistique et soucieuse du<br />

détail.<br />

Des valeurs que Syrine défend : « On a des envies<br />

qu’on veut accomplir et on va au bout, peu importe le<br />

style musical. Mais dès qu’on aime bien ou dès que<br />

ça nous inspire, on fonce».<br />

À tel point que le groupe comme le collectif ont prouvé<br />

– en totale indépendance – que malgré les embûches<br />

et les fidèles puristes, une seule façon de penser<br />

pouvait vraiment payer : la sincérité, encore, toujours.<br />

Par Brice Bossavie<br />

Photographie : Améli Monti, pour Crumb<br />

Le travail d’image de 1995 a révélé tout son potentiel<br />

en accompagnant le groupe hors des sentiers du<br />

genre, en se répandant dans les bibliothèque<br />

musicales des non initiés. Attirés par un visuel<br />

intriguant, ainsi qu’une musique fraiche et différente,<br />

ce nouveau public a permis au groupe de prendre un<br />

véritable envol en moins de 2 ans, sillonnant les<br />

festivals français, et cassant les codes sociaux du hiphop.<br />

« Les gens ont pu s’identifier à nous parce qu’ils ont<br />

vu qu’on était des rappeurs qui ne se prennent pas la<br />

tête, dans un milieu où actuellement l’égocentrisme et<br />

le cliche prennent parfois le dessus » explique<br />

Sneazzy avant de rajouter « Ça me fait d’autant plus<br />

plaisir quand une fille de 15 ou 19 ans me dit qu’on lui<br />

a fait découvrir le rap et qu’elle s’ouvre à d’autres<br />

artistes ».


TOPS<br />

Interview publiée le 4 juin 2015<br />

TOPS donnera un concert pour notre plus grand plaisir au Point Ephémère, à Paris le 9 Juin prochain. Ils<br />

y joueront Tender Opposites et Picture You Staring, deux albums rêveurs où l’innocence pop est souvent<br />

rattrapée par la mélancoli, dans un mix ingénieux. Jane, la chanteuse du groupe de Montréal, a répondu à<br />

nos questions via mail transatlantique.<br />

Comment le groupe s’est-il formé ?<br />

Jane : David et moi écrivions et enregistrions des<br />

chansons depuis un bon moment, mais on voulait<br />

jouer avec un batteur. Riley en jouait tout seul dans<br />

notre studio pendant des heures et tous les jours,<br />

alors on lui a proposé de se joindre à nous pour un<br />

jam, ça a tout de suite fonctionné. Du coup on s’est<br />

lancé dans TOPS.<br />

Vous êtes considérés comme un groupe DIY, que<br />

penses-tu de cette référence ?<br />

Nous avons choisi de faire tout nous mêmes, puisque<br />

nous n’avions aucune ressources à nos débuts. Cela<br />

a très bien fonctionné pour nous. Cette classification<br />

fait sens, mais cela peut-être aussi un peu<br />

condescendant – des directions artistiques<br />

mainstream profitent des artistes comme nous ou nos<br />

amis. C’est considéré comme légitime à cause de<br />

l’argent et des paillettes qui vont avec.<br />

Comment as-tu découvert ta vocation de chanteuse ?<br />

J’ai commencé à chanter des titres pour David et<br />

notre ami Sean Nicholas Savage. J’étais très timide<br />

mais j’aimais l’idée de faire de l’art avec eux, c’était<br />

terrifiant au début mais leur attitude très relax et leurs<br />

efforts pour me soutenir m’ont donné envie de m’y<br />

mettre. C’est en montant sur scène que j’ai réalisé<br />

que j’aimais vraiment cela. Puisque je n’avais jamais<br />

chanté auparavant, ma voix était différente des autres<br />

chanteuses, j’aime encore cette idée de pouvoir<br />

développer mon propre style de chant.<br />

Tes études en histoire de l’art ont-elles une influence<br />

sur ta perception de la musique ?<br />

J’ai un intérêt naturel pour l’art et le cinéma qui me fait<br />

traiter tout ce que nous faisons en terme de vidéos et<br />

de visuels à travers ce spectre. Cela rend mon travail<br />

plus gratifiant de me voir comme une artiste<br />

performeuse, l’élément visuel compris dans la<br />

composition de la musique se rapproche plus de l’art<br />

que de la publicité. Il m’arrive aussi de voir des<br />

images cinématographiques dans mon imagination<br />

lorsque j’écris des paroles.<br />

En 2012, TOPS était dans le top album du site de nos<br />

amis Gorilla Vs. Bear, aux côtés de Chairlift et Beach


House, deux autres super groupes leadés par des<br />

voix féminines. Comment perçois-tu l’image<br />

des femmes dans la musique actuellement ?<br />

Les femmes interagissent avec la musique par des<br />

moyens vraiment uniques. Nous ne sommes pas<br />

accablées par les schémas classiques du rock car les<br />

perspectives féminines ne s’y sont jamais reflétées<br />

dans la plupart des cas. Donc en tant que femme, tu<br />

crées quelques chose qui reflète ton unique<br />

perception. Les gens sont attirés par la musique faite<br />

par les femmes.<br />

Par quels liens te sens-tu connectée à la scène<br />

musicale de Montréal ?<br />

Montréal est ma maison. Lorsque nous y sommes, je<br />

passe mon temps à aller à des concerts. Je me sens<br />

membre de cette scène en tant que spectatrice. La<br />

scène a évolué dans le bon sens depuis que j’ai<br />

commencé à jouer dans des groupes, c’est cool à<br />

observer. En ce moment, beaucoup de genres et<br />

d’approches différents semblent coexister<br />

paisiblement, ce qui est très plaisant car j’aime autant<br />

aller à des concerts de punk, qu’aller danser ou<br />

écouter un concert de rock chill. Je suis inspirée par la<br />

musique autour de moi mais en fin de compte, ce que<br />

nous faisons existe indépendamment des évolutions<br />

de la scène de la ville.<br />

Te réfères-tu à des endroits particuliers dans ta<br />

musique ou certains t’influencent-ils dans ton<br />

processus de création?<br />

Dès que je suis chez moi, je m’installe un petit studio<br />

avec mon synthé, une guitare et une boite à rythmes<br />

et j’y passe beaucoup de temps. C’est ici que je<br />

m’entraîne, que j’écris, que j’enregistre beaucoup de<br />

notre travail. Sur la route, je suis inspirée par tout ce<br />

qui m’entoure et je retranscris tout cela dans un carnet<br />

lorsqu’on roule d’une ville à l’autre.<br />

D’où t’es venue l’idée de cette esthétique épurée pour<br />

le clip d’Outside ? La danse est une discipline que tu<br />

pratiques régulièrement ?<br />

Je savais que je voulais faire une vidéo où je<br />

bougeais à travers un espace en exprimant<br />

l’isolement. La chanson est à propos d’une femme<br />

frappée d’ostracisme pour être prise d’une passion.<br />

En commençant à préparer la vidéo, j’ai compris que<br />

je devais préparer mes mouvements donc je me suis<br />

mise à travailler avec Bronwyn Ford et ça s’est fini en<br />

vraie chorégraphie. Je ne suis pas danseuse, il a fallu<br />

que je m’entraîne des heures. L’atmosphère évoque<br />

la tristesse mais les mouvements sont contrôlés et<br />

puissants. Ils reflètent cette prise de responsabilité<br />

que je recherchais via l’écriture de ce titre et son clip,<br />

en adoptant la vulnérabilité<br />

Les histoires que tu racontes dans tes titres gardent<br />

toujours une part de mystère, qu’est-ce qui t’attire<br />

dans l’exercice d’écriture ?<br />

C’est très difficile pour moi de séparer mes<br />

expériences personnelles de mes chansons. Je sens<br />

que j’ai besoin de faire connaître ma perception des<br />

choses, la faire proliférer par le biais de la créativité.<br />

C’est une pulsion que je ne peux pas expliquer. Mais<br />

je fais de la musique pour ça.<br />

Propos recueillis par Alice De Jode


Interview publiée le 15 janvier 2011<br />

Quand la planète hype s’émeut d’une personnalité, on prend toujours une pose suspecte. Soyons au moins honnête,<br />

on a tout entendu sur Uffie : arnaque musicale, absence de performance scénique mais aussi artiste incontournable,<br />

bad girl talentueuse, princesse de l’électro. Nous nous sommes demandé qui elle était vraiment et pour répondre à<br />

nos quelques interrogations, il nous fallait la rencontrer.<br />

Hong-Kong est une terre de contraste. Au modernisme des<br />

centres commerciaux et des gratte-ciel immenses, se<br />

mêlent les coutumes et traditions établies depuis des siècles<br />

par les populations. Un méli-mélo des genres. Beau,<br />

compliqué, tiraillé et éclatant à la fois. C’est ici qu’a grandi<br />

Anna Catherine Hartley, dite « Uffie ». Elle naît en Floride et<br />

passe son temps dès lors à faire (quasiment ou presque) le<br />

tour des États-Unis : Miami, Cincinnati et tant d’autres. Et<br />

puis enfin Hong Kong ! Pas le temps de se poser, de<br />

s’arrêter, de souffler. Pas le temps de se faire des ami(e)s,<br />

de nouer des liens, de s’attacher. Des souvenirs ? Oui.<br />

Ceux des rares instants où elle allait vendre ses poupées<br />

avec sa sœur au marché aux poissons. La ville est grande,<br />

mais sans danger. Les gens sont polis, attentionnés,<br />

prudents, protecteurs. Comment le vit-on quand on est une<br />

enfant que l’indépendance passionne ? On trouve un<br />

refuge. Pour Anna, ce sera la musique.<br />

La suite vous la connaissez, devenue égérie malgré elle,<br />

Uffie a tout connu en peu de temps : le succès, l’argent, la<br />

gloire, l’amour, les voyages et enfin la joie d’être maman.<br />

Cela fait beaucoup pour une seule personne. Alors, il y a<br />

bien évidemment les remises en question, les doutes et…<br />

Sex Dreams And Denim Jeans, un étrange ovni, dont elle a<br />

mis du temps à accoucher – la sortie ayant été repoussée à<br />

plusieurs reprises, après un mariage avec le graffeur André,<br />

un divorce et une grossesse. Étrange objet que cet album,<br />

oui. A première vue, pas grand-chose pour séduire – en<br />

témoigne la voix frêle et ultra trafiquée de la chanteuse –<br />

mais voilà Uffie peut faire des miracles. Qu’elle soit<br />

associée à Pharell Williams, plus sombre sur un Art Of Uff,<br />

signé M. Oizo ou bien mélancolique sur Our Song, la<br />

blondinette dévoile ses facettes. Un ovni en somme qui fait<br />

bon écouter mais que l’on aime détester.<br />

Jamais peut-être un/une artiste électro n’aura suscité autant<br />

de controverses et passionné autant d’ados curieux. Nous<br />

avons tout entendu oui, des critiques les plus sévères aux<br />

éloges les plus grands. Mais tous les témoignages auxquels<br />

nous avons eu à faire portaient en eux le regard de la<br />

passion. Question de contrastes. Et si c’était cela finalement<br />

Uffie ? Un méli-mélo des genres. Beau, compliqué, tiraillé et<br />

éclatant à la fois.<br />

Le 22 octobre, le lendemain de son concert à la Cigale à<br />

l’occasion de la « Uffie Diesel Party », <strong>CRUMB</strong> a rencontré<br />

Uffie. Encore épuisée de sa prestation de la veille, elle nous<br />

a reçu dans les locaux du label Because, pour répondre, en<br />

toute simplicité à quelques questions. En 5 minutes chrono.<br />

(Uffie commence) :<br />

Pour info, je ne suis pas tombée hier soir, sur scène et je<br />

n’étais pas bourrée. J’essayais juste de faire monter une fille<br />

sur scène et j’ai perdu l’équilibre !<br />

Je n’avais pas prévu de t’en parler !<br />

Tant mieux car d’autres ne parlent que de ça. <br />

C’est le boomerang médiatique. Comment tu te situes sur la<br />

scène électro rock française ?<br />

Je ne me situe pas du tout. Par contre, je pense que je suis<br />

probablement une des seules filles à faire de l’électro en<br />

France. Et ça je le revendique.<br />

Est-ce que ton enfance en Chine a influencé ton rapport à la<br />

musique ?<br />

Pas vraiment, cela remonte à trop loin. C’est surtout les<br />

goûts musicaux de mes parents qui m’ont influencé.<br />

Il paraît que tu es en train de préparer un album « rock ».<br />

Oui, façon de parler. Mais il va resté très électro. Avoir joué<br />

mon album actuel en live m’a appris beaucoup de choses<br />

sur ma manière de travailler. Pour le prochain, j’aimerais<br />

utiliser beaucoup plus d’instruments. Il y aura donc, oui,<br />

même si cela reste très électro, un côté plus « rock ».<br />

Comment appréhendes-tu ta carrière, maintenant que tu es<br />

maman ?<br />

Cela ne se passe pas très bien. Particulièrement ces tempsci.<br />

Mais chaque jour est différent. Malheureusement, je ne<br />

peux pas être là tous les jours pour mon bébé donc j’essaie<br />

juste d’apprécier autant que je peux les moments que je<br />

passe avec. J’arrêterai un jour la musique pour ne<br />

m’occuper que d’elle. Pour l’instant je ne peux pas.<br />

Nicolas Cassagnes (et Thomas Carrié)


NICOLAS<br />

COMMENT<br />

Interview publiée le 20 novembre 2010<br />

Tout est dans le regard. Noir, avec une pointe de malice. Nicolas Comment a emprunté la poésie à<br />

Manset, le dépouillement à la New Wave et les phrasés subtils à Gainsbourg. Ce qu’il a fait de tout<br />

ça ? Un univers mystérieux, mélodique, instantané. Comme en photo. Ca tombe bien, photographechanteur,<br />

voilà ce qu’il est…<br />

Pouvez-vous nous parler de votre rapport<br />

image/musique ? On voit souvent des chemins<br />

artistiques se croiser dans la vie de certaines<br />

personnes. Or le passage de la photographie à la<br />

musique est assez inédit…<br />

C’est vrai… Mais dans les deux cas, il s’agit d’un<br />

travail d’auteur, avant tout artistique. Pour moi, jusqu’à<br />

présent, l’image l’avait emporté sur tout le reste. Et<br />

au-delà de la photographie, c’est la publication, le livre<br />

de photos qui me plait depuis toujours, les bouquins<br />

de Depardon des années 80, notamment. Toute<br />

l’histoire de la photo s’est faite pour moi à travers le<br />

livre. De l’autre côté, le disque en lui-même me<br />

fascine, notamment certains albums concepts qui sont<br />

vraiment singuliers. Plutôt qu’un rapport<br />

image/musique, j’entretiens un rapport à l’objet.<br />

Mais dans vos textes, vous suggérez des images…<br />

Oui complétement ! D’ailleurs, mon équipe de<br />

production m’as plusieurs fois répété : « Mais<br />

pourquoi tu ne mets pas tes photographies dans la<br />

pochette de l’album ? ». Tout simplement parce que<br />

les images sont dans les textes. Rajouter une<br />

nouvelle image par-dessus me paraissait excessif. Et<br />

puis je ne me sens pas capable d’illustrer les images<br />

qui sont produites par les textes et la voix. Je l’ai déjà<br />

fait il y a quelques années, à travers un premier EP,<br />

sorte de mini album concept sous la forme d’un livre<br />

photo sur Berlin. Pour cet album, je tenais au contraire<br />

à ne pas tout mélanger.<br />

Est-ce que l’on peut dire que vous écrivez des<br />

chansons comme des instantanés ? Et, si vous n’étiez


pas passé par la photographie, auriez-vous eu la<br />

même approche dans le travail au texte ?<br />

Je ne sais pas. Je dirais qu’il y a certainement dans<br />

mon travail, une influence de la photographie mais<br />

une fois dans le réel. C’est-à-dire que quand j’écris, je<br />

rédige par petites notes. Il s’agit généralement de<br />

choses vécues, en grande partie, et puis après je tire<br />

vers la fiction. Un peu comme en photo, oui. Je pars<br />

du réel, d’une image réelle mais je tends à lui donner<br />

une dimension onirique. En tout cas il y a bien un côté<br />

instantané car j’écris très vite les textes, en cinq<br />

minutes, c’est léger, même si je peux passer après<br />

plusieurs heures à les travailler. Mais au delà, pour<br />

moi, le lien, l’approche évidente entre la photographie,<br />

l’instant photographique et le travail musical est<br />

l’enregistrement. Walter Benjamin parle bien<br />

d’enregistrement dans L’Œuvre d’Art et la<br />

Reproductibilité. Pendant un enregistrement musical,<br />

on fait une prise voix ou instrumentale de la chanson<br />

– même si on peut tricher en faisant plusieurs prises<br />

et en collant les morceaux – et on l’écoute après. On<br />

peut l’écouter, la réécouter, des dizaines, des<br />

centaines de fois si la chanson nous plaît. C’est pareil<br />

pour la photographie : on immortalise une image dans<br />

l’instant mais on peut la revoir de la même manière<br />

des dizaines et des dizaines de fois. Donc oui, il y a<br />

fatalement un lien, une influence directe de la<br />

photographie sur le travail au texte mais je n’ai pas<br />

vraiment cherché à le mettre en avant.<br />

Est-ce grâce à votre rencontre avec Rodolphe Burger<br />

et Marc Collin, le producteur de Nouvelle Vague que<br />

le déclic musical s’est fait ?<br />

C’est une longue histoire… J’ai rencontré Rodolphe il<br />

y assez longtemps. C’est lui qui m’a permis de faire<br />

une première démo. Entre temps j’ai rencontré un<br />

autre producteur, Jean-Louis Pierot (des Valentins,<br />

ndlr), qui a produit le CD livre sur Berlin. Et après<br />

seulement j’ai rencontré Marc qui m’a tout de suite<br />

proposé de faire un album. Jusque-là je ne faisais que<br />

flirter avec l’idée…<br />

Et votre rapport à Gainsbourg ?<br />

(Sourire). On m’en parle beaucoup.<br />

C’est à cause de la voix je crois. Qu’est-ce que je<br />

peux dire ? J’adore son travail, c’est magnifique.<br />

Notamment Melody Nelson. Ces chansons sont des<br />

chefs d’œuvre mais je n’essaie absolument pas de<br />

l’imiter, alors comme je le sais j’ai mis sur l’album une<br />

chanson un peu clin d’œil qui s’appelle Variations Sur<br />

Unika. Histoire de dire « Ok, je suis au courant que ça<br />

peut faire penser à Gainsbourg, mais ce n’est pas<br />

Gainsbourg, il n’y a pas d’imitation ». Et finalement,<br />

en y regardant de plus près, l’influence n’est pas<br />

tellement gainsbourienne, mais plutôt du côté de<br />

Manset, même s’il y a des thématiques à la<br />

Gainsbourg, peut-être de l’érotisme sous-jacent…<br />

En tout cas, c’est une référence que je n’assume pas.<br />

Qui peut l’assumer ? C’est un géant !<br />

Propos recueillis par Thomas Carrié<br />

Pour les besoins de la mise en page, l’interview a pu être raccourcie ou<br />

écourtée de certains passages.


CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES<br />

ET ICONOGRAPHIQUES ©<br />

L’ensemble des photographies mises en page dans cette publication restent et<br />

demeurent la propriété de leurs auteurs respectifs.<br />

Photo de couverture : Anna Francesca, photographiée par Michael Dürr.(Anna<br />

Francesca @Body and Soul, Make Up & Hair : Lydia Bredl @ Talent Drag, avec<br />

M.A.C Cosmectics, retouche digitale : Katharina Schmalzhofer – photo extraite de<br />

la série initialement publiée sur C-Heads magazine le 4 octobre 2015)<br />

Vampire Week-end : XL Recordings (visuels presse) pages 15 et 17<br />

Madlib : Simon Betite, pour Crumb magazine, page 18<br />

Sky Ferreira : Terry Richardson, page 23, Jason Lee Pery double-page 24 et 25<br />

(photographie extraite de la série initialement publiée dans ASOS magazine, juillet<br />

2013), stylisme : Zeba Lowe, MakeUp : Gloria Noto, Hair : Alex Pollilo<br />

Grünt (Jean Morel) : Simon Betite pour Crumb magazine<br />

Austra (Katie Stelmanis) : Pauline Darley, pour Crumb magazine<br />

AlunaGeorge : Fiona Garden (visuel presse) page 36 et Simon Betite, pour<br />

Crumb magazine page 38 (photo extraite du portfolio du concert d’AlunaGeorge<br />

au Nouveau Casino, à Paris, en mai 2013, réalisé par Simon Betite et publié par<br />

Crumb le 10 mai 2013).<br />

Metronomy : Mathieu César pour Crumb magazine pages 45, 46, 47 et 49 et<br />

Pierre & Florent pour Crumb magazine page 50<br />

Bertrand Burgalat : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb<br />

magazine, page 53<br />

Michael Fassbender : Alice Hawkins, page 56, représentée par Patricia<br />

McMahon (photographie initialement publiée dans Esquire UK, juin 2012)<br />

Sébastien Tellier : Julot Bandit, représenté par Florence Faisan, pour Crumb<br />

magazine page 59 (photo initialement publiée en couverture édition .pdf digital de<br />

Crumb magazine n°13, mis en ligne le 17 mars 2012)<br />

Jungle : Mike Massaro, page 63<br />

Django Django : Pavla Kopecna, page 65<br />

Philippe Katerine : Visuel Presse, « Magnum », Philippe Katerine, page 76<br />

Busy P (Pedro Winter) : Julot Bandit, représenté par Florence Faisan, pour<br />

Crumb magazine, page 83<br />

Iggy Azalea : visuel presse, page 85<br />

Salut C’est Cool & Flavien Berger : visuel Salut C’est Cool facebook page 89<br />

Jagwar Ma : Visuel presse, Jagwar Ma page 92<br />

Hanni El Khatib : visuel presse, Hanni El Khatib, page 96<br />

Ayo : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 98 et Yann orhan page 109<br />

MØ : Thomas Skou (visuel presse), fourni by The Windish Agency, page 110<br />

Hinds : Bella Howard, page 112 (Nylon magazine), visuel presse Ping Pong<br />

double page 114/115 et Ryan Kenny, page 117 (photographie initialement publiée<br />

sur le site web du magazine Oyster, avril 2015)<br />

Foxygen : visuel presse, page 119<br />

Ödland : Ödland, photo officielle fournie par le groupe, page 121<br />

Dominique A : Pauline Darley, assistée de Maxime Stange, pour Crumb<br />

magazine, page 122<br />

The DØ : L.R - Dan Levy & Olivia Merilahti (visuel presse fourni par Six Degree<br />

Records), page 133<br />

Soko : Diane Sagnier, pour Crumb magazine<br />

Barbara Carlotti : Serge de Rossi, Atmosphériques, page 138<br />

Bertrand Belin : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 150<br />

BØRNS : Hobbes Ginsberg, page 143 (photographie initialement publiée sur le<br />

site web du magazine BEAT – thebeatjuice.com, janvier 2015)<br />

Alt-J : Yann Morrisson, pour Crumb magazine, page 144<br />

Zella Day : Jared Kocka / GAP, page 156<br />

Yuksek : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 159<br />

Stromae : Koury Angelo, page 163<br />

Electric Guest : Diane Sagnier pour Crumb magazine, page 165 (photo<br />

initialement publiée en couverture édition .pdf digital de Crumb magazine n°9, mis<br />

en ligne le 16 juillet 2011)<br />

The Dodoz : Alexis Pech, pour Crumb magazine, page 167<br />

The Shoes : Diane Sagnier pour Crumb (photo initialement publiée en couverture<br />

édition .pdf digital de Crumb n°13, mis en ligne le 17 mars 2012), page 169<br />

Disclosure : Mike Massaro, Disclosure, page 175 et double page 176/177<br />

London Grammar : Lindsey Byrnes, page 180<br />

Klub des Loosers : Laurent Nalin (Collectif 5.6) pour Crumb, pages 182 et 185<br />

Rodrigo Amarante : Yann Morrison, pour Crumb magazine, page 186<br />

Jackson Scott : Fat Possum Records (visuel presse)<br />

HAIM : Ben Rayner, page 192 (stylisme : Lauren Blane, été 2012) et Katrina<br />

Dickson pour Jesse Kamn, page 194<br />

Mikhael Paskalev : Visuel presse, Universal, Mikhael Paskalev, page 203<br />

Natalie Prass : Ryan Patterson, page 205<br />

Alan McGee : Justin Sutcliffe (photographie initialement publiée sur le site web du<br />

Telegraph, novembre 2013, visuels Creation Records, tous droits réservés et<br />

NME (archive), page 209<br />

Robi : Frank Loriou, page 212 et Justine Tellier, pour Crumb, page 215<br />

Gunther Love : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 217<br />

Destroyer : Visuel presse, Merge Records, Dan Bejar/Destroyer, page 221<br />

Franz Ferdinand : David Edwards, Franz Ferdinnd (visuel presse), page 233<br />

CHVRCHES : Justine Tellier pour Crumb magazine, page 235<br />

PHOTO (groupe) : Jean-Philippe Lebée, page 238<br />

Charlotte OC : Burak Cingi (visuel presse) page 241<br />

Twin Twin : Enzo Addi (photographie extraite du portfolio du groupe, par Enzo<br />

Addi, publié le 25 novembre 2013, lors d’une journée spéciale « Twin-Twin),<br />

assistant photo : Kamel Bentot, stylisme : Edem Dossou, assistante stylisme :<br />

Bénédicte), page 245<br />

Hollysiz : Éric Guillemain / Grazia, page 249 (photographie initialement publiée<br />

sur le site web du magazine Grazia, août 2014) & Dimitri Coste, page 251<br />

Jain : Visuel Come / Carcasse / Columbia Records / Jain, page 252<br />

Émilie Simon : Lisa Carletta (visuel presse), page 262<br />

Charlie Winston : Andrew Gura (visuel presse), page 266<br />

La Fiancée : Charlotte Marcodini (visuel presse), page 268<br />

Lulu Gainsbourg : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 270<br />

James Vincent McMorrow : Yann Morrison, pour Crumb magazine, page 272<br />

Ben Howard : Diane Sagnier, pour Crumb magazine, page 275<br />

Mina Tindle : Fox and Favour / Mina Tindle, page 288<br />

1995 : Améli Monti, pour Crumb magazine, page 291<br />

TOPS : Rebecca Storm, page 295<br />

Uffie : Paul Blau page 296 et Ysa Pérez, double page 298 et 299<br />

Nicolas Comment : autoportrait, Nicolas Comment, page 301<br />

-<br />

Séries par Miranda barnes I (pages 40-43) et II<br />

Série par Lisa Boostani<br />

Série Madagascar<br />

Série Bleu<br />

Série Sunbathing<br />

Série Améli Monti<br />

Série boardculture<br />

Pages <strong>CRUMB</strong> et Michel Gondry<br />

Les séries reproduites ont été reprises telles quelles pour reprduction, avec les<br />

crédits associés.<br />

Les photographies du concert du groupe « Eagles Of Death Metal » au Bataclan le<br />

13 novembre 2015 sont de Manuwino. Le photographe les met à disposition, sur<br />

simple demande, pour toute publication à usage non commercial, sans<br />

modification, recadrage ni retouche supplémentaire.<br />

Contact : www.manuwino.com<br />

Tout oubli de mention de crédit photographique sera rétabli sur simple demande.<br />

Pour tout contact, merci décrire à hello@crumbmagazine.com<br />

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lancée sur KisskissBankBank en 2012.<br />

Malgré le lancement du nouveau site internet, votre soutien et pour des raisons diverses et des choix personnels, le projet papier n’avait pu alors<br />

aboutir. Merci cependant de nous avoir permis d’y croire et d’avoir rendu possible cette collecte.<br />

Aux quelques personnes qui ne nous ont toujours pas contacté pour toute demande de remboursement,<br />

merci d’écrire à hello@crumbmagazine.com<br />

Vraiment merci.<br />

À Adèle Miqueau, Adélaïde Michel, Adeline Pelle, Adrien Delaude, Agathe Bonin, Alain Gec, Alain Rakoto, Albane Leclerc, Alena Gapanova,<br />

Alexandre Fantin, Alexandre Santini, Alexandre Schwalberg, Alexandre Silberman, Alexis Baillia, Alexis Choque, Alexis Daguet, Alice Giu, Alix<br />

Charvon, Alix Lassaigne, Alizée Thily, Allison Toutain, Aloÿse Mendoza, Amélie Jelinek, Amélie Simonetti, Anaëlle Le Bouëdec, Anaëlle Kopff,<br />

Anaïs Denis, Anaïs Gningue, Anaïs Sans, Angela Netchak, Angélique Brochery, Angélique Daydou Dumont, Anaïs Coste, André Manon, Angela<br />

Pascale, Anicée Willemin, Anja Dimitrijevic, Anna Pavie, Anne-Cécile Kovalevsky, Anne-Hélène Dénécheau, Anne-Laure Dhooge, Anne<br />

Hervouët, Anne Pelletier, Anne-Sophie Leroux, Anne Terrin, Antony Celotto, Antoine Aubert, Antoine Giana, Antoine Haurant, Antoine Le<br />

Troadec, Antoine Ormières, Anton Muller, Armand Szpira, Armelle Bellenger, Arnaud Devigne, Arnaud Marchès, Arnaud Vanjak, Arthur Bois,<br />

Arthur Chassin, Arthur Duponnois, Arthur Pillu-Perrier, Audrey Desgrange, Aurélia Noudelmann, Aurélie Aldebert, Aurélie Ferry, Aurélien Habiak,<br />

Aurore Chavet-Henry, Asphodèle Berthelot-Eiffel, Axelle Mouren, Baptiste Juguera, Bastien Lefeuvre, Béatrice Vallone, Benjamin Dupuis,<br />

Benjamin Pincemaille, Benoit Le Guevel, Bérangère Taberkane, Bérengère Vellay, Boris Collet, Brice Roumiguière, Brigitte Thebault, Brown<br />

Sugar Shapes, Bruno Alexandre, Camille Ballon, Camille Chanial, Camille François, Camille Raveau, Camille Rudeaut, Carine Chevanche, Carole<br />

Legranche, Caroline Giraud, Caroline Marty, Caroline Moreau, Caroline Muller, Caroline Span, Caroline Tribut, Catherine Dorr, Catherine Nicolas,<br />

Cathy Cassagnes, Cécile Ballon, Célie Fromentin, Céline Bischoff, Cécile Pascaud, Cécile Tollu-Polonowski, Céline Ducreux, Céline Dutreux,<br />

Céline Ressouche, Charlène Pommier, Charles Gauthier, Charles-Vincent Lemesle, Charline Buda, Charline Salles, Charlotte Birenbaum,<br />

Charlotte Caron, Charlotte Castaing, Charlotte Retaggi, Charlotte Rivière, Charlotte Vessereau, Charlotte Tisserant, Charly Derouet, Chloé<br />

Ganiayre-Fontanille, Chloé Robineau, Christian Gervais, Christiane Bossavie, Christine Parietti, Christophe Cayre Eilebrecht, Christophe<br />

Salpetrier, Claire Delaleau, Claire-Hélène Frileux, Clara Paradas, Clara Soucadauch, Claire Lacquement, Clément Fortin, Clémentine Lévy,<br />

Clément Le Cornec, Clément Parchini, Côme Fradetal, Constance Meyer, Corentin Riffault, Corentin Visalmon, Cyrielle Leval, Damien Berret,<br />

Damien Fraulob, Daniel Yiu, David Attali, David Doutreleau, David Lavenant, Davic Loicq, Delphine Lecoeuvre, Diane Maffre, Diane Touren,<br />

Dimitri Clouet, Donatienne Vaute, Dorian Lagarrigue, Edith Cubedo, Emmanuel Griffon, Emel Roche, Élodie Lafaurie, Élodie Sellier, Élisa Routa,<br />

Élisabeth David, Élise Fraisse, Élodie Tann, Elsa Hassanaly, Elsa Prost, Emmanuelle Fort, Emmanuel Creutzer, Emmanuel Navarrete, Émilie<br />

Butel, Émilie Quentin, Éric Cerram, Éric Gras, Estelle Diloi, Estelle Maitre, Étienne Adelin, Étienne Bianco, Eva Maréchal, Étienne Martin, Fabien<br />

Coudon, Fabien Gallet, Fabienne Fourquet, Fanny Artola, Fanny Caignard, Fanny Houët, Ferielle Laieb, Flavie Monraisse, Flore Dutronc, Florent<br />

Garreau, Florence Chapuis, Florence Le Corre, Florence Levasseur, Florent Gaignon, Florent Morel, Florence Perlès, Floriane Aubry-Martoretti,<br />

Florian Grangier, Floriane Gillette, Floryse Menu, Fouzy Mathey, François Albert, François Cattelin, François Keul, Frank Loriou, Fred Hoareay,<br />

Frédéric Moreau, Frédéric Saudemont, Fulvio (chez Kitsuné), Gabriel Cancio, Gaëlle Saladin, Gauthier De Bock, Georges Baur, Gérald<br />

Brousselle, Géraldine Cowburn, Gisèle Carrié, Gisèle Lescuyer, Grace Libissa, Grégoire Combes, Guillaume Backert, Guillaume Fontana,<br />

Guillaume Maurey, Guy Mazaraguil, Gwendal Perrin, Gwenn Ledoyen, Harmony May, Héléne Angélina Médori, Hélène Jartoux, Hélène Stouff,<br />

Héloïse Gainié, Hervé Colleau, Idris Hassim, Ilonka Van Gerven, Imad Bousaid, Insolence Productions, Iphise Esmieu, Isabelle Bouffier, Isabelle<br />

Champigneulle, Jacques Pezet, Jade Sequeval, JB Le Tétour, Jean-Alain Le Borgne, Jean-Claude Cassagnes, Jean-Cyril Romagne, Jean-Éric<br />

Menezes, Jean-François Frontera, Jean-François Mosca, Jean-François Pot, Jean-Jacques Micheli, Jean-Paul Formisano, Jean-Pascal Schmitt,<br />

Jean-Yves Salasca, Jeanne Le Garrec, Jeanne-Marie Manaranche, Jérémy Bacon-Dubous, Jérémie Bottolier-Lemallaz, Jérémy Crohet, Jérémy<br />

Fernandes, Jérémy Pinheiro, Jérémy Rasori, Jérôme Sujkowski, Jéromine Hoiry, Jimmy Frade, JL Le Guillou, John Yves Bihan, Jordy Cazalot,<br />

Joséphine Barthélémy, Joséphine Klüft, Ju Planchard, Julia Losfelt, Julianne Lagadec, Julie Brianti, Julie Landes, Julie Lam, Julie Le Fouler, Julie<br />

Le Godinec, Julie Lux, Julien Baveye, Julien Damiano, Julien Garcia, Julien Legrand, Julien Loisy, Juliette Ballon, Juliette Colladant, Juliette<br />

Iriarte, Justine Le Bourvellec, Kenyon Manchego, Kévin Bouasy, Kévin Colin, Krystian Carrié, Laëtitita Dana, Lambert Perera Corte, Laura<br />

Belconde, Laura Boisset, Laura Chabbert, Laura Gouby, Laura-Lou De Jesus, Latifa, Zériahène, Laurence Morani, Laureen Robert, Laurent<br />

Austin, Lauriana Mathieu, Léa Habourdin, Léa Leblanc, Léa Lemoine, Léa Picot, Léa Porré, Léa Rérolle, Léa Schneider, Léo Beaufils, Léo<br />

Choisy, Léonie Loff, Lina Lahlou, Lionel Rault, Lorraine Nyagiro, Loïc Bérenguier, Loïc Bocat, Loïs Boucherf, Louana Marmé, Lou-Eve Repussard,<br />

Lou Girard, Lola Menou, Lola Pillu-Perrier, Louis Brillot, Louis Chaudré, Louis Mounis, Louis Miette, Louis Plat, Lucas Hoerenburg, Lucie Dahan,<br />

Ludivine Célié, Ludye Lawson, Lulla Tramp, Lydie Ramond, Lysian Beaume, Madeleine Zerbato, Magali Balagué, Magdalena Boguszewski,<br />

Manon Laporte, Manon Trescazes, Manuela Rey, Marie du Doigt, Marie-Amélie Tondu, Marie-Anne Cabocel, Marianne Bendera, Marie-Christine<br />

Brossard, Marie-Hélène Chimisanas, Mariette Phulpin, Marilou Caravati, Marion Colombani, Marion Coindeau, Marion Gaboriau, Marion Pallice,<br />

Marius-Thomas Saint-Ferrère, Marine Bosse, Marine Monbeig, Marie Mordacq, Marion Papillon, Marine Sulmont, Maïté Galindo, Margaux Criou<br />

Petyt-Davaille, Mariska Jorel Seve, Martial Buisson, Martin Le Bozec, Mathias Prost, Mathieu Abadon, Mathieu Cruz, Mathieu Sorosina, Mathieu<br />

Doligé, Mathilde Bellier, Mathilde Brèches, Mathilde Cerqueira, Mathilde Delhomme, Mathilde Djamdjian, Mathilde Hyvon, Mathilde Queguiner,<br />

Matthieu Kermaidic, Maud Borredon, Maud Caillaux, Maxim Bragoli, Maxime Gauthier, Maxime Guedj, Maxime Stange, Maximilien Stern, Mehdi<br />

Moudafi, Mélanie Latran, Melville Bouchard, Mélina Victor, Michael Uras, Michel de Bray, Michele Marcolungo, Morgane Gau, Mourad (Street<br />

Rules), Nao Halbmeyer, Nassima Zetchi, Nathalie Bastide, Nathalie Jeauffret, Nicolas Corbay, Nicolas Traino, Nicole Gervais, Niels Janin,<br />

Nolwenn Turlin, Octave Duros, Octavie Toublanc-Lambault, Olivier Cron, Olivier Mukiandi, Ombline Le Lasseur, Ophélie Aubert, Ophélie<br />

Duchemin, Ornella Grange, Pablo Berckmans, Pascal Bernard, Paul Deparis, Paul Markovic, Pauline Angeli, Pauline Celle, Pauline Darley,<br />

Pauline Malier, Patrick Simonetti, Perrine Le Saux, Philippe Chaudré, Philippe Hermann, Pierre-Brice Haurie, Pierre Casanouve-Soulé, Pierre<br />

Chevassus, Pierre Dumazeau, Pierre-François Galpin, Pierre Petit, Pierre Poumet, Pierre Saba-Aris, Pierre Schollier, Priscilla Régis, Priscille<br />

Pélissié, Quentin Avila, Quentin Billon, Raphaëlle Gibert, Rémi Peltier, Rémi Portuese, Rémi Vicini, Robin Buccholz, Romain Bernardon, Romain<br />

Hubert, Roman Couder, Rose-Marie Gohiec, Rose-May Philippe, Roxanne Auriel, Ruben Kjærgaard, Sabrina Benlemqawanssa, Saldyne Dam,<br />

Salomé Lglt, Sarah Bonnetat, Sarah Diep, Sarah Fauconneau, Seb Marquet, Séverine Boualit, Séverine Buzala, Simon Legros, Sinclair<br />

Ringenbach, Sixtine Mignot, Soizic Bour, Sophia Mathieu, Sophie Hellégouarch, Sophie Yang, Steeve Bauras, Stéphane Baumet, Stéphane<br />

Brassier, Stéphane Contencin, Stéphane Rebière, Stéphanie Boubli, Stéphanie Garrec, Suzanne Copinn Sylvie Meyer, Tiep Khuc<br />

Centre, Tiphaine de Trogoof, Théo Fevez, Théo Haggai, Thibaud Chaufourier, Thibault Fagu, Thibault Pailloux, Thierry Leriche, Timothée<br />

Chesnin, Thomas Azzuro, Thomas Lavernhe, Thomas Pomarelle, Thomas Rasoanaivo, Thuy-Vi Nguyen, Tristan Libersat, Tristan Silhol, Ursula<br />

Herman, Valentin Coutant, Valentine Touzet, Vanessa Beato, Vanille Bouyagui, Vanina Escoubet, Vickie Guyader, Victor Biscotte, Victor Girod,<br />

Victor Pillet, Victor Vinet, Vincent Portet Sullà, Vincent Lim, Vivian Crettol, Violaine Charbonnier, Virginie Commes, Vivien Morgat-Brunet, Xavier<br />

Beiger, Xavier Gonzalez, Yanis Vandenberghe, Yannick Lailler, Yannick Taranco, Yao-Wei Huynh, Yoann Masson, Yohann Schütz, Younn<br />

Postec, Zineb Bouderka, Zoltàn Balàzs


Édition propulsée digitalement par Yumpu<br />

Directeur de la publication et représentant légal : Thomas Carrié<br />

Relecture : Marie Chaslin-Folio<br />

<strong>CRUMB</strong> Média, <strong>CRUMB</strong> magazine et le logo <strong>CRUMB</strong> sont des marques déposées.<br />

Tous droits réservés.<br />

www.crumbmagazine.com


Pendant plus de 5 années, <strong>CRUMB</strong> a construit son histoire sous forme de<br />

fanzine digital, brouillon et bouillonant, mené par une bande d’amis aux<br />

envies pleines d’imperfections. De ce grand brouhaha amateur est resté<br />

beaucoup de souvenirs musicaux et humains, des rencontres et<br />

quelques mots. Comme un territoire d’expression privilégié et sans<br />

pretention, par des rendez-vous donnés à de nombreux artistes de<br />

toutes les scènes : de Vampire Weekend à Barbara Carlotti, en passant<br />

par Madlib, Iggy Azalea, Austra, Dominique A, Alt-J ou encore Michael<br />

Fassbender…<br />

C’est aussi l’histoire d’un magazine web qui a connu des évolutions de<br />

forme, de style, de directions (avec ou sans fautes d’ortographes). On y<br />

vit surgir dans des interviews fleuves des révélations de la scène<br />

musicale française, comme Robi, les confessions d’initiatives militantes<br />

hip-hop de Grünt, des discussions psychédéliques avec Sébastien Tellier<br />

ou des rêveries échangées avec Destroyer. On y vit aussi le travail de<br />

jeunes talents de la photographie, qui ont accompagnés l’aventure en<br />

long, avec ses bouts de rien.<br />

Ce book digital retrace le fil rouge de ces cinq années, en 312 pages et<br />

plus de 70 interviews, riches en photos et en mots. Comme une trace<br />

laissée, minime et naïve, de ce que <strong>CRUMB</strong> était.<br />

312 pages - 72 interviews.<br />

<strong>2016</strong>, Crumb magazine © 2010-2015 - www.crumbmagazine.com

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