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C<br />

l i t t é r a t u r e C A N A D I E N N E<br />

ENTREVUE<br />

CRAIG DAVIDSON<br />

Des écureuils<br />

et des hommes<br />

Craig Davidson explore dans Les bonnes<br />

âmes de Sarah Court un complexe<br />

d’habitation dont la banalité n’est<br />

qu’apparente. La cour du voisin recèle des<br />

drames que nous ne soupçonnons pas,<br />

suggère l’écrivain canadien grâce à une<br />

écriture élégamment baroque, sculptant<br />

dans la grisaille d’un morne lotissement<br />

une tragique vision de l’existence en tant<br />

qu’irréversible saut de l’ange dans l’eau<br />

trouble de la culpabilité et du regret.<br />

Par Dominic Tardif<br />

© Kevin Kelly<br />

12 • LES LIBRAIRES • DÉCEMBRE 2015 - JANVIER 2016<br />

Wesley Bryant Hill, premier véritable narrateur avec lequel nous faisons<br />

connaissance dans Les bonnes âmes de Sarah Court, arrache aux eaux du<br />

Niagara les suicidaires et les trompe-la-mort qui y échouent après une<br />

longue chute. Il faut bien gagner sa vie, non? « Ce que je repêche de la rivière,<br />

c’est la mort à l’état pur, observe-t-il. Sans fioritures et pourtant tout à fait<br />

naturelle à sa manière, dans la mesure où la nature<br />

revêt souvent des formes étranges. Des hommes pliés<br />

à des angles qui défient l’entendement. La pression,<br />

c’est une vraie garce. »<br />

Un beau matin, Wesley invite donc son fils à<br />

accompagner papa au boulot, pour un exercice<br />

de simulation. Est-ce cette perturbante scène qui<br />

instillera dans l’esprit du jeune homme ce funeste<br />

désir pour les cascades qui, quelques années plus<br />

tard, le transformera en Evel Knievel bon marché? Le<br />

père a-t-il malencontreusement planté dans le cœur<br />

de son fils ce désir de flirter avec la mort qui le taraudera jusque dans l’âge<br />

adulte? Allez savoir. Comment devient-on qui nous sommes? C’est la grande<br />

et insoluble question que contemple sous tous ses angles Craig Davidson<br />

dans ce roman en forme de visite guidée d’un lotissement de St. Catharines,<br />

au nord de Niagara Falls.<br />

« J’ai toujours détesté les personnages qui sont purement condamnables,<br />

parce que si on exclut quelques exemples de l’Histoire avec un grand H,<br />

Comment devient-on qui nous<br />

sommes? C’est la grande<br />

et insoluble question que<br />

contemple sous tous ses<br />

angles Craig Davidson.<br />

je ne crois pas que ça existe vraiment », fait valoir l’écrivain en évoquant<br />

les hommes et les femmes qui, comme son Wesley, prennent des décisions<br />

parentales pour le moins discutables. « Le problème, c’est qu’on ne sait pas<br />

toujours ce qu’on lègue à nos enfants. Tout ce qu’il reste à faire, en les<br />

voyant grandir, c’est souvent de vivre avec la culpabilité et le regret. Mais ce<br />

que les gens font pour tenter de se racheter auprès de<br />

leurs proches, ça m’a toujours fasciné, et c’est ce dont<br />

parle beaucoup le livre. »<br />

Ils volent compulsivement dans les étalages d’un<br />

Walmart, se laissent doucement glisser vers la dèche,<br />

s’anesthésient au crack, se prennent pour des vampires,<br />

tordent le bras à leur petite fille pour qu’elle devienne<br />

haltérophile. Ce sont les perdants magnifiques qui, à<br />

l’instar de Wesley, surnagent dans cette morne banlieue<br />

nord-américaine, la même qu’habitait Davidson enfant,<br />

à la différence près que ses parents n’étaient pas aussi<br />

dysfonctionnels que ceux qui peuplent son roman, tient-il à préciser. Ils se<br />

croiseront tous à un moment ou un autre, sans que leurs destins s’imbriquent<br />

pour autant, un procédé qui, dans les mains d’un autre écrivain, n’aurait été<br />

qu’un vain artifice, mais qui, ici, permet de prendre la mesure d’un tissu<br />

social de plus en plus distendu.<br />

« J’ai passé mon enfance à regarder par la fenêtre les voisins passer la<br />

tondeuse. Je les connaissais, mais je ne les connaissais que jusqu’à un certain

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