CONTRE LA LOI D

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4 4 Développement RIO+10 » Quatrième d'une série de quatre en vue du Sommet de la Terre, à Johannesburg (Afrique du Sud), en août 2002. durable • AFFRONTER TERRE ET MER Surpêche, coupe à blanc, exode: le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie sont en péril. Des résistants reprennent en main leur développement. PAR DENISE PROULX | PHOTOS BENOÎT AQUIN Ca tait 40 ans que vous nous enlevez tout : notre bois pour bâtir vos maisons « à 200000 piastres, notre agriculture, nos poissons. En plus, vous nous volez nos enfants», lance, rageur, Constant Lepage, un agriculteur porte-parole de l'Action des Patriotes de la Gaspésie, qui refuse la défaite. À La Martre, à 25 km à l'est de Sainte-Annedes-Monts, sur la rive nord de la Gaspésie, les archéologues ont découvert le plus ancien site de la tradition Piano (tailleurs de pierres) dans l'est du Canada. Les artefacts trouvés en 1968 ont montré que les paléo-indiens y trouvaient leur nourriture en abondance, il y a 10000 ou 12 000 ans. La mer était riche en poissons, crustacés et mollusques. La forêt abondait en petits fruits, animaux et oiseaux. Aujourd'hui, La Martre compte à peine 250 habitants, une église à repeindre, un phare tout rouge, une scierie du Groupe CEDRICO qui donne un peu d'ouvrage. L'école a fermé. Au magasin général, la petite boîte grise à côté de la caisse contient une pile de factures d'épicerie : les dettes se paieront à la fin du mois, quand arriveront les chèques de la Sécurité du revenu. Les habitants, dans l'estuaire et le golfe Saint- Laurent, ne comptent plus guère sur les pnses que rapportaient les pêcheurs côtiers. La surpêche a détruit la morue et la sébaste. Les stocks de pétoncles s'amenuisent. Crabes, crevettes et homards tiennent le coup, malgré la surexploitation, mais la quasi-totalité de la forêt a été rasée par les géants du papier et du sciage, Bowater, Abitibi- Consolidated ou Tembec. En 1987, le ministre Albert Côté a accéléré le pillage de la forêt publique en accordant leurs CAFF (droits de coupe) aux groupes GDS, Deniso Lebel, CEDRICO, Rexforét, tous de l'exténeur de la Gaspésie. Les propnétaires de la forêt privée n'ont pas eu le choix de suivre et ont perdu leurs lots de bois. Fiers, les Gaspésiens détestent voir cette réalité affichée dans les médias. Ils n'aiment pas les journalistes. Encore moins les politiciens. Ils accusent les exploitants de s'emparer de leurs ressources sans égard pour les communautés et de les transformer ailleurs. Devant la Cour internationale Les 17000 membres de L'Action des Patrio- s tes de la Gaspésie, révoltés, ont intenté une ~ poursuite de 15 milliards de dollars pour gé- S nocide économique contre les gouvernements ï du Québec et du Canada devant la Cour ï internationale de justice des Nations Unies à 2 Genève. Des exemples pour attiser leur colè- s re, ils en ont en masse. £ * >.), • n^^ Pêcheurs de Matane, en Gaspésie. Image tirée d'une mission photographique dirigée par la galerie Espace f: L'an passé, les Gaspésiens ont dépensé 310 MS en achats d'aliments. En 1960, on envoyait 8000 bêtes par année à l'abattoir en Haute-Gaspésie. Auiourd'hui, 200 tout au plus. Deux beurrenes produisaient 250000 livres de beurre, sans parler de la crème et du lait. Aujourd'hui, plus rien. Trois frigidaires approvisionnaient nos agriculteurs et nos pécheurs. Tous fermés. On avait une usine de transformation du poisson à Tourelle, elle est fermée aussi. » Constant Lepage énumere sans reprendre son souffle. «Ça nous prend des micro-entrepnses et des micro-investissements, une politique de sounen aux entreprises en démarrage qui ne s'entarge pas dans la bureaucratie. C'est bien clair, il faut transformer nos ressources ici, avec les gens d'ici.» Pionnier du XXI e siècle Yannick Ouellette est de ces Gaspésiens qui doutent que l'investissement de 493 M S pour relancer l'usine à papier Gaspésia à Chandler 1 soit une solution durable. Ce jeune chef s'est établi une réputation nationale avec des succès prometteurs dans la restauration à Québec. Il a malgré tout décidé de rentrer chez lui, à Sainte-Anne-des-Monts. À 28 ans, il s'est acheté une terre à cultiver et à reboiser à Tourelle. Il a confié la gestion des lots torestiers à son père, un ex-mineur de Murdochville. où, après la mine, la fondene de cuivre vient de fermer. Dans ses Carnets gourmands de la Gaspésie, Yannick Ouellette présente la Gaspésie, et 42 de ses producteurs agricoles, en 50 fiches-recettes. Au menu, caviar de lompe. loup de mer, baudroie, loquette d'Amenque, aiguillot commun, concombre de mer. Auparavant, les pêcheurs Gaspésiens rejetaient toutes ces espèces à la mer ou les utilisaient comme appât. Pourtant, •• ce sont des poissons à la chair ferme et délicieuse, sans arêtes, connus et recherchés par les Européens, les Mexicains et les Japonais. Il faut les taire découvnr aux chefs d'ici. Je veux aussi que les Gaspésiens développent leur goût et reinvestissent le secteur bio-alimentaire. •• (Imprime à 2 000 exemplaires, le livre de Yannick Ouellette est un best-seller, à l'échelle de la Gaspésie. Il en reste 200 copies disponibles.) En collaboration avec le Centre Explorama de Sainte-Anne-des-Monts, Yannick Ouellette a créé un laboratoire de recherche culinaire. Il veut ramener à la mer une nouvelle génération de pêcheurs, créer un réseau de producteurs de légumes et aider à la mise en place de transformateurs. «Notre force, c'est qu'il n'y a rien. Tout est à faire». D 1. En octobre 1999, Abitibi-Consohdated a ferme la Gaspésia, en activité depuis 1916 a Chandler. Elle rouvrira en 2004 grâce un investissement de 140 MS du Fonds de solidarité FTQ (50%) et de Tembec et SGF-Rexfor (25% chacun), créant 265 emplois. 32 | RECTO VERSO JUILLET/AOÛT 2002 JLU*. n JUILLET/AOÛT 2002 RECTO VERSO I 33

RIO + 10 LES PÉRILS DE LA MER La disparition de la morue dans le golfe Saint-Laurent en dit long sur la biodiversité dans ce bout d'océan, PAR DENISE PROULX M algré le moratoire sur la morue, il y a dix ans, on continue à la pêcher. C'est une partie du drame de l'appauvrissement des communautés. On n'a pas laissé aux espèces le temps de se rétablir", reconnaît Martin Castonguay, biologiste marin à l'Institut Maurice-Lamontagne. Les pêcheurs rapportent maintenant des spécimens dont la taille n'atteint que le cinquième de ce qu'elle était en 1974. À Pêches & Océans Canada, on demeure discret sur ces données. La dénonciation de l'industne de la pèche est une pratique à haut risque. Le mépris du milieu et les menaces de disgrâce sont les meilleurs garants de l'autocensure et du silence des chercheurs. Près de 1 000 espèces de poissons voyagent dans les eaux canadiennes, dont 200 en eau douce. Les espèces de l'Atlantique et du Pacifique pâtissent de la surpèche. Environnement Canada rapporte que 49 espèces de poissons sont menacés d'extinction. Le lac Ené a perdu son brochet bleu. Dans le lac Supérieur, on a enregistré le déclin de 13 espèces de truites, et les trois espèces restantes sont également en péril. La morue représentait 55% du total des stocks, en 1963, sur le Banc Georges, dans l'Atlantique. En 1986, elle ne comptait plus que pour 11 % des prises. Sur la côte Pacifique, la surpêche et la destruction des habitats menacent le saumon, le flétan et le hareng. L'aquaculture et les poissons d'élevage échappés en mer réduisent la diversité biologique. La mer Arctique, elle, n'est pas affectée par la surpéche, mais l'est par les contaminants, les barrages hydroélectriques et la prospection pétrolière. À cause de sa population entière peu nombreuse, la biodiversité dans l'estuaire et le golfe Saint-Laurent n'est pas lugée catastrophique. "Comparée au Golfe du Mexique, â la Mer du Nord et aux mers asiatiques, la situation est encore bonne », analyse Emilien Pelletier, éco-toxicologue â l'Institut des sciences de la mer (ISMER), â Rimouski, créateur de la Chaire de recherche du Canada en éco-toxicologie marine. Premier pollueur: le pétrole Toutefois, M. Pelletier s'inquiète des conséquences de la pollution des océans par cinq contaminants subtils mais très vicieux. "Le premier grand pollueur des océans demeure le pétrole perdu ou vidangé par des armateurs sans scrupules», dénonce-t-il. Il pointe aussi du doigt la peinture antisalissure {antifulling point) au tnbutyl-étain (TBT), un puissant pesticide appliqué sur la coque de 60% des navires commerciaux, qui attaque le système immunitaire des invertébrés. Suit la pollution des affluents par l'industrie et l'agriculture. Le chercheur de I'ISMER s'inquiète delà présence de molécules biomédicales modifiées, les amphétamines, anovulants et autres perturbateurs endocriniens. «On ne sait franchement rien sur les effets de cette soupe inouïe sur les espèces aquatiques. En laboratoire, les résultants sont extrêmement alarmants". Enfin, "on commence à voir des marées rouges causées par les nitrates et les pesticides agricoles. On ne sait touiours rien de l'effet de cinquante ans d'agriculture industrielle en amont de l'estuaire.» Le problème des océans sera évoqué lors du prochain Sommet mondial sur le développement durable, à Johannesburg, mais loin demère les autres problèmes reliés à la - diversité biologique. Les par- « ticipants aux rencontres pré- ; paratoires de la Convention S sur la diversité biologique s (CDB), adoptée en 1992, ^ sont préoccupés d'abord par I la biodiversité dans les fo- ; rets, par le pillage des ressources génétiques et l'imposition de droits de propriété intellectuelle sur leur exploitation, par la banalisation des OGM (organismes génétiquement modifies) et la bio-sécurité. Ils ont aussi fort à faire pour éviter que les règles internationales sur le commerce et les investissements aient préséance sur les accords multilatéraux sur l'environnement, comme le désirent les Etats-LInis et leurs alliés (dont le Canada) dans tes négociations. La dernière rencontre des parties à la Convention, en avril 2002, à La Haye (Pays-Bas), a montré combien la protection de la biodiversité s'oppose au type de développement économique préconisé par l'OMC (Organisation mondiale du commerce). La protection des zones côtières contre la surpêche et la pollution, ainsi que des modes traditionnels de subsistance essentiels pour garantir la sécurité alimentaire, risquent dans ce contexte de passer au second plan. Tout restera à taire pour l'application de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. G 34 I RECTO VERSO IUIIUT/AOÙT 2 00?

RIO + 10<br />

LES PÉRILS DE <strong>LA</strong> MER<br />

La disparition de la morue dans le golfe Saint-Laurent en dit long sur<br />

la biodiversité dans ce bout d'océan, PAR DENISE PROULX<br />

M<br />

algré le moratoire sur la morue, il<br />

y a dix ans, on continue à la pêcher.<br />

C'est une partie du drame de<br />

l'appauvrissement des communautés. On<br />

n'a pas laissé aux espèces le temps de se rétablir",<br />

reconnaît Martin<br />

Castonguay, biologiste marin<br />

à l'Institut Maurice-Lamontagne.<br />

Les pêcheurs rapportent<br />

maintenant des spécimens<br />

dont la taille n'atteint que le<br />

cinquième de ce qu'elle était<br />

en 1974. À Pêches & Océans<br />

Canada, on demeure discret<br />

sur ces données. La dénonciation<br />

de l'industne de la pèche<br />

est une pratique à haut<br />

risque. Le mépris du milieu<br />

et les menaces de disgrâce<br />

sont les meilleurs garants de<br />

l'autocensure et du silence<br />

des chercheurs.<br />

Près de 1 000 espèces de<br />

poissons voyagent dans les eaux canadiennes,<br />

dont 200 en eau douce. Les espèces de<br />

l'Atlantique et du Pacifique pâtissent de la<br />

surpèche. Environnement Canada rapporte<br />

que 49 espèces de poissons sont menacés<br />

d'extinction. Le lac Ené a perdu son brochet<br />

bleu. Dans le lac Supérieur, on a<br />

enregistré le déclin de 13 espèces de truites,<br />

et les trois espèces restantes sont également<br />

en péril. La morue représentait 55%<br />

du total des stocks, en 1963, sur le Banc<br />

Georges, dans l'Atlantique. En 1986, elle ne<br />

comptait plus que pour 11 % des prises.<br />

Sur la côte Pacifique, la surpêche et la<br />

destruction des habitats menacent le saumon,<br />

le flétan et le hareng. L'aquaculture<br />

et les poissons d'élevage échappés en mer<br />

réduisent la diversité biologique. La mer<br />

Arctique, elle, n'est pas affectée par la<br />

surpéche, mais l'est par les contaminants,<br />

les barrages hydroélectriques et la prospection<br />

pétrolière.<br />

À cause de sa population entière peu<br />

nombreuse, la biodiversité dans l'estuaire et<br />

le golfe Saint-Laurent n'est pas lugée catastrophique.<br />

"Comparée au Golfe du<br />

Mexique, â la Mer du Nord et aux mers asiatiques,<br />

la situation est encore bonne », analyse<br />

Emilien Pelletier, éco-toxicologue â<br />

l'Institut des sciences de la mer (ISMER),<br />

â Rimouski, créateur de la Chaire de recherche<br />

du Canada en éco-toxicologie marine.<br />

Premier pollueur: le pétrole<br />

Toutefois, M. Pelletier s'inquiète des<br />

conséquences de la pollution des océans par<br />

cinq contaminants subtils mais très vicieux.<br />

"Le premier grand pollueur des<br />

océans demeure le pétrole perdu ou vidangé<br />

par des armateurs sans scrupules», dénonce-t-il.<br />

Il pointe aussi du doigt la peinture<br />

antisalissure {antifulling point) au<br />

tnbutyl-étain (TBT), un puissant pesticide<br />

appliqué sur la coque de 60% des navires<br />

commerciaux, qui attaque le système immunitaire<br />

des invertébrés. Suit la pollution des<br />

affluents par l'industrie et l'agriculture.<br />

Le chercheur de I'ISMER s'inquiète delà<br />

présence de molécules biomédicales<br />

modifiées, les amphétamines, anovulants<br />

et autres perturbateurs endocriniens. «On<br />

ne sait franchement rien sur les effets de<br />

cette soupe inouïe sur les espèces aquatiques.<br />

En laboratoire, les résultants sont extrêmement<br />

alarmants". Enfin, "on commence<br />

à voir des marées rouges causées par<br />

les nitrates et les pesticides agricoles. On ne<br />

sait touiours rien de l'effet de cinquante ans<br />

d'agriculture industrielle en<br />

amont de l'estuaire.»<br />

Le problème des océans<br />

sera évoqué lors du prochain<br />

Sommet mondial sur le développement<br />

durable, à Johannesburg,<br />

mais loin demère les<br />

autres problèmes reliés à la<br />

- diversité biologique. Les par-<br />

« ticipants aux rencontres pré-<br />

; paratoires de la Convention<br />

S sur la diversité biologique<br />

s (CDB), adoptée en 1992,<br />

^ sont préoccupés d'abord par<br />

I la biodiversité dans les fo-<br />

; rets, par le pillage des ressources<br />

génétiques et l'imposition<br />

de droits de<br />

propriété intellectuelle sur<br />

leur exploitation, par la banalisation des<br />

OGM (organismes génétiquement modifies)<br />

et la bio-sécurité.<br />

Ils ont aussi fort à faire pour éviter que<br />

les règles internationales sur le commerce<br />

et les investissements aient préséance sur<br />

les accords multilatéraux sur l'environnement,<br />

comme le désirent les Etats-LInis et<br />

leurs alliés (dont le Canada) dans tes négociations.<br />

La dernière rencontre des parties à la<br />

Convention, en avril 2002, à La Haye<br />

(Pays-Bas), a montré combien la protection<br />

de la biodiversité s'oppose au type de développement<br />

économique préconisé par<br />

l'OMC (Organisation mondiale du commerce).<br />

La protection des zones côtières<br />

contre la surpêche et la pollution, ainsi que<br />

des modes traditionnels de subsistance essentiels<br />

pour garantir la sécurité alimentaire,<br />

risquent dans ce contexte de passer au<br />

second plan. Tout restera à taire pour l'application<br />

de la Convention des Nations<br />

Unies sur le droit de la mer. G<br />

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