Démocratie
extrait du bulletin n°25 - RCN Justice & Démocratie
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Burundi<br />
tence d’acquittement » du jeune garçon, motivée comme<br />
suit : «Vous comprenez tous qu’il est inadmissible que,<br />
pour un jour de fête qui naturellement se termine aux<br />
heures avancées, mademoiselle (il la nomme) ait pu être<br />
violée par monsieur (il le nomme) alors qu’il y avait des<br />
passants, ce jour-là et à cette heure-là. Donc les charges<br />
que mademoiselle portent à monsieur (il le nomme) sont<br />
de purs mensonges et sans fondement. Va donc faire ta<br />
valise et rentre chez toi (il s’adresse au jeune homme)<br />
avec ton chef de colline». Ce qui est le plus étonnant,<br />
c’est que le chef de colline aurait par la suite battu la<br />
jeune fille pour, disait-il, « avoir osé mentir. »<br />
Dans la pratique, les instances judiciaires compétentes<br />
pour la recherche des criminels ne sont pas saisies. Le<br />
canal emprunté par les victimes est celui du règlement à<br />
l’amiable ou la saisine des autorités administratives qui<br />
parfois infligent des amendes aux auteurs laissant le<br />
crime impuni. La situation s’explique aussi bien par la<br />
tradition judiciaire que par une perte de confiance en<br />
l’appareil judiciaire, taxé à tort ou à raison d’être inefficace,<br />
trop lent, voire corrompu. Par ailleurs, les familles<br />
des victimes de viol seraient plus intéressées par les réparations<br />
et l’avenir conjugal de la victime, surtout quand<br />
l’auteur et la victime se connaissaient, plutôt que par<br />
une sanction pénale qui n’apporterait aucun bénéfice,<br />
tout en étant susceptible d’exacerber les rancœurs entre<br />
familles.<br />
Conclusion<br />
La répression du viol au Burundi se heurte à des obstacles<br />
matériels incontestables, mais aussi et surtout à des<br />
contraintes culturelles.<br />
Pour une meilleure répression des infractions, il faudrait<br />
que les éléments de preuves soient recueillis dans la<br />
fraicheur des faits. Les cas de viols nécessiteraient une<br />
expertise médicale réalisée dans les plus brefs délais. Or,<br />
il faut parfois faire 50 km pour trouver un médecin.<br />
Outre la plainte, la police devrait se rendre sur les lieux<br />
du crime pour investiguer, arrêter les auteurs présumés<br />
et identifier les témoins potentiels. Or, les OPJ manquent<br />
de moyens de déplacement pour se rendre dans les localités<br />
éloignées et bien souvent, il n’y a qu’un seul OPJ par<br />
commune.<br />
Dans les cas où ils sont avertis du crime, les OPJ n’arrivent<br />
souvent qu’après dispersion des preuves, voire fuite<br />
du criminel. Les provinces frontalières du Rwanda et de<br />
la Tanzanie ont du mal à appréhender les auteurs de<br />
certaines infractions les plus graves, dont les crimes de<br />
viol. Les auteurs recherchés fuient vers ces pays pour ne<br />
revenir qu’au moment où les poursuites ont cessé… Si<br />
jamais les affaires parviennent au Tribunal de Grande<br />
Instance implantés dans les chefs-lieux de provinces<br />
(seules instances compétentes pour connaître de ces crimes),<br />
il est difficile pour les témoins et la victime d’accéder<br />
au TGI, d’où l’absence de charges et la libération des<br />
prévenus.<br />
Les contraintes culturelles tiennent aux tabous sur les<br />
conduites et inconduites sexuelles. De ce fait, les plaintes<br />
des victimes sont rares et l’infraction de viol demeure<br />
secrète. La position des proches des victimes de viol, des<br />
familles, des autorités administratives et des acteurs judiciaires,<br />
ne semble pas clairement affirmée dans le sens<br />
d’une indispensable répression des auteurs de viol.<br />
Il demeure impératif d’assurer la répression du crime<br />
de viol. Cependant, il est nécessaire de tenir compte des<br />
aspirations des victimes et de leur famille à la réparation<br />
et à la conciliation, en vue de maintenir les relations familiales<br />
et de voisinage chères à la tradition burundaise<br />
et à sa méthode de règlement des conflits.<br />
Olivier NIYONIZIGIYE,<br />
Chargé d’actions, Projet « Appui à la société civile »,<br />
Sylvestre BARANCIRA,<br />
Coordonnateur de programme,<br />
Programme Rwanda.<br />
(1) Ligue Burundaise Des Droits De L’homme « ITEKA », Inertie des institutions<br />
étatiques sur fond de calculs politiciens, Rapport annuel sur la situation<br />
des droits de l’homme, Bujumbura, édition 2007.<br />
(2) Décret-loi n°1/6 du 4 avril 1981 portant réforme du code pénal.<br />
(3) Les SAB sont des séminaires de promotion de la justice auprès des autorités<br />
de base, organisés à l’échelle nationale par région naturelle. Ils regroupent<br />
les administrateurs, les chefs de zones, les juges, les élus collinaires,<br />
les OPJ, les OMP, les chefs PSI, les bashingantahe, la société civile,<br />
les membres de la Commission Terres et Autres Biens…<br />
(4) Témoignage SAB Bugesera, Ngozi, 8-11 juillet 2008.<br />
(5) Les bashingantahe sont des sages traditionnellement investis qui incarnent<br />
le sens de la dignité et qui avaient la charge principale de réguler<br />
les conflits dans la communauté. Il s’agissait d’une charge sociale honorifique<br />
non rémunérée.