Démocratie

extrait du bulletin n°25 - RCN Justice & Démocratie extrait du bulletin n°25 - RCN Justice & Démocratie

01.10.2015 Views

Burundi atelier sur les relations compromettantes entre élèves et enseignants. S’agissant des violences sexuelles, les participants employaient successivement et pour le même type de faits, les termes de « viol », « détournement d’une jeune fille dans sa chambre », « consommation d’un acte sexuel », « harcèlement sexuel », « engrosser une fille ». Le code pénal en vigueur traite de l’attentat à la pudeur et du viol, sans préciser les éléments matériels de ces infractions ni les limites. Actuellement, seule la jurisprudence permet de décider s’il y a eu viol ou non, la charge de la preuve revenant souvent à l’expertise médicale. qui leur est arrivé pour échapper à cette stigmatisation. Dans une société où, jusque récemment « le linge sale se lavait en famille », il paraît difficile que des faits considérés comme « honteux » soient portés devant des personnes étrangères à la famille (« abantu bo hanze »). De même, dans les mentalités des Burundais, si quelqu’un porte plainte ou dénonce une infraction à la justice (même s’il s’agit d’un chef), la tendance est de dire « c’est lui qui est responsable de son emprisonnement » (« urya niwe yamupfungishije »), sous-entendant qu’il pourrait le faire libérer selon son bon vouloir. La Le nouveau projet de code pénal apporte heureusement une définition légale et précise du viol. La répression du crime de viol au Burundi : une brève présentation d’une expérience des SAB (3) Dénonciation timide du crime due aux usages et tabous sociaux Pour réprimer une infraction, il est impératif qu’elle soit connue et dénoncée. De plus, toute la société doit avoir conscience qu’elle est témoin d’une transgression dangereuse. Si le Ministère public est là pour représenter la société et plaider pour elle, il a besoin du concours de la victime et de ses proches, des administratifs, des associations de défense des droits de la personne humaine, qui doivent dénoncer et faire connaître le crime. Or, dans les cas de viol, les victimes ont souvent peur de dénoncer leurs agresseurs. En effet, les personnes victimes de viol sont stigmatisées et cachent, elles aussi, les faits dont elles sont victimes. Pour la victime et sa famille, il s’agit d’une « honte ». Pour une jeune fille violée, la publicité génère un « handicap », c’est-à-dire le risque de ne plus trouver un mari ou difficilement, lorsqu’elle ose en parler. Pour une femme mariée, il s’agit souvent « d’une cause de divorce », le mari se sentant trahi. La société burundaise a tendance à stigmatiser la victime plutôt que condamner l’auteur. C’est une seconde victimisation qui renforce les souffrances de la personne violée. Les gens ont tendance à dire : « Qu’estce qu’elle faisait à cette heure dans cet endroit… », « C’est parce qu’elle a été attrapée en fragrant délit qu’elle imagine cette astuce de crier au viol… ». C’est une façon de dire que le violeur et sa victime se seraient entendus. Les parents eux-mêmes aident leurs enfants à cacher ce Photo : Audrey Pallier « Toyi-Toyi mama 4 » Toos Van Liere famille du violeur et celle de la personne violée deviennent alors des ennemis jurés. Les Officiers de Police Judiciaire (OPJ) et les Officiers du Ministère Public (OMP) nous ont rapporté qu’ils reçoivent maintes fois, en cours d’instruction, des victimes ou leurs familles venant leur dire : « Vous pouvez libérer le coupable présumé maintenant, nous nous sommes entendues… ». Si l’OPJ ou l’OMP refusent d’obtempérer et continuent les poursuites, les familles contestent en pré-

tendant que les officiers s’ingèrent dans des affaires privées ! Les transactions communautaires et administratives sur le crime de viol : un conflit entre justice traditionnelle réparatrice et justice répressive En principe, les lois pénales sont d’ordre public et nul ne peut transiger sur une infraction. Dans la tradition burundaise, tout différend de quelque nature que ce soit, exige une solution au sein de la famille élargie (mu muryango) avant de recourir à l’extérieur. La plupart du temps, les élus locaux et les bashingantahe (5) (notables) organisent des négociations à l’amiable pour des crimes de viols. Les réparations appelées « amendes » sont allouées à la victime ou aux parents de la victime. Ces « amendes » varient autour de 50.000 BIF à 200.000 BIF (environ 50 à 200 US dollars). Le coût est supporté par la famille entière du violeur. Par ailleurs, une partie de la somme est réservée aux conciliateurs pour le paiement des cruches de bière, en remerciement de leurs services de conciliation. Photo : Audrey Pallier « Toyi-Toyi mama 3 » Toos Van Liere Aussi, si le viol est commis sur une jeune fille et que l’auteur accepte de la prendre en mariage, les familles considèrent que la justice a été rendue. Dans une commune de la province de Kirundo (province du Nord), une jeune fille a été violée par un homme de 30 ans. Le conseil collinaire a enjoint à l’homme de la prendre en mariage, mais il a refusé. Plus tard, l’affaire a été portée devant l’OPJ qui l’a placé en détention préventive. Il a confectionné son dossier et l’a remis au parquet. Une fois le dossier transmis, la fille a découvert qu’elle était enceinte. Les familles se sont alors concertées pour contraindre le jeune homme à la prendre en mariage. Elles se sont alors rendues chez l’administrateur pour que ce dernier puisse convaincre le parquet de libérer le prévenu. Pour l’administrateur ainsi que les deux familles, il n’y avait plus de raisons de détenir le jeune homme, l’administrateur insistant pour « faire sortir du cachot le violeur présumé » (4). Lors des séminaires autorités de base à Gitega (centre du pays), les OMP ont affirmé que les affaires qui parviennent au Parquet concernent les victimes ou leurs parents qui n’ont pas reçu les « amendes » infligées par les élus. Parfois, l’objet de la plainte arrive même à changer. Au lieu de porter plainte pour viol, les plaignants saisissent la justice pour le non paiement de ces « amendes » ! La transaction sur le crime de viol par les autorités au plus bas niveau ou au sein des familles (du violeur et de la victime) peut s’expliquer par l’ignorance de la loi et de la procédure. Toutefois, il est étonnant de voir que des autorités à un plus haut niveau cautionnent, voire participent à de telles pratiques. A titre illustratif, en 2007 lors d’une mission de préparation des séminaires autorités de base, un administrateur nous a invité à assister à une séance de « délibération » où il devait se prononcer sur un « conflit de viol ». Le violeur présumé venait de passer une bonne semaine dans les cachots de la commune. L’administrateur appelle la victime et fait amener le violeur présumé. Un jeune garçon, apparemment abattu, entre et s’assied à côté d’une jeune fille d’une quinzaine d’années environ. L’administrateur demande à la jeune fille de relater à nouveau les faits qu’elle reproche à celui qui est assis à ses côtés ; « C’était après la fête de mariage d’un voisin dans notre village, en rentrant, un jeune homme marche doucement derrière moi et m’approche comme pour causer en peu. Arrivés dans un endroit broussailleux, le jeune garçon saute sur moi, me déshabille et me viole. Je crie au secours mais en vain, c’était aux environs de 18h». Il donne la parole au jeune homme qui nie en bloc toutes les allégations. Après maintes questions posées au jeune homme et à la jeune fille, mais aussi au chef de colline saisi en premier ressort (qui apparemment était venu décharger le jeune), l’administrateur prononce « une sen-

tendant que les officiers s’ingèrent dans des affaires privées<br />

!<br />

Les transactions communautaires et administratives sur<br />

le crime de viol : un conflit entre justice traditionnelle<br />

réparatrice et justice répressive<br />

En principe, les lois pénales sont d’ordre public et nul<br />

ne peut transiger sur une infraction. Dans la tradition<br />

burundaise, tout différend de quelque nature que ce<br />

soit, exige une solution au sein de la famille élargie (mu<br />

muryango) avant de recourir à l’extérieur. La plupart du<br />

temps, les élus locaux et les bashingantahe (5) (notables)<br />

organisent des négociations à l’amiable pour des crimes<br />

de viols. Les réparations appelées « amendes » sont allouées<br />

à la victime ou aux parents de la victime. Ces<br />

« amendes » varient autour de 50.000 BIF à<br />

200.000 BIF (environ 50 à 200 US dollars). Le coût<br />

est supporté par la famille entière du violeur. Par<br />

ailleurs, une partie de la somme est réservée aux<br />

conciliateurs pour le paiement des cruches de bière,<br />

en remerciement de leurs services de conciliation.<br />

Photo : Audrey Pallier<br />

« Toyi-Toyi mama 3 » Toos Van Liere<br />

Aussi, si le viol est commis sur une jeune fille et que<br />

l’auteur accepte de la prendre en mariage, les familles<br />

considèrent que la justice a été rendue. Dans une commune<br />

de la province de Kirundo (province du Nord), une<br />

jeune fille a été violée par un homme de 30 ans. Le<br />

conseil collinaire a enjoint à l’homme de la prendre en<br />

mariage, mais il a refusé. Plus tard, l’affaire a été portée<br />

devant l’OPJ qui l’a placé en détention préventive. Il a<br />

confectionné son dossier et l’a remis au parquet. Une fois<br />

le dossier transmis, la fille a découvert qu’elle était enceinte.<br />

Les familles se sont alors concertées pour<br />

contraindre le jeune homme à la prendre en mariage.<br />

Elles se sont alors rendues chez l’administrateur pour que<br />

ce dernier puisse convaincre le parquet de libérer le prévenu.<br />

Pour l’administrateur ainsi que les deux familles, il<br />

n’y avait plus de raisons de détenir le jeune homme, l’administrateur<br />

insistant pour « faire sortir du cachot le violeur<br />

présumé » (4).<br />

Lors des séminaires autorités de base à Gitega<br />

(centre du pays), les OMP ont affirmé que les affaires<br />

qui parviennent au Parquet concernent les victimes<br />

ou leurs parents qui n’ont pas reçu les<br />

« amendes » infligées par les élus. Parfois, l’objet<br />

de la plainte arrive même à changer. Au lieu de<br />

porter plainte pour viol, les plaignants saisissent la<br />

justice pour le non paiement de ces « amendes » !<br />

La transaction sur le crime de viol par les autorités<br />

au plus bas niveau ou au sein des familles (du<br />

violeur et de la victime) peut s’expliquer par l’ignorance<br />

de la loi et de la procédure. Toutefois, il est<br />

étonnant de voir que des autorités à un plus haut<br />

niveau cautionnent, voire participent à de telles<br />

pratiques. A titre illustratif, en 2007 lors d’une mission<br />

de préparation des séminaires autorités de<br />

base, un administrateur nous a invité à assister à<br />

une séance de « délibération » où il devait se prononcer<br />

sur un « conflit de viol ». Le violeur présumé<br />

venait de passer une bonne semaine dans les cachots<br />

de la commune. L’administrateur appelle la<br />

victime et fait amener le violeur présumé. Un jeune<br />

garçon, apparemment abattu, entre et s’assied à<br />

côté d’une jeune fille d’une quinzaine d’années<br />

environ. L’administrateur demande à la jeune fille<br />

de relater à nouveau les faits qu’elle reproche à<br />

celui qui est assis à ses côtés ; « C’était après la fête<br />

de mariage d’un voisin dans notre village, en rentrant,<br />

un jeune homme marche doucement derrière<br />

moi et m’approche comme pour causer en peu.<br />

Arrivés dans un endroit broussailleux, le jeune garçon<br />

saute sur moi, me déshabille et me viole. Je crie au<br />

secours mais en vain, c’était aux environs de 18h». Il<br />

donne la parole au jeune homme qui nie en bloc toutes<br />

les allégations.<br />

Après maintes questions posées au jeune homme et à<br />

la jeune fille, mais aussi au chef de colline saisi en premier<br />

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