LA PORCELAINE DE HEREND HEREND PORCELAIN

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Herend au XX e siècle: La tentation de la modernité Herend in the 20th century: The temptation of modernity De tous les descendants de Moritz Fischer qui joueront un rôle dans l’histoire de sa manufacture, c’est probablement son petit-fils Jenö Farkasházy Fischer qui lui ressemblera le plus par la richesse de sa personnalité et par l’ampleur de la vision qu’il développera pour l’entreprise. Passionné d’histoire de la céramique, Jenö avait visité les plus grands musées d’Europe et publié des études sur les créations du potier français Bernard Palissy au XVII e siècle, ou encore sur les œuvres plastiques de la famille florentine des Della Robbia à l’époque de la Renaissance. Même les réalités de l’industrie céramique moderne ne lui étaient pas inconnues, puisque au moment de se porter acquéreur de Herend, il occupait la fonction de directeur artistique à la manufacture de porcelaine de Ungvár (ou Oujgorod, aujourd’hui à l’extrême pointe ouest de l’Ukraine). Soucieux de rétablir Herend dans sa grandeur passée, il s’efforcera non sans mal de réorganiser l’entreprise. Son premier objectif sera de renouer avec la qualité, en réactualisant d’abord les modèles éprouvés de son grand-père. Parfaitement informé des nouvelles tendan - ces internationales, il introduisit par la suite un esprit novateur et expérimental à Herend, dans la mouvance des recherches menées un peu partout en Europe par les artistes et par les industries qui étaient en train de façonner la céramique de l’Art nouveau. Des émaux de haute température furent mis au point, dont l’aspect jaspé et apparemment aléatoire transfigurait la porcelaine tout en restituant l’esprit des antiques grès japonais (N° 47 et 48). Dans le registre de la porcelaine décorée, Farkasházy Fischer introduisit des motifs floraux peints dans la manière fluide et stylisée typique de la veine naturaliste de l’Art nouveau, ou des décors animaliers en relief rehaussés d’un subtil émail céladon lustré (N° 49). Dans la technique dite pâte-sur-pâte (N° 50), le motif est peint en relief, sur un fond coloré, au moyen de barbotine blanche (de la porcelaine à l’état semi liquide). Grâce à ses innovations – et grâce au répertoire traditi - onnel qu’il aura la sagesse de perpétuer – Jenö rempor - tera de nouveaux succès dans les grandes expositions internationales, tandis que la presse hongroise saluait la “renaissance de Herend”. Les nombreuses absences de Farkasházy Fischer, en raison de ses voyages à l’étranger et de ses activités mondaines ou politiques à Budapest, l’amenèrent cependant à négliger la gestion au quotidien. L’activité de l’entreprise ralentit considérablement dès 1917. Les effets de la guerre, puis les conséquences du Traité de Versailles, dramatiques pour la Hongrie, achevèrent de conduire la manufacture au bord d’un nouveau précipice. En 1923, Jenö accepta de transformer l’établissement en société par actions. Il garda la Out of all Moritz Fischer’s descendants who played a part in the history of his porcelain manufactory, his grandson, Jenö Farkasházy Fischer, probably resembled him the most with his richly-facetted personality and the breadth of vision he went on to develop for the company. Jenö, passionate about the history of ceramics, had visited the greatest museums of Europe and published studies on the creations of the French potter Bernard Palissy in the 17th century, and on the plastic works produced by the Della Robbia family in Florence during the Renaissance. Even the realities of the modern ceramics industry were not unknown to him, because at the time of acquiring Herend, he held the position of an artistic director at the Ungvár porcelain factory (Uzhgorod, now at the extreme western tip of Ukraine). Keen to restore Herend to its former greatness, he endeavoured, not without difficulty, to restructure the company. His first objective was to restore the quality of the production, initially by updating the models tried and tested by his grandfather. Perfectly au fait with the latest international trends, he went on to bring an innovative and experimental spirit into Herend, in line with the research being done almost everywhere in Europe by the artists and ceramic factories who were fashioning the ceramics of the Art Nouveau movement. High temperature enamels were developed, their apparently randomly marbled aspect transforming the porcelain whilst recreating the spirit of ancient Japanese stoneware (Nos. 47 and 48). For the decorated porcelain ranges, Farkasházy Fischer introduced painted floral motifs in the fluid and stylised manner typical of the naturalist vein of Art Nouveau, and animal patterns in relief embellished with a subtle glossy celadon enamel (No. 49). In the technique known as pâte-sur-pâte (No. 50), the motif is painted in low relief on a coloured ground, using a white porcelain slip (porcelain in the semi-liquid state). Thanks to his innovations – and thanks to the traditional repertoire he was wise enough to continue – Jenö met with renewed success in the great international exhibitions, whilst the Hungarian press acclaimed the “Herend renaissance“. The numerous absences of Farkasházy Fischer however, due to his trips abroad and his political and social activities in Budapest, caused him to neglect the day-to-day management of the company. Business slowed considerably after 1917. The effects of the war, followed by the consequences of the Treaty of Versailles, which were dramatic for Hungary, combined to take the manufactory to the brink once more. In 1923, Jenö agreed to turn it into a joint stock company. He kept half the shares and limited his role to that of artistic director until his death in 1926. 77 Détail du N˚ 50: Vase, vers 1900 Décor en relief: lézard et branche de prunier. Émail lustré céladon Detail of N˚ 50: Vase, ca. 1900 Decorated in relief with a lizard and a plum branch. Lustred celadon glaze
78 moitié des parts sociales et limita son rôle à celui d’un directeur artistique, jusqu’à sa mort en 1926. Sous la direction de Gyula Gulden, qui deviendra aussi actionnaire majoritaire, la manufacture allait connaître une nouvelle ère de prospérité (entre 1923 et 1939, les effectifs grimperont de 15 à 448 employés). Pragmatique et clairvoyant, Gulden rationalisera les différents aspects de la production. Quant à l’orientation générale de cette dernière, il perpétua finalement, mais avec plus de rigueur, la politique duale de son prédécesseur: un répertoire classique pour assurer l’assise financière de la manufacture et des productions plus modernes pour continuer d’attirer l’attention sur la scène internationale. La modernité de l’époque – le style Art déco, par exemple – ne fera guère qu’effleurer Herend. Il est symptomatique que l’Exposition des arts décoratifs de Paris en 1925 fut justement l’un des rares grands événements internationaux auxquels Herend ne pourra pas parti - ciper, par manque de ressources artistiques. L’une des innovations des années 1920 fut l’introduction de la petite statuaire dans l’assortiment de la manufacture, laquelle n’avait constitué qu’un phénomène pour le moins anecdotique par le passé. Les premiers sujets seront avant tout animaliers. Les figurines étaient confectionnées par les mêmes artisans, mouleurs et repareurs, qui s’occupaient des formes de la vaisselle. Un atelier spécifiquement conçu pour la statuaire ne sera aménagé qu’à partir de 1938, sous la supervision du sculpteur István Lörincz. Et dans un premier temps, les responsables de la manufacture se contenteront de sélectionner des œuvres d’artistes reconnus, réalisées en bronze ou en marbre, pour les transposer en porcelaine. C’est ainsi que furent conçues les gracieuses danseuses du sculpteur Elek Lux (N° 51), deux des rares exemples de style Art déco à Herend. La plupart des autres modèles retenus relevaient d’un académisme éminemment plus classique. Il n’empêche que la statuaire de Herend, avec ses sujets historiques ou folkloriques, convenus mais populaires, apportera une contribution non négligeable aux revenus de l’entreprise. Les collaborations entre la manufacture et le monde artistique se feront de plus en plus régulières (N° 53). Plus rarement dans le registre du récipient décoré. Quelques projets furent commandés en 1938 dans le cadre des festivités nationales célébrant le 900 ème anniversaire de la mort de saint Etienne (vers 974-1038), le premier roi de Hongrie (N° 52). Lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936, la Hongrie s’était distinguée en remportant dix médailles d’or. L’événement suscitera un engouement populaire – et un intérêt politique – pour les sports de masse et de compétition, à tel point que le Ministère des cultes et de l’éducation organisa une grande exposition de sculpture sur le thème du sport, à Budapest en 1940. A cette occasion également, les responsables de Herend choisiront un certain nombre de sujets pour en donner des versions en réduction (N° 55). Under the direction of Gyula Gulden, who also became majority shareholder, the factory was to experience a new era of prosperity (between 1923 and 1939, staff levels shot up from 15 to 448 employees). Pragmatic and farsighted, Gulden streamlined the various aspects of the production system. As for his general approach to production, in the end he perpetuated the dual policy of his predecessor, but more rigorously: a classical repertoire in order to ensure the company’s financial solidity and more modern production ranges in order to continue to attract attention on the international stage. The modern styles of the period – Art Deco for example – barely affected Herend at all. Indeed it is telling that the Paris Exhibition of the Decorative Arts in 1925 proved to be one of the few great international events at which Herend could not be present, due to lack of artistic resources. One of the innovations of the 1920s was the introduction of porcelain figures into the assortment of the porcelain factory, a form of production that in the past had really only been incidental. Initially the subjects were mainly animal. The figurines were made by the same craftsmen, moulders and repairers, who looked after the tableware shapes. A workshop specifically for porcelain sculptures was only installed in 1938, under the supervision of sculptor István Lörincz. And at first, the factory leaders simply selected works by recognised artists, in bronze or marble, to be transposed into porcelain. That for example is how the graceful dancers by sculptor Elek Lux were conceived (No. 51) - two of Herend’s rare examples of Art Deco. Most of the other models they used belonged to an eminently more classical academism. Nonetheless the conventional but popular Herend figures with their historical or folk subjects were to make a not insignificant contribution to the company’s turnover. Cooperation between the manufactory and the art world became more and more regular (No. 53). It was less frequent in the realm of the decorated vessel. Some designs were commissioned in 1938 for the national festivities to celebrate the 900 th anniversary of the death of St Stephen (around 974-1038), Hungary’s first king (No. 52). During the Olympic Games in Berlin in 1936, Hungary had distinguished itself by winning ten gold medals. The event produced a great popular enthusiasm for – and political interest in – mass and competitive sports, to such an extent that the Minister for Religion and Public Education organised a major sculpture exhibition with sport as the theme in Budapest in 1940. For that occasion too, Herend’s managers chose a number of subjects that were produced in small-scale versions (No. 55). The Second World War was devastating for Hungary, as we know; not to mention the outcome of the conflict, when the country toppled under the influence of the Soviet Union and remained there for long decades. The factory survived pretty well, owing in particular to the upkeep of exports, to Switzerland, Germany, Portugal, La Seconde Guerre mondiale aura, on le sait, des effets dévastateurs sur la Hongrie; sans parler de l’issue du conflit, quand le pays bascula pour de longues décennies dans l’aire d’influence de l’Union soviétique. La manufac - ture survivra plutôt convenablement, notamment grâce au maintien des exportations, par exemple vers la Suisse, l’Allemagne, le Portugal, l’Italie ou la Belgique. Quand elle fut nationalisée, en 1948, son appareil de production était intact. Globalement, le nouveau pouvoir politique adopta une attitude plutôt positive à l’égard de Herend, qui continuera à jouer un rôle non négligeable dans le commerce extérieur hongrois. Par ailleurs, la manufacture béné ficiera en quelque sorte de la bienveillante protection de l’épouse du chef tout-puissant du Parti des travailleurs hongrois, Mátyás Rákosi. Diplômée de la section Por celaine de l’Ecole des arts décoratifs, elle fréquenta régulièrement la manufacture, où elle exercera ponc tu elle ment ses talents picturaux. Notamment pour la décoration de ce service illustrant la statue de la Liberté de Budapest ainsi que quelques-unes des grandes réalisations du Plan quinquennal de 1950-1954 (N° 58). La période du communisme ne fut pas des plus propices à l’épanouissement de la créativité. Même un sculpteur aussi talentueux qu’István Lörincz n’échappera pas aux codes esthétiques du “réalisme socialiste” le plus convenu, notamment quand il représente l’ouvrier et le paysan unis dans un effort titanesque pour construire la nouvelle Hongrie, selon les préceptes du parti (N° 54). Même les écoliers sont représentés dans des postures héroïques (N° 56), tandis que les soldats profitent d’un peu de temps libre pour se cultiver (N° 57). Dans un univers systématiquement imprégné de propagande, la porcelaine de Herend devait apporter sa contribution à la diffusion de l’idéologie dominante. Après la répression de l’insurrection nationale de 1956, les Soviétiques installèrent János Kádár au gouvernement. Dès les années 1960, le nouveau régime consentit à d’importants investissements pour la modernisation de l’économie et l’amélioration du niveau de vie des Hongrois. Quant à la manufacture de Herend, elle n’était considérée que comme une unité de production parmi d’autres dans le conglomérat national de l’industrie céramique. Elle restera néanmoins fidèle à sa ligne, en continuant de produire de la porcelaine de qualité, essentiellement peinte à la main. En termes de valeur marchande, Herend fournira bon an mal an la moitié des revenus à l’exportation de l’industrie céramique hongroise dans son ensemble. Les designers de la manufacture entreprirent surtout de réactualiser les formes et les décors du répertoire traditionnel. Arrivée à Herend au milieu des années 1960, Irén Illés proposera des idées plus contemporaines, comme en témoignent ces formes typiques de leur époque et qui ne seront d’ailleurs jamais produites (N° 59). (RB) Italy and Belgium for example. When it was nationalised in 1948, the factory’s production system was intact. The major problem was the supply of raw materials. Overall, the new political power adopted a rather positive attitude towards Herend, which continued to play a not insignificant role in Hungarian foreign trade. In addition, the company benefited so to speak from the benevolent protection of the wife of the all-powerful leader of the Hungarian Workers Party, Mátyás Rákosi. A graduate of the Porcelain Department of the College of Decorative Arts, she regularly visited the factory, where from time to time she exercised her pictorial talents. In particular, the decorative pattern on this service illustrating the Budapest Statue of Liberty and some of the great achievements of the 1950-1954 Five-Year Plan (No. 58). The Communist period was not the most auspicious for the flowering of creativity. Even as talented a sculptor as István Lörincz did not escape the aesthetic codes of a very conventional “socialist realism“, particularly when he showed the worker and the farmer united in a titanic effort to build the new Hungary, according to party precepts (No. 54). Even the schoolchildren are shown in heroic poses (No. 56), whilst soldiers take advantage of a little free time to improve themselves (No. 57). In a universe systematically steeped in propaganda, Herend porcelain had to make its own contribution to the dissemination of the dominant ideology. After the national uprising of 1956 was put down, the Soviets installed János Kádár in power. In the 1960s, the new government approved big investment programmes to modernise the economy and improve the standard of living of Hungarians. As for the Herend porcelain factory, it was considered simply one of a number of production units in the national ceramic industry conglomerate. Nevertheless, it kept to its line, continuing to produce high-quality, still hand-painted, porcelain. In terms of market value, Herend supplied half the export revenues of the whole of the Hungarian ceramics industry year in year out. Herend’s designers undertook above all to update the designs and patterns of the traditional repertoire. Arri - ving at Herend in the mid-1960s, Irén Illés put forward more contemporary ideas, as illustrated by these designs that are typical of their time and in fact were never to be produced (No. 59). (RB) 79
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