LA PORCELAINE DE HEREND HEREND PORCELAIN

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Après Moritz Fischer: Une ère de turbulences The post-Moritz Fischer period: A turbulent era Les fils de Moritz Fischer, formellement élevés au rang d’associés au sein de l’établissement dès 1863, réunissaient à eux sept toutes les compétences nécessaires à la conduite de la manufacture. Après que la faillite eut été levée, en 1876, Samuel, le technicien, prit les rênes de l’entreprise. Jugeant que l’orientation prise par leur père était trop axée sur la performance artistique et pas assez soucieuse de rentabilité, les fils de Moritz réintroduiront une ligne de production de qualité courante. Sans grand succès: la position dominante des fabriques de Bohême, depuis longtemps spécialisées dans ce segment de marché, ne sera jamais battue en brèche. La situation de Herend ne cessa de se détériorer. En 1884, la fratrie dut se résoudre à vendre l’entreprise à l’État, qui la transforma en société par actions. Plusieurs directeurs se succéderont à la tête de l’établissement, sans jamais retrouver véritablement le chemin du succès. Herend ferma ses portes en mars 1896. La même année, Jenö Farkasházi Fischer (1863-1926), un petit-fils de Moritz, se porta acquéreur de la société. La production reprendra en avril de l’année suivante. Malgré les difficultés rencontrées, les dirigeants successifs de Herend ne renonceront jamais complètement aux produits de haut de gamme, en rééditant les modèles de Moritz Fischer ou en proposant de nouvelles créations, toujours dans la mouvance du style éclectique qui avait fait la réputation de la marque. Jusque dans les années 1890, le savoir-faire de Herend fut sauvegardé, ainsi qu’en témoigne ce plat de dimension respectable (N°36) avec son marli ajouré, un motif développé à partir d’un modèle créé par Johann Friedrich Eberlein à Meissen, en 1746, pour les assiettes à dessert d’un service destiné au comte von Brühl 14 . La corbeille juchée sur son socle (N° 37) célèbre une fois de plus l’univers formel de la porcelaine rococo, sans pour autant faire référence à un modèle connu. Dans le cadre des recherches formelles qu’il conduisit au sein de la manufacture dans les années 1990, l’artiste contemporain Imre Schrammel détournera, non sans humour, le même socle rocaille pour y coucher le Minotaure et son amante, l’un de ses thèmes de prédilection de l’époque (N° 38 – voir plus loin). Avec le fameux Compromis de 1867, la Hongrie entra dans une nouvelle phase de son histoire, marquée par une redéfinition fondamentale de son rapport à l’empire habsbourgeois: ce fut l’avènement de la double monarchie austro-hongroise. François-Joseph I er coiffa enfin et solennellement la Sainte couronne de Hongrie, les Hongrois obtenaient leur propre gouvernement et leur propre parlement. Le sentiment d’identité nationale en sera renforcé, en même temps qu’étaient jetées, enfin, les bases propices à une modernisation sociale et économique du pays. Moritz Fischer’s seven sons, formally elevated to the rank of partners in 1863, possessed together all the requisite skills to run the manufactory. In May 1876 the company was discharged from bankruptcy. Samuel, who was the technical expert, took over the reins. Judging that the direction taken by their father had focused too much on artistic performance and not enough on profitability, Moritz’ sons reintroduced an ordinary-average quality production line. Not very successfully: the dominant position of the Bohemian factories, which had long specialised in that market segment, was never demolished. The situation at Herend went on deteriorating. In 1884, the brothers were forced to sell the manufactory to the State, which turned it into a joint stock company. Several managing directors succeeded each other, but none ever really found the way back to success. Herend closed its doors in March 1896. That same year, Jenö Farkasházy Fischer (1863-1926), a grandson of Moritz, bought the company. Production resumed in April the following year. Despite the difficulties, successive Herend leaders never completely abandoned the very high quality products, bringing out new editions of Moritz Fischer’s models or introducing new pieces, still influenced by the eclectic style that had forged the brand’s reputation. Herend’s specialist knowhow was maintained even into the 1890s, as can be seen from this respectably sized dish (No. 36) with its openwork edge, a motif developed from a model created by Johann Friedrich Eberlein at Meissen in 1746, for the dessert plates of a service intended for Count von Brühl 14 . The basket perched on its pedestal (No. 37) is another celebration of the formal universe of rococo porcelain, but without referring to any known model. Pedestals of this type made their appearance at Meissen in the second half of the 19th century to act as supports for neo-rococo vases or clocks. During his design research work at the manufactory in the 1990s, contemporary artist Imre Schrammel hijacked – not without humour – the same rococo pedestal to be a bed for the Minotaur and his lover, one of his favourite themes at the time (No. 38 – see below). With the famous Compromise of 1867, Hungary entered a new phase in its history, marked by a fundamental redefinition of its relationship with the Habsburg Empire: this was the advent of the Dual Monarchy of Austria- Hungary. Francis Joseph I finally and solemnly placed the Holy Crown of Hungary on his head, and the Hungarians obtained their own government and their own parliament. Feelings of national identity were strengthened at the same time as favourable foundations were at last established for the social and economic modernisation of the country. 65 Détail du N˚ 37: Corbeille sur socle, vers 1890 Detail of N˚ 37: Basket on a stand, ca. 1890
66 La production de Herend, à sa manière, reflètera cette évolution, avec ici ou là des créations qui affirment sans ambages leur caractère national. Comme dans le cas de cette aiguière monumentale en forme de gourde annulaire avec un disque central ajouré (N°39). Ce modèle inspiré des arts populaires autochtones contraste avec les formules convenues de l’éclectisme international, même si le peintre a choisi de le rehausser d’un motif d’origine japonaise (le décor Siang rouge en l’occurrence)! Il est vrai qu’au-delà de sa lointaine origine, le Siang rouge était devenu une part intégrante de l’identité même de Herend. Le plateau montrant l’empereur Joseph II (1741-1790) sur son lit de mort (N° 41) témoigne du fait que Herend n’a pas renoncé à ses ambitions, notamment dans le domaine pictural. Même si – à y regarder de plus près – le travail du peintre János Seszták n’est pas tout à fait à la hauteur de ces ambitions… Avec le décor Tupini (N° 42) – du nom de son premier commanditaire, un marchand italien – on retrouve l’évocation de l’âge d’or de la porcelaine et tout l’esprit du style rocaille, mais dans une formule qui ne manque ni de fraîcheur ni d’imagination, du moins en ce qui concerne les motifs peints. Les formes font écho à des prototypes germaniques, tandis que le plateau à bord ajouré n’est pas sans rappeler le Plateau losange produit à Sèvres dans les années 1760-70. Tout aussi inventif, le décor Kyoto qui rehausse le vase N° 43. Le galbe du récipient et la prise du couvercle en forme de lion Fô rappellent certes les porcelaines d’Arita de la fin du XVII e siècle, généralement décorées en bleu sous couverte ou dans la palette Imari, mais le décor peint est apparemment une création de Herend. Herend‘s production reflected these changes in its own way, with pieces created now and then that were unambiguously national in character. This is the case with this monumental pitcher shaped like a ring gourd with a central openwork disk (No. 39). This model, inspired by native folk-art, forms a contrast to the conventions of international eclecticism, even though the painter has chosen to embellish it with a motif of Japanese origin (the Siang rouge pattern in this case)! It is true that notwithstanding its distant origins, the Siang rouge pattern had become an integral part of the Herend identity. The tray showing Emperor Joseph II (1741-1790) on his deathbed (No. 41) illustrates the fact that Herend had not abandoned its ambitions, especially on the pictorial side. Even if the work of painter János Seszták – when looked at more closely – is not quite equal to those ambitions… With the Tupini pattern (No. 42) – named after the person who first commissioned it, an Italian merchant – we again find an evocation of the golden age of porcelain and the whole spirit of the rococo style, but in a design that lacks neither freshness nor imagination, at least as far as the painted motifs are concerned. The shapes echo German prototypes, whilst the tray with its openwork edging recalls in some respects the Plateau Losange produced at Sèvres in 1760-70. Equally inventive is the Kyoto pattern decorating vase No. 43. The curved body of the vase and the lid grip in the shape of a Fo lion are certainly reminiscent of Arita porcelain at the end of the 17th century, which was generally decorated in underglaze blue or in Imari colours, but the painted pattern is apparently a Herend creation. 67 Les exemples N° 44 et 45, véritables démonstrations de maîtrise technique avec leurs fleurs délicatement modelées et appliquées, renvoient de nouveau à Meissen. Par contre, l’idée de former une lettre au moyen des fleurs de porcelaine est, semble-t-il, plutôt inédite. La forme de la corbeille est empruntée au patrimoine de la grande manufacture saxonne: le prototype y fut créé par Kändler vers 1765-70 15 ; le modèle sera réactualisé par Ernst Leuteritz vers 1850. Le modèle saxon est muni de quatre pieds en forme de branches et d’anses obliques. Nos. 44 and 45, real demonstrations of technical mastery with their delicately modelled and applied flowers, are again evocative of Meissen. But the idea of forming a letter from porcelain flowers is apparently quite original. The shape of the basket is borrowed from the heritage of the great Saxon manufactory: the prototype was created there by Kändler around 1765-70 15 ; the model was updated by Ernst Leuteritz around 1850. The Saxon original has four feet in the form of branches and loops at oblique angles. 36 Plat, vers 1890 Scène aquatique, marli ajouré à la manière de Meissen diam. 52 cm Marque estampée: <strong>HEREND</strong> HPMA, inv. 66.285.1 Le service à café N° 46 reste dans la veine éclectique, mais avec plus de créativité. Une combinaison inédite et assez subtile d’éléments stylistiques occidentaux (toujours le néo-rococo) et levantins (par exemple le bec verseur de la cafetière). (RB) The coffee service (No. 46) is still in the eclectic vein, but with more creativity. An original and rather subtle combination of (still neo-rococo) western and near-eastern stylistic elements (for example the spout of the coffee pot). (RB) Dish, ca. 1890 Waterlife scenery with birds and fishes. Openwork in the manner of Meissen Diam. 52 cm Impressed mark: <strong>HEREND</strong> HPMA, inv. 66.285.1 14 Le motif est connu sous la dénomination Brühlsches Allerlei: Ulrich Pietsch (éd.), Schwanenservice. Meissener Porzellan für Heinrich Graf von Brühl, Dresde, 2000, pp. 208-209; Herend en donnera d’ailleurs une première version très fidèlement imitée: Balla 2003, p. 57 15 Rückert 1966, N° 713 14 The motif is known as Brühlsches Allerlei: Ulrich Pietsch (éd.), Schwanenservice. Meissener Porzellan für Heinrich Graf von Brühl, Dresden, 2000, pp. 208-209; Herend in fact produced a first, very faithful version: Balla 2003, p. 57 15 Rückert 1966, N° 713
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