lesEMPIRES

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03.09.2015 Views

Je suis heureuse que le ministère de la Culture et de la Communication accompagne les Rendez-vous de l’histoire de Blois. Au fil des ans, les Rendez-vous sont devenus un véritable festival culturel, où se rencontrent amateurs et professionnels, généralistes et spécialistes, enseignants et chercheurs, et tout simplement curieux et lecteurs, tous désireux d’apprendre et de comprendre. Le succès du salon du livre, devenu un moment clé de la vie éditoriale, met en lumière le foisonnement intellectuel rare qu’ont su susciter les équipes des Rendez-vous. Fleur PELLERIN © Nicolas Reitzaum Nous voyons là une véritable politique culturelle à l’œuvre : un lieu d’échange, de transmission et de discussion, la rencontre de plusieurs générations. Les Rendez-vous font écho à l’action culturelle telle que nous la défendons : de même que le ministère de la Culture protège les monuments historiques tout en soutenant la création la plus contemporaine, les Rendez-vous proposent de se pencher sur le passé pour comprendre l’histoire, pour aider à vivre et à transformer le présent, et à penser l’avenir. Je veux ici remercier tous les historiens et souhaiter la bienvenue aux heureux visiteurs d’une manifestation unique en son genre. Fleur PELLERIN Ministre de la Culture et de la Communication Empires et limites humaines. Les empires, qu’ils soient romain, napoléonien, chinois ou américain ont ce même point commun de fasciner l’homme. Sources inaltérables de légendes et de fantasmes, les empires offrent aux historiens une matière aussi délicate que passionnante. Il s’agit pour eux de dénouer le fait historique du mythe et d’étudier un espace dont les frontières ne sont pas que géographiques. Monstres sans limites claires d’espace ni de temps, les empires échappent aux définitions traditionnelles de l’État ou de la Nation. Au-delà du droit ou de la géographie, l’empire pose avant tout une question d’ordre philosophique : celle des limites humaines. En effet, appréhender la démesure des empires, c’est avant tout accepter l’infinie complexité des sociétés humaines et la soif inaltérable du pouvoir. Même le plus grand empereur, pourtant, trouvera toujours une limite à sa volonté de conquête, une chute qui le ramènera à sa condition d’homme. C’est Alexandre le Grand aux portes de l’Inde, c’est Napoléon dans les mornes plaines de Waterloo dont c’est, cette année, le bicentenaire… Les Rendez-vous de l’histoire nous permettent, chaque année, d’aborder un thème passionnant qui, en interrogeant l’histoire, questionne avant tout l’humain et la société. Maurice LEROY Ancien ministre Président du Conseil départemental de Loir-et-Cher Agglopolys, la Communauté d’agglomération de Blois, soutient depuis de nombreuses années les Rendez-Vous de l’histoire. Pour cette 18 e édition, nous continuons cette action, car il est de notre devoir de soutenir et mettre en lumière des manifestations, et celle-ci est d’ampleur, qui permettent à des publics très divers de faire connaître notre agglomération, qui deviennent dès lors des ambassadeurs avisés pour notre promotion territoriale. Le thème « Les Empires » augure de débats qui seront de très belle facture et permettra d’aborder des questions que chacun se pose : quels sont les grands empires ? Empire romain, empires industriels, empires de la nouvelle économie, empires du luxe, empires galactiques… et qui dit empires dit empereurs… on ressent bien à quel point la notion d’empire peut être vaste. Comment un empire se crée-t-il, comment et pourquoi disparaît-il ? Pourquoi les aime-t-on ou les déteste t-on ? Pourquoi une telle fascination ? De plus, pour la 2ème année, l’Économie aux Rendez-Vous de l’histoire, soutenue par Agglopolys, est de nouveau à l’honneur avec des conférences et des tables rondes animées par des personnalités de renom qui alimenteront encore plus nos réflexions dans une économie mondialisée en perpétuel changement. Encore une fois, pour cette 18 e édition des Rendez-vous de l’histoire, la simple évocation du thème déclenche en chacun de nous des tonnes de questions et d’interrogations. Encore une fois, nous avons hâte d’y être, pour étancher cette soif, pour comprendre, pour se féliciter ou se vilipender d’avoir su ou pas su déceler les clés fondamentales du thème. Mais au final, qu’importe ; l’essentiel n’est-il pas à chaque fois de retrouver ce goût, qui nous durera une année, pour l’histoire ? Très bon festival à vous. Christophe DEGRUELLE Président d’Agglopolys, Communuauté d’agglomération de Blois || 4 ||

© Sources BnF Gallica LES EMPIRES ||||||||||||||||||||||||||| L’empire est d’abord un espace plus vaste que les constructions politiques qui l’ont précédé, et aux dépens desquels il se construit ; il a tendance à s’étendre indéfiniment ; consistant le plus souvent dans un rassemblement de terres, dont l’empire d’Alexandre le Grand est le prototype, il peut aussi englober des mers et des océans. Cette amplitude d’espace explique la diversité des peuples qu’il réunit. L’empire s’inscrit aussi dans un temps, qui est durée ; son origine est souvent mythique, ou se construit comme telle, parfois à travers une généalogie (celle, par exemple, qui va des Romains aux Habsbourg en passant par Charlemagne, Othon le Grand et Charles-Quint). De même qu’il a tendance à l’universalité, il a tendance à l’éternité : il ne peut que grandir s’il ne veut pas périr. Les empires s’édifient le plus souvent par la guerre, grâce à un outil militaire supérieur, qui donne à des généraux particulièrement doués l’occasion de déployer toutes leurs capacités. À l’origine de chaque empire, il y a un grand conquérant, un Alexandre, un César, un Gengis Khan, un Pierre le Grand, un Napoléon, mais il y a aussi un instrument militaire. Certains empires, il est vrai, ont profité pour s’agrandir des alliances matrimoniales, comme l’Autriche (Bellum gerant alii ; tu, felix Austria, nube). D’autres ont bâti leur expansion sur leur dynamisme commercial, plus tard industriel, comme la Grande-Bretagne, qui est l’exemple d’un empire garanti surtout par sa marine. Qui dit empire dit naturellement un pouvoir centralisé. Ce pouvoir fut le plus souvent incarné dans un monarque, avec très souvent une tendance au despotisme. Mais il a pu être aussi exercé par des Républiques, Athènes, Rome ou République française, États-Unis. Il faut observer que la pratique impériale ramène le plus souvent la monarchie dans la cité ou dans la nation. Divers, les empires n’impliquent pas l’égalité entre les peuples qui les composent. Ils favorisent un peuple, une nation, une caste, une langue, une religion, d’où ils tirent leur dénomination. Dans le cas d’une république impériale, les institutions démocratiques ne s’étendent pas au-delà des limites de la Cité qui fait figure de métropole. L’empire suppose presque toujours une administration, une bureaucratie, et beaucoup de papier (ce qui est précieux pour les historiens). L’empire est aussi un état d’esprit. Il s’appuie sur une idéologie, dont le centre est le monarque, le peuple ou le parti qui le dirige. Il suscite des dévouements, ou quand il disparaît, d’inlassables nostalgies. Il peut être un système économique, voire, comme diraient les marxistes, un système de production. Les empires subsistent par la force, sans doute, mais pas seulement, comme le prouve amplement la modicité des appareils militaires destinés à maintenir l’ordre (à l’exception peut-être de l’empire soviétique). Les empires s’emploient avec plus ou moins de succès à mener une politique qui revient à faire « vivre ensemble des peuples différents » (gouverneur français Robert Delavignette). Ils s’efforcent d’établir un équilibre entre les peuples : celui du célèbre divide ut imperes. Ils n’imposent (en tout cas directement) ni langue, ni religion, ni culture. Ils se contentent d’exiger la soumission, qui passe essentiellement par l’impôt. Ils possèdent la capacité d’intégrer au groupe dirigeant d’origine des nouveaux venus, gagnés par conversion religieuse, ou par assimilation culturelle. Mais || 5 || ils savent aussi abandonner des pouvoirs plus ou moins importants aux dirigeants des peuples périphériques. L’empire constitue aussi, on l’oublie souvent, un espace protecteur, même lorsqu’il est oppressif. L’Empire, c’est d’abord la conquête, mais c’est ensuite la paix, même si c’est trop souvent la paix qui découle du glaive manié par un peuple de maîtres. La possibilité pour les paysans de semer et de récolter sans craindre les pillages, celle pour les commerçants de circuler et d’établir des contrats en toute sécurité caractérisent la Pax romana comme la Pax gallica. Comment périssent les Empires ? Meurentils de vieillesse ou sont-ils assassinés ? C’est la question qui hante leurs historiens depuis Edward Gibbon. Bien des réalités, en fait, contribuent à leur disparition : le choc avec un autre empire plus dynamique ou mieux armé ; les invasions ou les migrations, qui modifient leurs équilibres internes ; les patriotismes locaux, voire les nationalismes, qui remettent en cause leurs prétentions à l’universalité ; la dissolution de leurs institutions, et notamment celles de l’armée, trop lourdes, trop exigeantes ou trop coûteuses. JACQUES FRÉMEAUX, Professeur à l’université Paris-Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer membre du conseil scientifique des Rendez-vous de l’histoire 2015

© Sources BnF Gallica<br />

LES EMPIRES |||||||||||||||||||||||||||<br />

L’empire est d’abord un espace plus vaste que les<br />

constructions politiques qui l’ont précédé, et aux<br />

dépens desquels il se construit ; il a tendance à<br />

s’étendre indéfiniment ; consistant le plus souvent<br />

dans un rassemblement de terres, dont l’empire<br />

d’Alexandre le Grand est le prototype, il peut aussi<br />

englober des mers et des océans. Cette amplitude<br />

d’espace explique la diversité des peuples qu’il réunit.<br />

L’empire s’inscrit aussi dans un temps, qui est durée ;<br />

son origine est souvent mythique, ou se construit<br />

comme telle, parfois à travers une généalogie (celle,<br />

par exemple, qui va des Romains aux Habsbourg<br />

en passant par Charlemagne, Othon le Grand et<br />

Charles-Quint). De même qu’il a tendance à<br />

l’universalité, il a tendance à l’éternité : il ne peut<br />

que grandir s’il ne veut pas périr.<br />

Les empires s’édifient le plus souvent par la guerre,<br />

grâce à un outil militaire supérieur, qui donne à<br />

des généraux particulièrement doués l’occasion<br />

de déployer toutes leurs capacités. À l’origine<br />

de chaque empire, il y a un grand conquérant,<br />

un Alexandre, un César, un Gengis Khan, un<br />

Pierre le Grand, un Napoléon, mais il y a aussi<br />

un instrument militaire. Certains empires, il est<br />

vrai, ont profité pour s’agrandir des alliances<br />

matrimoniales, comme l’Autriche (Bellum gerant<br />

alii ; tu, felix Austria, nube). D’autres ont bâti leur<br />

expansion sur leur dynamisme commercial, plus<br />

tard industriel, comme la Grande-Bretagne, qui<br />

est l’exemple d’un empire garanti surtout par sa<br />

marine.<br />

Qui dit empire dit naturellement un pouvoir<br />

centralisé. Ce pouvoir fut le plus souvent incarné<br />

dans un monarque, avec très souvent une<br />

tendance au despotisme. Mais il a pu être aussi<br />

exercé par des Républiques, Athènes, Rome ou<br />

République française, États-Unis. Il faut observer<br />

que la pratique impériale ramène le plus souvent<br />

la monarchie dans la cité ou dans la nation.<br />

Divers, les empires n’impliquent pas l’égalité entre<br />

les peuples qui les composent. Ils favorisent un<br />

peuple, une nation, une caste, une langue, une<br />

religion, d’où ils tirent leur dénomination. Dans<br />

le cas d’une république impériale, les institutions<br />

démocratiques ne s’étendent pas au-delà des limites<br />

de la Cité qui fait figure de métropole. L’empire<br />

suppose presque toujours une administration,<br />

une bureaucratie, et beaucoup de papier (ce qui<br />

est précieux pour les historiens). L’empire est aussi<br />

un état d’esprit. Il s’appuie sur une idéologie, dont<br />

le centre est le monarque, le peuple ou le parti qui<br />

le dirige. Il suscite des dévouements, ou quand il<br />

disparaît, d’inlassables nostalgies. Il peut être un<br />

système économique, voire, comme diraient les<br />

marxistes, un système de production.<br />

Les empires subsistent par la force, sans doute,<br />

mais pas seulement, comme le prouve amplement<br />

la modicité des appareils militaires destinés à<br />

maintenir l’ordre (à l’exception peut-être de<br />

l’empire soviétique). Les empires s’emploient<br />

avec plus ou moins de succès à mener une<br />

politique qui revient à faire « vivre ensemble<br />

des peuples différents » (gouverneur français<br />

Robert Delavignette). Ils s’efforcent d’établir<br />

un équilibre entre les peuples : celui du célèbre<br />

divide ut imperes. Ils n’imposent (en tout cas<br />

directement) ni langue, ni religion, ni culture.<br />

Ils se contentent d’exiger la soumission, qui<br />

passe essentiellement par l’impôt. Ils possèdent la<br />

capacité d’intégrer au groupe dirigeant d’origine<br />

des nouveaux venus, gagnés par conversion<br />

religieuse, ou par assimilation culturelle. Mais<br />

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ils savent aussi abandonner des pouvoirs plus<br />

ou moins importants aux dirigeants des peuples<br />

périphériques.<br />

L’empire constitue aussi, on l’oublie souvent, un<br />

espace protecteur, même lorsqu’il est oppressif.<br />

L’Empire, c’est d’abord la conquête, mais c’est<br />

ensuite la paix, même si c’est trop souvent la paix<br />

qui découle du glaive manié par un peuple de<br />

maîtres. La possibilité pour les paysans de semer et<br />

de récolter sans craindre les pillages, celle pour les<br />

commerçants de circuler et d’établir des contrats<br />

en toute sécurité caractérisent la Pax romana<br />

comme la Pax gallica.<br />

Comment périssent les Empires ? Meurentils<br />

de vieillesse ou sont-ils assassinés ? C’est<br />

la question qui hante leurs historiens depuis<br />

Edward Gibbon. Bien des réalités, en fait,<br />

contribuent à leur disparition : le choc avec un<br />

autre empire plus dynamique ou mieux armé ; les<br />

invasions ou les migrations, qui modifient leurs<br />

équilibres internes ; les patriotismes locaux, voire<br />

les nationalismes, qui remettent en cause leurs<br />

prétentions à l’universalité ; la dissolution de leurs<br />

institutions, et notamment celles de l’armée, trop<br />

lourdes, trop exigeantes ou trop coûteuses.<br />

JACQUES FRÉMEAUX,<br />

Professeur à l’université Paris-Sorbonne,<br />

membre de l’Institut universitaire de France,<br />

membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer<br />

membre du conseil scientifique<br />

des Rendez-vous de l’histoire 2015

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