OCIO Y OCIOS DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES)
ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine83de n’être qu’un divertissement au moment de Carnaval pour devenir un rite qui neconcerne alors que les jeunes conscrits ou « quintos », c’est-à-dire ceux que le tirage ausort désignait pour faire le service militaire (un jeune sur cinq). Comme ces jeunesquittent la communauté et n’y reviendront peut-être pas, il s’agirait alors, pour celle-ci,de leur offrir, au moyen de la fête, une reconnaissance, mais aussi une compensationpuisque leur départ pour le service militaire représente une perte économique pour leurfamille, et les amène à différer pour plusieurs années la possibilité d’exercer un métier.La course de coqs devient alors un rite de passage qui met en scène l’entrée de cesgroupes de jeunes dans le monde des adultes. Comme tout rite de passage, il institueaussi « une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concernepas » 14 : des hommes face aux femmes, des adultes face aux enfants, ceux qui vontpartir face à ceux qui restent, ceux qui sont dans la force de l’âge face à leurs aînés ouaux vieillards, etc.À partir du moment où la course de coqs devient un rite de passage, elle s’insère leplus souvent dans un ensemble d’activités menées par les « quintos » au cours del’année précédant leur départ pour le service militaire. Parmi les autres activités, les pluscourantes sont la danse, voire l’organisation d’un bal, la récitation de « relaciones », lescollectes, les feux, les repas et « l’arbre de mai ». Il s’agit pour « l’arbre de mai » deplanter en pleine nuit, sur l’une des places du village, un tronc d’arbre que les jeunessont allés chercher dans les environs. Plus l’arbre est lourd et grand plus la valeur desquintos est affirmée, puisqu’ils font ainsi une démonstration de leur force. Quant aux« relaciones », vestige très probable des festivités carnavalesques, elles évoquent la viedu village et des « quintos » sur le mode comique et se permettent parfois certainespiques à l’égard des institutions. Nous retrouvons là un des aspects typiques de lapériode de Carnaval caractérisée par la liberté de parole et la remise en cause dupouvoir.La participation à ces festivités amène les « quintos » à exercer leurs « premiers rôlessociaux » 15 : organiser la fête en commun, représenter leur village, être pour celui-ci unsigne de fierté du fait de leurs « prouesses ». Ils font également étalage de leurs qualitésou de leur endurance à travers des activités qui révèlent leur sagacité, leur force, leurgoût du rire et de la danse, leur capacité à boire avec modération, ou constituent uneaffirmation sexuelle. Durant les jours qui leur sont réservés, il leur est permis de faire ce14 Pierre BOURDIEU, « Les rites comme actes d’institution », in Les rites de passage aujourd’hui, Actesdu colloque de Neuchâtel ,1981 (sous la dir. de Pierre CENTLIVRES et Jacques HAINARD), Lausanne,l’Âge d’Homme, 1986, p. 206.15 Ce que Nicole Pellegrin indique pour les « bacheliers » peut tout à fait s’appliquer aux « quintos », inLes bachelleries dans le Centre ouest XVe-XVIIIe siècles. Organisations et fêtes de la jeunesse, Poitiers,Société des Antiquaires de l’Ouest, 1982, p. 269-270.ISSN 1773-0023
84DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLESque la société juge parfois répréhensible en temps ordinaire (par exemple, s’enivrer,quêter dans les rues, user de violence). Et comme le note Nicole Pellegrin, ce sont ces« déviants [provisoires] à la norme » qui se chargent d’organiser des « fêtesnormatives » ou de rappeler à l’ordre ceux qui s’écartent des règles sociales 16 . D’uncôté, à travers ces fêtes, la société permet à sa jeunesse de s’affirmer ; de l’autre, ellecanalise des pulsions qui pourraient s’avérer dangereuses pour elle.Mais revenons à présent à l’association entre coqs et « quintos ». Commentexpliquer ce qui peut apparaître comme un glissement — du « jeu » de Carnaval au ritede passage — ou comme une relation privilégiée ? En premier lieu, il est clair que lasymbolique du coq durant la période carnavalesque — transition d’un temps à unautre —, en fait déjà un animal associé à un rite de passage : il y a ici déplacement d’uncycle naturel à un cycle biologique. De même que sa mort annonçait celle de l’hiver etla venue du printemps, son sacrifice entérine l’entrée dans l’âge adulte. De surcroît, cesont les « quintos » qui mettent l’animal à mort, affirmant ainsi l’acceptation de leurnouveau statut.Cependant, le coq, dans ces circonstances, n’est pas uniquement associé au passage,le symbolisme de l’animal opère comme par contamination sur ses sacrificateurs.Comme dans les sociétés archaïques, il est assez probable que ses qualités ou défautssupposés soient pris en compte dans le rapport qui s’établit entre lui et le « quinto ». Sinous considérons les qualités qui lui sont attribuées, il s’agit assez souvent de lavigilance et de l’obstination, qualités qui découlent, selon Yves D. Papin 17 , du fait quel’animal chante au lever du jour. De plus, son attitude face à ses congénères, dans lescombats de coq, évoque le courage, tandis que son « assiduité à honorer son harem » enfait une figure de la virilité. De ces dernières qualités peuvent alors découler une « idéesymbolique de perpétuation de l’espèce, de source de vie » 18 . Il n’est donc pas étonnant,dans ces conditions, que ce soient les jeunes hommes qui se trouvent impliqués dans cesjeux qui les mettent en relation avec une figure symbolique censée leur assurer unedescendance. Comme le résume José Luis Puerto, le coq, « mediante su sangre traspasaal mozo toda su fecundidad, toda su fuerza fálica y todo su vigor físico » 19 .N’oublions pas, cependant, que le coq a aussi un caractère négatif, associé à sesqualités : la virilité peut devenir luxure, le courage, violence 20 . Comme beaucoup desymboles il est ambivalent. La « corrida de gallos » devrait alors permettre de placer le16 Ibid..17 Id., p. 35.18 Id., p. 37.19 Ritos festivos, col. Páginas de tradición, n°10, Diputación de Salamanca, 1990, p. 35.20 Mª Soledad TEMPRANO PEÑÍN, « El gallo, el otro protagonista de las fiestas de quintos », in Revistade folklore, n°173, 1995, p. 169.ISSN 1773-0023
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