OCIO Y OCIOS DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES)
ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine359RECREO Y CIENCIA : LA VULGARISATION SCIENTIFIQUE ENQUESTION (XVIIIe-XIXe SIÈCLES)Isabelle MORNAT, Marne-La-ValléeFrédéric PROT, Bordeaux IIIL’étude qui suit vise à éclairer les rapports entre la science et le loisir, recreo ouocio, et à questionner l’existence d’une vulgarisation de la science par le loisir à traversl’exploration de la nature de la « física recreativa » et des activités qu’elle désigne auXVIIIe, puis au XIXe siècles.Trois dynamiques sont en jeu dans le processus de vulgarisation du savoirscientifique dans l’Espagne du XVIIIe siècle. Les novatores, dès les dernières années duXVIIe siècle, tâchent de sortir la science et la philosophie de l’espace confiné de lascolastique. Ils espèrent ainsi stimuler un débat, déterminant pour l’essor d’une pensée« moderne » partie en conquête, et, d’autre part, initier un lectorat « profane », étrangerau monde académique et universitaire. La promotion de nouvelles méthodes decaptation d’un public volatile, mais curieux, l’engouement pour ce que l’on nomme,alors, l’esprit éclairé permettent, dès les années 1750 — mais principalement dans ledernier quart du siècle —, de faire de la science et, plus spécialement, de la physique, unobjet de récréation éducative, apte à servir, à l’occasion, le désir d’auto-valorisationculturelle. À la faveur de cette dynamique d’instruction par le plaisir, d’importantescontroverses s’expriment. Cette science en quelque sorte mondanisée remplit-elle soncahier des charges pédagogiques ? Le dévoiement de ce savoir mû en spectacle nerévélerait-il pas les turpitudes d’une physique expérimentale que certains tiennent pouroiseuse, et dans laquelle s’égaieraient et s’égareraient les représentants de la scienceISSN 1773-0023
360DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLESmoderne ? On décrira donc les conditions préalables à l’essor du recreo científicoauprès du public mondain, les formes prises par celui-là et, enfin, la disqualificationd’une certaine physique expérimentale, que l’on put juger dissipée, dilettante et commeabîmée dans l’ocio, à l’image de son nouveau public. Un ocio, entendu commel’exercice libre d’une activité sans autorité de surveillance et sans conduite ordonnée.Une des ambitions des novatores fut d’éduquer un nouveau public, et d’offrir à celuiciune méthode de réflexion et d’analyse autant qu’un ensemble de connaissances utilesà son émancipation intellectuelle et à sa moralisation. Tandis que les scolastiques jugentque l’accès au savoir exige le préalable d’une formation passant tout au moins parl’Université, les novatores plaident pour une instruction médiatisée par le livre ou ledébat, hors du circuit officiel. En réponse à la controverse que suscite ce projettransgressif, Isaac Cardoso pose cette question, déterminante dans le débat autour de laviabilité et de la légitimité de la vulgarisation du savoir scientifique : « ¿Será la filosofíamás incierta por más popular? ». Ses adversaires arguent alors de l’inexpérience de cenouveau lectorat « profane », entre les mains duquel on place un savoir si complexequ’il peut s’avérer source de nombreuses erreurs.En 1726, était imprimé le premier tome du Teatro crítico universel, de Feijoo, œuvreemblématique, s’il en est, de cette nouvelle ambition pédagogique, visant à établir unlien direct entre l’auteur et le lecteur, sans intermédiaire. En 1742, paraissait la premièrelivraison des Cartas eruditas y curiosas du même auteur. Les deux adjectifs, choisisavec soin, fixaient un programme de pensée et captaient un nouveau lectorat, que l’ontâchait d’intriguer. À la célébration d’un savoir exigeant prenait désormais part l’espritde curiosité, devenu une des dispositions et des qualités requises par ce projet éclairéd’émancipation de l’homme. La curiosité n’est plus, en somme, une impertinenceindiscrète, mais une vertu intellectuelle. Les détracteurs de la pensée dite moderneveilleront toutefois à stigmatiser à travers elle un écart de l’esprit, en proie au désordreet à l’indiscipline. L’idée d’érudition, de même, conservera une forte équivocité tout aulong du siècle, désignant, tout à la fois, un savoir solide et une capitalisationsuperficielle et hétéroclite d’un ensemble de connaissances dont on peut user pourabuser autrui. Il demeure que les deux adjectifs que brandit Feijoo, en 1742, font officede double étendard de l’esprit du nouveau temps, qui présidera à la conversation de lascience en un recreo instructif.ISSN 1773-0023
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360<strong>DU</strong> <strong>LOISIR</strong> <strong>AUX</strong> <strong>LOISIR</strong>S (<strong>ESPAGNE</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>–</strong> <strong>XXe</strong> <strong>SIÈCLES</strong>moderne ? On décrira donc les conditions préalables à l’essor du recreo científicoauprès du public mondain, les formes prises par celui-là et, enfin, la disqualificationd’une certaine physique expérimentale, que l’on put juger dissipée, dilettante et commeabîmée dans l’ocio, à l’image de son nouveau public. Un ocio, entendu commel’exercice libre d’une activité sans autorité de surveillance et sans conduite ordonnée.Une des ambitions des novatores fut d’éduquer un nouveau public, et d’offrir à celuiciune méthode de réflexion et d’analyse autant qu’un ensemble de connaissances utilesà son émancipation intellectuelle et à sa moralisation. Tandis que les scolastiques jugentque l’accès au savoir exige le préalable d’une formation passant tout au moins parl’Université, les novatores plaident pour une instruction médiatisée par le livre ou ledébat, hors du circuit officiel. En réponse à la controverse que suscite ce projettransgressif, Isaac Cardoso pose cette question, déterminante dans le débat autour de laviabilité et de la légitimité de la vulgarisation du savoir scientifique : « ¿Será la filosofíamás incierta por más popular? ». Ses adversaires arguent alors de l’inexpérience de cenouveau lectorat « profane », entre les mains duquel on place un savoir si complexequ’il peut s’avérer source de nombreuses erreurs.En 1726, était imprimé le premier tome du Teatro crítico universel, de Feijoo, œuvreemblématique, s’il en est, de cette nouvelle ambition pédagogique, visant à établir unlien direct entre l’auteur et le lecteur, sans intermédiaire. En 1742, paraissait la premièrelivraison des Cartas eruditas y curiosas du même auteur. Les deux adjectifs, choisisavec soin, fixaient un programme de pensée et captaient un nouveau lectorat, que l’ontâchait d’intriguer. À la célébration d’un savoir exigeant prenait désormais part l’espritde curiosité, devenu une des dispositions et des qualités requises par ce projet éclairéd’émancipation de l’homme. La curiosité n’est plus, en somme, une impertinenceindiscrète, mais une vertu intellectuelle. Les détracteurs de la pensée dite moderneveilleront toutefois à stigmatiser à travers elle un écart de l’esprit, en proie au désordreet à l’indiscipline. L’idée d’érudition, de même, conservera une forte équivocité tout aulong du siècle, désignant, tout à la fois, un savoir solide et une capitalisationsuperficielle et hétéroclite d’un ensemble de connaissances dont on peut user pourabuser autrui. Il demeure que les deux adjectifs que brandit Feijoo, en 1742, font officede double étendard de l’esprit du nouveau temps, qui présidera à la conversation de lascience en un recreo instructif.ISSN 1773-0023