OCIO Y OCIOS DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES)

ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES - CREC ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES - CREC

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Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine231Le Corbusier parle, dans le plus pur style rationaliste, de « fonction disciplinée » quidoit se substituer à « l’acception informe des loisirs ». Et pour adapter en ce sensl’habitat, l’urbanisme doit prévoir des locaux et des terrains destinés aux loisirs. Pourfaire face au temps libre des travailleurs, la nécessité d’organiser les loisirs des massesva d’ailleurs se concrétiser dans la France du Front Populaire, en 1936, avec la créationsous le gouvernement Léon Blum d’un Sous-secrétariat aux Sports et Loisirs dirigé parLéo Lagrange. Promouvant entre autres choses les « loisirs dirigés », des activitésrécréatives organisées dans le cadre scolaire, cette instance offrait un cadre grâce auquelles masses populaires devaient s’épanouir. Pourtant, il ne s’agissait pas véritablementd’ouvrir l’ouvrier à des activités que l’on supposait ne pas lui convenir, intellectuellesnotamment. Le constat que font dès 1925 Borderel et R. Georges-Picot est, à ce titre,très révélateur :Il y a pétition de principe, à supposer que le loisir existe en soi, par suite d’une diminutiondu temps de travail et indépendamment d’un aménagement de l’existence où il puisse êtreapprécié comme tel. […] Dans l’existence ouvrière, partagée en général entre le travail, ladistraction extérieure et le repos complet, le loisir réel, c’est-à-dire une demi-activité libre,personnelle, ou bien une vie de société régulière, n’a pas de place, parce qu’il n’a pas de cadreou qu’il a des cadres mauvais. […] [Il faut donc] remplir ce cadre qu’il [l’ouvrier] rempliralui-même suivant ses goûts et au fur et à mesure de son évolution intellectuelle et morale 35 .Partant, les loisirs qui étaient proposés aux classes populaires se voulaient desvecteurs d’identification collective, susceptibles de donner naissance à une nouvelleculture populaire du loisir qui s’adapte au nouveau schéma social : exode rural, besoind’une main d’œuvre massive pour des travaux répétitifs, nécessité de trouver denouveaux facteurs de cohésion sociale, faire du travailleur un consommateur. Uneculture des loisirs, en somme, qui se substitue à la culture traditionnelle et aux culturesdites subversives.Nous rencontrons là le problème de la définition d’une expression aussi complexeque celle de « culture populaire ». Entendons-la pour le moment au sens de culturepratiquée par les classes populaires ou, du moins, s’adressant à elles. Si nous revenonsau cas espagnol plus spécifiquement, Jorge Uría, qui s’est intéressé aux modesd’identification populaire sous la Restauration, en donne la définition suivante : « [Hay35 Cités par Alain CORBIN, L’avènement des loisirs…, p. 347.ISSN 1773-0023

232DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe XXe SIÈCLESque] admitir como cultura popular, las formas de cultura de masas y los productos deconsumo masivo puestos en circulación por las industrias culturales » 36 . Cette définitionn’est pas sans poser problème, dans la mesure où elle restreint cette culture à une culturemarchande mise en place pour les masses.Les loisirs : culture de masse, culture populaire ?Dans les deux projets qui retiennent notre attention, on peut dire que les membres duGATEPAC et, plus généralement, ceux qui adhérèrent au principe de ces stationsbalnéaires manifestaient le souhait d’influer à leur façon sur les nouveaux modesd’identification populaire, en particulier les loisirs de masses consuméristes apparusdepuis quelques années. Alors que, dans les années 1930, la culture de masse était déjàtrès liée au football-spectacle et aux industries culturelles, les concepteurs voulaientsusciter une culture populaire du loisir qui échappe aux principes de la production et dela consommation constitutifs du capitalisme. En ce sens, il s’agit d’un modèle de culturemilitante. Partant du constat que l’industrialisation générait des dysfonctionnements,depuis l’urbanisation sauvage, l’insalubrité des logements et l’anarchie des lieux deloisirs jusqu’aux occupations malsaines du temps libre dégagé, ils concevaient lesvacances comme une parenthèse nécessaire, comme un moment à préserver dans uncadre qui échappe aux relations du travail et à la vie urbaine, un espace démocratiquehors des schémas de production. C’est la philosophie qui sous-tend tout le projet, mêmesi cela ne signifie pas que ses promoteurs aient du même coup rejeté toute forme demodernité. Bien au contraire, dans leur esprit, il s’agissait de faire entrer la modernitédans les loisirs pour favoriser leur massification, condition d’un accès généralisé etégalitaire. C’est pourquoi ces architectes, et tout particulièrement les membres catalansdu GATCPAC, défendirent une forme d’industrialisation dans la construction de la« Ciutat de Repós i Vacances », à travers la standardisation des logements et cabines etleur production en série par les techniques modernes de l’industrie. En ce sens, laculture des loisirs contenue dans leur cité suivait un modèle proprement industriel, maispas nécessairement consumériste, puisque toute idée de profit était proscrite. Ces loisirs36 Jorge URÍA, « La cultura popular en la Restauración… », p. 104.ISSN 1773-0023

Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine231Le Corbusier parle, dans le plus pur style rationaliste, de « fonction disciplinée » quidoit se substituer à « l’acception informe des loisirs ». Et pour adapter en ce sensl’habitat, l’urbanisme doit prévoir des locaux et des terrains destinés aux loisirs. Pourfaire face au temps libre des travailleurs, la nécessité d’organiser les loisirs des massesva d’ailleurs se concrétiser dans la France du Front Populaire, en 1936, avec la créationsous le gouvernement Léon Blum d’un Sous-secrétariat aux Sports et Loisirs dirigé parLéo Lagrange. Promouvant entre autres choses les « loisirs dirigés », des activitésrécréatives organisées dans le cadre scolaire, cette instance offrait un cadre grâce auquelles masses populaires devaient s’épanouir. Pourtant, il ne s’agissait pas véritablementd’ouvrir l’ouvrier à des activités que l’on supposait ne pas lui convenir, intellectuellesnotamment. Le constat que font dès 1925 Borderel et R. Georges-Picot est, à ce titre,très révélateur :Il y a pétition de principe, à supposer que le loisir existe en soi, par suite d’une diminutiondu temps de travail et indépendamment d’un aménagement de l’existence où il puisse êtreapprécié comme tel. […] Dans l’existence ouvrière, partagée en général entre le travail, ladistraction extérieure et le repos complet, le loisir réel, c’est-à-dire une demi-activité libre,personnelle, ou bien une vie de société régulière, n’a pas de place, parce qu’il n’a pas de cadreou qu’il a des cadres mauvais. […] [Il faut donc] remplir ce cadre qu’il [l’ouvrier] rempliralui-même suivant ses goûts et au fur et à mesure de son évolution intellectuelle et morale 35 .Partant, les loisirs qui étaient proposés aux classes populaires se voulaient desvecteurs d’identification collective, susceptibles de donner naissance à une nouvelleculture populaire du loisir qui s’adapte au nouveau schéma social : exode rural, besoind’une main d’œuvre massive pour des travaux répétitifs, nécessité de trouver denouveaux facteurs de cohésion sociale, faire du travailleur un consommateur. Uneculture des loisirs, en somme, qui se substitue à la culture traditionnelle et aux culturesdites subversives.Nous rencontrons là le problème de la définition d’une expression aussi complexeque celle de « culture populaire ». Entendons-la pour le moment au sens de culturepratiquée par les classes populaires ou, du moins, s’adressant à elles. Si nous revenonsau cas espagnol plus spécifiquement, Jorge Uría, qui s’est intéressé aux modesd’identification populaire sous la Restauration, en donne la définition suivante : « [Hay35 Cités par Alain CORBIN, L’avènement des loisirs…, p. 347.ISSN 1773-0023

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