OCIO Y OCIOS DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES)
ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine195de l’URSS. C’est donc bien là que, selon la rédaction de Nuestro Cinema, se situe levéritable point de clivage entre le cinéma bourgeois et le cinéma social,révolutionnaire : le premier privilégie la forme, l’esthétisme, quand un bon cinéastedevrait, avant tout, faire prévaloir le fond, les idées.Le portrait du cinéma mondial que nous offrent les pages de la revue dirigée parJuan Piqueras est pour le moins contrasté. Aux yeux de ses collaborateurs, cet art encorejeune est, dans son versant bourgeois et capitaliste, en pleine crise, tant idéologique quefinancière, en cette première moitié des années 1930 ; dans l’interview qu’il accorde àJosé Castellón Díaz au début de l’année 1935, Luis Buñuel est catégorique : « Con elfilm comercial ocurre lo que con otras manifestaciones artísticas de nuestra época : quecorre velozmente a la decrepitud, como la misma sociedad que lo produce » 46 . Face àcette situation, et inspirés par le cinéma soviétique, les rédacteurs de Nuestro Cinematentent de proposer une nouvelle vision du cinéma.Le cinéma doit-il être utile ?Dans les années de l’entre-deux guerres, on voit se développer une réflexion sur leloisir ouvrier, comme le montrent de nombreux travaux du Bureau International duTravail, récemment créé 47 . La thèse d’André Braun-Larrieu, soutenue à l’École desHautes Etudes Sociales, en 1937, et publiée en 1938, sous le titre : Le rôle social ducinéma 48 , est révélatrice de cette préoccupation de nombre d’intellectuels à ce sujet, etce quelles que soient leurs affinités politiques. Dans son avant-propos, Braun-Larrieuaffirme :On dit communément : mieux vaut, pour l’ouvrier, aller au cinéma qu’au cabaret, mais rienn’est influençable comme le spectateur de cinéma […]. Il faut donc que le cinéma exerce uneinfluence bienfaisante et c’est pourquoi il est un des plus sérieux problèmes de l’heure présente.[…]Le cinéma est, avec le sport, le divertissement le plus sain, celui qui arrache chaque soir desmilliers de travailleurs à l’hébétude de l’alcool ; ainsi, il constitue une immense forced’attraction 49 .46 José CASTELLÓN DÍAZ, « Luis Buñuel y Las Hurdes : el realizador », Nuestro Cinema, 2èmeépoque, n°2 (février 1935), p. 8.47 Cf. Anne-Marie THIESSE, « Organisation des loisirs des travailleurs et temps dérobés (1880-1930) »,in Alain CORBIN (dir.), L’avènement des loisirs (1850-1960), Paris, Flammarion, 1995, p.305-306.48 André BRAUN-LARRIEU, Le rôle social du cinéma, Préface de Louis Lumière, Paris, Editions duCinéopse, 1938.49 Id., p. 2-3.ISSN 1773-0023
196DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLESOn voit ainsi la méfiance que peuvent ressentir certains intellectuels face à la dualitédu cinéma : hygiéniquement, il est moins nocif que le cabaret et l’alcool que l’on yvend, mais il est beaucoup plus dangereux du fait de l’importante disponibilitéintellectuelle du spectateur face à l’écran. Antonio Blanca, dans le n°11 de NuestroCinema, rejoint Braun-Larrieu en affirmant : « los obreros acuden al cinema en unmagnífico y trágico estado de receptividad » 50 . Mais lorsque Blanca, à l’instar duchercheur français, affirme qu’il faut donc contrôler les images proposées, c’est plutôtavec l’idée de l’utilité qu’elles peuvent avoir. Dès les années 1920, AnatoliLounatcharski, Commissaire du Peuple à l’Instruction Publique soviétique, et doncresponsable de l’industrie cinématographique bolchevique, avait écrit :Quel objectif assignons-nous à notre cinématographie, ou plutôt, quel objectif, à notre pointde vue, devrait poursuivre le cinéma universel ? Une forte éducation de la conscience desmasses humaines.Nous estimons que la véritable conscience des masses consiste pour elles à se rapprocherde la conscience communiste.C’est à cela que doit servir le cinéma. […] Si le cinéma se transformait en enseignant sansâme du communisme, il perdrait tout son attrait et tout son pouvoir. Non, il doit êtrespectaculaire, déborder d’effets, ce qui revient à dire qu’il doit d’abord entraîner et émouvoirla masse des spectateurs 51 .Ces quelques phrases de Lounatcharski mettent en relief un aspect souvent contestédu cinéma : son utilité. Cette polémique existe depuis les débuts du cinéma : on s’estd’abord demandé si le cinéma n’était qu’un simple divertissement, jusqu’à ce queCanudo lui attribue l’appellation de « Septième Art », au début des années 1910. Maisune fois inclus parmi les arts, il pouvait être remis en cause comme les six autres par lesnouvelles théories, nées en partie avec la Révolution Bolchevique, qui affirmaient que« l’Art pour l’Art » était un concept fallacieux et que l’art devait, non seulement prendreposition, mais surtout servir la lutte des classes. Dans sa réponse à la première enquêtede Nuestro Cinema, le critique Alfredo Cabello affirmait ainsi : « Me parece el cine unarte – completo como ninguno – de inmensas posibilidades. Un medio de expresión deenorme capacidad positivo-persuasiva. Es decir, un formidable medio depropaganda » 52 . Luis Gómez Mesa, dans le même numéro, rappelait que la jeunesse ducinéma, et son essence révolutionnaire, le rendaient idéal pour servir les idéaux les plus50 Antonio BLANCA, « Problemas actuales : Subvaloración del cinema », Nuestro Cinema, n°11 (avrilmai1933), p. 150.51 Anatoli LOUNATCHARSKI, « Du cinéma », Komsomolskaïa Pravda, 26 août 1925, in E.SCHMULEVITCH, Une décennie de cinéma soviétique…, p. 150.52 Antonio CABELLO, « Respuesta a la primera encuesta de Nuestro Cinema », Nuestro Cinema, n°4(septembre 1932), p. 97.ISSN 1773-0023
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