OCIO Y OCIOS DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES)
ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine181principal dont les enfants protagonistes s’évadent via le rêve ou un passeur comme PeterPan. C’est un milieu et une classe solidement installés, présentés comme un monde àfuir. Celia tente aussi l’évasion dans différents épisodes : elle se transforme en fée,essaie de s’enfuir avec des artistes ambulants ou écrit un livre d’aventures fantastiques,mais une différence radicale s’impose. Le manque de certitude ou d’assurance de cetteclasse aisée libérale espagnole limite d’une certaine façon la voie de l’évasion. ElenaFortún crée en réalité un personnage enfantin dans une société fragile, où coexistentl’Espagne traditionnelle et l’aspiration à la modernité.Celia est peut-être, donc, un instrument didactique dans la diffusion d’un modèlesocial et culturel, mais ces textes sont aussi intéressants par un deuxième niveau quinuance l’effet de modèle, dans son regard moqueur ou perplexe sur les mondainesmadrilènes, les voyages en train, les thés dansants. Ce qui semble s’imposer, c’est unesorte d’inquiétude, de renversement toujours possible du sens de ces loisirs ou despratiques quotidiennes, qui peuvent toujours tourner à la catastrophe ou mettre endanger l’enfant. Les loisirs expriment donc cette inquiétude liée à la modernité,inquiétude qui semble beaucoup moins forte dans les livres pour enfants du Nord del’Europe. Il est intéressant ici de rappeler comment la longue villégiature avec l’oncleRodrigo, les voyages, les rencontres dans Celia en el mundo déclenchent chez celle-ciune vraie maladie qui rend nécessaire, pour le père, le retour à l’ordre et à la paixespagnole.D’une certaine façon, cet échec du monde d’Elena Fortún se retrouve dans l’arrêtbrutal, puis le retard évident du développement des loisirs et du tourisme. Ce dernier neconnaît un redémarrage qu’à la fin des années 50, avec le changement de politiqueéconomique du Régime. Dans d’autres aspects des loisirs, les influences changerontaprès la Guerre Civile, le modèle américain prenant en partie la place des modèlesfrançais ou anglais, en particulier pour les classes supérieures. Cette évolution n’estd’ailleurs pas strictement espagnole. Dans le reste de l’Europe aussi, certaines pratiquesvont disparaître avec les changements sociaux issus de la 2 nde Guerre Mondiale, unecertaine classe de loisirs va changer ou même disparaître. Mais la spécificité espagnoleétait dans l’ambivalence culturelle de cette classe, qui rendra ses choix difficiles dansl’affrontement de la Guerre Civile.L’évolution du livre pour enfants après 1939 suggère, pour finir, quelquesremarques. Le discours officiel du nouveau régime s’impose là aussi naturellement,avec ses intentions d’édification et d’orientation idéologique. C’est un terraind’affrontements répétés pour les deux groupes qui aspirent à la domination idéologique,la Phalange et l’Église. La deuxième finit par l’emporter. La plupart des ouvragesd’Elena Fortún sont réédités, elle reste, en effet, en relation avec l’éditeur AguilarISSN 1773-0023
182DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLESdepuis son exil à Buenos Aires. Ses œuvres publiées après la guerre sont parfois trèsdifférentes des précédentes, comme Celia se casa, de 1950, d’une mièvrerie étonnante.D’autres personnages et auteurs surgissent, souvent très proches du modèle qu’étaitCelia, ainsi Antoñita la Fantástica, de Borita Casas, bien plus respectueuse desconvenances et des réalités sociales. Surtout, certains thèmes et genres dominent ; lemerveilleux mièvre ou l’autre tradition convenue de la littérature pour enfants, le monderural idyllique et « authentique ». Le sentimentalisme et le discours moralisateurdominent jusqu’au moment d’une certaine renaissance, dans les années 60. Il estintéressant cependant de souligner que la littérature pour enfants, dans les années 40 et50, est aussi le refuge d’un certain nombre d’auteurs que leur appartenance à laRépublique avait laissés hors des secteurs de la culture officielle. Ce sont souvent desfemmes, qu’on retrouve aussi dans la presse féminine, comme María Luz Morales ouMatilde Ras, qui vont se consacrer à l’écriture ou à la traduction d’œuvres pour lajeunesse.Dans ce nouveau contexte, les loisirs ont une place problématique dans lesreprésentations destinées aux enfants et, ce, peut-être, pour des raisons idéologiquesliées à la nature du régime. La représentation des loisirs ne peut s’entendre que dans uneécriture relativement réaliste, or cette représentation pose inévitablement les questionsde l’oisiveté et du travail, du temps et de l’argent, donc des différences sociales, notionsque la censure voit d’un mauvais œil dans les textes pour la jeunesse. Les « tebeos »sont peut-être une exception, dans la mesure où le traitement humoristique, parfoisféroce, semble avoir échappé à la censure jusqu’à environ 1958. De même, des loisirstrop hédonistes ne peuvent avoir de représentation innocente face au discoursmoralisateur porté par une Eglise omniprésente, les loisirs sont confondus avecl’oisiveté, et donc considérés comme néfastes, en particulier s’agissant de l’enfant et,plus que tout, de la petite fille. Et l’on repense ici à Celia, obligée de broder au lieu derêver ou de lire, ou qui, lorsqu’elle annonce qu’elle va écrire « sus fantasías » dans lecahier offert par son père, se voit conseillée par une religieuse d’y recopier plutôt desprières ou des exercices de calcul.Ce corpus s’inscrit donc dans l’Histoire à plusieurs titres ; dans l’Histoire sociale etculturelle, dans celle des pratiques quotidiennes, mais aussi, à travers l’élaboration d’unpersonnage dans la durée, dans l’Histoire politique du pays : aisance économique,agitation sociale 81 , guerre, fin du monde de la République, exil politique des élites81 Celia madrecita, « El sol subía de prisa, iluminando el campo. Encontrábamos labradores que segabanlos trigos y se paraban a ver pasar el tren… Luego hacían un gesto extraño; levantaban el puño cerrado,ISSN 1773-0023
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