OCIO Y OCIOS DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLES)
ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC ESPAGNE XVIIIe â XXe SIÃCLES - CREC
Centre de Recherche sur l’Espagne Contemporaine179aux convenances sociales, importance de l’éducation ou indifférence à la culture. Lesconflits familiaux, comiques ou aigres sont traités le plus souvent sur le modehumoristique, mais révèlent une tension croissante, bien différente de la périodeoptimiste et plus légère de Celia, lo que dice 77 .La rupture est définitive à la fin du volume Celia en la Revolución, lorsque, sur lepoint d’embarquer à Valence pour l’exil, Celia découvre les vrais sentiments de ceuxqu’elle considérait comme des proches :Se ríen de mi estupor.- ¡Pero no hagas caso, muchacha, de esa vieja loca! ¡No hagas caso…! ¡Claro que eresnuestra enemiga… !- ¿Yo?- Sí, tú, mosquita muerta, tú, dice Marcela, riendo. ¿ Es que no eres enemiga de Franco ?Pues nosotros somos sus amigos…,y mucho más desde que sabemos que va a venir…Se ríen ante mi cara de asombro. […]¡Mentían antes! ¡Mentían por miedo! El pueblo les fusilaba porque sabía que mentían… 78Ces aspects peuvent sembler nous éloigner du sujet, mais il est apparuprogressivement que les loisirs, dans les pratiques comme dans le discours élaboré àleur sujet, recouvrent des enjeux sociaux et politiques cruciaux. Ces loisirs, dans lamesure où ils engagent, à la fois, une vision de l’autre, autre pays ou autre culture, etune conscience de soi et de la tradition, sont le moyen d’élaborer une image de soicomme classe sociale et comme pays. Les plages élégantes, Juan-les-Pins, les voyagesen Chine, les promenades sur la Seine construisaient la vision cosmopolite, moderned’une famille madrilène du début des années 30, avec un contrepoint certes burlesque etfolklorique — vieilles nourrices andalouses, bonnes ignorantes, religieuses sévères —,mais qui renvoie clairement à l’autre Espagne, celle de la tradition méfiante etconformiste. Le jeu autour de ces deux aspects est cependant moins manichéen qu’il n’yparaît et ce mélange de « costumbrismo » réaliste et d’une modernité légère est peut-êtrel’essence même du long succès d’Elena Fortún. Contrairement à l’affirmation deCarmen Martín Gaite qui y voit un document essentiel sur cette société de laRépublique, il nous semble plus exact d’y voir une mise en scène, une représentation dela période par un auteur lié émotionnellement et idéologiquement à ses valeurs. Malgrél’abondance des détails réalistes, à la lecture, on a souvent l’impression d’une Espagne77 Celia en la Revolución, écrit en 1943, concrétise cette crispation à travers une rupture qui est plus quefamiliale. La tante Julia, personnage conservateur qui apparaît depuis Celia, lo que dice, affirme sonsoutien au soulèvement, son fils est membre de la Phalange et est exécuté une nuit à Madrid ; la tanteJulia disparaît un soir, sans doute victime du même sort. Au même moment, une partie de la famille setrouve déjà par hasard en Argentine, on les retrouve dans l’étrange objet littéraire qu’est Celia institutrizen América, 1944.78 Celia en la Revolución, p. 299.ISSN 1773-0023
180DU LOISIR AUX LOISIRS (ESPAGNE XVIIIe – XXe SIÈCLESmoderne rêvée. Le corpus ne peut certainement pas être une source objectived’information sur ce que pouvaient être les loisirs de la période, mais doit être interprétécomme la construction d’une certaine Espagne, fiction dans laquelle les loisirs sont unélément essentiel.Ces loisirs ne sont jamais vierges de sens et de connotations, ils servent ici à rêverune Espagne moderne et libérale, soucieuse de son esthétique. La plage élégante, lecinéma, la promenade en voiture disent une classe privilégiée, mais, au-delà de ladistinction sociale, ces pratiques — dans lesquelles les enfants commencent à jouer unrôle —, suggèrent plus que la modernité, la « normalité » désirée du pays dans cedomaine. Racontés, mis en scène, et même moqués, les usages du loisir sont un moyend’affirmation de valeurs.Il est important de rappeler ici quel est le support de cette affirmation : le livre pourenfant, loisir lui-même en expansion durant la période. Le livre pour enfant reste unepratique limitée à une classe, pas seulement aisée, mais aussi cultivée, celle qui, d’unecertaine façon, arrive au pouvoir avec la 2 nde République. Dans les années qui ontprécédé celle-ci et durant la République elle-même, la production destinée à ce public ad’autant plus augmenté qu’il y a eu, à partir de 31, une ébauche de campagne desassociations d’éditeurs et du pouvoir politique en faveur de la lecture des enfants 79 .Elena Fortún a joué d’ailleurs un rôle essentiel dans ces Salons du Livre et autresprésentations publiques.Bien sûr, le taux d’analphabétisme reste important, et ces ouvrages ne touchentqu’une minorité d’enfants, mais ceux-ci sont ceux d’une minorité active, qui voudraitmodifier le pays en profondeur. Le livre pour enfant a donc un statut particulier, unedouble fonction d’évasion et de formation des jeunes lecteurs. Les modèles sontétrangers, anglais et français. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les auteursont mis en scène la bourgeoisie (Alice au Pays des Merveilles, 1865, Peter Pan, 1911,Mary Poppins, 1934), non pas avec une volonté réaliste, mais en insistant sur le pouvoirde l’absurde et du merveilleux 80 . En France, la Comtesse de Ségur crée, à la fin du XIXesiècle, une comédie humaine à l’échelle des enfants, où la grande bourgeoisie côtoie lanoblesse, dans une description minutieuse de leur vie quotidienne et donc de leursvaleurs.Celia se distingue cependant, à la fois, par le « costumbrismo » et une distancemoqueuse envers ce monde, spécificités qui donnent leur identité au texte espagnol. Lerapprochement avec les modèles anglais permet d’apporter quelques élémentsrévélateurs du cas espagnol. Si l’on examine le cas anglais, la classe aisée en est le cadre79 María Luz MORALES, Libros, mujeres, niños, Barcelone, Cámara Oficial del Libro, 1928.80 Elena Fortún travaille aussi cette veine dans ce qui est censé être l’œuvre de Celia : Celia novelista.ISSN 1773-0023
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180<strong>DU</strong> <strong>LOISIR</strong> <strong>AUX</strong> <strong>LOISIR</strong>S (<strong>ESPAGNE</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>–</strong> <strong>XXe</strong> <strong>SIÈCLES</strong>moderne rêvée. Le corpus ne peut certainement pas être une source objectived’information sur ce que pouvaient être les loisirs de la période, mais doit être interprétécomme la construction d’une certaine Espagne, fiction dans laquelle les loisirs sont unélément essentiel.Ces loisirs ne sont jamais vierges de sens et de connotations, ils servent ici à rêverune Espagne moderne et libérale, soucieuse de son esthétique. La plage élégante, lecinéma, la promenade en voiture disent une classe privilégiée, mais, au-delà de ladistinction sociale, ces pratiques — dans lesquelles les enfants commencent à jouer unrôle —, suggèrent plus que la modernité, la « normalité » désirée du pays dans cedomaine. Racontés, mis en scène, et même moqués, les usages du loisir sont un moyend’affirmation de valeurs.Il est important de rappeler ici quel est le support de cette affirmation : le livre pourenfant, loisir lui-même en expansion durant la période. Le livre pour enfant reste unepratique limitée à une classe, pas seulement aisée, mais aussi cultivée, celle qui, d’unecertaine façon, arrive au pouvoir avec la 2 nde République. Dans les années qui ontprécédé celle-ci et durant la République elle-même, la production destinée à ce public ad’autant plus augmenté qu’il y a eu, à partir de 31, une ébauche de campagne desassociations d’éditeurs et du pouvoir politique en faveur de la lecture des enfants 79 .Elena Fortún a joué d’ailleurs un rôle essentiel dans ces Salons du Livre et autresprésentations publiques.Bien sûr, le taux d’analphabétisme reste important, et ces ouvrages ne touchentqu’une minorité d’enfants, mais ceux-ci sont ceux d’une minorité active, qui voudraitmodifier le pays en profondeur. Le livre pour enfant a donc un statut particulier, unedouble fonction d’évasion et de formation des jeunes lecteurs. Les modèles sontétrangers, anglais et français. À la fin du XIXe siècle et au début du <strong>XXe</strong>, les auteursont mis en scène la bourgeoisie (Alice au Pays des Merveilles, 1865, Peter Pan, 1911,Mary Poppins, 1934), non pas avec une volonté réaliste, mais en insistant sur le pouvoirde l’absurde et du merveilleux 80 . En France, la Comtesse de Ségur crée, à la fin du XIXesiècle, une comédie humaine à l’échelle des enfants, où la grande bourgeoisie côtoie lanoblesse, dans une description minutieuse de leur vie quotidienne et donc de leursvaleurs.Celia se distingue cependant, à la fois, par le « costumbrismo » et une distancemoqueuse envers ce monde, spécificités qui donnent leur identité au texte espagnol. Lerapprochement avec les modèles anglais permet d’apporter quelques élémentsrévélateurs du cas espagnol. Si l’on examine le cas anglais, la classe aisée en est le cadre79 María Luz MORALES, Libros, mujeres, niños, Barcelone, Cámara Oficial del Libro, 1928.80 Elena Fortún travaille aussi cette veine dans ce qui est censé être l’œuvre de Celia : Celia novelista.ISSN 1773-0023