10.08.2015 Views

Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

04-44-RF

04-44-RF

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

R. : Comment on pourrait dire... un conseiller prud'homal, c'est quelqu'un, il ne faut pas qu'il soittrop buté. Il faut qu'il juge suivant les faits, qu'il soit juste (...) il faut être équitable, quoi. Je vousdis pas... c'est pas une question <strong>de</strong> casqu<strong>et</strong>te, ce n'est pas une casqu<strong>et</strong>te. C'est d'être équitable.Parce que autrement, si on disait que l'employeur il aurait toujours raison, ce serait mauvais, <strong>et</strong> sion disait que le salarié a toujours raison, ça n'irait pas. » (prési<strong>de</strong>nt d'un p<strong>et</strong>it conseil <strong>de</strong>prud'hommes). » 176Ce travail <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> consensus, dont nous verrons dans la troisième partie comment ilse fait au concr<strong>et</strong>, est très présent dans les <strong>entre</strong>tiens, en particulier dans les moments où lesenquêteurs ont été témoins d'inter<strong>action</strong>s <strong>entre</strong> employeurs <strong>et</strong> salariés. Dans ces circonstances,les protagonistes semblent littéralement jouer <strong>de</strong>vant le sociologue le jeu institutionnalisé <strong>de</strong>la parité, quitte ensuite, quand l'autre quitte la scène, à faire <strong>entre</strong>r le témoin dans les coulissesdu désaccord 177 .Lors d'un <strong>entre</strong>tien dans un conseil d'une ville moyenne, une conseillère employeur <strong>et</strong> un conseillersalarié 178Employeur : « Nous nous sommes trouvés <strong>de</strong>s atomes très... nous travaillons très agréablementensemble alors comme je dis nous ne sommes pas forcément du même bord <strong>et</strong> malgré tout nousarrivons très bien à débattre <strong>et</strong> à concilier <strong>et</strong> à trouver... <strong>de</strong>s solutions pour les gens qui s'adressentà nous.Salarié : On n'a pas d'a priori. Je crois que ce qui nous gui<strong>de</strong>, c'est le co<strong>de</strong>, bien entendu. Le bonsens, après. Mais je crois que pour les prud'hommes, il faut laisser les étiqu<strong>et</strong>tes à la porte. On aune sensibilité, mais <strong>de</strong> toutes façons le dossier, il est bon ou il est mauvais (...)Employeur : A partir du moment où on est complètement impartial, les choses vont bien <strong>et</strong> on n'ajamais eu aucun problème... »Le « ping-pong » paritaire continue ainsi plusieurs minutes, pendant lesquelles les <strong>de</strong>uxprotagonistes s'échangent <strong>de</strong>s amabilités <strong>et</strong> montrent leur accord sur la philosophie <strong>de</strong> laprud'homie, qui consiste à respecter le droit <strong>et</strong> à régler la difficile dialectique <strong>entre</strong> euphémisation<strong>de</strong>s clivages <strong>et</strong> <strong>défense</strong> <strong>de</strong>s délégataires. Puis, dès le départ <strong>de</strong> l'employeur, le salarié revient sur sesrelations avec son homologue, en expliquant que la bon entente est, <strong>de</strong> sa part, un artificestratégique <strong>et</strong> le résultat du souci <strong>de</strong> cohésion <strong>entre</strong> les <strong>de</strong>ux. Chacun a fait un pas vers l’autre dansune politique <strong>de</strong> compromis qui ne rem<strong>et</strong> pas en cause leur i<strong>de</strong>ntité <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> classe.Comme on le voit, c'est le dispositif propre à l'institution prud'homale qui sembleperm<strong>et</strong>tre ce travail <strong>de</strong> pacification : il est en eff<strong>et</strong> fondé sur une parité organisée <strong>et</strong>institutionnalisée, mais aussi sur la nécessité d'être vus par l'extérieur, <strong>et</strong> notamment par lechamp judiciaire, comme un tribunal qui juge « en droit », c'est-à-dire en laissant <strong>de</strong> côté lesappartenances sociales, <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> politiques, mais aussi, par conséquent, la légitimité liée àla délégation qu'ils ont obtenue par l'élection. Ainsi, l'euphémisation <strong>de</strong>s conflits <strong>et</strong> laneutralisation <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> apparaissent comme une nécessité pour perm<strong>et</strong>tre à l'institution <strong>de</strong>fonctionner <strong>et</strong> <strong>de</strong> contrecarrer le déficit <strong>de</strong> légitimité judiciaire dont les professionnels du droit<strong>et</strong> <strong>de</strong> la justice la gratifient. C'est aussi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière que l'on peut comprendre les ré<strong>action</strong>scomplexes par rapport au départage : faire appel au juge départiteur fait la preuve <strong>de</strong> l'échec<strong>de</strong> la parité institutionnalisée productrice <strong>de</strong> consensus <strong>et</strong> <strong>de</strong> normativité judiciaire ; en mêm<strong>et</strong>emps, il signifie la limite que les conseillers prud'hommes se refusent <strong>de</strong> franchir, <strong>et</strong> au <strong>de</strong>là<strong>de</strong> laquelle les exigences <strong>de</strong> la fonction judiciaire m<strong>et</strong>tent à mal les impératifs <strong>de</strong> lareprésentation <strong>syndicale</strong>. Dès lors, le départage n'est pas seulement un échec, il est lamanifestation même <strong>de</strong> la prud'homie <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa position <strong>de</strong> lieu frontière, ni tout à fait un « lieu176Entr<strong>et</strong>ien n° C05.177Erwin Goffman justifie ainsi son attention aux inter<strong>action</strong> dans la vie quotidienne <strong>et</strong> sa métaphore théâtrale,qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> prendre au sérieux le travail <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong>s acteurs dans l'institution : « Parfois l'acteurchoisit <strong>de</strong> s'exprimer d'une façon déterminer, mais essentiellement parce que son statut social réclame ce genred'expression <strong>et</strong> non pas pour obtenir <strong>de</strong> ses interlocuteurs une réponse particulière (en <strong>de</strong>hors d'une vagueapprobation) » : cf. Erwin Goffman, La mise en scène <strong>de</strong> la vie quotidienne. 1. La présentation <strong>de</strong> soi, Paris,Minuit, 1973, p. 15.178Entr<strong>et</strong>ien n° J0969

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!