a) Des valeurs partagées par <strong>de</strong>là les clivagesAu total, les conseillers affirment presque unanimement avoir <strong>de</strong> très bons rapports avecl'autre collège, ce qui peut étonner quand on écoute les magistrats <strong>de</strong> carrière, jugesdépartiteurs en particulier, évoquer leurs expériences <strong>de</strong>s blocages <strong>de</strong> l’institution par lesconflits <strong>entre</strong> collèges. <strong>Les</strong> salariés sont même moins <strong>de</strong> 5% à juger mauvaises leur relationsavec les employeurs. Pour une première analyse, ces résultats tendraient à vérifier l'absence<strong>de</strong> conflits au sein du conseil <strong>et</strong> la persistance d'une idéologie <strong>de</strong> la concor<strong>de</strong> <strong>et</strong> dudépassement <strong>de</strong>s classes telle que l'a décrite Pierre Cam 175 . <strong>Les</strong> résultats vont d'autant plusdans ce sens que ce sont les employeurs qui jugent que les relations au sein du conseil sontbonnes : les dominants auraient tout intérêt à dissimuler les rapports <strong>de</strong> force qui se cachentau sein <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong>.Tableau 1 : Jugements <strong>de</strong>s conseillers sur les rapports au sein <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong>Relations sont employeurs salariésN % N %excellentes 58 14,04% 52 13,23%Plutôt bonnes 276 66,82% 213 53,85%Moyennes 68 16,46% 96 24,62%Plutôt mauvaises 7 1,69% 14 3,59%Très mauvaises 0 0 2 0,05%NSPP 4 0,1% 16 4,07%total 413 393 100%De fait, <strong>de</strong> nombreux <strong>entre</strong>tiens pointent la bonne entente au sein du conseil, le dialogue <strong>entre</strong>les collèges, que tout sépare par ailleurs. L'absence <strong>de</strong> conflictualité, l'existence d'un terraind'entente par <strong>de</strong>là les idéologies <strong>et</strong> les positionnements, <strong>et</strong> même en opposition avec lesorganisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> patronales qui poussent parfois à la confrontation sinon àl'affirmation <strong>de</strong>s différences, semblent faire <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> conciliation, au sensgénéral du terme <strong>et</strong> pas seulement en son sens prud'homal, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> pacification <strong>de</strong>srapports sociaux <strong>et</strong> <strong>de</strong> mise en concordance d'intérêts divergents.« Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'ambiance n'est pas conflictuelle en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>sdélibérés, où là, on peut avoir <strong>de</strong>s oppositions. On essaie <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>entre</strong> nous une certaine... jedirais pas amitié, mais au moins chacun se respecte. Il n'y a pas <strong>de</strong> difficultés particulières. »(Prési<strong>de</strong>nt salarié – CGT – d'un conseil d'une très gran<strong>de</strong> ville)Presque tous les <strong>entre</strong>tiens insistent, en ce sens, sur la mise <strong>entre</strong> parenthèses <strong>de</strong>s clivagespolitiques <strong>et</strong> surtout syndicaux, au profit d'un certain accord, souvent provisoire <strong>et</strong> partiel,mais qui perm<strong>et</strong> au conseil <strong>de</strong> juger <strong>et</strong> <strong>de</strong> persévérer dans sa mission tout en répondant auxcritiques dont il est l'obj<strong>et</strong>. De même, <strong>de</strong> nombreux conseillers évoquent la nécessité <strong>de</strong>« laisser sa casqu<strong>et</strong>te au vestiaire », ce qui conduit notamment à accepter <strong>de</strong> ne pas défendreun pair dans la mesure où il est « indéfendable ». Le « bon » conseiller prud'hommes, c'estcelui qui ne défend pas l'indéfendable, surtout lorsqu'il est un pair. L'image revient dans <strong>de</strong>nombreux <strong>entre</strong>tiens, notamment avec <strong>de</strong>s prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> <strong>conseils</strong> :Q. : « est-ce que vous pourriez définir ce que c'est, pour vous, un bon conseiller prud'homal ?175Pierre Cam, <strong>Les</strong> prud'hommes juge sou arbitres ?, op. cit.68
R. : Comment on pourrait dire... un conseiller prud'homal, c'est quelqu'un, il ne faut pas qu'il soittrop buté. Il faut qu'il juge suivant les faits, qu'il soit juste (...) il faut être équitable, quoi. Je vousdis pas... c'est pas une question <strong>de</strong> casqu<strong>et</strong>te, ce n'est pas une casqu<strong>et</strong>te. C'est d'être équitable.Parce que autrement, si on disait que l'employeur il aurait toujours raison, ce serait mauvais, <strong>et</strong> sion disait que le salarié a toujours raison, ça n'irait pas. » (prési<strong>de</strong>nt d'un p<strong>et</strong>it conseil <strong>de</strong>prud'hommes). » 176Ce travail <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> consensus, dont nous verrons dans la troisième partie comment ilse fait au concr<strong>et</strong>, est très présent dans les <strong>entre</strong>tiens, en particulier dans les moments où lesenquêteurs ont été témoins d'inter<strong>action</strong>s <strong>entre</strong> employeurs <strong>et</strong> salariés. Dans ces circonstances,les protagonistes semblent littéralement jouer <strong>de</strong>vant le sociologue le jeu institutionnalisé <strong>de</strong>la parité, quitte ensuite, quand l'autre quitte la scène, à faire <strong>entre</strong>r le témoin dans les coulissesdu désaccord 177 .Lors d'un <strong>entre</strong>tien dans un conseil d'une ville moyenne, une conseillère employeur <strong>et</strong> un conseillersalarié 178Employeur : « Nous nous sommes trouvés <strong>de</strong>s atomes très... nous travaillons très agréablementensemble alors comme je dis nous ne sommes pas forcément du même bord <strong>et</strong> malgré tout nousarrivons très bien à débattre <strong>et</strong> à concilier <strong>et</strong> à trouver... <strong>de</strong>s solutions pour les gens qui s'adressentà nous.Salarié : On n'a pas d'a priori. Je crois que ce qui nous gui<strong>de</strong>, c'est le co<strong>de</strong>, bien entendu. Le bonsens, après. Mais je crois que pour les prud'hommes, il faut laisser les étiqu<strong>et</strong>tes à la porte. On aune sensibilité, mais <strong>de</strong> toutes façons le dossier, il est bon ou il est mauvais (...)Employeur : A partir du moment où on est complètement impartial, les choses vont bien <strong>et</strong> on n'ajamais eu aucun problème... »Le « ping-pong » paritaire continue ainsi plusieurs minutes, pendant lesquelles les <strong>de</strong>uxprotagonistes s'échangent <strong>de</strong>s amabilités <strong>et</strong> montrent leur accord sur la philosophie <strong>de</strong> laprud'homie, qui consiste à respecter le droit <strong>et</strong> à régler la difficile dialectique <strong>entre</strong> euphémisation<strong>de</strong>s clivages <strong>et</strong> <strong>défense</strong> <strong>de</strong>s délégataires. Puis, dès le départ <strong>de</strong> l'employeur, le salarié revient sur sesrelations avec son homologue, en expliquant que la bon entente est, <strong>de</strong> sa part, un artificestratégique <strong>et</strong> le résultat du souci <strong>de</strong> cohésion <strong>entre</strong> les <strong>de</strong>ux. Chacun a fait un pas vers l’autre dansune politique <strong>de</strong> compromis qui ne rem<strong>et</strong> pas en cause leur i<strong>de</strong>ntité <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> classe.Comme on le voit, c'est le dispositif propre à l'institution prud'homale qui sembleperm<strong>et</strong>tre ce travail <strong>de</strong> pacification : il est en eff<strong>et</strong> fondé sur une parité organisée <strong>et</strong>institutionnalisée, mais aussi sur la nécessité d'être vus par l'extérieur, <strong>et</strong> notamment par lechamp judiciaire, comme un tribunal qui juge « en droit », c'est-à-dire en laissant <strong>de</strong> côté lesappartenances sociales, <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> politiques, mais aussi, par conséquent, la légitimité liée àla délégation qu'ils ont obtenue par l'élection. Ainsi, l'euphémisation <strong>de</strong>s conflits <strong>et</strong> laneutralisation <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> apparaissent comme une nécessité pour perm<strong>et</strong>tre à l'institution <strong>de</strong>fonctionner <strong>et</strong> <strong>de</strong> contrecarrer le déficit <strong>de</strong> légitimité judiciaire dont les professionnels du droit<strong>et</strong> <strong>de</strong> la justice la gratifient. C'est aussi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière que l'on peut comprendre les ré<strong>action</strong>scomplexes par rapport au départage : faire appel au juge départiteur fait la preuve <strong>de</strong> l'échec<strong>de</strong> la parité institutionnalisée productrice <strong>de</strong> consensus <strong>et</strong> <strong>de</strong> normativité judiciaire ; en mêm<strong>et</strong>emps, il signifie la limite que les conseillers prud'hommes se refusent <strong>de</strong> franchir, <strong>et</strong> au <strong>de</strong>là<strong>de</strong> laquelle les exigences <strong>de</strong> la fonction judiciaire m<strong>et</strong>tent à mal les impératifs <strong>de</strong> lareprésentation <strong>syndicale</strong>. Dès lors, le départage n'est pas seulement un échec, il est lamanifestation même <strong>de</strong> la prud'homie <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa position <strong>de</strong> lieu frontière, ni tout à fait un « lieu176Entr<strong>et</strong>ien n° C05.177Erwin Goffman justifie ainsi son attention aux inter<strong>action</strong> dans la vie quotidienne <strong>et</strong> sa métaphore théâtrale,qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> prendre au sérieux le travail <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong>s acteurs dans l'institution : « Parfois l'acteurchoisit <strong>de</strong> s'exprimer d'une façon déterminer, mais essentiellement parce que son statut social réclame ce genred'expression <strong>et</strong> non pas pour obtenir <strong>de</strong> ses interlocuteurs une réponse particulière (en <strong>de</strong>hors d'une vagueapprobation) » : cf. Erwin Goffman, La mise en scène <strong>de</strong> la vie quotidienne. 1. La présentation <strong>de</strong> soi, Paris,Minuit, 1973, p. 15.178Entr<strong>et</strong>ien n° J0969
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