manière d'être pour saisir l'i<strong>de</strong>ntité d'écrivain 171 , se donne à voir très concrètement dans unemultiplicité d'affrontements, le plus souvent feutrés, par exemple autour <strong>de</strong> la réd<strong>action</strong> <strong>de</strong>sjugements. Formellement, celle-ci est l'oeuvre <strong>de</strong>s conseillers eux-mêmes, qui doiventmotiver leurs décisions <strong>et</strong> le font avec plus ou moins <strong>de</strong> précision 172 . Or, les greffiers sontsouvent très critiques à l'endroit <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> réd<strong>action</strong> <strong>de</strong>s conseillers ; dans les<strong>entre</strong>tiens, ce sont quasiment les catégories les plus classiques <strong>de</strong> l'enten<strong>de</strong>ment professoralqui sont utilisées, c'est-à-dire <strong>de</strong>s « formes <strong>de</strong> pensée, d'expression <strong>et</strong> d'appréciation [qui]doivent leur logique spécifique au fait que, produite <strong>et</strong> reproduites par le système scolaire,elles sont le produit <strong>de</strong> la transformation que la logique spécifique du champ universitaireimpose aux formes qui organisent la pensée <strong>et</strong> l'expression <strong>de</strong> la classe dominante. » 173 Cesont non seulement les problèmes d'orthographe <strong>et</strong> <strong>de</strong> grammaire qui sont mis en valeur, maisaussi les difficultés techniques <strong>de</strong> réd<strong>action</strong> ou la non appropriation par les conseillers dufameux raisonnement juridique : « C'est vrai que c'est pas donné à tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> rédiger<strong>de</strong>s jugements », « on leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si ce qui est tapé est bien conforme à ce qu'il sont vouluécrire, pour pas qu'il y ait <strong>de</strong> contresens ou qu'il y ait un problème », « c'est facile pour lesgreffiers <strong>de</strong> dire : il y a un problème dans le raisonnement juridique. ». Il ne s'agit pas <strong>de</strong> direque ces problèmes ne sont pas réels, <strong>et</strong> que les greffiers ne rencontrent pas au quotidien <strong>de</strong>sdifficultés dans le travail <strong>de</strong> réd<strong>action</strong> <strong>de</strong>s conseillers. Seul un travail d'observation <strong>de</strong>sinter<strong>action</strong>s quotidiennes <strong>entre</strong> les <strong>de</strong>ux types d'acteurs perm<strong>et</strong>trait <strong>de</strong> répondre à c<strong>et</strong>tequestion. Il est cependant plus intéressant <strong>de</strong> montrer comment les greffiers prennent, dansleur situation professionnelle au sein du conseil, le rôle <strong>de</strong> professionnel du droit <strong>et</strong> participentà sortir symboliquement les conseillers prud'hommes du champ juridique, ou tout au moins àles positionner à la périphérie. Pour ce faire, ils usent <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux arguments classique du rej<strong>et</strong>du profane hors <strong>de</strong>s juridictions : la compétence juridique <strong>et</strong> leur appartenance <strong>syndicale</strong>.Ces <strong>de</strong>ux éléments éloignent les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes du « droit pur », concept à la foisthéorique <strong>et</strong> pratique qui est au coeur du champ juridique <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> le travail d'inclusion <strong>et</strong>d'exclusion. Même si ces juridictions appartiennent formellement à l'ordre judiciaire, elles ser<strong>et</strong>rouvent dans une position périphérique par rapport à la justice « normale » ; ce quicontribue largement au déficit <strong>de</strong> légitimité judiciaire <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>et</strong> à leur position en porteà-fauxpar rapport à la hiérarchie <strong>et</strong> aux professions judiciaires. Paradoxalement, la doubleappartenance <strong>de</strong>s prud'hommes, à la fois au champ judiciaire <strong>et</strong> au champ syndical ne génèrepas une plus gran<strong>de</strong> légitimité, bien au contraire : chacune semble affaiblir l'autre <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre les<strong>conseils</strong> dans une position peu confortable : ni institution sociale, ni institution juridique, lesprud'hommes doivent trouver ailleurs leur force <strong>et</strong> leur autorité sociale. Ainsi peut-oncomprendre la force <strong>de</strong>s « valeurs prud'homales » qui, comme il y a <strong>de</strong>ux siècles, structurentles discours sur l'institution autour <strong>de</strong> la conciliation, du respect <strong>et</strong> du dialogue. Peu importeque la réalité soit bien différente <strong>et</strong> que les conseillers se vivent tour à tour comme <strong>de</strong>ssyndicalistes ou comme <strong>de</strong>s juristes : la force <strong>de</strong>s prud'hommes tient sans doute à lapersistance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te idéologie.2. Entre parité <strong>et</strong> conciliation : une dialectique résolue par lerespect du droit171Nathalie Heinich, « Façons d'être écrivain: l'i<strong>de</strong>ntité professionnelle en régime <strong>de</strong> singularité », Revuefrançaise <strong>de</strong> sociologie, XXXVI-3, juill<strong>et</strong>-septembre 1995.172Sur la réd<strong>action</strong> <strong>de</strong>s jugements par les conseillers, cf. aussi 3è partie.173Pierre Bourdieu <strong>et</strong> Monique <strong>de</strong> Saint-Martin, « <strong>Les</strong> catégories <strong>de</strong> l'enten<strong>de</strong>ment professoral », Actes <strong>de</strong> laRecherches en Sciences Sociales, 1975, n° 3, p. 69.66
La force symbolique <strong>et</strong> matérielle <strong>de</strong>s impératifs juridiques <strong>et</strong> judiciaires semble ainsi <strong>entre</strong>ren contradiction avec l'exigence <strong>de</strong> représentation <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong> professionnelle que l'institutionporte aussi : élus par leurs pairs sur <strong>de</strong>s listes <strong>syndicale</strong>s, adhérents <strong>et</strong> militants, ils sontastreints à pratiquer un travail <strong>de</strong> délégation <strong>et</strong> <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong>s salariés <strong>et</strong> <strong>de</strong>semployeurs. La confrontation <strong>entre</strong> ces <strong>de</strong>ux sources <strong>de</strong> légitimité conduit à la mise en valeurd'un cadre <strong>de</strong> valeurs qui forment les représentations <strong>et</strong> influencent les discours <strong>de</strong>sconseillers sur leur propre rôle. Or, ces représentations intègrent souvent ce qui apparaîtcomme une opposition voire comme <strong>de</strong>s hiatus <strong>et</strong> <strong>de</strong>s injonctions contradictoires 174 , qui sontcertes résolues au quotidien dans leurs liens avec les organisations <strong>syndicale</strong>s, leur proximitéavec le droit <strong>et</strong> leurs pratiques <strong>de</strong> jugement, mais restent fortement ancrées dans lesconceptions qu'ils se font <strong>de</strong> leur rôle judiciaire <strong>et</strong> militant.Il paraît donc intéressant d'étudier les justifications <strong>de</strong>s conseillers prud'hommes <strong>et</strong> la manièredont ils conçoivent leur rôle <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> l'institution, <strong>de</strong> manière à voir ensuite en quoi leurstrajectoires <strong>et</strong> leurs pratiques s'en éloignent ou s'en rapprochent, mais aussi la manière dont ilsincorporent, au moins discursivement, leur rôle. De fait, ils sont sans cesse sommés, par lesobservateurs (notamment les sociologues), par les responsables syndicaux ou par lesprofessionnels du droit, d'expliquer la position frontalière <strong>de</strong> l'institution dans laquelle ilsexercent leur activité <strong>et</strong> la manière dont ils réussissent à la fois à être <strong>de</strong> « bon » militants <strong>et</strong><strong>de</strong> « bons » juges, ils privilégient une présentation d'eux-mêmes fondée certes sur leurfonction <strong>de</strong> représentation <strong>de</strong> leurs mandants, mais aussi sur le respect du droit d'une part, surla parité, le consensus <strong>et</strong> la conciliation d'autre part. C'est la manière dont ils relientl'ensemble <strong>de</strong> ces conceptions <strong>de</strong> leur mandat que nous voulons explorer maintenant. SelonPatrick Hunout, c'est par l'incorporation du modèle <strong>de</strong> justice professionnelle <strong>et</strong> donc laréférence ultime au champ juridique que les prud'hommes résolvent ce paradoxe. Nousvoudrions montrer que la réalité est plus complexe <strong>et</strong> que, même dans leurs représentations,les conseillers prud'hommes m<strong>et</strong>tent en valeur les trois éléments <strong>de</strong> justification.Pour ce faire, dans le questionnaire que nous avons réalisé, nous avons posé un certainnombre <strong>de</strong> questions ouvertes <strong>et</strong> fermées, qui perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> montrer le sens général que lesconseillers donnent à leur <strong>action</strong>. Nous avons sélectionné <strong>de</strong>ux questions, auxquelles presqu<strong>et</strong>ous les conseillers ont répondu, <strong>et</strong> certain même assez longuement :- De manière générale, comment jugez-vous vos relations avec les conseillers employeurs ?Expliquez pourquoi- Que représente pour vous votre rôle <strong>de</strong> conseiller prud'homme ?L'analyse <strong>de</strong>s réponses à ces questions perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> systématiser les éléments présents dans les<strong>entre</strong>tiens <strong>et</strong> <strong>de</strong> saisir les représentations collectives <strong>de</strong>s conseillers prud'hommes. Au total,c'est une sorte d'idéologie prud'homale qui peut être mise en forme autour <strong>de</strong> plusieurséléments centraux : la recherche du consensus, la parité organisée <strong>et</strong> la conciliation. Ces« valeurs » renvoient à l'histoire <strong>de</strong> la prud'homie, qui reste toujours présente, au moins dansles esprits, <strong>et</strong> qui est résumée par la <strong>de</strong>vise marquée sur les médailles portées par lesconseillers « servat <strong>et</strong> conciliat ». Le détour du premier chapitre par l'histoire nous a permis<strong>de</strong> montrer comment c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>vise avait structuré l'institution, mais comment elle avait étébattue en brèche, dans la réalité, par les processus <strong>de</strong> syndicalisation, mais aussi <strong>de</strong>judiciarisation. Il faut alors comprendre comment ces trois éléments cohabitent <strong>et</strong> secombinent dans les représentations <strong>de</strong>s conseillers.174Patrick Hunout, Droit du travail <strong>et</strong> psychologie sociale, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1990.67
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