qui se donne à voir par toute une série d'inci<strong>de</strong>nts d'audience, d'hésitations ou d'attitu<strong>de</strong>sd'hostilité ou <strong>de</strong> respect excessif face aux professionnels du droit.Tout d'abord, les audiences donnent lieu à un grand nombre d'inter<strong>action</strong>s <strong>entre</strong> conseillers <strong>et</strong>avocats, qui montrent le caractère souvent tendu, <strong>et</strong> en tout état <strong>de</strong> cause compétitif, <strong>de</strong> larelation 158 . Nombre d'avocats adoptent face aux conseillers un comportement qu'on peut jugersupérieur, voire arrogant. De leur côté, les conseillers se sentent mal considérés par lesavocats <strong>et</strong> considèrent leurs savoirs <strong>et</strong> savoir-faire juridiques méprisés. La question <strong>de</strong>srenvois perm<strong>et</strong> d'illustrer ces difficultés <strong>et</strong> ces incompréhensions. Plus encore que dans lestribunaux civils, les renvois sont très nombreux : lors <strong>de</strong>s observations que nous avons faites,c'est souvent au moins la moitié <strong>de</strong>s affaires qui n'a pas pu être plaidée, les avocats <strong>de</strong>mandantle renvoi du fait <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ards dans l'échange <strong>de</strong> pièces. Or, c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> fait est doublement malvécue : d'une part parce que la multiplication <strong>de</strong>s renvois conduit à dégra<strong>de</strong>r les statistiques <strong>et</strong>les indicateurs <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> la justice, qui mesurent la rapidité <strong>de</strong>s jugements <strong>et</strong> le volume dustock. Mais plus encore, les prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> estiment que les renvois manifestent lemépris dans lequel ils sont tenus par les avocats. Comme le dit le prési<strong>de</strong>nt d'un grand conseil: « Comme on a <strong>de</strong> plus en plus d'avocats dans les procédures, on a <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>renvois. Qui sont générés quand même beaucoup par les avocats, même s'ils s'en défen<strong>de</strong>ntun peu (...) parce que les renvois, c'est dramatique ! C'est un an... A l'encadrement <strong>et</strong> aucommerce, ils prennent facilement un an <strong>de</strong> plus ! Un an <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> procédure ! »Au total, le grand nombre <strong>de</strong> renvois, dont la responsabilité est reportée sur le conseil,mine la légitimité du conseil. Ces événements <strong>de</strong> procédure, <strong>de</strong>venus l'ordinaire <strong>de</strong>l’institution, génèrent <strong>de</strong> nombreux conflits pendant les audiences <strong>et</strong> une animosité <strong>de</strong>sconseillers envers les avocats.Audience <strong>de</strong> bureau <strong>de</strong> jugement dans un conseil <strong>de</strong> prud'hommes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille,section encadrement 159C<strong>et</strong> après-midi là, on peut noter 44 affaires au rôle, contre une p<strong>et</strong>ite dizaine habituellement ; en réalité, 43affaires concernent un dossier commun qui oppose une gran<strong>de</strong> <strong>entre</strong>prise commerciale à ses anciens salariés, <strong>de</strong>Valence <strong>et</strong> <strong>de</strong> Strasbourg. Avec <strong>de</strong>ux avocates, l'une très jeune, <strong>défense</strong>ur <strong>de</strong>s salariés, <strong>et</strong> l'autre, d'unequarantaine d'années, avec un fort accent allemand. Je comprendrai vite qu'elles se sont substituées aux avocatshabituels <strong>de</strong> l'affaire. Quand les conseillers arrivent, déjà en colère car probablement au courant <strong>de</strong> ce qui va sepasser, les avocates s'approchent <strong>de</strong> la barre pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r le renvoi. Le ton monte très vite, les conseillers sontexaspérés : ils voient que les <strong>de</strong>ux femmes n'ont pas <strong>de</strong> dossier <strong>et</strong> ne sont pas en état <strong>de</strong> plai<strong>de</strong>r. <strong>Les</strong> pièces<strong>de</strong>vaient être échangées <strong>de</strong>puis un an-<strong>et</strong>-<strong>de</strong>mi <strong>et</strong> ils trouvent anormal que l'affaire ne soit pas plaidée. Ils sonttous les 4 très fâchés, le prési<strong>de</strong>nt s'emporte contre la jeune avocate <strong>et</strong> menace d'un renvoi-sanction : « c'estquelque part un peu gonflant. Vous me faites venir au conseil pour rien » ; chacun ajoute une critique <strong>et</strong> leconseiller patron conclut : « vous pouvez apprécier, chose rare, l'unanimité du conseil ! » ; même le greffier s'enmêle en expliquant que c<strong>et</strong>te affaire monopolise une audience en entier. Finalement, le conseil sort pourdélibérer ; le délibéré est assez long <strong>et</strong> finalement, le renvoi est prononcé pour le 6 novembre 2007 (c'est unrenvoi-sanction).On pourrait multiplier les récits <strong>de</strong> ce genre, tant ce problème <strong>de</strong>s renvois est commun àl'ensemble <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> dans lesquels nous avons enquêté, même s'il est plus critique dans lesprud'hommes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> taille. Pour faire face à ce problème qui déconsidère les prud'hommesdans l'esprit <strong>de</strong> la hiérarchie judiciaire (qui voit que les indicateurs sont négatifs) <strong>et</strong> dans celui157Cf. Antoine Vauchez <strong>et</strong> Laurent Willemez, La justice face à ses réformateurs, Paris, PUF (« Droit <strong>et</strong> justice »),2007, en particulier le chapitre 3 <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième partie.158Pour <strong>de</strong>s développement plus substantiels sur la question, cf. Jean-Philippe Tonneau, « Avocats <strong>et</strong> conseillers :<strong>de</strong>s relations ambiguës ? », in Hélène Michel <strong>et</strong> Laurent Willemez, ...159Observation du 24 avril 200660
<strong>de</strong>s salariés, les prési<strong>de</strong>nts ont mis en place, dans plusieurs lieux, une commission chargée <strong>de</strong>discuter d'une convention avec le barreau local, qui perm<strong>et</strong>trait <strong>de</strong> réduire le nombre <strong>de</strong>renvois. Quoi qu'il en soit, le fait que le nombre important <strong>de</strong> renvois affaiblisse lesprud'hommes est un signe <strong>de</strong> sa fragilité : il empêche le conseil <strong>de</strong> jouer son rôle <strong>et</strong> m<strong>et</strong> auxprises les conseillers avec <strong>de</strong>s logiques autres, <strong>et</strong> en l'occurrence sur un sens pratique <strong>de</strong> laprofession d'avocat, fondé sur un jeu avec les formes <strong>et</strong> la procédure, ainsi que sur un rapportau temps très différent.Plus largement, il faut noter une autre forme <strong>de</strong> ressentiment <strong>de</strong>s conseillers envers lesavocats, assez général <strong>et</strong> largement partagé, qui est lié à l'activité même <strong>de</strong>s avocats : celle <strong>de</strong>faire <strong>de</strong>s plaidoiries, <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s récits, <strong>et</strong> finalement <strong>de</strong> défendre leurs clients. Ainsi, unconseiller CGT <strong>de</strong> la section <strong>de</strong>s Activités diverses d'un conseil d'une ville moyenne ditlorsque l'on l'interroge sur les plaidoiries <strong>de</strong>s avocats :« on prend <strong>de</strong>s notes, on écoute, après vous avez le jeu <strong>de</strong>s conclusions que vous parcourez, vousécoutez d'une oreille parce qu'il faut suivre le p<strong>et</strong>it bout qui va être intéressant, <strong>et</strong> généralement,si vous avez les conclusions <strong>de</strong> l'employeur, vous les lisez en même temps. Donc il y a unmoment... ben c'est <strong>de</strong>s baveux, ils racontent... « cause toujours, tu m'intéresses ».La longueur <strong>de</strong>s plaidoiries, le jeu avec la vérité <strong>et</strong> la difficulté à démêler les faits, constituentautant <strong>de</strong> critiques <strong>de</strong>s conseillers envers les avocats, qui donnent lieu à nombre <strong>de</strong> miniinci<strong>de</strong>nts,sortes d’affrontements symboliques complexes : alors que les avocats préten<strong>de</strong>nt aumonopole <strong>de</strong> la détention <strong>et</strong> <strong>de</strong> la manipulation <strong>de</strong>s catégories juridiques, <strong>et</strong> plusparticulièrement face aux conseillers prud'hommes considérés comme <strong>de</strong>s profanes, lesconseillers jouent sur leur légitimité proprement judiciaire qui leur donne, dans les faits sinonsymboliquement, une autorité importante sur les avocats : ils ont le pouvoir suprême <strong>de</strong> fairecondamner leurs clients. D'où le fait que <strong>de</strong> nombreux prési<strong>de</strong>nts d'audience soient parfoisdirectifs, voire vindicatifs, envers les avocats. Bien entendu, comme on le verra, c<strong>et</strong>te attitu<strong>de</strong>dépend d'abord <strong>de</strong> leur rapport au droit <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur capacité à déplacer à leur profit lesfrontières <strong>de</strong> leur légitimité à dire le droit, <strong>et</strong> ceux qui se préten<strong>de</strong>nt les plus juristes sont ceuxqui sont les plus durs avec les « enrobés », comme disent certains. De fait; pour les conseillersprud'hommes, critiquer les avocats est presque une figure <strong>de</strong> style, qui perm<strong>et</strong> à l'inverse <strong>de</strong> seconférer une légitimité, en quelque sorte d'être plus juristes que les juristes. <strong>Les</strong> <strong>entre</strong>tienscomme les observations donnent à voir c<strong>et</strong>te manière <strong>de</strong> se « grandir » symboliquement encritiquant les avocats. Ainsi ce conseiller prud'homme, employeur <strong>et</strong> militant <strong>de</strong> la CGPME,dans le conseil d'une gran<strong>de</strong> ville, qui compare les <strong>défense</strong>urs syndicaux – qui appartiennentau même mon<strong>de</strong> juridico-syndical que le sien – aux avocats : « Parce qu'ils [les <strong>défense</strong>urssyndicaux] sont <strong>de</strong>s vrais spécialistes du droit du travail, alors que certains avocats quiviennent sont <strong>de</strong>s rigolos, , <strong>de</strong>s jeunes qui ont besoin d'apprendre. Ou <strong>de</strong>s gens qui ont étécommis d'office <strong>et</strong> qui n'ont rien à voir avec le droit social. Le droit social est un vrai droit, ledroit social est une chose vraiment importante, <strong>et</strong> qui méritent que les gens y travaillentbeaucoup. Tout le mon<strong>de</strong> ne peur pas être formé au social, même chez les avocats. » 160Audience <strong>de</strong> bureau <strong>de</strong> jugement dans un conseil <strong>de</strong> prud'hommes d'une gran<strong>de</strong> ville,section encadrement 161160Au passage, il est intéressant <strong>de</strong> remarquer que les représentations que les conseillers ont <strong>de</strong>s avocats sont trèsproches <strong>de</strong>s représentations communes <strong>et</strong> ce, malgré le fait qu'ils côtoient très souvent. Mais comme nous l'avonsvu, ces critiques correspon<strong>de</strong>nt d'abord à <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> revalorisation <strong>de</strong> soi.161Observation du 23 novembre 200561
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