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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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dans l’inter<strong>action</strong> avec l’autre collège <strong>et</strong> se m<strong>et</strong> au point une manière <strong>de</strong> déjouer les ré<strong>action</strong>squ’elle peut engendrer 128 .« [la prési<strong>de</strong>nte générale] Alors elle, que je respecte, c'est un employeur, à l'industrie... Donc jeme suis dit quand je l'ai abordée, si je lui fais du r<strong>entre</strong> <strong>de</strong>dans, ça va pas marcher. Donc dudépart on a mis les choses au point. C'est vrai que j'ai pas d'a priori, mais j'aurais pu dire : ‘j'suisCGT, vous êtes MEDEF’, point final. Et puis ça serait.... Donc moi je lui ai dit : ‘Qu'est-ce quevous faites ?’ Elle me dit ‘p<strong>et</strong>ite <strong>entre</strong>prise’. Je lui ai dit : ‘moi vous savez, moi le patron, le vraipatron, c'est la grosse boîte, c'est la multinationale, <strong>et</strong>c.’ Et ça, je le pense. Je me dis qu'il faudraitpeut-être les ai<strong>de</strong>r un p<strong>et</strong>it peu en taxant davantage les grosses boîtes. Et si effectivement ontaxait un peu les grosses boîtes pour leur donner un peu les moyens, peut-être qu'ils n'auraientpas les problèmes qu'ils rencontrent, peut-être qu'ils pourraient embaucher... ça serait bien pourtout le mon<strong>de</strong>. Vous voyez... donc la première audience non, si ce n'est l'idée que les gars avaientle savoir que moi je n'avais pas <strong>et</strong> que moi je marchais sur la pointe <strong>de</strong>s pieds. Eh bon ben j'aipris le <strong>de</strong>ssus. Après on laisse croire qu'on sait. Il y a un moment où j'ai joué un peu ce jeu-là.Ben oui ! » 129Il peut ainsi éviter l’affrontement tout en se conformant à <strong>de</strong>s attentes <strong>de</strong> rôle. Il peut imposersubstituer à l’étiqu<strong>et</strong>te <strong>syndicale</strong> une autre image qui est une image d’un collège contre unautre collège. Si <strong>de</strong> telles stratégies sont possibles, c’est parce qu’un modèle existe <strong>et</strong> peutconstituer une référence à partir <strong>de</strong> laquelle chacun peut régler sa manière d’être. Ainsi,comme dans toute inter<strong>action</strong>, qui plus est quand elles sont <strong>publique</strong>s comme c’est le cas <strong>de</strong>saudiences, il s’ensuit une série d’ajustements, <strong>de</strong> jeu <strong>et</strong> <strong>de</strong> stratégie avec c<strong>et</strong>te i<strong>de</strong>ntité. Onassiste donc à un apprentissage qui s’effectue tout au long du mandat. Car, bien que souvent<strong>de</strong> l’ordre du fantasme, ces représentations sociales interviennent, à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés divers <strong>et</strong> selon<strong>de</strong>s manières différents, dans les pratiques <strong>de</strong>s conseillers. Même si les conseillers savent bienque ces images ne se r<strong>et</strong>rouvent pas telles quelles dans la réalité, elles donnent une ligne <strong>de</strong>conduite. <strong>Les</strong> conseillers <strong>prud’hommes</strong> prennent donc peu à peu leur rôle en fonction <strong>de</strong> cescadres que l’institution leur fournit qui, loin <strong>de</strong> les contraindre leur perm<strong>et</strong> également <strong>de</strong>trouver les moyens <strong>de</strong> s’investir dans l’institution conformément au rôle qu’ils doivent jouerau sein <strong>de</strong> leur collège. Comme le rappelle Jacques Lagroye pour une toute autre institution àsavoir l’Eglise : « s’engager, ou s’investir, dans une institution, c’est finalement découvrir cequ’on peut légitimement y faire, ce qu’on peut attendre <strong>de</strong> ses activités <strong>et</strong> <strong>de</strong> sonfonctionnement – tel qu’il est <strong>et</strong> non tel qu’on l’a rêvé avant <strong>de</strong> ‘franchir le pas’ » 130Ainsi, pour nombre <strong>de</strong> salariés, « le patron » reste une entité largement imaginée quicristallise toutes les atteintes aux droits <strong>de</strong>s salariés mais aussi à l’augmentation <strong>de</strong> laprécarité, aux licenciements <strong>et</strong> à la « mondialisation ». Pour nombre d’employeurs, lesyndicaliste est celui qui « bouffe du patron » <strong>et</strong> qui est le chef <strong>de</strong> fil d’un mouvement « antipatron» comme l’on mène une croisa<strong>de</strong> contre un ennemi héréditaire. Même si ces images necorrespon<strong>de</strong>nt pas aux individus qu’ils rencontrent au sein du CPH, elles restent <strong>de</strong>s élémentsqui conditionnent leur manière d’être face à l’autre. Au fur <strong>et</strong> à mesure <strong>de</strong> leur intégration ausein du CPH, chacun apprend à se connaître <strong>et</strong> surtout, chacun apprend à ajuster son rôle faceà l’autre. Au contact <strong>de</strong>s syndicalistes qui leur renvoient une image plus ou moins caricaturaledu « patron » à combattre ou à faire exister, les employeurs se font « patron », soit enreprenant à leur compte c<strong>et</strong>te représentation, soit en tentant d’en imposer une autre tout aussicaricaturale. Le processus est sensiblement le même pour les salariés qui construisent leur rôleen anticipant les attentes <strong>de</strong> l’autre collège <strong>et</strong>, parfois même, en les <strong>de</strong>vançant. Dans les <strong>de</strong>uxcas, ce qui est produit est une figure du patron ou du salarié à laquelle on peut i<strong>de</strong>ntifier le128Cf. Erwin Goffman, Stigmates, la gestion sociale <strong>de</strong>s handicap, Minuit, 1986.129Entr<strong>et</strong>ien n°J09130Jacques Lagroye, La vérité dans l’Eglise catholique, Paris, Belin, 2006, p.17.47

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