<strong>Les</strong> assemblées générales annuelles sont donc l’occasion <strong>de</strong> rappeler aux conseillers leurappartenance <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong>, au-<strong>de</strong>là, que le fonctionnement <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> en dépendrait. Ilexiste en eff<strong>et</strong> au sein du CPH une logique <strong>de</strong> conquête <strong>et</strong> d’attribution <strong>de</strong>s postes trèssimilaire à celle qui existe dans les assemblées parlementaires où les groupes politiquesobtiennent ces « trophées » en fonction <strong>de</strong> leur force numérique respective. La prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>ssections comme la prési<strong>de</strong>nce du conseil sont <strong>de</strong>s positions qui s’obtiennent en fonction <strong>de</strong>srésultats électoraux.Pourtant, l’appartenance <strong>syndicale</strong> <strong>de</strong>s prési<strong>de</strong>nts ne semble pas si déterminante sur lefonctionnement d’une section ou d’un CPH. D’une part parce que dans les p<strong>et</strong>its CPH, leslogiques <strong>de</strong> sections sont souvent défaites en raison d’absences <strong>de</strong> conseillers qu’il fautremplacer au pied levé <strong>et</strong> donc souvent avec <strong>de</strong>s conseillers d’autres sections. D’autre partparce que la prési<strong>de</strong>nce est <strong>de</strong> fait exercée en duo avec un(e) vice-prési<strong>de</strong>nt(e) issu <strong>de</strong> l’autrecollège. Ainsi, à observer <strong>de</strong> plus près les logiques <strong>de</strong> fonctionnement au sein <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong>, ilsemble que ce ne soit pas tant l’appartenance <strong>syndicale</strong> que la structure paritaire <strong>de</strong>s<strong>prud’hommes</strong> qui structure les pratiques <strong>et</strong> invite les conseillers à « bien » remplir son rôlec’est-à-dire conformément aux attentes <strong>de</strong> l’institution. Autrement dit, un conseiller est avanttout salarié ou employeur. Or, être salarié ou employeur ne va pas <strong>de</strong> soi. D’une part, il nes’agit pour certains que d’une « i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> papier » 117 qui résulte soit <strong>de</strong> leur inscription dansun collège - c’est le cas <strong>de</strong> certains cadres en eff<strong>et</strong> peuvent choisir d’appartenir au collège <strong>de</strong>ssalariés ou à celui <strong>de</strong>s employeurs – soit du fait qu’ils dirigent un établissement avec <strong>de</strong>ssalariés – cas <strong>de</strong>s employeurs <strong>de</strong> l’économie sociale. C<strong>et</strong>te i<strong>de</strong>ntité résulte doncprincipalement d’une assignation extérieure 118 sans être forcément vécue <strong>et</strong> revendiquée entant que telle. D’autre part, lorsque les conseillers se vivent effectivement comme salariés oucomme employeurs, ils sont loin d’avoir les mêmes représentations <strong>de</strong> ce statut.L’hétérogénéité <strong>de</strong> leurs conditions socioéconomiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> les appréhen<strong>de</strong>r, enfonction d’histoires personnelles, <strong>de</strong> trajectoires professionnelles <strong>et</strong> d’appartenances<strong>syndicale</strong>s, ne contribuent guère à une homogénéité du collège <strong>et</strong> encore moins à sa cohésion.Ainsi, l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> collège que nous avons pu détecter chez les conseillers au cours <strong>de</strong> notreenquête, loin <strong>de</strong> préexister à leur venue au Conseil, résulte d’une socialisation institutionnelleà laquelle travaillent aussi bien la structure paritaire <strong>de</strong>s CPH que les organisations <strong>syndicale</strong>s<strong>et</strong> professionnelles.a) Collège contre collègeLorsque les conseillers arrivent au CPH, ils ont tous en tête <strong>de</strong>s images préconçues <strong>de</strong> cequ’est un patron ou un salarié en fonction <strong>de</strong>s expériences vécues <strong>et</strong> <strong>de</strong>s représentations quevéhiculent les médias <strong>et</strong> les discours politiques <strong>et</strong> syndicaux. <strong>Les</strong> porte-parole <strong>de</strong>sconfédérations nationales travaillent eux aussi à imposer une image <strong>de</strong> syndicaliste qui tendsouvent à se confondre avec l’image <strong>de</strong> ceux qu’ils préten<strong>de</strong>nt représenter 119 . Ainsi, la CGT117Pour paraphraser l’expression <strong>de</strong> Patrick Champagne sur les « manifestations <strong>de</strong> papier » qui se déroulentdans la presse.118Sur ce processus cf. les travaux <strong>de</strong> Gérard Noiriel <strong>et</strong> en particulier : « L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s citoyens. Naissance<strong>de</strong> l’état civil républicain », Genèses, n°13, octobre 1993, pp.3-28.119Cf. Pierre Bourdieu, « L’i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> la représentation. Eléments pour une réflexion critique sur l’idée <strong>de</strong>région », Actes <strong>de</strong> la Recherche en Sciences Sociales, n°35, 1980 <strong>et</strong> « La représentation politique. Eléments pourune théorie du champ politique », Actes <strong>de</strong> la Recherche en Sciences Sociales, n°36/37, février/mars 1981, pp.3-17.44
serait les salariés <strong>et</strong> le Me<strong>de</strong>f le patronat 120 . C<strong>et</strong>te équation est d’autant plus forte aux <strong>conseils</strong><strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> où l’institution est organisée en <strong>de</strong>ux collèges paritaires.Toutes les organisations <strong>syndicale</strong>s n’affichent pas la même conception <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> <strong>et</strong>,en leur sein, tous les responsables <strong>et</strong> les adhérents ne s’accor<strong>de</strong>nt pas forcément sur une mêmeconception. Mais tous raisonnent à partir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te structure paritaire <strong>de</strong>s CPH qui est auprincipe du contrat <strong>de</strong> travail. Qu’ils revendiquent une vision classiste <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>,qu’ils théorisent le « conflit <strong>de</strong>s logiques » 121 ou qu’ils tentent d’organiser un « dialogue »,voire une « entente » <strong>entre</strong> <strong>de</strong>ux collèges mis sur un même plan, tous s’accor<strong>de</strong>nt sur leconstat qu’il y a une différence <strong>de</strong> positions, voire une opposition <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue. Certes,l’expression la plus authentique en serait la section <strong>de</strong> l’industrie, sans doute parce qu’elle estla plus ancienne <strong>et</strong> qu’elle est l’héritière d’une histoire héroïque du mouvement ouvrier. Maisc<strong>et</strong>te réputation <strong>de</strong> la section, qui repose davantage sur un mythe fondateur que sur <strong>de</strong>séléments concr<strong>et</strong>s <strong>et</strong> observables 122 , débor<strong>de</strong> le cadre <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te section <strong>et</strong> tend à s’appliquer àl’ensemble <strong>de</strong>s sections <strong>et</strong> du Conseil. Dans ce cadre, toutes les doctrines <strong>syndicale</strong>s, aussibien du côté salarié que du côté employeur, semblent s’accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te structure binaire <strong>de</strong>s<strong>prud’hommes</strong>. Même à la CGC, dont la genèse <strong>et</strong> la reconnaissance a souvent été interprétéecomme un moyen <strong>de</strong> casser une vision binaire <strong>de</strong> la société au profit d’une « classemoyenne » 123 , les <strong>prud’hommes</strong> sont bien l’expression d’intérêts divergents. La visioncorporatiste <strong>de</strong> la section <strong>de</strong> l’encadrement tend ainsi à disparaître, comme le rappelle ceresponsable <strong>de</strong> la CGC qui n’en semble pas particulièrement affecté :« Quand vous avez affaire à un cadre qui conteste son licenciement par exemple ou qui contesteles conditions dans lesquelles la rupture du contrat <strong>de</strong> travail est intervenue. Il est tout à faitévi<strong>de</strong>nt que vous avez affaire, potentiellement, à <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnités <strong>de</strong> licenciement d’un montantbien supérieur à ce que peut revendiquer un ouvrier ou un employé. E donc il y a bien un certainnombre <strong>de</strong> conseillers <strong>prud’hommes</strong> employeurs qui voyaient d’un très mauvais œil les sommesqui étaient <strong>de</strong>mandées par les cadres licenciés <strong>et</strong> donc… non ! non ! il y avait très peu <strong>de</strong>collusions, je dirais, <strong>entre</strong> les éléments <strong>de</strong> chaque collège. Y compris dans la section <strong>de</strong>l’encadrement. (…) Il y a donc <strong>de</strong>s oppositions fortes, surtout au début, dans les années qui ontsuivi la réforme <strong>de</strong> l’élection, où les gens se regardaient un p<strong>et</strong>it peu comme ça, parce qu’ilsn’avaient pas encore l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> siéger ensemble. Donc… c’était <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s qui sedécouvraient ! C’était <strong>de</strong>ux logiques qui quelque part s’affrontaient. J’ai toujours en tête c<strong>et</strong>temerveilleuse conception intellectuelle <strong>de</strong> la CFDT sur le conflit <strong>de</strong>s logiques dans la stratégiejurispru<strong>de</strong>ntielle ! Mais quelque part ils avaient raison, c’était assez bien vu, même si je nepartageais pas c<strong>et</strong>te façon doctrinale <strong>de</strong> voir les choses. Mais c’était assez juste. Bien sûr, il yavait au début, comme ça, il y avait <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s qui se découvraient. Et parfois, çaclashait ! » 124Pour l’ensemble <strong>de</strong>s responsables syndicaux, les <strong>prud’hommes</strong> institutionnalisent donc uneopposition <strong>entre</strong> <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> contrat <strong>de</strong> travail. Mais ils institutionnalisent aussi <strong>de</strong>simages <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux collèges qui, tout en restant <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> la réputation, orientent <strong>de</strong>s <strong>action</strong>s<strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s responsables syndicaux. Par exemple, l’autre collège apparaît toujours commele plus fort c’est-à-dire le mieux « armé » car le mieux formé. Ainsi, pour les responsables <strong>de</strong>s120Sur ce processus <strong>de</strong> représentation cf. Michel Offerlé, Sociologie <strong>de</strong>s groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien,1997.121Action juridique CFDT, « Le conflit <strong>de</strong>s logiques. Le terrain <strong>de</strong>s faits <strong>et</strong> celui du droit », n°11, septembre –octobre 1979, pp.3-10.122Notre enquête par questionnaire ne suggère aucune spécificité <strong>de</strong> la section en termes <strong>de</strong> profil sociologie <strong>de</strong>sconseillers, ni en termes <strong>de</strong> conflictualité <strong>de</strong>s relations <strong>entre</strong> les collèges. Si spécificité il y a, elle rési<strong>de</strong> peut-êtredans la nature <strong>de</strong>s affaires. Cf. Partie 2.123Cf. Jean Ruhlmann, Ni bourgeois ni prolétaires, La <strong>défense</strong> <strong>de</strong>s classes moyennes en France au XXè siècle,Paris, Seuil, coll « L’univers historique », 2001 ; Jacques Cap<strong>de</strong>vielle, Le fétichisme du patrimoine, Paris,PFNSP, 1986.124Entr<strong>et</strong>ien n°Z13.45
- Page 2: Ce rapport de recherche présente e
- Page 5 and 6: INTRODUCTIONLes conseillers prud’
- Page 7 and 8: Nous disposons ainsi d’un peu plu
- Page 9 and 10: Toute l'histoire de l'institutionna
- Page 11 and 12: sont le produit de configurations s
- Page 13 and 14: Mais c'est surtout le principe de l
- Page 15 and 16: dire un espace dans lequel « l'ant
- Page 17 and 18: ) Les prud’hommes dans l’action
- Page 19 and 20: moins conciliatrice, de plus ne plu
- Page 21 and 22: Pour comprendre cette réforme de 1
- Page 23 and 24: collaborateurs ‘vous devez accuei
- Page 25 and 26: éventuellement de s’en faire des
- Page 27 and 28: evendication peut alors entrer en
- Page 29 and 30: Français que nous sommes ne veulen
- Page 31 and 32: Cabanes : Je me place (et c’est p
- Page 33 and 34: Au final, les grandes organisations
- Page 35 and 36: de l’institution, mise en éviden
- Page 37 and 38: Alors que l'élection n'est qu'un d
- Page 39 and 40: processus de réification a un effe
- Page 41 and 42: cette élection, dès lors qu’il
- Page 43: l'occasion d'exister, et plus préc
- Page 47 and 48: dans l’interaction avec l’autre
- Page 49 and 50: membres qui auraient tendance à av
- Page 51 and 52: opposée. Et c’est ce type de mil
- Page 53 and 54: conformer à ces normes d’action.
- Page 55 and 56: C’est aussi grâce à leur social
- Page 57 and 58: leurs compétences, il faut être a
- Page 59 and 60: justice prud'homale et d'en mesure
- Page 61 and 62: des salariés, les présidents ont
- Page 63 and 64: ministère de la Justice les éloig
- Page 65 and 66: ien, mais bon... (...) Moi, je suis
- Page 67 and 68: La force symbolique et matérielle
- Page 69 and 70: R. : Comment on pourrait dire... un
- Page 71 and 72: Le premier élément à remarquer e
- Page 73 and 74: Deuxième partieLes conseillers pru
- Page 75 and 76: Chapitre 4 : un groupe éclairéGr
- Page 77 and 78: plus diplômés que les autres, ce
- Page 79 and 80: leur activité, qui leur apparaît
- Page 81 and 82: D’après les chiffres donnés par
- Page 83 and 84: Sections Hommes Femme H F H FHommeF
- Page 85 and 86: Mais ce constat d’une population
- Page 87 and 88: De leur côté, les salariés sont
- Page 89 and 90: nous le verrons, d’un essor du do
- Page 91 and 92: 3. Des salariés et des employeurs
- Page 93 and 94: ) Des adhérents d’organisations
- Page 95 and 96:
Des acteurs de la citéSi les emplo
- Page 97 and 98:
Chapitre 5 :L’entrée en prud’h
- Page 99 and 100:
1. Des sollicitations militantesLe
- Page 101 and 102:
ambassadeur des entrepreneurs de la
- Page 103 and 104:
101214161820222426283032343638Effec
- Page 105 and 106:
souhaitent s’investir là-dedans.
- Page 107 and 108:
2. Les prud’hommes : le travail
- Page 109 and 110:
pouvoir dire ce que je pensais. Ce
- Page 111 and 112:
d’un litige, qu’il concerne per
- Page 113 and 114:
Augier est assez représentatif de
- Page 115 and 116:
especte à la virgule près le code
- Page 117 and 118:
- Autodidaxie et prud'homie : figur
- Page 119 and 120:
temporaire du monde pour rédiger)
- Page 121 and 122:
Comme on le voit, cette promotion c
- Page 123 and 124:
« On est avant tout là pour juger
- Page 125 and 126:
humaines. J’ai pas envie non plus
- Page 127 and 128:
et qui constitue souvent pour les p
- Page 129 and 130:
anciens professionnels du droit du
- Page 131 and 132:
monsieur, j'irais boire l'apéro ch
- Page 133 and 134:
Dans la deuxième partie, nous avon
- Page 135 and 136:
- La procédure et le souci du form
- Page 137 and 138:
(...) Et puis après, si vous voule
- Page 139 and 140:
certains textes issus du droit euro
- Page 141 and 142:
d'expliquer ce qu'on fait de façon
- Page 143 and 144:
la réalité des pratiques prud’h
- Page 145 and 146:
« quand on a la chance d’être r
- Page 147 and 148:
soumis s’effectue par le droit. A
- Page 149 and 150:
1. Des savoir-faire syndicaux pour
- Page 151 and 152:
mais on est magistrat, c’est-à-d
- Page 153 and 154:
Quand on aura fait le licenciement,
- Page 155 and 156:
lorsqu’ils font du départage une
- Page 157 and 158:
Toutefois, si personne ne conteste
- Page 159 and 160:
se faire une grille d’analyse. »
- Page 161 and 162:
plus globale de ce qui se passe dan
- Page 163 and 164:
) une ressource pour légitimer une
- Page 165:
prud’hommes sont bien à l’inte