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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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utilisée mais, c<strong>et</strong>te fois, pour décrire une « crise » du mouvement syndical. Par exemple lorsdu scrutin <strong>de</strong> 1992, l'analyse <strong>de</strong> l'élection prud'homale se fait plus pessimiste : Le Figaro du21 octobre titre ainsi : « prud'hommes : les syndicats affaiblis <strong>et</strong> divisés » ; Vendredi du 11décembre insiste sur « <strong>de</strong>s élections sur fond <strong>de</strong> désaffection » ; Le Mon<strong>de</strong> du 2 décembreévoque « la sage campagne prud'homale » sur fond <strong>de</strong> « crise du militantisme ». Pourl’ensemble <strong>de</strong>s commentateurs, l’élection prud’homale est un moyen d’apprécier la force dusyndicalisme, interprétant ainsi le vote pour une liste électorale comme un vote d’adhésion àune ligne <strong>syndicale</strong>. <strong>Les</strong> élections servent avant tout à exprimer la légitimité <strong>de</strong>s organisations<strong>syndicale</strong>s <strong>de</strong> la France <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années 1970, <strong>et</strong> plus encore à m<strong>et</strong>tre en valeur la force dusyndicalisme dans la société française. Dès lors, il n’est pas étonnant que dans le commentaire<strong>de</strong>s résultats, soient mis en évi<strong>de</strong>nce les « avancées » <strong>et</strong> les « reculs » <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong>sdifférentes organisations <strong>syndicale</strong>s. Elles <strong>de</strong>viennent même <strong>de</strong>s élections politiques, dans cedouble sens qu’elles sont parfois perçues comme un nouveau test pour les partis <strong>de</strong> gauche,très légèrement battus lors <strong>de</strong>s législatives <strong>de</strong> 1978, <strong>et</strong> qu’elles prennent pour modèle <strong>de</strong>sélections proprement politiques (notamment législatives, ou plus encore cantonales oumunicipales), avec une agrégation <strong>de</strong>s voix au niveau national <strong>et</strong> la désignation <strong>de</strong>sorganisations <strong>syndicale</strong>s sortant victorieuses du scrutin.En eff<strong>et</strong>, une <strong>de</strong>uxième lecture <strong>de</strong>s résultats s’effectue à partir <strong>de</strong> la mise en chiffres <strong>et</strong> <strong>de</strong> lamise en scène <strong>de</strong> la concurrence <strong>entre</strong> organisations <strong>syndicale</strong>s. C'est en particulier le cas <strong>de</strong>l'élection <strong>de</strong> 1982, entièrement perçue comme le lieu d'une opposition <strong>entre</strong> la CGT <strong>et</strong> laCFDT d'une part, les syndicats qualifiés <strong>de</strong> « réformistes » (CFTC, FO, CFE-CGC) d'autrepart. Dans un contexte politique marqué par les élections prési<strong>de</strong>ntielles <strong>et</strong> législatives <strong>de</strong>1981, les prud’homales sont immédiatement politisées par <strong>de</strong>s observateurs qui reprennentpour l’occasion <strong>de</strong>s catégories issues du champ politique. L'élection prud'homale est alorsperçue comme un test pour la gauche <strong>et</strong> pour le gouvernement Mauroy : « miroir pour lagauche », les élections prud'homales sont analysées par Le Point du 6 décembre 1982 comme« décisives pour le pouvoir : elles lui donneront le pouls <strong>de</strong> sa base à trois mois <strong>de</strong>smunicipales » ; selon L'Humanité du 10 décembre, les résultats constituent un « coup <strong>de</strong>semonce au gouvernement » ; enfin, pour Le Matin du même jour, « les syndicats quisoutiennent le gouvernement stagnent ou reculent. ». La routine journalistique 102 impose peu àpeu une lecture <strong>de</strong>s élections prud’homale calquée sur celle <strong>de</strong>s élections politiques. <strong>Les</strong>nombreux articles qui sont consacrés aux élections <strong>de</strong>s conseillers <strong>prud’hommes</strong> consistent leplus souvent en <strong>de</strong>s commentaires électoraux, à l’image <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s scrutins politiques :tableaux, diagrammes d’évolution, cartes départementales constituent la « raison graphique »utilisée par les analystes patentés <strong>de</strong> ce que l'on appelle désormais les « prud'homales » 103 .Sont constitués alors <strong>de</strong>s « électorats » syndicaux, statistiquement objectivés par agrégation <strong>de</strong>centaines d’élections spécifiques 104 . C<strong>et</strong>te lecture conduit à oublier la spécificité <strong>de</strong>l’institution prud’homale <strong>et</strong> sa fonction dans le mon<strong>de</strong> du travail, en même temps qu’ellerenforce l’amalgame <strong>entre</strong> organisation <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong> organisation politique.Mais dans ce travail <strong>de</strong> constitution d’électorat <strong>et</strong> d’interprétation <strong>de</strong>s « forces » <strong>syndicale</strong>s, cequi se joue c’est une véritable transformation <strong>de</strong>s élections prud’homales qui se déroulentdans chacune <strong>de</strong>s cinq sections que comptent désormais les 271 <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong>. Le102Sur la « trame <strong>de</strong>s routines » qui est coeur <strong>de</strong>s pratiques journalistiques, cf. Erik Neveu, Sociologie dujournalisme, Paris, La Découverte, 2004, p. 50-55.103Sur la genèse <strong>et</strong> les développements <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te « raison graphique » bien spécifique dans l'analyse <strong>de</strong>s scrutinspolitiques, cf. Michel Offerlé, « Le nombre <strong>de</strong> voix. Electeurs, partis <strong>et</strong> électorat socialiste à la fin du XIXèmesicèle en France, Actes <strong>de</strong> la Recherches en Sciences Sociales, n° 71-72, 1988, p. 5-21.104Patrick Lehingue, « L’objectivation statistique <strong>de</strong>s électorats : que savons-nous <strong>de</strong>s électeurs du FrontNational ? », in Jacques Lagroye, dir., La Politisation, Paris, Belin, 2003, p. 247-278.38

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