Mais l’étatisation <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> passe précisément par le nouveau rôle quel’Etat va jouer dans les <strong>prud’hommes</strong>, au niveau financier (l’Etat prend désormais à sa chargeles coûts <strong>de</strong> fonctionnement <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong>), mais aussi au niveau du contrôle<strong>de</strong> la compétence juridique <strong>de</strong>s conseillers.<strong>Les</strong> conseillers obtiennent avec la loi un nouveau statut qui leur reconnaît <strong>de</strong>s droits <strong>et</strong> lesprotège contre le licenciement. Leur statut <strong>de</strong> juge non professionnel est ainsi reconnu. Maisce statut leur vaut également quelques réserves <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’Etat qui s’exprime à <strong>de</strong>uxoccasions. La première est la discussion à la DRT sur la définition du taux <strong>de</strong> compétence. Ils’agit <strong>de</strong> savoir à partir <strong>de</strong> quel seuil c<strong>et</strong>te juridiction reste compétente en <strong>de</strong>rnier ressort. <strong>Les</strong>représentants <strong>de</strong> la CGT <strong>et</strong> <strong>de</strong> la CFDT veulent l’augmenter <strong>de</strong> manière à ne pas augmenter lenombre d’appels. Du côté patronal, on veut le laisser suffisamment bas pour ne pas laisser auxconseillers les « grosses affaires » <strong>et</strong> laisser la possibilité aux parties <strong>de</strong> faire appel, c’est-àdire<strong>de</strong> porter l’affaire <strong>de</strong>vant un juge professionnel. Agitant le spectre <strong>de</strong> laprofessionnalisation <strong>de</strong>s conseillers, qu’incarnerait l’échevinage, le représentant du CNPF,défend un taux <strong>de</strong> compétence relativement bas :« je pense qu’il faut bien voir que nous avons <strong>de</strong>s conseillers <strong>prud’hommes</strong> <strong>et</strong> j’ai le sentiment,<strong>de</strong>puis un certain temps d’ailleurs, qu’on veut transformer ces conseillers <strong>prud’hommes</strong> en <strong>de</strong>sprofessionnels. Je crois qu’il fallait choisir. Si on voulait être <strong>de</strong>s professionnels, il fallait choisirl’échevinage. Si on majore <strong>de</strong> manière importante le taux d’appel, on risque à mon sens d’aboutirà un certain blocage <strong>et</strong> d’accentuer le nombre <strong>de</strong> départages dans la mesure où les conseillers<strong>prud’hommes</strong> vont être conscients <strong>de</strong> la difficulté du risque <strong>de</strong> faire l’impasse sur la possibilitéd’un autre jugement. Il ne faut pas oublier que ce ne sont pas justement <strong>de</strong>s professionnels <strong>et</strong>même si on forme tous les conseillers <strong>prud’hommes</strong> dans les années qui viennent, souvent onn’aura pas encore <strong>de</strong>s conseillers <strong>prud’hommes</strong> qualifiés <strong>et</strong> juristes avertis. » 84Il obtiendra satisf<strong>action</strong> dans la mesure où le taux sera calculé chef <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> par chef <strong>de</strong><strong>de</strong>man<strong>de</strong>.Mais la question <strong>de</strong> la compétence juridique <strong>de</strong>s conseillers est surtout débattue lors <strong>de</strong> laquestion <strong>de</strong> leur formation. Pour les membres du ministère, l’objectif est <strong>de</strong> former un corps<strong>de</strong> conseiller <strong>prud’hommes</strong> sur le modèle <strong>de</strong> ce qui existe avec l’Ecole nationale <strong>de</strong> lamagistrature pour les magistrats ou l’école <strong>de</strong> Dijon pour le corps <strong>de</strong>s greffes. Est alorsproposé un programme <strong>de</strong> formation qui serait enseigné à tous les conseillers <strong>prud’hommes</strong> <strong>et</strong>confié à la Chancellerie. Si les représentants syndicaux <strong>et</strong> patronaux saluent l’effort financierqui est fait par l’Etat, tous contestent une telle organisation <strong>de</strong> la formation prud’homale quiévince les organisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> professionnelles. Toutes en eff<strong>et</strong> m<strong>et</strong>tent à disposition<strong>de</strong>s conseillers <strong>de</strong>s formations juridiques. C’est le cas au CNPF avec l’association Entreprise<strong>et</strong> Droit social <strong>et</strong> l’édition <strong>de</strong>s Cahiers prud’homaux. C’est le cas à la CGT <strong>et</strong> à la CFTD qui,outre les nombreuses publications sur els stratégies juridiques à m<strong>et</strong>tre en œuvre au sein <strong>de</strong>s<strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong>, assurent <strong>de</strong>s formations dans le cadre <strong>de</strong> formations <strong>syndicale</strong>s.Mais pour les membres <strong>de</strong> l’Etat, qui doutent <strong>de</strong>s compétences strictement juridiques <strong>de</strong>sformateurs syndicaux, <strong>de</strong> telles formations seraient insuffisamment objectives. Ce breféchange <strong>entre</strong> le responsable <strong>de</strong>s formations à la CGT <strong>et</strong> le directeur <strong>de</strong>s relations du travaildonne à voir en quels termes le débat sur la formation s’effectue :« Piol<strong>et</strong> : Laissez-nous former nos militants !Cabanes : Voilà ! le mot est lancé !Piol<strong>et</strong> : Bien sûr, ils sont présentés sur <strong>de</strong>s listes <strong>syndicale</strong>s. Votre règle est inutile84 PV <strong>de</strong>s réunions au ministère du 20 septembre 1979.30
Cabanes : Je me place (<strong>et</strong> c’est peut-être ma faiblesse) sur le terrain du droit <strong>et</strong> nous n’avons pasà ai<strong>de</strong>r la formation <strong>de</strong> militants. J’ai parlé <strong>de</strong> collaborateurs <strong>de</strong> service public <strong>de</strong> la justice.Piol<strong>et</strong> : qui sont adhérentsCabanes : ou pasPiol<strong>et</strong> : Moi je parle <strong>de</strong>s miensCabanes : Ils ne sont pas les vôtres. Dès lors que ce sont <strong>de</strong>s magistrats ce ne sont plus lesvôtres. » 85Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s doutes exprimés, <strong>de</strong> part <strong>et</strong> d’autre, sur la valeur <strong>de</strong>s compétences juridiques <strong>de</strong>sconseillers, acquises par une formation d’Etat ou par une formation <strong>syndicale</strong>, c’estl’ambivalence du conseiller qui est formalisé <strong>et</strong> qui continuer à structurer le rôle du conseillerprud’homme. Même si <strong>de</strong>ux ans plus tard, le décr<strong>et</strong> du 11 décembre 1981, signé par leministère du Travail, redonne la formation <strong>de</strong>s conseillers à <strong>de</strong>s associations formées par lesorganisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> professionnelles 86 annulant celui d’octobre 1980 qui confiant laformation aux premiers prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> Cours d’appel 87 , les termes du débat sont posés <strong>et</strong> neseront guère modifiés. C’est toujours une suspicion à l’égard d’un savoir issu du syndicalismedans la pratique du conseiller <strong>de</strong>vant « juger en droit » qui revient, comme si le syndicalismeempêchait la transformation <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> en véritable juridiction.c) La juridiction aux prises avec le syndicalismeIl est vrai que les représentants <strong>de</strong>s organisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> professionnelles se montrentassez réticents à l’égard <strong>de</strong> ce qu’ils dénoncent comme une judiciarisation <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>.Dans les mois qui suivent le vote <strong>de</strong> la loi, la presse <strong>de</strong> fait l’écho <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s <strong>syndicale</strong>squant à une reprise en main <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> par le ministère <strong>de</strong> la Justice : la CGT-FO voitdès juill<strong>et</strong> 1980 « une volonté <strong>de</strong> mainmise <strong>de</strong> la chancellerie sur les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong><strong>prud’hommes</strong> », alors que Gérard Gaumé, secrétaire confédéral chargé <strong>de</strong>s affaires juridiquesà la CGT, explique que « le ministère <strong>de</strong> la Justice a les pleins pouvoirs » 88 <strong>et</strong> a le sentimentque « l’on voit percer à nouveau le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> créer une institution sociale qui aboutirait à lacréation <strong>de</strong> cours ou <strong>de</strong> chambres composés <strong>de</strong> magistrats professionnels, entourésd’assesseurs salariés <strong>et</strong> patrons. » 89 Au sein <strong>de</strong>s réunions ministérielles, les différentespropositions <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> sont interprétées comme autant <strong>de</strong> « tentatives <strong>de</strong>transformer une institution sociale ancienne en une juridiction », pour reprendre les termes <strong>de</strong>Marie Jacek, porte-parole <strong>de</strong> la CGT 90 . Pour elle, comme pour les autres représentants <strong>de</strong>sorganisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> patronales, la réorganisation <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>et</strong> la définition <strong>de</strong>sconseillers ne peuvent faire fi <strong>de</strong> cent cinquante ans d’histoire sociale. Inscrire l’institutionprud’homale dans l’ordre judiciaire consisterait à rem<strong>et</strong>tre en cause sa spécificité, fondée surl’appartenance <strong>de</strong>s conseillers au mon<strong>de</strong> du travail que garantirait l’élection par lesjusticiables. S’effectue alors un processus <strong>de</strong> re-syndicalisation <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> qui passentpar la réaffirmation du caractère professionnel <strong>de</strong>s élections prud’homales <strong>et</strong> par l’inscription<strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> dans le système <strong>de</strong>s relations sociales.85 PV du 20 septembre 197986 Décr<strong>et</strong> n° 80-1095 du 11 décembre 1981 (JO du 13 décembre).87 Décr<strong>et</strong> n° 80-812 du 14 octobre 1980 (Journal Officiel du 17 octobre 1980).88 Le Mon<strong>de</strong> du 2 avril 1980.89 Le Matin du 25 novembre 1980. Un an après, on peut lire dans Libération du 2 décembre 1981 : « En 1978,Robert Boulin avait arraché le dossier à Alain Peyrefitte qui, très vite, l’avait récupéré., estimant que toute forme<strong>de</strong> justice relevait <strong>de</strong> la place Vendôme. Aujourd’hui, le débat ne paraît pas éteint. »90 Propos <strong>de</strong> Marie Jacek, représentante <strong>de</strong> la CGT, lors <strong>de</strong> la première réunion <strong>de</strong>s partenaires sociaux pourl’élaboration <strong>de</strong>s décr<strong>et</strong>s d’application <strong>de</strong> la loi <strong>de</strong> 1979, PV <strong>de</strong> la réunion du 5 mars 1979.31
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