éformes <strong>et</strong> <strong>de</strong> réactiver ainsi certains clivages <strong>entre</strong> une vision juridique <strong>et</strong> une vision sociale<strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>, se superposant en un clivage droite/ gauche. Ainsi, les orateurs socialistes,principalement ceux <strong>de</strong> l’Assemblée nationale, défen<strong>de</strong>nt les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong>comme une tradition ouvrière, lieu d’autonomie du mon<strong>de</strong> ouvrier <strong>et</strong> forme <strong>de</strong> « lutte <strong>de</strong>sclasses ». Face à eux, les lea<strong>de</strong>rs politiques du RPR <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’UDF tentent d’imposer unedéfinition judiciaire <strong>de</strong> l’institution ou, à défaut, une définition <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> quiminimiserait, voire ferait disparaître, le rôle <strong>de</strong>s syndicats.<strong>Les</strong> déclarations préalables <strong>de</strong>s groupes sont très révélatrices : Alain Richard (PS) explique que« le groupe socialiste attache une importance particulière à la discussion <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong>, car il voitdans les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> d’une part une conquête ouvrière, clefs d’un droit du travailréellement protecteur <strong>de</strong>s salariés <strong>et</strong> condition <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te protection ; d’autre part une expérienceparticulièrement instructive <strong>de</strong> participation <strong>de</strong>s citoyens à la justice <strong>de</strong> leur pays. » 73 A l’inverse,Didier Bariani (UDF) affirme qu’« il faut conserver <strong>et</strong> renforcer si cela est possible le caractèreprofessionnel <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> <strong>et</strong>, pour cela, éviter la politisation. » 74 . Plusbrutalement, au Sénat, Louis Virapoulé, rapporteur (Union Centriste) du proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi, affirmeque « les CPH sont <strong>de</strong>s juridictions paritaires <strong>et</strong> doivent, en conséquence, être composées nonpas <strong>de</strong> magistrats professionnels mais <strong>de</strong> juges élus, à même d’apprécier, certes en droit, maissurtout en fait, les problèmes du travail (...) La question se pose <strong>de</strong> savoir si nous sommes là pourfaire plaisir aux organisation <strong>syndicale</strong>s ou si nous sommes là pour légiférer. Toute la questionqui se pose est celle <strong>de</strong> savoir si l’on doit donner aux enfants tout ce qu’ils réclament. » 75La vision très paternaliste <strong>de</strong> ce sénateur à l’égard <strong>de</strong>s syndicats s’oppose en tout point à unevision plus socialiste où les syndicats sont considérés comme <strong>de</strong>s partenaires <strong>de</strong> l’<strong>action</strong><strong>publique</strong> avec qui il faut compter <strong>et</strong>, parfois, sur qui on peut compter. Combinée à saconception strictement judiciaire <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>, elle le conduit à déclarer, avecvéhémence : « la justice est incompatible avec le syndicalisme » 76 . Alors même que dans lesnégociations au sein du ministère l’ensemble <strong>de</strong>s organisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> professionnellesn’avaient pas formalisé une telle alternative <strong>entre</strong> justice <strong>et</strong> syndicalisme, elle est posée par lesparlementaires, à la fois comme une manière <strong>de</strong> dénoncer l’emprise <strong>de</strong>s organisations<strong>syndicale</strong>s sur le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi <strong>et</strong> comme la <strong>de</strong>rnier argument en faveur d’une « vraie »juridiction.<strong>Les</strong> débats sur la réforme <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> rejoignent un mouvement plus général <strong>de</strong>« normalisation » <strong>de</strong> la justice du travail porté par un p<strong>et</strong>it groupe <strong>de</strong> professionnels du droit<strong>et</strong> par la Chancellerie qui semble avoir une certaine influence, certes cachée mais quiréapparaît périodiquement 77 . Comme pour d’autres institutions judiciaires à la même époque,tels les tribunaux <strong>de</strong> commerce par exemple, la judiciarisation <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> passe sinonpar une professionnalisation <strong>de</strong> ses principaux acteurs, du moins par la présence d’unmagistrat <strong>de</strong> carrière dans la juridiction.Ainsi Louis Virapoullé explique avec emportement que « le vote que vous [les sénateurs]ém<strong>et</strong>trez n’est pas un vote politique ; c’est un vote juridique. », <strong>et</strong> que « les 55 millions <strong>de</strong>73Assemblée nationale, compte-rendu intégral <strong>de</strong>s débats, débats du 2octobre 1978, Journal Officiel du 3.74 Ibid.75Sénat, Compte-rendu intégral <strong>de</strong>s débats, Séance du 12 décembre 1978, JO du 13.76JO <strong>de</strong>s débats, Sénat.77 Pour preuve, en 1981, c<strong>et</strong>te p<strong>et</strong>ite phrase d’Edmond Maire lors <strong>de</strong>s assises <strong>de</strong>s conseillers <strong>prud’hommes</strong>CFDT à Nanterre, où il évoque les risques d’« échevinage », dont l’idée est portée par le ministère <strong>de</strong> la Justice :cf. <strong>action</strong> Juridique CFDT, n° 25, janvier-février 1982.28
Français que nous sommes ne veulent plus être dirigés par le pouvoir syndical » 78 ; il déploieensuite l’argumentaire <strong>de</strong> la complexification du droit du travail. De même, Marcel Rudloff,sénateur (Union centriste) <strong>de</strong> Moselle, présente le débat sur l’échevinage comme « le grand débat<strong>de</strong> l’intégration du droit du travail dans le droit général (...) le grand débat qui consistera àreplacer les juridictions du travail dans l’organisation judiciaire française. » 79Toutefois, ces interventions seront vite marginalisées. La question <strong>de</strong> l’échevinage est à peineabordée à l’Assemblée nationale. Gérard Longu<strong>et</strong>, rapporteur (UDF) pour la commission <strong>de</strong>sLois du proj<strong>et</strong>, refuse d’« ouvrir le débat théorique » à un « courant d’idées » qui « n’a pastrouvé <strong>de</strong> <strong>défense</strong>ur » 80 . Il est suivi par l’ensemble <strong>de</strong>s députés qui ne reviennent pas sur c<strong>et</strong>tequestion. Même au Sénat, où la commission <strong>de</strong>s lois propose un amen<strong>de</strong>ment introduisant unmagistrat professionnel dans tous les bureaux <strong>de</strong> jugement, le débat sur l’échevinage restemarginal. Il relève davantage d’un baroud d’honneur <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> quelques sénateurs qued’une véritable ambition <strong>de</strong> judiciariser les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong>. D’ailleurs, comme lefait remarquer Norbert Olszak, les cas alsaciens <strong>et</strong> mosellans ne sont nullement convoquéscomme modèle par ces différents parlementaires 81 . Mais ces débats montrent comment, pourles tenants <strong>de</strong> la judiciarisation <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>, le problème principal <strong>de</strong> la réforme est bienla remise en cause <strong>de</strong> son exceptionnalité au nom <strong>de</strong> la nécessaire mo<strong>de</strong>rnisation d’un droit dutravail <strong>de</strong> plus en plus complexe. Insérer les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> dans le systèmejudiciaire perm<strong>et</strong>trait d’empêcher une prise <strong>de</strong> pouvoir syndical en leur sein <strong>et</strong> contribuerait àune dépolitisation <strong>de</strong> l’institution 82 .Pour sortir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te alternative ainsi <strong>de</strong>ssinée <strong>entre</strong> syndicalisme <strong>et</strong> ordre judiciaire, le recoursau caractère professionnel <strong>de</strong> l’institution prud’homale apparaît alors comme un bon moyen<strong>de</strong> contenter à la fois les <strong>défense</strong>urs <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> comme institution sociale <strong>et</strong> lesjuristes, soucieux <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en place dans le domaine du travail une justice digne <strong>de</strong> ce nom.En eff<strong>et</strong>, à défaut <strong>de</strong> pouvoir imposer une définition judiciaire <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>, c’est unedéfinition proprement professionnelle qui est peu à peu défendue au Parlement, comme sic<strong>et</strong>te dimension pouvait se substituer à une vision politique <strong>et</strong> <strong>syndicale</strong> dévoyant l’institution<strong>et</strong> lui redonner ses l<strong>et</strong>tres <strong>de</strong> noblesse. Ainsi, réinsérer les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> dans lemon<strong>de</strong> professionnel perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> les éloigner <strong>de</strong> l’emprise du syndicalisme. C’est donc plutôtc<strong>et</strong>te dimension qui s’impose <strong>et</strong> qui organise les débats portant aussi bien sur l’organisation <strong>de</strong>la juridiction (en sections professionnelles) que sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> désignation <strong>de</strong>s conseillers(l’élection prud’homale sur le modèle <strong>de</strong>s élections professionnelles). A partir <strong>de</strong> là, nonseulement la réforme est possible mais, <strong>de</strong> plus, son sens est stabilisé. Il s’agit pour l’Etat <strong>de</strong>consacrer le caractère social <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> tout en l’adaptant aux normes judiciairesminimales requises (égalité <strong>de</strong>s citoyens <strong>de</strong>vant la loi, compétences juridiques <strong>de</strong>s juges grâceà la formation, indépendance <strong>de</strong>s juges grâce à leur rémunération <strong>et</strong> à leur protection contreles licenciements). La réforme consiste ainsi davantage à une « étatisation » <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong><strong>prud’hommes</strong>, selon le mot <strong>de</strong> Gérard Longu<strong>et</strong> 83 , qu’à leur judiciarisation.- Assurer la neutralité <strong>et</strong> la compétence judiciaire <strong>de</strong>s conseillers78Sénat, op. cit.79Ibid.80Assemblée nationale, op. cit.81 Olszak (Norbert) « Le statut local <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong> : un particularisme fondé sur l’indifférence »,Revue d’Alsace, 1980, n° 106, p. 135-149.82 Il faut noter qu’au cours d’<strong>entre</strong>tiens informels avec <strong>de</strong>s fonctionnaires du ministère <strong>de</strong> la justice en charge <strong>de</strong>l’institution prud’homale, c’est le même discours qui a été tenu.83 JO <strong>de</strong>s débats, AN, 2 octobre 1978, p. 5427.29
- Page 2: Ce rapport de recherche présente e
- Page 5 and 6: INTRODUCTIONLes conseillers prud’
- Page 7 and 8: Nous disposons ainsi d’un peu plu
- Page 9 and 10: Toute l'histoire de l'institutionna
- Page 11 and 12: sont le produit de configurations s
- Page 13 and 14: Mais c'est surtout le principe de l
- Page 15 and 16: dire un espace dans lequel « l'ant
- Page 17 and 18: ) Les prud’hommes dans l’action
- Page 19 and 20: moins conciliatrice, de plus ne plu
- Page 21 and 22: Pour comprendre cette réforme de 1
- Page 23 and 24: collaborateurs ‘vous devez accuei
- Page 25 and 26: éventuellement de s’en faire des
- Page 27: evendication peut alors entrer en
- Page 31 and 32: Cabanes : Je me place (et c’est p
- Page 33 and 34: Au final, les grandes organisations
- Page 35 and 36: de l’institution, mise en éviden
- Page 37 and 38: Alors que l'élection n'est qu'un d
- Page 39 and 40: processus de réification a un effe
- Page 41 and 42: cette élection, dès lors qu’il
- Page 43 and 44: l'occasion d'exister, et plus préc
- Page 45 and 46: serait les salariés et le Medef le
- Page 47 and 48: dans l’interaction avec l’autre
- Page 49 and 50: membres qui auraient tendance à av
- Page 51 and 52: opposée. Et c’est ce type de mil
- Page 53 and 54: conformer à ces normes d’action.
- Page 55 and 56: C’est aussi grâce à leur social
- Page 57 and 58: leurs compétences, il faut être a
- Page 59 and 60: justice prud'homale et d'en mesure
- Page 61 and 62: des salariés, les présidents ont
- Page 63 and 64: ministère de la Justice les éloig
- Page 65 and 66: ien, mais bon... (...) Moi, je suis
- Page 67 and 68: La force symbolique et matérielle
- Page 69 and 70: R. : Comment on pourrait dire... un
- Page 71 and 72: Le premier élément à remarquer e
- Page 73 and 74: Deuxième partieLes conseillers pru
- Page 75 and 76: Chapitre 4 : un groupe éclairéGr
- Page 77 and 78: plus diplômés que les autres, ce
- Page 79 and 80:
leur activité, qui leur apparaît
- Page 81 and 82:
D’après les chiffres donnés par
- Page 83 and 84:
Sections Hommes Femme H F H FHommeF
- Page 85 and 86:
Mais ce constat d’une population
- Page 87 and 88:
De leur côté, les salariés sont
- Page 89 and 90:
nous le verrons, d’un essor du do
- Page 91 and 92:
3. Des salariés et des employeurs
- Page 93 and 94:
) Des adhérents d’organisations
- Page 95 and 96:
Des acteurs de la citéSi les emplo
- Page 97 and 98:
Chapitre 5 :L’entrée en prud’h
- Page 99 and 100:
1. Des sollicitations militantesLe
- Page 101 and 102:
ambassadeur des entrepreneurs de la
- Page 103 and 104:
101214161820222426283032343638Effec
- Page 105 and 106:
souhaitent s’investir là-dedans.
- Page 107 and 108:
2. Les prud’hommes : le travail
- Page 109 and 110:
pouvoir dire ce que je pensais. Ce
- Page 111 and 112:
d’un litige, qu’il concerne per
- Page 113 and 114:
Augier est assez représentatif de
- Page 115 and 116:
especte à la virgule près le code
- Page 117 and 118:
- Autodidaxie et prud'homie : figur
- Page 119 and 120:
temporaire du monde pour rédiger)
- Page 121 and 122:
Comme on le voit, cette promotion c
- Page 123 and 124:
« On est avant tout là pour juger
- Page 125 and 126:
humaines. J’ai pas envie non plus
- Page 127 and 128:
et qui constitue souvent pour les p
- Page 129 and 130:
anciens professionnels du droit du
- Page 131 and 132:
monsieur, j'irais boire l'apéro ch
- Page 133 and 134:
Dans la deuxième partie, nous avon
- Page 135 and 136:
- La procédure et le souci du form
- Page 137 and 138:
(...) Et puis après, si vous voule
- Page 139 and 140:
certains textes issus du droit euro
- Page 141 and 142:
d'expliquer ce qu'on fait de façon
- Page 143 and 144:
la réalité des pratiques prud’h
- Page 145 and 146:
« quand on a la chance d’être r
- Page 147 and 148:
soumis s’effectue par le droit. A
- Page 149 and 150:
1. Des savoir-faire syndicaux pour
- Page 151 and 152:
mais on est magistrat, c’est-à-d
- Page 153 and 154:
Quand on aura fait le licenciement,
- Page 155 and 156:
lorsqu’ils font du départage une
- Page 157 and 158:
Toutefois, si personne ne conteste
- Page 159 and 160:
se faire une grille d’analyse. »
- Page 161 and 162:
plus globale de ce qui se passe dan
- Page 163 and 164:
) une ressource pour légitimer une
- Page 165:
prud’hommes sont bien à l’inte