eprésenter tout ce que les syndicats ouvriers rej<strong>et</strong>tent ; <strong>de</strong> fait, on peut r<strong>et</strong>rouver dans lesstatuts <strong>de</strong>s chambres <strong>syndicale</strong>s un refus ou une méfiance forte envers les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>prud'hommes :On peut ainsi lire dans le statut 1876 d'une chambre <strong>syndicale</strong> : « C'est la chambre <strong>syndicale</strong> qui, dansune corporation, donne souvent l'impulsion <strong>et</strong> favorise le développement <strong>de</strong> l'industrie. C'est elle quidoit (...) juger les différends <strong>entre</strong> patrons <strong>et</strong> ouvriers, au lieu <strong>de</strong> les obliger à s'adresser auxprud'hommes qui ne donnent généralement aucune satisf<strong>action</strong> à l'intéressé. » Dans les statuts d'uneautre chambre, on r<strong>et</strong>rouve le même refus <strong>de</strong>s prud'hommes : la chambre <strong>syndicale</strong> se voit attribuercomme rôle <strong>de</strong> régler les conflits, <strong>et</strong> donc « comblera les lacunes regr<strong>et</strong>tables que les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>prud'hommes sont radicalement impuissants à supprimer. Leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> le tenter serait confesserque nous ne pouvons rien faire. » 35Si l'investissement syndical dans les prud'hommes paraît aujourd'hui naturel, ce n'est donc enrien le cas lors <strong>de</strong> la genèse <strong>de</strong>s structures <strong>syndicale</strong>s, prises dans une contradiction majeure<strong>entre</strong> <strong>défense</strong> <strong>de</strong> ceux qu'elles représentent <strong>et</strong> refus d'une institutionnalisation qui risque <strong>de</strong> lesm<strong>et</strong>tre en danger. Dans le même temps, l'instauration <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes constituebien, pour les syndicats, « une victoire sur un univers juridique qui n'avait pas été jusque là sifavorable aux travailleurs » 36 . <strong>Les</strong> prud'hommes sont à la fois un lieu protégé <strong>de</strong> l'influence <strong>de</strong>l'Etat <strong>et</strong> <strong>de</strong>s professionnels du droit, <strong>et</strong> à ce titre défendable pour <strong>de</strong>s organisationsrevendiquant l'autonomie du mouvement social, <strong>et</strong> une institution nécessitant la discussion <strong>et</strong>la constitution <strong>de</strong> compromis avec la partie employeur. Comme on le verra tout au long durapport, c<strong>et</strong>te contradiction, apparemment résolue par la présence importante <strong>de</strong>s syndicats <strong>et</strong><strong>de</strong> leurs représentants dans les <strong>conseils</strong>, n'est pourtant pas réglée : dans les discours actuels<strong>de</strong>s responsables confédéraux, on continue <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver – sous une autre forme – c<strong>et</strong>teappréhension <strong>de</strong> l'institutionnalisation <strong>de</strong>s syndicats <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs militants.Au total, l'analyse <strong>de</strong> l'émergence <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes tout au long du XIXè siècleperm<strong>et</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en valeur le modèle originel <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te justice du travail, modèle qui estsouvent repris <strong>et</strong> apparaît parfois, dans les <strong>entre</strong>tiens réalisés avec certains conseillers, commeune sorte d'idéal qu'il faudrait r<strong>et</strong>rouver 37 . Institution intermédiaire <strong>entre</strong> le public <strong>et</strong> lacorporation, les prud'hommes sont d'abord un organe <strong>de</strong> régulation plus ou moins juridique<strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> une arène d'expression du paternalisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> la dissimulation <strong>de</strong>sconflits <strong>de</strong> classe. La conciliation, qui est l'expression <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> ces caractéristiques,constitue le coeur <strong>de</strong> la prud'homie. Le double glissement <strong>de</strong> l'institution, d'abord vers un lieu<strong>de</strong> « procès » au sens judicaire du terme, ensuite vers un lieu d'expression <strong>de</strong>s intérêtsorganisés en syndicats, transforme profondément le modèle initial ; ces <strong>de</strong>ux processus ontlieu tout au long du XXè siècle, <strong>et</strong> se radicalisent avec la réforme <strong>de</strong> 1979. Il reste que l'idéalprud'homal, réaffirmé ici ou là sous une forme parfois nostalgique, renvoie sans cesse auxpremiers moments <strong>de</strong> l'institution : une institution semi-corporatiste, sans syndicat <strong>et</strong> au droittrès restreint.35 Francine Soubiran-Paill<strong>et</strong> <strong>et</strong> Marie-Lys Pottier, op. cit., p. 54, note 149.36 Pierre Cam, <strong>Les</strong> prud'hommes, op. cit., p. 46.37 Mais ce modèle n'est qu'un idéal <strong>et</strong> ne correspond plus à la réalité <strong>de</strong> la prud'homie : c'est ce qui nous séparedu livre <strong>de</strong> P. Cam, seul ouvrage sociologique consacré aux prud'hommes, mais rédigé juste avant la réforme <strong>de</strong>1979, <strong>et</strong> qui voit dans les prud'hommes <strong>de</strong> son époque une institution perpétuant la domination <strong>de</strong>s employeurssur les salariés grâce à la conciliation <strong>et</strong> à l'ensemble <strong>de</strong> la juridiction, « lieu neutre » <strong>de</strong> dissimulation <strong>de</strong>srapports <strong>de</strong> classe. <strong>Les</strong> <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes sont-ils un lieu <strong>de</strong> dissimulation <strong>de</strong>s rapport <strong>de</strong> classe à traversla mise en valeur <strong>de</strong> la possibilité d'accords <strong>et</strong> <strong>de</strong> consensus, ou au contraire le lieu privilégié d'expression <strong>de</strong>ceux-ci ? C'est plutôt le second élément <strong>de</strong> l'alternative que nous développerons dans ce rapport <strong>de</strong> recherche.16
) <strong>Les</strong> <strong>prud’hommes</strong> dans l’<strong>action</strong> juridique <strong>syndicale</strong> (1905-1979)<strong>Les</strong> prud'hommes prennent donc véritablement leur essor au début du XXè siècle, au moment<strong>de</strong> la naissance d'un droit social, marqué à la fois par un ensemble <strong>de</strong> lois <strong>de</strong> protection <strong>de</strong>souvriers, par <strong>de</strong>s institutions qui organisent les intérêts sociaux <strong>et</strong> professionnels <strong>et</strong> tentent <strong>de</strong>les faire dialoguer, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s syndicats qui dépassent leurs réticences pour <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> véritablesacteurs du droit <strong>et</strong> <strong>de</strong> la justice 38 . Dès lors, les prud'hommes sont un <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> l'exercicesyndical <strong>de</strong> l'activité judiciaire <strong>et</strong> une <strong>de</strong>s arènes <strong>de</strong> « judiciarisation » <strong>de</strong> la <strong>défense</strong> <strong>de</strong>ssalariés. <strong>Les</strong> quelques lois qui sont votés au cours du siècle contribuent à ces <strong>de</strong>ux processus,mais plus encore les pratiques <strong>de</strong> la justice prud'homale, qui mériteraient une analyseapprofondie <strong>et</strong> localisée. L'absence <strong>de</strong> travaux conduit cependant à proposer quelqueshypothèses sur ce <strong>de</strong>rnier point.- Une intégration incomplète au système judiciaireDès le début du siècle, <strong>de</strong>ux lois organisent l'intégration <strong>de</strong>s prud'hommes au systèmejudiciaire. La loi <strong>de</strong> 1905 organise le « départage » par l'appel au juge <strong>de</strong> paix en cas <strong>de</strong>partage égal <strong>de</strong>s voix au sein du conseil, élève la compétence en <strong>de</strong>rnier ressort du conseil <strong>et</strong>organise une procédure d'appel <strong>de</strong>s décisions <strong>de</strong>vant les tribunaux civils. De son côté, la loi <strong>de</strong>1907 a pour ambition d'unifier <strong>et</strong> <strong>de</strong> nationaliser la juridiction prud'homale : un conseil peutêtre créé lorsqu'une commune en fait la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ; la compétence <strong>de</strong>s prud'hommes est élargieà toutes les catégories professionnelles du commerce <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'industrie, en particulier aux mines<strong>et</strong> aux <strong>entre</strong>prises <strong>de</strong> manutention <strong>et</strong> <strong>de</strong> transport. Dernière étape <strong>de</strong> la constitution <strong>de</strong>sprud'hommes en espace judiciaire avant 1979, la réforme <strong>de</strong> 1958 sur l'organisation judiciaireélève à nouveau le taux <strong>de</strong> compétence en <strong>de</strong>rnier ressort, renforce <strong>et</strong> complique l'appel <strong>et</strong>remplace le juge <strong>de</strong> paix par le juge d'instance pour les cas <strong>de</strong> départage. Surtout, la réforme<strong>de</strong> 1958 élargit la possibilité <strong>de</strong> représentation du <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>vant les prud'hommes : celuicipeut désormais être représenté par un employeur ou un salarié <strong>de</strong> la même branche, par unavocat ou par un délégué syndical.Au total, l'institution prud'homale appartient désormais plus étroitement à l'ordre judiciaire,dont il est une <strong>de</strong>s juridictions ; sa spécificité peut être passée sous silence quand il s'agit <strong>de</strong>présenter formellement l'ordre judiciaire, même si elle réapparaît au contact <strong>de</strong> la réalité.C<strong>et</strong>te évolution <strong>de</strong>s prud'hommes va <strong>de</strong> pair avec le développement d'un droit du travail <strong>de</strong>plein exercice qui se développe fortement dans les années 1930-1950, pour prendre toute sonampleur au début <strong>de</strong>s années 1970. <strong>Les</strong> jugements prud'homaux sont alors susceptiblesd'appartenir à la jurispru<strong>de</strong>nce ; les revues juridiques, <strong>et</strong> notamment Droit ouvrier, celle <strong>de</strong> laCGT, s'efforce avec beaucoup <strong>de</strong> constance à intégrer les prud'hommes dans c<strong>et</strong>tejurispru<strong>de</strong>nce à travers son travail <strong>de</strong> publication <strong>de</strong>s jugements considérés commeexemplaires. On comprend dès lors pourquoi dès la fin <strong>de</strong>s années 1950, les réformateurs <strong>de</strong>la justice peuvent à bon droit intégrer les prud'hommes dans leurs réflexions, en particulier àtravers la tentative <strong>de</strong> créer une juridiction sociale intégrée <strong>et</strong> professionnalisée.De fait, c<strong>et</strong>te judiciarisation est incomplète, pour la simple raison que le juge <strong>de</strong> carrière, dontle rôle <strong>et</strong> le statut sont fortement transformés au cours du XXe siècle 39 , est presque absent <strong>de</strong>la juridiction. La légitimité du juge, profane car n'appartenant pas, ni par sa socialisation ni sa38 Sur ce <strong>de</strong>rnier point, cf. Laurent Willemez, « Quand les syndicats se saisissent du droit. Invention <strong>et</strong>rédéfinition d'un rôle », Sociétés contemporaines, n° 32, 2003, p. 17-38.39Anne Boigeol, « La formation <strong>de</strong>s magistrats : <strong>de</strong> l’apprentissage sur le tas à l’école professionnelle »,Actes <strong>de</strong> la recherche en Science sociales, n°76-77, pp.49-64.17
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