l’inscrire dans une perspective générale <strong>et</strong>, ainsi, lui donner un sens <strong>et</strong> une portée qui débor<strong>de</strong>largement le cas individuel.Le savoir syndical leur perm<strong>et</strong> en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> replacer les différents cas particuliers qu’ilsexaminent dans une perspective plus générale <strong>et</strong>, ce faisant, <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r une certaine cohérencedans les décisions qu’ils prennent. La ligne <strong>syndicale</strong> leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> monter en généralité <strong>et</strong><strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r une certaine direction d’<strong>action</strong>. C’est le cas par exemple <strong>de</strong>s affaires que beaucouptrouvent « délicates » en raison du caractère mouvant <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce ou encore <strong>de</strong> ladimension politique <strong>de</strong> la qualification <strong>de</strong>s faits. <strong>Les</strong> affaires <strong>de</strong> « harcèlement moral » <strong>entre</strong>ntdans c<strong>et</strong>te catégorie, <strong>de</strong> même que celles liées à la « discrimination <strong>syndicale</strong> ». Dansplusieurs CPH, la consigne était d’aller en départage pour ces affaires, à la fois pour ne pas« avoir à prendre <strong>de</strong> risque » <strong>et</strong> ainsi se couvrir par rapport aux autres instances judiciaires <strong>et</strong>pour faire intervenir les autres acteurs <strong>de</strong> la justice du travail. On pourrait considérer quel’affaire est trop importante pour le Conseil <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> <strong>et</strong> qu’il doit s’en rem<strong>et</strong>tre auxjuges professionnels. Mais on peut aussi considérer que les conseillers jouent là encorecollectif en essayant <strong>de</strong> mobiliser les autres acteurs <strong>de</strong> la justice du travail. Cela implique <strong>de</strong>leur part qu’ils aient une bonne connaissance <strong>de</strong> l’espace judiciaire <strong>et</strong> <strong>syndicale</strong> dans lequel ilsse situent au niveau du CPH. Cela implique aussi qu’ils aient sinon une habitu<strong>de</strong> du moinsaucune réticence à <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssaisir d’une affaire pour « passer le relais » <strong>et</strong>, surtout, déplacerl’enjeu sur un autre terrain. <strong>Les</strong> syndicalistes qui négocier à différents niveaux <strong>et</strong> dans <strong>de</strong>scadres différents (accords <strong>de</strong> branches, accords nationaux) ont une certaine expérience <strong>de</strong> cesstratégies qui se déploient sur plusieurs fronts <strong>et</strong> qui peuvent tantôt se compléter <strong>et</strong> secumuler, tantôt se substituer <strong>et</strong> pallier certaines difficultés à un niveau.L’exemple <strong>de</strong> ce conseiller élu <strong>de</strong>puis 1982 <strong>et</strong> syndiqué <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années 1970 àl’organisation CGT-FO, qui raconte comment il « provoque l’appel » est à c<strong>et</strong> égard assezétonnant. Il est certes rare, comme il le rappelle lui-même, mais il démontre une réellemaîtrise à la fois <strong>de</strong> l’enjeu d’une affaire <strong>et</strong> <strong>de</strong>s capacités d’<strong>action</strong> disponibles.« C'est-à-dire que quand vous avez un dossier, que pour vous vous savez que ça va aller dans ce sens-là, dans lesens du salarié, que vous voyez que dans le délibéré vous n'y arrivez pas, parce que justement vous tombez sur<strong>de</strong>s gens qui justement..., <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés il y en a, qui sont à bri<strong>de</strong>s abattues. Donc là vous vous posez unequestion intérieurement : qu'est-ce que je fais ? Je vais en départition, j'attends neuf mois, le dossier attendra neufmois, ou on rend une décision <strong>et</strong> ils vont en appel <strong>de</strong>rrière. S'ils vont en appel, ils vont peut-être passer un an, ouc'est peut-être un an <strong>et</strong> <strong>de</strong>mi maintenant, voire même <strong>de</strong>ux ans. Mais si c'est neuf mois plus l'appel <strong>de</strong>ux ans, il ya toujours ce gain <strong>de</strong> neuf mois au milieu. Donc en fonction du dossier, en fonction <strong>de</strong>s sommes, pour voir si çapénalise pas trop, je dis : « Ok messieurs, d'accord, on déboute le salarié ». Je prends la réd<strong>action</strong> du jugement, <strong>et</strong>je motive mon débout. Et c'est vrai que ça m'est arrivé <strong>de</strong> motiver un jugement dans un sens, en donnant à lalimite je dirais les arguments au salarié <strong>et</strong> puis dire <strong>de</strong> respecter à la fin ce qu'on avait dit, c'est-à-dire que jedéboutais. Ce qui fait que le gars, s'il est intelligent quand il lit, il se dit : mer<strong>de</strong>, il faut vite que j'y aille. C'estune question <strong>de</strong> stratégie là. Des fois ça peut se faire. C'est rare. » 317Bien que très valorisant pour lui <strong>et</strong> pour son sens stratégique, son récit montre comment lesconseillers peuvent convoquer <strong>de</strong>s alliés <strong>de</strong> la justice du travail dans la <strong>défense</strong> <strong>de</strong> la cause.Certes, il s’agit d’alliés que ce conseiller ne connaît pas personnellement <strong>et</strong> qui n’ont pas <strong>de</strong>liens avec l’organisation <strong>syndicale</strong>, mais qui se présentent, du fait <strong>de</strong> sa situation dans lesdifférents niveaux <strong>de</strong> juridiction <strong>et</strong> <strong>de</strong> son rôle dans l’interprétation du droit du travail, commeun recours possible. D’ailleurs, les employeurs le savent bien, eux qui considèrent que lesjuges <strong>de</strong> cour d’Appel ont un a priori favorable aux salariés <strong>et</strong> qui se disent volontiersvictimes <strong>de</strong> leurs jugements. Mais ils utilisent également c<strong>et</strong>te tactique du recours à un tiers317Entr<strong>et</strong>ien n°F15.154
lorsqu’ils font du départage une menace incitant les conseillers à trouver un accord malgréleurs divergences <strong>de</strong> vue.Dans la même perspective, par leur activité <strong>syndicale</strong>, les conseillers apprennent la patience <strong>et</strong>savent que le combat qu’ils peuvent mener dans la <strong>défense</strong> <strong>de</strong>s salariés ou <strong>de</strong>s employeurs, estun combat qui se déploie sur le long terme. Au sein <strong>de</strong>s CPH, ils peuvent inscrire les affairesdans un mouvement d’ensemble <strong>et</strong> espérer contribuer ainsi à l’évolution du droit du travail enfaveur d’une partie ou d’une autre. Ils savent aussi qu’un jugement n’est qu’une p<strong>et</strong>itecontribution <strong>et</strong> qu’il n’y a pas à proprement parler <strong>de</strong> victoire ou d’échec à ce niveau là.Inversement que la victoire peut ne pas être immédiate mais advenir plus tard dans unmouvement collectif <strong>et</strong> plus général. C’est le cas par exemple <strong>de</strong>s affaires liées à ladiscrimination <strong>syndicale</strong> où, par principe, les conseillers vont en départage. Pour les uns, c’estrefuser <strong>de</strong> qualifier <strong>de</strong> « discrimination » le fait qu’un salarié ne soit pas dans l’<strong>entre</strong>prise <strong>et</strong>ne puisse pas, effectivement, progresser. Pour les autres, c’est adm<strong>et</strong>tre que face à lanouveauté du phénomène, il faille attendre une « évolution <strong>de</strong>s mœurs » <strong>et</strong> que ça « mûrisse »juridiquement. Ainsi, pour les <strong>de</strong>ux collèges, il apparaît préférable <strong>de</strong> s’en rem<strong>et</strong>tre au jugedépartiteur <strong>et</strong> <strong>de</strong> préserver ainsi la cohésion prud’homale. Mais pour les conseillers qui ontconscience <strong>de</strong>s stratégies judiciaires <strong>de</strong>s organisations <strong>syndicale</strong>s <strong>et</strong> qui ont participé à cesmo<strong>de</strong>s d’<strong>action</strong> <strong>syndicale</strong>, en s’en rem<strong>et</strong>tant au juge, il s’agit à la fois <strong>de</strong> passer le relais à lajustice <strong>et</strong> d’essayer <strong>de</strong> constituer un véritable mouvement d’affaires sur c<strong>et</strong>te question.Pour André A., la stratégie est claire. Bien que conseiller <strong>de</strong>puis peu, il est arrivé au CPH en2000 en cours <strong>de</strong> mandat, il a une certaine pratique du juridique <strong>de</strong> par son implication au sein<strong>de</strong> son syndicat CFDT : « <strong>de</strong> par mon passé <strong>de</strong> délégué du personnel, délégué syndical,j’avais déjà amené plusieurs affaires au conseil <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>, <strong>de</strong>s <strong>action</strong>s en justice, auTGI <strong>et</strong> tout ça. Donc au niveau juridique, avec la mauvaise expérience <strong>de</strong> la boîte, j’étais unp<strong>et</strong>it peu rentré <strong>de</strong>dans. C’était <strong>de</strong>venu un recours assez habituel. » Au CPH, il fait donc dujuridique avec d’autant plus <strong>de</strong> plaisir qu’il se sent reconnu pour ses compétences. Il ad’ailleurs pris l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> rédiger <strong>de</strong>s jugements mais regr<strong>et</strong>te <strong>de</strong> n’avoir jamais pu enrédiger un sur la discrimination <strong>syndicale</strong>. « pourtant, c’est pas l’envie qui m’en manque <strong>de</strong>tailler un costard, mais j’ai jamais pu. Négatif. Et puis si dans les plaidoiries, en j<strong>et</strong>ant unp<strong>et</strong>it coup d’œil, il apparaît qu’il y a pas discrimination <strong>syndicale</strong>, ben on prend pas <strong>de</strong>risques nous. » Il reconnaît que les conseillers doivent passer le relais à plus forts qu’eux. Ilrejoint à c<strong>et</strong> égard nombre <strong>de</strong> conseillers salariés pour qui l’activité prud’homale ne consistepas à inventer du droit. Mais il reconnaît aussi qu’en en appelant au juge départiteur, c’est unmoyen d’essayer <strong>de</strong> faire reconnaître la discrimination <strong>syndicale</strong> par la justice. Il faitvolontiers le parallèle avec le « harcèlement moral » qui peu à peu a été reconnu. Il inscritdonc ces affaires dans une stratégie judiciaire plus large qui contribue à la <strong>défense</strong> <strong>de</strong> la cause<strong>de</strong>s salariés. Certes, les affaires ainsi traitées ne sont pas satisfaisantes <strong>et</strong> pour le camara<strong>de</strong>discriminé, il n’obtient pas forcément gain <strong>de</strong> cause. Mais en se plaçant dans une perspective<strong>de</strong> long terme, il sait qu’il contribue à faire avancer la cause. C’est donc un combat <strong>de</strong> longuehaleine. Dans sa section, son collègue <strong>et</strong> ami Christian C., du même syndicat, précise lui aussice combat <strong>de</strong> longue haleine. Elu <strong>de</strong>puis 1982 au CPH, il tente <strong>de</strong> se consoler par rapport àces mises en partage <strong>de</strong> principe : « moi quand je suis arrivé aux <strong>prud’hommes</strong>, on allait enpartage sur l’article 700. Donc ça voulait dire qu’il y avait une vraie position <strong>de</strong>semployeurs : nous on donne pas l’article 700. Aujourd’hui, on en discute <strong>et</strong> on arrive àdélibérer <strong>de</strong>ssus. Donc y compris sur la discrimination <strong>syndicale</strong> on y arrivera. (…) Commec’est récent, il faut qu’on se fasse un peu à l’idée, il fait que les patrons se fassent àl’idée… » 318 . Du côté <strong>de</strong>s employeurs, on sait aussi qu’il ne s’agit que d’une question <strong>de</strong>318Entr<strong>et</strong>ien n°F04.155
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