faudrait pas croire réduire l’<strong>action</strong> <strong>de</strong>s conseillers à c<strong>et</strong> affichage. D’ailleurs, les employeursdits <strong>de</strong> l’économie sociale, comme s’ils ne voulaient pas ajouter encore à la stigmatisationdont ils sont victimes, ne m<strong>et</strong>tent pas particulièrement en avant c<strong>et</strong>te qualité. Ils rejoindraientplutôt c<strong>et</strong> employeur <strong>de</strong> la section industrie, affilié au Me<strong>de</strong>f, qui refuse l’idée d’ai<strong>de</strong>r, voired’excuser, un employeur qui n’aurait pas correctement assumé son rôle social :« Personnellement j'aurais tendance même à me montrer un peu rai<strong>de</strong> envers un chef d'<strong>entre</strong>prisequi se pose en victime. Parce que quand on est chef d'<strong>entre</strong>prise, on assume les bons <strong>et</strong> lesmauvais côtés. Il a <strong>de</strong>s possibilités <strong>de</strong> se renseigner, il a <strong>de</strong>s possibilités d'alerter, soit sur le plansyndical, soit le plan chambre <strong>de</strong> commerce, chambre <strong>de</strong>s métiers ou un collègue. Donc on n’apas à excuser <strong>de</strong>s erreurs <strong>de</strong> sa part. (…) Il y a quand même <strong>de</strong>s gens vers qui l'employeur peutse tourner. Donc normalement, s'il n'a pas la connaissance, <strong>et</strong> on ne peut pas lui reprocher, il peutse renseigner. Alors voilà. Donc pour moi, l'employeur c'est quelqu'un qui n'a pas à pleurer<strong>de</strong>vant le conseil. » 295C’est une véritable « morale <strong>de</strong> classe » 296 qui est ainsi promue par c<strong>et</strong> employeur pour quiêtre patron signifie ne pas faire d’erreur ou assumer ses erreurs. Aux <strong>prud’hommes</strong> il seradonc sanctionné pour ne pas avoir su <strong>et</strong> pu tenir son rôle social.Du côté <strong>de</strong>s salariés, on r<strong>et</strong>rouve c<strong>et</strong>te même ambivalence à l’égard <strong>de</strong> l’intervention sociale<strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>. Etonnamment, les plus critiques à l’égard d’une forme d’ai<strong>de</strong> en direction<strong>de</strong>s parties se trouvant dans <strong>de</strong>s situations difficiles, proviennent surtout <strong>de</strong> ceux qui, dans lecadre <strong>de</strong> leur activité professionnelle font déjà du « travail social » comme s’ils ne voulaientpas continuer à faire aux <strong>prud’hommes</strong> ce qu’ils font déjà. C’est le cas <strong>de</strong> c<strong>et</strong> infirmier ouencore <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te assistante sociale qui voudraient ne pas dévoyer la mission première <strong>de</strong>s<strong>prud’hommes</strong> même s’il s’agit, selon eux, « <strong>de</strong> faire quelque chose », surtout en référé :« Je trouve que c'est très éprouvant. C'est fatigant, parce que comme on est que <strong>de</strong>ux, il faut vraiment êtr<strong>et</strong>rès concentré, très attentif. C'est souvent <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> détresse. On a souvent dans le lot <strong>de</strong>sgens qui arrivent, même pas <strong>de</strong> contrat <strong>de</strong> travail, ils ont travaillé ils ont pas été payés, <strong>de</strong>s employeurs dansla nature. Comme mon boulot c'est <strong>de</strong> m'occuper <strong>de</strong> gens en difficulté, <strong>de</strong>s fois j'en ai marre. (…) j'avaisarrêté parce que ça m'éprouvait trop. Et donc c<strong>et</strong>te année, j'étais pas partante <strong>et</strong> comme on avait quatresièges, bon j'ai dit... Mais j'ai pas l'impression <strong>de</strong> faire bouche-trou parce que je m'y réinvestis mais j<strong>et</strong>rouve que c'est un exercice difficile <strong>et</strong> éprouvant. » 297Il est vrai que l’expérience qu’ils peuvent avoir du travail social, <strong>de</strong> part leur activitéprofessionnelle, les conduit à faire la distinction <strong>entre</strong> ce qui en relève <strong>et</strong> ce qui n’en est pas.Ils savent aussi qu’il leur faut résister aux sollicitations <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs <strong>et</strong> gérer lesstratégies <strong>de</strong>s victimes 298 . Mais ils se résignent toutefois à c<strong>et</strong>te dimension <strong>de</strong> leur rôle, « ens’y réinvestissant » pour reprendre les termes <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conseillère, m<strong>et</strong>tant en avant unemission générale d’« ai<strong>de</strong> au public ». A c<strong>et</strong> égard, salariés comme employeurs se r<strong>et</strong>rouventdans c<strong>et</strong>te dimension altruiste <strong>de</strong> leur engagement aux <strong>prud’hommes</strong> qu’ils n’hésitent pas àrappeler (« je considère que c’est un service qu’on rend » 299 ) sans toutefois idéaliser une tellevocation : « oui, on est là pour ai<strong>de</strong>r les gens, mais moi c'est pas pour rendre service que jevais en référé, c'est parce que je trouve que c'est intéressant. » 300Mais c<strong>et</strong>te forme d’intervention, altruiste <strong>et</strong> sociale, prend un tour particulier au CPH dans lamesure où il s’agit non seulement <strong>de</strong> rendre la justice mais également <strong>de</strong> régler <strong>de</strong>s conflits<strong>entre</strong> employeurs <strong>et</strong> salariés. Ainsi, l’intervention <strong>de</strong>s conseillers sur les cas qui leur sont295Entr<strong>et</strong>ien n° I01.296Luc Boltanski, Prime éducation <strong>et</strong> morale <strong>de</strong> classe, Paris, Editions <strong>de</strong> l'EHESS, 1969.297Entr<strong>et</strong>ien n° I08.298Comme le font par exemple les agents <strong>de</strong>s services publics : cf. Vincent Dubois, La vie au guich<strong>et</strong>, op. cit.299Entr<strong>et</strong>ien n° I15.300Entr<strong>et</strong>ien n° I09.146
soumis s’effectue par le droit. A c<strong>et</strong> égard, le droit joue un rôle <strong>de</strong> mise à distance <strong>de</strong>l’émotion, ce qui perm<strong>et</strong> à ce prési<strong>de</strong>nt employeur d’un p<strong>et</strong>it CPH <strong>de</strong> supporter les dramesauxquels il est confronté :« Mais bon, quand on est face à un cas dramatique, <strong>et</strong> on n'en a eu <strong>de</strong>s cas dramatiques, lasensibilité fait pas partie du procès. (…) C'est pas parce que quelqu'un est très sensible qu'il araison. Je m'excuse. Nous, on a <strong>de</strong>s cas, on doit prendre <strong>de</strong>s décisions, c'est pas parce qu’il y a ungars qui pleure qu'il a raison. (…) Mais c'est là, la difficulté du juge, l'énorme difficulté du juge,c'est qu'il est confronté à <strong>de</strong>s êtres humains qui ont <strong>de</strong>s sensibilités, qui ont une perversion aussi,ça, il ne faut pas l'oublier. La maman qui pleure avec son fils qui ne sait plus manger, on l’a aussibien que le juge en instance. Ce n'est pas pour ça qu'elle a raison. Et toute la difficulté <strong>de</strong> ladialectique du juge, c'est <strong>de</strong> sortir du côté politique <strong>et</strong> sortir du côté émotionnel. Si vous voulezfaire <strong>de</strong> l'émotionnel, arrêtez d'être juge. Vous per<strong>de</strong>z votre temps. Moi, je vous le dis tout <strong>de</strong>suite. C'est très difficile. »Mais à la différence <strong>de</strong>s autres juridictions, les CPH règlent les conflits <strong>entre</strong> employeurs <strong>et</strong>salariés qui ont à respecter un ensemble <strong>de</strong> droits <strong>et</strong> d’obligations l’un envers l’autre. Le droitdu travail ai<strong>de</strong> ainsi à gérer ces relations sociales <strong>et</strong> les conseillers <strong>prud’hommes</strong> sanctionnenttout manquement au respect <strong>de</strong> ce droit. Ainsi, dans l’examen d’une affaire <strong>et</strong> dans l’écoute<strong>de</strong>s parties, s’effectue une évaluation <strong>de</strong> la manière dont chacun s’est comporté <strong>et</strong>, le caséchéant, un rappel à l’ordre juridique qui est aussi un rappel à l’ordre social. Avec plus oumoins <strong>de</strong> virulence, les conseillers déplorent la mauvaise connaissance du droit chez lesemployeurs, décrits comme <strong>de</strong>s « analphabètes du droit du travail » 301 , mais aussi chez lessalariés qui « se fer[aient] avoir faute <strong>de</strong> connaître leurs droits ». Il leur faut donc d’une partexpliquer le droit <strong>et</strong> la justice aux parties, ce qui implique <strong>de</strong> leur faciliter l’accès auxjugements par exemple <strong>et</strong> <strong>de</strong> leur expliquer les décisions qui sont prises. <strong>Les</strong> conseillers lepeuvent d’autant mieux qu’ils ont eux-mêmes fait ce chemin jusqu’aux frontières <strong>de</strong> lajustice. Il leur faut d’autre part rappeler aux employeurs <strong>et</strong> aux salariés les bonnes relationsdans l’<strong>entre</strong>prise. A c<strong>et</strong> égard, ils se comportent en gardiens <strong>de</strong>s « bonnes » relations socialesdans l’<strong>entre</strong>prise. Chaque affaire est l’occasion <strong>de</strong> rappeler aux parties ses obligations <strong>et</strong> <strong>de</strong>sanctionner les manquements au droit.<strong>Les</strong> conseillers doivent donc non seulement apprendre le droit <strong>et</strong> s’acculturer aux usagesjudiciaires <strong>de</strong> la juridiction prud’homale mais aussi s’efforcer, via le droit du travail, <strong>de</strong> fairerespecter certaines valeurs sociales <strong>et</strong> morales qui seraient au principe du « bon »fonctionnement <strong>de</strong> l’<strong>entre</strong>prise. Nous pouvons faire l’hypothèse que dans d’autresjuridictions, comme par exemple le tribunal <strong>de</strong> commerce, ce ne sont certainement pas lesmêmes éléments qui sont mis en avant <strong>et</strong> valorisés par l’institution. Et c’est sans doute en celaque rési<strong>de</strong>nt la spécificité du rôle <strong>de</strong>s conseillers <strong>prud’hommes</strong> par rapport aux autres mandatssyndicaux ou engagements professionnels. Si les employeurs <strong>et</strong> les salariés qui s’investissentaux <strong>prud’hommes</strong> présentent <strong>de</strong>s caractéristiques particulières, l’institution <strong>entre</strong>tient <strong>et</strong>développe encore ces qualités. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une acculturation, carnon seulement il faut avoir un certain « goût pour le social », au sens juridique <strong>et</strong> moral duterme, mais aussi pour un type d’engagement où l’on va servir sinon les autres, du moins espairs.301Entr<strong>et</strong>ien n° F02.147
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