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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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« quand on a la chance d’être référiste, c’est-à-dire qu’on juge la totalité, on s’aperçoit <strong>de</strong> latotalité <strong>de</strong>s choses, on s’aperçoit qu’il y a vraiment <strong>de</strong>s choses à faire avancer. (…) On <strong>de</strong>vientplus social, c’est clair. On pense qu’il y a <strong>de</strong>s efforts à faire dans l’application du droit du travail,mais qu’il y aussi à le moduler, à le modifier, à le travailler, <strong>de</strong> façon à ce que ce soit pas uneobligation, une contrainte. On s’aperçoit que les gens ne sont pas assez aidés <strong>et</strong> qu’ils fontbeaucoup trop confiance à <strong>de</strong>s gens qui ne sont pas formés. » 288Devenir « plus social » c’est donc à la fois avoir une vision plus juste <strong>de</strong> la réalité sociale sansêtre insensible au malheur <strong>de</strong>s parties <strong>et</strong> avoir une volonté d’intervenir dans les situationssociales en articulant au mieux les différentes règles <strong>de</strong> droit. On comprend alors que la« fibre sociale » <strong>de</strong>s conseillers, salariés comme employeurs, passe aussi par une promotion<strong>de</strong> la pédagogie <strong>de</strong>s bonnes relations sociales dans l’<strong>entre</strong>prise.b) <strong>Les</strong> <strong>prud’hommes</strong> au risque du travail socialLorsqu’ils sont au Conseil <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>, les conseillers voient défiler <strong>de</strong>vant eux <strong>de</strong>s« affaires sociales » qui sont certes <strong>de</strong>s conflits autour du contrat <strong>de</strong> travail, souvent d’ailleursconcernant la rupture du contrat, mais aussi <strong>de</strong>s situations difficiles en termes économiques <strong>et</strong>sociaux. Selon qu’ils sont membres du collège employeur ou du collège salarié, ils n’ont pasla même appréciation <strong>de</strong> ces drames qui sont rejoués sous leurs yeux. Mais ils sont tousconfrontés au « malheur » <strong>de</strong>s parties qu’ils tentent, avec <strong>de</strong>s moyens différents, d’atténuer,voire <strong>de</strong> réparer 289 . A c<strong>et</strong> égard, il ne s’agit pas pour eux qu’une « souffrance à distance » pourreprendre le titre <strong>et</strong> l’analyse <strong>de</strong> Luc Boltanski 290 , mais d’une souffrance en audience. Ainsi,comme pour ce jeune salarié, au CPH <strong>de</strong>puis 2002 : « on est obligé <strong>de</strong> réagir ! » 291 . <strong>Les</strong> unsn’hésitent pas à exprimer leur « colère » face à ces situations <strong>de</strong> « misère <strong>et</strong> <strong>de</strong> souffrance <strong>de</strong>sgens » 292 quand d’autres déplorent les stratégies <strong>de</strong>s parties ou <strong>de</strong>s avocats qui « font duZola » 293 <strong>et</strong> rappellent, comme Jean-Paul C. qui disait toutefois être <strong>de</strong>venu « plus social »,« je ne suis pas là pour entendre une plaidoirie me faire du social ». Mais qu’ils s’énervent<strong>de</strong>vant les larmes versées par les parties durant l’audience ou qu’ils en font la preuve <strong>de</strong>l’ampleur <strong>de</strong> leur détresse, tous reconnaissent qu’ils ont à intervenir sinon sur la situation ellemême,du moins auprès <strong>de</strong>s parties.A c<strong>et</strong> égard, « faire du social » prend un tour nouveau pour tous ceux qui, comme jean-PaulC, y voit une forme d’assistanat aux parties <strong>et</strong> en particulier au <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur : « On est pas làpour faire du social. J’suis pas une chambre d’application sociale. J’suis pas le bureaud’ai<strong>de</strong> sociale du quartier. C’est ce que je reproche aux syndicats <strong>de</strong> temps en temps. Qu’ilaille voir le curé, mais pas nous ! » 294 . Ils déplorent ce rôle d’ai<strong>de</strong> sociale qu’ils auraient àjouer, en particulier en référé en raison <strong>de</strong>s situations d’urgence dans lesquelles se trouvent les<strong>de</strong>man<strong>de</strong>urs. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces discours qui visent aussi à rappeler que les Conseils <strong>de</strong><strong>prud’hommes</strong> sont avant tout une juridiction <strong>et</strong> non pas « le bureau <strong>de</strong>s pleurs », dans les faits,la plupart se r<strong>et</strong>rouvent contraints d’endosser ce rôle. Il est vrai que s’il le font, c’est aussiparce qu’ils peuvent le faire, en raison par exemple d’un habitus professionnel chez lesconseillers salariés, qui travaillent par exemple dans les sections médicaux <strong>et</strong> sociaux, ou enraison d’une certaine « fibre sociale », pour reprendre un terme qui revient souvent. Mais il ne288Ibid.289Jeanne Favr<strong>et</strong>-Saada, <strong>Les</strong> Mots, la mort, les sorts : la sorcellerie dans le bocage, Paris, Gallimard, 1977.290Luc Boltanski, La Souffrance à distance, Paris Métailié, 1993.291Entr<strong>et</strong>ien n° A04.292Entr<strong>et</strong>ien n° A03293Entr<strong>et</strong>ien ROSSI, Me<strong>de</strong>f, Lyon.294Entr<strong>et</strong>ien n° F10145

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