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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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d'expliquer ce qu'on fait <strong>de</strong> façon à ce que ce soit compréhensible pour tout le mon<strong>de</strong>. Donc c'estvrai que moi j'aime bien ce côté pédagogue, qu'on fait pas assez en tout cas. » 279Expliquer la décision, rendre compréhensible la procédure <strong>et</strong> la manière <strong>de</strong> faire, c'est, pourles conseillers prud'hommes, restituer <strong>de</strong> qu'ils ont acquis, faire profiter leurs délégataires <strong>de</strong>leur savoir. On le r<strong>et</strong>rouve plus présent encore lors <strong>de</strong>s audiences dans lesquelles les<strong>défense</strong>urs ou, plus rarement, les défen<strong>de</strong>urs, ne sont accompagnés ni d'un avocat, ni d'un<strong>défense</strong>ur syndical. Dans ces moments, le prési<strong>de</strong>nt d'audience explique la procédure, gui<strong>de</strong>l'individu en lui disant quel ordre suivre dans l'exposé du litige <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. Le tonqu'il prend se veut pédagogique, jusqu'à en <strong>de</strong>venir parfois didactique, voire con<strong>de</strong>scendant.Q. : « Et quand c'est le justiciable qui plai<strong>de</strong> seul ? » R. : « Alors moi, je l'ai vu <strong>de</strong>ux fois. Onest... comment dire ? On ai<strong>de</strong> un peu, on essaie <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre à l'aise <strong>et</strong> on indique au justiciable,avant qu'il ne se lance, très exactement ce qu'on attend <strong>de</strong> son intervention, <strong>de</strong> sa plaidoirie. Onle gui<strong>de</strong>, on lui dit : vous allez d'abord nous dire quelles sont vos <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. Et après on lui dit :vous allez nous dire qui vous êtes, quand est-ce que vous avez été embauché... on pose <strong>de</strong>squestions pour le m<strong>et</strong>tre à m'aise <strong>et</strong> pour faire en sorte qu'au total <strong>de</strong>s totaux il ait plaidéconvenablement par rapport aux besoins d'information qu'on a. » 280Lors <strong>de</strong>s moments, <strong>de</strong>venus rares, d'absence <strong>de</strong>s avocats, les conseillers ont l'impression <strong>de</strong>r<strong>et</strong>rouver leur espace d'<strong>action</strong> légitime, dans lequel ils sont en mesure <strong>de</strong> reprendre sansaffrontement la maîtrise <strong>de</strong> l'audience. Ils y r<strong>et</strong>rouvent aussi une prud'homie « ancestrale »,libérée <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> « judiciarisation », <strong>et</strong> dans laquelle les pairs échangent <strong>entre</strong> eux dans lerespect <strong>de</strong> la morale prud'homale. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est plus question <strong>de</strong> droit,mais ce ne sont plus <strong>de</strong>s « coups » juridiques qui s'échange, mais un droit mâtiné <strong>de</strong>catégories issues du mon<strong>de</strong> du travail, <strong>et</strong> qui renvoie à la « nature » corporatiste <strong>de</strong>l'institution. On comprend alors que le travail pédagogique se fait difficilement sous ke regard<strong>de</strong>s avocats, <strong>de</strong>venus les intermédiaires obligés <strong>entre</strong> les pairs. C'est leur absence qui rend c<strong>et</strong>ravail possible.La réd<strong>action</strong> du jugement est un autre moment possible pour perm<strong>et</strong>tre aux conseillersd'exercer leur activité <strong>de</strong> pédagogue du droit. Un certain nombre d'<strong>entre</strong> eux insistent sur lanécessité <strong>de</strong> rédiger les jugements dans un langage accessible à tous. Il s'agit d'éviter le« jargon » juridique, ou plutôt <strong>de</strong> traduire le vocabulaire <strong>de</strong> la justice en un vocabulairecompréhensible. Mais en gagnant en clarté en en transparence, les jugements per<strong>de</strong>nt enpertinence juridique : voilà l'un <strong>de</strong>s rares moment où l'on voit s'affronter les <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong>légitimité.Par <strong>de</strong>là les prétentions <strong>de</strong> certains à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s professionnels du droit ou à appartenirvraiment au champ juridique, les conseillers tiennent à la spécificité du droit du travail qu'ilsproduisent, ne serait-ce que parce qu'ils comprennent leur activité pédagogique comme une« mission » <strong>de</strong> diffusion du droit à leurs pairs. Il est vrai qu'ils ne peuvent pas toujours résisterà la pression <strong>de</strong> la hiérarchie judiciaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'ensemble du champ juridique à se conformeraux normes du « droit pur » ; il est vrai aussi qu'un certain nombre <strong>de</strong> conseillersprud'hommes sont les propagateurs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te conception professionnalisée du droitprud'homale <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'activité <strong>de</strong> conseiller, parce que du fait <strong>de</strong> leur trajectoire sociale ilscroient plus que d'autres à la nécessité d'un droit « purifié » <strong>de</strong>s scories <strong>de</strong> la réalité sociale <strong>et</strong>ont une gran<strong>de</strong> habil<strong>et</strong>é avec les « jeux <strong>de</strong> la forme » qui marquent c<strong>et</strong>te conception du travail279Entr<strong>et</strong>ien n° I09 : conseiller CFDT.280Entr<strong>et</strong>ien B03 : conseillère CFE-CGC <strong>de</strong> la section encadrement.141

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