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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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certains textes issus du droit européen 275 . Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce, que lesconseillers prud'hommes utilisent assez <strong>et</strong> face à la quelle ils ont une certaine méfiance.- La jurispru<strong>de</strong>nce : la production <strong>de</strong> l'incertitu<strong>de</strong>De fait, la plupart <strong>de</strong>s conseillers prud'hommes ne semblent guère à leur aise face à l'usage <strong>de</strong>la jurispru<strong>de</strong>nce, qui leur est le plus souvent dictée par les avocats, mais d'une manièrecontradictoire, puisque chaque plaidoirie contient un ou <strong>de</strong>ux éléments <strong>de</strong> jurispru<strong>de</strong>nce, quisont souvent opposés dans leurs conclusions. Pour ces conseillers à l'origine distants dumon<strong>de</strong> du droit, la jurispru<strong>de</strong>nce produit brouillages <strong>et</strong> inquiétu<strong>de</strong>, en ce sens qu'elle n'est pasfixée une fois pour toutes <strong>et</strong> reste évolutive. Elle nécessite donc une facilité à jouer avec lesformes <strong>et</strong> avec les raisonnements juridiques, qui peut contrevenir à un usage profane ou nonprofessionneldu droit du travail.La manière dont Philippe J., dont nous avons analysé la trajectoire <strong>de</strong> promotion culturelle dansle chapitre précé<strong>de</strong>nt, considère la jurispru<strong>de</strong>nce ressort particulièrement bien du récit qu'il faitd'une « discussion » juridique avec son employeur, qui représente ici l'ensemble <strong>de</strong>s employeurs: « Voilà, il ne faut prendre que ce qu’on a besoin [dans le co<strong>de</strong> du travail]. Avec <strong>de</strong>s patrons...parce que les patrons, ils regar<strong>de</strong>nt même pas les texte ; ils pensent : on a raison. Je dis : moiaussi, j’ai raison, démontrez-moi le contraire, que j’ai pas raison. Moi je vous dis que j’ai raisonparce que ça dit ça, ça <strong>et</strong> ça. Et mon patron... le <strong>de</strong>rnier coup, je lui ai mis le co<strong>de</strong> du travail <strong>entre</strong>les mains... Je lui dis : 'on va quand même pas se battre ; vous le voulez pas en pleine face ? Onva le relire ensemble, je vais m<strong>et</strong>tre mon doigt, on va y aller mot par mot. Et il a compris. Il avaitdéjà compris, le premier coup. Mais ce con, il disait : lui, non, ce p<strong>et</strong>it pavé ça convient pas, çadit pas ce que vous voulez (montre la jurispru<strong>de</strong>nce du texte). Je lui dis : je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas lep<strong>et</strong>it pavé, c’est une jurispru<strong>de</strong>nce, je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> lire le texte en haut. Ca, ça vous dit pas...c’est pas bon ? Si, si... On a mis une heure pour se m<strong>et</strong>tre d’accord... pour 3 mots. Et il l’acompris. A la fin, il m’a dit : faites donc ce que vous voulez. Il y avait un p<strong>et</strong>it pavé, là, <strong>de</strong>jurispru<strong>de</strong>nce, qui était un cas. Mais ça l’arrangeait bien, pour soutenir sa position. Et lui, il nevoyait que ça. »C<strong>et</strong> <strong>entre</strong>tien montre tout un ensemble d'éléments : d'abord le fait que les conseillers salariésutilisent le Co<strong>de</strong> du travail comme un argument dans une discussion avec l'employeur ; c<strong>et</strong>tediscussion est brutale <strong>et</strong> m<strong>et</strong> en scène une forme <strong>de</strong> lutte <strong>de</strong>s classes <strong>entre</strong> un salarié <strong>et</strong> sonemployeur, mais transposée dans le champ du droit. Il montre aussi la manière dont lajurispru<strong>de</strong>nce produit <strong>de</strong> l'incertitu<strong>de</strong> parce qu'elle rem<strong>et</strong> en cause la représentation quebeaucoup se font du droit : un ensemble <strong>de</strong> normes fixes <strong>et</strong> non-mouvantes. La jurispru<strong>de</strong>nceintroduit ce « jeu avec les formes » qui rem<strong>et</strong> en cause les codifications les plus arrêtées,m<strong>et</strong>tant ainsi en difficulté les moins « virtuoses » <strong>de</strong>s conseillers prud'hommes 276 .On r<strong>et</strong>rouve le même type <strong>de</strong> méfiance envers la jurispru<strong>de</strong>nce chez ce conseiller prud'hommeemployeur, r<strong>et</strong>raité, anciee cadre commercial : « Quand on délibère, moins en référé, mais sur lefond, quand on délibère les co<strong>de</strong>s sont sur la table. Non parce qu'il y a déjà l'évolution <strong>de</strong> lajurispru<strong>de</strong>nce, <strong>et</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce elle bouge (...) la jurispru<strong>de</strong>nce c'est celle qui fait évoluer maison n'est pas obligé non plus d'être fervent partisan l'application <strong>de</strong> toute jurispru<strong>de</strong>nce. » 277275Ou même international : on peut rappeler que le tout récent jugement <strong>de</strong> la Cour d'appel <strong>de</strong> Paris déclarant leContrat Nouvelles Embauches (CNE) contraire à l'article 158 <strong>de</strong> l'Organisation Internationale du Travail (OIT)est la confirmation du jugement rendu en avril <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te année par le Conseil <strong>de</strong>s prud'hommes <strong>de</strong> Longjumeau(Essonne).276P. Bourdieu, « Habitus, co<strong>de</strong> <strong>et</strong> codifications », art. cit.L277Entr<strong>et</strong>ien n° I01.139

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