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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

04-44-RF

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(...) Et puis après, si vous voulez savoir comment je rédige, je ramène les dossiers à la maison, jelis d'abord les conclusions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties, je rédige d'abord les faits en lisant les conclusions<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux parties, les parties 'faits' <strong>de</strong>s conclusions, <strong>et</strong> en ayant toujours sous les yeux mes notesaussi, je rédige le... les dires <strong>de</strong> chaque partie, <strong>et</strong> puis après je synthétise la décision que nousavons prise, je saute carrément à la fin – c'est ma technique, ça – <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière excessivementlogique <strong>et</strong> méthodique, je fon<strong>de</strong> mes décisions. Alors là, je vais repiocher les idées dans lesconclusions <strong>de</strong>s parties <strong>et</strong> puis dans le co<strong>de</strong> du travail – j'aime bien le Co<strong>de</strong> du travail annoté. » 269Des conseillers pratiquent la métho<strong>de</strong> inverse en rédigeant d'abord la décision en se fondantsur le co<strong>de</strong> puis en remontant aux conclusions <strong>de</strong>s parties. A chaque fois, cependant,l'insistance est mise sur la « logique mathématique » à l'oeuvre dans les jugements, comme ledit une conseillère, <strong>et</strong> plus précisément sur la mise en forme juridique d'une décision négociéelors du délibéré. Comme tous les magistrats, <strong>et</strong> même ceux qui sont en haut <strong>de</strong> la hiérarchiejudiciaire, les conseillers fabriquent du droit c'est-à-dire traduisent en catégories juridiques<strong>de</strong>s faits issus <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> travail <strong>et</strong> une décision obtenue le plus souvent par lanégociation : on pourrait en eff<strong>et</strong> dire comme Bruno Latour que la qualité du jugement « tientà l’ampleur <strong>de</strong>s éléments disjoints que l’on parvient à faire tenir après avoir longtemps <strong>et</strong>convenablement hésité. » 270 De nombreux conseillers voient eux-aussi <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manièredialectique leur travail <strong>de</strong> production d'un jugement, qui consiste simultanément dans laconstruction juridique du fait <strong>et</strong> dans la mise en application factuelle du droit :« Le droit, il s'applique à toutes les situations quoi qu'il arrive. Donc simplement, il y ainterprétation <strong>de</strong>s faits, il y a la remise <strong>de</strong>s faits dans leur contexte professionnel d'usage, <strong>et</strong> unefois qu'on a fait tout ça, on applique le droit. Mais c'est vrai qu'on est le juge du fait avant tout <strong>et</strong>quand on a déterminé le fait, on m<strong>et</strong> le tarif, tout simplement. » (prési<strong>de</strong>nt CFDT <strong>de</strong> la section<strong>de</strong>s Activités diverses d'un grand conseil). 271Dans c<strong>et</strong>te perspective, <strong>et</strong> en <strong>de</strong>çà <strong>de</strong> l'écriture même du jugement, qui passe pour beaucouppour un moment à la fois difficile, solennel <strong>et</strong> captivant, il faut insister sur <strong>de</strong>ux pratiques quiren<strong>de</strong>nt possible c<strong>et</strong>te production <strong>de</strong> droit : la prise <strong>de</strong> note <strong>et</strong> la consultation du co<strong>de</strong> dutravail. Tous les conseillers insistent sur la prise <strong>de</strong> note, <strong>et</strong> une observation <strong>de</strong>s conseillers enaudience qui ne serait pas suivie d'<strong>entre</strong>tiens conclurait au fait que leur activité principale est<strong>de</strong>s <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s notes pendant l'audience. On peut légitimement se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à quoi sertc<strong>et</strong>te prise <strong>de</strong> note, qui est largement redondante avec la consultation du dossier. Il estprobable que ce travail d'écriture perm<strong>et</strong> aux conseillers <strong>de</strong> s'approprier le dossier <strong>et</strong> laplaidoirie <strong>de</strong>s avocats <strong>et</strong>, pour celui qui va rédiger, <strong>de</strong> commencer son travail <strong>de</strong> réd<strong>action</strong>.Mais là encore, les pratiques sont fort distinctes selon les conseillers <strong>et</strong> leur distance à laculture juridique :Quand on interroge Dominique H, conseiller prud'homme CGT <strong>de</strong>s Activités diverses d'unconseil d'une ville moyenne, sur sa première audience, il évoque immédiatement la prise <strong>de</strong> note: « Ecouter le gars plai<strong>de</strong>r, c'est pas gênant. Non, le problème, c'est qu'on prend <strong>de</strong>s notes à tort <strong>et</strong>à travers. On note tout, <strong>et</strong> après on s'aperçoit qu'on a tout dans les conclusions. Et qu'en réalité,c'est surtout les pièces qui vont faire que. » 272269Entr<strong>et</strong>ien n° B03. On r<strong>et</strong>rouve là l'idée <strong>de</strong> Latour selon laquelle un jugement <strong>de</strong> droit est d'abord un ensemble<strong>de</strong> textes <strong>et</strong> <strong>de</strong> document mis bout à bout, une forme « d'intertextualité collective » : « La spécificité du droit estd’être une accumulation <strong>de</strong> papier d’origine <strong>et</strong> <strong>de</strong> statut divers, qui fait passer <strong>de</strong> la normes aux faits <strong>de</strong> l’espèce<strong>et</strong> inversement » : B. Latour, La fabrique du droit, op. cit., p. 103.270Bruno Latour, , ibid., p. 179.271Entr<strong>et</strong>ien n° E01.272Entr<strong>et</strong>ien n° J09.137

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