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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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Conclusion : <strong>Les</strong> conseillers prud'hommes, acteurs dusyndicalisme juridiqueA l'exception <strong>de</strong> quelques rares acteurs <strong>de</strong> la prud'homie qui arrivent aux prud'hommes sansexpérience <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong> qui s'éloignent ou se séparent <strong>de</strong> leur organisation pendant l'exercice<strong>de</strong> leur activité, la plupart <strong>de</strong>s trajectoires sociales <strong>de</strong>s conseillers prud'hommes s'appuient sur<strong>de</strong>ux espaces : l'espace syndical <strong>et</strong> l'espace juridique. <strong>Les</strong> ressources obtenues dans ces <strong>de</strong>uxespaces se combinent <strong>et</strong> s'ajoutent pour donner au conseiller prud'homme son i<strong>de</strong>ntitéspécifique, à mi-chemin du droit <strong>et</strong> du syndicalisme. C'est pourquoi l'effort <strong>de</strong> reclassementsocial réalisé à travers les prud'hommes s'accompagne rarement, à notre connaissance, d'unabandon <strong>de</strong> la logique <strong>syndicale</strong> à l'oeuvre dans les activités <strong>de</strong> <strong>défense</strong> <strong>de</strong>s pairs. Nousn'avons rencontré que très peu <strong>de</strong> figures <strong>de</strong> « reclassés » <strong>de</strong>venus « électrons libres », pourreprendre la terminologie souvent utilisée par les responsables syndicaux. Au contraire, cesconseillers ne rencontrent pas <strong>de</strong> difficulté à combiner leur appétence pour le droit à leuractivité <strong>syndicale</strong>. C'est même c<strong>et</strong>te combinaison qui donne à leur parcours sa logique propre.Ils vivent alors leur activité prud'homale comme une manière <strong>de</strong> continuer <strong>de</strong> servirl'organisation tout en trouvant <strong>de</strong> nouvelles formes <strong>de</strong> gratifications. Ces militants, dont nousavons vu qu'ils étaient éprouvés, c'est-à-dire à la fois expérimentés <strong>et</strong> fatigués du syndicalism<strong>et</strong>raditionnel, voient dans leur mandat prud'homal une solution pour persévérer dans leurmilitantisme en changeant d'univers <strong>et</strong> en réenchantant leur engagement. De fait, comme nousl'avons vu, les prud'hommes peuvent être considérés comme une « offre » militantespécifique, celle d'un engagement technique <strong>et</strong> in<strong>de</strong>xé à un ensemble <strong>de</strong> savoirs <strong>et</strong> <strong>de</strong> savoirfairejuridiques. Grâce à la prud'homie, ils peuvent ainsi perpétuer leur engagement syndicalou social, ont l'impression <strong>de</strong> continuer leur activité professionnelle ou <strong>de</strong> réaliser uneascension sociale sans pour autant abandonner leur souci <strong>de</strong> justice sociale, d'<strong>action</strong> collectiveou <strong>de</strong> <strong>défense</strong> <strong>de</strong> l'autre souffrant. 261la trajectoire <strong>de</strong> Marc H 262 . est très révélatrice <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te trajectoire tout à la fois <strong>syndicale</strong> <strong>et</strong> militante. Âgé <strong>de</strong> 61ans, r<strong>et</strong>raité <strong>de</strong> la SNCF, élu <strong>de</strong>puis 1997, il se présente d'abord comme un militant : « ma carrière d emilitant,ça a pas été une carrière très valoriante à mon avis. Et j'ai d'ailleurs plus axé ma vie sur le syndicalisme <strong>et</strong> lemilitantisme. » Fils <strong>et</strong> p<strong>et</strong>it-fils <strong>de</strong> militant CGT, très tôt délégué syndical cheminot (<strong>et</strong> par ailleurs membre duPCF), il développe une vision très classiste <strong>de</strong> la prud'homie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s rapports sociaux : « Et puis la lutte <strong>de</strong>sclasses, pour moi aussi d'ailleurs, pour lui [pour son grand-père] la lutte <strong>de</strong>s classes c'est quelque chose quiexistait. Et pour moi elle existe aussi toujours. La lut<strong>et</strong> <strong>de</strong>s classes, ici [au conseil <strong>de</strong>s prud'hommes] on la vit auquotidien. Quand on est en délibéré par exemple. Pour moi, il y a le spatrons d'un côté qui défen<strong>de</strong>nt les patrons<strong>et</strong> les salariés qui défen<strong>de</strong>nt les salariés. », Et dans le même temps, il exprime avec force un intérêt intellectuel<strong>et</strong> juridique pour les prud'hommes : « Et quand je suis arrivé ici, c'est quelque chose qui m'a plu tout <strong>de</strong> suite(...) On défend les gens, voilà... Parce que quand on est délégué syndical, il y a <strong>de</strong>s moments où on va râler pouravoir du papier dans les toil<strong>et</strong>tes. Tandis que là, c'est vraiment <strong>de</strong>s questions assez pointues pour nous. Et puis ilfaut potasser, il faut bûcher, il faut étudier les dossiers, il faut se former. » Son ancien statut <strong>de</strong> salarié <strong>de</strong> laSNCF (donc détenteur d'un grand nombre d'heures <strong>de</strong> délégation) <strong>et</strong> son nouveau statut <strong>de</strong> r<strong>et</strong>raité en fontd'ailleurs un véritable « professionnel <strong>de</strong>s prud'hommes », toujours présent au conseil, qui a la mémoire <strong>de</strong>l'institution <strong>et</strong> adhère à ses valeurs, comme il le montre en racontant ses « disputes » avec un conseilleremployeur : « Il y en a [<strong>de</strong>s conseillers employeurs] que j'aime bien. Il y a M. D. par exemple. Lui je l'aime bien.Et puis on arrive à se disputer. Il y a pas si longtemps, on s'est accrochés, il est reparti en colère. Et puis il estrevenu après. Et puis il est revenu après. Donc lui, je l'aime bien. C'est un monsieur que j'estime. C'est un261Sur c<strong>et</strong>te problématique, cf. Annie Collovald <strong>et</strong> allii, L'humanitaire ou le management <strong>de</strong>s dévouements, op.cit. ; Laurent Willemez, « Perseverare Diabolicum. L’engagement militant à l’épreuve du vieillissementsocial », Liens social <strong>et</strong> politique, n° 51, 2004, p. 71-82 ; Laurent Willemez, « Défendre les salariés : laconstitution d'une expertise juridique dans les organisations <strong>syndicale</strong>s », in Sylvie Tissot, Christophe Gaubert <strong>et</strong>Marie-Hélène Lechien, (dir.), Reconversions militantes, Limoges, Pulim, p. 51-62.262Entr<strong>et</strong>ien n° J02.130

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