principes républicains (<strong>et</strong> donc pouvant être considérées comme <strong>de</strong>s espaces publics), maisqui occupent un rôle proches <strong>de</strong>s corporations, c'est-à-dire <strong>de</strong>s « organes d'auto-administrationconcertée », où <strong>de</strong>s pairs participent à « la fixation commune <strong>de</strong> leurs propres règles ». 14 Defait, les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes se voient fixés un rôle <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong>s professions eninterne, en particulier pour ce qui est <strong>de</strong>s litiges liés au marché du travail (<strong>et</strong> donc au prix <strong>de</strong>celui-ci), aux règlements d'atelier, mais aussi à la protection <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssins <strong>et</strong> modèles, quiresteront pendant très longtemps une <strong>de</strong>s attributions <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes. De même,ils sont constitués à peu près <strong>de</strong> la même manière que les corporations, puisque leurcomposition transcen<strong>de</strong> les clivages sociaux traditionnels en réunissant ouvriers <strong>et</strong> patronsd'un même type d'activité. C<strong>et</strong>te proximité fonctionnelle du conseil <strong>de</strong> prud'hommes avec lescorporations est d'ailleurs présentée par Durkheim quand il tente, à la fin du XIXe siècle, <strong>de</strong>défendre le modèle corporatif : donnant aux corporations un rôle <strong>de</strong> « règlements <strong>de</strong>s conflitsdu travail, qui ne peuvent être absolument codifié en forme <strong>de</strong> loi », parce que ceux-ci« nécessitent <strong>de</strong>s tribunaux spéciaux (...) pour pouvoir juger en toute indépendance <strong>de</strong>s droitsaussi variés que les formes <strong>de</strong> l'industrie. » 15 Ainsi, le premier conseil <strong>de</strong>s prud'hommes estcréé à Lyon en 1806, en partie sur le modèle du « tribunal commun <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> fabrique »,créé par un édit <strong>de</strong> Louis XIV en 1655 <strong>et</strong> qui a pour mission <strong>de</strong> concilier les fabricants <strong>et</strong> lesouvriers <strong>et</strong> <strong>de</strong> juger leurs différends 16 .On comprend mieux, alors, les réticences très vives <strong>de</strong>s autorités napoléoniennes, puis dupouvoir sous la Restauration <strong>et</strong> la Monarchie <strong>de</strong> Juill<strong>et</strong>, face à l'instauration <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>prud'hommes 17 . Et tout au long du XIXe siècle, <strong>et</strong> parfois même jusqu'à aujourd'hui, l'idéemême d'une régulation commune <strong>et</strong> auto-administrée <strong>de</strong>s activités professionnelles, à la foisindépendamment <strong>de</strong> l'Etat <strong>et</strong> à l'encontre d'une liberté complète du marché du travail peutconduire à rem<strong>et</strong>tre en cause l'idée prud'homale à partir d'une critique <strong>de</strong>s corporations <strong>et</strong> ducorporatisme. Pour autant, l'institution prud'homale qui s'invente au XIXe siècle se composed'un certain nombre d'éléments qui interdisent d'y voir la stricte continuité du modèlecorporatiste. Il s'agit en premier lieu <strong>de</strong> l'existence au sein <strong>de</strong>s corporations d'une pluralitéd'acteurs : les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes regroupent d'abord tous les acteurs intéressés dugroupe professionnel <strong>et</strong> réunit en particulier employeurs, contremaîtres <strong>et</strong> ouvriers. Mais lepluralisme <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> se r<strong>et</strong>rouve aussi au niveau <strong>de</strong> son fonctionnement même : les <strong>conseils</strong>sont certes liés à un « mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> production » unique : le conseil <strong>de</strong> Lyon régule l'activitétextile comme, dans les années 1850, le conseil <strong>de</strong>s prud'hommes <strong>de</strong>s métaux à Paris juge leslitiges liées aux <strong>entre</strong>prises <strong>de</strong> la métallurgie ; pour autant, ces grands domaines d'activitééconomique regroupent une multiplicité <strong>de</strong> « catégories professionnelles », c'est-à-dire <strong>de</strong>« métiers » : si les conseillers prud'hommes sont élus à partir <strong>de</strong> leurs appartenances à ces« catégories », chaque conseil crée du transversal <strong>et</strong> produit un intérêt collectif commun à <strong>de</strong>smétiers très différents les uns <strong>de</strong>s autres.14 Philippe Minard, « <strong>Les</strong> corporations en France au XVIIIe siècle : métiers <strong>et</strong> institutions », in La France,mala<strong>de</strong> du corporatisme ?, op. cit., p. 44-45.15 Emile Durkheim, Leçons <strong>de</strong> sociologie, Paris PUF (« Quadrige »), 1950, p. 77. Dans la préface à la secon<strong>de</strong>édition <strong>de</strong> La Division du travail social, Durkheim explicite l'utilisation du modèle prud'homal dans la note 31 :« dans l'état actuel <strong>de</strong> l'industrie, ces assemblées, ainsi que les tribunaux chargés d'appliquer la réglementationprofessionnelle, <strong>de</strong>vraient évi<strong>de</strong>mment comprendre <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s employés <strong>et</strong> <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>semployeurs, comme c'est déjà le cas dans les tribunaux <strong>de</strong> prud'hommes. » Cf. sur ce point Alain Supiot,« Actualité <strong>de</strong> Durkheim : notes sur le néo-corporatisme », Droit <strong>et</strong> société, n°6, 1987.16 Bruno Dubois, « <strong>Les</strong> prud'hommes <strong>et</strong> la discipline professionnelle au XIXe siècle », in Juges <strong>et</strong> criminels.Etu<strong>de</strong>s en hommage à Renée Martinage, Hellemmes, Ester (« L'espace juridique »), 2000, p. 506.17 Igor Moullier, « Innovation institutionnelle <strong>et</strong> régulation du mon<strong>de</strong> du travail : le ministère <strong>de</strong> l'Intérieur <strong>et</strong> lanaissance <strong>de</strong>s prud'hommes (1800-1815) », in Histoire d'une juridiction d'exception, op. cit.12
Mais c'est surtout le principe <strong>de</strong> l'élection <strong>de</strong>s conseillers prud'hommes qui jour un rôle centraldans le dispositif en empêchant la reconstitution <strong>de</strong>s corporations en arrimant <strong>de</strong> nouvellesformes <strong>de</strong> solidarité au sein <strong>de</strong>s professions aux institutions républicaines 18 . Si les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>prud'hommes adoptent le principe révolutionnaire <strong>de</strong> l'élection <strong>de</strong>s juges, qui date <strong>de</strong> 1791, laRévolution <strong>de</strong> 1848 rend pour sa part électeurs <strong>et</strong> éligibles tous les acteurs du mon<strong>de</strong> dutravail, y compris les ouvriers. A travers la loi <strong>de</strong> 1848 sur les prud'hommes, il s'agit, selonMarcel David, « d'accor<strong>de</strong>r les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes en accord avec les exigencesdémocratiques du suffrage universel », <strong>et</strong> plus encore d'établir la « jonction <strong>entre</strong> démocratie<strong>et</strong> juridiction du travail, que les révolutionnaires <strong>de</strong> 1791 avaient rendu possible en instaurantl'élection <strong>de</strong>s juges, mais qu'ils avaient estimé incompatible avec le principe d'unité <strong>de</strong>juridiction <strong>et</strong> les intérêts bien compris <strong>de</strong> la bourgeoisie. » 19- Une institution liée à l'encadrement juridique <strong>de</strong>s nouvelles structures <strong>de</strong> l'économie<strong>Les</strong> <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes sont donc constitués pour <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s instances <strong>de</strong> régulations<strong>de</strong>s activités professionnelles, mais dans une conjoncture particulière, celle <strong>de</strong> l'essor dulibéralisme économique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'émergence <strong>de</strong> la question sociale. Emerge ainsi l’une <strong>de</strong>slogiques prud'homales, qui consiste à en faire « <strong>de</strong>s juges du fait », le conseil <strong>de</strong> prud'hommes<strong>de</strong>venant « un tribunal plus conciliateur, moins strictement juridique, plus expert » que parexemple les tribunaux <strong>de</strong> commerce à la même époque 20 . L'institution m<strong>et</strong> ainsi en oeuvre untype particulier <strong>de</strong> régulation juridique du mon<strong>de</strong> du travail.Du côté <strong>de</strong> l'élite économique du début du XIXè siècle, si l'un <strong>de</strong>s objectifs semble biend'éviter le développement <strong>de</strong> mouvements séditieux <strong>de</strong> la part d'une classe ouvrière enémergence, il est aussi d'éviter une intervention croissante <strong>de</strong> l'Etat, alors même que sedéveloppe dès le début du siècle une revendication libérale (sur le plan économique) puis,dans les années 1830, un premier mouvement <strong>de</strong> création d'une législation protectrice pour lestravailleurs. Claire Lemercier explique comment la création <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommesà Paris dans les années 1840 était notamment une réponse à la loi sur le travail <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong>mars 1841 <strong>et</strong> la création d'un corps d'inspecteurs chargés <strong>de</strong> surveiller l'application <strong>de</strong> la loi 21 .De fait, les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes comme les tribunaux <strong>de</strong> commerce peuvent êtreconsidérés comme promouvant une voie <strong>de</strong> régulation juridique <strong>de</strong> type libéral, c'est-à-direautonome <strong>et</strong> s'exerçant partiellement ou totalement à l'abri d'un droit national, s'imposant àtous <strong>et</strong> mis en forme dans <strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s.C'est ce qui perm<strong>et</strong> à Claire Lemercier <strong>de</strong> présenter les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes, <strong>et</strong> dans unemoindre mesure les tribunaux <strong>de</strong> commerce, comme <strong>de</strong>s institutions aux frontières <strong>de</strong> l'ordrejudiciaire, qui échappent largement à la codification <strong>et</strong> à l'emprise <strong>de</strong>s professionnels dudroit 22 . Pour prolonger c<strong>et</strong>te analyse, on pourrait proposer l'hypothèse selon laquellel'institution prud'homale est l'une <strong>de</strong>s structures juridiques créées en France tout au long duXIXè siècle pour encadrer l'économie <strong>de</strong> marché en émergence. Et s'il est vrai que la18 Cf. Jacques Bouveresse, « Des élections malgré tout : l'histoire mouvementée <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes »,in Jacques Krynen, dir., Lélection <strong>de</strong>s juges. Etu<strong>de</strong> historique <strong>et</strong> contemporaine, Paris, PUF, 1999, p. 165-221.19 Marcel David, « L'évolution historique <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes », art. cit., p. 11.20 Claire Lemercier, « Prud'hommes <strong>et</strong> institutions du commerce à Paris, <strong>de</strong>s origines à 1870 », in Histoire d'unejuridiction d'exception, op. cit.21 Ibid.22 Claire Lemercier, « Juges du commerce <strong>et</strong> conseillers prud'hommes face à l'ordre judiciaire (1800-1880). Laconstitution <strong>de</strong>s frontières juridiques », in Hélène Michel <strong>et</strong> Laurent Willemez (dir.), La justice au risque <strong>de</strong>sprofanes, Paris, PUF-CURAPP, à paraître en 2007.13
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