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Les conseils de prud’hommes entre défense syndicale et action publique

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<strong>et</strong> qui constitue souvent pour les prési<strong>de</strong>nts nouvellement élus un moment central, nonseulement <strong>de</strong> sociabilité mais aussi <strong>de</strong> reconnaissance. Rencontres avec le préf<strong>et</strong>, discussionsavec le juge départiteur, échanges avec les avocats, notamment avec le bâtonnier...Joseph C a été conseiller prud'homme <strong>de</strong> 1987 à 1997 ; longtemps lea<strong>de</strong>r CGT <strong>de</strong> la prud'homie mais jamaisprési<strong>de</strong>nt du conseil (la prési<strong>de</strong>nce salariés étant <strong>entre</strong> les mains <strong>de</strong> la CFDT avec laquelle il n'existe pasd'accord), <strong>de</strong>venu formateur pour les conseillers CGT <strong>de</strong> l'Union locale <strong>et</strong> en train <strong>de</strong> passer la main à Philippe P(cf. portrait ci-<strong>de</strong>ssus), il parle à <strong>de</strong> nombreuses reprises du réseau d'interconnaissance qu'il a constitué : lemagistrat du TI faisant office <strong>de</strong> juge départiteur, le procureur, le bâtonnier du barreau : « p<strong>et</strong>ite histoire :dimanche [c'était le premier mai], j'ai vu le départiteur Michaud. Il était avec une autre... [conseillère]. Et donccomme C, c'est une p<strong>et</strong>ite ville, c'est le juge d'instance du lieu, on se connaît par ailleurs, je l'ai vu dimanche pourla manifestation. » Un pue plus loin dans l'<strong>entre</strong>tien, il s'adresse à son camara<strong>de</strong> qui participe aussi à l'<strong>entre</strong>tien :« Joseph, dis-nous ce que tu lui as dit, au procureur. Philippe : je lui ai dit que pour nous, le droit, ça tourneautour <strong>de</strong>s faits. C'est les faits qui font le droit. Eh bien, prouvez-moi le contraire, que c'est pas les faits qui fontle droit. Alors il réfléchir <strong>et</strong> il fait : oui, on pourrait en parler longtemps. » Puis les <strong>de</strong>ux conseillers évoquent lesavocats « Moi, le dossier M., je l'ai préparé avec G. C'est le bon avocat pour les ouvriers, sur la ville. Quand ilétait jeune avocat, il a dit qu'il défendrait jamais les patrons. Et P., c'est notre interlocuteur privilégié. C'estl'avocat <strong>de</strong>s gros Me<strong>de</strong>f. C'est le bâtonnier. Ils sont bâtonniers chacun à son tour parce qu'ils sont pasbeaucoup. »Mais c<strong>et</strong>te p<strong>et</strong>ite notabilisation n'est jamais aussi importante que quand elle s'accompagned'une multipositionnalité dans <strong>de</strong>s espaces connexes au droit du travail, qui, à travers un eff<strong>et</strong>d'entraînement, accentue la surface sociale <strong>de</strong> l'individu. La prud'homie fait alors systèmeavec d'autres appartenances <strong>et</strong> d'autres activités militantes, souvent liées au droit <strong>et</strong> ausyndicalisme, salarié ou patronal. On peut r<strong>et</strong>rouver alors <strong>de</strong>s conceptions du droit <strong>et</strong> du rôle<strong>de</strong> conseiller qui se rapprochent <strong>de</strong>s formes d'autodidaxie <strong>et</strong> <strong>de</strong> « bonne volonté juridique », àlaquelle s'ajoute ce sentiment <strong>de</strong> réussite sociale exemplaire. Aux prud'hommes, Un certainnombre d'artisans <strong>et</strong> <strong>de</strong> p<strong>et</strong>its-patrons, membres, actifs ou non, <strong>de</strong> la CGPME, partagent c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>rajectoire d'ascension sociale, dont les prud'hommes constituent une étape. On comprendl'intérêt <strong>de</strong> ces acteurs pour leur rôle prud'homal quand on le rapproche <strong>de</strong>s représentationshistoriques <strong>et</strong> mythiques <strong>de</strong> la prud'homie autour du refus <strong>de</strong>s classes sociales <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'idéologie<strong>de</strong> la conciliation, valeurs qui sont au c<strong>entre</strong> du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s artisans 256 .Un <strong>de</strong>s responsables <strong>de</strong> la CGPME, fils d'un artisan ébéniste, successeur <strong>de</strong> son père à la tête <strong>de</strong> l'<strong>entre</strong>prise (quicompte moins <strong>de</strong> dix salariés) Jean-Marie D. est élu conseiller prud'homme employeur en 1979, alors qu'il estdéjà membre <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong> commerce <strong>et</strong> engagé dans l'<strong>action</strong> politique. Quelques années plus tard, il <strong>de</strong>vientexpert auprès <strong>de</strong> la Cour d'appel <strong>de</strong> Paris dans le domaine <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s d'art. Evoquant ces <strong>de</strong>ux domaines d'activitéjuridique, il insiste sur l'importance <strong>de</strong>s connaissances nécessaires pour exercer les <strong>de</strong>ux fonctions : quand ilévoque le droit du travail par exemple : « quand je suis entré au conseil <strong>de</strong> <strong>prud’hommes</strong>, le co<strong>de</strong> du travail étaitpas très épais. Maintenant il contient plus <strong>de</strong> 1000 pages avec <strong>de</strong>s avenants tous les mois ! C’est sûr qu’il faut leconnaître, mais il y a également le droit <strong>et</strong> puis le bon sens. Voyez ? C’est quand même… d’un point <strong>de</strong> vuejuridique, bon, c’est une juridiction très importante mais il y en a une autre qui est très importante également oùlà c’est le droit pur, comme le CPH mais, peut-être plus complexe, c’est le tribunal <strong>de</strong> commerce, voyez ? »; ilrevient d'ailleurs à <strong>de</strong>ux reprises au cours <strong>de</strong> l'<strong>entre</strong>tien sur ce vocable <strong>de</strong> « droit pur ». Un peu plus tard, ilanalyse <strong>de</strong> la même manière la « juridicité » <strong>de</strong> l'activité d'expert : « Il faut savoir le co<strong>de</strong> civil, hein ? Vouspouvez avoir une injonction <strong>de</strong>s parties avec mise en cause… si ! si ! Il y a du co<strong>de</strong> <strong>de</strong> procédure civile, il y a dudroit commercial <strong>et</strong> il y a du droit pénal aussi ! Le droit commercial existe, hein ? Vous avez sur la législation,là on dévie, mais bon… sur la législation du co<strong>de</strong> du négoce du meuble, la loi du ministère <strong>de</strong>s finances, <strong>de</strong>Bercy quoi, le service <strong>de</strong> répression <strong>de</strong>s frau<strong>de</strong>s, la loi <strong>de</strong> 1989, le décr<strong>et</strong> qui précise bien qu’un bon <strong>de</strong>comman<strong>de</strong> doit stipuler telle <strong>et</strong> telle chose. Il faut connaître tout ça ! Bien sûr ! Il faut motiver ! » Dans lesconversations téléphoniques que nous avons eues avec lui, il est revenu longuement <strong>et</strong> à plusieurs reprises sur lecaractère autodidacte <strong>de</strong> sa formation <strong>et</strong> sur sa fille, dont il est extrêmement fier parce qu'elle fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>slongues ; présent lors du colloque au Conseil économique <strong>et</strong> social, il insistera sur le plaisir qu'il a à être255Pierre Bourdieu, « Le capital social. Notes provisoires », Actes <strong>de</strong> la Recherches en Sciences Sociales, janvier1980, p. 2-4.256Pierre Zarca, <strong>Les</strong> artisans : gens <strong>de</strong> métier, gens <strong>de</strong> parole, Paris, L'Harmattan, 1987.127

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