même qu'il n'est pas prési<strong>de</strong>nt (peut-être parce que son organisation <strong>syndicale</strong> ne participe pas à l'accordmajoraire qui organise la distribution <strong>de</strong>s prési<strong>de</strong>nces...). Quand l'enquêteur essaie <strong>de</strong> lui faire parler d'une séanceà laquelle il avait assisté <strong>et</strong> où Laurent M était assesseur, celui-ci répond : « Je suis trois fois prési<strong>de</strong>nt ce moisci,alors vous savez... » Lui aussi a une vision <strong>de</strong> son engagement prud'homal comme <strong>de</strong> l'exercice d'un« métier » <strong>et</strong> il passe une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> l'<strong>entre</strong>tien à contrer les critiques contre la prud'homie en m<strong>et</strong>tant envaleur le professionnalisme <strong>de</strong>s conseillers : « Vous savez, un juge, il est... parce qu'on est juge, hein ?... un juge,il est saisi par les parties. C'est les parties qui font le procès (...) C'est pas un métier facile, <strong>et</strong> il y a beaucoup <strong>de</strong>composantes. » A une question sur les <strong>défense</strong>urs syndicaux, il a c<strong>et</strong>te magnifique réponse qui peut êtr<strong>et</strong>ransposée aux magistrats <strong>et</strong> qui résume parfaitement bien l'enjeu problématique <strong>de</strong> notr erapport : «Ça veut direqu'il [le <strong>défense</strong>ur syndical] est avocat, quoi, il a les fonctions d'avocat (...) en terme <strong>de</strong> cursus juridique, c'estexactement comme un avocat, la seule différence, c'est qu'il ne l'est pas. »Nous reviendrons dans la suite du rapport sur les pratiques concrètes <strong>de</strong> jugement, mais disonsdès maintenant que ces conseillers ont une vision très technique <strong>de</strong> l'activité prud'homale <strong>et</strong>m<strong>et</strong>tent en valeur l'existence <strong>de</strong> routines par lesquelles ils prési<strong>de</strong>nt, délibèrent <strong>et</strong> surtoutrédigent. Dans le même temps, ils évoquent très rarement les règles <strong>de</strong> procédure, quisemblent ne pas leur poser problème, alors qu'elles paraissent potentiellement angoissantespour les conseillers prud'hommes manifestant leur « bonne volonté juridique ».d) Un militantisme techniquePour clore ces portraits <strong>de</strong> trajectoires socio-juridiques <strong>et</strong> <strong>de</strong> rapport au droit divers, il fautinsister sur un <strong>de</strong>rnier type d'engagement prud'homal, celui <strong>de</strong>s conseillers venus au droit àtravers une activité professionnelle liée au droit, <strong>et</strong> pour qui les prud'hommes constituent unprolongement, souvent tout à fait conscient, <strong>de</strong> leur métier. C'est notamment le cas pour lesconseillers employeurs, dont beaucoup viennent aux prud'hommes à travers l'exerciceprofessionnel du droit, <strong>et</strong> plus précisément du droit social. De fait, on trouve <strong>de</strong> nombreuxdirecteurs <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s ressources humaines, mais aussi <strong>de</strong>s PDG <strong>de</strong> cabin<strong>et</strong> d'audit <strong>de</strong>gestion du personnel. Pour ces conseillers, les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes sont un lieu <strong>de</strong>convergence <strong>de</strong> multiples espaces d'activité <strong>et</strong> <strong>de</strong> croyance : espace professionnel, espacejuridique, espace politique, voire espace religieux : <strong>de</strong> fait, ces conseillers employeurs sontsouvent venus aux prud'hommes en étant attirés par une forme <strong>de</strong> catholicisme social : leur<strong>action</strong> dans la société passe par l'utilisation presque bénévole <strong>de</strong> leurs connaissances <strong>et</strong> <strong>de</strong>leurs savoir-faire pour l'ensemble du mon<strong>de</strong> du travail.C'est le cas <strong>de</strong> M. B. 248 , une femme d'une cinquantaine d'années, conseillère prud'homme employeur <strong>de</strong>puis 1997dans la section industrie d'un conseil d'une gran<strong>de</strong> ville marquée par le catholicisme social : juriste <strong>de</strong> formation,elle a toujours été dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s ressources humaines : formatrice pendant <strong>de</strong> nombreusesannées, elle a monté au milieu <strong>de</strong>s années 1990 une <strong>entre</strong>prise, dont une partie <strong>de</strong> l'activité est consacrée lagestion du personnel en service extérieur. Elle présente alors son entrée dans les prud'hommes comme dans lacontinuité <strong>de</strong> sa trajectoire : en énumérant l'ensemble <strong>de</strong> ses activités professionnelles antérieures, elle ajoute :« Donc vous commencez à sentir dans mon parcours professionnel une forme <strong>de</strong> militantisme, en tout cas un axeje dirais valeurs, engagement… citoyen » ; <strong>de</strong> fait, son travail dans la gestion du personnel est d'un typeparticulier, qu'on pourrait appeler d'économie sociale même si elle a d'abord été sur la liste <strong>de</strong> la CGPME avantd'être sur la liste du Me<strong>de</strong>f : « Ensuite, j'ai dirigé un organisme [nom <strong>de</strong> l'organisme]... l'objectif, c'était <strong>de</strong>réconcilier l'économique <strong>et</strong> le social. » Puis elle présente son activité prud'homale comme la suite « naturelle »<strong>de</strong> sa trajectoire : « En réalité, dès que j’ai créé mon <strong>entre</strong>prise, j’ai dit que je voudrais être conseillerprud’homal, parce que mon <strong>entre</strong>prise, j’ai oublié <strong>de</strong> le dire, a une activité <strong>de</strong> gestion du personnel, en serviceextérieur, pour les PME. Donc, ma motivation pour être conseiller prud’homme, elle était double, à la foisc’était une démarche citoyenne vous l’avez compris dans mon parcours, dans ce que je dis, <strong>et</strong> en même temps j’yvoyais un observatoire du social. » On voit dès lors comment ses diverses activités liées au droit du travail sontmélangées, par exemple quand elle explique ne pas aimer donner <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> juridique en tant que conseillèreprud'hommes : « moi je suis vigilante, parce que moi mon métier c’est <strong>de</strong> faire du conseil en ressources248Entr<strong>et</strong>ien n° F02.124
humaines. J’ai pas envie non plus <strong>de</strong> faire du boulot gratuit, les gens sont dans c<strong>et</strong>te société très friands <strong>de</strong>conseil gratuit, <strong>et</strong> puis c’est vrai qu’on n’est pas aux Etats-Unis où la matière grise a <strong>de</strong> la valeur. A partir dumoment où vous l’avez, vous pouvez la donner gratuitement, on est un peu dans c<strong>et</strong> esprit-là. » Dans le mêm<strong>et</strong>emps, son origine juridique l'oblige à se considérer comme étant à l'intérieur du champ juridique, même si ellesemble assez peu intéressée par ces questions : « en général, ça se passe bien [quand elle est prési<strong>de</strong>nted'audience], <strong>et</strong> c'est vrai que moi, je fais partie <strong>de</strong>s gens qui commencent à réintroduire un rituel <strong>de</strong> cérémonie,c'est-à-dire que quand les gens r<strong>entre</strong>nt, au moment où j'ouvre l'audience, je me lève, je fais lever les conseillers<strong>et</strong> je dis : « prenez place », parce que je pense que c'est important que les gens aient le sentiment qu'on rend lajustice, qu'on est <strong>de</strong>s magistrats comme les autres. »Professionnels du droit d'un type spécial, ces conseillers développent un droit du travail donton parle peu <strong>et</strong> qui, pourtant, se développe largement aujourd'hui : un droit du travail qu'onpourrait qualifier <strong>de</strong> patronal, en ce sens où il m<strong>et</strong> l'accent prioritaire sur l'<strong>entre</strong>prise plutôt quesur le salarié, <strong>et</strong> où il m<strong>et</strong> en valeur les vertus du dialogue <strong>et</strong> du syndicalisme « responsable ».<strong>Les</strong> prud'hommes sont un <strong>de</strong>s lieux où, à travers <strong>de</strong>s conseillers issus <strong>de</strong> la GRH, c<strong>et</strong>teconception du droit du travail trouve à s'exprimer. Dans ce cadre, les limites <strong>entre</strong> activitéprofessionnelle, militantisme professionnel <strong>et</strong> exercice d'un rôle judiciaire à partir <strong>de</strong>catégories juridiques sont <strong>de</strong> plus en plus floues ; le partage <strong>entre</strong> ces domaines d'<strong>action</strong> se faittrès peu, parce que les prud'hommes sont d'abord un lieu <strong>de</strong> synergie ou, mieux, <strong>de</strong> mise enéquivalence <strong>et</strong> <strong>de</strong> mise ne conformité <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> ces domaines <strong>de</strong> l'existence sociale <strong>de</strong>l'individu.On comprend alors que le conseil <strong>de</strong> prud'hommes est un lieu investi <strong>de</strong> manière très variée <strong>et</strong>que le rôle <strong>de</strong> conseiller prud'homme n'est pas vécu ni mis en oeuvre <strong>de</strong> manière uniforme. Dela même manière, <strong>de</strong>rrière le conseil <strong>de</strong> prud'hommes se cachent <strong>de</strong> multiples familles <strong>de</strong>trajectoires portant <strong>de</strong>s rapports au droit très différents <strong>et</strong> parfois opposés. Rien ne semblerapprocher l'autodidacte trouvant dans les prud'hommes <strong>de</strong> quoi nourrir sa soif <strong>de</strong> savoir <strong>et</strong> <strong>de</strong>pratiques scolastiques du juriste y réinvestissant <strong>de</strong>s dispositions plus ou moins anciennes.Quoi qu'il en soit, ces rapports au droit extrêmement divers sont guidés à la fois par l'histoire<strong>de</strong> vie du conseiller, mais aussi par les (auto-)positionnements <strong>de</strong>s uns <strong>et</strong> <strong>de</strong>s autres autour <strong>de</strong>la question <strong>de</strong>s frontières du champ juridique, <strong>de</strong>s stratégies d'entrée dans l'espace pour lesuns, <strong>de</strong> ferm<strong>et</strong>ure <strong>de</strong>s frontières pour les autres.2. Un espace <strong>de</strong> reconnaissance sociale<strong>Les</strong> prud'hommes constituent donc un espace qu'investissent un certain nombre d'acteurspositionnés aux frontières du champ juridique. Mais revenir sur leur rapport au droit ne suffitpas à rendre compte <strong>de</strong>s logiques <strong>de</strong> l'activité prud'homale pour l'ensemble <strong>de</strong>s conseillers.Ces appétences au droit <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te proximité avec le champ juridique vont <strong>de</strong> pair avec d'autresintérêts <strong>et</strong> d'autres gratifications qu'apportent les prud'hommes. Plus qu'un espace <strong>de</strong>consolation, les prud'hommes sont d'abord un lieu <strong>de</strong> reconnaissance sociale, mais aussi unlieu <strong>de</strong> lutte contre un « déni <strong>de</strong> reconnaissance », qu'il s'agisse <strong>de</strong> refuser une formed'invisibilité, d'être dépréc(ié ou dévalorisé, ou encore d'être méconnus 249 . Il s'agit d'analyserpar là les eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> notabilisation <strong>de</strong> l'activité prud'homale, mais aussi le fait pour les r<strong>et</strong>raité<strong>de</strong> poursuivre une activité par <strong>de</strong>là la fin <strong>de</strong> leur carrière professionnelle. Le droit du travail tel249Emmanuel Renault, « Reconnaissance ou validation ? La reconnaissance <strong>entre</strong> critique <strong>et</strong> idéologie », inFredéric Neyrat (dir.), La validation <strong>de</strong>s acquis <strong>de</strong> l'expérience, op. cit, p. 283.125
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