compétence juridique d'un certain nombre <strong>de</strong> ses collègues : « le conseiller prud'homme doit d'abord êtrequelqu'un qui a la compétence, qui a une compétence juridique ou un intérêt pour la chose juridique (...) c'estquand même complexe le droit du travail... surtout quand vous <strong>de</strong>vez rédiger (...) je trouve très dommageablequ'on ait parfois <strong>de</strong>s gens qui n'ont aucune aptitu<strong>de</strong> ou aucune connaissance » ; il livre la clé <strong>de</strong> sa position à lafin <strong>de</strong> l'<strong>entre</strong>tien en expliquant l'intérêt qu'il trouve aux prud'hommes : « c'est valorisant au sens où ça meperm<strong>et</strong> <strong>de</strong> valoriser mon parcours professionnel, parce que professionnellement je ne fais plus <strong>de</strong> droit, donc jevalorise un investissement que j'avais avant dans le droit, donc je r<strong>et</strong>rouve mes réflexes un peu... ».L'extraordinaire eff<strong>et</strong> d'hysteresis que constituent pour Pierre B. les prud'hommes se comprend mieux quand onsait qu'après Sciences-Po Paris, il a échoué à l'entrée à l'ENA, a fait une maîtrise <strong>de</strong> droit, puis <strong>de</strong>ux DEA, a lecertificat d'aptitu<strong>de</strong>s à la profession d'avocat (CAPA) mais, pour <strong>de</strong>s raisons qu'il n'évoque pas, n'a pas pu<strong>de</strong>venir avocat. Il a par conséquent multiplié le spostes <strong>de</strong> juriste d'<strong>entre</strong>prise, jusqu'à ce qu'il <strong>entre</strong> dans unc<strong>entre</strong> <strong>de</strong> recherche <strong>publique</strong> en tant que documentaliste. Aujourd'hui mis à disposition par son syndicat, ilexerce à temps plein une activité juridico-<strong>syndicale</strong>, constituée d'une délégation <strong>syndicale</strong> dans son c<strong>entre</strong> <strong>de</strong>recherche, <strong>de</strong> consultations juridiques, <strong>de</strong> <strong>défense</strong> <strong>de</strong>vant les prud'hommes, <strong>et</strong> bien sûr <strong>de</strong> son travail <strong>de</strong> jugeprud'homal. Le récit qu'il fait <strong>de</strong> sa trajectoire heurtée, complexe <strong>et</strong> inachevée est marqué par l'amertume. Dansles conversations informelles, il ne parle jamais <strong>de</strong> son appartenance <strong>syndicale</strong>, comme s'il voulait prouver àl'enquêteur qu'il est un « vrai » juriste.Ces trajectoires heurtées, voire acci<strong>de</strong>ntées, en tout cas non rectilignes ne sont pas rares.Comme nombre formes d'<strong>action</strong> militantes, ou plus largement d'activité hors-travail, lesprud'hommes constituent une manière <strong>de</strong> « recoudre » le fil <strong>de</strong> son existence <strong>et</strong> <strong>de</strong> (se)prouver la cohérence <strong>de</strong> ses actes par <strong>de</strong>là l'impression d'une trajectoire parfois chaotique. Oncomprend donc que les prud'hommes puissent être l'obj<strong>et</strong> d'investissement <strong>de</strong> la part d'acteursqui ont été <strong>de</strong>s professionnels du droit, ont failli l'être ou auraient voulu l'être.- La volonté d'« en être »Pour ces conseillers, par conséquent, le rapport à l'organisation <strong>syndicale</strong> est beaucoup pluslâche, au moins dans les paroles : dans la définition <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité sociale <strong>de</strong> juriste, dumoins telle qu'ils la présentent au sociologue mais aussi aux avocats, aux greffiers <strong>et</strong>probablement aux magistrats <strong>de</strong> carrière, l'organisation <strong>syndicale</strong>, <strong>et</strong> plus présent la légitimitéissue <strong>de</strong> la représentation du mon<strong>de</strong> du travail n'ont pas leur place ; c'est leurs seulescompétences scolaires <strong>et</strong> professionnelles qui leur donnent leur légitimité à dire le droit, dansune définition du conseiller prud'homme qui se rapproche largement <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>sprofessionnels du droit. Dès lors, les mots qu'ils utilisent pour évoquer leur activitéprud'homale appartiennent à un registre souvent purement juridique, qui oublie ou laissevolontairement <strong>de</strong> côté tout ou presque <strong>de</strong>s références <strong>syndicale</strong>s qui la légitiment. Avec cesacteurs, on se r<strong>et</strong>rouve dès lors sur la frontière même du champ juridique.L'exemple <strong>de</strong> Eric P. est intéressant en ce sens 244 . Professeur d'histoire-géographie <strong>et</strong> d'éducation civique dans unlycée professionnel privé, il termine son second mandat <strong>et</strong> est <strong>de</strong>venu prési<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> vice-prési<strong>de</strong>nt du conseil d'unep<strong>et</strong>ite ville. Délégué syndical dans son lycée, il est entré dans le droit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières : d'une part en enseignantle droit du travail dans son lycée, d'autre part en défendant <strong>de</strong>s personnels du lycée licenciés (nous avons vu qu'ils'agissait d'un mo<strong>de</strong> classique d'entrée dans l'institution). Mais ces motivations cachent <strong>de</strong>s déterminismes plusprofonds, qu'il présente quand il évoque sa trajectoire universitaire : « je suis historien <strong>de</strong> formation, j'avais faitdu droit public constitutionnel, je m'étais spécialisé en sociologie électorale, mais je n'avais pas abordé... jeconnaissais le co<strong>de</strong> civil, mais jamais sur le fond ni sa construction. » C'est à la fois en intellectuel <strong>et</strong> ensyndicaliste qu'il analyse son rôle <strong>de</strong> conseiller prud'homme, même si la <strong>de</strong>uxième logique apparaît surtout dans<strong>de</strong>s déclarations d'intention : quand il <strong>et</strong>s interrogé sur la relation <strong>entre</strong> syndicalisme <strong>et</strong> prud'homie, il expliqueque « c'est une continuité, complètement, une continuité, <strong>et</strong> le conseil aussi, c'est une continuité du militantisme,il y a l'aspect revendicatif, il y a un aspect aussi défensif, c'est évi<strong>de</strong>nt ». C<strong>et</strong>te « évi<strong>de</strong>nce » laisse pourtantrapi<strong>de</strong>ment la place à un discours sur la nécessité <strong>de</strong> juger en droit, ce qui peut être expliqué par sa positioninstitutionnelle <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nt salarié du conseil. Quoi qu'il en soit, il semble avoir une gran<strong>de</strong> proximité au droit :244Entr<strong>et</strong>ien C01.122
« On est avant tout là pour juger <strong>de</strong>s conflits <strong>et</strong> appliquer la loi. Que ce soit une loi du co<strong>de</strong> du travail, du co<strong>de</strong><strong>de</strong> procédure civile ou <strong>de</strong>s termes conventionnels d'une convention collective ou d'un contrat <strong>de</strong> travail. Ça, onpeut pas y déroger. » Ce n'est pas là seulement un discours convenu <strong>de</strong> la part d'un prési<strong>de</strong>nt à un sociologue,car, à la différence <strong>de</strong> nombreux autres conseillers, il est peu critique face aux avocats <strong>et</strong> même montre sonadmiration presque professionnelle <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> plaidoirie : « Il y a <strong>de</strong>s avocats très précis, très concis. Jevais en citer quelques uns : Me A, Me G, ou ML, qui est excellent. Ce qui est important, c'est la concision, laclarté. » De même, il se déclare favorable à l'échevinage généralisé dans les juridictions du travail : « les jugesprofessionnels, ils sont très près <strong>de</strong> la forme du droit. Ce qui pose une ouverture possible : j'en ai discuté avec leprocureur, d'ailleurs : ne pourrait-on pas aller faire un échevinage en Cour d'appel ? Avec <strong>de</strong>s conseillers,salarié sou employeurs, qui soient détachés en service extraordinaire. Faudrait attendre trois ans, comme ça sefait <strong>de</strong> temps en temps, il y a bien <strong>de</strong>s profs <strong>de</strong> droit qui se font détacher. »A travers c<strong>et</strong> exemple, on comprend combien, au-<strong>de</strong>là d'une méfiance générale <strong>et</strong> <strong>de</strong> conflitsinstitutionnels, le positionnement par rapport au champ juridique <strong>et</strong> à ses représentantsautorisés est déterminé par le rapport au droit <strong>de</strong>s conseillers <strong>et</strong> par leur trajectoire sociale <strong>et</strong>professionnelle. Mais dans une autre perspective, ces conseillers ne sont pas <strong>et</strong> ne serontjamais <strong>de</strong>s professionnels du droit, parce qu'ils ne sont pas reconnus comme tels par ceux quidéfinissent le périmètre <strong>de</strong>s professions juridiques <strong>et</strong> judiciaires <strong>et</strong> ne détiennent pas le« mandat » qui ferait d'eux <strong>de</strong>s avocats ou <strong>de</strong>s magistrats 245 . On comprend aussi, à l'inverse,qu'un certain nombre d'<strong>entre</strong> eux ont une véritable morgue envers les avocats, mais qui n'estplus une forme <strong>de</strong> résistance à la domination symbolique qu'ils exercent, mais plutôt <strong>de</strong>défiance face à <strong>de</strong>s quasi-collègues qui sont paradoxalement du « bon côté » <strong>de</strong> la barre. Pourceux-là, l'espoir rési<strong>de</strong> probablement dans le discours d'ouverture <strong>de</strong> la magistrature aux nonprofessionnelsque l'on peut entendre à travers les critiques adressées aux magistrats <strong>de</strong>carrière 246 . Il reste à voir si ces « semi-professionnels » du droit auront leur place dans lespolitiques judiciaires futures.- Des professionnels <strong>de</strong>s prud'hommesAinsi, avant d'être <strong>de</strong>s professionnels du droit, un certain nombre <strong>de</strong> ces acteurs sont <strong>de</strong>véritables professionnels <strong>de</strong>s prud'hommes : extrêmement présents au conseil parce qu'ils sontcumulent les détachement <strong>et</strong> les heures <strong>de</strong> délégation ou parce qu'ils sont r<strong>et</strong>raités (cf. ci<strong>de</strong>ssous),ils sont, au même titre que les greffiers, <strong>de</strong>s rouages essentiels au bonfonctionnement <strong>de</strong> l'institution. Très présents (même quand ils ne sont pas prési<strong>de</strong>nts ou viceprési<strong>de</strong>nts,ce qui est souvent le cas dans un grand conseil), ayant un agenda moins chargé queleurs collègues, ils sont par exemple susceptibles <strong>de</strong> remplacer <strong>de</strong>s conseillers indisponibles,ce qui arrive fréquemment. Le conseil <strong>de</strong>vient alors leur lieu <strong>de</strong> travail principal, voire unique,ce qui leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> se vivre comme <strong>de</strong>s magistrats <strong>de</strong> carrière ou <strong>de</strong>s juristes d'<strong>entre</strong>prise.Ces professionnels <strong>de</strong>s prud'hommes appartiennent souvent à c<strong>et</strong>te catégorie <strong>de</strong>s juristes quiinvestissent les prud'hommes comme lieu <strong>de</strong> continuation <strong>de</strong> leur activité juridique.Laurent M peut être considéré comme un véritable professionnel <strong>de</strong>s prud'hommes 247 : conseiller d'environ 50ans <strong>de</strong> la section encadrement d'un conseil d'une gran<strong>de</strong> ville, il a environ 50 ans, est auditeur (il semble avoircréé, même si ce n'est pas très clair dans l'<strong>entre</strong>tien) un cabin<strong>et</strong> <strong>de</strong> conseil en audit informatique. Tout au long <strong>de</strong>l'<strong>entre</strong>tien, il appellera <strong>de</strong>s conseillers pour remplacer <strong>de</strong>s désistements pour les audiences <strong>de</strong> l'après-midi, alors245Pour reprendre les <strong>de</strong>ux perspectives <strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong>s professions qui peuvent être ici utiles : respectivementAndrew Abbott, The system of professions : an essay on the division of expert labour, Chicago, University ofChicago Press, 1988 ; Ever<strong>et</strong>t Hughes, Le regard sociologique, Paris, Editions <strong>de</strong> l'EHESS, 1996.246Cf. Antoine Vauchez, « Le juge, l'homme <strong>et</strong> la cage d'acier. La rationalisation <strong>de</strong> l'activité judiciaire àl'épreuve du 'moment Outreau' », in Hélène Michel <strong>et</strong> Laurent Willemez, La justice au risque <strong>de</strong>s profanes, op.cit.247Entr<strong>et</strong>ien B07.123
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