l'individu, ne perm<strong>et</strong>tent pas réellement <strong>de</strong> répondre à ces question, puisqu'ils étaient d'abordcentrés sur l'institution prud'homal <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> conseiller prud'homme. D'autre part, il fautbien entendu se méfier <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> reconstitution biographique, qui sont d'autant plusnécessaires que les conseillers sont quotidiennement rappelés à l'ordre juridique <strong>et</strong> sommés <strong>de</strong>faire état <strong>de</strong> leur proximité avec le champ juridique. Pourtant, il semble bien exister <strong>de</strong>s stylesd'activité syndicalo-juridiques à travers un eff<strong>et</strong> d'entraînement dans la spécialisation :intéressé par le droit par un conflit prud'homal, comme nous l'avons vu, par une activitéprofessionnelle renvoyant au droit, ou encore par une activité <strong>syndicale</strong> nécessitant <strong>de</strong>scompétences juridiques, ces conseillers, non juristes au départ, ont multiplié les expériences,ont payé, à un prix plus ou moins élevé, le coût d'entrée dans c<strong>et</strong>te section spécifique duchamp juridique que sont les prud'hommes, <strong>et</strong> <strong>de</strong>viennent dès lors les spécialistes omnibus dudroit dans leur organisation : ils ont été ou sont encore <strong>défense</strong>urs juridiques 240 , ils sont dansleur majorité membres <strong>de</strong>s services juridiques <strong>de</strong> leur confédération <strong>et</strong> participent auxdispositifs <strong>de</strong> consultation juridique pour les adhérents.C'est dès lors l'ensemble <strong>de</strong> la trajectoire sociale <strong>de</strong> l'individu qui est « contaminée » par ledroit <strong>et</strong> qui conduit celui-ci à <strong>de</strong>venir un véritable spécialiste qui, en cela, se sent moins loinqu'on ne le pense <strong>de</strong>s professionnels du droit. Pour eux, la maîtrise pratique du droit vientainsi se substituer à l'ensemble <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> sélection sociale <strong>et</strong> scolaire qui marquentla frontière <strong>entre</strong> juristes <strong>et</strong> non-juristes. Se considérant comme <strong>de</strong>s professionnels du droit <strong>de</strong>plein exercice, certes d'un type particulier – <strong>de</strong>s juristes d'organisation – ils comprennentd'autant moins que les greffiers <strong>et</strong> les avocats rem<strong>et</strong>tent en cause leurs compétences <strong>et</strong> leursconnaissances si chèrement acquises.Né en 1948, membre <strong>de</strong> FO <strong>de</strong>puis 1975, conseiller prud'homme <strong>de</strong>puis 1982, aujourd'hui prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la section<strong>de</strong>s activités diverses d'un conseil <strong>de</strong> taille moyenne, Jean-François D. 241 se considère come « un juriste auraccroc », ce qui sous-entend à la fois qu'il connaît les barrières d'entrée dans le champ juridique, qu'il estimequ'il les a passées mais qu'il ne peut malgré tout pas être véritablement reconnu en tant que tel du fait <strong>de</strong>« l'impur<strong>et</strong>é » <strong>de</strong>s prud'hommes : <strong>de</strong> fait, élève d'une école <strong>de</strong> travail social, assistant <strong>de</strong> service social dans lenord <strong>de</strong> la France, il « prend conscience » <strong>de</strong> l'importance <strong>de</strong> l'activité juridique, y compris dans le milieu dutravail social ; en réalité, il est déjà disposé, par sa famille, à s'intéresser au droit, <strong>et</strong> la nouvelle orientation <strong>de</strong> satrajectoire ressemble fortement à un eff<strong>et</strong> d'hysteresis : « les gens, ils me <strong>de</strong>mandaient pas du psy, tout ça (...)essentiellement, ils avaient <strong>de</strong>s problèmes juridiques, avec <strong>de</strong>s saisies, <strong>de</strong>s choses comme ça (...) Ces gens-là, ilsavaient <strong>de</strong>s problèmes juridiques, <strong>et</strong> puis je me suis dit : « tiens c'est vrai... ». C'est vrai que dans la famille il yavait <strong>de</strong>s juristes, mais c'était vraiment un truc qui me faisait horreur. A vingt ans, le droit ça me sortait par lesyeux. » Il déci<strong>de</strong> alors <strong>de</strong> reprendre <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s, <strong>et</strong> c'est vers le droit qu'il se tourne : «J'avais pas le bac, alors jeme suis dit : tiens, le droit, quand même... eh bien, je vais faire une capacité <strong>de</strong> droit. » Il réussit avec fierté sareprise d'étu<strong>de</strong>s, disant toujours hésiter sur son avenir, <strong>et</strong> termine finalement par une maîtrise <strong>de</strong> droit. Grâce àcelle-ci, <strong>et</strong> dans le même temps, il sort du travail social sur le terrain <strong>et</strong> est intégré sur les listes prud'homales :« J'ai pas regr<strong>et</strong>té. Sur le plan professionnel ça s'est éclairci. Donc maintenant je suis toujours sur la mêmeboite, mais je suis documentaliste. Donc c'est essentiellement juridique, ce que je fais. On fait <strong>de</strong>s revues <strong>de</strong>presse, <strong>de</strong>s synthèses... Et puis, un beau jour... on avait la chance à l'époque d'avoir un délégué syndical, ungars qui était bien, <strong>et</strong> puis un beau jour, j'ai eu un coup <strong>de</strong> fil, il était à la Bourse du travail: 'ah tiens, il fautfaire <strong>de</strong>s listes pour les prud'hommes, est-ce que tu as pas quelqu'un <strong>de</strong> ta boite à m<strong>et</strong>tre sur la liste ? Ah ben, ily a D, il vient <strong>de</strong> faire du droit, tiens, on va le m<strong>et</strong>tre. » Il est aujourd'hui formateur national pour FO, il a été<strong>défense</strong>ur syndical à <strong>de</strong> nombreuses reprises. Lors <strong>de</strong> l'<strong>entre</strong>tien, il fait la preuve <strong>de</strong> ses connaissances, <strong>de</strong> sonaisance par rapports au droit <strong>et</strong> au milieu juridique : il multiplie les démonstrations juridiques, utilise <strong>de</strong>s articlesdu Nouveau co<strong>de</strong> <strong>de</strong> procédure civil – plutôt que du co<strong>de</strong> du travail – que les autres conseillers prud'hommesn'ont jamais cité.240L'usage actuel est que les conseillers prud'hommes salariés peuvent <strong>de</strong> moins en moins prendre le rôle <strong>de</strong><strong>défense</strong>ur syndical : interdisant d'abord, au motif <strong>de</strong> l'impartialité, les conseillers <strong>de</strong> plai<strong>de</strong>r dans leur propresection, la Cour <strong>de</strong> cassation les empêche désormais <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong>s salariés dans le conseil où ils exercent parailleurs leur fonction <strong>de</strong> juge. Pour les conseillers employeurs, ce rôle <strong>de</strong> <strong>défense</strong>ur est extrêmement rare.241Entr<strong>et</strong>ien J03.120
Comme on le voit, c<strong>et</strong>te promotion culturelle est d'autant plus forte qu'elle est accompagnéepar l'organisation <strong>syndicale</strong> ou professionnelle. Dès lors, ces conseillers autodidactes nerenient pas leur organisation, même s'ils s'en éloignent parfois du fait même <strong>de</strong> leur entréedans un processus <strong>de</strong> mobilité. Comme nous le verrons dans la suite du chapitre, c'est lesyndicat qui les autorise à c<strong>et</strong>te ascension sociale <strong>et</strong> surtout la perm<strong>et</strong> eu fournissant <strong>de</strong>s basesinstitutionnelles la rendant possibles, à travers l'élection d'abord, puis la formation, les heures<strong>de</strong> délégation... C<strong>et</strong>te promotion par l'organisation peut certes s'accompagner d'autres mo<strong>de</strong>s<strong>de</strong> promotion culturelle, en particulier le passage par l'université. A ce propos, on peutd'ailleurs remarquer que la VAE militante qui se m<strong>et</strong> en place favorise une appropriationindividuelle <strong>de</strong>s savoirs acquis à travers l'engagement en laissant <strong>de</strong> côté la régulationcollective qui était assurée par les organisations <strong>et</strong> les instances <strong>de</strong> formation qu'ellesm<strong>et</strong>taient en place 242 . On peut dès lors assez facilement prévoir un développement <strong>de</strong> lavalorisation <strong>de</strong> l'activité prud'homale hors <strong>de</strong> la sphère <strong>syndicale</strong>.c) Des professionnels du droit en situation <strong>de</strong> rattrapageMais c<strong>et</strong>te manière <strong>de</strong> concevoir les prud'hommes comme un lieu d'acculturation <strong>et</strong> <strong>de</strong>promotion culturelle ne perm<strong>et</strong> pas d'analyser le rapport au droit <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s conseillers.Pour un certain nombre d'<strong>entre</strong> eux, les prud'hommes sont d'abord une manière <strong>de</strong> continuerou <strong>de</strong> r<strong>et</strong>rouver par d'autres moyens une activité juridique <strong>de</strong> plein exercice. Diplômés endroit, ayant souvent exercé une activité professionnelle liée au droit ou ayant souhaité le fairesans pouvoir réaliser ce voeu, ces conseillers voient les prud'hommes comme un lieu <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ourà une trajectoire juridique.- <strong>Les</strong> prud'hommes dans une trajectoire juridiquePour un certain nombre <strong>de</strong> conseillers, les prud'hommes sont l'aboutissement ou un momentparmi d'autre d'une carrière professionnelle liée au droit. Il ne s'agit plus <strong>de</strong> juristes « parraccroc », mais <strong>de</strong> conseillers qui se considèrent comme <strong>de</strong> véritables juristes, qui ont toutelégitimité à juger du fait <strong>de</strong> leurs compétences universitaires ou professionnelles. Pour eux, laprud'homie constitue incontestablement une nouvelle chance <strong>de</strong> continuer dans le droit <strong>et</strong>d'<strong>entre</strong>r, par la p<strong>et</strong>ite porte, dans le champ juridique.Un <strong>de</strong>s portraits <strong>de</strong> conseillers prud'hommes les plus parlants est sans doute celui <strong>de</strong> Pierre B 243 ., conseillerprud'homme FO <strong>de</strong> la section encadrement du conseil d'une gran<strong>de</strong> ville. Nous avons réalisé avec lui un <strong>entre</strong>tiencompl<strong>et</strong>, ainsi que quelques discussions informelles qui nous ont permis <strong>de</strong> mieux comprendre sa trajectoire.Agé d'<strong>entre</strong> 45 <strong>et</strong> 50 ans, Pierre B. considère son activité prud'homale comme un véritable « métier » : « c'est unmétier que je trouve très exigeant <strong>et</strong> qui le <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus. Dans la mesure où la législation est trèscomplexe ! Il faut quand même naviguer avec un outil qui est le co<strong>de</strong> du travail, mais qui est aussi le co<strong>de</strong> <strong>de</strong>procédure civile, qui est aussi parfois le co<strong>de</strong> civil, parce que le contrat <strong>de</strong> travail n'est qu'un contratsynallagmatique qui ne répond qu'aux règles telles qu'elles sont prévues dans le co<strong>de</strong> civil. » Il affirme que leconseiller prud'hommes « connaît le droit mieux qu'eux [les avocats] ou au moins aussi bien qu'eux <strong>et</strong> qu'[il]n'est pas un magistrat <strong>de</strong> second ordre ». Il explique la logique du fameux raisonnement par « syllogisme » quiest la « marque <strong>de</strong> fabrique » du droit pur, il évoque la « gymnastique intellectuelle » nécessaire au délibéré <strong>et</strong>semble se mouvoir avec beaucoup <strong>de</strong> plaisir dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s prud'hommes, tout en critiquant le manque <strong>de</strong>242Sur ce point, cf. Laurent Willemez, « Faire fructifier son engagement : conséquences <strong>et</strong> limites <strong>de</strong> la validation<strong>de</strong>s expériences militantes », in Frédéric Neyrat (dir.), La validation <strong>de</strong>s acquis <strong>de</strong> l'expérience. Lareconnaissance d'un nouveau droit, Editions du Croquant (« Champ social »), 2007, p. 377-397.243Entr<strong>et</strong>ien B01.121
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