quand on commence la première phrase, que la <strong>de</strong>rnière phrase vous dit que ce qui était dit au début étaitpareil... c'est un peu ça, le co<strong>de</strong> du travail. Ou alors ça vous renvoie à un autre article, qui renvoie lui-même àun autre article... donc on passe quatre articles pour comprendre celui qu'on est en train <strong>de</strong> lire... si on n'a pasun peu <strong>de</strong> savoir-faire... <strong>de</strong> compréhension, <strong>de</strong> lecture... si, il faut absolument une base. » Devant l'enquêteur <strong>et</strong>avec sous l'oeil <strong>de</strong> son « mentor » en prud'homie, prêtre-ouvrier, ancien conseiller <strong>de</strong>venu formateur en droit àl'Union départementale, il essaie, d'une manière que <strong>de</strong>s « juristes purs » qualifieraient <strong>de</strong> maladroite, <strong>de</strong> trouverle bon article dans le co<strong>de</strong> du travail ou <strong>de</strong> dénicher une jurispru<strong>de</strong>nce, comme s'il voulait faire la preuve <strong>de</strong> sacompétence juridique. Pour ce faire, il sort ses ouvrages <strong>de</strong> sa « sacoche prud'homale », comme il l'appelle, <strong>et</strong>dans laquelle, en plus du Co<strong>de</strong> du travail <strong>et</strong> <strong>de</strong> la revue Droit ouvrier il y a du papier <strong>et</strong> <strong>de</strong>s stylos. Il <strong>de</strong>vient peuà peu le responsable <strong>de</strong>s prud'hommes dans son UD, organisateur <strong>de</strong>s consultations juridiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong>coordination <strong>de</strong>s conseillers, tout en participant à l'élaboration <strong>de</strong>s listes pour les prochaines élections.Paradoxalement, la différence <strong>entre</strong> les collèges est ici assez faible, <strong>et</strong> un militant <strong>de</strong> la CGTcomme celui dont nous venons <strong>de</strong> proposer une rapi<strong>de</strong> biographie partagerait une opinion <strong>et</strong>une trajectoire proches <strong>de</strong> celle d'un lea<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la CGPME sur le rapport au droit <strong>et</strong> la place <strong>de</strong>la prud'homie dans la promotion culturelle, voire dans la mobilité sociale <strong>de</strong> l'individu.L'<strong>entre</strong>tien avec Thierry M. est très révélateur <strong>de</strong> ce parallélisme 231 : âgé <strong>de</strong> 52 ans au moment <strong>de</strong> l'<strong>entre</strong>tien,artisan boulanger-pâtissier, à la tête d'une <strong>entre</strong>prise <strong>de</strong> sept salariés, il exerce son <strong>de</strong>uxième mandat (il est arrivéau conseil en 2000, à la faveur d'une démission). Il a un rapport au droit pour le moins distant : « [lesprud'hommes] c'est pas évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> s'y m<strong>et</strong>tre, mais c'est... ça se fait au fur <strong>et</strong> à mesure... Et puis maintenant laformation, les formations CGPME, donc on a <strong>de</strong>s mises à niveau... on a <strong>de</strong>s formations pour différentes...formations <strong>de</strong> prud'hommes. » Il a plus <strong>de</strong> difficultés que <strong>de</strong> nombreux à développer <strong>de</strong>s raisonnementsproprement juridiques. Pourtant, il dit aimer l'activité prud'hommes, il a notamment plaisir à rédiger lesjugements, ce qui est un indice fort d'un goût pour l'activité juridique : « Quand je rédige, je suis tout seul,c'est... je prends vraiment du temps pour moi. Je fais pas ça ici [dans sa boutique] <strong>entre</strong> <strong>de</strong>ux clients. Non, jeprends vraiment du temps. Ça <strong>de</strong>man<strong>de</strong> une concentration sur un dossier, parce que c'est... C'est une partie quej'aime ,bien. J'aime bien rédiger. A mon avis, j'en rédige pas assez, parce qu'il faut rédiger pour... pour être bon.C'est important, c'est très important. Bien sûr puisque c'est l'aboutissement du jugement. » Il insiste à plusieursreprises sur l'« enrichissement » que lui apportent les prud'hommes, <strong>et</strong> plus précisément les activités proprementjuridiques : « J'apprends un peu plus chaque jour, par rapport à chaque affaire, le droit du travail, <strong>et</strong> c'est vraique c'est... ça a un côté enrichissant, rédiger, faire <strong>de</strong>s réd<strong>action</strong>s, ou prési<strong>de</strong>r un bureau <strong>de</strong> jugement, quelquepart ça vous apporte énormément, on est obligé <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre en avant... » Il regr<strong>et</strong>te <strong>de</strong> ne pas avoirsuffisamment <strong>de</strong> formation malgré son activité.La réd<strong>action</strong> joue bien ici un rôle central : épreuve scolaire par excellence, elle a une natur<strong>et</strong>rès différente du travail oral <strong>et</strong> constitue pour les conseillers qui sont peu familiarisés à l'écritun enjeu fort, rej<strong>et</strong>é par certains, sollicité par d'autres comme le montre l'exemple ci-<strong>de</strong>ssus.Comme le dit Jack Goody, l'écrit s'éloigne <strong>de</strong> la pratique <strong>et</strong> n'est plus autant impliqué dansl'<strong>action</strong>, produisant ainsi <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s d'intemporalité, d'abstr<strong>action</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> dépersonnalisation » 232 ;c<strong>et</strong>te caractéristique peut êtr <strong>et</strong>rès recherchée par un certain nombre d'individus cherchant,consciemment ou non, à s'éloigner <strong>de</strong> la réalité concrète <strong>de</strong> leur travail quotidien. Qui plus est,la maîtrise <strong>de</strong>s « formes scripturales-scolaires », <strong>et</strong> la réd<strong>action</strong> <strong>de</strong> jugements est exactementconforme à la définition <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te catégorie proposée par Bernard Lahire, est une nécessitépour « <strong>entre</strong>r dans une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> jeux sociaux <strong>et</strong> d'univers sociaux », <strong>et</strong> finalement unecondition d'accès à <strong>de</strong>s positions dominantes. » 233 Consulter avec facilité le co<strong>de</strong> du travail,lire <strong>de</strong>s revues juridiques, écrire <strong>de</strong>s jugements sont autant d'activités intellectuelles sontd'abord <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> « conjurer le déclassement » 234 <strong>et</strong> d'intégrer un certain nombre <strong>de</strong>pratiques sociales issues du milieu intellectuel (comme dans l'exemple ci-<strong>de</strong>ssus le r<strong>et</strong>rait231Entr<strong>et</strong>ien F05.232Jack Goody, La raison graphique, Paris, Editions <strong>de</strong> Minuit, 1977, p. 100.233Bernard Lahire, Culture écrite <strong>et</strong> inégalités scolaires. Sociologie <strong>de</strong> « l'échec scolaire » à l'école primaire,Lyon, Presses Universitaires <strong>de</strong> Lyon, 1993.234Clau<strong>de</strong> F. Poliak, La vocation d'autodidacte, Paris, L'Harmattan, 1992, p. 133.118
temporaire du mon<strong>de</strong> pour rédiger) ; les prud'hommes constituent bien en cela « uneexpérience d'acculturation progressive » 235 .On comprend mieux alors pourquoi les <strong>entre</strong>tiens avec ce type <strong>de</strong> conseillers ont souventdonné lieu à <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> véritable explicitation du « sens pratique » du conseillerprud'homme, ce qui ne peut qu'étonner le sociologue, peu habitué à ce qu'un inconnu accepteainsi <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre <strong>de</strong>s mots sur les activités quotidiennes <strong>et</strong> <strong>de</strong> livrer avec simplicité <strong>et</strong>transparence les difficultés cognitives rencontrées dans la maîtrise <strong>de</strong>s catégories <strong>et</strong> <strong>de</strong>s outilsutilisés. Une <strong>de</strong>s explications tient sans doute, précisément, à c<strong>et</strong>te distance que ces acteursont aux impératifs scolastiques <strong>de</strong> l'excellence juridique, <strong>et</strong> qui les autorise à livrer la clé <strong>de</strong>ces activités. Plus largement, il faut s'interroger sur la combinaison, chez ces conseillers, durej<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'univers scolaire <strong>et</strong> l'investissement dans l'activité juridique : c'est ce qui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong>m<strong>et</strong>tre en avant une autre forme d'activité juridique, le droit ne se réduisant pas à la définitiontraditionnelle qu'on lui donne, celle d'une discipline fermée sur elle-même <strong>et</strong> se pensantcomme réservée aux individus détenant une « disposition scolastique », qui « incite à <strong>entre</strong>rdans le mon<strong>de</strong> ludique <strong>de</strong> la conjecture théorique <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'expérimentation mentale, à poser <strong>de</strong>sproblèmes pour le plaisir <strong>de</strong> la résoudre, <strong>et</strong> non parce qu'ils se posent, sous la pression <strong>de</strong>l'urgence, ou à traiter le langage non comme un instrument, mais comme un obj<strong>et</strong> <strong>de</strong>contemplation, <strong>de</strong> délectation, <strong>de</strong> recherche formelle ou d'analyse. » 236 Dès lors, s'intéresseraux formes non scolastiques <strong>de</strong> l'activité juridique que sont, par exemple, l'investissement« naïf » d'un justiciable dans le droit 237 ou les l'exercice <strong>de</strong> la fonction <strong>de</strong> juger par <strong>de</strong>smagistrats non-professionnels 238 .- Faire carrière dans le droitCertains conseillers prud'hommes vont beaucoup plus loin <strong>et</strong> font <strong>de</strong> leur activité prud'homaleun premier pas dans une reconversion, affirmée comme telle ou non, plus ou moins complète,dans une activité juridique ou judiciaire. D'aucuns commencent <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s universitaires,tentent <strong>de</strong> réaliser un travail <strong>de</strong> validation <strong>de</strong>s acquis <strong>de</strong> l'expérience (VAE) militante, rendupossible par les nouvelles dispositions législatives, ou encore songent à multiplier lesexpériences <strong>de</strong> juge non-professionnel (juge <strong>de</strong> proximité, juge assesseur au tribunal pourenfants...). Dans c<strong>et</strong>te perspective, les prud'hommes sont moins un espace <strong>de</strong> « consolation »perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> réinvestir dans une activité annexe <strong>de</strong>s dispositions inutilisées ou renduesinutiles par la trajectoire biographique <strong>de</strong> l'individu 239 qu'un lieu <strong>de</strong> promotion culturelle ouune « école <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième chance », pour reprendre les expressions qui définissent laformation continue.On est alors renvoyé à la question <strong>de</strong> savoir ce qui fait que, dans la trajectoire individuelle, onremarque une volonté <strong>de</strong> lutter contre le déclassement ou au contraire <strong>de</strong> réaliser une mobilitésociale ascendante, <strong>et</strong> plus précisément encore une appétence pour le droit est susceptible <strong>de</strong>se développer chez <strong>de</strong>s individus que tout éloigne a priori <strong>de</strong> l'univers juridique. Nos<strong>entre</strong>tiens, même ceux qui sont les plus longs <strong>et</strong> s'attar<strong>de</strong>nt le plus sur la biographie <strong>de</strong>235Ibid.236Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, p. 24.237Cf. François Buton, « Le droit comme véhicule. Portrait sociologique d'un justiciable », in Liora Israël,Guillaume Sacriste, Antoine Vauchez <strong>et</strong> Laurent Willemez, Sur la portée sociale du droit, Paris, PUF-CURAPP,2005, p. 145-162.238Helène Michel <strong>et</strong> Laurent Willemez (dir.), La justice au risque du profane, op. cit.239Cf. Clau<strong>de</strong> Poliak, Aux frontières du champ littéraire, op. cit., p. 244.119
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