Chapitre 1Un long processus <strong>de</strong> syndicalisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> judiciarisationMême si les recherches historiques sur la prud'homie se sont développées <strong>de</strong>puis quelquesannées, en particulier à travers la célébration du bicentenaire du conseil <strong>de</strong> prud'hommes <strong>de</strong>Lyon 6 puis par les activités scientifiques que nous avons organisées <strong>et</strong> dans lesquelles nousavons entraîné un certain nombre d'historiens 7 , les publications restent peu nombreuses. Avantces <strong>de</strong>rnières années, elles se sont résumées à quelques travaux d'importance <strong>de</strong> juristes –Marcel David 8 puis Norbert Olszak 9 – <strong>et</strong> à une recherche <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> ampleur d'AlainCottereau, qui a débouché sur un numéro spécial du Mouvement Social en 1987 10 ainsi que surun article important <strong>de</strong>s Annales en 2002 11 .Relire ces travaux perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> proposer une socio-histoire cavalière <strong>de</strong> la genèse <strong>de</strong> l'institutionprud'homale, qui remonte véritablement à 1806, date <strong>de</strong> la création du Conseil <strong>de</strong>sprud'hommes <strong>de</strong> Lyon, puis à 1809, date d'un décr<strong>et</strong> « contenant règlement sur les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>prud'hommes » 12 . Loin <strong>de</strong> trouver son origine au début <strong>de</strong> l'époque mo<strong>de</strong>rne, c'est bien dansles premières décennies du XIXè siècle, à Lyon puis par essaimage dans un certain nombre <strong>de</strong>villes industrielles <strong>et</strong> commerçantes, que les prud'hommes se développent comme uneinstitution dans laquelle <strong>de</strong>s litiges liés au travail sont jugés par <strong>de</strong>s patrons <strong>et</strong> <strong>de</strong>s ouvriers.Ces premiers prud'hommes, dont on commence à saisir les contours <strong>et</strong> à connaître un certainnombre d'acteurs, constituent une juridiction originale, voie ambiguë : institution judiciaire,ils semblent pourtant symboliquement très loin <strong>de</strong> l'espace judiciaire ; lieu <strong>de</strong> régulation <strong>de</strong>srelations <strong>de</strong> travail, ils ne peuvent pas vraiment être considérés comme une structurecorporatiste ; espace d'expression <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> classe, ils ne <strong>de</strong>viennent qu'à la fin du XIXe<strong>et</strong> au début du XXe siècle un lieu <strong>de</strong> revendication pour le mouvement ouvrier. C'est ce quidonne aux <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes c<strong>et</strong>te étrang<strong>et</strong>é : il est difficile <strong>de</strong> les classer dans uncadre institutionnel classique parce qu'ils ressortent <strong>de</strong> logiques différentes, voirecontradictoires.L’objectif <strong>de</strong> ce chapitre est <strong>de</strong> revenir sur ces différentes logiques, produits <strong>et</strong> sédimentéespar l’histoire, qui coexistent <strong>et</strong> qui, ensemble, contribuent à définir l’institution. Dans unpremier temps nous rappellerons à grands traits la pluralité <strong>de</strong>s définitions <strong>de</strong> l’institution qui6 <strong>Les</strong> actes du colloque seront publiés en 2007 : cf. François Robert <strong>et</strong> Pierre Vernus, Histoire d'une juridictiond'exception : les prud'homme s(XIXe-XXe siècle), à paraître en 2007.7 L'équipe que nous avons constituée regroupait l'historien du droit : Norbert Olszak, ainsi qu'un historien social :David Hamelin ; Claire Lemercier s'est jointe à nous à l'occasion <strong>de</strong> séminaires, <strong>de</strong> publications collectives <strong>et</strong> ducolloque au Conseil économique <strong>et</strong> social.8 Marcel David, « L' »évolution historique <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes en France », Droit social, février 1974.9 Il faut aussi noter une thèse récente <strong>de</strong> Bruno Dubois sur les prud'hommes au XIXe siècle réalisée sous ladirection <strong>de</strong> Jean-Pierre Royer : « <strong>Les</strong> <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes au XIXe siècle. Entre Etat, patrons <strong>et</strong> ouvriers »,thèse <strong>de</strong> doctorat d'histoire du droit, Université Lille 2, 2000.10 « <strong>Les</strong> prud'hommes : XIXè-XXè siècle », Le Mouvement social, n° 141, octobre-décembre 1987.11 Alain Cottereau, « Droit <strong>et</strong> bon droit. Un droit <strong>de</strong>s ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail »,Annales HSS, vol. 57 (6), 2002.12 Entre temps, plusieurs <strong>conseils</strong> avaient été créés sur le modèle lyonnais, notamment à Rouen <strong>et</strong> à Nîmes en1807, puis sept autres l'année suivante.10
sont le produit <strong>de</strong> configurations socioéconomiques particulières <strong>et</strong> d’enjeux spécifiques pournous arrêter dans un second temps sur la réforme <strong>de</strong> 1979 qui tente, avec succès, <strong>de</strong> concilier<strong>et</strong> d’institutionnaliser ces logiques contradictoires en refusant <strong>de</strong> choisir <strong>entre</strong> les définitionspossibles.1. <strong>Les</strong> différentes définitions <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong>Une chronologie sommaire perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> distinguer la genèse <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes toutau long du XIXè siècle <strong>et</strong> la nouvelle pério<strong>de</strong> qui commence en 1905, date <strong>de</strong> la loiréorganisant les prud'hommes <strong>et</strong> qui court jusqu'au début <strong>de</strong>s années 1970. Alors que dans lapremière pério<strong>de</strong>, l'institution prud'homale est prise dans <strong>de</strong> nombreuses contraintes,notamment le tabou du corporatisme, l'extériorité au champ judiciaire <strong>et</strong> le déni <strong>de</strong> l'existenced'une représentation ouvrière, la <strong>de</strong>uxième pério<strong>de</strong> voit se développer un double mouvement,celui d'une « judiciarisation » <strong>et</strong> d'une « syndicalisation » que la réforme <strong>de</strong> 1979institutionnalisera, faisant <strong>de</strong>s <strong>prud’hommes</strong> une institution sinon d’exception, du moinsexceptionnelle.a) <strong>Les</strong> tentatives <strong>de</strong> fabriquer un lieu neutre (1806-1905)<strong>Les</strong> membres <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes ont pour rôle <strong>de</strong> juger leurs « pairs » : c<strong>et</strong>teexpression, sans cesse utilisée tout au long du XIXè siècle, a cependant plusieurssignifications <strong>et</strong> recouvre une série <strong>de</strong> logiques différentes, qui constituent l'originalité <strong>de</strong>sprud'hommes à leur genèse : les pairs, ce sont d'abord les acteurs d'une même activitéprofessionnelle ou d'une même « famille <strong>de</strong> métier » ; en cela, ils se rapprochent, sanspourtant s'y i<strong>de</strong>ntifier entièrement, <strong>de</strong>s structures corporatives <strong>de</strong> l'Ancien régime. Juger sespairs, cela veut dire aussi juger en équité plutôt qu'en droit, avec rapidité <strong>et</strong> sans s'encombrer<strong>de</strong> procédures judiciaires complexes ; dans le cadre <strong>de</strong> l'économie <strong>de</strong> marché libre-échangiste<strong>et</strong> <strong>de</strong> la limitation du rôle <strong>de</strong> l'Etat, les prud'hommes constituent alors une institution <strong>de</strong>régulation libérale du marché du travail. Enfin, un peu plus tard au cours du XIXe siècle,l'idée <strong>de</strong> parité renvoie à celle sinon d'égalité, du moins celle d'accès égal à une institutionmalgré lé différence <strong>de</strong> statuts ; d'où l'arrivée en 1848 <strong>de</strong>s ouvriers dans les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong>prud'hommes <strong>et</strong> la transformation <strong>de</strong> l'institution en un espace <strong>de</strong> revendication <strong>et</strong> <strong>de</strong>mobilisation ouvrière <strong>et</strong> <strong>syndicale</strong>.- Une institution intermédiaireLa naissance <strong>et</strong> le développement <strong>de</strong>s <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'hommes se déroulent dans un contextebien spécifique, qui associe d'une part le développement du libéralisme économique, légitimépar le rej<strong>et</strong> <strong>de</strong>s formes collectives d'organisation du travail pendant la Révolution française, <strong>et</strong>d'autre part la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> proposer <strong>de</strong>s régulations collectives <strong>de</strong>sactivités professionnelles. Dans ce cadre, les <strong>conseils</strong> <strong>de</strong> prud'homme apparaissentincontestablement comme <strong>de</strong>s « publics intermédiaires », pour reprendre la constructionthéorique d'Alain Cottereau 13 : dans une analyse à mi-chemin <strong>entre</strong> la philosophie politique <strong>et</strong>l'histoire sociale, l'auteur montre <strong>de</strong> quelle manière se constituent <strong>de</strong>s institutions inspirées <strong>de</strong>s13 Alain Cottereau, « La désincorporation <strong>de</strong>s métiers <strong>et</strong> leur transformation en 'publics intermédiaires' : Lyon <strong>et</strong>Elbeuf, 1790-1815 », in Steven L. Kaplan <strong>et</strong> Philippe Minard, La France, mala<strong>de</strong> du corporatisme ? XVIIIe-XIXe siècle, Paris, Belin, 2004, p. 97-145.11
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