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Le Monde/ - Article, Ter, 17 de Abril de 2012<br />
CLIPPING INTERNACIONAL (Cour constitutionnelle)<br />
La Libye sous syndrome post-traumatique<br />
Que faire le soir à Benghazi ? Au choix, regarder l"une<br />
des dix-sept chaînes de télévision libyennes qui ont<br />
succédé à celle, unique, toute entière dévouée à la<br />
glorification du Guide aujourd"hui défunt. Aller dîner<br />
d"un repas de poisson frais, arrosé de soda, dans un<br />
des bons restaurants du front de mer. Visiter le Musée<br />
des martyrs, dans la cour de justice, théâtre des<br />
premières manifestations qui déclenchèrent<br />
l"insurrection libyenne, en février 2011.Ou encore,<br />
moins conventionnel, au volant de sa voiture, se<br />
défouler sur des parkings transformés en pistes de<br />
formule 1, dans un vacarme de crissement de pneus<br />
et de moteurs en surchauffe. Le jeudi soir, veille du<br />
week-end, le rodéo automobile de Benghazi joue au<br />
Grand Prix de Dayto<strong>na</strong>. Un bon moyen d"évacuer le<br />
stress, en même temps que les odeurs de caoutchouc<br />
brûlé et la fumée des gaz d"échappement.Quatorze<br />
mois après le début de la révolution, Benghazi fait<br />
bonne figure, mais elle a les nerfs à fleur de peau. Le<br />
rodéo en voiture, dira-t-on, c"est toujours mieux que de<br />
se tirer dessus. Or l"un n"empêche pas l"autre, vu le<br />
nombre d"armes en circulation. Chaque matin apporte<br />
son histoire de la nuit. Celle de ce matin raconte que<br />
100 à 500 voitures, selon les versions, mises à l"abri<br />
par les kadhafistes pendant la guerre, ont été<br />
découvertes tardivement dans un entrepôt isolé. Des<br />
jeunes se sont servis, mais se sont heurtés aux milices<br />
locales... quelques échanges de tirs nourris ont suivi.<br />
"Vous n"avez pas entendu ?"Qui contrôle la Libye ?<br />
Des hommes en armes assurent l"ordre aux points<br />
stratégiques, mais l"absence d"uniforme rend leur<br />
identification incertaine. Ceux qui contrôlent l"aéroport<br />
de Tripoli, blouson de cuir noir (la variante avec la<br />
griffe Gucci est apparemment admise) et paire de<br />
menottes dépassant du jean également noir,<br />
appartiennent à la brigade de Zintan, qui a pris<br />
l"aéroport aux forces kadhafistes en 2011 et ne le<br />
lâche plus. Les hommes qui, au départ de Benghazi,<br />
demandent les passeports et exigent de multiples<br />
tampons sur le billet d"avion portent un badge du<br />
"ministère de la défense". Où prennent-ils leurs ordres<br />
? Difficile à dire.Car les relations entre Tripoli et<br />
Benghazi sont tendues, depuis que, le 6 mars, la<br />
région de Benghazi, l"une des trois grandes provinces<br />
libyennes (Tripolitaine, Cyré<strong>na</strong>ïque et Fezzan) a<br />
annoncé la création d"un "Conseil intérimaire de<br />
Cyré<strong>na</strong>ïque". Pas de quoi crier à la sécession, rassure<br />
un professeur local de droit public, Abdelkader Kadura,<br />
qui a mis sur pied un groupe de travail sur le<br />
fédéralisme. Mais "il y a mainte<strong>na</strong>nt un conseil de<br />
défense de la Cyré<strong>na</strong>ïque, ajoute-t-il dans le même<br />
souffle. On n"accepte plus de militaires de Tripoli." A<br />
Ajdabiya, autre ville de la Cyré<strong>na</strong>ïque, ce sont les<br />
tribus qui commandent, affirme le rédacteur en chef du<br />
jour<strong>na</strong>l local : les milices y sont sous l"autorité des<br />
chefs de tribu. Un jeune médecin de l"armée explique<br />
que, lorsqu"il fait le trajet de Zaouïa à Misrata, sur 300<br />
km, il décline trois identités différentes suivant le<br />
check-point auquel il est contrôlé. Bref, les Libyens<br />
s"adaptent.Médecin français installé depuis 2008 à<br />
l"hôpital de Benghazi, ce fameux hôpital offert par la<br />
France à la Libye dans le cadre du règlement de la<br />
libération des infirmières bulgares, Jean Dufriche voit<br />
défiler dans son bureau, toute la journée, des gens qui<br />
ont un besoin irrépressible de s"épancher. A l"hôpital,<br />
les conditions se sont dégradées. Les vingt-cinq<br />
médecins étrangers évacués au début de la révolution<br />
ne sont pas revenus, le directeur a changé trois fois, le<br />
budget annuel a été divisé par dix.Comme ailleurs, il<br />
faut tout reconstruire. C"est le défi qu"affrontent aussi<br />
d"ex-rebelles reconvertis dans le jour<strong>na</strong>lisme. Maleek<br />
Elhasee est le rédacteur en chef d"un nouveau jour<strong>na</strong>l,<br />
Al-Kalima ("La Parole") où il tente d"appliquer "les<br />
principes d"impartialité et de crédibilité". Une enquête,<br />
dans le dernier numéro, dénonce précisément la<br />
situation à l"hôpital et montre que "la révolution a<br />
encore beaucoup de chemin à faire".Mais comme ses<br />
collègues, il sait qu"il existe "une ligne rouge", celle<br />
des groupes armés. Il n"y a, dans la Libye nouvelle, ni<br />
code de la presse ni loi pour protéger les jour<strong>na</strong>listes.<br />
"Si je franchis la ligne rouge, je peux prendre une<br />
balle, dit-il. Il y a des armes partout, la police et<br />
l"armée sont impuissantes. Alors, j"applique le<br />
précepte islamique : éviter le mal plutôt que de révéler<br />
la vérité."Faute de perspectives claires, encore<br />
incapables d"imaginer les contours de leur avenir, les<br />
Libyens, comme frappés du syndrome<br />
post-traumatique, baignent dans l"apologie de la<br />
révolution. La télévision n"en finit pas de projeter les<br />
images de l"insurrection et de la guerre. Les jeunes<br />
rappeurs ressemblent aux rappeurs du monde entier,<br />
casquette des New York Yankees vissée à l"envers<br />
sur la tête, mais eux chantent la révolution, dans des<br />
morceaux intitulés Benghazi, Libye ou Syrie."Merci la<br />
France !", proclame un grand panneau à l"aéroport de<br />
Benghazi. Nicolas Sarkozy gagnerait ici une élection<br />
haut la main. D"ailleurs, on en redemande. Invité, fin<br />
mars à Bruxelles, à la conférence annuelle du German<br />
Marshall Fund, l"ex-premier ministre libyen Mahmoud<br />
Jibril a accusé les Européens d"avoir déserté la Libye<br />
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