HUNGARIAN STUDIES 11. No. 1. Nemzetközi Magyar ... - EPA
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108 VALÉRIA MAJOROSIl a passé les premiers mois en contemplation et raconte ses souvenirs:«Depuis la première seconde j'étais envahi d'un bonheur dont j'étais privéà Berlin. J'avais une sorte de «fièvre-de-Paris», ineffaçable à celui qui était déjàvenu trois fois à cet endroit. Ce scintillement, cette agitation est extraordinaire.La particularité des places des rues, l'élégance des femmes sont séparément etensemble l'essence de cet esprit français qui est totalement opposé à celui del'Allemagne que j'avais douloureusement subi pendant trois ans.» 4 *Cette excitation du nouveau venu était cette fois plus modérée qu'à sonarrivée à Berlin, mais son attente était très intense. Les déceptions ne tardèrentpas, elles l'ont envahi plus vite qu'à Berlin. Cela vint bien évidemment de lavie artistique.«Je supporte moins le plaisir de la vue comme dans le cas du Louvre - jet'avoue - je sais que c'est un blasphème - mais je veux rester sincère - qu'ilne me procure plus aucun plaisir: bien au contraire je sens l'odeur du mortentre ses murs. Le nouveau arrivé dans cette crypte c'est Daumiermaintenant.Ce serait une gloire douteuse d'y entrer vivant tellement est triste un teldépôt de tableaux. Nous sommes dans le vif du sujet parce que pour moi c'estune question capitale: où serai-je pendu ou seront pendus mes tableaux?D'après mes débuts, l'avenir ne promet pas de bon augure. Quoique mespremières informations ne soient pas si loin de la réalité. Sinon je serais unvoyageur de luxe pour toutes ces peines et d'argent dans le seul but de me faireplaisir. Maintenant que je suis là et que je vois ce que je vois, je constate laquantité de la qualité médiocre. Toutes ces pacotilles mélangées de toutescultures sans esthétique, sans avenir sont tristes et nulles. Rien que mesquelques années actives qui ont produit quelque chose de viable et lescollections que j'ai malgré le silence délibéré (dont la nature intentionnellesignifie déjà quelque chose) valent la peine de croire qu'un jour je pourrai meproduire dans un milieu parisien adéquat et digne de mes œuvres. C'estpourtant ce chemin qui y mène qui demeure pour moi justement introuvable.Les quelques marchands qui pourraient les apprécier n'y trouvent pasd'intérêt. Je me suis rendu chez Khanweiler. Après avoir vu mes photographiesil m'a dit qu'il ne travaille qu'avec 3-4 «habitués» depuis des années. Il n'aspirepas du tout au partage de ma gloire éventuelle» - écrivait-il à Tersánszky unmois après son arrivée. 45En février il écrit une lettre à Mihályi, plus sombre que celle qu'il avait écriteen décembre à Tersánszky:«C'est que l'art est la surface de la vie pourrie d'une bourgeoisie servile quidans son immoralité se dégrade malgré les transfusions sanguines de lacivilisation. Les œuvres fabriquées à la chaîne puent le cadavre pourri et le
BERLIN ET PARIS DE LAJOS TIHANYI 109sperme stérile que l'on a vomi. Nombreux sont les commerçants de renom quisatisfont le besoin des snobs. Ceux qui ont proclamé la révolution de l'espritil y a 15 ans, sont maintenant les gérants des grandes usines d'art. Dans unetelle circonstance je perds tout espoir. Mon ambition et toute ma force pourme battre ne sont pas suffisants contre ce monde et pour un art plus vrai, plushumain. Dans cet état de découragement et de gaucherie je suis moi-mêmeétonné d'avoir le courage d'aller chez quelques commerçants d'art. Quelquefoisje suis tellement incompris et mal reçu que je montre même pas mes photos.Ailleurs j'ai eu un accueil favorable et j'ai réussi à impressionner moninterlocuteur mais je me suis vite arrêté à cause des objections qui m'étaientfaites en réclamant des tableaux de petite taille.» 46En mars il eut quelques rayons d'espérance: la galerie de Léonce Rosenberglui a proposé une exposition. 47 La date proposée n'était pas la meilleure maispour lui ce n'était pas un obstacle. L'important c'était de l'accepter. Quelquesmois plus tard la galerie de Paul Guillaume a pris la place de la galerieRosenberg mais pour lui cela n'a pas changé grand-chose. 48Après avoir décidé de rester définitivement en France il lui a fallu se mettreau travail et gagner sa vie. Il n'avait plus le temps de flâner et d'admirer la ville,encore moins de temps pour le reste. A partir de 1926 les difficultés de la viequotidienne l'ont obligé de concentrer ses énergies sur son travail. 49 Peu à peu ila perdu le contact avec ses amis. Il pouvait écrire sur Paris ou sur Berlin desrécits à Tersánszky parce qu'il ne connaissait pas ces villes mais de 1924-1925leur correspondance a pris fin. Il pouvait toujours écrire à Mihályi, mais répéterles première impressions après tant d'années écoulées n'avait plus de sens.«Je ne vis que pour le moment présent. J'ai gâché toute ma vie et montalent. C'est encore peut-être la dernière minute que je serai sauvé. Pourcontinuer ma carrière dans les années à venir peut-être j'ai encore assez deforce morale et physique. Pour cela il me faut du temps et de l'argent. Mais jen'ai pas le temps d'attendre. J'ai vécu des années et des mois de privations maisaujourd'hui j'ai l'impression de n'avoir rien fait, de n'avoir vécu que dans lamisère et dans l'inertie, ... je me suis forcé à économiser un capital pour mepermettre de vivre et de travailler et maintenant mon plus grand problème c'estde gagner mon pain de tous les jours. Je n'ai même pas à manger! Je suis seul!Les gens m'évitent ouvertement ou sans le montrer, pourtant je n'ai jamais étéà la charge de personne. Ça ne serait pas une solution de me suicider mais lafaim et la misère pourront changer ma vie en quelques jours ou le hasardpeut-être. Mais du hasard il n'y en a plus» - a-t-il écrit en 1931 à son ami VirgilCiaclan à Oradea. 50Sa situation financière pendant son exil était précaire et lui a fait connaîtrela misère mais de temps en temps il a réussi à vendre ses tableaux et il a eu
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108 VALÉRIA MAJOROSIl a passé les premiers mois en contemplation et raconte ses souvenirs:«Depuis la première seconde j'étais envahi d'un bonheur dont j'étais privéà Berlin. J'avais une sorte de «fièvre-de-Paris», ineffaçable à celui qui était déjàvenu trois fois à cet endroit. Ce scintillement, cette agitation est extraordinaire.La particularité des places des rues, l'élégance des femmes sont séparément etensemble l'essence de cet esprit français qui est totalement opposé à celui del'Allemagne que j'avais douloureusement subi pendant trois ans.» 4 *Cette excitation du nouveau venu était cette fois plus modérée qu'à sonarrivée à Berlin, mais son attente était très intense. Les déceptions ne tardèrentpas, elles l'ont envahi plus vite qu'à Berlin. Cela vint bien évidemment de lavie artistique.«Je supporte moins le plaisir de la vue comme dans le cas du Louvre - jet'avoue - je sais que c'est un blasphème - mais je veux rester sincère - qu'ilne me procure plus aucun plaisir: bien au contraire je sens l'odeur du mortentre ses murs. Le nouveau arrivé dans cette crypte c'est Daumiermaintenant.Ce serait une gloire douteuse d'y entrer vivant tellement est triste un teldépôt de tableaux. <strong>No</strong>us sommes dans le vif du sujet parce que pour moi c'estune question capitale: où serai-je pendu ou seront pendus mes tableaux?D'après mes débuts, l'avenir ne promet pas de bon augure. Quoique mespremières informations ne soient pas si loin de la réalité. Sinon je serais unvoyageur de luxe pour toutes ces peines et d'argent dans le seul but de me faireplaisir. Maintenant que je suis là et que je vois ce que je vois, je constate laquantité de la qualité médiocre. Toutes ces pacotilles mélangées de toutescultures sans esthétique, sans avenir sont tristes et nulles. Rien que mesquelques années actives qui ont produit quelque chose de viable et lescollections que j'ai malgré le silence délibéré (dont la nature intentionnellesignifie déjà quelque chose) valent la peine de croire qu'un jour je pourrai meproduire dans un milieu parisien adéquat et digne de mes œuvres. C'estpourtant ce chemin qui y mène qui demeure pour moi justement introuvable.Les quelques marchands qui pourraient les apprécier n'y trouvent pasd'intérêt. Je me suis rendu chez Khanweiler. Après avoir vu mes photographiesil m'a dit qu'il ne travaille qu'avec 3-4 «habitués» depuis des années. Il n'aspirepas du tout au partage de ma gloire éventuelle» - écrivait-il à Tersánszky unmois après son arrivée. 45En février il écrit une lettre à Mihályi, plus sombre que celle qu'il avait écriteen décembre à Tersánszky:«C'est que l'art est la surface de la vie pourrie d'une bourgeoisie servile quidans son immoralité se dégrade malgré les transfusions sanguines de lacivilisation. Les œuvres fabriquées à la chaîne puent le cadavre pourri et le