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90 Catherine Previti Allaire Emile Noël contribue à faire aboutir l'effort particulier déployé par la France sur trois sujets-clés: l’agriculture, les institutions et les territoires d’outre-mer. Il retracera le rôle fondamental de son pays dans l'engagement des Six à réaliser un marché commun agricole: ce qui revient à «dégager un accord commun sur la procédure par laquelle ce marché commun serait réalisé, c'est-à-dire en donnant une délégation de pouvoirs aux futures institutions de la Communauté économique […] pour [le] réaliser par des décisions majoritaires». «L'attachement de la délégation française dans toute la négociation à faire prévaloir les décisions majoritaires dans le système institutionnel du traité» est d'ailleurs notable. Pour Guy Mollet comme pour ses collaborateurs sur le plan européen, le veto équivaut à l'immobilisme. 73 Il importe en outre d’établir des rapports organiques entre la future Communauté et les Pays d’outre-Mer qui dépendent encore de la France: «Guy Mollet était pleinement conscient que le régime d’autonomie interne qu’avait introduit la ‘loi cadre’ préparée par son gouvernement devait conduire à plus ou moins court terme à l’indépendance de ces pays. Il était convaincu de la valeur politique qu’un lien solide avec l’Europe aurait pour leur évolution future». 74 L’établissement de ce lien devait être facilité par le fait qu’il n’était plus bilatéral ni colonial. En février 1957, Guy Mollet organise à Paris la réunion décisive entre Etats membres de la Communauté qui permet d'aboutir à un compromis sur la création d'un fonds européen d'aide aux pays africains et malgache (précurseur du fonds européen de développement). 75 Emile Noël écrira encore sur ce sujet pour Guy Mollet lorsqu'il sera à Bruxelles: «Tout rapprochement librement consenti entre un Etat africain et l’Europe signifie le renforcement des liens avec la France en même temps que la consolidation du monde libre. En leur ouvrant les perspectives de l’Eurafrique, la France réalise pleinement les engagements de libération politique et […] économique qu’elle a pris à l’égard de ses anciens territoires d’outre-mer». 76 A tous égards, Emile Noël joue un rôle indéniable. Dans ses Mémoires, son ami Robert Marjolin résume ce rôle de manière éloquente: «Un homme joua un rôle très important dans le combat que se livrèrent pendant cet été de 1956 les partisans et les adversaires du Marché commun, je veux parler d’Emile Noël, qui était alors chef de cabinet de Guy Mollet et en était écouté. Européen de la première heure, ardent dans ses convictions malgré un extérieur amène et tolérant, d’un esprit lucide et pénétrant, il contribua, d’une façon décisive, à faire prendre par le Président du Conseil les décisions qui permirent aux négociateurs de Bruxelles de poursuivre efficacement leur tâche». 77 Les traités de Rome sont finalement entérinés. L'attribution à Alain Savary, jadis farouche opposant à la CED, des fonctions de rapporteur du traité de la Communauté économique européenne à l'Assemblée nationale symbolise la réconciliation 73. Témoignages et débats sur Guy Mollet, op.cit. 74. Article d'E. Noël pour le journal El País, 28/03/1987. 75. Témoignages et débats sur Guy Mollet, op.cit. 76. Note d’E. Noël à G. Mollet intitulée “Politique européenne”, 15/04/1959. 77. R. MARJOLIN, Le Travail d’une vie. Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, Paris, 1986, pp.294-295.

A propos des archives Emile Noël 91 socialiste. 78 Quant à l’esprit qui anime les traités, il «sauvegarde l’essentiel» y compris sous l'angle du futur développement de l’unité politique; même s'«il est vrai que, dans la version finale, il n’est plus fait mention du terme ‘fédération’ qui avait été prévu dans la déclaration Schuman de 1950». 79 Le «profil bas» et prudent des institutions n'empêche pas de ménager des possibilités. Une «modeste Commission est substituée à la fière Haute Autorité» mais ses membres - nommés par commun accord des gouvernements - sont indépendants. Dans cette «grisaille» 80 de façade, les négociateurs ont donc sauvegardé les acquis. La mise en place d’un processus législatif communautaire est également fondamental (on retrouve l’idée de base du projet de CPE). Ces mesures consentent potentiellement de «pouss[er] l’ensemble des institutions communautaires dans la direction d’une effective souveraineté». 81 Dès l'heure, Guy Mollet a la conviction qu'il y a «une chance historique à saisir» et qu'une fois posés les fondements économiques de l’Europe, une «communauté politique véritable pourra être établie». 82 Emile Noël la partage. A Bruxelles, il ne se contentera pas de figurer dans le bataillon de tête qui opèrera pour conforter la Commission dans son rôle de gardienne des traités. Favorable à la mission Tindemans de 1975 mais dubitatif sur ses chances d'aboutir, il mènera pour sa part une action hardie avec le commissaire Altiero Spinelli. Il présidera en effet le groupe de réflexion interne de la Commission sur l'Union européenne dont le rapporteur sera un proche du «prophète» 83 fédéraliste. Le document final, «très engag[é]», 84 proposera la mise en place d’un gouvernement européen, l’octroi du pouvoir législatif au Parlement européen, l’extension à terme du domaine communautaire à la politique extérieure et à la sécurité. Emile Noël se rappelle qu'Altiero Spinelli lui «avait envoyé un petit mot pendant les discussions (difficiles) avec ses collègues: ‘Il arrive que les fonctionnaires soient plus audacieux que les commissaires’». 85 Conclusion En juin 1957, le gouvernement Mollet tombe. Retourné au Conseil de l'Europe, Emile Noël confirme sa stature européenne. A l'automne, il rédige notamment le document de travail destiné à guider les réflexions de la table ronde des sages de l'Europe organisée par le président de l'Assemblée consultative. A la veille de l'entrée en vigueur des traités de Rome, l'objectif est de préparer la mise en place des institutions nouvelles, de rationaliser le travail des différentes Communautés, notamment au niveau des assemblées européennes, et d'assurer la liaison entre Europe des Six, Conseil de l'Europe, Organisation européenne de coopération économique et Union européenne occidentale. A long 78. Interview d'E. Noël par le professeur Duchêne. 79. Interview d'E. Noël par le professeur Guidi, op.cit. 80. Cette citation et les deux précédentes sont tirées de la conférence d'E. Noël à Madrid, op.cit. 81. Interview d'E. Noël par le professeur Guidi, op.cit. 82. Déclaration de G. Mollet au journal Demain, 27/03/1956. 83. Hommage d’E. Noël à A. Spinelli à Modène, 09/09/1988. 84. Conférence à Madrid, op.cit. 85. Pour cette citation et la précédente, cf. l'hommage rendu à A. Spinelli par E. Noël à Modène, op.cit.

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Catherine Previti Allaire<br />

Emile Noël contribue à faire aboutir l'effort particulier déployé par la France sur<br />

trois sujets-clés: l’agriculture, les institutions et les territoires d’outre-mer. Il retracera le<br />

rôle fondamental <strong>de</strong> son pays dans l'engagement <strong>de</strong>s Six à réaliser un marché commun<br />

agricole: ce qui revient à «dégager un accord commun sur la procédure par laquelle ce<br />

marché commun serait réalisé, c'est-à-dire en donnant une délégation <strong>de</strong> pouvoirs aux<br />

futures institutions <strong>de</strong> la Communauté économique […] pour [le] réaliser par <strong>de</strong>s<br />

décisions majoritaires». «L'attachement <strong>de</strong> la délégation française dans toute la<br />

négociation à faire prévaloir les décisions majoritaires dans le système institutionnel du<br />

traité» est d'ailleurs notable. Pour Guy Mollet comme pour ses collaborateurs sur le<br />

plan européen, le veto équivaut à l'immobilisme. 73<br />

Il importe en outre d’établir <strong>de</strong>s rapports organiques entre la future Communauté<br />

et les Pays d’outre-Mer qui dépen<strong>de</strong>nt encore <strong>de</strong> la France: «Guy Mollet était<br />

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cadre’ préparée par son gouvernement <strong>de</strong>vait conduire à plus ou moins court terme à<br />

l’indépendance <strong>de</strong> ces pays. Il était convaincu <strong>de</strong> la valeur politique qu’un lien soli<strong>de</strong><br />

avec l’Europe aurait pour leur évolution future». 74 L’établissement <strong>de</strong> ce lien <strong>de</strong>vait<br />

être facilité par le fait qu’il n’était plus bilatéral ni colonial. En février 1957, Guy<br />

Mollet organise à Paris la réunion décisive entre Etats membres <strong>de</strong> la Communauté<br />

qui permet d'aboutir à un compromis sur la création d'un fonds européen d'ai<strong>de</strong> aux<br />

pays africains et malgache (précurseur du fonds européen <strong>de</strong> développement). 75<br />

Emile Noël écrira encore sur ce sujet pour Guy Mollet lorsqu'il sera à Bruxelles:<br />

«Tout rapprochement librement consenti entre un Etat africain et l’Europe signifie le<br />

renforcement <strong>de</strong>s liens avec la France en même temps que la consolidation du<br />

mon<strong>de</strong> libre. En leur ouvrant les perspectives <strong>de</strong> l’Eurafrique, la France réalise<br />

pleinement les engagements <strong>de</strong> libération politique et […] économique qu’elle a pris<br />

à l’égard <strong>de</strong> ses anciens territoires d’outre-mer». 76<br />

A tous égards, Emile Noël joue un rôle indéniable. Dans ses Mémoires, son ami<br />

Robert Marjolin résume ce rôle <strong>de</strong> manière éloquente:<br />

«Un homme joua un rôle très important dans le combat que se livrèrent pendant cet<br />

été <strong>de</strong> 1956 les partisans et les adversaires du Marché commun, je veux parler<br />

d’Emile Noël, qui était alors chef <strong>de</strong> cabinet <strong>de</strong> Guy Mollet et en était écouté.<br />

Européen <strong>de</strong> la première heure, ar<strong>de</strong>nt dans ses convictions malgré un extérieur<br />

amène et tolérant, d’un esprit luci<strong>de</strong> et pénétrant, il contribua, d’une façon décisive, à<br />

faire prendre par le Prési<strong>de</strong>nt du Conseil les décisions qui permirent aux<br />

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Les traités <strong>de</strong> Rome sont finalement entérinés. L'attribution à Alain Savary, jadis<br />

farouche opposant à la CED, <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> rapporteur du traité <strong>de</strong> la Communauté<br />

économique européenne à l'Assemblée nationale symbolise la réconciliation<br />

73. Témoignages et débats sur Guy Mollet, op.cit.<br />

74. Article d'E. Noël pour le <strong>journal</strong> El País, 28/03/1987.<br />

75. Témoignages et débats sur Guy Mollet, op.cit.<br />

76. Note d’E. Noël à G. Mollet intitulée “Politique européenne”, 15/04/1959.<br />

77. R. MARJOLIN, Le Travail d’une vie. Mémoires 1911-1986, Robert Laffont, Paris, 1986,<br />

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