journal of european integration history revue d'histoire de l ...

journal of european integration history revue d'histoire de l ... journal of european integration history revue d'histoire de l ...

cere.public.lu
from cere.public.lu More from this publisher
13.04.2015 Views

86 Catherine Previti Allaire Emile Noël, un temps malade, écrit au président du groupe de travail de la Commission constitutionnelle: «Brand [le secrétaire intérimaire de la Commission] me tient au courant des machines de guerre que vous montez contre les forteresses nationales. J'espère être de retour pour leur écroulement». 45 De fait, «jamais une union politique n'a paru plus proche et plus nécessaire. [Mais] la déception devait être à la mesure de ces espoirs»: 46 la ligne politique du gouvernement français se modifie avec la passation des pouvoirs, au Quai d'Orsay, entre Robert Schuman et Georges Bidault. Cette dernière se traduit par un «raidissement» 47 de la situation. Le rejet du projet de traité de CED par l’Assemblée nationale française ouvre la première grande crise européenne (août 1954). Elle provoque également la division des socialistes qui, contrairement à Guy Mollet, avaient été jusque là exempts de l’engouement européen et se sont finalement déchirés sur le vote: «Guy Mollet était sans doute plus réticent que moi au début des années 50 sur l'opportunité d'accélérer la construction européenne au-dede la CECA et de la CED. Le vote négatif de l'Assemblée nationale en août 1954 devait montrer que sa prudence correspondait à une bonne appréciation de la situation intérieure de l'époque». 48 Emile Noël retourne au secrétariat général du Conseil de l’Europe où il devient chef de cabinet de Guy Mollet, alors président de l’Assemblée consultative. C’est à cette époque que se resserrent les rapports, ébauchés autour de l’affaire CED, entre ce dernier et Jean Monnet de retour à la vie politique française et au militantisme européen. Un «lien personnel» 49 et un «incontestable rapport de confiance» se nouent car «Mollet avait de l’estime pour Monnet. Je crois que c’était réciproque […], 1) parce qu’il le jugeait désintéressé, ne cherchant aucun avantage personnel pour lui-même, 2) parce qu’il le jugeait fiable, constant dans ses opinions et 3) parce qu’il le jugeait clair et précis. […] Guy Mollet n’aimait pas les prestidigitateurs. C’est peut-être parce qu’il était un homme d’appareil, un homme assez rigide, un homme de principes». 50 La SFIO adhère naturellement au Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe fondé par Jean Monnet pour coordonner les forces politiques européennes au lendemain de la défaite et redéfinir une stratégie qui règle la question allemande dans un cadre démocratique et laisse ouverte la porte au dialogue avec la Grande-Bretagne. En poste à la Commission, Emile Noël ne rompra jamais le contact avec les membres dudit Comité qui «a littéralement piloté la construction politique de l’Europe pendant une quinzaine d’années». 51 Il entretiendra des contacts notamment avec Jacques van Helmont jusqu'à la fin des années 1980 abordant les thèmes les plus variés, tels la politique agricole 45. Lettre d'E. Noël à F. Dehousse, 03/1953. Ce document se trouve dans le fonds Fernand Dehousse conservé aux AHCE. 46. Conférence d'E. Noël à Madrid, op.cit. 47. Intervention d’E. Noël en 06/1989 à la table ronde sur 'Les socialistes et l'Europe', op. cit. 48. Lettre d'E. Noël à l'historien B. Vanneste, op.cit. 49. Ibid. 50. Interview d'E. Noël par le professeur Duchêne, 10/1988. 51. Cf. article d’E. Noël dans le journal Il Messagero, 01/1993.

A propos des archives Emile Noël 87 commune, l'élargissement à la Grande-Bretagne, les relations transatlantiques, le conseil européen de Fontainebleau. Les consultations sur l’Europe sont rapidement relancées sur la base économique et aboutissent à la conférence de Messine (juin 1955). La SFIO ne fait pas partie du gouvernement. Elle campe dans le «soutien-opposition», ses voix étant indispensables pour la survie du gouvernement d’Edgard Faure. Emile Noël ne se souvient pas qu'elle ait été «extraordinairement sensible» à la conférence. Cette dernière est d'ailleurs passée «largement inaperçue» dans l’opinion publique: «Le communiqué […] était de la bouillie pour les chats. Il fallait vraiment regarder de très près pour le décrypter». 52 Dans le gouvernement Mollet 1. Les socialistes à la barre En février 1956, Guy Mollet devient président du Conseil avec l’avènement du Front républicain. 53 Il s’applique à réconcilier le Parti socialiste et tient peu compte des affaires européennes dans la formation gouvernementale; la seule exception notable est le refus du portefeuille des Affaires étrangères à Pierre Mendès-France, chef de file des anti-cédistes. Emile Noël fait partie de la petite équipe constituée par Guy Mollet. Il est nommé successivement chef, puis directeur adjoint du cabinet. Il s'inspirera d'ailleurs de l'expérience acquise dans ces fonctions, qui comportent de fréquents contacts avec le Cabinet Office britannique, pour remodeler le secrétariat exécutif de la Commission européenne à son arrivée. Dans une administration communautaire déjà structurée par le président Walter Hallstein selon le système hiérarchisé de l’Auswärtiges Amt, Emile Noël sera le promoteur d'un secrétariat exécutif assumant les trois fonctions d'«assurer la bonne marche du Collège […]; participer à la coordination des services […]; assurer les relations entre la Commission et les autres institutions». 54 A Matignon, Emile Noël voit son rôle d'éminence grise se renforcer. 55 Il suit plus particulièrement le dossier européen sur lequel lui, comme le gouvernement, sont bien décidés à agir. «Cet engagement avait été formulé avec beaucoup de vigueur, dès la déclaration d'investiture avant même la constitution du gouvernement, le 31 janvier 1956». 56 Or c'est précisément Emile Noël qui a rédigé le texte. 57 La construction européenne connaît d'ailleurs un moment crucial 52. Cette citation et la précédente sont tirées de l’interview accordée au professeur Duchêne, op.cit. 53. Pour sa succession à la tête de l'Assemblée consultative, G. Mollet avec E. Noël prépare, puis appuie la candidature du socialiste belge F. Dehousse, ancien président du groupe de travail de la Commission constitutionnelle. 54. Cf. article rédigé par E. Noël dans le Courrier du personnel de la Commission des CE, 03/1990; interview accordée par E. Noël au Courrier du personnel …, n°488, 09/1987; interview accordée par E. Noël au professeur Morgan et publiée au Jahrbuch für Europäische Verwaltungsgeschichte, 1992. 55. On trouve quelques traces de ce rôle in: D. LEFEBVRE, Guy Mollet, le mal aimé, Plon, Paris, 1992. 56. Témoignage d'E. Noël in: FONDATION GUY MOLLET, Témoignages et débats sur Guy Mollet, Paris, 1986.

86<br />

Catherine Previti Allaire<br />

Emile Noël, un temps mala<strong>de</strong>, écrit au prési<strong>de</strong>nt du groupe <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la<br />

Commission constitutionnelle:<br />

«Brand [le secrétaire intérimaire <strong>de</strong> la Commission] me tient au courant <strong>de</strong>s<br />

machines <strong>de</strong> guerre que vous montez contre les forteresses nationales. J'espère être<br />

<strong>de</strong> retour pour leur écroulement». 45<br />

De fait, «jamais une union politique n'a paru plus proche et plus nécessaire. [Mais] la<br />

déception <strong>de</strong>vait être à la mesure <strong>de</strong> ces espoirs»: 46 la ligne politique du gouvernement<br />

français se modifie avec la passation <strong>de</strong>s pouvoirs, au Quai d'Orsay, entre Robert<br />

Schuman et Georges Bidault. Cette <strong>de</strong>rnière se traduit par un «raidissement» 47 <strong>de</strong> la<br />

situation. Le rejet du projet <strong>de</strong> traité <strong>de</strong> CED par l’Assemblée nationale française ouvre la<br />

première gran<strong>de</strong> crise européenne (août 1954). Elle provoque également la division <strong>de</strong>s<br />

socialistes qui, contrairement à Guy Mollet, avaient été jusque là exempts <strong>de</strong><br />

l’engouement européen et se sont finalement déchirés sur le vote:<br />

«Guy Mollet était sans doute plus réticent que moi au début <strong>de</strong>s années 50 sur<br />

l'opportunité d'accélérer la construction européenne au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la CECA et <strong>de</strong> la CED.<br />

Le vote négatif <strong>de</strong> l'Assemblée nationale en août 1954 <strong>de</strong>vait montrer que sa pru<strong>de</strong>nce<br />

correspondait à une bonne appréciation <strong>de</strong> la situation intérieure <strong>de</strong> l'époque». 48<br />

Emile Noël retourne au secrétariat général du Conseil <strong>de</strong> l’Europe où il <strong>de</strong>vient chef<br />

<strong>de</strong> cabinet <strong>de</strong> Guy Mollet, alors prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’Assemblée consultative. C’est à cette<br />

époque que se resserrent les rapports, ébauchés autour <strong>de</strong> l’affaire CED, entre ce <strong>de</strong>rnier<br />

et Jean Monnet <strong>de</strong> retour à la vie politique française et au militantisme européen. Un<br />

«lien personnel» 49 et un «incontestable rapport <strong>de</strong> confiance» se nouent car<br />

«Mollet avait <strong>de</strong> l’estime pour Monnet. Je crois que c’était réciproque […], 1) parce<br />

qu’il le jugeait désintéressé, ne cherchant aucun avantage personnel pour lui-même, 2)<br />

parce qu’il le jugeait fiable, constant dans ses opinions et 3) parce qu’il le jugeait clair<br />

et précis. […] Guy Mollet n’aimait pas les prestidigitateurs. C’est peut-être parce qu’il<br />

était un homme d’appareil, un homme assez rigi<strong>de</strong>, un homme <strong>de</strong> principes». 50<br />

La SFIO adhère naturellement au Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe fondé<br />

par Jean Monnet pour coordonner les forces politiques européennes au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la<br />

défaite et redéfinir une stratégie qui règle la question alleman<strong>de</strong> dans un cadre<br />

démocratique et laisse ouverte la porte au dialogue avec la Gran<strong>de</strong>-Bretagne. En poste à la<br />

Commission, Emile Noël ne rompra jamais le contact avec les membres dudit Comité qui<br />

«a littéralement piloté la construction politique <strong>de</strong> l’Europe pendant une quinzaine<br />

d’années». 51 Il entretiendra <strong>de</strong>s contacts notamment avec Jacques van Helmont jusqu'à la<br />

fin <strong>de</strong>s années 1980 abordant les thèmes les plus variés, tels la politique agricole<br />

45. Lettre d'E. Noël à F. Dehousse, 03/1953. Ce document se trouve dans le fonds Fernand Dehousse<br />

conservé aux AHCE.<br />

46. Conférence d'E. Noël à Madrid, op.cit.<br />

47. Intervention d’E. Noël en 06/1989 à la table ron<strong>de</strong> sur 'Les socialistes et l'Europe', op. cit.<br />

48. Lettre d'E. Noël à l'historien B. Vanneste, op.cit.<br />

49. Ibid.<br />

50. Interview d'E. Noël par le pr<strong>of</strong>esseur Duchêne, 10/1988.<br />

51. Cf. article d’E. Noël dans le <strong>journal</strong> Il Messagero, 01/1993.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!