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Elke BRUCK – François Mitterrands Deutschlandbild. Perzeption und Politik im Spannungsfeld
deutschland-, europa- und sicherheitspolitischer Entscheidungen 1989-1992, Peter
Lang, Frankfurt a/Main, Berlin, Bern, …, 2003, 361 S. – ISBN 3-631-50202-8 – 50,10 €.
Dans l’avant-propos de ses Mémoires à deux voix, 1 François Mitterrand écrit que «l’homme
politique s’exprime d’abord par ses actes; c’est d’eux dont il comptable». Mais ces actes
sont moins le résultat d’un choix rationnel qu’ils sont influencés par des perceptions subjectives
et des images souvent profondément ancrées dans la mémoire collective d’une nation.
Ces perceptions et ces images jouent en particulier dans la relation franco-allemande, au
regard de la charge affective («réconciliation», «amitié», etc.) qui lui est généralement associée,
un rôle d’autant plus important que les liens préférentiels établis entre dirigeants politiques
de part et d’autre du Rhin y sont prépondérants.
L’intérêt de la thèse de doctorat d’Elke Bruck, présentée en 2001 à l’université
Ludwig-Maximilian de Munich est justement de démonter, à l’exemple de l’image de
l’Allemagne chez Mitterrand durant cette intense phase de bouleversement européen et
stratégique que sont les années 1989-1992, les mécanismes subtils de l’interaction entre
perceptions et décisions politiques. Opérant à la frontière entre science politique et
psychologie, elle s’attache à reconstruire les processus inconscients fondateurs d’une
certaine image de la réalité. Il s’agit donc d’identifier, notamment à l’aide des résultats de la
recherche en psychologie sociale, les structures de pensées et les représentations du
président français puis, en les resituant dans leur contexte historique, de déterminer leur
influence sur le processus de prise de décision présidentiel.
Bruck fonde son analyse sur une riche bibliographie qui comprend, en premier lieu et à
juste titre, l’abondante production littéraire de Mitterrand. Ce dernier ne se concevait en
effet pas seulement comme un homme politique mais aussi comme un homme de lettre.
Dans l’esprit de Mitterrand, cette œuvre littéraire était également destinée à modeler la
figure historique que le président entendait laisser à la postérité. Par ailleurs, l’auteur a
exploité une importante littérature secondaire, dont les mémoires de nombre des anciens
collaborateurs à l’Elysée, et dépouillé plusieurs publications journalistiques. Elle a en outre
conduit toute une série d’interviews avec des proches collaborateurs, conseillers et amis
politiques de Mitterrand. Bien que le recours aux archives historiques ne soit pas obligatoire
pour un doctorat de science politique, il aurait sans été enrichissant de consulter les comptes
rendus des entretiens entre Mitterrand et Helmut Kohl que contiennent les archives du
septennat, conservées aux Archives Nationales à Paris et qui sont, depuis plusieurs années
déjà, accessibles aux chercheurs. 2
Comme chez Charles de Gaulle, l’Allemagne est, chez François Mitterrand, un thème
récurrent et il s’est, à de nombreuses reprises aussi bien dans ses livres, ses discours et ses
prises de positions, exprimé à son sujet. Selon Elke Bruck, l’image que Mitterrand a de
l’Allemagne est typiquement celle d’un intellectuel français, c’est-à-dire partagée entre,
d’une part la vision romantique d’une Madame de Staël, et d’autre part une méfiance
vis-à-vis du voisin germanique toujours présente, mais à des degrés divers selon le contexte
méfiance. La position du chef de l’Etat reflète donc les ambiguïtés traditionnelles des
milieux intellectuels et politiques français (p.60). Cependant, l’importance que Mitterrand
accorde à l’Allemagne varie selon les étapes de son parcours politique.
Après une rapide présentation de l’évolution de l’image de l’Allemagne de la jeunesse de
Mitterrand à ses deux septennats, Bruck prend trois cas d’études pour mettre en lumière les
interférences entre perceptions subjectives et décisions politiques du président: la
réunification allemande, la politique européenne de la France de l’été 1989 au référendum
1. F. MITTERRAND, E. WIESEL, Mémoires à deux voix, Odile Jacob, Paris, 1995.
2. Cf. Archives nationales, Archives du Septennat de François Mitterrand, 5 AG 4.