number 1 - Centre d'études et de recherches européennes Robert ...

Les hauts fonctionnaires français et le processus d’unité en Europe 89
des systèmes capitaliste et communiste 9 . L'Europe, "partie libre" de notre monde,
était chargée de répondre à cet idéal.
René Mayer, commissaire aux Communications et à la Marine du CFLN, proposait
une fédération économique de l'Europe de l'ouest comprenant France, Belgique,
Pays-Bas, Luxembourg, un Etat rhénan et peut-être l'Italie et l'Espagne, dotée
d'une monnaie commune 10 .
Les débats s'accélèrent au CFLN en octobre 1943, mais les travaux de Monnet,
Alphand ou Mayer se heurtèrent aux banalités de la diplomatie traditionnelle, telle
une entente franco-anglo-russe contre l'Allemagne 11 .
Au cours d'un déjeuner réunissant de Gaulle, Diethelm, Mayer, Alphand et
Monnet le 17 octobre 1943, Alphand présenta ses idées sur des secteurs d'échanges
libres en Europe, "plus étendus que les territoires nationaux" 12 . Monnet accepta la
partition de l'Allemagne, mais il insista sur la participation des nouveaux Etats allemands
à un "ensemble européen" à égalité de droit. Il proposa encore de créer un
"pays industriel européen composé notamment de la Ruhr, de la Sarre, de la Rhénanie,
du Luxembourg" 13 .
De Gaulle, indécis, repoussa le projet de Monnet. Il voulait bien une union
européenne non autarcique autour de la France, avec le Benelux, peut-être avec la
Rhénanie, l'Italie, l'Espagne et la Suisse. Un rapport, commandé par de Gaulle à
Laurent Blum-Picard, rejeta l'unité générale de l'Europe:" L'Europe unifiée est
l'exemple de la fausse bonne solution qui attire par son apparente simplicité" écritil.
Blum-Picard rejeta une Lotharingie-Ruhr-Lorraine. En revanche, il approuvait
tout accord européen sur le modèle des cartels d'avant-guerre. Il pensait à une
charte du charbon 14 . Il parlait de conseils régionaux européens auxquels les gouvernements
"consentiront des abandons de souveraineté". Le rapport ne satisfit pas
plus de Gaulle.
Les projets refleurirent. La direction des Affaires économiques du commissariat
aux Affaires étrangères préconisa la création d'une union occidentale comprenant
l'ouest de l'Allemagne en s'appuyant sur le précédent du détachement au profit de la
Pologne et de l'URSS des provinces orientales du Reich 15 . De Gaulle donna enfin
des indications sur sa politique. Devant l'Assemblée consultative d'Alger, le 15
mars 1944, il évoqua un groupement économique occidental ouvert. "C'est le groupement
Pays-Bas, Belgique, France qui est l'élément essentiel" expliquait Massigli
9. AME 56/1/1, document non daté, document manuscrit de Monnet; le 56/1/2 est le dactylogramme
de la note précédente.
10. Guerre 39-45, Alger-CFLN-GPRF, vol 728, note de René Mayer, 30 septembre 1943.
11. AME 56/2/1, lettre à Monnet, Alger 27/10/43.
12. R. FRANK, in Le capitalisme français, op. cit., p. 295.
13. Guerre 39-45, Alger-CFLN-GPRF, vol. 728, note incomplète commençant par "agents de liaison...",
un numéro de classement: Alger D 61 e1; elle commence à la page 3 d'un document qui en
contenait 5, p. 104 à 106 du volume 728; cette note est surchargée de corrections.
14. Allusion dans AME 56/2/9, 12/07/1944, Blum-Picard, Mémoire relatif à l'organisation économique
de l'Europe.
15. Guerre 39-45, Alger-CFLN-GPRF, vol 717, DAE, Baraduc?, note pour M. Massigli, Alger, 2 mars
1944.