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150 Notices – Informations – Mitteilungen lin européen face aux nouveaux géants, mais convaincu de la capacité des Européens à se redresser. René Girault "Identité et conscience européenne au XXe siècle": Un chantier en cours Lorsque ce vaste projet de recherches a été pensé et organisé, la situation de l'Europe, fin 1988, était bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. D'une part, "une relance de la relance européenne" (le mot est de Jacques Delors) était amorcée afin d'achever la construction du grand marché économique et d'obtenir des avancées dans les domaines monétaire et politique; d'autre part, l'Europe demeurait coupée en deux blocs antagonistes avec le symbole du mur de Berlin. Actuellement, si la coupure de l'Europe en deux a disparu, on paraît encore loin d'une réunion de tous les Etats européens et l'élan vers plus d'union européenne semble bien retombé. Mais les problèmes subsistent et l’explication «théorique» de leur existence doit être cherchée. Parmi ceux-ci, une question fondamentale, à la base des travaux des dix groupes de recherches transnationaux réunissant plus d'une centaine de chercheurs 1 : pour que l'Europe existe un jour vraiment – quels qu’en soient les contours – il faut qu’une commune identité réunisse les habitants de cette Europe et, plus important encore, que ces habitants aient pris conscience qu’ils appartiennent à ce même ensemble. Donc une première question: existe-t-il une identité européenne? Dans quelles limites géographiques? Selon quels critères politiques, sociaux, culturels? On a souvent fait une confusion entre l’histoire de l'idée européenne, élaborée, explicitée par des penseurs, des politiques, et le développement de la conscience européenne, comme s'il suffisait que des intellectuels aient pensé un concept nouveau, utile, pour que celuici pénètre parmi les masses; c’est aller bien vite en besogne. Toute construction européenne, quelle qu’en soit la nature, suppose pour durer l'adhésion volontaire des Européens concernés non pas seulement à un idéal théorique, mais à un sentiment profond de partager les mêmes droits et les mêmes devoirs. De la même manière que les citoyens d'un Etat européen se sentent solidaires de leurs compatriotes, soit pour défendre leur Etat, soit pour participer à la vie politique commune de cet Etat, il semble nécessaire que les habitants de l'Europe finissent par se sentir solidaires des autres Européens, citoyens d'autres Etats européens pour que l'Union européenne repose sur des fondations solides. Peut-il, un jour, exister une Nation européenne? Les chercheurs intéressés à cette enquête sont presque tous des historiens spécialistes de la période contemporaine. IL existe une réflexion assez largement répandue selon laquelle ce qui peut unir les Européens entre eux, c'est l’existence d'un "marché commun culturel" (mot d'Edgar Morin) ou d'une "communauté de destins". On évoque alors les convergences et les analogies entre Européens sur la longue durée de l’histoire, soit depuis les fondements des civilisations antique et médiévale (sources grecque et judéo-chrétienne) jusqu’à nos jours. Notre enquête fut limitée au seul XXe siècle, mais elle couvrait un moment long pendant lequel l'Europe occidentale a connu le triomphe des Etats nationaux, conduisant à de sanglants affrontements, puis à un effort pour surmonter ces antagonismes suicidaires. Donc une période particulièrement révélatrice. Nous nous sommes aussi limités à l'Europe occi- 1. Voir la liste des groupes en annexe.

Notices – Informations – Mitteilungen 151 dentale, non de propos délibéré, mais plutôt parce qu’au départ de la recherche, il était encore difficile de mener avec les savants de l’Est européen des travaux communs, réguliers et débarrassés de formules philosophiques présupposées. A l’évidence, dans le futur, il faudra élargir les équipes de recherches à nos collègues de l’est de l'Europe. De toute manière, il faut bien prendre conscience des différences d'approche entre Européens vivant dans telle ou telle partie de l'Europe: si l'Europe est une du point de vue des géographes, nos recherches ont vite buté sur le fait que le mot Europe et ses représentations varient d'une région à l'autre. D’où un colloque particulier, tenu à Paris en mai 1992: sur ces diversités de conception quant à la réalité européenne, selon les lieux d'existence des Européens; les actes de ce colloque "Les Europe des Européens" ont été publiés en novembre 1993 (Publications de la Sorbonne, Paris, 156 p.). La recherche s’est développée graduellement pendant cinq années. Il fallait délimiter les champs réels de l’enquête, les méthodes de travail, les moyens pratiques pour organiser des rencontres régulières; le plus ardu fut de trouver les financements indispensables à des ateliers de travail, à des colloques intermédiaires et à un congrès terminal, qui se tint à Paris en novembre 1993. Fort heureusement des institutions nationales et européennes, en particulier la délégation à l'Information des Communautés européennes, soutinrent nos efforts. Lors du Congrès de Paris en novembre 1993, il fut possible de tirer les premiers résultats de cette vaste enquête. Soulignons dès l'abord que ceux-ci demeurent provisoires, car il faudrait encore du temps pour que nos "sondages" sur le passé, limités à des thèmes de recherches précis, soient étendus à d'autres exemples, afin d'affiner les conclusions; les problèmes méthodologiques posés par ce type de recherches sont également importants. Pourtant le livre tiré des actes du Congrès, qui vient d'être publié, "Identité et conscience européennes au XXe siècle (Paris, Hachette, novembre 1994, 234 pages), apporte la preuve que toutes ces recherches peuvent servir à mieux comprendre ce qu’il est convenu d’appeler "le déficit européen" actuel, en montrant d'où l’on vient et jusqu’où on est parvenu aujourd’hui en matière d’identité et de conscience européennes. Il ne saurait être question de résumer, fut-ce à grands traits, les résultats obtenus tant les nuances entre certaines observations sont importantes, tant restent grandes les zones d’incertitudes. Il nous paraît plus opportun de signaler les domaines scrutés après avoir souligné que l’établissement d'une chronologie de la conscientisation européenne est primordial, faisant apparaître des temps forts (années 1925-1933 ou années 1950) et des moments de reculs (immédiat avant-seconde guerre mondiale). Le développement de la conscience européenne ne fut – n’est – ni linéaire, ni cumulatif, ni harmonieux. Ce ne fut pas seulement un phénomène de mentalités collectives réagissant à des propositions idéales venues des milieux intellectuels, mais un processus fortement lié aux vicissitudes de l’histoire politique de l'Europe, avec en particulier le rôle important des grandes guerres qui secouèrent l’Europe, voire celui de la guerre non déclarée, la guerre froide. La conscience européenne a pu naître aussi bien dans des combats que dans des débats. Plusieurs groupes de recherches ont étudié certains milieux sociaux spécifiques; Hartmuth Kaelble a pu dégager des caractères spécifiques des sociétés européennes; en partant des travaux antérieurs et de ceux de deux groupes (1 et 7), il souligne fortement que l’Europe "vécue" par les Européens au quotidien, soit leurs similitudes si nombreuses, ne débouche pas ipso facto sur une "Europe pensée"; toutefois la comparaison des sociétés européennes avec les sociétés développées non-européennes permet d'établir certaines bases des solidarités intereuropéennes, peut-être génératrices d'une conscience européenne. Pierre Milza s'attache plus précisément aux réactions des migrants, notamment à celles des populations venues du sud de l'Europe (Latins surtout), à la suite des recherches du groupe 2. Là encore bilan nuancé: le réflexe national a souvent prévalu dans ces milieux, – souvent au profit de la nation d’accueil, – davantage que l’expression d'une solidarité européenne transnationale.

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Notices – Informations – Mitteilungen<br />

lin européen face aux nouveaux géants, mais convaincu <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong>s Européens à se<br />

redresser.<br />

René Girault<br />

"I<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> conscience européenne au XXe siècle":<br />

Un chantier en cours<br />

Lorsque ce vaste proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>recherches</strong> a été pensé <strong>et</strong> organisé, la situation <strong>de</strong> l'Europe, fin<br />

1988, était bien différente <strong>de</strong> ce qu’elle est aujourd’hui. D'une part, "une relance <strong>de</strong> la<br />

relance européenne" (le mot est <strong>de</strong> Jacques Delors) était amorcée afin d'achever la construction<br />

du grand marché économique <strong>et</strong> d'obtenir <strong>de</strong>s avancées dans les domaines<br />

monétaire <strong>et</strong> politique; d'autre part, l'Europe <strong>de</strong>meurait coupée en <strong>de</strong>ux blocs antagonistes<br />

avec le symbole du mur <strong>de</strong> Berlin. Actuellement, si la coupure <strong>de</strong> l'Europe en <strong>de</strong>ux a<br />

disparu, on paraît encore loin d'une réunion <strong>de</strong> tous les Etats européens <strong>et</strong> l'élan vers plus<br />

d'union européenne semble bien r<strong>et</strong>ombé. Mais les problèmes subsistent <strong>et</strong> l’explication<br />

«théorique» <strong>de</strong> leur existence doit être cherchée.<br />

Parmi ceux-ci, une question fondamentale, à la base <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong>s dix groupes <strong>de</strong> <strong>recherches</strong><br />

transnationaux réunissant plus d'une centaine <strong>de</strong> chercheurs 1 : pour que l'Europe existe un<br />

jour vraiment – quels qu’en soient les contours – il faut qu’une commune i<strong>de</strong>ntité réunisse les<br />

habitants <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te Europe <strong>et</strong>, plus important encore, que ces habitants aient pris conscience<br />

qu’ils appartiennent à ce même ensemble. Donc une première question: existe-t-il une i<strong>de</strong>ntité<br />

européenne? Dans quelles limites géographiques? Selon quels critères politiques, sociaux,<br />

culturels? On a souvent fait une confusion entre l’histoire <strong>de</strong> l'idée européenne, élaborée,<br />

explicitée par <strong>de</strong>s penseurs, <strong>de</strong>s politiques, <strong>et</strong> le développement <strong>de</strong> la conscience européenne,<br />

comme s'il suffisait que <strong>de</strong>s intellectuels aient pensé un concept nouveau, utile, pour que celuici<br />

pénètre parmi les masses; c’est aller bien vite en besogne. Toute construction européenne,<br />

quelle qu’en soit la nature, suppose pour durer l'adhésion volontaire <strong>de</strong>s Européens concernés<br />

non pas seulement à un idéal théorique, mais à un sentiment profond <strong>de</strong> partager les mêmes<br />

droits <strong>et</strong> les mêmes <strong>de</strong>voirs. De la même manière que les citoyens d'un Etat européen se sentent<br />

solidaires <strong>de</strong> leurs compatriotes, soit pour défendre leur Etat, soit pour participer à la vie<br />

politique commune <strong>de</strong> c<strong>et</strong> Etat, il semble nécessaire que les habitants <strong>de</strong> l'Europe finissent par<br />

se sentir solidaires <strong>de</strong>s autres Européens, citoyens d'autres Etats européens pour que l'Union<br />

européenne repose sur <strong>de</strong>s fondations soli<strong>de</strong>s.<br />

Peut-il, un jour, exister une Nation européenne?<br />

Les chercheurs intéressés à c<strong>et</strong>te enquête sont presque tous <strong>de</strong>s historiens spécialistes <strong>de</strong><br />

la pério<strong>de</strong> contemporaine. IL existe une réflexion assez largement répandue selon laquelle<br />

ce qui peut unir les Européens entre eux, c'est l’existence d'un "marché commun culturel"<br />

(mot d'Edgar Morin) ou d'une "communauté <strong>de</strong> <strong>de</strong>stins". On évoque alors les convergences<br />

<strong>et</strong> les analogies entre Européens sur la longue durée <strong>de</strong> l’histoire, soit <strong>de</strong>puis les fon<strong>de</strong>ments<br />

<strong>de</strong>s civilisations antique <strong>et</strong> médiévale (sources grecque <strong>et</strong> judéo-chrétienne) jusqu’à nos<br />

jours. Notre enquête fut limitée au seul XXe siècle, mais elle couvrait un moment long pendant<br />

lequel l'Europe occi<strong>de</strong>ntale a connu le triomphe <strong>de</strong>s Etats nationaux, conduisant à <strong>de</strong><br />

sanglants affrontements, puis à un effort pour surmonter ces antagonismes suicidaires. Donc<br />

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