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La Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier 141
pour faire des propositions concernant la politique énergétique, elle est en fait tenue à
l'écart des principales décisions. De plus, elle ne sert pas vraiment de modèle pour les
institutions prévues par les Traités de Rome car les gouvernements, Paris surtout,
veulent éviter toute nouvelle organisation supranationale.
Alors que les nouvelles Communautés installées à Bruxelles deviennent le principal
centre d'intérêt de la politique européenne, la Haute Autorité doit affronter de
multiples difficultés: un contexte économique de plus en plus menaçant lorsqu'à la
crise charbonnière s'ajoute une crise sidérurgique, les déceptions d'une coopération
jugée insuffisante avec Bruxelles, les tiraillements au sein de sa propre administration
dont le fonctionnement est perpétuellement remis en question et qui se trouve
confrontée à un phénomène de "sauve qui peut" commencé avec la mise en place
de la CEE et accéléré par le projet de fusion des exécutifs. Le malaise de la Haute
Autorité se transforme alors en véritable crise d'identité. Lorsque le principe d'une
fusion réclamée par l'Assemblée européenne est accepté par le Conseil des ministres
en septembre 1963, la Haute Autorité va s'efforcer d'éviter l'alignement sur les
Traités de Rome. Elle cherche à sauvegarder les éléments qui avaient fait sa spécificité,
son autonomie budgétaire grâce au prélèvement, sa méthode de travail avec
le principe de la collégialité, l'originalité de son mode de désignation avec la cooptation
d'un membre au moins. Mais le Traité de fusion des exécutifs signé le 8 avril
1965 – et qui entrera en vigueur le 1er juillet 1967 – ne lui donne que très partiellement
satisfaction. Elle n'a pas réussi à imposer ses idées du point de vue institutionnel.
Si le prélèvement est maintenu, il doit contribuer au budget unique qui
englobe les dépenses administratives des trois Communautés, le reste pouvant servir
à financer les investissements propres à la CECA. Par ailleurs, la Commission
unique s'installe à Bruxelles; seul le service d'intervention financière de la CECA
reste à Luxembourg qui accueille aussi la Banque européenne d'investissement et
garde le secrétariat du Parlement ainsi que la Cour de justice.
Ainsi, l'héritage de la Haute Autorité semble dispersé. Pourtant son expérience
de quinze ans est loin d'être perdue comme le souligne Jacques Delors dans la préface
du livre de Raymond Poidevin et de Dirk Spierenburg. Institution supranationale
aux compétences soigneusement définies par un traité et limitées par trois
instruments de contrôle – Conseil des ministres, Cour de justice, Assemblée – la
Haute Autorité apparaît d'abord comme une formidable force de proposition. Confrontée
à des situations inédites, elle a dû imaginer des solutions possibles ou
acceptables mais forcément pionnières. A suivre dans cette Histoire son action au
quotidien, on a l'impression qu'il existe entre la Haute Autorité et la Commission
une parenté plus étroite qu'il ne semble à la lecture des textes constitutifs. La Haute
Autorité a légué une méthode de travail faite de sérieux et de technicité, d'ambition
et de prudence. Elle a aussi constitué autour d'elle une administration européenne,
creuset et modèle de celle qui s'installe un peu plus tard à Bruxelles. Enfin, ce livre
décrit à longueur de pages les jeux subtils entre intérêts privés, priorités nationales
et options communes qui se perpétuent dans l'Union européenne.
Marie-Thérèse Bitsch